Ambrogiani : Des étés en Haute Provence
En 1985, une édition du « Provençal » rendait hommage à Pierre Ambrogiani par une photo du peintre, les doigts directement trempés dans la couleur. Cette image à elle seule témoignait de toute une sensualité amoureuse pour la peinture.
Bien sûr, le souvenir d'Ambrogiani est lié à Marseille.
Porteur de dépêches à la poste dès 12 ans, il va par sa profession de facteur sillonner les vieux quartiers de sa ville jusqu'en 1950. Son atelier se trouvait à deux pas du Vieux Port, cours d'Estienne d'Orves. Pourtant, comme beaucoup d'artistes, il y eut à un certain moment une rencontre avec un paysage qui cristallisera bien ses évolutions.
Si Matisse invente le fauvisme au contact de la lumière de Collioure ou Braque, le cubisme devant les rochers de l'Estaque, c'est en Haute Provence, du coté occidental de Lure, vers Sault et Aurel où Ambrogiani va passer de nombreuses saisons d'été que tout son génie créateur va prendre corps. Selon Alauzen, cette Haute Provence « bouleversa l'être peignant et déterminera un paysagisme admiré par la suite ». Travaillant ici en plein champ, sa voiture lui servant d'atelier ambulant, il continue en autodidacte sa création.
Il va peindre la Haute Provence avec des couleurs en pleine pâte de la brosse à la truelle. Les épaisses couches de couleurs viennent-elles de son goût d'enfant pour les modelages d'argile ? En tout cas, il traduit tout dans le chromatisme de ce haut pays, du bleu des lavandes aux terres rouges, aux champs jaunes ou verts. Mais les peintures d'Ambrogiani sont plus que réalistes, elles arrivent aux frontières de l'abstraction.
Le peintre impose en quelque sorte sa vision du paysage provençal (ou est ce le Haut-Pays qui s'est imposé à lui ?) par de larges aplats et bandes de couleurs qui constituent une sorte d'amoncellement de paysages. Pour Alauzen, la peinture d' Ambrogiani « appréhende l'espace -les espaces- dans sa globalité ».
N'en doutons pas, le paysage de Haute Provence
--- Après la coupe de la lavande.
n'est pas exhibitionniste ni racoleur mais pudique et secret. Son approche ne peut se faire que par l'attention et la fréquentation, et il offre alors une sorte de solidité, voire d'éternité que l'artiste perce au travers de ses toiles.
Mais Ambrogiani était, selon sa propre expression, un « gourmand de couleurs » et son bonheur de peindre concerne aussi bien des empâtements épais que des recherches chromatiques à la gouache. Il déclare ainsi « une de mes plus grandes joies est d'assembler mes couleurs de telle façon qu'elles ne s'entretuent pas ».
Comme illustration de ces propos, nous publions, ici, une petite gouache de 7 cm sur 5,5 cm . Malgré sa taille, elle est tellement expressive en essais de couleurs et de tonalités que Pierre Ambrogiani a tenu à la signer comme une œuvre aboutie à part entière.
--- Printemps du Haut-Pays. Collection de l'auteur.
Par sa composition, le paysage terrien occupe toute la surface et repousse le ciel à une simple indication. Chaque teinte est différente, bien délimitée par rapport à l'autre mais néanmoins les correspondances s'établissent
C'est le talent du peintre. Toutes les couleurs essentielles sont là : le rouge, l'orangé, le saumoné, le rose le violet, le pourpre mais aussi le bleu, le vert ou le noir. La virtuosité est totale, dans une gamme étroite de quelques tons, l'artiste peint sa poésie.
Robert Sausse
A lire : ALAUZEN « Pierre Ambrogiani. » Tacussel, 1985.
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