Tiré de : « Le Voyageur Français ou la connaissance de l’ancien et du nouveau monde – Voyage en France.
Mis à jour par Monsieur D### - 1788. (le site de la BNF donne pour auteur l’abbé Laporte).
Ecrit sous forme de lettre, comme pour les autres textes donnés ici, je ne transcris que les parties concernant les Alpes de Haute Provence ; on se trouve en présence de la lettre :
CCCLXXXVII - CCCLXXXVIII

    La haute Provence est, comme vous le savez, Madame, presque par­tout hérissée de montagnes. L'ordre dans lequel je vais en tracer la description, vous fera connaître la route que j'ai suivie en la parcourant et la position des diocèses qui la compose. Cette description ne sera pas longue.
    Le premier de ces diocèses, du côté de l’orient, est celui de Glandeves.
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II est borné au nord par celui d'Embrun en Dauphiné, à l’ouest; par celui de Senez, au sud par celui de Vence et à l'est par celui de Nice en Savoie. Il renferme cinquante-six paroisses, dont plusieurs sont dans les états du roi de Sardaigne. Ce diocèse est ainsi nommé du nom d'une ville qui n’existe plus et qui s'appelait anciennement Glanativa. Lorsque les romains firent la division des Gaules,ils la comptèrent dans la province des Alpes maritimes.
    Cette ville était autrefois un com­té et le siège d'un évêque. Le ter­rain, sur lequel elle avait été bâtie, ayant été dégradé par les fréquentes inondations dit Var, les habitants se retirèrent de l'autre côté de la rivière dans la ville d’Entrevaux. D'ailleurs, il y a plus de trois cens ans que Raymond Roger, vicomte de Turenne, faisant la guerre au jeune Louis-d'Anjou, comte de Provence, acheva de ruiner cette ville ,en haine de Isnard de Glandevez ,général des troupes qui lui étaient opposées. Vous savez, Madame,  que par une singularité de prononciation remarquable, il est d’usage en Provence de prononcer le nom du diocèse Glandevies et celui des seigneurs, Glandevez dont la maison très ancienne n’est pas éteinte.
Le lieu où était Glandeves, est resté désert. A peine y trouve-t-on quelques vestiges d'habitations et les débris de l'ancienne église de Notre Dame de la Sedz,à côté desquels on a bâti, depuis environ cent ans, le palais épiscopal. Il est isolé dans une campagne resserrée d'un côté par le Var et de l'autre par un roc sur le­quel on voit les ruines de l'ancien château. L'évêque réside à Entrevaux où est l’église cathédrale, dédiée à S. Just. Cette petite ville fortifiée n'est rien moins, que jolie, mais elle est sur une hauteur qui la met à l'abri des inondations du Var. Le siège épiscopal de Glandeves suffragant de l'archevêque d’Embrun, est très an­cien, puisque Fraternus le premier évoque connu, vivait l'an 451. On trouve, dans ce diocèse deux petites villes Guillaumes et Annot. La première située dans les montagnes a quelques fortifications. La; seconde n'offre rien de curieux. /Dans la par­tie septentrionale, la chaussures des paysans a fixé mon attention. Sem­blable à celle des paysans de Terracine, dans les états du pape, sur les frontières du royaume de Naples, elle consiste en un morceau de peau crue et tannée, qu'ils replient sur le pied, avec une corde passée en forme de lacet, depuis le bout du pied jusqu'à la jambe, autour de laquelle ils lient la corde. C'était la chaussure des anciens romains, avec cette différence que les riches ne se servaient ni de corde ni de peau crue.
    Le diocèse de Senez est, comme celui de Glandeves suffragant d'Embrun et très montagneux. Il est borné à l’est par le premier et par celui de Digne ; à l’ouest par celui de Riez et au sud par ceux de Grasse et de Fréjus. La ville épiscopale est très ancienne, puisque Ptolémée qui vivait au commencement du deuxième siècle, en fait mention, elle s’appelait alors Sanitium. Située au milieu des montagnes, dans une contrée stérile, elle était très petite et très pauvre. L’évêque ne l’habite presque jamais ; quoique la cathédrale, dédiée à Notre Dame, et le chapitre y existe toujours. On a plusieurs fois proposé de les transférer à Castellane. Il est très important pour la ville de Senez que ce projet ne fut point exécuté. Quoi­que les revenus du chapitre soient modiques, les habitants y trouvent une ressource assez précieuse, parce que ne pouvant faire aucune espèce de commerce, ils sont réduits à vi­vre du seul produit très médiocre de leurs biens fonds.
    Ursus, le premier évêque de Senez que l’on connaisse, vivait comme celui de Glandeves en 451. Mais la suite de ses successeurs n’est bien établie que depuis le onzième siècle. On y en compte quelques uns de plusieurs maisons très illustres. Ce siège a été occupé de nos jours par ce fameux Jean Soanen, prêtre de l’Oratoire et disciple de Quesnel. Il publia une instruction pastorale contre la bulle Unigenitus qui lui paraissait un décret monstrueux. Le cardinal de Fleury assembla en 1727 le concile d’Embrun où Soanen fut condamné et suspendu de ses fonctions d’évêque et de prêtre. On l’exila à la Chaise Dieu, en Auvergne, où il est mort en 1740.
    Ce diocèse ne renferme que quarante deux paroisses. A deux lieux sud-est de la ville épiscopale est Castellane, petite ville beaucoup plus jolie et plus agréable que Senez. La contrée où elle est située, quoique montagneuse, est fertile, principalement en grains et en pâturages. L’air qu’on y respire est fort sain et tempéré, L'évêque y fait sa résidence ordinaire.
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    Le premier nom de cette ville très ancienne était Salinae, parce qu'on y voit à une petite distance une source très abondante d'eau salée, dont j'ai déjà parlé. Elle fût détruite dans le sixième siècle par les Saxons et les Lombards, Ceux des habitants qui échappèrent au carnage, se retirèrent sur une montagne voisine, où ils bâtirent des maisons qu'ils entourèrent de murailles. Cette nouvelle ville prit le nom de Petra Castellana, sans doute, parce qu'on y éleva un château sur le rocher. Mais au treizième siècle les habitants jugèrent à propos de s'é­tablir sur le penchant du coteau etau bord de la rivière du Verdon, Ce qui est resté au haut de la montagne, s'appelle le Château, II y a un ermitage sous le titre de Notre-Dame de la Roche et dans la plaine une autre église qu'on appelle Notre Dame du Plan,
    La seigneurie de cette petite ville appartient à la maison de Castellane dont les armes et le nom semblent rappeler, ceux des anciens rois de Castille. Mais, il y a des probabilités bien mieux fondées qui la font remonter au onzième siècle. L'empereur Conrad II, dit le Salique, l’investit à cette époque de la terre de Castellane et de son territoire qui était très étendu. Les comtes de Provence voulurent lui en disputer l'indépendance. Les castellanes leur résistèrent pendant longtemps les armés à la main : mais à la fin ils furent soumis. Des auteurs prétendent que Charles I d'Anjou, comte de Pro­vence fit alors trancher la tête à un seigneur de Castellane; d'autres  soutiennent que ce fut à un évêque de Fréjus de cette même maison. Quoiqu'il en soit, les grandes terres des Castellane furent en partie confisquées et réunies au domaine des comtes de Provence et le reste fut entièrement assujetti.
    Cependant les castellanes furent tou­jours regardés comme de grands seigneurs. Ils prenaient encore le titre de princes à la fin du treizième siècle. Au quatorzième, leur maison fut divisée en un grand nombre de branches dont quelques-unes subsistent encore. Celle de Riez, qui avait possédé la ville épiscopale de ce nom est éteinte. Mais celle de Grimaud, s'est maintenue jusqu'à nos jours, aussi bien que celle de Norante. Celle d'Entrecasteaux prit, au seizième siècle, le nom d’Adhemar de Monteil, en épousant l'héritière de la principale branche de cette illustre maison : enfin celle d’Esparron et de Novejan sont existantes.
    Plusieurs seigneurs de Castellane ; doués du talent de la poésie, se signalèrent parmi les illustres trouba­dours. Il nous reste de l'un d'eux quelques vers galants en langue pro­vençale. Heureux s'il s'était borné à ce genre agréable ! Mais il eut l'im­prudence et la malignité de composer des satyres contre la princesse Béatrix, .héritière du comté de Provence, qui épousa Charles d’Anjou, frère de S. Louis. On prétend que ce fut une des causes des désagréments qu'essuya cette maison au treizième siècle.
    Colmars, en latin Collis martius ou Collis martis, parce qu'on y adorait le dieu Mars, est du diocèse de Senez. Cette petite ville est fortifiée, mais de bien peu de conséquence. Je vous ai déjà dit que dans son territoire coule une fontaine intermittente, remar­quable par ses fréquents retours et que les montagnes voisines produisent de toutes fortes de simples et des mêmes espèces que celles qu'on trouve dans le reste des Alpes. Les autres bourgs ne méritent point d'être remarqués.
    Plus avant dans les montagnes est la vallée de Barcelonnette, du diocèse d'Embrun. La petite ville qui en est le chef-lieu porte le même nom. Elle fut bâtie en 1230 sur les bords de l'Ubaye, par Raymond Bérenger V, comte de Provence, qui la nomma ainsi en mémoire de ce que ses ancêtres étaient venus de Barcelone s'établir dans cette province. L'an 1388, les habitants reconnurent pour leur souverain Amé VII, duc de Savoie. Mais en 1713 elle est rentrée sous la domination française et a été réunie au gouvernement géné­ral de la Provence.
    Diverses inscriptions anciennes qui ont été trouvées aux environs de Barcelonnette,  font juger que les romains avoient quelque établissement dans ce lieu. On croit même que cet établissement était une ville dont on ignoré le nom et qui vraisemblablement fut dé­truite dans des temps de guerre. Il se fait en cette ville un assez bon com­merce en bétail et en blé. On dit que cette vallée n'est connue à Paris que par les marmottes que l’on trouve en abondance et que les jeunes habitants vont montrer dans la capitale.
    Je dois nommer ici le petit bourg de Faucon parce que c'est la patrie de Jean de Matha, gentilhomme et un des deux patriarches de la rédemption des captifs. Les religieux déchaussés de cet institut, y firent bâtir un monastère en 1661.
    Voici, Madame, un troisième diocèse de la haute Provence, situé dans les montagnes. C'est celui de Digne, borné au nord par celui d'Embrun,  à l'ouest par celui de Gap en Dauphiné etcelui de Sisteron ; au sud, par celui de Riez età l'est par celui de Senez. Cet évêché, suffragant d'Embrun, n'a que trente-trois paroisses.
    La ville épiscopale, située sur la petite rivière, de Blesne ou Bleaune, elle est appelée par Pline et Ptolomée, Dinia ce qui prouve qu'elle est très ancienne. Ce nom est celtique ettiré du local même, car din signifie eau et ia chaude, elle fut ainsi nom­mée à cause d'une fontaine d'eaux minérales chaudes qui en est tout prés et dont j'ai déjà parlé.
    On croit que Digne fut sous les empereurs romains une des villes les plus considérables des Alpes Maritimes. Aujourd'hui, elle n'est pas gran­de etne contient pas plus de trois mille habitants, .Cependant elle est divisée, en deux parties, dont l'une se nomme la Cité et l'autre le Bourg. Dans la première, il y a trois portes, trois fauxbourgs, etdes murailles flanquées de tours carrées. Il y avait aussi dans le bourg trois portes qui font tombées en ruines. C'est ce qui donna aux huguenots la facilité de le piller trois fois pendant les guerres de religion. L'évêque etles chanoines se réfugièrent alors dans la Cite et y sont restés, quoique l'ancienne ca­thédrale, qu'on prétend avoir été bâtie du temps de Charlemagne subsiste toujours dans le bourg aujourd'hui presque entièrement désert. On y va faire l'office, à certains jours, surtout aux fêtes de la Sainte Vierge à qui elle est dédiée. Les jours ordinaires, le service se fait dans une église de la Cité, dédiée à S. Jérôme.
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    Le premier évêque de Digne que l’on connaisse, appelé S. Domnin, vivait vers l'an 340. Parmi les prélats qui ont occupé le siège de cette ville, on distingue Jean Heroët, très bon poète du seizième siècle. Il était ami de S. Gelais, de Marot et de Rabelais et traita comme eux, pen­dant sa jeunesse des sujets agréables et galants. Mais dès que sa voca­tion pour l'état ecclésiastique fut décidée, il renonça à la poésie, pour ne plus s'occuper que des sciences et des vertus, de son état. La régu­larité de ses mœurs, sa piété son savoir l’élèvent seuls à cet évêché où il se conduisit avec autant de sagesse que d'édification.
    A une lieue etdemie de Digne est le bourg de Champtercier, où naquit en 1592 le célèbre Gassendi, cet émule de Descartes et qui eut l'honneur de partager avec lui les suffrages des savants de l'Europe. Ces deux grands philosophes se brouillèrent et en vinrent à une rupture ouverte en écrivant l’un contre l'autre. Mais il ne fut pas difficile de réconcilier deux adversaires qui s'estimaient. C'est ce que vint à bout de faire l’abbé d’Estrées, depuis Cardinal. Gassendi après avoir professeur royal de mathématiques à Paris, mourut chanoine-prévôt de l'église cathédrale de Digne.
    Le territoire de Tram, oùj'ai dit qu'on trouve des mines de fer, fait partie de ce diocèse. On m'a assuré qu'il a aussi une fontaine d'eau minérale, très bonne pour la guérison, ou du moins pour le soulagement des personnes qui sont malades des écrouelles ou du mal de gorge. Il est arrivé dans ce siècle, tout près de cette paroisse, un évènement qui mérite d'être rap­porté. Un éboulement de terre subit et considérable arrêta tout à coup le cours de la petite rivière de Bès. Les terres éboulées formant une espèce de batardeau, les eaux se répandirent des deux côtés dans le vallon, Mais comme en cet endroit il est assez profond, l'eau ne reprit son cours, que quand tous les creux furent remplis à niveau du batardeau etpar ce moyen il se forma un étang, qui subsiste encore et qui est bien fourni de poisson.
II y a assez près de Digne la petite ville de Seyne, capitale d'une Viguerie, mais du diocèse d'Embrun.
Je fuis, etc.
A Avignon, ce 14 Octobre 1759

Il me reste encore, Madame, trois diocèses de la haute Provence à vous faire parcourir. Je commencerai par celui de Riez qui confine du côte du nord à celui de Digne et qui n'est pas à beaucoup près aussi montagneux que les trois précédents. Le climat y est en général fort sain et tempéré ; les environs de la ville épiscopale très agréables et la campagne arrosée de petits ruisseaux, y produit en abondance des fruits excellents et des vins qui passent pour être les meilleurs de la province.
    Cette ville est assez jolie, mais très petite : le nombre de ses habitants n'excède pas celui de mille. Les fondements en furent jetés par une co­lonie romaine, que César envoya dans ce pays t dont les habitants vivaient épars dans des chaumières. Auguste agrandit considérablement la ville, qui devint la capitale du canton. Les romains la décorèrent d'un temple, dédié à cet empereur. On y voit encore un panthéon soutenu par huit colonnes de granit qui ont vingt pieds de haut. A la naissance du dôme ettout autour, il y avait en dehors trente six colonnes de marbre d'un petit module et en dedans douze niches ; où étaient les douze grands dieux. Vers le milieu du dernier siècle on trouva dans la terre de Sorps où ces statues avaient été transportées, un Pégase de Jaspe,  un Apollon de Corail, une Andromède, une Minerve assez grande et d'autres restes d'an­tiquités. Le panthéon fut d'abord change en baptistaire : aujourd'hui, c'en une église dédiée à S. Clair. En­fin les douze colonnes qui soutien­nent l’église du séminaire etses quatre de granit, si remarquables par leur grandeur qu'on voit hors des murs, sont autant de monuments qui attestent l'ancienne splendeur de la ville de Riez, ainsi que le goût des Romains pour les arts et la magnificence. Les ravages des sarrasins et les guerres civiles du quatorzième siècle, l'ont réduite à l'étroite enceinte où nous la voyons resserrée.
    L'évêque de ce diocèse, composée de cinquante quatre paroisses est suffragant de l'archevêché d'Aix. Le pre­mier s'appelait, dit-on, Prosper.  Il vivait au commencement du cin­quième siècle l'on croit que c'est l’auteur d'un poème latin contre les ingrats, qui a été traduit en français. Mais on n'a une liste suivie des évê­ques de Riez, que depuis S. Maxime, qui fut tirée de l'abbaye de Saint Honorat de Lérins pour gouverner ce diocèse et qui mourut après l’an 460. Ses reliques sont conservées dans la cathédrale qu'il fît bâtir dont il est regardé comme le patron. On l'appelle communément dans le pays Saint Maine. Son successeur Fauste, qui avait été comme lui moine de Lérins, est très connu dans l'histoire ecclésiastique d'Occident : il fut soupçonné de pencher vers les erreurs des pélagiens mais ses opinions n'ont point été précisément condamnées par l’Eglise.
    Au commencement du treizième siècle, un des évêques de Riez fut le légat du pape contre les albigeois, Celui qui lui succéda était de la maison de Sabran. Il enrichit beaucoup son évêché  en lui procurant de la part des comtes de Forcalquier, ses parents, le don de plusieurs seigneuries. Depuis environ l'an1450 jusqu'au milieu du siècle suivant, ce siège épiscopal a été successivement occupé par cinq prélats de la maison de Lascaris, originaire de Grèce, qui avait même possédé l'empire de Constantinople. En 1576 André d’Oraison, dont la maison était propriétaire de grandes terres dans ce diocèse, en fut nommé pasteur. Mais il se déclara publiquement huguenot et resta pour­tant en possession de l’évêché jusqu’en 1585. On peut dire qu'il le tyrannisa etle ruina même, puisqu'il fit abat­tre les églises, dont on a eu depuis bien de la peine à relever les princi­pales.
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    Dois-je vous apprendre, Madame, que Riez est la patrie de l'abbé Abeille, ce poète, j'allais dire, si comiquement tragique. Vous savez que vers la fin du siècle dernier, on représenta sur le théâtre français une tragédie de Coriolan, où une actrice ayant pompeusement déclamé ce vers ;
Vous sourient-il, ma sœur, du feu roi, notre père
Un plaisant du parterre répondit sur­ le champ :
Ma foi s'il m'en souvient, il ne m'en souvient guère.
    L'auteur de cette pièce de théâtre était l’abbé Abeille et  cependant il fut reçu, à l’Académie française.
De tous les lieux de ce diocèse, il n'y en a que deux de remarquables. Le premier est le village de Gréouls, qu'on dit, avoir été habité, même avant les romains. On trouve dans cet endroit des eaux, thermales très salubres, qui ont à peu près les mêmes principes que celles de Digne. Cette inscription qu'on y voit gravée, nimphis XI Grifelicis, a donné lieu de juger que dans le temps où elle fut faite, ces eaux formaient onze sources, dont chacune avait sa nymphe particulière, suivant l'opinion des anciens et que c’est ce qu'on voulut désigner par le nombre onze.
    L’autre lieu est la ville de Moustiers qui est fort ancienne et qui a été autrefois très peuplée à cause de la fertilité du sol et de la bonté du climat. On croit qu'elle tire son nom d'un monastère bâti par les religieux de Lérins vers la fin du onzième siècle. Il y a dans cette petite ville une manufacture de faïence qui passe pour être la plus belle et la plus fine du royaume. Mais une chose, bien digne d’attention est la chapelle de Notre Dame de Beauvezer, située entre deux montagnes fort hautes, fort escarpées et séparées par un espace d’environ deux cent cinquante pieds. Ces deux montagnes soutiennent une chaîne de fer qui s'étend d’un sommet à l’autre, ayant au milieu une grande étoile à cinq rais. Cette pro­messe d'enchaîner deux montagnes, dit-on, est une preuve de la dévotion étrange de nos bons aïeux : car il n'y a pas de doute que ce ne soit ici un vœu, dicté par la valeur et fait par quelques anciens chevaliers à Notre-Dame de Beauvezer, au sujet de quelque entreprise d’armes, soit courtoise soit à outrance. L’étoile suspendue à la chaîne n'est autre chose que les armes du chevalier qui fit ce vœu si singulier.
    Le diocèse de Sisteron est borné à l’est par celui dont je viens de parler. Il est suffragant d’Aix et assez étendu. Mais il a une partie dans le Dauphiné et quelques paroisses dans le comté Venaissin. En  revanche les évêchés de Gap et d’Embrun qui ont leur siège principal en  Dauphiné s’étendent dans la Pro­vence; le premier sur quarante paroisses, jusqu'aux portes de Sisteron et le second sur quatorze. Je vais vous faire connaitre à la fois, Madame, les lieux remarquables de cette partie de la Provence, qui dépendent de ces trois évêchés.
    La ville de Sisteron,en latin Segustero est situé sur la Durance, au pied d'un rocher surmonté d'une ci­tadelle , sous un climat fort sain,  dans une contrée agréable et fertile en toutes sortes de fruits. Mais il n’y a point de monument qui nous atteste qu'elle ait jamais figuré parmi les grandes villes  et nous sommes autorisés à le présumer d'après le silence même des anciens auteurs. On n'y trouve aucun objet capable de piquet la curiosité: du voyageur. Elle renfer­me environ cinq mille habitants, y compris ceux .d'un faubourg nommé la Baume, qui est du diocèse de Gap.  
        Les évêques de cette ville, dont un des premiers nommé Valère vivait au commencement du sixième siècle, ne firent rien de bien remarquable, jusqu'au neuvième. A cette époque, ils eurent à défendre .leur cathédrale et leur ville épiscopale contre les sarrasins et les hongrois, qui le fer et la flamme à la main, pénétrèrent dans lahaute Provence. Sisteron éprouva le sort de bien d'autres villes: elle fut plusieurs fois pillée et brûlée,  Le premier soin de ces évêques fut de mettre à couvert le corps de S. Marius ou Mary qu'ils regardaient com­me le protecteur de leur ville. Ils le transportèrent à Forcalquier, où était une assez belle église défendue par un fort château. On y établit une collégiale ; et aussitôt les comtes de Forcalquier prétendirent faire partager à cette église les honneurs dus dans tous les diocèses à la seule cathé­drale. Il résultat de cette prétention une concurrence entre les deux églises et les deux chapitres. Celle de Forcalquier eut le titre de concathédrale, Les chanoines de Sisteron s’intitulèrent chanoines de Sisteron et de Forcalquier, etceux de Forcalquier, chanoines de Forcalquier et de Sisteron.
     Le zèle etl'exactitude des évêques à partager leur temps entre ces deux églises leur valurent beaucoup de biens et de grandes terres que leur donnèrent les comtes de Forcalquier. Ce fut principalement sous l'évêque Pierre de 'Sabran, que cet arrange­ment, singulier eut tout son effet. Proche parent des comtes, il jouissait d'un grand crédit à leur cour. Sa dévotion lui a voit fait, entreprendre plusieurs pèlerinages à la Terre Sainte, d'où il avait rapporté de précieuses reliques. Dans un de ses derniers voyages, il se lia:avec les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, et en ramena quelques-uns dans son diocèse. Illes servit si bien auprès du comte son cousin, que celui ci leur donna en 1149, la seigneurie de Manosque, qui forme à présent une des plus belles commanderies de cet ordre militaire.
    Dans le siècle suivant, le diocèse de Sisteron fut gouverné par un vénérable pasteur nommé Raoul, qui posséda dans un degré éminent toutes les vertus du sacerdoce et de l’épiscopat. A la fin de ce siècle & dans le quatorzième, il s'éleva de grandes contestations entre les chanoines des deux églises au sujet de l'élection de l'évêque, à laquelle ils prétendaient devoir concourir également, mais sur laquelle ils étaient souvent divisés. Ces disputes devinrent moins vives, après, que le comté de Forcalquier eût été réuni à celui de Provence. Cependant le titre de con-cathédrale est resté à l'église de Forcalquier ; mal­gré les oppositions des chanoines de Sisteron.
    L'évêque de cette ville prend le titre de prince de Lurs ;sans doute, parce que l’abbaye de ce nom, qui a la seigneurie du bourg où elle est située, est unie à son évêché. Elle avait été concédée à ce monastère par les empereurs qui avaient décla­ré les abbés de Lurs, indépendants de tonte autre sujétion que de celle de l'empire; etc'est de là que ces abbés ont conclu qu'ils en étaient prin­ces (1).
   
(1) Nous nous rappelons ici un événement funeste arrivé dans ce village de Lurs, le 17 août 1770, sur les dix heures et demi du matin ; il est d’une nature à devoir être rapporté. Le voyageur moderne dans lequel nous l'avons lu, le raconte ainsi : « Une grande partie des paroissiens s'étant, retirée dans l’église pendant  un orage violent, le tonnerre y tomba; tuât le curé qui allumait un cierge à la lampe, et renverra six autres personnes. L'église parue, un instant après, tout en feu  et  on éprouva  un autre coup de tonnerre qui renversa quatre-vingts personnes. Cet événement est remarquable par les effets singuliers du tonnerre. Un homme qui sonnait la cloche, et qui avait laissés son chapeau à dix pas de lui, le trouva entre ses bras. Un autre se vît enlever les souliers de ses pieds, qui étaient sans doute fort larges, comme le font les souliers des paysans : ils furent portés à une petite distance, sans avoir été brûlés, et sans que les boucles, eussent reçu aucune altération. Un rideau qui couvrait un retable, fut enlevé de la tringle qu’on trouva dans les pitons, comme si elle n'avait pas remué : il faut qu'elle y fût retombée, après avoir été soulevée par l'action du tonnerre qui, dans le même instant, fit glisser les anneaux du rideau avec la force et la rapidité que tout le monde connoter à ce météore ». Voyage de Provence par M. l’abbé Papon.

Après ce que je viens de dire, je dois m'empresser, Madame, à vous parler, de Forcalquier ville située à six lieues de Sisteron, sur une colline où l'on respire un air pur, et dont le pied est baigné par la petite rivière de Laye qui se jette dans la Durance à deux lieux de là. Elle est entourée de champs très fertiles et contient environ quatre mille habitants. Cette ville s'appelait anciennement, suivant quelques auteurs, forum Neronis marché de Néron, parce qu'elle avait été bâtie à peu près dans l’endroit où était ce marché. Les seigneurs de ce comté y ayant fait élever un château, le nommèrent furnus calcarius, ce qui veut dire, four à chaux, parce qu'effectivement il y en avait un dans l'endroit même. C'est le nom qu'il porte dans des titres des dixième etonzième siècles et d'où est venu celui de Forcalquier.
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    Au milieu du dixième siècle, Boson II, comte d'Arles ou de Pro­vence, descendant des rois d'Arles ou de Bourgogne , laissa trois fils  Guillaume , Rotbaud et Pons , entre lesquels il partagea ses états, Guillaume, l'aîné, eut le comté de Pro­vence , c'est à dire, la plus grande partie de la province, telle qu'elle est aujourd'hui, relativement à son étendue, Rotbaud reçut en partage des terres considérables , dont Forcalquier faisait partie : elles s'étendaient dans les montagnes de la haute Provence etdu Dauphiné , par-delà la Durance etle Rhône et comprenaient entr'autres tout le comtat Vénaissin, Avignon, Embrun, Valence et Die. On appela ces terres le marquisat de Provence. Pons le plus jeune des trois frères, fut pourvu, comme je l'ai déjà dit, de la vicomte de Marseille.
    La postérité de Rotbaud finit par Emme, qui épousa Guillaume Taillefer, comte de Toulouse, à qui elle donna deux fils. L’aîné, nommé Pons fut comte de Toulouse après la mort de son père. Il prit aussi le titre de marquis de Provence, conserva une partie de l'héritage de sa mère etprétendit avoir le haut domaine sur le reste. L'autre nommé Bertrand eut le comté de Forcalquier, que sa postérité posséda jusqu'à ce qu'Adélaïs, fille de Guillaume Bertrand, épousa Ermengaud, comte d’Urgel.
    Le dernier mâle de cette famille d'Urgel, fut Bertrand IV, qui mourut  en 1208, comte de Forcalquier. Il n'avait eu qu'une fille qui était morte avant lui, mais qui avait épousé Régnier de Castellar, que l’on croit avoir été de la maison de Sabran. De ce mariage étaient nées deux filles; dont l’aîné nommée Garsende, fut mariée à Alphonse, comte de Provence. Raymond Bérenger, leur fils,
réunit ces deux comtés en instituant, héritière, sa fille Béatrix, qui épousa Charles d'Anjou,frère de S. Louis.
    Les malheurs qu'avaient essuyés les comtes de Toulouse, protecteurs des albigeois, avaient effacé le souvenir des droits qu'ils prétendaient avoir sur le haut domaine de Forcalquier, à titre de marquis de Provence. Ainsi la postérité de Charles d'Anjou jouit paisiblement des deux comtés de Provence et de Forcalquier. Cependant la maison de Sabran forma sur Forcalquier quelques pré­tentions fondées sur ce que Garsende était fille d'un seigneur de leur nom etqu'Alix de Forcalquier avait épousé Géraud de Sabran. Guillaume de Sabran prit, tant qu'il vécut, le litre de comte de Forcalquier par la grâce de Dieu. Mais après lui, sa postérité n'a point cherché à réaliser un titre si magnifique.
    Guillaume mourut en 1250 et laissa trois enfants qui formèrent autant de branches, Gaucher, auteur de la troisième, fut baron de Céreste etses descendants conservèrent le surnom de Forcalquier. Le dernier d'entr'eux qui était évêque de Gap, le transmit par son testament à son neveu Gaucher de Brancas, auquel il enjoignit de porter le nom etles armes de Forcalquier; c'était au seizième siècle. Depuis cette époque, la branche aînée de la maison de Brancas, établie en Provence, possède la terre de Cereste et porte le surnom et les armes du comté dont il est ici question. La branche de Sabran subsiste d'ailleurs dans des branches qui n'ont point de prétentions au comte de Forcalquier, mais qui n'en sont pas moins illustres. Elles dépendent toutes de Louis, dernier des fils de Guillaume III, mort au treizième siècle. Leurs armes sont un lieu rampant avec, cette devise latine : Noli irritare leonem, n’irritez pas le lion.
    Le comté de Forcalquier, tel qu'il est possédé aujourd'hui en souveraineté par nos rois, contient la viguerie de Forcalquier y compris Manosque, dont la simple seigneurie est à l’ordre de Malte ;  celles de Pertuis, de Sisteron, d’Apt  etle haut domaine sur le comté de Sault; celui de Grignan, et la petite principauté de Mondragon. Ces dernières terres sont à l'é­cart et au milieu du comtat Venaissin.
    En écrivant ceci, Madame, je me suis rappelé ce plaid que Raymond-Berenger IV, tint à Forcalquier au commencement du treizième siècle et que je puis citer comme une preuve de la simplicité des moeurs de nos aïeux. Ce prince y est représenté assis au haut de l'escalier, par lequel on montait au clocher, les principaux seigneurs de sa cour occupant une place bien moins commode encore. Les grands vassaux rendaient alors là justice dans la cous de leur château, assis un perron ombragé d'un arbre, L'habitude où l'on est aujourd’hui dans quelques villages assembler en été le conseil de ville, sous un orme ou sous un chêne, peut, je crois, être regardée comme un reste de cet ancien  usage.
    Je ne nomme ici le village de Mane' qui est à une lieue de Forcalquier, que pour rapporter un fait dont Gassendi dit avoir été témoin. En passant par ce bourg en 1641, il vit une femme plus qu'octogénaire qui après avoir perdu ses dents, il y avait quinze ans, en poussait de nouvelles et souffrait les douleurs les plus aiguës, occasionnées par la dentition.
    Le pays qu'il faut traverser pour aller de Mane à Manosque est riant et fertile.
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 La contrée où cette petite ville est située, ne l’est pas moins, arrosée de plusieurs sources, couronnée de coteaux charmants, elle offre un point de vue des plus agréables. La ville est assez jolie et très peuplée pour son étendue. Les comtes de Forcalquier y résidaient pendant l'hiver. Je viens de dire qu'ils la donnèrent aux chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem et j'ai dit ailleurs que les reliques du bienheureux Gérard Tenque fondateur de cet ordre sont conservées dans l’église de la commanderie, qui est toujours possédée par un bailli, grand-croix de l’ordre, Cette ville éprouva en 1708 un tremblement de terre qui renversa plusieurs maisons.
    Il n'y a pas longtemps que j'ai lu, dans quelque auteur,un trait de vertu, dont Manosque fut témoin dans le seizième siècle et sera certainement bien plus admiré qu'imité. François I étant arrivé, alla loger chez un particulier, dont la fille lui avait présenté les clés de la .ville. Elle était dans la première fleur de la jeunesse et sa figure réunissait tous les attraits piquants de la beauté. Ce monarque né avec une sensibilité que le feu de l'âge rendait encore plus vive, ne put la voir sans émotion. Ses regards fixés sur elle, trahirent les mouvements de son coeur. La jeune personne s'en aperçut et aussitôt elle se détermina au plus grand sacrifice que puisse faire la femme la plus vertueuse. Elle se retira dans sa chambre,  et se défigura le visage à une fumée brûlante. François I instruit de cette action vraiment héroïque, se montre aussi généreux qu’il parut ardent dans ses désirs. Il fit compter une somme considérable à la demoiselle pour lui tenir lieu de dot et pour être en même temps un gage de son estime.
A l'extrémité du comté de Forcalquier est la petite ville de Pertuis située sur la Durance. Quelques-uns prétendent, mais mal à propos, qu'elle est la patrie de Pétrone,  parce que dans les anciens titres, elle porte le nom de Vices Petronii. Ce poète naquit, comme je l'ai dit, à Marseille ou dans ses environs.*