Saint Bevons : de la Pierre Impie à Voghera

  Lure présente des paysages contrastés. Au sud, des croupes arrondies et douces montent jusqu'aux crêtes qui s'allongent de Montbrun à Peipin. Au nord, par contre, tout est différent. Des falaises abruptes descendent jusqu'à une vallée heureusement demeuré secrète : celle du Jabron. Une rivière montagnarde à caractère torrentiel y a façonné une vallée où s'égrènent quelques villages solitaires. En quittant Sisteron, le premier d'entre eux est Bevons.

A 630 mètres d'altitude il est face à l'ubac de Lure mais ne lui donne pas directement accès. Par contre le point de vue y est exceptionnel, surtout si on pousse en contre-haut vers un site qui surplombe la vallée. Il s'agit d'un lieu appelé Pierre Impie (ou Peyrimpi) (ou Petra Impia).

C'est ici que Bevons, fils de seigneurs de Noyers, aurait accompli un fait d'arme de première grandeur:arrêter et vaincre l'invasion sarrasine !

1-Bevons, chevalier de Provence

En l'absence de traces archéologiques, c'est la littérature qui nous fournit des éléments pour connaître la vie d'un saint.

Bien sûr, nous sommes face à un genre qui comporte des règles : les récits sont souvent empreints de merveilleux et de fantastique. Il n'empêche la description historique et même topographique est toujours présente.

Nous l'avons vu pour St Donat, l'ermite de Lure, dont une "Vita Sancti Donati" a permis toute une connaissance sur l'église St Donat, oeuvre du premier art roman.

Il existe aussi une vie de Saint Bevons (Vita Bobonis) appelé en Italie Bobon ou Bovo. Cette compilation de manuscrits date du 15 ème siècle.

Bevons serait donc né dans la vallée du Jabron, vers 940, à Noyers, de parents riches et nobles:Adelfred et Odilinde.

Nous sommes au Xème siècle c'est à dire à l'époque ou règne un système féodal. Ce système veut maintenir l'ordre et la justice et il a pour centre le chateau-fort.

En raison de son statut -fils de seigneur-Bevons va naturellement s'entraîner à la chevalerie. Il a donc le droit de porter les armes, la lance, l'épée et il combat à cheval.

Bevons, le chevalier (imagerie italienne)

Mais le pays va se trouver face à de graves dangers portés par les envahisseurs sarrasins qui après avoir construit leur forteresse au Fraxinet (La Garde Freinet) vont contrôler les cols alpins et suivre la Durance pour menacer la Haute Provence et la vallée du Jabron.

Ses parents morts, Bevons est bien le seigneur de l'endroit. Il va appliquer à la lettre les règles du système féodal. Depuis une forteresse (arx) établie au sommet d'une montagne du nom de Petra Impia (Pierre Impie) il va repousser l'ennemi. Il devra la victoire à son énergie, son courage (virilites) et son habileté.

On le voit, Bevons est bien un guerrier qui fait preuve de compétence militaire et endosse la tenue du combattant. En arrêtant la progression de l'envahisseur il entre en quelque sorte dans l'histoire.

La Vita Bobonis va d'ailleurs lui reconnaître un autre exploit guerrier. On va en effet l'associer aux opérations de conquête et de délivrance menées par Guillaume II le libérateur en 973(suite à la capture de Mayeul, abbé de Cluny) qui aboutiront à l'exclusion définitive des sarrasins de la Provence.

Il est de fait que les seigneurs provençaux se fédérèrent autour de Guillaume pour mener cette lutte.

Mais Bevons dans ses combats eu une autre force:celle qu'il puisait dans sa foi et le secours divin.

2-Bevons:inspiration chrétienne et démarche sainte

Ce n'est pas le premier venu, c'est l'apôtre Pierre lui-même sur lequel a été bâti l'église catholique qui va apparaître en songe à Bevons en lui indiquant de se rendre "ad arcem" c.a.d à la forteresse de la Pierre Impie!

Avec une telle intercession Bevons puise sa force non seulement dans sa nature de chevalier mais surtout dans la foi qui l'anime et dans le soutien divin. Cette attitude est exactement celle que demandera, au fil des ans, l'église en incitant les chevaliers à devenir des "milites christi" c-a-d des chevaliers au service de Dieu.

Ayant été prévenu par songe d'une attaque contre sa forteresse, il va d'ailleurs faire le voeu de se rendre chaque année en pèlerinage à Rome en cas de victoire. Bien avant, pendant sa jeunesse, Bevons conformait ses actes aux valeurs chrétiennes essayant de perfectionner sa foi catholique. Dieu lui ayant permis de refouler l'ennemi il va tout naturellement tenir ses voeux en abandonnant les armes et même sa monture (et donc son rang de chevalier). Il sera un simple pèlerin parmi les pèlerins. Selon le dictionnaire un pèlerin est une personne qui se déplace et suit une quête. La quête de Bevons en se rendant sur les tombes de Pierre et Paul est bien alors une quête mystique:atteindre un état de perfection chrétienne.

Il veut sans doute arriver au dépouillement de tous ses biens, multipliant ses aides aux pauvres et aux malades, portant ainsi à l'image du christ sa propre croix.

C'est sur le chemin de Rome, à Voghera (ville jumelée avec Manosque!)qu'il quittera la vie terrestre en 986.

Il sera reconnu par la liturgie catholique comme un saint laïque. On va lui attribuer de nombreux miracles , notamment dans le domaine agricole correspondant aux régions rurales traversées.

Bevons sanctifié(ici avec St Roch à l'église de Voghera)

Il est souvent représenté avec des animaux domestiques.

Son corps sera pieusement conservé et son culte ne cessera de se développer jusqu'à nos jours. En Lombardie on écrit désormais volontiers à son propos :" il mitico protettore di Voghera"

3-Bevons:homme de son temps et de son terroir

Bevons apparaît pleinement de son temps. Après avoir appris la chevalerie comme il se doit pour un fils de seigneur, il va prendre en charge avec panache la protection de sa région et des ses habitants en se dressant contre les dangers des invasions sarrasines. Imprégné de son éducation religieuse il va en quelque sorte être en prise directe avec le Sauveur et, appuyé par cette aide divine, il atteindra la victoire.

Son chemin le conduira ensuite sur les routes dans une attitude de sainteté. Mais Bevons est aussi un produit de son terroir.

On sait que les Basses Alpes, loin de tout artifice, sont faites de simplicité, de grandeur et d'austérité. C'est particulièrement vrai dans la vallée du Jabron qui semble à l'abri du reste du monde. Ici, tout semble favorable au recueillement, à l'introspection, à la méditation sur les vraies valeurs de la vie. Cet écho extérieur retentit en quelque sorte sur la vie intérieure formant des hommes discrets et courageux. N'est-ce-pas ce qui ressort de la vie de Bevons?

Enraciné dans sa belle vallée il y a certainement puisé toutes les ressources nécessaires à son cheminement. Il est alors plus facile de passer du sang de la terre au sang des hommes.

 

Bibliographie :Article de Bernard Mathieu, in Bulletin Littéraire et Artistique de Digne, n°356,2006.

Robert Sausse

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