Biabaux : une mine et une usine de soufre

1-La nécessité du soufre

Dans la nature, l'essentiel du soufre est d'origine sédimentaire, sous forme de gisements.
Et dans notre région, c'est entre Manosque, Forcalquier et Apt que s'étend tout un bassin sédimentaire d'origine fluvio-lacustre, datant de 35 millions d'années.
Il contient essentiellement du lignite, du gypse, du sel...mais aussi du soufre cantonné à Biabaux, dans la commune de Saint Michel l’Observatoire.
Le soufre est industriellement transformé en acide sulfurique. Produit de base de l'industrie chimique, il va être utilisé dans l'agriculture comme engrais et fongicide.
Dans l’antiquité, Caton l'Ancien recommande déjà le soufre contre la pyrale de la vigne et Homère en parle comme " éloignant la vermine " !
Et c'est bien cette qualité phytosanitaire et fongicide (c.à.d. une substance conçue pour éliminer ou limiter le développement des champignons parasites des végétaux) qui va amener des industriels à déposer dés 1818 une demande de concession pour exploiter, à Biabaux le soufre existant dans les sédiments du sous-sol et destiné à protéger les vignes.
D'ailleurs, c'est en provenance de l'Angleterre, en 1845, qu'une maladie va envahir le vignoble français provoquant une chute de la production viticole : l'oïdium de la vigne.
Des savants vont alors montrer l'efficacité du soufre qui sera utilisé dans toute l'Europe.
Mais, en 1885, un nouvel envahisseur apparait : le mildiou de la vigne.
Ainsi, à partir de la seconde moitié du 19ème siècle, pour lutter contre les maladies envahissantes vont se créer des usines (aussi appelées sublimeries ou tritureries),
d'extraction de soufre destinées à répondre aux besoins des vignerons et à la demande croissante. En exemple, le vignoble consommait alors 150.000 tonnes/an .
C'est à ce contexte que se rattachera la création de la grande usine de traitement de Biabaux.

2-Notions sur l'usine de Biabaux

a-L'extraction du soufre

Le conservatoire numérique des arts et métiers (Cnum) a heureusement préservé la présentation légale de l'entreprise relevant du ministère de l'industrie : "Compagnie minière de Biabaux, à Paris. Cette Compagnie exploite des minerais de soufre à Biabaux, dans les Basses-Alpes. Le gisement comprend des couches de soufre séparées par des schistes calcaires, marnes, argiles, etc. Chaque couche est souvent partagée par des havages d'argile ou de calcaire bitumeux. Elles sont très inclinées. L'exploitation se fait par gradins en remontant, avec remblayage complet.
La Compagnie produit environ 18,000 tonnes par an de minerai de soufre préparé pour l'agriculture".
Ainsi définie, l'activité de l'entreprise commence d'une manière classique par le creusement d'une galerie : la galerie de Biabaux.
Cette galerie démarre quatre mètres au dessus du ruisseau du Largue. Elle est orientée Nord-Sud et atteindra 776 mètres en 1914 !
Son entrée, aujourd'hui obstruée, est envahi par la végétation. Elle demeure cependant un vestige évocateur de ce travail minier, d'autant que l'odeur de l'eau qui en ruisselle évoque pleinement le soufre.
De plus, l'eau charrie des globules de soufre entrainant des dépôts blanchâtres au fond du cours d'eau et sur ses rives ; le tout immédiatement visible.


Au fil du temps, deux sociétés ont assurés l'extraction : --La compagnie minière de Biabaux ( pour le soufre ) --La société des Paroligneux du Sud Est (pour le lignite et le schiste bitumineux)
Tout un aménagement en fera une grande usine de traitement. Le grand chalet en bois (à la fois magasin et séjour des ouvriers) de 1830 sera remplacé par tout un
équipement en dur qui sera en activité jusque dans les années quarante.
En 1896, une halte de chemin de fer fut créé sous le nom de Biabaux-Saint Michel pour acheminer les ouvriers de l'usine sur la ligne Apt-Volx , en réponse à l'intensité de l'activité.
Mais si toute l'infrastructure industrielle fut efficace, la Compagnie dut son essor à une belle stratégie commerciale.
En effet, une idée de fabrication permit de créer un produit fini destiné à combattre les maladies de la vigne ...Ce produit amalgame le soufre à du bitume et
réussit ainsi à en faire un produit collant à la vigne ; il résiste ainsi aux différentes intempéries comme la pluie ou le vent !
On peut dire que la réputation de l'usine devient alors européenne et même mondiale, amenant le succès des commandes.
Les différentes publicités de l'époque mettent en avant la grande qualité du produit dans la lutte contre les maladies de la vigne.


De fait, des médailles vont couronner ce savoir faire aux expositions universelles de Lisbonne (1896 ) puis de Paris ( 1900 ).
Mais le gisement va finir par s'épuiser vers 1916 et globalement cette industrie s'amenuise après la deuxième guerre mondiale en raison de la concurrence de nouvelles sources productrices.
Signalons toutefois que le soufre a aussi été exploité à quelques kilomètres d'ici : à Saint Martin les Eaux; non sous la forme de mine mais de source sulfureuse .
De 1884 à 1942, il y eu même ici une petite station thermale attirant des curistes concernés par les qualités curatives de cette eau chargé de soufre !
Bon pour la vigne, le soufre est aussi bon pour l'être humain : son utilisation en cure thermale est bien connu car, comme oligo-élément, il agit à la fois sur la peau, les rhumatismes et dans le traitement des affections respiratoires ...

b-L'extraction du lignite

La mine de Biabaux va connaitre un regain d'activité en 1940 pour une raison humanitaire .
En effet, si l'exploitation du soufre a céssé, les sous-sols présentent des strates de lignite . La lignite est un charbon fossille issu de la décomposition des matières végétales ; mais il est souvent de qualité médiocre.
Peu importe alors car c'est la guerre et la ré-ouverture d'une "mine de guerre" permet à des hommes de justifier leur présence et de n' avoir pas à partir au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne. Dans un de des ouvrages,  Pierre Bonnet cite un témoignage : "Il y avait des médecins, des avocats,des professeurs,etc... Ils étaient venus se cacher ici. Certains étaient loin de penser qu'on pouvait travailler comme ca. Pour beaucoup, c’était la première fois qu'ils touchaient un outil".
Dans la pratique, la galerie d'extraction du soufre ayant subis les outrages du temps, il fallut la consolider mais surtout en créer une seconde, plus fiable.
Ce fut la galerie "d 'Aresten" dont l'entrée débute sur le coté sud de la colline de l'hubage.
Le charbon, sorti de la mine, allait vers un déversoir ( par un système de câble aérien)  puis vers une voie férrée pour le transport en wagon.
C'est ce même cheminement que nous avons retrouvé à Manosque, à la mine de la Gaude, ou un tunnel long de 3,5kms passait sous le Mont D'Or , jusqu'au quai
de transbordement de la S.N.C.F.
La "mine de guerre" de Biabaux sera fermé en 1944.

c-Evocation humaine

Cette évocation géologique, industrielle, et commerciale du site de Biabaux ne doit pas faire oublier l'élément essentiel : la présence des travailleurs de la mine et d'un labeur pénible qui passe du forage à l'extraction et à la manutention des charges .
De plus, ce travail est intrinsèquement lié à la notion de risques qu'ils soient environnementaux, naturels, sanitaires ou concernent les procédés d'exploitation.
L'étude de la vie de ces mineurs et de leurs souvenirs mérite d'autres pages qui constitueront toute une histoire : celle de visages noirs dans un sud ensoleillé.
En tout cas, cette activité minière a permis de faire vivre bien des familles en participant au développement économique du département.
Aujourd'hui, le site ne concerne plus le travail minier.....mais les loisirs .
Devenu centre de vacances, il accueille avec bonheur de nombreuses écoles de la région . Une belle reconvertion !

 

                                                                                                                                           Robert Sausse

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