Louis Botinelly : ses oeuvres bas-alpines

1-Ses Origines

Louis Botinelly est né chez nous, à Digne, le 2 janvier 1883. S'il est bas-alpin de naissance, ses origines sont de plus profondément enracinées dans le département depuis plusieurs générations! En effet, son père, François, est né à Sisteron. Et son grand- père était déjà venu s'installer dans cette ville (en venant de Lugano, dans le canton suisse du Tessin). Identité de cadre de vie ....mais aussi identité dans l'activité professionnelle. En effet, son père et son grand-père furent tous deux tailleurs de pierre. Même activité encore pour son oncle Antoine. Peut-on dés lors parler de dynastie? En tous cas le travail de la pierre est bien une marque de famille et explique la transmission de tout un savoir.

Pourtant, le métier n'offrit pas de débouchés suffisants dans les Basses Alpes. Ainsi le père de Louis va tenter sa chance à Marseille où il prendra l'atelier légué par son frère Antoine, au 11 chemin de Saint Pierre.

Et en 1894, François fera venir auprès de lui sa femme Anastasie et ses huit enfants.

Louis Botinelly quittera donc à huit ans la Haute Provence et apprendra le métier auprès de son père. Il va ressentir le désir d'être sculpteur qui le mènera des ses premiers cours du soir (en cachette), à l'Italie, puis à Paris dans l'atelier de Jules Coutan pendant six ans.

Dans l'Entre-deux-guerres tout son talent éclatera dans de multiples réalisations. Sa carrière sera très longue, s'échelonnant sur quelques soixante années, avec comme point d'ancrage la cité phocéenne. Pourtant Louis Botinelly n'oubliera jamais les Basses Alpes. Trois mois avant sa disparition il retournait encore à Digne, reçu par la municipalité et visitant à cette occasion sa maison natale en haut du boulevard Gassendi. De plus, au court de ses années de formation, il retournait en été à Riez, chez son oncle. En effet, sa mère était riezoise, fille des chapeliers de la ville. C'est d'ailleurs ici qu'il rencontrera sa première épouse, Jeanne Gaillard, (fille du boucher) et il se mariera à Riez. Son épouse sera, en quelque sorte, son mécène en finançant plusieurs de ses réalisations (dont le dresseur d'oursons).

2-Un portrait de qualité à Villeneuve

Heureusement, on peut encore admirer des oeuvres de Louis Botinelly dans notre département. A ce niveau nous proposons une visite à Villeneuve, place de la fontaine ronde.

Un piédestal, au milieu de cette fontaine circulaire porte un buste en bronze doré représentant Frédéric Aillaud, maire de la ville.

Il est représenté dans sa solennité de paysan bas-alpin. Il porte un chapeau galonné à larges bords enfoncé jusqu'au front, une moustache bien peignée et il a ajusté sa cravate sur un col de chemise repassé. Une veste (de velours?)boutonné sur un gilet complète le personnage. Les coins des yeux ridés, les plis du cou apparents, son regard droit et franc renforcent tout ce naturel. En fait, il est représenté avec réalisme et dégage toute la sérénité d'un homme en harmonie avec son terroir.

On a souvent disserté sur les traits de caractères du " gavot " bas-alpin. Ici, grâce à son talent de sculpteur et avec quelques coups de taille, Louis Botinelly apporte bien davantage. Son modèle est rempli d'intensité, de vie et de sentiment. Sa recherche d'expression par le dépouillement et la simplicité crée un style humaniste qui nous est proche.

En 1924, Louis Botinelly est bel et bien un grand portraitiste. Tout cela se retrouvera dans sa statuaire religieuse.

3-Le thème de la Pietà

a-La Pietà de Riez

Louis Botinelly a été attiré très tôt par un thème religieux : celui de la Pietà.

Il faut dire que c'est alors qu'il est l'élève de Jules Coutan à Paris que son maître travaille à une pietà pour la crypte du Sacré-Coeur à Montmartre. Empêché, il va confier la tache à Louis Botinelly qui participera ainsi, alors débutant, à l'exécution d'une oeuvre d'art néo-baroque !

Botinelly était un chrétien convaincu et il a enrichi le patrimoine religieux de nombreuses églises. De plus, on assiste dans l'après guerre à une certaine ferveur religieuse qui lui attira les commandes. Mais c'est à l'offrande privée que se rattache la Piéta de Botinelly que nous avons la chance de trouver à la cathédrale Notre Dame de L'Assomption à Riez.

Selon l'église catholique la Pietà (ou Vierge de Piété) est une peinture ou sculpture représentant la vierge éplorée tenant le corps de son fils à la descente de la croix. Ce thème artistique se situe donc après la mort du Christ. C'est dire que nous sommes dans un moment pathétique de douleur entre deux personnes : le Christ et sa mère. Dans le groupe sculpté de Riez la Vierge est agenouillée derrière le Christ. Elle le soutient, passant une main sous son épaule, comme pour le maintenir encore assis .Son visage se courbe vers celui de son fils divin dans un geste maternel de rapprochement. Elle a les yeux clos qui traduisent une douleur muette, toute d'intériorité. Elle partage la souffrance de son fils qui semble s'abandonner comme un enfant endormi. Dans cette expression si discrète de la douleur et du sentiment du pathétique la réalisation artistique de Louis Botinelly est de toute grandeur. Mais il va encore au delà. Il crée une relation entre le visible et l'invisible. Au delà de la douleur d'une mère il traduit tout le sens mystérieux de la passion. Marie est dans une souffrance totale mais elle est aussi dans l'ailleurs, dans l'acceptation du message divin de la prophétie. Grâce à un style de retenu, de dépouillement et de simplicité l'artiste crée un chemin qui mène au caché, au spirituel, à la contemplation. Autrement dit, l'oeuvre, imprégnée de spiritualité nous fait passer d'une image de la terre à l'image du ciel.

b-La "Mater dolorosa"

En rapport direct avec la pietà de Riez nous présentons ici un plâtre patiné ( H:0,21 ;largeur:0,24 ), titré "Mater Dolorosa", signé en haut à gauche.

Collection de l'auteur

La vierge vue de profil a le même geste de soutien. La main droite passée sous l'épaule amène le visage du Christ a touché celui de sa mère dont les lèvres collent à sa joue. Ce rapprochement renforce encore l'expression de l'amour et de la douleur maternelle : c'est bien une mater dolorosa . L'expression de la douleur de Marie est traduite par la discrétion : simples yeux clos, pli brisé du voile, tendresse irrépressible du contact humain. La main gauche, comme dans la pietà de Riez, soutient la tête du Christ dans un mouvement d'aide et de compassion. La mère et le fils sont inséparables dans la douleur. Ici encore, tout en économie de moyens, Botinelly crée une oeuvre d'art.

4-Les allégories commémoratives

La première guerre mondiale a entraîné en France des pertes massives (plus d'un million de morts). Pour honorer les soldats disparus des monuments commémoratifs vont apparaître dans presque toutes les communes de France. La plupart ont été construit entre 1920 et 1925. Ils font tellement parti de notre environnement qu'on y apporte plus guère d'attention.

Il faut dire que nous sommes en face d'un stéréotype aussi bien pour le choix de l'emplacement : sur la place du village, prés de la mairie, de l'église etc...; que pour la représentation statuaire banalisée. On retrouve généralement une femme éplorée, allégorie de la France et un poilu de la guerre.

Fort heureusement certaines communes vont sortir des sentiers battus en faisant appel à des artistes créateurs. Chez nous un nom va naturellement s'imposer : celui de

Louis Botinelly et des monuments aux morts vont jalonner sa carrière.

L'appel à l'artiste peut se faire d'une manière implicite (relations, etc...) ou par l'intermédiaire d'un concours entre plusieurs compétiteurs.

Les Basses Alpes sont un département rural ou la création artistique n'est pas la principale des préoccupations. Il était donc naturel qu'un enfant du pays déjà renommé s'impose facilement. De fait, il va construire les monuments aux morts des trois villes avec lesquelles il a le plus d'attaches : Digne, sa ville natale ; Sisteron, ville natale de son père ; Riez, ville natale de sa mère et de sa première épouse. Mais on va trouver à Digne dans la cour de l'école normale un monument corporatiste dédié à un groupe professionnel particulier : les instituteurs bas alpins morts pour la Patrie. On peut aussi citer Moustiers Sainte Marie : sur un amas de rochers, une femme casquée, au visage dur, pose sa main sur la poignée d'un glaive et porte une brassée de laurier.

En tous cas pour chaque réalisation le parti pris est différent ; chaque monument va être individualisé en présentant un caractère qui lui est propre.

A Digne , nous sommes devant une allégorie de la France déterminée. Entourée d'un drapeau français, la chevelure abondante, son regard porte au loin et elle soutient solidement le corps raidi du soldat agonisant. Si la figure monumentale transcrit la détermination de la Patrie, elle reflète aussi un sentiment d'expression de douleur que l'on retrouve dans toute cette symbolique funéraire. Nous avons vu concernant la pietà de Riez avec quel talent Botinelly arrivait à traduire toute une spiritualité. A propos du monument aux morts de Digne Laurent Noet parle fort à propos de "pietà laïque" ou la mère patrie semble soutenir un de ses fils morts.

A Sisteron , la France devient vraiment victorieuse. Bien plantée dans son corps elle lève ses deux bras vers le ciel, ce qui lui permet de brandir le drapeau français (symbole de la nation) et la branche de laurier (symbole des vertus militaires). De plus, elle porte un autre ornement symbolique : le casque de combat (symbole du soldat ).
Ce marbre de carrare est tout dans l'élancement vers le ciel : il traduit la victoire.

A Riez , la personnification de la France devient émouvante et recueillie.

Devant un monument ou sont inscrits les noms de ses morts glorieux une statue en marbre de carrare représente une femme debout tenant une couronne de laurier de ses deux mains. Sa robe longue, aux épaules dénudées, renforce la nature féminine de la France dans son sentiment d'humanité.

Louis Botinelly est bien un créateur de sentiment.

En résumé, devant des sujets qui appellent facilement l'emphatique, voire le gesticulation, il se garde de l'outrance et c'est par le sentiment qu'il guide sa représentation.

5-Un grand langage sculptural

La Haute Provence nous offre donc quelques belles oeuvres sculptées de Louis Botinelly .Mais il abordera de multiples sujets, notamment la figure de l'enfant ou la figure féminine. Restant fidèle à sa formation classique et de style figuratif, il arrive au travers de formes essentielles et dépouillés à nous livrer des créations subtiles, élégantes et émouvantes, sans jamais être académique. Pour lui, l'oeuvre sculptée doit tout indiquer lorsqu'on a tout simplifié. Sa sensibilité artistique aboutit à un travail tout en finesse ou il traduit alors la réalité fondamentale de l'homme. Il est alors pleinement en phase avec son terroir d'origine, ces Basses Alpes dont Maurice Barres a écrit : "ou peut on mieux qu'ici, apprendre l'art divin de la limpidité, de la netteté ".

Robert Sausse

Les photos sont dues à l'auteur sauf les trois centrales de la fin qui sont des cartes postales.

Bibliographie:

Louis Botinelly, Fondation Paul Ricard, 1983

Louis Botinelly, sculpteur provençal, Laurent Noet, 2006(éd more et martin)

Nota:

Nous n'avons pas été exhaustif dans notre présentation .D'autres oeuvres, moins monumentales, restent heureusement à découvrir.

Iconographie des allégories commémoratives:

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