Jean Carrière ou L'autre Provence
La liste des œuvres de Jean Carrière mentionne rarement son plus beau texte : la préface au recueil de photos de Hans Silvester " L'autre Provence " rédigé chez lui, en Hautes-Cevennes, dans l'Aigoual, en Juin 1987.
1-Une Provence occupée
La Provence lui apparait d'emblée comme un pays occupé subissant la migration estivale à la recherche d'un four solaire. Le peintre Dunoyer de Segonzac a illustré un ouvrage au titre évocateur : " Côtes Rôties "...
Face à cette déferlante tout devient vite stéréotypé et vulgaire, diffusant une image répétitive et envahissante, éloigné de la réalité méditerranéenne.
Mais il suffit d'un petit pas ce coté, celui du photographe qui capture des intérêts éphémères et celui de l'écrivain pourvoyeur de mythes...pour révéler une autre Provence.
Jean Ferrat, le poète, l'a lui aussi merveilleusement chanté " les touristes, touristes partis, le village petit à petit retrouve face à lui même sa vérité, ses problèmes..."
Pour Jean Carrière , cette Provence qui se retrouve alors est une Provence " sans eau ou grésille une chaleur africaine" : elle est alors couverte de cicatrices ( que l'on retrouve peut-être parfois dans les Pouilles ) qui rendent le pays éloquent et humain .
On peut alors se mettre à rêver "d'une Povence envahie d'herbes folles ou la vie battrait au ralenti".
Ainsi cette Provence renaîtra dans ses mythes et son imaginaire.
2-Voyage d'hiver en Provence
Mais l'inconscient du pays peut se révéler dans le choix d'une saison.
Ce sera l'hiver.
Et d'ailleurs, si l'album de photos s'intitule "L'autre Provence", le texte de l'écrivain est titré " Voyage d'hiver en Provence".
Ici, la neige est rare et va agir à l'inverse du soleil qui écrase les couleurs et les formes.
Elle va en fait agir comme un "révélateur" dont le saupoudrement fait apparaitre mille détails.
Autrement dit, l'invisible apparait ( puit gelé, arbre givré de cristaux...)
En définitive, nous voila dans un monde de rêve et d'imaginaire. Il faut, par exemple, avoir attendu que le ciel se charge de neige pour descendre petit à petit vers le sol et éclater en flocons blancs au dessus d'un petit cheval camargue blanc pour en être persuadé...
La Provence se réconcilie alors avec ses mythes et ses légendes.
Le pays " songe et se souvient du moindre détail de son histoire "
3-Les capteurs d'image
Le photographe et l'écrivain ont réunis leur travail dans une synthèse poétique.
L'exercice avait déjà été réalisé en 1960 entre Hans Silvester et ...Jean Giono pour un magnifique ouvrage sur la Camargue.
Nous sommes devant un même concept : refuser les clichés tout faits et les tartarinades pour aboutir à la réalité (ou à l'imaginaire) par le texte et par l'image.
La Camargue apparait alors porté par le rythme de sa vie : apparaitre, vivre, se transformer. Ce qui éclate c'est " la chaine des transformations, la roue de la vie, les innombrables chemins de fuite".
On le sait : Jean Giono et Jean Carrière ont entretenu des relations très proches et fréquentes.
Après avoir travaillé dans le commerce du disque, à Manosque, Jean Carrière sera critique musical et chroniqueur littéraire à l'ORTF avant de faire la carrière que l'on connait ( prix Goncourt 1972 pour L'épervier de Maheux ). Il admirait depuis l'adolescence l'œuvre de J.Giono, notamment grâce à la lecture de "Que me joie demeure". Les deux hommes vont alors tomber en amitié en 1954 et c'est dix ans plus tard qu'ils enregistreront à Manosque une série d'entretiens radiophoniques. Il suffit de les écouter pour appréhender la qualité de leur relation.
Hans Silvester est né en Allemagne et a fait ses premières photos à l'âge de 12 ans. Son regard se porte sur la nature dont il donne une image captivante, loin des clichés traditionnels, s'approchant ainsi des "vraies richesses" du monde. Citons le photographe " L'homme n'est jamais autant lui même lorsqu'il renonce à se voir pour mieux voir la nature " ( Chevaux de Camargue,1975 )
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Les relations entre ces différents talents ont de quoi susciter nos envies, nos recherches et nos découvertes.
Pour l'instant retenons l'option qui a été ouverte : faire un choix décalé peut changer la perception du monde.
A Lina.
Robert Sausse di Vénézia