LES SIRENES DE CASTELLANE

1-Aperçu géologique

La haute Provence présente une particularité géologique remarquable. Alors que la plupart des régions sont couvertes de cultures ou de végétations, il apparait ici de nombreux affleurements rocheux riches en sites fossilifères.
Ce contact avec la roche est donc un contact direct avec le fond des mers qui ont recouvert notre région pendant des centaines de millions d'années. Ce n'est que récemment - il ya dix millions d'années - que la pression du soulèvement alpin  repousse définitivement la mer.
C'est sous l'effet de ces pressions tectoniques et d'érosions climatiques que se sont crées dans les basses alpes des sites grandioses de gorges, de falaises, des paysages aux couches plissées et fracturées.
Mais, d'une manière plus discrète, tout ce substrat rocheux renferme des fossiles.
Tout autour de Digne, par exemple, on retrouve des fossiles d'animaux marins, en passant des ammonites, aux étoiles de la saint Vincent, ou à l'Ichtyosaure de la Robine.
Mais c'est au nord de Castellane que l'on va trouver des restes d'animaux rares conservés dans les dépôts sédimentaires de l'écorce terrestre : ce sont des lamantins (et leurs cousins les dugongs).
Avant d'aller observer leurs restes fossilisés "in situ", nous devons avoir à l'esprit leurs caractéristiques physiques, tout autant que leurs rapports avec la mythologie des sirènes.

2-Aperçu naturaliste

Il y a quelques années, Thalassa, le magasine de la mer, présentait les lamantins. Ils apparaissaient alors devant les caméras comme de gros animaux aquatiques qui vivent leur vie de mammifère herbivore en broutant paisiblement les plantes qui poussent dans l'eau (d’où leur nom américain de sea cow=vache marine).
Les lamantins ont donc un aspect massif. Ils peuvent peser une tonne et plus et sont entourés d'une épaisse couche de graisse qui joue le rôle ’isolant. C'est que pour vivre ils ont besoin d'une eau d'au minimum 20 degrés !

On les trouve donc essentiellement dans les régions tropicales et l'hémisphère sud, dans des zones littorales peu profondes. Voila bien le même environnement que l'on retrouve chez nous, en haute Provence, il y a des millions d'années.....
Bien que non ruminants, ils sont néanmoins toujours entrain de manger des végétaux (jusqu’à 50 kg) car les plantes aquatiques ont une faible teneur énergétique et il faut donc en consommer énormément.
Le même phénomène s'observe en Camargue où les chevaux doivent manger 15 heures sur 24, pou consommer une quinzaine de kilos. Là s'arrête la comparaison des ces deux habitants de delta !
Les lamantins ont des yeux minuscules et comme noyés dans la graisse. Ils présentent deux nageoires pectorales et une nageoire caudale ronde alors qu'elle se divise en deux pour les dugongs.
Le lamantin va faire l'objet d'une classification en 1881 par le scientifique ILLIGER qui crée l'ordre SIRENIA, en référence aux sirènes mythologiques!
En approchant des sites fossilifères du col des Lèques et de sa vallée de sirènes fossiles, à six kilomètres de Castellane, on se trouve brusquement  face à l'histoire et au mythe.

3-Aperçu Mythologique

a-Récits mythiques

Selon le dictionnaire, le mythe est un récit fabuleux, souvent d'origine populaire, qui met en scène des êtres incarnant sous une forme symbolique des forces de la nature, des aspects de la condition humaine.
Et c'est Homère, dans le chant XII de l'Odyssée qui fait apparaitre des divinités de la mer appelées sirènes. Elles sont dotées d'un chant magique ....et mortel !
En effet, les navigateurs n'arrivent pas à résister à ce chant séducteur et les bateaux viennent se fracasser sur les récifs côtiers où l'on trouve alors  les "amas" d'ossements et les chairs desséchées des hommes qu'elles font périr"
Elles sont donc reliées au monde infernal et seront alors représentées dans l'iconographie avec un corps d'oiseau et une tête de femme. On semble bien loin de nos fonds marins bas-alpins ....mais ...... c'est que, à coté de la mythologie gréco-romaine va se développer une autre mythologie : celle de la tradition scandinave ou la femme oiseau va être éludé au profit de la femme poisson.
D'abord monstre marin chez les norvégiens, la sirène va s'humaniser jusqu'à devenir une jolie femme aux longs cheveux et à queue de poisson recouverte d'écailles.
Elle a alors tous les atouts de la séduction jusqu'à devenir plus tard une héroïne romantique sous la plume d’Andersen.
Toutes ces images se superposeront dans une sorte de syncrétisme c.a.d de combinaisons et de mélanges de ces différents mythes.
Elles sont sans doute bien présentes dans l'esprit des marins du XVème siècle, et notamment dans l'esprit de....Christophe Colomb.

b-Récits maritimes

C'est en effet Christophe Colomb lui même qui va polariser l'attention sur les siréniens !! Comment ??
Quelques mots consignés dans son journal en 1493, au retour de la première expédition, suffisent....
" dixo que vido tres serenas    =       il dit qu'il vit trois sirènes
que salieron bien alto de la mar   =   qui sortirent bien haut de l'eau  ", et de poursuivre " mais elles n'étaient pas si belles qu'on les dépeint " .....
Il va ainsi en quelque sorte donner corps au mythe de la sirène qui est sa référence immédiate. De fait, imprégné de sa culture d’autodidacte, il croyait à l'existence des sirènes (tout comme Marco Polo croyait à l'existence de la licorne). Les lectures et les représentations picturales de l'époque vont entrainer chez lui une évocation du mythe de la femme poisson. Le philosophe Régis Debray, en 1991, résume brillamment le mystère : " il n'a vu que ce qu'il croyait." Si à ce propos les thèses et les antithèses sont nombreuses (trop pour être ici développer), il est généralement entièrement admis que Christophe Colomb vit alors un mammifère marin rare sur les cotes : le lamantin.
Remarquons cependant que cet animal, il l'avait sans doute déjà croisé sur les cotes africaines mais sans établir alors cette assimilation...
S'il n’a donc pas découvert les Indes qu'il recherchait ; s'il n'a pas rencontré la mythologique sirène ; il a mis en pleine lumière un animal marin millénaire dont on va retrouver la trace des lointains ancêtres dans les sédiments des basses alpes.

4-Aperçu Castellanais

En quittant Digne en direction de Castellane, en plein dans les Préalpes, on rencontre des gorges étroites, comme des passages sciés dans la roche : ce sont les "clues". Des rivières très encaissées ont crée ces brèches dans la montagne.
C'est entre Barème et Castellane que se situe la clue de Taulanne : elle est spectaculaire et les magmas rocheux sont vertigineux.
Surtout, par  cette clue, on passe du bassin de l'Asse à celui du Verdon.
De suite après se trouve le col des Lèques (1146 m) qui dévoile le paysage montagnard, sauvage et aride des alpes du sud.
A partir du sommet une marche d'environ une heure va nous mener au bas d'une montagne calcaire à la végétation maigre et clairsemée.
Au flanc d'un ravin - le ravin de Tabori - va alors  se dévoiler un site unique au monde présentant des fossiles vieux de quarante millions d’années.
Vous l'avez compris, il s'agit des siréniens (ancêtres des dugongs et lamantins actuels), dont nous venons d'évoquer l'histoire.
Nous trouvons ici, fossilisés, les parties qui se conservent le mieux c.a.d les parties minéralisées comme le squelette.
Ainsi, ce sont les cotes et les vertèbres qui sont le plus abondantes, d'autant que les cotes de ces animaux marins sont très épaisses.
On  trouve d'ailleurs amalgamé un véritable bouquet de côtes et de vertèbres.

Mais si ce site fossilifère bas alpin est unique au monde par l'abondance et la qualité de conservation ; il l'est aussi par la variété des pièces conservées. On trouve ainsi quatre crânes, une mâchoire inférieure ou un membre antérieur !
L'intelligence de la Réserve Géologique de Haute Provence a été d'aménager ce site sur place pour en faire ressentir directement tous les aspects.
On se plait alors à évoquer la vie de ces animaux marins dans la crique du ravin de Tabor .
Si aujourd'hui ces restes sont à 1000 m d'altitude, dans nos montagnes, c'est que les fonds marins ont été remontés par les poussées créatrices des Alpes.
Ces ossements appartiennent aux aïeux de nos dugongs et lamantins actuels qui  paissaient donc tranquillement le fond d'une calme lagune dans un
chaud climat, aux environs de notre beau village de Castellane .... Mais pour partager cette évocation rien ne vaut la parole du poète.
La jolie poétesse bas alpine, Lucienne Desnoues, qui utilise les mots avec simplicité et puissance a écrit un poème intitulé " Le Fossile ".

"Ce sol que nos pas égrugent  
Croquent, mâchent sans façon,
C'est la mer et ses poissons
C'est le marc des hauts déluges.

Nous traversons en chantant
Des abysses qui scintillent,
Nous marchons en espadrilles
Dans les profondeurs du temps "

Qui dit mieux ?

                                                                                                                                                                 R. Sausse di Vénezia

 

Note : A Castellane, la Maison Nature et Patrimoine abrite le musée Sirènes et Fossiles qui présente de manière attractive et complète les siréniens.

 

 

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