HISTOIRE
DE
CASTELLANNE
(BASSES ALPES),
PAR
M. LOUIQUY, AVOCAT
1836
C'est une heureuse pensée que celle d'offrir à ses compatriotes, l'histoire de ces hommes qui, en élevant un humble toit sur le sommet de la colline où ils avaient cherché un abri, jettèrent la première pierre de nos bourgs et de nos cités. La source de notre sang, la croix qui protège la cendre de nos pères, la voûte sainte où nous reçûmes la bannière de notre religion, les actions d'un sage, les exploits d'un héros, nos concitoyens, font battre le coeur. Au moment ou d'habiles écrivains, liés par un contrat de fédération littéraire et politique, étalent, dans de gros volumes, les richesses, le luxe, la magnificence de leurs villes superbes, parcourent des ports et des arsenaux, admirent des cathédrales et des musées, s'animent devant des statues, se posent devant des édifices et des monumens, s'inclinent avec respect, ou reculent avec horreur, devant des noms fameux, tracent et déroulent, taillant sur un grand bloc, de grands caractères, de grandes images, de grands tableaux, de grandes scènes, pourquoi, dans un petit livre , ne me serait-il pas permis de broyer quelques couleurs pour ma patrie ? Castellanne ! si, comme tant d'autres, je n'ai pas le privilège de vanter tes architectes, tes peintres, tes poètes, tes orateurs et tes guerriers, il m'est doux de t'entretenir de tes montagnes et de tes plaines , de tes rochers , de ta rivière et de tes vallons, d'esquisser quelques traits de tes vertus!
ORIGINE, MOEURS, CARACTÈRE
Castellanne existe sur des ruines diverses. L'an de Rome 554, 200 avant la naissance de Jésus-Christ, les anciens colons de la Provence, chassés de leurs côtes par les Phocéens , peuples belliqueux et policés, venus de la Grèce, se réfugièrent sur les montagnes des Alpes et bàtirent une ville dans la plaine de Notre-Dame, ils la baptisèrent de l'eau salée d'une grande source, civitas saliniensium : la ville des Saliniens. On a trouvé, à différentes époques, sous ses décombres, des pierres sépulcrales, des pièces de marbre et de monnaie, et dernièrement les traces de deux tombes, qui n'étaient pas, comme on la cru, celles de Templiers. Après avoir assigné des bornes au Verdon, les Saliniens formèrent cette belle vallée et ce magnifique bassin qui, ayant reçu des habitans d'aujourd'hui une nouvelle vie, font notre richesse et nos délices. Entourés des coteaux de la Mélaon, de Signal, de Bouquet, que le fer n'avait pas encore mutilés, où la vigne se plaisait, où le pâtre rencontrait de gras pâturages; sur les bords du paisible vallon de Clastres; au milieu des fontaines d'une eau vive et abondante, ne voyant que de loin les hautes montagnes, ils durent, sous un beau ciel, jouir du bonheur des premiers âges. Les Romains séjournèrent long-temps dans leur ville, plantèrent en son honneur des pierres milliaires, sur le pont Julien, les chemins de Cheiron, de Sionne, et lui donnèrent le droit de cité. Les noms de Marcus, de Julia, de Lucilla, que la noblesse seule portait, ceux de Quinvirs, de Décurions, et de Préteurs, qui dans les villes municipales avaient la même dignité que les Sénateurs a Rome, attestent sa distinction. Castellanne a conservé de son ancienne aïeule, quelques débris précieux.
I.
Quartinia-Catullina, pour enfermer les ossemens de
Titus Quartinius-Catullinus et de Lucilla-
Quartinia, son père et sa mère.
II.
Marcus Matucolinius, à Marcus Matucolinius,
son fils, décurion de la cité des Saliniens.
III.
Une pierre antique, en jaspe vert, représentant
des ornemens d'un travail achevé, avec ces mots: Civitas Saliniensium.
IV.
Une table en marbre, servant sans doute de
pavé aux bains, sur laquelle un aigle est sculpté.
V.
SaliniensiensesTiberino praetori, avec une hâche
qui annonce le grand magistrat de la ville.
La première de ces inscriptions est sur une
pierre triangulaire, à la porte du jardin de madame
Marie.
La seconde, la troisième et la quatrième, dans
les fondemens de la tribune de l'église St.-Augustin.
La cinquième, sous le bénitier de celle St.-Victor.
Dans le quartier de la Salaon on a encore découvert, en I827, des fragmens de pierres
tumulaires et une médaille à l'Empereur Trajan,
parfaitement frappée : elle est entre les
mains de M. J. Poilroux.
C'est dans ce quartier de la Salaon que, des
flancs d'une colline de pierre molle, couverte
de landes de plâtre, s'élance impétueuse et
bouillonnante une source qui fait tourner
deux moulins, une fabrique de draps, et se
jette dans le Verdon, en vomissant au loin
son écume blanchâtre : remarquable par ses variations,
se jouant dans les grottes de la colline,
tantôt elle s'ouvre une issue, tantôt une autre,
tantôt elle diminue et disparaît, tantôt elle
grossit et se gonfle: en 1702 elle fut invisible
pendant quatre jour, et pendant deux heures
en 1740. Les observateurs attribuent ces phénomènes
au flux et au reflux qu'exerçent les
tourbillons des vents: son eau mordante, âpre,
verte, salée comme celle de la mer, est malfaisante
aux productions de la terre : là où elle
croupit, la plante tombe, se relève avec effort,
jaunit, se dessèche et meurt: les troupeaux s'en
abreuvent volontiers; l'homme pourrait s'en
servir : décomposée il y a plus de deux siècles,
elle produisit deux onces de sel sur trois livres
d'eau , la chimie obtiendrait aujourd'hui des
résultats plus avantageux. la médecine y puiserait
des remèdes salutaires. Lorsque nos bons souverains établirent le fameux impôt de la gabelle,
Castellanne et ses villageois, qui savaient
déjà que le sel est le pain du pauvre, se soulevèrent
prêts à s'armer, et les troupeaux continuèrent
à aller boire sans trouble l'eau des
moulins; ce fut la victoire des moutons.
L'ouvrage des Saliniens était celui d'un travail
commun; ils en firent le partage ; de là, la
diversité des conditions, des familles, de là une
société nouvelle : comme la vertu et le vice pouvaient
également habiter avec eux, ils s'imposèrent
un frein sévère, terrible, souvent barbare.
Une ceinture publique les mesurait; celui,
qui, dans l'oisiveté, laissait prendre à son corps
trop d'embonpoint, était flétri : c'était en tremblant
que les magistrats recevaient des mains
de ces montagnards le livre de la loi; ils savaient
qu'il renfermait un glaive.
Malheur au fils indigne de son père !
Pour donner plus de prix à l'économie et à
la liberté, qu'ils regardaient comme une grande
vertu et un trésor, ils forçaient le débiteur obéré
à abandonner ses biens à ses créanciers et à devenir
serf: ils ne confondaient jamais la dépouille
du prévaricateur ou du serf, avec celle de
l'homme juste, ou libre.
La mort avait son étiquette.
Dans l'intérêt de l'égalité des fortunes, la dot des filles ne pouvait pas dépasser une certaine
somme.
Leurs denrées n'avaient presque pas de valeur;
aussi l'argent était très rare, ils ne connaissaient
que le sol, le demi-sol et le tiers de
sol; la plus forte de ces monnaies était moindre
que notre franc : ils payaient l'impôt par la
mesure, la demi-mesure et le tiers de mesure,
à proportion de ce qu'il récoltaient.
Sobres, simples, leur nourriture se composait
de légumes et de gibier, leurs vêtemens,
d'un justaucorps, d'un pantalon trèslarge, et d'un
bonnet; leur langage, du grec et de l'espagnol.
Bons, curieux, vifs, bien faits, souples, forts,
courageux, les Saliniens dormaient sur le feuillage,
maniaient la lance, couduisaicntlacharruc,
en forgeaient le soc, montaient à cheval et allaient
à la chasse. Par un sentiment commun à tous
les hommes, ils interrogèrent la nature et en
pénétrèrent les secrets, ils se livrèrent à l'étude
du cours des astres, des plantes, et de l'organisation
des animaux: la musique, la poésie, l'éloquence
embellirent lnur vie rustique. Ensevelis
pourtant dans les ténèbres de l'idolâtrie, ils brûlèrent
de l'encens sur les ondes du Verdon, et se
prosternèrent devant la majesté du Roc: le sang
des victimes humaines fuma quelquefois sur ces
ridicules autels.
La république des Saliniens, mélange d'aristocratie et de démocratie, semblable à celle des
Suisses, se soutint jusqu'à la conquête des Gaules
par J.César: les Romains les vainquirent sans
les subjuguer, adoucirent leurs moeurs sans les
changer, et leur communiquèrent leurs vices
sans détruire leurs vertus; ils renversèrent l'idole
de la liberté; mais, tel est son empire!
l'ombre resta.
DESTRUCTION DE LA VILLE DES SALINIENS
Le Catholicisme qui, par ses principes, est la
grande Charte de l'humanité, dont la marche
s'était ralentie chez les Grecs, du temps de Péricles,
et chez les Romains, un peu avant Auguste
, avait repris, avec éclat, possession du
monde, lui montrant la route de la sagesse, de
la liberté, du bonheur et de la vie.
Son flambeau, que portaient sur les Alpes st
Pons et st Marcellin, évêques d'Embrun, éclaira
les Saliniens: les mains tendues vers le ciel, développant leur
intelligence, épurant leur raison,
ils adoptèrent d'autres coutumes, ils modifièrent
leurs codes et n'adorèrent qu'un Dieu; il vécurent
comme ses enfans: ils vécurent heureux.
Etrange destinée du catholicisme ! son dogme
vivifie les hommes, son fanatisme les tue; l'un
prêche l'indépendance et se ligue contre les
rois, l'autre prêche la servitude et étouffe les
peuples. Athènes, Rome, ont commandé, Athènes n'est plus, Rome obéit: les noms de Naples
avec ses Lazzaroni, de Venise avec son
Doge et ses Dix, glacent encore de terreur; la
dévote Espagne se dégrade; l'Allemagne, la
Bohème, la France, l'Angleterre, les Pays-Bas
ont eu leurs orages.
Les Saliniens avaient passé sous la domination
des rois de France.
Frappés par le génie destructeur des Visigoths,
ils en fesaient disparaître les marques, avec les
bienfaits du catholicisme, et par un travail opiniâtre.
Malheureusement, des barbares, les Sarrasins,
sectateurs de Mahomet, conquérans de
l'Espagne, envahissaient la France.
Des milliers sortent des flots de la Méditerranée,
plus féroces que des tigres, se répandent
dans la Provence, le cimeterre, le
marteau, la flamme à la main, la rasent, l'inondent
de sang et de pleurs. La ville de nos
ancêtres éprouva le sort de ses voisines: elle
périt: veuve d'un grand nombre de ses habitans
morts pour sa défense, elle cacha ses tristes
restes dans les bois et les rochers; le Verdon,
rompant ses digues abandonnées, déborda dans
la plaine et consomma l'ouvrage de la barbarie.
DÉFAITE DES SARRASINS, NOUVELLES VILLES SUR LE ROC ET DANS LA PLAINE SAINT-ANDRÉ.
Au moment où les Sarrasins anéantissaient les
provinces de la France; que fesaient nos rois?
benets , ils plantaient la féodalité; fainéans, ils
dormaient sur le trône; làches. ils mendiaient
auprès des Maires du palais; assassins, ils fesaient
pénitence dans un couvent.
Un homme prit leur place,
Lacerda Yalentinus, que plusieurs historiens
font descendre des princes de Castille, issu plus
vraissemblablement d'une famille de patriciens
établie dans les Gaules, hardi, expérimenté dans
l'art de la guerre, rassemble les Saliniens, les
anime, les place sous l'arbre de la croix, et marche
contre l'étendard de Mahomet.
Les Saliniens font des prodiges l'ennemi
fuit devant eux: Sisteron, Riez, suivent ce courageux
exemple, Grimaud ; l'émule de Lacerda
Valentinus, se mct à la tête des Antibois; les
Sarrasins, poursuivis de toutes parts, déposent les
armes
Le brave Lacerda Valentinus acheva sa belle
oeuvre, ses compatriotes lui devaient la paix ;
il leur procura une ville. Les Saliniens adressent
de pénibles adieux à leur premier champ
d'asile, et s'acheminent vers le Roc, leur ancienne
divinité, dénués de ressource, la douleur
dans l'âme, mais conduits par Lacerda Valentinus, cet autre Enée, et soutenus par l'espérance
: ils campent sur la plate-forme : aussitôt,
les vieillards, les femmes, les enfans, Lacerda
Valentinus chef et ouvrier, jettent les
fondemens des fortifications ; l'eau manque,
ou elle est trop éloignée, on creuse une profonde
citerne; déjà, le mortier s'attache à la pierre ;
bientôt des retranchemens, des murailles, une
citadelle garnie de demi-lunes, de crénaux et
d'embrasures, deux portes; celle de Fer et celle
de l'Eguille, une maison, une rue, une ville,
une patrie, Castellanna! ! ! Castellanna petra !!!
bravant les Sarrasins.
Les Saliniens l'avaient créée sans distinction,
ni d'âge, ni de sexe, ni de rang, avec une ardeur,
une constance et un ordre admirables, ils
la nommèrent Castellanne du mot Castellum,
dont le Roc avait la forme, se la divisèrent comme
des frères et l'habitèrent comme des amis.
Merveilleux élan! beaux résultats d'un esprit
d'association sage et courageuse!
Assis sur une base immense, taillé à pic, détachant
de son front un bloc énorme, prêt à
bondir, le Roc s'élève à une hauteur gigantesque:
une petite chapelle, celle de nos aïeux le
couronne ; il est toutes les années, depuis un
temps immémorial, un lieu de rendez-vous pour
la prière et les plaisirs: de jeunes filles, vêtues
de blanc, la Vierge sainte sur leurs chastes épaules, chantant des hymnes, une armée bourgeoise,
que précèdent le fifre et le tambour, toute la
ville y monte, un beau jour de printemps.
La, après l'office divin , à l'ombre de l'hermitage,
sous la voûte d'un rocher, les parens, les
amis, en groupes de famille , se procurent les
douceurs d'un banquet joyeux et cordial, tandis
que, sur de larges tables en pierre verdàtre, couvertes
d'urnes du meilleur vin, de jambons, de
chevreaux tout entiers, au milieu des faisceaux
d'armes, au son des fanfares, panaches flottans,
enseignes déployées, les Cavaliers d'un côté,
les Fantassins de l'autre , rayonnans d'allégresse,
brillans d'ardeur, font un repas semblable
à ceux des héros d'Homère.
La fête, qui attire un grand nombre d'étrangers,
se termine par des jeux divers, les danses,
et le simulacre d'un combat, après lequel les
vainqueurs embrassent les vaincus, leurs frères
d'armes.
Vierge du Roc! Vierge céleste ! puisse ne jamais
s'éteindre la lampe que nos vestales entretiennent
sur ton autel!
Patronne de la bonne ville de Castellanne!
veille toujours sur nous !
En face du Roc, Destourbes, montagne non
moins remarquable , déploie, du levant au couchant,
son vaste rideau, labouré par les orages,
avec ses angles et ses crevasses, ses touffes de buis pendant l'été, ses nappes de neige pendant
l'hiver, et sa cime rocailleuse qui sert de piédestal
à une grande croix: un pont d'une seule arche,
chef-d'oeuvre par sa îégéreté et son audace,
s'appuyant contre ces deux colosses, les partage
et les enchaîne en même temps: le voyageur
ne les voit jamais sans leur payer son tribut
d'admiration et d'horreur.
Napoléon pendant deux fois; immobile! a
contemplé ces pyramides de la nature.
Le Verdon, fier de rouler ses ondes au milieu
d'elles , avant de se perdre entre mille roseaux,
dans la Durance, serpente au loin dans son lit
peuplé de truites, semé de petits cailloux, et
arrose de belles campagnes.
La ville de Castellanne habitée par des hommes
alors laborieux , ouvrant ses murs à une
foule d'autres montagnards, échappés à la fureur
des barbares, prospéra et s'accrut considérablement
: son enceinte devint insuffisante pour
contenir tant d'émigrés; Lacerda Valentinus en
recula les limites dans la Plaine St.-André, qui
s'incline en amphithéâtre vers le midi, que dominent
des rochers escarpés et une chaîne de
coteaux. Comme elle était moins protégée par
la nature que la plate-forme du Pioc, les Castellanois,
sous la conduite de Lacerda Valentinus.
la bordèrent de tours, d'un double cordon
de rempartsz, laissèrent qu'une porte, celle de Rome, arrondirent des milliers de pierres pour
les faire rouler, aussi meurtrières que nos boulets,
du front de la citadelle, sur l'ennemi, en
cas d'attaque, et bâtirent dans moins de quarante
ans une nouvelle ville, régulière, agréable
et commerçante: elle fut leur capitale.
Le brave Lacerda Valentinus n'en avait vu
que la moitié, il était descendu dans la tombe
avec les noms glorieux et durables de guerrier,
de libérateur, de philantrope : le père des Castellannois
pendant sa longue vie, il leur laissa
pour héritier de ses vertus un Baron.
BARONNIE DE CASTELLANNE, BOURG A NOTRE-DAME DU PLAN, FONDEMENS D'UNE TROISIÈME VILLE
Dans le temps de la construction de la ville
des Castellannois, la France était gouvernée par
plusieurs roitelets, et lacérée par des millions
d'hommes qui se disaient barons, comtes, etc.
Point de terre sans seigneur : le hennissement
d'un cheval noble fesait, un jour de parade,
trembler tout un canton : c'est rappeler le bel
âge féodal : la nation avait bien ses souverains
chefs de l'état, mais ils n'étaient ni viables, ni
dignes du sceptre, ils ne figuraient un instant
sur le trône que comme des dates historiques :
l'un d'eux disait un jour à un baron; qui t'a fait
baron ?Qui t'a fait roi? lui répondit celui-ci :
il avait raison. Boniface I, fils de Lacerda Valentinus, caissé
par des idées de grandeur, prétendit que
la ville de Castellanne était la conquête de sou
père sur les Sarrasins, par conséquent son patrimoine.
Il se décora, avec l'approbation du
roi d'Arles, moyennant récompense, du titre
pompeux et fiscal de baron, ne marcha plus que
revêtu de la pourpre, précédé de ses hérautsd'armes,
et fit battre monnaie à son effigie.
Les Castellannois apprirent ce que c'étaient
que les tailles, les péages, les taxes, les corvées,
etc., etc., ils rougirent de la qualification de vilains,
de valets, etc., etc., et pleurèrent peut-être
sur la pudeur servant d'holocauste aux passions.
outrages les plus sanglans que l'orgueil
et la barbarie puissent faire à la nature !
La souveraineté de Castellanne acquit dans
quelques années un grand relief, elle avait un
cirque, s'honorait d'un évêque, jouissait de
beaucoup de privilèges, et commandait à quarante villes, bourgs, ou villages: elle était le
siège d'un tribunal remplissant les fonctions de
nos Cours Royales, aux pieds duquel la ville de
Riez elle-même portait ses affaires.
Boniface I, son fondateur, mourut dans un
âge très avancé: sa gloire fut bien différente de
celle de son père: son fils aîné lui succéda.
Les Castellannois ne trouvèrent pas le joug
de Boniface II moins pesant que celui de son prédécesseur, outre leur existence servile, ils
commençaient à s'apercevoir que la population
toujours croissante rendait la ville incommode
et son terrain insuffisant, ils tournaient
avec complaisance leurs regards vers les anciennes
demeures de leurs aïeux, auprès desquelles
de vastes champs et les eaux fécondantes
du Verdon semblaient les appeler.
Des membres de la grande famille, jusqu'alors
inséparable, s'en détachèrent, pour élever
sur le penchant d'un coteau quelques habitations
qu'ils nommèrent Bourg: ce Bourg, avantageusement
situé, attira les Castellannois de la
plaine St.-André et un grand nombre d'étrangers:
comme il sortait de leurs mains, nos ancêtres
croyaient qu'il serait libre ; mais la féodalité,
alors dans toute sa splendeur, le marqua
de son sceau, et le laboureur, heureux de glaner
quelques épis, lui fit hommage de sa première
moisson.
Boniface III, petit fils de Boniface II, la recueillit.
A cette époque, le pouvoir théocratique n'offrait
pas un spectacle moins affligeant. Les évêques,
possesseurs de grandes richesses, étalaient
un luxe quelquefois scandaleux, avaient leurs
vassaux , leur milice , et excommuniaient les
rois: on ne voyait partout qne moines et abbés,
bonnes gens qui, avec le secours des pieuses terreurs, ne manquaient pas de plaisirs temporels.
Plusieurs d'entre eux de l'ordre de St.-Victor,
partis de Marseille, avaient posé leur froc et
réuni quelques matériaux dans la plaine des
Saliniens. Des montagnards errans, encouragés
par l'exemple, cédant aussi à leurs mystérieuses
exhortations, bâtirent un bourg un monastère
et une église: déjà, la colonie monacale
avait de belles propriétés, la banalité d'un moulin
et autres bénéfices, elle ne refusait pas les
offrandes publiques, et exigeait dans sa généreuse
béatitude le prix de l'eau baptismale, des neuvaines
et des chants funèbres. Mais, au XVesiècle,
tout fut détruit par les Calvinistes ; le Saint
Temple excepté: il ne resta qu'un prieur, qui
vendit ses droits nobiliers à la nouvelle ville.
L'église de Notrc-Dame-du-Plan dota notre paroisse
de ses vases sacrés, de son candélabre, de
ses ornemens et de ses cloches : il y a dix ans,
cet édifice montrait encore, au milieu des ombres
des Saliniens aux CastcIlannois, leurs petits
neveux, ses murs gothiqnes en pierres de
diverses couleurs , ses pilastres , ses corniches,
sa flèche, ses dalles, et leur fesait entendre ses
lointains échos.
En admirant cette belle création, autour de
laquelle semblaient se grouper tous les souvenirs
de l'antiquité dans un coin des Gaules, on avait avec elle de muets, mais d'éloquens entretiens.
Pourquoi ne l'a t-on pas conservée, pour
qu'elle fut, de siècle en siècle , face à face avec
les temps modernes ? faut-il la voir condamnée
à être foulée pas les sandales d'un parvenu qui,
dans sa stupide ignorance et sa délirante vanité
, raille ignoblement un passé vénérable ! !
Après la mort de Boniface III, ses enfans se
disputèrent la souveraineté, les deux frères cadets
contestant le droit d'aînesse, voulaient la
posséder chacun à son tour ; ils se prétendaient
plus fondés que Hugues Capet, le premier roi
de sa race, qui avait usurpé à l'héritier de Louis
V la couronne de France, que la vaillance et
la messe de Henri IV, le despotisme et la chevalerie
de François I, la grandeur et le faste de
Louis XIV légitimèrent à peine.
Les trois frères soumirent aux évêques de Sénez,
de Riez et d'Embrun, le jugement de leur
querelle ; les prélats se prononcèrent en faveur
de l'aîné, qui ayant épousé Agnès de Spada, ajouta
six autres villes, bourgs ou villages , prix de sa
dot, à la baronnie, et la rendit des plus florissantes
Mais son éclat ne devait pas être durable ; sa
ruine même n'était pas éloignée.
HUMILIATION DE BONIFACE V, MORT TRAGIQUE DE SON PILS: EXTINCTION DE I.A BARONNIE.
Arles, la ville de Constantin, la reine des Gaules,
le Parnasse des premiers troubadours, avec,
ses cirques, ses théâtres et ses palais de marbre ;
Marseille aujourd'hui la superbe, le bazar, la
nouvelle Tyr de l'univers; Toulon, le Pyrée de
la France, dépositaire du génie de Vauban ;
Aix,cette autre Salamanque; Fréjus, célèbre par
les travaux d'Auguste; Grasse, riche de tout ce
que l'orient peut prodiguer aux caprices du
sybarite et aux besoins de l'homme heureux ;
Antibes et ses bastions; Nice, la. fille de la victoire; le ciel de l'Ausonie, notre Tempe, la Provence
ne méritait pas les regards de nos rois!
Le croirait-on ! si l'histoire n'était pas la ! Hdefond
I roi d'Aragon, s'en empare et voit s'abaisser
devant lui les armoiries des seigneurs,
de ces demi-dieux.
Boniface v, successeur de son père, jeunealtier,
chevaleresque , lui refuse les siennes et se
prépare à la guerre, mais le danger était imminent,
Ildefond irrité, s'avançait avec une armée;
Boniface, trop faible pour se défendre,
accompagné des évêques de Senez.et d'Embrun,
se rendit à son camp, et fit sa soumission ; le
roi satisfait ne toucha à aucun de ses privilèges
et le renvoya comblé de présens : l'humiliation
ne parut que plus grande au fier baron, il mourut peu de temps après: un sort plus malheureux
attendait son fils.
Le Midi de la France venait de changer de
maîtres ; sous le règne du fils de Blanche de Castille,
l'un de ses frères avait en appanage les
comtés de Poitiers, l'autre, Charles d'Anjou,
celui de Provence : ce prince était allé, sous la
bannière de St.-Louis, vouer son épée et son
sang au tombeau de Jésus-Christ: les villes
d'Arles et d'Avignon, profitèrent de cette circonstance, pour lever l'étendard de la liberté ,
et Boniface VI les seconda de toutes ses forces,
mais Charles, à son retour, reprit son autorité
et menaça Boniface du poids de sa colère: au
moment où il combattait en Flandre les ennemis
de son frère , Marseille se révolta, l'incorrigible
Boniface y courut avec ses vassaux,
Charles fit rentrer Marseille dans l'obéissance
et vint frapper aux portes de Castellanne : Boniface
bout de courage, monte sur les remparts,
y appelle les Castellannois ; ceux-ci. ne voyaient
entre leur baron et Charles qu'une querelle
personnelle; n'ayant à défendre, ni biens, ni
liberté, espérant peut-être des jours de délivrance,
ils restèrent immobiles : Charles entra
dans la ville, la traita en vainqueur, et éteignit
la baronnie de Castellanne dans le sang de Boniface
VI, l'un des plus graves seigneurs de son
siècle. Le même Charles d'Anjou devait bientôt, à
l'invitation du pape, détrôner le roi de Naples,
le faire décapiter, et donner par ses cruautés le
signal des Vêpres Siciliennes, où périrent tant
des provençaux.
CROISADE.
Pierre l'Ermite avait réalisé en 1104 le fameux
projet qu'avait conçu Gerbert, pape français,
de conquérir la Palestine: revenu du pélérinage,
Pierre, le bréviaire sous le bras: un
bâton à la main, parcourut l'Europe, prêcha l'évangile
, et échauffa les imaginations pour le
St.-Sépulcre. Les évêques, les seigneurs, les vassaux,
les serfs, la croix sur la poitrine, criant
Dieu le veut, ayant Pierre pour général, répandirent partout la terreur et la dévastation, massacrèrent
les juifs et s'ensevelirent dans la Hongrie:
une quarantaine de mille hommes reste
d'une armée féodale, régulière, pénétra dans
Jérusalem, et proclama roi Godefroy de Bouillon;
on reprocha à ces saintes folies la cause
de l'abandon des campagnes et des flots de sang,
mais l'humanité et la liberté y gagnèrent : le
serf qui avait affronté le trépas à côté de son
maître, comprit qu'il était homme, et le pouvoir
royal, débarrassé d'un grand nombre de
seigneurs, se releva.
Un Castellannois d'un rang distingué, que M. Laurency appelle Pierre, mais qu'il ne faut
pas confondre avec Pierre l'Ermite, qui était
d'Amiens, se rendit à la Terre-Sainte, à la tête
de ses compatriotes et des Provençaux, il eut la
gloire d'être le compagnon d'armes du comte
de Turenne, et de mêler ses cendres à celles de
tant d'autres guerriers.
M. Laurency prétend que Hugues de Paganis,
le grand-maître des Templiers, était originaire
de Castellanne, et qu'il y fonda dans le
quartier de Cheiron une communauté composée
en grande partie de Castellannois, M. Laurency
se trompe, quelques-uns de nos compatriotes
sont peut-être montés sur les bûchers
de Philippe le-bel, mais notre ville n'a pas été
le berceau de Hugues de Paganis, né à Naples ;
elle n'a pas eu non plus un établissement de
son ordre, qui, quoique débauché et orgueilleux,
ne méritait par la mort.
TROISIÈME ET DERNIÈRE VILLE.
Les Castellannois séparés, et bientôt d'une
égale force, s'aperçurent qu'une réunion était
nécessaire à leurs besoins et à l'entretien de la
paix: la mère-patrie se joignit à ses enfans, le
foyer de la grande famille se ralluma, et le
Bourg prit la forme d'une ville, que ses habitans
avec les matériaux de la plate-forme et de la
plaine St-André, investirent d'une ceinture de
remparts, de neuf tours, et décorèrent de
l'église St. Victor, vieille cathédrale humide, sombre, à peine colorée, sous des voûtes grisâtres,
par quelques tableaux; peu à peu, s'alignèrent
les rues du Milieu, du Mazeau, de l'Horloge
et de la plus haute fontaine, jusqu'au palais
de justice : les faubourgs St-Michel, St-Martin
vinrent après: plus tard on vit s'élever l'église
St-Augustin d'un goût ionique, belle, élégante,
majestueuse par ses blanches colonnes et son
dôme aérien; ensuite l'église St-Joseph, petite,
oeuvre d'un ciseau délicat; modeste sanctuaire.
Un hôpital avec un jardin et un champ fertile,
reçut les malades, établissement précieux! que
nous devons à la charité publique : les familles
Laurens, Perronne, Lieutaud, Martiny, Audoul,
Laurency, Périer, Tapoul, Bellour, Laugier,
Pouguet, etc., déposèrent les premières leur
obole. Le Verdon fut encaissé, un forum s'élargit
comme un champ de bataille, la terre sourit à
des bras vigoureux et intelligens, et Castellanne,
reste de trois villes, notre legs, celui de la postérité, se mit au rang des plus agréables cités
bas-alpines.
Ses fondateurs, dans un vaste ossuaire, dorment
sous nos pas: respectons leurs cendres! ! !
PRIVILÈGES DE LA VILLE, SIEGE, DÉSASTRES.
Castcllanne soumise, après la fin tragique de
son dernier baron, aux comtes de Provence,
commença à respirer l'air de la liberté, elle reçut
même des privilèges, qui aujourd'hui seraient
regardés comme un monopole révoltant.
Ses denrées circulaient partout sans obstacle,
tandis que celles qui venaient du dehors étaient
frappées d'une forte taxe: proportionnellement
à sa population et à ses revenus, elle fournissait
un contingent de soldats et payait un impôt
moindres que ceux des villes voisines; elle
jouissait du droit de chasse et du port d'armes :
pour qu'un Castellannois ne pût jamais être
incarcéré, il suffisait qu'il eût un domicile connu,
ou une caution.
Castellanne était une des bonnes villes des
comtes.
Ses administrations ne laissaient rien à désirer,
onze magistrats, divisés en deux sections,
rendaient la justice, des syndics veillaient à la
police, à la sûreté de la ville, à la conservation
de ses immunités : un vieillard, nommé grand
Clavaire, avait la garde du trésor ; dans ces divers
emplois, se sont distingués les de Laurens,
les de Demandols, les de Brenon , les Périer:
son bailliage, plus étendu que son arrondissement
d'aujourd'hui, embrassait les communes
de Trigance, du Bourguet, de Chateauvieux, de Lamartre, dc Barrème, etc., etc. Le bailliage
avait un chef qui représentait les comtes, et
savait concilier les besoins de la ville et ses
drois avec ceux de son maître : au reste, aurait-il
eu des velléités de despotisme, les syndics, ce
qui n'arrive pas aujourd'hui, l'arrêtaient: presque
toujours en contradiction avec lui, jamais
ils ne fesaient cause commune contre les administrés,
qu'ils plaçaient sous leur tutelle. A ces
avantages, les Castellannois joignaient un caractère
grave, la tempérance et la modestie,
récompensant ou bannissant publiquement les
autorités, selon leur mérite, ils connaissaient
l'ostracisme des Athéniens: sur leur table, des
fruits ; pour la plus belle parure, cinq écus, cent
pour la dot la plus riche: hâtons nous de dire
qu'ils étaient pauvres.
Le vicomte de Turenne , brouillé avec Marie
de Blois, mère de Louis II, roi d'Arles, et régente
de ses états, envahit la Provence avec des
hordes de vagabonds, de voleurs, et d'assassins,
en fit un cimetière, et vint menacer Castellanne ;
mais cette ville, forte d'une armée de montagnards,
qui à l'approche de l'ennemi s'étaient
réfugiés dans ses murs, le repoussa vivement.
Turenne avait soif de carnage, il ne perdit
pas un temps précieux; content d'anéantir de
Bondes, Sionne, Taulanne, et de rompre notre pont, il courut se dédommager sur les ruines
de Colmars.
L'histoire n' a pas oublié son nom dans celle
des bourreaux de son siècle.
Des députés envoyés à la cour du Vatican,
obtinrent de Benoit XIII une bulle accordant
des indulgences à tous ceux qui feraient des
aumônes pour la reconstruction du pont; les
aumônes ne manquèrent pas, la ville s'imposa,
et le pont autrefois bâti par les Saliniens, fut
jeté tel qu'il est aujourd'hui sur la rivière, comme
une oeuvre expiatoire.
Depuis trois ans, la peste ravageait l'Allemagne,
l'Italie, la France, etc., etc., les provençaux
se précipitèrent en foule sur les montagnes pour
éviter le fléau; Castellanne leur ouvrit son sein,
elle s'empoisonna ; dans moins de deux mois,
elle n'était plus qu'un vaste hôpital, les vivans
enterrèrent les morts, traînèrent les malades et
portèrent leur deuil, leurs larmes et leur misère
dans les fortês.
Castellanne resta longtemps déserte.
Une ville sans habitans, muette avec des
toits, des rues, et des places, où le voyageur
tremblant cherche dans un morne silence et
découvre les traces du doigt de Dieu ou de la
barbarie des hommes, est le tableau le plus triste
que le soleil puisse éclairer.
Enfin, les Castellanois, las de souffrir, loin du foyer domestique, s'en rapprochèrent, finirent
par s'y rasseoir, et la petite patrie recouvra
ce qui lui restait, de ses hôtes accoutumés.
Le Verdon, grossi par la fonte des neiges et
des pluies extraordinaires, n'étant pas encore
enchaîné par une forte digue, inonda la ville
pendant la nuit , et la plongea dans un péril et
un effroi d'autant plus grands, qu'à cet ennemi,
la mère pour son fils, et le fils pour sa mère,
n'avaient à opposer que la prière et l'espérance.
Les enfans d'Abraham, les Juifs expulsés une
fois, par un édit de Philippe II, exploitaient encore
la France, un grand nombre d'entr'eux
rendirent d'abord quelques services aux Castellannois,
dans l'exercice de la chirurgie et de
la médecine, mais bientôt ils s'immiscèrent dans
les affaires des familles, pénétrèrent leurs secrets,
découvrirent leurs besoins, leur prêtèrent
quelques pièces d'argent, et sucèrent la dernière
goutte de leur sang.
Charles VIII annula toutes les obligations contractées
envers eux, Louis XII les chassa sans
retour, mais ils laissèrent partout des rejetons:
Castellanne eût les siens.
Cette malheureuse ville se soutenait à peine.
Le roi d'Arles, le bon René en fit donation
à un grand seigneur napolitain, qui envoya un
de ses officiers pour la gouverner, mais les Castellannois
regardèrent cette action de leur souverain comme un opprobre, et ne dissimulèrent
ni leur douleur, ni leur indignation ; les syndics
protestèrent, se plaignirent hautement et sollicitèrent
auprès du conseil du roi la décision de
cette affaire.
Réné, honteux d'avoir laissé surprendre sa
religion, se hâta de rendre aux Castellannois
leur ville et en assura l'inaliénabilité par des
titres authentiques.
Son successeur la légua à Louis XI.
Sous le règne de ce monarque, le modèle des
Richard, des Borgia, etc., etc., le Néron de la
France, mais homme de guerre, politique
adroit et profond , le premier qui abaissa
les grands et consolida le trône des Capétiens,
Castellanne parût sortir de son agonie, son
commerce prit de l'essor dans le Dauphiné et
les côtes de la Provence, ses gentilshommes se
firent soldats; tributaire seulement du chef de
l'état, encouragée, elle se livra avec ardeur à la
culture de ses champs, et leur demanda des
moissons.
Sa juridiction dépendit de celle du parlement
d'Aix, ses actes furent rédigés en français, elle
entra dans le corps de la nation, et en suivit les
destinées.
Le roi des gentilshommes, le Gros Garçon,
selon l'expression de Louis XII, gâta bientôt
tout. Charles-Quint son rival et son ennemi, se rendit maître de la Provence ; François I, pour
conserver intact le coeur de ses états, ou ne pas
longtemps exercer contre les troupes espagnoles,
son épée qu'il devait briser à Pavie, ordonna une
destruction générale : on l'exécuta : les flammes
dévorèrent les troupeaux et les moissons : l'homme
resta, mais dépouillé, comme un squelette.
Castellanne sans murmurer, sacrifia ce qu'elle
possédait au caprice de son souverain.
Un feu secret couvait sous la cendre.
QUERELLES RELIGIEUSES, D'ALLEMAGNE ET LESDIGUIÈRES, PROCESSION DU PÉTARD.
Un schisme préparait l'émancipation de l'esprit
humain; Léon X ayant besoin d'aumônes,
fit prêcher des indulgences et vendit le
paradis; un seul homme, Luther, théologien
fougueux, prêcha la réforme , appela le pape
l'Antéchrist, le roi un tyran , et promit le
ciel sans argent: il convertit tout le Nord de
l'Allemagne, Henri VIII, roi d'Angleterre, et
une grande partie de son royaume. François
1, qui tant de fois a fait douter des paroles
qu'on lui prête dans sa caplivilé : tout est perdu
hors l honneur, protégeait, stimulait les protestans
à Vienne, et les fesait brûler à petit feu, à
Paris, pour amuser sa cour et ses maîtresses.
Castellanne, au lieu des occuper de ses désastres,
s'occupa de religion, elle eut des catholiques et des hérétiques; M. de Cailles, luthérien renforcé,
fit venir un ministre de Genève, et construire
un temple à côté de l'église paroissiale,
dans l'ancienne maison appartenant autrefois
à la famille Sauvère, aujourd'hui à M. Audoul.
L'autel fut élevé contre l'autel : si la paix ne
régnait pas, la guerre n'était pas précisément
déclarée ; les femmes l'allumèrent; tous les soirs
elles assiégeaient ou la paroisse ou le temple.
Les prêtres plus sensés, priaient, chantaient
matines et formaient leur pécule dans une parfaite
union.
M. Laurency, avance dans son histoire, que
le sang des huguenots coula par la volonté de
Dieu, M. Laurency est dans l'erreur, les Castellannois
ne perdirent que leur temps, d'après
Bouche, Borrelly, Martiny, mieux instruis
que ce vertueux ecclésiastique, par leurs longues
recherches.
Dans ces divisions de courte durée, deux
frères, Antoine et Paul Richieud de Mauvans,
de la famille des Latil de Chasteuil, jouèrent
le principal rôle; passionnés pour la réforme,
jeunes, vaillans, ils dédaignèrent bientôt le
théâtre de Castellanne, pour faire briller leurs
armes sur un terrain plus vaste et plus orageux.
L'aîné mourut à Draguignan, assassiné par les
catholiques; l'autre , l'épée à la main, en combattant contre Montmorency, lieutenant de
Charles IX.
Castellanne se félicite d'avoir été étrangère
au drame de la St.-Barthélemy, qui trouve encore
des apologistes et excite des sympathies.
Les protestans, victimes de persécutions et de
cruautés inouies, obtinrent enfin la liberté religieuse
et civile, et, par les édits de 1576, des
avantages politiques. Mais leurs cendres, celles
de l'illustre vieillard Coligny, étaient encore
chaudes ; le duc d'Alençon et Henri IV pouvaient
les venger: Guise (le balafré) le craignait; peut-être
voulait-il imiter Pepin ou Capet aux dépens
du Béarnais, héritier présomptif de la couronne.
Digne de l'être et par son audace et ses
talens, il se fit chef de parti : la sainte ligue se
forma et les massacres recommencèrent.
D'Allemagne et Lesdiguières, descendans des
anciens barons de Castellanne, voyant une occasion
favorable pour conquérir leur héritage,
marchèrent sur cette vilie avec une armée de
provençaux et de dauphinois protestans. Le faubourg
St.-Michel leur parut trop bien fortifié
pour l'attaquer sur ce point, Divisés en deux
corps, ils traversèrent la rivière et campèrent
sur le mamelon de Rayaup et dans la plaine St.-
Lazare; deux jours après ils donnèrent l'assaut.
Les assiégeans manquant de tout dans une saison
rigoureuse, se battirent avec acharnement, les assiégés sentant pour leur salut le besoin de les
repousser, se défendirent avec désespoir ; les
montagnards, qui s'étaient retirés dans la ville,
portèrent les coups les plus rudes; les femmes,
comme les rochelloises, se montrèrent les émules
de leurs maris.
Le lendemain, un capitaine nommé Motte ,
accompagné de quelques braves, trompa la vigilance
des sentinelles, et pénétra dans la ville
par le quartier de la Merci. Sous la porte des
Boeufs, un cuvier jeté d'une fenêtre par une
Castellannoise , l'écrasa ; sa troupe, saisie d'une
soudaine terreur, mit bas les armes. D'Allemagne
et Lesdiguières, plus stupéfaits que découragés,
levèrent le siège et la ville chanta victoire. Les
syndics délibérèrent d'enthousiasme, qu'il serait
fait toutes les années une procession solennelle.
Elle a lieu le dernier jour de janvier.
Par un froid cuisant, un tambour, droit
comme un pin, l'oreille sur l'épaule, ouvre la
marche; les confréries, les congrégations des
jeunes filles, tous les corps de métiers, le suivent
avec leurs bannières et les images de leurs
patrons ; l'échevin et son acolyte, ceints de l'écharpe,
tantôt fleurdelisée, tantôt tricolore,
viennent après, marchant d'un pas presque
magistral, escortés de leur petite cour, formée
par le scrutin populaire ; ce moule de tant de
médiocrités. La queue municipale, à défaut d'autres insignes, porte sur la boutonnière d' un
habit-veste, un bouquet à trois rangs de rame,
en buis, garni de grains de blé de turquie,
épanouis dans le feu, attachés avec de la cire
d'Espagne , formant de beaux boutons blancs et
des fleurs d'oranger: un prêtre en grande tenue
fait les oraisons. Dans toutes les rues et
surtout à la porte triomphale, deux chefs de lutrin,
à mine réjouie et rubiconde, en bas de
soie, en habit cramoisi et chapeau triangulaire,
surmonté du rameau de buis, panache d'ordonnance,
poudrés jusqu'aux dents, les bésicles
sur le nez, chantent des couplets burlesques
dont une trompette criarde répète le refraRÉVOLUTION DE 1789.in.
Après la sainte messe, la garde qui veille à
la sùreté de la ville, rogne au budget, cette fois
seulement, un repas de famille.
CALAMITÉS DE TOUTE ESPÈCE.
Castellanne vit s'écouler environ cent vingt
ans dans un état assez calme; elle en profita
pour réparer ses malheurs, elle réussissait, mais
ses jours ne devaient pas être longtemps sereins;
l'hiver rigoureux qui se fit sentir, en
1709, sur tous les points du globe, la replongea
dans l'abattement et la misère, par l'interruption
de son commerce, par la destruction de tous
ses arbres et de ses vignes. Sa rivière resta glacée
pendant plusieurs mois. L'année 1710 ne lui fut pas moins funeste.
La famine qui désola la nation, et surtout la
Provence, la mit aux abois. Dans cette circonstance,
les de Bon, les Lamolière, les Lieutaud,
les Sainmartin, les de Brénon, les Paty, les Simon,
les Marie, les Collomp (du faubourg), les
Audoul, les Berard (de la Tour), les du Poil,
les Martiny, les Laurency, les Ardoin, etc., etc.
méritèrent l'estime et la reconnaissance de leurs
compatriotes, en leurs partageant, comme des
pères de famille, leur bourse et leur pain. La
ville souffrit, mais elle n'eut à reprimer aucun
désordre, à déplorer aucune perte.
Un mal plus dangereux ne lui permit pas de
prendre haleine: l'épidémie qui régna en 1712
lui déchira le sein, l'invasion dans les beaux
jours d'automne en fut prompte, les ravages terribles:
les tranchées tinrent lieu de tombe pendant
une semaine; ceux qui survécurent gémirent
sur des crêpes, des veuves et des orphelins.
Le Verdon, toujours mal fortifié, se joignit
à ces fléaux, gonflé par les pluies de septembre,
il inonda, en 1713, la ville et la plaine, ses
eaux s'élevèrent jusqu'aux plus hauts étages des
maisons, en chassèrent les habitans, y firent de
grands dégâts, submergèrent une partie des bestiaux
et bouleversèrent toutes les campagnes.
Heureusement ce déluge se manifesta avant
la nuit.Un père de l'oratoire, M. Quesnel, publia
en 1720 un ouvrage intitulé Réflexions Morales,
sa doctrine dépouillée de tout mystère,
saine, évangélique , remua les chaires des évêques,
agita les bonnets de la Sorbonne et la Tiare
du palais Romain, elle occupa un moment les
Cattellannois et leurs ministres, les femmes se
menacèrent sans en venir aux mains.
La paix ne fut pas troublée.
La victoire avait abandonné, en 1747,1e maréchal
de Maillebois et le comte de Lamina, qui
commandaient en Italie, l'armée de don Philippe,
le premier à la tête des Français, le second
à la tête des Espagnols. Le canon de Plaisance
les fesait reculer jusqu'en deçà des Alpes, mille
de leurs soldats, presque nus, la plupart
malades, s'établirent à Castellanne et l'épuisèrent.
ils en sortirent pour céder leur place à
l'ennemi, aux troupes piémontaises et autrichiennes
qui les poursuivaient. Cette nouvelle
garnison aurait réduit notre ville à la dernière
extrémité, si quelques bataillons alliés, arrivant
au pas de charge par le chemin de Riez, ne l'en
eussent débarrassée. Castetellanne embrassa ses
libérateurs, et se confia à la fortune qui ne cessa
plus de lui être fidèle.
RÉVOLUTION DE 1789.
Les guerres ruineuses de Louis XIV, Versailles,
la grande sangsue de la nation, la révocation
de l'édit de Nantes, les débauches, le despotisme
dégradé de Louis XV, la suppression du parlement,
l'émancipation de l'Amérique, la pusillanimité
de Louis XVI, l'arrogance de sa Cour,
l'é«:ole d'une philosophie souvent tribunitienne
depuis longtemps ouverte, et plus que tout
cela, les lois éternelles de la nature fesaient présager
une révolution : elle éclata ; générale, électrique,
foudroyante: ses principes étaient bons,
ses excès devinrent sans bornes, nageant dans
le sang, elle fatigua ses bourreaux.
Le bruit en retentit jusqu'à Castellanne : deux
hommes en furent frappés: riches, ils se dévouèrent de bonne foi, à l'oeuvre de la régénération
sociale : heureux de laisser Castellanne vierge
de la moindre tâche , ils se retirèrent pauvres :
exemple rare! bel éloge! qu'ont mérité MM.
Louiquy et Poilroux; l'un éclairé, judicieux,
prudent, timide même dans sa fuite, l'autre
génie ardent, vaste, orateur puissamment populaire, caractère inébranlable, arrêté dans
l'exercice de ses fonctions. M. Poilroux a été
inaperçu ou mal jugé, il était né pour de grandes choses, le théâtre lui a manqué; que ne lui
doit-on pas comme médecin , comme le fondateur
d'une banque alors utile, comme le soutien
de l'indigence! a-t-on oublié que, dans un
temps de détresse, il a alimenté avec ses farines
tout l'arrondissement!
Castellanne eut son représentant dans nos assemblées
nationales ; le citoyen Barrière, admirable
républicain, si c'est à son patriotisme qu'il
a sacrifié le soin de sa famille et de sa fortune :
il est fâcheux pour sa réputation que le 18 brumaire,
à la vue des grenadiers de Lefebvre,
cachant comme bien d'autres les marques de sa
dignité il n'ait pas été des derniers à se sauver
par les fenêtres de St-Cloud.
Des contributions seulement avaient été levées
sur quelques familles, entr'autres les familles
Collomp et Martiny, les opulentes de ce temps
là, les deux trésors du faubourg et de la ville.
Les fruits de la révolution furent donc pour
Castellanne, faciles et doux, elle n'avait point
de larmes à sécher, point de plaie à cicatriser,
point de ni veau à passer sur sa noblesse, qui ne
se composait que de bourgeois bien affables,
bien sobres, bien simples, se contentant du privilége
de porter perruque et manchon, le soulier
à boucle et de se promener gravement sur la
place publique avec la canne à pomme d'or.
Le mouvement étant prompt; des écoles s'ouvrirent, le laboureur s'attacha à la charrue,
l'ouvrier à ses outils, on vit les communications
s'étendre, les marchés, les foires se peupler, les
denrées prirent de la valeur, l'argent circula ,
le luxe marcha de front, tout changea de face.
Comme les idées politiques de Castellanne
se bornaient presque alors à l'instinct du droit
commun, elle ne s'aperçut pas de l'ombre futitive
de la république, elle passa, sans le savoir,
des verges du consulat sous le sabre de l'empire :
française, elle applaudit à sa gloire.
Sous la magistrature de M. Collomp, aussi
intègre et sage, qu'original et lourd, le Stentor
du parquet, fesant avec sa voix de tonnerre plus
de peur que de mal, exempte dans son isolément
de l'aristocratie militaire et de l'absolutisme
clérical, Castellanne flotta entre la servitude
et la liberté. Des familles nouvelles, peut-être
trop tôt riches, remplacèrent les anciennes,
la masse entra dans l'aisance, s'éclaira et grandit,
tranquille, respectée ; avec quelques gouttes
de sang de moins sur l'autel de la patrie, elle
aurait été heureuse. Mais la disproportion de
ses impôts était révoltante : point d'améliorations, ni au dedans ni au dehors, ni pavés, ni
chemins, ni routes, pas même un hôtel de ville:
ce n'était pas étonnant: Castellanne avait pour
conseil municipal, pour maire, pour représentans,
des gens débonnaires ou des automates, pour greffier, un intendant des finances, pour
sous-préfet, un capitaine de recrutement ; M.
Francoul a battu monnaie pendant quinze ans
avec la hache de la conscription : c'est une
honte pour le pays.
Au commencement de l'empire, Castellanne
porta le deuil de l'abbé Laurency : modeste, plus
que frugal, sensible jusqu'aux larmes, toujours
sur les traces de la pauvreté et de la douleur,
au milieu de son troupeau , comme un père
au milieu de ses enfans, souriant quelquefois
à nos plaisirs, créature béate, le patriarche de
Castellanne, le véritable apôtre de l'évangile,
ce code de toutes les vertus hélas! trop oublié!
l'abbé Laurency' semblait avoir compris son
passage sur les Alpes, comme un dévouement
perpétuel.
Prêtres d'aujourd'hui ! pourquoi feignez vous
d'ignorer une si belle vie! tous les jours, à toute
heure, dans toutes les bouches, vous entendez
pourtant encore, après vingt-cinq ans, le panégyriquede notre Vincent de Paul!! quel autre
modèle vous faut-il !
Nom sacré! tombe sainte! tombe à jamaisvivante de l'abbé Laurency, recevez ici les hommages
des Castellannois!!
A Castellanne, pendant et après l'empire, l'abbé
Bernard , principal du collège, avec son bagage d'auteurs romains, a été, sinon un brillant,
du moins un utile flambeau.
MM. Poilroux et Eméric, se sont fait remarquer
dans les sciences; la collection de
plantes et de phénomènes de celui-ci est très
précieuse, le traité de celui-là sur les maladies
chroniques, quoiqu'il n'ait pas survécu au système
de Broussais, et son autre traité sur la médecine
légale sont deux excellens livres.
Castellanne ne compte pas de sommités militaires,
mais elle a eu ses soldats: les frères Andrau,
les Latil, les Chauvin, les Cruvellier, les
Berrin, etc., etc. Collombet était à Ileliopolis,
le brave Bérard, sur le mamelon d' Austerlitz,
Abos, cet intrépide voltigeur, aux funérailles
du 31 ont St.-Jean.
Castellanne sur l'échelle de la civilisation et
de la prospérité, se frayait la voie du perfectionnement:
les Bourbons parurent; elle ne les connaissait
pas: la nouveauté l'éblouit, elles les
salua avec enthousiasme; mais le prisonnier des
rois avait rompu son ban. Castellanne le
vit: elle le vit! palpitante de crainte et d'espérance,
muette d'admiration pour le grand homme, et de respect pour les reliques d'une famille
de braves; l'aigle meurtrie! qui sur quelques
fronts d'acier, voyageait encore radieuse et
menaçante, de l'île d'Elbe à Waterloo; Waterloo!
cruelles Thermopiles ! 181S. où ce cri de l'immortelle garde, s'enveloppant de son drapeau :
elle meurt et ne se rend pas, annonça à l'Europe
que les Prussiens et les Cosaques allaient
avec Louis, monter sur le trône de France.
Toutes les phases, la ligue, la fronde, quatre
vingt-douze, le neuf thermidor, le dix huit brumaire,
Napoléon, mil huit cent quatorze, les
cent jours, époques de secousses, de changemens
et de réactions, ont trouvé et laissé Castellanne
calme, paisible comme un réduit impénétrable
aux rayons de la lumière, comme un rocher
isolé que la vague ne blanchit même pas de son
écume.
C'est de l'histoire d'une grande société la page
la plus honorable.
Des Français accusés de crimes politiques,
coupables peut-être d'être trop riches, ou trop
sages, ou d'avoir acquis trop de gloire, tombaient
en mil huit cent quinze, frappés par les commissions
militaires, les cours prévotales et les
sicaires du midi.
A Castellanne un sous-préfet nouveau : voilà
tout.
Celui de l'empire était petit de taille , celui
de la restauration était grand: le premier aurait
voulu enfermer la ville dans une giberne,
le second dans un confessionnal.
M. duVillars, délicat, bon chrétien, trop timide
pour un administrateur, n'a fait ni bien ni mal. On lui a su bon gré de sa retraite volontaire
de mil huit cent trente, celle d'un serviteur
prudent et fidèle.
M. Simon, honnête et zélé Castellannois, n'a
porté que peu de temps l'écharpe.
M. Paul, son successeur, du sang le plus pur,
aimant son pays, en étant aimé, suivait la pente.
Cette administration a lieu de s'énorgueillir
d'une fontaine sans eau, d'une maison d'arrêt
d'où les prisonniers s'échappent, hissées, bâties
à grands frais, comme un obelisque et un donjon,
de quelques pelletées de gravier sur la place
publique, d'un peu de ciment à ses bancs de
pierre (ce parterre, ces fauteuils, d'un procureur
vermoulu , ou de Messieurs les bureaucrates,
heureux faineans du siècle), et de l'installation
de deux religieuses brodant l'éducation
des jeunes filles de nos artisans, le plus
souvent enfilant des perles.
Dans ce temps là , l'asile de l'infortune , que
la pauvreté même avait doté, que les barbares
du moyen âge auraient respecté, l'autel de l'humanité, l'hôpital pillé, a manqué de bouillon
pour le malade, de lait pour l'orphelin. les
Castellannois se rappelleront toujours avec horreur
le massacre des innocens.
MM. Taxil et Molé, comme procureurs du
roi, ont laissé d'agréables souvenirs.
Les mouvemens rétrogrades que l'on veut faire subir trop brusquement à une société, sont
tôt ou tard pour elle le principe de son éducation,
la cause de ses plaintes, le signal de sa liberté.
Les exigences, l'orgueil des prêtres, les masques
de l'hypocrisie, le besoin du silence et de
la contrainte, tout le soufle enfin des jésuites
de Forcalquier, mécontentaient intérieurement
Castellanne.
Elle ne voyait pas sans peine la morgue et
l'égoïsme des commis du gouvernement, elle
murmurait contre la vilité du prix des denrées,
la rareté de l'argent et l'impôt toujours mal réparti,
toujours écrasant.
Commençant à écouter les échos de la presse,
elle formait son opinion et prenait part aux
combats que les ministres de Charles X livraient
aux libertés de la France.
La foudre grondait au lointain, son éclat devait
amener un bel astre.
RÉVOLUTION DE 1830.
L'homme sème, mais il
ignore s'il récoltera.
MACHIAVEL.
Des triumvirs déchirent la loi des lois, le
pacte de la nation et de son chef, ils jettent
comme des brandons dans le sein de la patrie,
les terribles ordonnances : des ordonnances ;
une poignée de Parisiens fait des cartouches;
frappe, l'arme au bras, aux portes du palais
d'Henri IV, en chasse le royal locataire, et monte
à son tour la garde, sous l'uniforme de la pauvreté,
devant ces façades superbes qu'elle a criblées
de ses balles.
Les trois soleils de juillet, épisode merveilleux
de l'histoire de quarante siècles, épuiseront
la postérité d'admiration ; éternellement
ils donneront au nom français des vertiges d'orgueil.
Quelle est belle cette révolution! pas un fil
d'or! à ses pieds elle a du sang! mais! c'est le
sang de ses héros!
Au vaisseau de l'état il ne manquait qu'un
pilote , des ex-députés proposent, les uns, le fils
de la légitimité, les autres le fils de L'HOMME,
cette image, ces restes de l'Hercule qui a terrassé
le monstre de l'anarchie et chargé la
France de trophées; le plus grand nombre, le
fils du plus infortuné des républicains , l'élève de l'école du malheur, le père de ces jeunes
princes, qui dans le faubourg St.-Jacques, confondus,
sur les bancs constitutionnels, formeront
pour la France, une Odyssée d'illustres
guerriers et de grands rois: c'est le premier
rameau de la branche cadette ; cest le duc d'Orléans..
mais les vainqueurs de la veille, encore
noircis de poudre, mutilés; mais les mânes des
cercueils du Louvre encore haletantes, sont là:
voix magique ces solennelles paroles. (Un
trône entouré d'institutions populaires), et la
couronne de France, la plus belle de l'univers,
se trouve suspendue, par enchantement, sur la
tête de Louis-Philippe ; il la reçoit comme la
couronne du martyre, comme celle de Titus.
La France voit pourtant s'agiter dans les airs
une nuée de ces harpies qui, lorsqu'elles s'abbattent
sur une nation , l'entr'ouvrent, s'y incarnent
et la dévorent. la France frissonne.
Le char de la liberté, lancé sur la poussière
d'un trône, vole plus rapide que l'éclair; traversant
le Tibre et le Rhin, il a déjà effleuré
l'Italie, remué la Belgique, il résonne partout,
il brûle le sol de la Pologne.
Une main sacrilège. le lion du nord l'arrête.
il recule. et s'abime sur des tombeaux.
la France gémit.
Une grosse larme, celle des peuples! sillonne
sa poitrine. mais à l'instant un voile
épais, où s'entrelacent des chaînes de fer avec
une guirlande de roses, tombe en longs plis, et
la France encore émue murmure, mais en vain,
ces mots; gloire, bonheur, liberté.
A la nouvelle des ordonnances, Castellanne
frémit quelques énergumènes les appelèrent
les bienfaits d'un Bourbon; rêvant des listes de
proscription et des tribunaux exceptionnels, ils
s'embrassèrent dans les rues: un mouchard, le
mouchard banal de toutes les autorités, avait
déjà signalé les suspects ; sur sa dénonciation,
une parole patriotique devait coûter cher à un
brave militaire (Garrus).
Mais on apprit, heureusement! la victoire
des écoles; les lâches rougirent, la ville tressaillit
et leur pardonna : les caméléons changèrent
de couleur.
Le lendemain, à la faveur de la cabale, on
vit un mirmidon sorti d'une ornière grandir
par l'épaulette et le ceinturon ;
un valet étouffer d'arrogance, surtout lorsque,
pour la première fois, il déploya, dans un
salon quasi-ministériel, les basques de sa nouvelle
livrée ;
un fétus mal conçu éclore au chant du coq,
après dix ans de génuflexions, de larmes, d'incroyables
efforts, etc. ; ce phénomène, troué hier par la misère, débiteur de toutes les personnes
charitables qui l'ont connu, de quelque croutte
de pain, est riche aujourd'hui, d'une pluie de
successions, de testamens, de maisons de carnpagne,
de pensions d'une honorable retraite,
etc.. il est heureux depuis les pieds jusqu'au
front.
L'esprit ne sachant plus où se loger s'est niché
dans son pauvre cerveau; petit Bussy-Rabutin,
il excelle dans le style épistolaire ; ses
lettres anonymes à Cagnes et à Marseille ne
sont pas mal tournées, elles ont pourtant besoin
d'une correction, je les ai sous les yeux. Avec
son air patelin, son langage doucereux, ses
protestations d'amitié, de désintéressement et
de bonne foi, avec ses jactances de fortune, que
de victimes!! et il est à une bonne école! et il
est encore jeune! et il s'est fait rat d'église !
Si au moins il ne calomniait pas, s'il n'immolait
pas sa propre soeur. Jusques à quand
sera-t-il sourd à la voix de sa mère qui, du fond
de la tombe, lui crie, Caïn ! qu'as-tu fait de ma
fille !!
Que dire du coryphée, de l'introuvable qui
donne vingt écus à un commis, mange les légumes
de son fermier, son grand officier de bouche,
s'arrondit avec des chiffres, et se dandine
à cheval.
A la vérité, fashionnable de soixante ans, il porte quelquefois un pantalon moderne, mais
pour que certaines mains ne ternissent pas ses
guinées, ses beaux napoléons, il ne confie l'enveloppe
de ses formes mesquines qu'aux ciseaux
des artistes de la capitale.
Si Monsieur était un peu plus poli, un peu
plus souvent visible! Il lui sied bien de singer
le proconsul !
Pour moi, je l'ai toujours pris pour un mandarin
ou un chevalier postiche: en effet, sur la
boutonnière de l'habit bariolé des trois couleurs,
à côté d'une épée, sous le petit CHAPEAU, qu'il
est pâle ce morceau de ruban rouge ! qu'elle
est triste cette fleur de la gloire qui ne s'épanouit
plus que dans un carton, que l'on ramasse
dans les corridors des antres de la police !
Castellanne a gagné dans la révolution de
juillet, la mutilation des arbres de sa place publique,
un impôt sur la plus petite de ses lucarnes,
la destitution d'un pauvre geolier due à un
espion autrefois jaloux de son emploi, une centaine
de pavés qui lui ont coûté, dit-on, bien des
mille francs, un malaise général, des troubles
et des procès.
C'était le dix-sept février mil huit cent trente
cinq, en temps de carnaval : le ciel étoilé, la lune
radieuse, de tièdes zéphirs rappelaient les poétiques
soirées d'automne. Au bruit de l'enclume,
aux fatigues de la charrue, avaient succédé le repos, et les libations du vin généreux de Lorgues,
sur les tables de nos campagnards, surtout
de notre bourgeoisie.
L'horloge de la ville venait de sonner la huitième
heure, et de donner le signal du spectacle
le plus ravissant que Castellanne eût jamais
vu: deux veufs, veufs pour la troisième
fois, respirant les parfums d'un myrte nouveau,
savouraient encore les charmes de l'amour,
malgré les ravages du temps: tout-à-coup, quelque
chose de suave, de mélodieux, d'angélique ;
puis des accens pleins, vibrans, rendent hommage
aux fortunés et courageux époux, répandent
dans tous les quartiers de la ville, une volupté,
une joie indicibles.
Attirés par les lyres de nos orphées, l'homme
octogénaire , appuyé sur sa béquille descend,
de sa demeure, la femme pieuse, dans l'extase,
sent expirer sur ses lèvres, la prière au Seigneur;
ô merveille! un financier passe de la
réalité du budget dans le monde idéal de la musique
!
Jeunes vieillards, cacochimes d'âme et de
facultés, qui, vous mirant dans un coffre-fort,
ne psalmodiez que des airs métalliques; détracteurs
, implacables ennemis de la gloire des
grands maîtres, nos modèles; osez-vous appeler
avec dédain les concerts castellannois, des charivaris;
quel blasphème! J'avoue que la finale de celui de l'année passée, était, d'après les régles
de Rossini et de Bellini, un peu hardie,
précipitée, bruyante; aussi M. le maire, fier
comme un cent-suisse, roulant sur les virtuoses
un regard d'épervier, leur ordonne de changer
de ton; aussi un gendarme paraît comme
un nuage, un beau jour de fête, empoigne le
chapeau-chinois et menace la grosse caisse de
son sabre.
Pauvres artistes! ignoriez-vous que le talent
est aujourd'hui persécuté! que la médiocrité
seule prospère et fait du bruit.
Demain vous subirez la loi commnne. Vous
serez obligés de croiser vos flûtes et vos archets
contre les carabines de six brigades.
Qu'opposerez-vous aux vétérans de Digne,
aux soldats d'Antibes? l'indignation de vos compatriotes
les larmes de vos mères !
Que l'on se représente un bataillon de ces
machines humaines , qui au moindre signe marchent,
au mot fatal, fusillent, des chevaux qui
piaffant, des torches qui font de la ville un incendie,
des enfans qui agitent des instrumens, et
on rira de pitié.
Que l'on se représente des gens en délire, la
banderole sur les reins, la menace à la bouche,
une population exaltée, se pressant, trépignant,
une haïe de baïonnettes, et on pleurera de donleur. C'est ce qui est arrivé à Castellanne.
Le dix-sept février mil huit cent trente cinq ;
cette ville a été mise en état de siège.
Depuis deux mille ans, elle n'avait pas encore
essuyé un pareil affront.
Honte à quelques étrangers! à la fange dont
ils étaient pétris, ils ont ajouté une tâche dont
ils ne se laveront jamais!
Castellanne les avait adoptés; elle les renie,
et moi je les frappe au visage.
La ville, victorieuse par sa modération et sa
générosité, a célébré cet événement par une
réunion mémorable, cent compatriotes, jeunes
et vieux, riches et pauvres, cent amis, cent frères,
ont fait un repas de famille :
Un demi-savant, écrivain de race bâtarde,
espèce de folliculaire, qui a pris un moment
sa plume pour un oracle, parce qu'il l'a salie
en la trempant dans son âme, qui s'est cru un
très grand, un très puissant, un très haut personnage,
parce qu'il s'est quelquefois chaussé
sur des talons d'une imposante couleur, malheureux
d'avoir déchiré de ses propres mains l'enveloppe
empruntée, séduisante et mystique sous
laquelle il s'était déguisé, et de n'être plus aujourd'hui
que la triste image de l'eau qui, commençant
à entrer en ébullition, s'évapore peu
à peu et ne laisse rien au fond du vase, l'appelle
repas de famille, mais c'est ironiquement. Qu'entend-il ce mort-né par famille?
Dix Harpagons ! vingt Janissaires ! trente
Pilades contre un Oreste !
Des vampires s'abreuvant du sang du pauvre
!
Une sainte-alliance voulant tout pour elle,
places, argent, etc. , etc. , et ne voulant rien
pour les autres ; se battant les flancs, se tordant
les nerfs, écumant de rage, forgeant tout ce que
de basses manoeuvres ont de plus perfide, tant
qu'elle ne voit pas loin d'elle ce qu'il y a encore
d'hommes probes et libres qui lui font ombrage,
qui entravent son système de centralisation !!!
Entend-il une camarilla?
J'en connais une
Elle rugit.
Un tartuffe , qui sans cesse remue un boisseau
d'hosties, fait le signe de la croix, et regarde
le ciel, en est le chef, le génie, le fantôme
inévitable.
Vers la fin de l'année mil huit cent trente cinq,
Castellanne a été témoin d'un spectacle
également déplorable. Après une lutte longue,
immorale, indécente, son premier pasteur a été
révoqué, il ne devait pas l'être, aux termes du
concordat, sans un jugement basé sur une enquête:
que la ville se félicite de ce que cette
enquête n'a pas eu lieu: s'il est innocent, M.
Isnard, par sa résigaation, aura un trait de ressemblance avec les martyrs, s'il est coupable,
l'humiliation est pour lui plus qu'un devoir.
Ils trahissent leur conscience, ceux qui
lui imputent la cause de bien des mésintelligences. Que les dépouilles de cet ecclésiastique
ne servent pas de manteau à autrui : il a déjà
assez de torts. La ville lui reprochera de n'avoir
pas osé, ou de n'avoir pas voulu saisir le
véritable point
de sa défense, et d'être sorti
de sa coquille, en étant trop charitable envers
des gens qui, dans le malheur, l'ont abandonné,
dénigré, poursuivi.
A cette occasion, Monseigneur l'Evêque de
Digne, malgré son grand âge, s'est transporté à
Castellanne pour faire entendre des paroles de
paix dans l'intérêt de l'église. Le vénérable prélat
n'a pas recueilli de son voyage tout le fruit
qu'il en attendait; aussi, sous le poids d'une
noble afliction, il a été peu sensible à l'encens
de ces hommes qui, à la moindre occasion, se
courbent devant le parti qu'ils croient le plus
fort.
Monseigneur n'a pas moins donné, avec une
admirable bonté, les bénédictions qu'on lui a
demandées à chaque pas: son allocution sur
les sept péchés capitaux lui a paru faire une
impression salutaire ; mais, le saint homme! il
n'était pas encore sur sa douce monture, que déjà les incorrigibles, riant sous cape, allaient
leur train.
On ne peut pas s'occuper un moment de Castellanne
sans signaler ses besoins, et indiquer
quelques moyens d'amélioration, même de prospérité.
Sous l'abbé Bernard, lorsque dans nos montagnes
l'instruction avait moins de prix et par
conséquent les études moins de développement,
le collège, dont la position est si favorable, a
compté jusqu'à vingt pensionnaires et soixante
externes. Aujourd'hui à peine aperçoit-on dans
la cour, deux écoliers qui meurent d'ennui, au
bout d'une galerie, un professenr qui fait son
surnumérariat, et dans le jardin, le principal
qui plante des choux.
Pourquoi cela ?
Parce que certaines gens ne veulent pas que
les lumières contrastent avec leur ignorance.
Parce qu'un chef capable est découragé,
tracassé.
Parce que l'académie ne nous enverra jamais
que son rébut.
Voyez l'honorable M. Jouve! quel beau titre
à la confiance, à l'estime, à la reconnaissance
publiques il amène comme un père de famille,
de la ville d'Arles, dix jeunes élèves et d'excellens
collaborateurs.
Quelle honte pour ces hypocrites qui, à les croire sur parole désireraient à Castellanne une
Sorbonne! ou froisse, on entrave M. Jouve, on
lésine ; M. Jouve part, suivi de son fidèle troupeau,
va à Grasse, et Grasse s'en glorifie.
A Castellanne, ville frontière, aux portes du
Piémont, qu'elle serait bien placée une garnison
de cent cinquante soldats ! elle lui vaudrait
toutes les années un trésor, de soixante mille fr.,
et ce trésor se répandrait dans la classe la moins
aisée; que d'occasions n'a-t-on pas laissé échapper
pour l'obtenir! aujourd'hui même, on réussirait
si on fesait une demande sérieuse.
Mais c'est un arrêt irrévocable ; les bourgeois
n'en veulent pas, mollement étendus sur des
coussins pas toujours garnis de leurs plumes, autour
d'une table servie à bon marché, ils craignent
que leur sommeil ne soit troublé , qu'ils
ne paient un poulet cinq centimes de plus.
Où loger ces cent cinquante hommes?
Dans la maison de M. Gras; dans la maison
d'arrêt, aérée, commode, mal située sur la place
publique, trop vaste pour quelques détenus que
l'on doit enfermer dans les chambres qui envisagent
le Verdon.
Il y a déjà assez de tristesse pesant sur les
journées d'un prisonnier, sans les assombrir
encore par le voisinage d'un lieu que les jeux
et la liberté ont choisi pour leur théâtre, par la
vue d'un dénonciateur, par celle d'un magistrat irréprochable, il est vrai, mais de la justice
duquel la conscience bonne ou mauvaise du
malheureux se plaint quelquefois.
A ces réflexions, une autre se rattache.
Ce qui demande le plus de solitude, le plus
de respect, la couche des trépassés, le cimetière
est à l'extrémité de la place publique à deux pas
de plusieurs maisons habitées et d'une fabrique.
Au milieu des inconvenances et du bruit,
on est obligé pour y parvenir de traverser une
partie de cette même place: où trop souvent
hélas! retentisssent les coups de la bêche du fossoyeur.
Sous la restauration; horreur!! j'ai
vu ; qui ne la pas vu! qui n'en a pas gémi! j'ai
vu, dans ce sanctuaire, sans porte, sans murs,
sans croix , des animaux domestiques errer
comme dans un pré, fouler aux pieds des cendres
les jeter au vent, arracher la plante sacrée
qui avait pris racine dans les entrailles d'un
cadavre
Mais où trouver un autre emplacement ?
Castellanne n'en manque pas.
Mais l'éloignement? quelle raison! l'homme
a t-il jamais fléchi sous le poids d'un cercueil !
Le prêtre, rendons lui cette justice, s'est-il
jamais refusé à faire pour un mort quelques
pas de plus!
Et ces deux fontaines tou jours sèches, objets
de tant de réclamations pour le pays, de dérision pour l'étranger! depuis que l'on travaille,
que l'on paye pour elles, elles devraient être
celles de Pétrarque, l'eau devrait en couler argentée.
La vieille source est ingrate ; me dira t-on ?
Abandonnez la vieille source , l'urne de Notre-
Dame, celle du Verdon seront plus reconnaissantes.
Mais nous n'avons plus de fonds ?
Je le crois bien! la ville s'imposera.
Lorsque nos grands propriétaires, lorsque
nos autorités ouvrent le sac à leurs fermiers,
tendent la main au gardien des finances pour
en recevoir un blé bien propre, bien beau, des
écus bien luisans, il leur importe fort peu que
le malheureux qu'ils tutoient, qu'ils appellent
paysan, perde dans la poussière ou la boue son
peu de grain, et voie ses meubles vendus à l'encan
aux poursuites et diligence du percepteur
des contributions.
Les aires publiques sont un puits; on ferait
bien de les paver.
Daigne l'administration actuelle, ne pas mépriser
ces courtes observations! la ville applaudira.
DESCRIPTION DE CASTELLANNE.
Castellanne, chef lieu d'arrondissement, limitrophe
du département du Var, d'une population de 2,100 ames, est située sur un terrain
spacieux, dont une colline, la montagne de Destourbes
et le Roc forment une espèce de berçeau:
ses
maisons régulières, ses rues larges
et propres, une très belle place publique, qu'ombragent
des platanes et des ormeaux, qu'environnent
des édifices et des hôtelleries , qu'embellissent
des jardins et des promenades, un
ciel d'azur, un climat tempéré, ne font pas envier
à ses habitans de plus agréable séjour. Ses
campagnes sont nombreuses, fertiles et pittoresques.
La lisière des coteaux d'Angles, du
Serre, de Balaud, de la Colle, de Brans, s'étend
au loin et s'abaisse en étages, comme un promontoire,
jusqu'au rivage du Verdon. D'un
côté, les moissons y flottent en gerbes dorées,
les branches de la vigne grimpante s'y marient
et tombent en festons; de l'autre, une pépinière
d'amandiers, des vergers, le figuier, et sur un
point élevé, aride, un pin. nu. Devant vous:
une pelouse de verdure et la brise d'une onde
fraîche; plus loin, un sentier sauvage et des
flots gémissans.
La plaine des Listes , bordée de peupliers,
coupée par mille chemins, dessine un labyrinte
de petites iles, émaillées de fleurs, parsemées
de prairies; ici les fruits les plus utiles , et une
cabane, là un enclos, un champ et la bastide,
partout des ruisseaux qu'un même canal distribue ; des bois de pommiers, de pruniers, de
poiriers, le chant des oiseaux, un air embaumé,
ravissant, extatique.
Comme une nuance à ce tableau , l'oeil enchanté
découvre à peine, à l'extrémité, une galerie
de gros arbres verneux, dont l'écorce épaisse
et tendre reçoit un jour d'été, entre les rayons
du soleil couchant, des soupirs, des sermens,
des chiffres amoureux; lieu de solitude, de promenades, de rêveries classiques et romantiques :
enfin la plaine des Listes est toute une nature
riante de la haute Provence, dont chaque famille
castellannoise a un lot.
La plaine de Notre-Darne, sa voisine, séparée
d'elle par le chemin de Riez, est moins gracieuse,
plus resserrée, mais plus fertile.
La plaine de la Palud s'allonge et s'élargit,
la plus grande, la plus riche, la plus noble,
divisée, bien assainie, cultivée avec soin, elle
serait la nourrice de toute la ville. Il y a quarante
ans, nos gentilshommes sans vassaux,
qui s'aimaient, qui nous aimaient autant que
nos bourgeois en herbe nous haïssent et se détestent,
fesaient de ces maisons de campagne
leur rendez-vous, leurs lieux de plaisance, où
nous étions cordialement admis.
Castellanne voit enfin s'ouvrir devant elle,
grâces aux besoins du gouvernement, la grande
route de l'Italie à la capitale. Déjà les ravins sont combles , les rochers mis en poudre les
ponts suspendus ; bientôt le voyageur dans son
carrosse ne s'effrayera plus, comme autrefois, à
pied, drs précipices affreux du Mont St.-Pierre,
que Napoléon, indigné de l'inexécution de ses
ordres, abandonnant son artillerie, fut obligé
en mil huit cent quinze, de gravir comme un
autre St.-Bernard.
Point central des villes de Draguignan , de
Grasse, de Riez, de Digne, Castellanne va devenir
l'entrepôt des productions de la montagne
et des richesses de la Provence. Ses foires, déjà
si belles, s'animeront d'un commerce nouveau ;
ses hôtelleries seront le lieu de halte, ses marchands,
les fournisseurs de la foule des étrangers.
Elle a des fabriques de cire, de cuirs, de chapeaux
et de draps.
Les Castellannois sont babillards, légers,
mais doux, très hospitaliers, très humains.
Le bourreau ne les a jamais frappés.
Comme si la meilleure patrie n'était pas celle
qui donne le meilleur pain, ils sont inséparables
de leurs toits; ils négligent, avec une insouciance
coupable, tout ce qui tient à leur repos,
à leur liberté et à la progression de leur
bien-être.
A leurs yeux, l'enfant est déplacé à l'enseignement mutuel, ce banc commun, ce marchepied
de toutes intelligences.
Entre leurs mains, le système électoral, qui
quoique très imparfait, est le règne de l'opinion
et notre sauvegarde, sert d'instrument à l'ambition
d'une minorité.
On les voit exhaler leur bile pour un église,
prendre parti pour un prêtre.
Qu'ils sachent que le temple de Dieu est bien
partout : et que c'est à la religion et non à l' homme
qu'ils rendent hommage, qu'ils ne doivent
jamais les confondre ; que celui-ci n'est que
trop souvent l'esclave du vice, et que celle-là
est toujours la même, toujours la fille du ciel.
Dans tous les temps, les dogmes ont divisé,
ensanglanté les nations ; le ministre jamais! une
société sort de son assiette, rampe et s'avilit,
lorsque pour un seul et pour une pareille cause,
elle se partage en deux camps.
Au lieu de se former à un esprit d'opposition
mesurée, sage, compacte et de résistance morale
à l'oppression, ils se livrent à une escrime
de mots.
Dernièrement ils ont fait d inutiles et de ridicules
démonstrations.
Qu'ils sachent que lorsque la loi est remplacée
par le pouvoir, les masses ont raison, qu'alors
les leçons du silence et du mépris, ou la conspiration
des idées et l'usage du droit de pétition, offrent une arme pacifique et féconde en
résultats.
Enfin mes compatriotes ignorent encore, que
de l'éducation, du travail et de l'économie naissent
les lumières et l'aisance, que celui qui les
possède est toujours maître de son indépendance
et de sa dignité , et qu'avec la vertu il
mériterait le bonheur, si le bonheur ici-bas n' était
pas le rêve d'une OMBRE.
PERSONNAGES REMARQUABLES DE CASTELLANNE.
G. Audoul, de St.-Jullien; son traité sur la
Régale est un très bon ouvrage.
H. Simon, homme de lettres, auteur d'une
excellent dictionnaire.
F. Dolle, sculpteur; les trophées d'armes
que l'on voit sur la porte de l'arsenal de Toulon
appartiennent à son ciseau.
J. Martiny, antiquaire et lieutenant criminel
J. André, peintre ; on lui doit tous les tahleaux de l'église de Notre-Dame-du-Roc , et
une partie de ceux de l'église St.-Joseph.
A. et E. Feraud, architectes, ils ont fait plusieurs
travaux importans, entr'autres le chemin
de St.-Auban, l'église de Fayence, etc., etc.;
A. Feraud, jeta dans quelques heures, sur le
Var, un pont qui servit de passage aux troupes
françaises en Italie.
P. Duchaine , président au parlement d'Aix.
FIN DE L'OUVRAGE
Numérisé par Jean-Paul Audibert.