NOTICE

GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

  SUR LA COMMUNE DE

 CRUIS

Par  Louis PELLOUX

1887

  ARMOIRIES

Porte d’azur à un saint vêtu pontificalement la mitre en tête, tenant de sa main senestre une crosse, et levant la main dextre, comme pour donner la bénédiction, le tout d’or.

  NOMS

 

Crois

an 1060

Crucio

an 1332

Crociencis

an 1180

Crocio

an 1442

Croccis

an 1234

Cruys

an 1540

Crocio

an 1294

Crueys

an 1698

Crossio

an 1295

Cruis

an 1727

Crociensis

an 1330

Cruis

an 1776

 

TERRITOIRE – PRODUCTIONS

Les confronts du territoire de Cruis sont : à l’est, Montlaux et Mallefougasse ; au nord, la Tour-de-Valbelle ; à l’est, Saint-Etienne et Montlaux, et au sud, Montlaux.

  Le territoire de Cruis se compose de deux parties bien distinctes. Celle du nord s’étend de la base aux plus hauts sommets de la montagne de Lure ; elle est presque entièrement couverte de forêts de chênes blancs, de hêtres et de sapins, au milieu desquelles se trouvent d’excellents pâturages qui nourrissent de nombreux troupeaux, l’une des principales ressources des habitants. Sa forme générale est celle d’un grand quadrilatère de cinq kilomètres de côté. L’abîme de Cruis, si connu, si célèbre, est situé vers la base de la montagne. Un éboulement a dû fermer l’orifice intérieur qui le mettait en communication avec les immenses cavernes que l’on suppose exister dans la montagne ; actuellement, il ne mesure plus que 53 mètres de profondeur.

  La plaine qui forme la seconde partie du territoire, à la base de la montagne, est fertile, bien cultivée, mais peu étendue. On y trouve quelques belles sources.

  Le blé, les légumes secs, les pommes de terre, les amandes et les noix constituent les principales récoltes.

  Pendant les mois d’août et de septembre, on y distille d’assez grandes quantités de lavande.

  La commune de Cruis a une superficie totale de 3.646 hectares 96 ares 64 centiares, dont 647 hectares 96 ares 31 centiares en terres labourables, et 1.766 hectares 13 ares 60 centiares en bois taillis.

  En 1698, le territoire de Cruis fut estimé 75.000 livres.

  La plaine appartient au grès vert, et la région montagneuse à la formation néocomienne.

  ALTITUDES – DISTANCES

Le village, 725 mètres. – Sur la route, à 2 kilomètres est du village, 738 mètres. – Abîme, au nord, 858 mètres. – A la limite sud du territoire, 600 mètres. – Le Défends, 1.182 mètres. – La Sapie, au nord, 1.574 mètres. – Crête de la montagne de Lure, à l’est, 1.589 mètres, et à l’ouest, 1.745 mètres.

  Le village est situé à 5 kilomètres de Saint-Etienne, à 18 kilomètres de Forcalquier par Fontienne, à 5 kilomètres 500 mètres de Mallefougasse, à 25 kilomètres de Sisteron, à 15 kilomètres de la gare de Peyruis, et à 49 kilomètres de Digne par la route des Mées.

  POPULATION

La population de Cruis, en 1332, ne devait pas être supérieure à 200 habitants. En 1471, elle était d’environ 60 habitants, d’après un état d’affouagement qui indique 11 tubassia ou maisons. Le recensement officiel de 1765 porte 356 habitants, dont 177 hommes ou garçons et 179 femmes ou filles. En 1804, 474 habitants ; 1815, 499 habitants ; 1827, 576 habitants ; 1837, 620 habitants ; 1847, 610 habitants ; 1857, 556 habitants ; 1867, 571 habitants ; 1877, 546 habitants ; 1887, 439 habitants.

  Mouvement de la population de 1823 à 1883 : 331 mariages, 1.056 naissances et 1.268 décès.

   

VILLAGE – FETE PATRONALE - FOIRES

Cruis offre beaucoup de points de ressemblance avec Saint-Etienne : même situation à la base de la montagne de Lure, même aspect agréable et même route qui les traverse de l’est à l’ouest.

  Une rue large et assez régulière divise le village de Cruis en deux parties d’inégale étendue. Les autres rues, quoique plus étroites, sont suffisamment grandes pour permettre aux charrettes ou aux voitures de pénétrer dans tous les quartiers.

  Sauf l’ancienne abbaye de Saint-Martin, située à l’est, à côté de l’église et d’une petite place, on ne voit à Cruis aucune construction remarquable.

  On compte, dans le territoire de Cruis, 27 maisons de campagne ; beaucoup sont situées à proximité du village. Il n’y a pas de hameau.

  Fête patronale Sainte-Marie-Magdeleine le 22 juillet. Foires les 1er mai, 24 septembre et 8 novembre.

  PROPRIETES COMMUNALES
BUREAU DE BIENFAISANCE – ECOLES

La commune de Cruis acheta aux enchères, en 1791, les bâtiments de l’abbaye de Saint-Martin qui forment, à l’est du village, une construction lourde et massive, en forme de quadrilatère. Dans le cloître, on a choisi les salles les mieux disposées pour être affectées à la mairie et à la maison d’école, mais toutes sont basses et, surtout, mal éclairées, car les murs ne mesurent pas moins de deux mètres d’épaisseur. On donne très souvent le nom de château à cette ancienne abbaye.

  L’église paroissiale, dédiée à Notre-Dame et à saint Martin, faisait autrefois partie de l’abbaye ; elle est construite en forme de croix et possède un clocher carré peu élevé ; sa porte s’ouvre à l’ouest sur une place. L’époque de sa construction n’est pas connue, bien qu’on la fixe au XIIe siècle. Il en est fait mention sur un document de l’année 1502.

  Le cimetière est contigu à l’église.

  Cruis possède plusieurs fontaines publiques alimentées par des sources importantes. Toutes possèdent de longs bassins pour y abreuver les troupeaux.

  La commune est propriétaire de quelques forêts à essence de hêtres et de sapins, situées dans la montagne de Lure.

  Il y a deux écoles publiques, ainsi qu’un bureau de bienfaisance dont les revenus s’élèvent à 145 francs.

  ETYMOLOGIE

Le mot Cruis, dit M. Feraud, a été formé de crux, croix. La possession de la seigneurie de Cruis, aux temps les plus reculés, par les religieux de Saint-Martin, et la croix qui figure dans les armoiries de ce village, paraissent justifier cette étymologie. Cependant, MM. Alexis et V. Maurel ont émis l’opinion que Cruis tire son nom de l’abîme qui existe dans son territoire. Dans la basse latinité, cros et crosum étaient, en effet, employés pour creux, fosse, cavité.

  HOMMAGES

Année 1351, François de Cavitat pour l’abbaye de Cruis. – Année 1385, abbé de Cruis. – 1399, Pierre, abbé de Cruis. – 1606, Toussaint de Glandevès, évêque de Sisteron. – 1695, Louis de Thomassin, évêque de Sisteron. – 1717, Louis de Thomassin, évêque de Sisteron.

  AFFOUAGEMENTS

Année 1400, 3 feux. – 1418, 1 feu 1/4. – 1431, 1 feu 1/4. – 1442, 1 feu. – 1471, 1 feu. – 1540, 1 feu. – 1665, 1 feu 1/4. – 1698, 1 feu 1/2. – 1733, 2 feux. – 1776, 1 feu 3/5.

  La valeur du territoire de Cruis tend constamment à s’accroître depuis quatre cents ans. En 1698, il fut estimé à 75.000 livres.

  HISTOIRE

Pendant le Moyen Age, et particulièrement au Xe et au XIe siècles, les populations provençales étaient misérables, fanatiques, ignorantes et superstitieuses. Le clergé exerçait sur elles une influence sans bornes et beaucoup de personnes pieuses donnaient des terres aux églises et aux couvents pour obtenir, disaient-elles, le pardon de leurs péchés. Ces dons furent surtout nombreux et considérables aux approches de l’an 1000, qui devait être témoin, à sa naissance, d’un cataclysme universel et de la destruction du globe. C’est probablement en cette circonstance que des religieux de l’ordre de Saint-Augustin reçurent la terre et seigneurie de Cruis, dans laquelle ils firent construire un couvent qui subsiste encore Les religieux du monastère de Cruis étaient dispensés de l’ordinaire et ne relevaient que du pape. Cependant, Gérard Chevrier, évêque de Sisteron, voulut les soumettre à sa juridiction ; il en fut vivement blâmé (1074) par Grégoire VII qui le menaça d’excommunication s’il ne renonçait à ses entreprises. La charte bien connue de l’an 1180, relative à la donation des terres de l’abbaye de Lure par Guillaume IV, comte de Forcalquier, fait mention comme témoin de Petrus Isnardi sacrista Crociencis.

  Selon toute probabilité, Raymond Béranger, qui se montra constamment généreux pour le clergé, et participa à la fondation d’un grand nombre d’établissements religieux, éleva le chapitre de Cruis au rang d’abbaye ; celle-ci prit le nom de Saint-Martin-de-Cruis.

  Les religieux de Cruis défrichèrent les terres voisines et firent de leur couvent le centre d’une petite colonie agricole ; ils possédaient de nombreux troupeaux qui, pendant l’hiver, lorsque la neige couvrait la montagne de Lure, étaient conduits dans les plaines de la Crau, ainsi que nous l’apprend un document du 2 août 1268.

  En 1269, le nombre de religieux s’élevait à vingt ; presque tous étaient prieurs d’églises dont la collation appartenait au prévôt.

  Les dons des fidèles, la perception des dîmes, le produit des terres et l’élevage des troupeaux placèrent, dès le XIIIe siècle, l’abbaye de Cruis au nombre des plus riches établissements religieux de la viguerie de Forcalquier. Les églises qui en dépendaient étaient celles de Sainte-Croix-d’Alause [sic], de Banon, de Montsalier, de Montlaux, etc.

  Pierre Giraudi, abbé de Cruis, acheta de Bertrand des Baux, seigneur de Courtheson [sic], le 16 mars de l’année 1300, et au prix de 31.000 sols couronnés provençaux, la moitié des terres de Saint-Vincent, Genciac, Malcor et Aigremont ; il en reçut l’investiture du comte de Provence le 6 mai de la même année, sous la réserve que la justice s’exercerait au nom de la cour royale et de l’abbé, et que les sommes provenant des lattes ou amendes seraient partagées entre les partie. Plus tard, en 1330, il fut également convenu que l’abbé rendrait hommage au souverain pour ces mêmes terres de trente en trente ans, et qu’il en paierait le lods fixé à 218 florins, attendu qu’elles tombaient en mainmorte.

  L’abbé de Cruis acquit également, le 21 octobre 1301, au prix de 250 livres couronnées, de Raymond Garnier de Manosque, la moitié de la terre et seigneurie de La Tour-de-Bevons. L’autre moitié appartenait au comte de Provence. Ce dernier ne possédait à Cruis, en 1332, que la haute justice et le droit de glaive.   Raymond, abbé de Cruis, prêta hommage au comte de Provence, pour les terres de son abbaye, le 12 octobre 1306[11 et le 16 décembre 1309. « Castrum de Crocio cum ejus territorio vocato de Consonavis et medietatum de Sti-Vincency, Genciaco, Agremonte et Turre Beonsio. » Cet hommage fut renouvelé en 1351 par François de Cavitat, et plus tard en 1385 et en 1399, par un autre abbé appelé Pierre, Petris abbatis, pour les châteaux de Cruis, de Montlaux et de la Tour-de-Bevons. Castris de Crocis, Montelauro et Turre.

  Les évêques de Sisteron luttèrent obstinément pendant quatre siècles contre les religieux de Cruis qui, soutenus par le pape, refusèrent constamment d’abandonner leurs privilèges. Cependant, Robert Dufour, l’un de ces évêques, parvint, en 1418, à se faire nommer abbé de Cruis. Enfin, Mitre Gastinelli obtint du pape Calixte III, en 1456, la réunion à l’évêché de Sisteron de l’importante abbaye de Cruis, dont les revenus s’élevaient alors à 203 florins, soit environ 4.060 francs, et à 600 sestiers de blé.

 

Nomenclature des abbés ou prévôts de
Saint-Martin de Cruis

 

Bernard.

Prévôt de Cruis, vivait en 1179.

 

Raymond.

Est cité comme témoin dans un acte de 1231.

 

Imbert.

Signa une transaction avec la commune des Ybourgues en 1249.

 

Guillaume .

Fut nommé arbitre dans un différend en 1267.

 

P. Giraudi.

Fit plusieurs acquisitions importantes en 1300 et 1301.

 

Raymond .

Prêta hommage pour les terres de l’abbaye en 1306 et 1309.

 

Rostang .

Evêque de Sisteron, de 1326 à 1346. Prit le titre d’abbé de Cruis.

 

G. Giraudi.

Prêta hommage au comte de Provence en 1339.

 

Bérengerius.

Signa, en 1346, une transaction avec la ville de Sisteron.

 

Fr. de Cavitat.

Vivait en 1351, d’après un acte d’hommage.

 

Pierre.

Prêta deux fois hommage en 1385 et en 1399.

 

Robert Dufour.

Evêque de Sisteron. Fut nommé abbé de Cruis en 1418.

 

Mitre Gastinelli.

Egalement évêque de Sisteron. Obtint définitivement la réunion de l’abbaye à son évêché en 1456

  Après cette date, la liste des abbés de Cruis est la même que celle des évêques de Sisteron.

  A l’époque où les populations fuyaient épouvantées à l’approche des assassins commandés par Raymond de Turenne (1391-1392), les habitants de Cruis trouvèrent un refuge derrière les épaisses et solides murailles du monastère, qui était une véritable forteresse.

  En 1471, le nombre de maisons ou tubassia de Cruis n’était encore que de onze. Ce village n’avait donc alors que fort peu d’importance. Le nombre de ses habitants, que l’on peut fixer à soixante, non compris les religieux, resta à peu près stationnaire pendant un siècle environ ainsi que semblent l’indiquer les états d’affouagement.

  « Le 13 juillet 1502, Laurent Bureau, évêque et abbé, remit aux habitants de Cruis les cens et les services qu’ils lui devaient, à la condition qu’ils entretiendraient et répareraient l’église abbatiale paroissiale tant que lui abbé vivrait. »

  La communauté de Cruis, ayant acquis une propriété dans le territoire de Montlaux pour la construction d’un moulin, fut autorisée le 26 mai 1540 à prendre l’eau nécessaire dans la rivière de Lauzon, et à faire un beal pour conduire cette eau dans l’écluse du moulin. Celui-ci était déjà en ruines en 1662.

  Aimeri de Rochechouard, évêque de Sisteron, afferma le 1er mai 1559 et le 10 juillet 1569 certains biens ruraux à des habitants de Cruis. Il aliéna le domaine de la Tour-de-Bevons en 1559, mais cette vente fut cassée plus tard (1629) comme contraire aux lois et aux règlements des communautés religieuses.

  Paul de Richieu, seigneur de Mauvans, qui, à la tête d’une petite troupe de protestants, détruisit en Provence un grand nombre d’édifices religieux du culte catholique, visita en 1562 le village de Cruis et livra aux flammes tous les papiers, tous les titres de propriété de l’abbaye de Saint-Martin.

  C’est le 31 août 1628, que Toussaint de Glandevès fonda la vicairie de Cruis.

  L’acte de reconnaissance dressé le 14 mai 1689 pour la confection du livre terrier porte ce qui suit :

 

1.

Le lieu de Cruis est un simple fief dépendant du roi comme comte de Provence, mais appartenant à l’évêque de Sisteron en qualité d’abbé de Saint-Martin, lequel est seigneur justicier, foncier et possède la directe universelle.

2.

Le roi ne possède dans le territoire ni châteaux, ni maisons, ni domaines.

3.

Le village n’est pas entouré de murailles.

4.

Les consuls ne s’occupent que des affaires de la communauté, la juridiction, le greffe et le sceau appartiennent à l’évêque de Sisteron.

5.

Le seigneur évêque possède, au nord du village, dans la montagne de Lure, une vaste forêt de chênes blancs, hêtres et quelques sapins, dans laquelle les habitants ont des droits d’usage pour le bois et pour les pâturages ; par ce motif, ils paient annuellement à l’évêque une cense de cent cinquante livres, plus quatre panaux anoune pour le defends, plus deux panaux de seigle pour chaque paire de bœufs.

6.

La communauté ne possède qu’une petite maison, estimée 60 livres, pour école, maréchal et assemblée des habitants.

7.

Il existe au dit lieu un four banal appartenant à M. Antoine Escoffier, notaire à Saint-Etienne. Les moulins à blé ne sont pas banaux.

8.

On ne paie aucun droit pour le pesage des blés et autres denrées.

9.

Les habitants ne paient ni champart, ni tasque, ni capage, ni fouage.

10.

Le seigneur évêque possède, autour de l’abbaye, un pré, un jardin, plus quatre terres d’environ onze charges de semence. Les sieurs Grimaud, Quintrand et Audibert, tous chanoines, possèdent sept propriétés en prés, jardins et terres. Ces différentes propriétés ne sont pas encadastrées et ne paient aucune taille

  Les droits seigneuriaux que l’évêque de Sisteron percevait à Cruis sont exactement indiqués dans un acte de dénombrement du 15 août 1698. Ce même document fait également mention de la dîme que l’évêque exigeait en sa qualité de seigneur spirituel.

  « Louis de Thomassin, évêque de Sisteron, déclare posséder la terre et seigneurie de Cruis, avec toute la juridiction, haute, moyenne, basse, mère, mixte et impère ; le château seigneurial ; le droit de lods au 12, de toutes les aliénations faites par les particuliers ; le droit de leyde et de pulvérage ; le droit de cense ou service de deux panaux seigle et quatre panaux avoine pour chaque paire de bœufs et autre bétail de labourage ; une poule pour chaque habitant et un jambon pour ceux qui tuent des pourceaux ; une cense de 12 panaux seigle pour raison d’un moulin qui était autrefois le long du ruisseau de Lauzon, à Montlaux ; une pension féodale de 150 livres pour la montagne du dit lieu dont il permet l’usage aux habitants (cette pension était primitivement de 250 livres), plus six moutons gras ; cette pension est réduite à cent livres, mais à la condition qu’elle sera payée régulièrement.

  « Il possède : 1° Un jardin d’environ 700 cannes et une terre de 2 panaux, situés sous le château (monastère). – 2° Le pré dit de Clastre, d’environ 4 sotérées. – 3° Une ferrage au-dessous du jardin, d’environ 2 charges. – 4° Une autre ferrage, dite le Grand-Jardin. – 5° Une terre dite la Petite-Ferrage. – 6° Une terre au quartier de la Casse.

  « Ledit évêque, en qualité de seigneur spirituel et temporel de Cruis, perçoit la dîme au dixain de toutes sortes de graines et légumes. La dîme du raisin, du chamure (chanvre) et des agneaux au 12. »

  L’évêque de Sisteron habitait, pendant la plus grande partie de l’année, le château de Lurs dont on avait fait une résidence somptueuse. Les seigneuries qui relevaient de son autorité étaient nombreuses, et si l’on en croit l’auteur des Origines de la France contemporaine, il touchait, outre les revenus épiscopaux, l’énorme somme de 36.000 livres. A la même époque, les membres du bas clergé ne recevaient qu’un maigre salaire fixé à environ 350 livres pour les curés desservants, celui de Lardiers, par exemple.

  Le dernier évêque de Sisteron fut Louis-Jérôme de Suffren de Saint-Tropez. Nommé évêque de Nevers en 1789, il quitta la France bientôt après et mourut à Turin en 1796.

  L’une des deux routes qui reliaient Sisteron à Aix passait, au siècle dernier, à Cruis, Forcalquier et Montfuron. Elle avait une direction différente et traversait le village de Pierrerue, en 1229, lorsque Raymond Béranger prescrivit aux marchands d’emprunter la voie de Forcalquier, à l’exclusion de celle des bords de la Durance. Louis II, roi de Naples et comte de Provence, annula en 1406 la décision prise par Raymond Béranger et rétablit le péage de La Brillanne.

  L’abbaye de Saint-Martin, appelée aussi le château de Cruis, a la forme d’un quadrilatère avec une cour carrée au milieu. Dans les bâtiments lourds et peu élevés qui forment les côtés de ce quadrilatère se trouvent de vastes salles voûtées, ornées de peintures grossières dont il ne reste que quelques vestiges ; elles représentent des vases, des personnages, etc. Les murs mesurent environ deux mètres d’épaisseur. Les caves sont presque toutes comblées.

 Cet édifice, un des plus anciens et des plus remarquables de la Haute-Provence, était plutôt une forteresse qu’un monastère ; il résista par ce motif aux orages qui éclatèrent autour de lui. Très probablement, Raymond de Turenne ne put s’en emparer en 1392, et Paul de Richieu l’incendia sans pouvoir le détruire en 1562.   La date de sa construction n’est pas connue.   Ceux qui croient que le monastère de Cruis remonte au VIIe ou au VIIIe siècle se trompent certainement, car à cette époque la Provence, mal gouvernée, mal protégée, vit de nombreuses armées barbares de Lombards, de Saxons et de Hongrois piller et incendier ses villes et ses établissements religieux. Puis vinrent les Sarrasins, plus cruels encore, qui, vers le milieu du Xe siècle, réduisirent en cendres le monastère de Lure. N’auraient-ils pas fait subir le même sort à celui de Cruis s’il avait existé ? Selon toute probabilité, le monastère de Cruis fut fondé vers l’an 1000. Il dut être reconstruit quelques siècles plus tard, sous le règne malheureux de la reine Jeanne, de 1357 à 1382, époque où les populations ne trouvaient de sécurité que dans les places fortes, que derrière les solides et épaisses murailles des forteresses.   Pendant la Révolution, l’abbaye de Cruis fut, avec ses dépendances, vendue aux enchères à Digne au profit de la nation, le 27 avril 1791. MM. Boyer et consorts, qui s’en rendirent acquéreurs au prix de 21.100 livres, rétrocédèrent à la commune de Cruis les bâtiments et conservèrent pour eux le jardin, les terres et les prés.

  Sous l’Ancien Régime, Cruis appartenait à l’évêché de Sisteron et à la viguerie de Forcalquier ; son territoire était limitrophe, à l’est et au nord, du baillage de Sisteron.

Fin de l'ouvrage

Texte numérisé par : Jean-Paul Audibert

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