De la condition de la femme dans l'ancienne Provence.

Dans un roman inédit intitulé Raymond d'amour ou le dernier Comte de Forcalquier , M. Camille Arnaud, à la mémoire duquel les érudits ne sauraient rendre trop d'hommages, à traité de la condition des femmes en Provence à partir du XI ème jusqu'au XV ème siècle.

Voulez-vous me permettre Mesdames, vous, le charme et l'honneur de cette réunion, de résumer en quelques lignes et de vous dire quels étaient vos droits et vos devoirs à cette époque? Après m'avoir entendu vous bénirez le temps présent où vous n'avez plus que des droits à exercer et des hommages à recevoir.

Les femmes d'aujourd'hui sont devenues si parfaites en général (et vous en particulier Mesdames), que pères et maris n'ont plus qu'à bénir et à sourire.

Pendant le XIII° s., les enlèvements étaient assez communs. Si une jeune fille repoussait un prétendant, celui-ci, avec l'aide de ses amis, et par la violence au besoin, pénétrait, de jour ou de nuit, dans le logis de sa belle et l'emportait dans ses bras frémissants. C'était vaincre bien grossièrement un coeur rebelle.

Ces procédés indélicats se produisaient dans les classes les plus élevées.

La princesse Marie , soeur de la reine Jeanne reçut, un siècle plus tard, un traitement encore plus indigne de Robert des Baux qui acquit ainsi un titre forcé à sa main. Si l'on traitait une princesse avec un pareil sans façon, que devait-il se passer dans les classes inférieures ?

D'après une ordonnance de 1472, les femmes ou filles ne succédaient pas à leurs ascendants quand il y avait des enfants males. Elles n'avaient droit qu'à une dot ou légitime .

Les filles des mâles prédécédés étaient exclues par leurs oncles. La situation précaire des femmes avait éveillé cependant, et dès le XIII ème siècle, la sollicitude du pouvoir qui leur accorda certaines garanties particulières.

La femme veuve, la mineure devenue orpheline, la fille majeure non mariée avaient un défenseur spécial qui les assistait dans les contestations et les procès. Ce défenseur était nommé tous les ans, non par le Comte de Provence, mais par le Conseil de chaque communauté.

Outre ce privilège d'un défenseur d'office, il était accordé à la femme de longs délais pour se défendre. Les affaires intéressant les veuves devaient, l'instruction finie, être jugées dans les trois mois, faute de quoi, elles étaient dévolues à un juge supérieur moins sujet aux influences, et qui résidait à Aix.

La femme était soumise, comme tous les citoyens, à l'exécution des obligations contractées, mais il était défendu de saisir le mobilier, les hardes et les vêtements qui garnissaient la chambre d'une femme malade. Quand la contrainte par corps était exercée contre une femme, cette peine se changeait en arrêts dans un lieu convenable et décent. Quelquefois, et dans certains pays, l'emprisonnement des femmes était interdit.

Quelquefois la femme était exempte du serment, que les parties prêtaient sur les saints Evangiles, d'observer les conditions des actes passes.

Dans un autre ordre d'idées, je citerai un acte d'intolérance bien blâmable et bien remarquable :

Au mois d'avril 1204, Pierre, roi d'Aragon et Comte de Barcelone, s'intitulant Comte et Marquis de Provence, fit donation de divers terrains à l'église Notre-Dame de Chardavons, et accorda le droit, aux recteurs de cette église, d'empêcher qu'aucune femme s'introduisit dans les terrains concédés.

Ce brave roi d'Aragon aurait-il cru (bien à tort) que les femmes sont un brandon de discorde ? Les religieux étaient-ils particulièrement austères ou se méfiaient-ils d'eux-mêmes ? J'aurais compris cette méfiance, Mesdames, si vous aviez habité, en l'an de grâce 1204, le village de Chardavons.

Malgré les chants des troubadours qui exaltaient et glorifiaient la femme, à si juste raison, un droit bien triste avait été consacré par la jurisprudence. Le mari, tyran domestique, pouvait frapper sa femme, modérément . La modération et la colère ne marchant pas de compagnie, les juges décidaient si les coups reçus n'excédaient pas les limites de la correction permise : « attendu, disaient les arrêts, qu'en droit, le maître peut infliger un châtiment modère à son disciple et le mari à sa femme. »

Un mari fut puni d'une amende de dix sols parce qu'il battait sa femme, outre raison . Je le crois bien, il l'étranglait. Dix sols, c'était réellement pour rien.

Un autre mari non seulement battait, mais faisait jeûner sa femme. Il savait que le lion même devient agneau quand on le prive de nourriture. Le juge menaça ce mari cruel d'une amende de dix livres, en cas de récidive.

Un troisième tyran avait fait maison nette et chassé sa femme du logis. Ce méchant solitaire fut condamné à la reprendre, et celle-ci dut à son tour servir son seigneur et maître avec soumission et affection.

Ces moeurs abominables avaient donné lieu à ce dicton cruel « fremos noun soun gens » . Il est vrai que cette sentence avait un correctif: « ce que femme veut, Dieu le veut . » Il l'a voulu et le voudra toujours.

Nos mœurs sont plus douces aujourd'hui. Toutes les femmes sont bonnes, tous les maris sont patients ; mais comme il ne faut pas répudier complètement les vieilles coutumes, nous proposons une transaction. En cas de petite querelle (il n'y en a plus de grosse, n'est-ce pas, Mesdames? N'est-ce pas, Messieurs)? entre la femme et le mari, celui-ci conservera le droit de souffleter sa compagne, mais avec une rose, et à la condition d'effacer la marque du soufflet avec un baiser.

  Le félibre de Cousson.

Athénée de Forcalquier 1892

Texte numérisé pae J.P. Audibert

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