D'EYMAR Ange-Marie

Député à l'Assemblée Nationale de 1789

L'Ecole félibréenne des Alpes décida, lors de sa fondation, qu'à chaque réunion annuelle il serait fait une lecture sur un sujet intéressant l'une des communes du département des Basses-Alpes. Afin de rester fidèle au vœu patriotique émis par cette société, j'ai eu l'honneur déjà de raconter quelques faits historiques se rapportant à la ville de Forcalquier.

L'année passée je vous fis connaître un modeste religieux de l'Ordre des Minimes, le Père Louis Feuillée, originaire de Mane, appartenant à une pauvre famille de laboureurs qui, par son travail incessant, la sagacité de son esprit, l'étendue de ses connaissances, parvint à se créer une place remarquable dans le monde savant.

Je vais tracer, en une rapide esquisse, la biographie d'un de nos compatriotes qui, simultanément littérateur, virtuose, excursionniste, homme politique, a droit à notre souvenir. D'une érudition infinie, riche de faits et très sagace appréciateur des hommes et des choses, doué d'un esprit judicieux et pondéré, dialecticien calme, il consacra au culte des lettres une bonne part de ses loisirs, fut toujours prêt à se dévouer aux intérêts de sa province et de sa ville natale, car il aimait sa terre provençale, ce merveilleux fleuron de la grande patrie, et sut dans les luttes sociales conserver une admirable droiture de jugement, une bonhomie inaltérable.

D'Eymar Ange-Marie (1) naquis à Forcalquier le 8 septembre 1747. Elevé, par une mère très chrétienne, dans les principes de foi et d'honneur, d'Eymar se montra, dès ses jeunes années, digne de ses ancêtres.

Mis au collège de la rue du Chemin-Neuf, il prit goût aux langues anciennes et profita des excellentes leçons données par les abbés Tirany et Guigues. Sous

de tels maîtres, une intelligence aussi heureusement douée que la sienne, ne pouvait que s'ouvrir aux profondes clartés de la science. Il se fit remarquer par son application pour les lettres et les antiquités grecques et latines il étudia et comprit Virgile, Théocrite et Horace. Ses camarades admiraient ses rondeurs d'allure et les générosités de son caractère.

L'aristocratique société de la ville de Forcalquier, les ressources intellectuelles qu'on y trouvait, la douceur de son climat attiraient dans ses murs les étrangers de distinction qui venaient chercher, chaque année, dans nos chères Alpes, outre un soleil pres que toujours printanier, les agréments d'une vie simple, facile, au milieu d'une population hospitalière, aimable et avenante.

 

(1) Le 8 du mois de septembre 1747, dans l'église concathédrale et paroissiale a été baptisé Ange-Marie d'Eymar, fils de noble Louis Joseph François d'Eymar, seigneur de Bignosc et autres lieux et dame Anne Elisabeth d'Eymar, étant né ce même jour. Le parrain a été M. noble Ange Eymar, avocat en la cour et de dame Thérèse de Robineau, sa grand-mère paternelle. Ont signé Eymar du Bignosc, Ange Eymar, Eymar, Vial, chevalier du Teil, du Teil, Bandoly, Gassaud, Robaud, prêtre de Caseneuve et Décorio, curé. (reg.G.G. n°247).

 

Un des plus illustres parmi les Quarante, Thomas, venait souvent en villégiature au château d'Eymar, situé dans une gracieuse vallée, sur les bords du Viou,à Fougères; il se plaisait également au domaine du Toronet qui avait appartenu à l'éminent Forcalquiéren Honoré de Laugier, seigneur de Porchères, le poète préféré de Henri IV et de Marie de Médicis, un des vingt premiers de l'Académie Française, en 1635.

Pendant son séjour à Forcalquier, Thomas réunissait dans les vastes salons du bel hôtel d'Eymar, qui semblait prédestiné à devenir et rester pendant de longues années le siège de notre société, il réunissait dis-je, les quelques figures littéraires du pays et présidait des conférences sur les oeuvres contemporaines.

Ces réunions ressemblaient à une charmante petite académie.

L'académicien Thomas qui avait connu le jeune d'Eymar dans le sein même de sa famille, put apprécier ses nombreuses qualités et l'encouragea à le suivre à Paris. Sa nature ouverte, franche et généreuse, ainsi que son caractère plein de belle humeur et d'expansion gagnèrent à d'Eymar de vives sympathies.

Après quelques années de séjour dans la capitale, d'Eymar revint dans sa patrie et donna une excellente traduction d'une oeuvre espagnole el deliquente honorado de K.P. mech. Jovellanos qu'il fit imprimer à Marseille en 1777. Il fit paraître ensuite, en 1787, son premier ouvrage qui a pour titre Influence de la

sévérité des peines sur les crimes travail qui obtint un certain succès. Mais au commencement de janvier 1789, il dut interrompre ses travaux littéraires, car le mouvement révolutionnaire se manifeste et gronde sourdement. Necker, directeur général des Finances, que toute la France redemande, est rappelé le peuple français témoigne sa joie, la confiance renaît et le nouveau ministre s'occupe de convoquer les Etats du Royaume et du mode de convocation.

Des réunions publiques appelées club s'établirent dans les maisons particulières, dans les cabarets, dans les églises mêmes. La foule s'y pressait sans désordre pour entendre les harangues des orateurs qui eurent une réelle influence sur les masses ouvrières et agricoles.

Les Etats de Provence tenus à Aix, le 25 janvier 1789, n'avaient fait qu'augmenter la surexcitation populaire, déjà trop aigrie par la disette des grains et

par l'hiver rigoureux. La peur de la famine hantait les esprits, on parlait des spéculateurs qui accaparaient les blés pour en faire élever le prix et s'enrichir

au dépens des travailleurs des champs. Le nombre des mendiants s'était accru d'une manière alarmante, les routes, les campagnes étaient couvertes d'hommes errants qui pénétraient partout, pillant les fermes et semant l'épouvante et l'effroi.

Ce fut au milieu de l'effervescence générale que se tinrent en Provence, les assemblées primaires électorales pour les Etats Généraux du Royaume. Le parlement d'Aix, décide, le19 mars, que les élections des trois ordres des sénéchaussées de Digne, Forcalquier, Sisteron et ceux de la préfecture de Barcelonnette

auraient lieu à Forcalquier. Beraud, lieutenant général de notre sénéchaussée, convoque les électeurs et sous sa présidence eurent lieu, le premier avril, à huit heures du matin, dans la salle de la sénéchaussée, divisée en trois bureaux, celle où j'ai l'honneur de parler à cette heure, les élections, au second degré, pour la nomination de huit députés.

Parmi les élus, on voit figurer pour la noblesse: le chevalier comte d'Eymar Ange-Marie, littérateur à Forcalquier ; pour le Tiers-Etat Bouche Pierre-François-Balthazar, avocat à Forcalquier. Deux autres Forcalquiérens, cousins germains du Comte d'Eymar, furent également élus dans d'autres provinces, savoir D'Eymar Jean-Francois-Ange de Walchretien (1) né à Forcalquier le 30 novembre 1741 Vicaire générât de Strasbourg, abbé-prélat de Nevillers, élu député par le clergé d'Alsace il fut nommé secrétaire de l'Assemblée Constituante. Compromis avec le prince cardinal de Rohan, il émigra et mourut en exil. Le chevalier d'Eymar Joseph-François (2),

 

(1) Le 30 novembre 1741 a été baptisé sieur Jean-François-Ange, fils de noble M. Jean-François dEymar, avocat du roi en ce siège et de dame Marguerite de Mathieu de Villard, étant né ce jour. Le parrain a été messire Jean-François de Mathieu de Villard, seigneur de Fontienne et autres lieux ; la marraine a été Ursule Magdeleine du Teil, épouse du sieur Jean-Baptiste Arnaud, receveur de la Viguerie. Ont signe Eymar, du Vilard, Vial, du Teil et Décorio, curé (Reg. G.G. 10 f 13)

(2) Le dix du mois d'avril 1730, dans l'église concathédrale paroissiale a été baptise Jean-François d'Eymar, fils de noble M., avocat du roi en ce siège et de dame Marguerite de Mathieu sa femme, étant né ce même jour. Le parrain a été noble Louis-Joseph-François d'Eymar, seigneur du Bignosc et autres lieux, la marraine a été Marie Berlue , Vv de Peautrier. Ont signé Eymard St-Maurice, Eymar, avocat, Eymard du Bignosc Eymar, lieutenant et Décorio curé. (Reg. G.G. n°10 324).

 

né à Forcalquier le 10 avril 1750. Directeur et Receveur des Domaines du département du Moule (Basse-Terre) élu suppléant de la Guadeloupe. (Ses compatriotes l'avaient surnommé l'Américain). Il suivit la fortune politique de son frère et mourut également en exil. (1)

Après la réunion des Etats Généraux à Versailles, le comte d'Eymar prononça le 3 juin, dans la Chambre de la Noblesse , un remarquable discours. Ami du comte de Mirabeau, député d'Aix, d'Eymar fut un des députés de la Noblesse , qui décidèrent, le 23 juin, de se réunir aux députés des communes et à ceux du Clergé. Le 23 août, il est nommé colonel honoraire de la Garde nationale de Forcalquier.

Il publia le 4décembre 1789, un opuscule avec le titre de : Opinion de M. d'Eymar sur le mémoire de Necker , et au mois de Mars 1790 : Quelques réflexions sur nouvelle division du royaume  : brochure destinée à répondre aux objections qui pourraient s'élever contre le nouveau plan de division territoriale, il y disait : « C'est une grande et belle idée que celle qu'à conçue le premier, un des plus profonds penseurs du siècle, je veux parler de la nouvelle division

 

(1)) Le 12 Messidor An III, le directoire du district de Forcalquier lève les séquestres et scellés en faveur du citoyen Eymar de Forcalquier, père d'Ange et de Joseph, émigrés : 25000 livres , grevés de 7000 livres de dettes. (Archives départementales).

 

du Royaume, proposée à l'Assemblée Nationale dès le mois de juillet dernier, par M. l'abbé Sieyès, et qu'avant cette époque, il avait établi dans ses vues sur les moyens d'exécution etc., et dans l'instruction de M. le duc d'Orléans . Cette idée simple en apparence, et tel est le caractère des conceptions étonnantes du génie, cette idée, dis-je, qui semble avoir dû se présenter si naturellement, n'a pu être le résultat que d'une combinaison qui embrasse le système entier de l'organisation politique ».

Il publia ensuite: Opinions de M. Eymar de Forcalquier sur les articles relatifs à la vente des biens ecclésiastiques  et Opinions sur la question des ordres religieux.

Lorsque fut voté le décret établissant le traitement des religieuses, d'Eymar exposa, à la tribune de l'Assemblée Nationale la situation spéciale des

dames religieuses anglaises établies à Paris depuis le règne de Louis XIII, sans avoir jamais rien coûté à l'état, ni s'être écartées des conditions fixées pour

leur établissement il demanda et obtint le renvoi de détermination à prendre sur leur couvent aux comités ecclésiastiques et diplomatiques réunis.

Au mois d'août, l'Assemblée Constituante décide qu'il sera créé un tribunal de justice dans chaque district, sans désigner le lieu où ce tribunal sera fixé. Le Conseil général de la commune de Forcalquier demande aussitôt que ce siège lui soit attribué en remplacement de la sénéchaussée supprimée.

Le 20 août. le courrier apporte une nouvelle désastreuse pour notre ville. On apprend, en effet, que le tribunal du district siégera à Manosque. Le Conseil général délègue auprès de l'Assemblée Constituante, Maïsse, avocat, procureur syndic et Béraud, lieutenant général de la sénéchaussée, pour revendiquer les droits acquis depuis plus de trois siècles. Balthazar Bouche et d'Eymar, députés de Forcalquier, rivalisent d'activité et de zèle pour assurer à leur ville, le tribunal de justice, mais malgré d'énergiques protestations, leurs efforts furent vains.

Les premiers jours du mois de décembre, d'Eymar, qui avait épouse franchement les doctrines de Rousseau, adresse aux membres de l'Assemblée une motion imprimée proposant de rendre à Jean-Jacques les honneurs dus aux grands hommes et d'assurer à sa

veuve le bénéfice d'une pension annuelle. La plus grande partie de la séance du 21 décembre 1790, fut consacrée à cette discussion.

Barrère de Vieuzac, parla le premier des honneurs à rendre à Jean-Jacques; puis il proposa de faire une pension de six-cents livres, à sa veuve. D'Eymar prit ensuite la parole et déposa le projet suivant: L'Assemblée Nationale, voulant rendre hommage solennel à la mémoire de Jean-Jacques Rousseau, et lui donner, dans la personne de sa veuve, un témoignage éclatant de la reconnaissance que lui doit la Nation française, a décrété et décrète ce qui suit : Article premier Il sera élevé à l'auteur d' Emile et du Contrat social une statue portant cette inscription : La Nation Française libre à Jean-Jacques Rousseau. Sur le piédestal sera gravée la devise: Vitam

impendere vero, Article deuxième – Marie Thérèse Levasseur, veuve de Jean-Jacques Rousseau, sera nourrie aux dépens de l'Etat. A cet effet il lui sera payé annuellement, des fonds du Trésor public, une somme de douze cents livres.

L'Assemblée retentit d'applaudissements nombreux et réitérés. Le projet de décret fut sur le champ, mis aux voix et adopté. Le 2 février 1791, d'Eymar protesta hautement et avec indignation contre l'inscription de son nom sur une liste imprimée des membres du club dit monarchique.

Le samedi 27 août, deux députations, composées l'une de gens de lettres et de citoyens de Paris, l'autre d'habitants de Montmorency, réclamèrent à la barre de l'Assemblée Nationale, l'exécution du décret du 21 décembre 1790, et demandèrent si les honneurs rendus

Jean-Jacques Rousseau, seraient moindres que ceux qu'avaient obtenus Mirabeau et Voltaire, et firent remarquer que Jean-Jacques devait être considéré comme « le premier fondateur de la Constitution française. »

Le président Victor de Broglie, invita les deux députations aux honneurs de la séance et déclara que l'Assemblée prendrait leur demande en considération. D'Eymar monte ensuite à la tribune et fit l'historique des difficultés qu'avaient rencontrées la mise au concourt de la statue de Rousseau, après avoir insisté sur les titres du philosophe et de l'écrivain aux honneurs du Panthéon, il déposa ce décret :

« L'Assemblée nationale décrète que Jean.Jacques Rousseau est digne de recevoir les honneurs décernés aux grands hommes et qu'en conséquence ses cendres seront transférées au Panthéon français. Elle charge le Directoire du département de Paris de l'exécution de cette partie du décret qu'elle rendit le 21 décembre 1790 portant qu'il sera élevé à l'auteur d' Emile et du Contrat Social , une statue avec cette inscription : la nation française libre à Jean-Jacques Rousseau .

L'assemblée salua des plus vifs applaudissements le discours et la motion du député d'Eymar. Rarement on avait entendu une voix plus sympathique, une parole plus correcte et plus ardente. La Convention Nationale nomma d'Eymar, en avril 1793, Commissaire de la République à l'armée d'Italie, chargé par le Pouvoir Exécutif de la surveillance secrète des opérations de l'armée des Alpes.

Au mois d'Août il remplissait les fonctions de résident à Gênes, où il essaya de sauver le général Brunet, originaire de Manosque, dénoncé par Barras et Fréron, représentants du peuple, soupçonné d'intelligence avec les fédéralistes de Marseille et de Toulon. (1) Il fut nommé ensuite ministre plénipotentiaire à Malte.

Pendant les jours sombres de la Terreur , le comte d'Eymar, refusa de tendre la main aux terroristes qui l'avaient envoyé devant le tribunal révolutionnaire,

 

(1) D'Eymar fut envoyé à Malte par le Pouvoir Exécutif,le 29 juin 1793 en qualité de ministre plénipotentiaire de la République , en remplacement du Chevalier de Seytres-Caumont. Tout en protestant de sa neutralité,le Grand-Maitre de l'Ordre avait refusé de reconnaître la République D'Eymar qui se trouvait alors à Gênes,ne put s'embarquer à cause des croisières anglaises qui visitaient rigoureusement tous les navires entrant dans le port. .Il fut rappelté le 6 frimaire an II (26 novembre 1793) ; D'Eymar était particulièrement chargé d'empecher l'Ordre de Malte de livrer l'île aux Anglais.

 

et vécut à l'écart, mais doué d'un physique et d'un courage rares, il sauva maints prêtres insermentés. On se souviendra toujours de l'ardeur qu'il déploya, à ce

moment aussi critique, et du désintéressement avec lequel il servait tous ceux qui avaient besoin de lui. Peu de citoyens ont sauvé la vie, à cette époque, à

autant de proscrits et soulagé tant d'infortunes, toujours au détriment de sa fortune et au péril de son existence. Il écrivit dans son magnifique château de

Fougères : Les amusements de ma solitude , mélanges de poésies, qu'il édita, en deux volumes, à Paris, en 1802.

Le neuf thermidor vit tomber Robespierre. Cette chute ramena d'Eymar à la vie politique. Le gouvernement du Directoire le nomma ambassadeur

de la République Française à Turin. Il rendit dans ce poste de grands services il découvrit notamment l'existence d'un traité secret que le roi de Sardaigne avait passé avec les puissances ennemies de la France , et en arracha l'aveu complet aux ministres de ce monarque qui dut quitter le Piémont et se réfugier en Sardaigne.

Lors de l'expédition militaire dans la Haute-Italie , après la victoire de Lodi qui donnait la Lombardie à la République , enlevait au Piémont la Savoie et

Nice, et remettait les places fortes de cette région au pouvoir de l'armée française, le jeune général Bonaparte faisait son entrée solennelle à Milan, ayant à ses

côte: l'ambassadeur comte d'Eymar, qui l'aida puissamment ensuite à l'accord d'un armistice, aux préliminaires de paix dictés à Léoben, lesquels permirent le 17 octobre 1797, à signer, avec l'Autriche, le glorieux traité de Campo-Formio.

Pendant son séjour à Turin, il fut lié d'une étroite amitié avec Viotti et publia sur ce célèbre violoniste piémontais Des Anecdotes précédées de réflexions sur l'expression en musique qu'il fit imprimer à Milan. Voici une de ces anecdotes que je suis heureux de vous faire lire : « Un jour de fête à la Cour , Viotti doit exécuter à Versailles un nouveau concerto de sa composition. On brûle d'impatience de l'entendre. L'heure arrive, mille bougies éclairaient le salon de musique de la Reine , les plus habiles symphonistes de la chapelle et des théâtres de Paris, mandés pour le service de leur Majesté, sont assis devant les pupitres

où les parties sont distribuées. La Reine , les Princes, Mesdames et toutes les personnes de leur Cour arrivent, et le concert commence. Les exécutants, au milieu desquels on distingue Viotti, reçoivent de lui le mouvement, et paraissent tous animés du même esprit. La symphonie marche avec tout le feu et toute l'expression de celui qui l'a conçue et qui la dirige. A la fin du tutti, l'enthousiasme est à son comble. Mais l'étiquette défend et arrête les applaudissements. Le silence se fait à l'orchestre. Dans le salon il semble que chacun soit averti, par ce silence même, de respirer plus doucement encore, pour mieux entendre le solo qui va commencer. La corde frémissante sous l'archet fier et brillant de Viotti, a déjà fait entendre quelques accents, lorsque tout-à-coup, il se fait un grand bruit dans la pièce voisine : Place à Monseigneur le comte d'Artois ! C'est ce prince, en effet, qui arrive, précédé de valets de pied, portant des flambeaux et accompagné d'une suite nombreuse. Les deux battants de la porte s'ouvrent et le concert est interrompu. La symphonie recommence un moment après Silence ! Viotti va se faire entendre. Cependant le comte d'Artois ne peut rester en place, il se lève, il marche dans le salon, adresse assez haut la parole à quelques dames. Alors Viotti met son violon sous son bras, plie son cahier et sort, laissant là le concert, Sa Majesté et Son Altesse Royale, au grand scandale de tous les spectateurs.

On n'a jamais bien su, ajoute-t-il, quelles furent les raisons qui, peu de temps après cette aventure, déterminèrent Viotti à ne plus se faire entendre en public ceux qui ont connu son caractère savent qu'il dédaignait les applaudissements de la multitude parce qu'elle les accorde indistinctement à la supériorité du talent et à la médiocrité présomptueuse.

Bonaparte, premier consul, appela d'Eymar le onze ventôse An VIII, à la préfecture du Léman, où il manifesta une admiration profonde pour Voltaire, en

lui faisant élever une statue à Genève.

Il connut, dans cette ville, l'illustre minéralogiste Gratet de Dolomieu, qui fit partie de l'expédition scientifique d'Egypte, fut son ami et accompagna plusieurs fois, ce savant géologue dans ses excursions alpestres, dans les massifs de la Chartreuse , de Belledonne et du Pelvoux, en Dauphiné. Il publia d'ailleurs : Une Notice historique sur la vie et les écrits de Dolomieu. (1)

 

(1) D'Eymar fut l'ami de Jean.Baptiste.André Monjallard, curé de Bayols, né à Simiane le 9 février 1740, qui fut élu député par le clergé de la sénéchaussée de Toulon et preta, dans la séance 28 décembre 1790, le serment civique et religieux en conformité du décret du 27 novembre. Mais Monjallard revint bientôt aux opinions de la droite et désespéré de son attitude précédente, il se jeta par la fenêtre de son autel, le 18 août 1791, et mourut après trois quarts d'heure d'atroce souffrance.

 

Le Comte d'Eymar se montra, en toute circonstance, un administrateur éclairé, intègre, fut associé honoraire de l'Athénée de Lyon et membre de la Société des Arts et des Sciences de Grenoble.

Il mourut à son poste, à Genève, après une courte maladie, le 11 janvier1803, à l'âge de 55 ans 5 mois. Thomas, de l'Académie française, lui a adressé des

vers qui figurent dans l' Almanach des muses . Le comte d'Eymar (1) fut un écrivain charmant plein de grâce et de sensibilité, c'était aussi un homme du monde par excellence, un ami sûr, généreux, il protégea les Lettres, les Sciences, les Arts, et résuma cette intellectuelle famille d'Eymar, qui avait donné à la ville de Forcalquier des notaires, des avocats et des conseillers à la Cour royale et à la sénéchaussée, des chanoines au chapitre concathédral Saint-Mary, deux viguiers, quinze consuls ou maires et trois députes, où les femmes même cultivaient les lettres, comme leurs héritières les de Sébastianne, les encourageaient par l'hospitalité charmante qu'elles accordèrent, pendant de nombreuses années, à notre Athénée littéraire et scientifique, cette modeste société qui vit épanouir le 6 novembre 1876, la première école félibréenne.

(1) Le Vachez, éditeur autorisé par l'Assemblée nationale, publia le portrait du comte d'Eymar.

 

Cyprien BERNARD.

Athénée de Forcalquier, 1905.

Texte numérisé par J.P. Audibert