ESSAI
SUR
L'HISTOIRE DE DIGNE
PENDANT
LES TROUBLES DE LA LIGUE.
1589—1595.
Par Firmin GUICHARD.
DIGNE
1844
Les dernières années du XVie siècle ont été des années néfastes pour la ville de Digne. On se figurerait difficilement tout ce que nos pères ont souffert pendant ces temps désastreux, si les archives de la commune n'en conservaient des preuves irrécusables.(1)
(1) Nous avons recueilli tout ce qu'il a été possible de retrouver. Malheureusement les registres des délibérations de la communauté sont incomplets pour cette époque intéressante. Nous avons pu suivre pas à pas, et presque jour par jour, tout ce qui s'est fait à Digne depuis la fin du mois de septembre 1589 jusqu'au 7 octobre 1590.Mais à partir de cette dernière époque, il y a dans nos registres une lacune qu'il nous a été impossible de combler. On ne retrouve plus de délibérations du conseil jusqu'au mois de décembre 1591, après la prise de la ville par La Valette et Lesdiguières. Le cahier des délibérations du 25 mars 1593 jusqu'au 25 mars 1594 manque également.A partir du 25 mars 1594 , les années 1594,1595, 1596 et1597sont assez complètes. Seulement, la dernière délibération de 1597 est tronquée par la perte d'une ou plusieurs pages, et là commence une nouvelle lacune qui va jusqu'au 25 mars 1599. Le reste de l'année 1599, et les années 1600, 1601,1602et 1603 se retrouvent en entier.
Ces preuves, nous les avons recueillies à grand'peine, et nous allons essayer
de faire connaître à nos concitoyens une des
périodes les plus dramatiques de l'histoire de
notre pays.
Les événements que nous avons à raconter remontent
aux derniers jours du mois de septembre
de l'année 1589. La Provence était en feu :
les partis qui, à cette époque, divisaient la France
entière, s'y agitaient dans tous les sens: une
surexcitation extraordinaire tenait toutes les
populations dans une attente et une anxiété
indéfinissables.
Henri III, le dernier des Valois, était tombé,
le 1er août, sous le poignard d'un assassin, et
la Ligue toute-puissante avait, à Paris, proclamé
roi de France le vieux cardinal duc de Bourbon. Les ligueurs provençaux n'étaient pas restés
en arrière: De Vins et le comte de Carces
s'étaient mis à leur tête , et pendant qne La Valette
et le parlement royal, retirés à Pertuis,
fulminaient inutilement contre la Ligue, le parlement
rebelle, installé àAix, correspondait
avec le duc de Mayenne, enregistrait solennellement
les lettres qu'il en recevait, et rendait un
arrêt par lequel il déclarait le duc de La Valette
déchu de ses fonctions de gouverneur, et lançait
contre lui et tous ceux qu'il appelait ses
adhérents un décret de prise de corps.
Des succès mililaires remportés par de Vins
n'avaient pas peu contribué à enflammer le courage
des ligueurs : il avait successivement forcé
et repris sur l'armée royale les villes de Lambesc,
de Bouc et d'Aubagne , et songeait à étendre
ses conquêtes.
La ville de Digne, qui trois fois avait été pillée
par les calvinistes (1), et qui, par un sentiment de réaction bien naturel, partageait alors le
zèle et l'enthousiasme de leurs ennemis les plus
ardents, attira bientôt leurs regards. C'était
d'ailleurs une position favorable, qui assurait aux
ligueurs des communications faciles avec l'Italie.
(1) Gassendi parle de quatre irruptions contre l'Église Notre- Dame.
On résolut de s'en emparer. Les habitants de Digne furent prévenus des projets des ligueurs dans les premiers jours du mois d'octobre. Ils avaient alors pour consuls Balthasard Roux (1) , greffier criminel près la cour de parlement, noble Clement Gaudin, appartenant à une ancienne famille de la ville, et Jehan Amène, un des artisans les plus aisés, tous les trois d'opinion calme et modérée, et représentant assez fidèlement l'opinion générale de la cité. On se fait sans peine une idée de l'incertitude dans laquelle devaient se trouver à cette époque les bons habitants de la ville de Digne, d'un naturel profondément apathique, et toujours prêts, pour éviter de se prononcer, à s'incliner sous le joug qu'une main hardie voudra leur imposer.
(1) Le greffier Balthazard Roux était un des hommes les plus riches de la ville: il avait la cote cadastrale la plus forte; ses nombreuses propriétés (nous en avons compté jusqu'à dix-sept ou dix-huit) étaient évaluées dans le livre terrier de 1604, à 32,000 florins environ. Mais Balthazard Roux était un homme faible et pusillanime. Au moment de l'occupation de la ville par les ligueurs, il était premier consul. La peur s'empara de lui, et il manifesta son intention d'abandonner son poste. Le conseil, qui en fut informé, prit une délibération par laquelle il enjoignait aux consuls de ne pas sortir de la ville; mais dès le lendemain, Balthazard Roux était en route pour la ville d'Aix. En 1591, lors du siège de la ville par La Valette et Lesdiguières, il prit de nouveau la fuite; ce dont La Valette lui garda rancune.
Ils se trouvaient en présence des prétentions respectives de deux rois, dont l'un catholique et l'autre protestant, et de deux parlements, dont l'un siégeait à Aix, et l'autre à Pertuis. Jusqu'alors la ville avait obéi à M. de La Valette, gouverneur du roi en Provence ; mais il venait d'être déclaré , par le parlement siégeant à Aix, décliu de son gouvernement ; il n'était plus que le représentant d'un prince soutenu par les calvinistes; et ces graves considérations la faisaient hésiter. D'un autre côté, un grand nombre de villages environnants s'était déjà soumis au parti de la Ligue, qui régnait en souveraine à Lurs, à Gaubert, à Puimichel, à Beauvezer et dans plusieurs autres lieux. Toutefois, la plus grande partie des habitants ne se prononçait pas encore: le fort de l'évêché était occupé par les troupes de La Valette; les officiers royaux ne reconnaissaient que lui, et la ville , qui n'était préoccupée que des dangers d'un nouveau siège et d'un nouveau pillage, acceptait comme toujours le gouvernement de fait. Un conseil général fut assemblé, et, sous son inspiration , les consuls prirent des mesures pour assurer la paix et la tranquillité, et prévenir au besoin une surprise de la part des ennemis. Une garde fut organisée : des escouades furent formées, et à la tête de chacune d'elles furent placés les hommes les plus éclairés et les plus riches, qui par conséquent étaient le plus intéressés à la tranquillité publique. Tous ceux qui étaient désignés pour monter la garde devaient obéir, sous peine d'une amende appliquée par le lieutenant de viguier ; et tous les habitants devaient la monter à leur tour ou se faire suppléer par un homme capable et parfaitement armé. La surveillance de cette garde devait être sévèrement exercée par des sergents nommés par les consuls, et tenus de rester exactement à leur poste pendant la nuit, sinon ils devaient être cassés et remplacés par d'autres. En même temps on fit défense expresse de faire des courses dans les environs et d'en rapporter du butin, soit par violence, soit à prix d'argent, à peine de confiscation et de poursuites devant le juge. Les consuls , qui n'étaient pas hommes de parti, voulaient rester neutres, et ne donner à personne un prétexte de les attaquer. Au milieu de ces préparatifs de défense, arrive une lettre des procureurs du pays, datée de Brignoles, du 25 septembre précédent, pour qu'un des consuls soit délégué par le conseil à une assemblée générale des états que La Valette avait convoquée à Pertuis pour le 8 octobre. La position devenait délicate : il fallait se prononcer pour un parti ou pour l'autre. Et la ville de Digne ne le voulait pas plus que ses consuls. La question fut débattue dans un conseil composé de vingt-huit membres. Et il fut décidé que les consuls enverraient un exprès à M. de La Valette et aux procureurs du pays, pour leur exposer que l'état des routes, encombrées de gens de guerre et d'aventuriers qui rançonnaient les voyageurs, ne permettait ni aux consuls, ni à aucune personne de qualité, de s'exposer à des dangers inévitables. Mauvaise excuse qui dût prouver à La Valette qu'il ne devait guères compter sur la fidélité et le dévouement de la ville de Digne. Cependant les mouvements de troupes devenaient tous les jours plus fréquents; toutes les villes, tous les villages environnants songeaient à leur défense, des bruits sinistres étaient répandus. D'un autre côlé, les partisans les plus exaltés de la ligue s'agitaient hautement ; les mots de saccagement el de pillage se murmuraient à voix basse: la crainte et la terreur s'emparaient de tous les esprits. Au milieu du désordre qui naissait de cet état d'agitation, la garde était mal faite et les consuls avaient de la peine à se faire obéir: les riches ne voulaient pas payer de leurs personnes, et les pauvres se plaignaient de se trouver tout seuls. Le conseil, instruit de ce qui se passait, prit des mesures plus énergiques. Les consuls furent chargés de dresser un rôle de deux cent-dix personnes, aptes à faire ce service et intéressées au maintien du bon ordre. Chaque personne ainsi désignée recevait un écu par mois, à titre d'indemnité. Les escouades étaient composées de dix hommes, munis d'arquebuses et des munitions nécessaires ; deux d'entr'elles étaient successivement postées aux deux principales portes de la ville, pour y faire une garde sévère et de nuit et de jour. Tous les habitants compris dans les escouades devaient faire leur service en personne, à moins d'excuse dûment justifiée. Enfin comme ce qui manquait surtout à cette garde, c'était une surveillance active et une direction ferme et sûre, on nomma un capitaine pour la commander. Le choix du conseil s'arrêta sur André Amalric, l'un des hommes qui avaient donné le plus de preuves de dévouement à la ville, et qui joignait à un ardent patriotisme un jugement sain et un caractère élevé. C'est sur ces entrefaites que le duc de la Valette, inquiet sur les dispositions de la ville de Digne, envoya le sieur des Crottes avec deux compagnies, dont une d'hommes à cheval et l'autre d'hommes à pied, pour renforcer la garnison de Digne, et opposer une résistance réelle aux troupes des ligueurs. Des Crottes, accompagné de son frère, arriva aux portes de la ville , le 10 octobre dans l'après-midi. Il demanda à faire son entrée , et présenta une lettre de M. de La Valette, datée de Pertuis, du 7 octobre, par laquelle le gouverneur royal enjoignait aux consuls de le recevoir avec ses deux compagnies. Les consuls voulaient obéir à M. de La Valette. Mais alors s'élevèrent les réclamations des partisans de la ligue. C'était une question grave qui devait être soumise à un conseil, et quoique la journée fût déjà fort avancée, quoique le temps pressât, on assembla à la hâte le conseil de la communauté. Là, une ardente discussion dût s'ouvrir : il n'en reste malheureusement aucune trace ; mais l'exaltation des esprits était au comble: les ligueurs élevaient la voix, et il était probable qu'on allait prendre une détermination décisive. Aussi le lieutenant de viguier, en voyant tant de fermentation , se crut obligé tout d'abord, dès l'ouverture de la séance, de protester d'avance contre toutes les résolutions qui pourraient être prises contre le service du roi et contre M. de La Valette, qui commandait pour lui. Néanmoins, malgré les efforts du lieutenant de viguier, M Pierre Sossy, du Procureur du roi et du receveur, tous officiers royaux, présents au conseil; malgré les dispositions favorables des consuls, et d'un assez grand nombre de conseillers notables, sans compter ceux qui s'étaient prudemment tenus à 1 écarta le conseil ne voulut pas laisser entrer dans la ville l'envoyé de La Valette et ses soldats. Mais, toujours fidèle à son système d'hésitation et de crainte, il ne voulut pas se prononcer entièrement, et il ordonna qu'on enverrait supplier Mgr. de La Valette de ne pas surcharger la ville d'une garnison plus forte que celle qu'elle était déjà obligée d'entretenir, et de lui conserver M. de Signac, qui occupait le fort de l'Évêché, qui était tout dévoué au service du roi et de Mgr. de La Valette, et qui avait su s'attirer l'affection des habitants de la ville de Digne. Cette décision du conseil fut immédiatement notifiée au sieur des Crottes et à son frère, et ils furent obligés de chercher dans les environs un gîte pour leurs deux compagnies, qui ne durent se retirer qu'à contre-coeur. Le conseil, en refusant de recevoir l'envoyé de La Valette, venait de se prononcer indirectement pour la Ligue, dont les troupes s'avançaient, au reste, à marches précipitées. Én effet, dès le 14, jour de samedi, la ville de Digne se trouva cernée par des troupes envoyées de Sisteron. L'évêque de cette ville, ardent ligueur, cantonné dans son château de Lurs, avait levé des compagnies de gens de guerre, qu'il tenait à la disposition de de Vins et du comte de Carces. Sous la conduite du capitaine Fabri, elles vinrent mettre le siège devant la ville de Digne (1). Ces troupes restèrent toute la nuit du samedi et une partie du dimanche aux environs de la ville, et firent des dégâts dans les champs qui l'entouraient, suite inévitable de l'invasion d'une armée. (2) Dès leur arrivée, sommation fut faite à M. de Signac, qui défendait le fort de l'Évêché, de mettre bas les armes et de rendre le fort aux troupes de la Ligue.
(1) La compagnie du capitaine Fabri et aultres qui vinrent à Digne le dimanche quinziesme de ce moys pour prendre le fort de l'Evesche dudit Digne et en fere sortir le capitaine Signac et sa compagnie qui y estaient dedanspar commissionde Monseigneur de La Valete (Reg. des délib. , 23 octobre 1689).
(2) Le conseilh a délibéré que M. Debesieux et aultres qui prétendent recompanse de la folle quils ont souffert feront voir et estimer leurs domaiges et interest. Lesdites compagnies auroyent demeuretoute la nuit et jusques audictjour de dimanche après disner, dans la bastide de MeAmbroyse Debesieux, advocat au siège (Ibid).
M. de Signac était dans une position
assez bonne: le fort de l'Évêché, bâti sur le
rocher où sont aujourd'hui les prisons départementales
, était entouré de rochers à pic difficilement
abordables : il pouvait faire une résistance
qui eût embarrassé les assiégeants. Mais la présence des troupes envoyées par de
Vins avait ranimé la confiance des quelques
ligueurs plus énergiques qui se trouvaient dans
la ville de Digne. On fit sonner bien haut les
désordres qu'entraînerait un siège, et on frappa
d'épouvante tous ceux qui eussent désiré rester
dans une neutralité complète. Pendant la nuit du
samedi au dimanche, quelques exaltés firent
entrer par une maison dont une porte donnait
sur les remparts, une partie des troupes ennemies:
les soldats ligueurs eurent bientôt envahi
les principaux quartiers de la ville, et tous les habitants, partisans ou non de la Ligue, durent
se soumettre à la nouvelle autorité qui allait peser
sur eux.
Une fois la ville ainsi occupée, que pouvait
faire M. de Signac renfermé dans le fort de l'Évêché,
avec quelques hommes qui devaient sentir
leur impuissance? D'ailleurs bientôt les principaux
habitants, qui ne voulaient pas d'une lutte,
dont les suites ne pouvaient retomber que sur
eux, s'interposèrent entre le défenseur du fort et
les assiégeants. Une composition eut lieu, par
laquelle il fut permis à M. de Signac de sortir
du fort et de la ville avec tous ses compagnons
d'armes.
La sortie de M. de Signac s'opéra dans la matinée
du dimanche, et les troupes commandées par
le capitaine Fabri prirent immédiatement possession
du fort de l'Évêché. Dès le dimanche au soir, la ville se trouva
encombrée de gens de guerre auxquels elle fut
obligée de fournir vivres et logis. C'était la compagnie
Fabri, c'étaient les compagnies de gens à
pied de MM. de Fallot, de la Bardonenche,
Meynier et Chalubeyron.
Les jours suivants de nouvelles troupes arrivèrent
encore, et la ville fut obligée de recevoir
successivement les compagnies de gens à pied de
MM. Sicard et Bremond, et les compagnies de
chevaux légers de MM. Dampus et de Bezaudun,
ce qui formait un total de neuf cents hommes
euviron et de deux cents chevaux. M. Balthazard Dampus, qui arriva le dernier, était un des
ligueurs : il était un des partisans les plus exaltés
du parti, et il arrivait muni des pouvoirs de de
Vins et du comte de Carces.
Dès le 22, M. Balthazard Dampus voulut faire
reconnaître par les habitants de Digne la royauté
du duc de Bourbon. Le même jour fut convoqué
un conseil général qu'il présida lui-même.
Soixante-six chefs de famille y assistèrent, et tous
en masse, sur sa proposition, déclarèrent que
les habitants de la ville de Digne voulaient et
entendaient être toujours les fidèles sujets et
serviteurs de Sa Majesté Charles X, et continuer
à se dévouer à l'avenir, comme par le passé,
au service de leur Roi, promettant de s'opposer de toutes leurs forces et moyens aux ennemis de
Sa Majesté, et ce, sous l'obligation de leurs personnes
et de leurs biens, ce qu'ils ont tous promis
et juré. La ville de Digne respirait : elle avait vu sortir,
sans effusion de sang, les troupes de La Valette;
le pillage et les désordres qu'elle redoutait tant
n'avaient pas eu lieu; elle était heureuse d'avoir
reçu dans son sein les ligueurs avec lesquels elle
sympathisait. Aussi, le lendemain 23, un nouveau
conseil s'étant assemblé , on crut devoir
revenir sur la déclaration de la veille, et d'abondance,
spontanément, on renouvela les protestations
de fidélité et de dévouement à Charles X,
que M. Dampus avait provoquées la première
fois.
Cependant, quoique la majorité des habitants
se fût prononcée pour la Ligue, il y avait ça et là
des hommes qui désapprouvaient ce qui avait été
fait. Les uns gardaient un silence prudent ; d'autres
croyaient devoir se soustraire par la fuite à
ce qu'ils considéraient comme une tyrannie, et dans la crainte peut-être d'une réaction possible,
poussés par un sentiment de terreur, abandonnaient
leur famille et leur cité en attendant des
jours meilleurs.
Tous les officiers royaux étaient sortis de la
ville: un grand nombre d'habitants aisés avaient
suivi leur exemple (1); le premier consul lui-même,
Balthazard Roux, n'avait pas eu le courage de
rester à son poste, et s'était réfugié à Aix, malgré
les injonctions contraires du conseil. (2
)
(1) Davantaige de les suplier de permetre que les magistralz, officierset aultres de ladicte ville qui seu sont absautez a loccasion des troubles sy puissent retirer en toute seurete et asseurance de leurs personnes et biens, sans permetre que leur soyt faict aucun tort ni desplaisir ni a aulcuns aultres habitants de ladicte ville (Reg. des délib. , 22 octobre 1589).
(2) Que Messieurs les consulz ne bougeront et ne s'absanteront aulcunement de ladicte ville pour aler dehors pour quelques afferesque puyssent survenir afinde prouvoyr à tout ce que sera de besoin tant pour la conservacion de ladicte ville que aultrement et pour éviter quils ne soyent faits prisonniers et pour eviter tous dangiers où ilz pourraient tumber et metre la ville en desordre (Reg. des délib. , 15novembre 1589). Toutesffoys qu'il (M. le greffier Balthazard Houx) ne demeurera poinct à ladicte ville dAix aux despens de ladicte communaulte, veu quil y est aIle de son propre mouvement pour ses afferes particulières ayant abandonne la ville contre la deliberation du conseilh , par laquelle feust dict que lesdits consulz ne se absantcroyentaulcuneinent de ladicte , pour quelques afferes que peuvent survenir (Reg. des tlélib,. 30 décembre 1589
Toutefois, au milieu de ces dissentiments, tous s'accordaient sur un point, tous appelaient de leurs voeux le rétablissement de l'ordre et de la paix. Ils comprenaient que Digne ne pouvait pas jouer un rôle de ville de parti, ils savaient par expérience que leurs fortifications, que leur forteresse de l'Évêché notamment, étaient la cause pour laquelle on se ruait sur eux, et dans leur bon sens instinctif, nos pères, le lendemain d'une soumission que le plus grand nombre d'entr'eux regardait comme avantageuse, demandaient comme une grâce la démolition du fort de l'Évêché. Après s'être assuré de l'obéissance et des bonnes dispositions de la ville. M. Dampus en repartit, non sans avoir fait aux habitants de pompeuses promesses. Il eut soin cependant de laisser pour sa garde six compagnies d'hommes d'armes à pied ou à cheval. confia au capitaine Fabri, commandant de la compagnie de l'Evêque de Sisteron , le commandement de la place, et mit sous ses ordres les compagnies des capitaines de Fallot, de la Bardonenche, Bremond, Champorcin et Sicard. Il serait curieux de suivre pas à pas l'histoire de Digne pendant l'occupation des ligueurs, occupation qui, du 15 octobre 1589, se prolongea jusqu'au 4 novembre 1591. Il y aurait tout un livre à faire sur cette période intéressante ; mais nous devons nous borner ici à résumer brièvement les faits les plus saillants : ils suffiront pour faire apprécier la triste situation de notre pays pendant ces deux longues années. Après le départ de M. Dampus, Digne se trouva sous le joug de l'autorité militaire, joug d'autant plus lourd et plus fatigant, que les hommes qui en étaient investis joignaient à une exaltation fébrile la grossièreté de ceux qui ne se créent que par leur audace au milieu des guerres civiles une position pour laquelle ils ne sont pas faits. Le capitaine Fabri traita la ville en pays conquis. Il avait puur mission de la défendre et de la conserver au parti auquel il était dévoué. Il voulut remplir sa mission sans ménagements, sans égards pour les habitants d'une ville déjà si malheureuse. Les fortifications tombaient de vétusté ; les murailles, les forts, les bastions étaient en ruines : de grands travaux lui paraissaient nécessaires. De sa pleine autorité, sans consulter les magistrats municipaux, sans s'inquiéter de l'état des ressources financières de la commune, il les fit exécuter aux frais et dépens des habitants. Le conseil réclama, il s'adressa aux procureurs du pays et au parlement séant à Aix; il implora la protection de Monseigneur de Vins. Mais le capitaine Fabri n'en tint aucun compte, et la ville fut bien obligée de se soumettre et de payer. Si l'on ajoute à ces dépenses de fortifications celles qu'entraînaient la nourriture et l'entretien des six compagnies , qui formaient un total de six à sept cents hommes; si l'on pense aux difficultés que la ville devait éprouver pour se faire rembourser de ses avances par le pays , dans ces temps de trouble et de discorde, on aura une idée, quoique bien faible encore, des tribulations que nos pères durent essuyer. C'est alors que la ville , pour échapper aux exigences sans cesse renaissantes de l'autorité militaire , demanda un gouverneur1, qui lui fut immédiatement accordé. La demande du conseil parvint aux procureurs du pays dans les derniers jours de décembre 1589; le 30 du même mois, M. de Saint-Jeannet était nommé, et le 3 janvier 1590, il faisait son entrée dans la ville avec la compagnie de Jehan Roman dit Visson. Les habitants de Digne croyaient éviter avec ce nouveau magistrat, toutes les tracasseries que l'autorité militaire leur avait fait subir : ils n'eurent qu'un maître de plus. Il fallut pourvoir à son traitement et lui donner un logement convenable. M. de Saint-Jeannet n'était ni moins exigeant, ni moins difficile que le capitaine Fabri, et de là des luttes de tous les jours et à propos des motifs les plus insignifiants. La ville n'avait point de logement à lui offrir, et elle lui en avait désigné un chez un habitant de la ville. M. de Saint-Jeannet ne voulut pas l'accepter. Le conseil prit alors une délibération par laquelle il fut ordonné que M. de Saint-Jeannet serait logé successivement chez tous les habitants aisés, qui seraient tenus de le recevoir chez eux de vingt en vingt jours. Quelques jours après l'arrivée de son gouverneur, le 14 du mois de janvier, la ville de Digne reçut la visite du comte de Carces, accompagné de M. Agar, conseiller du parlement, de Balthazar Dampus, de tout son cortége d'officiers et de plus de vingt compagnies de gens d'armes. Nouvelle source de dépenses, nouvelle source d'embarras. Le comte de Carces avait succédé dans le commandement général des troupes à de Vins, tué le 20 novembre 1589 au siège de Grasse. Il avait appris que La Valette devait venir attaquer la ville de Digne, et il s'y était rendu pour la défendre. Il y resta cinq jours, du 14 au 19 janvier 1590 et n'en repartit que lorsqu'il se fut assuré que La Valette avait renoncé à ses projets. C'est pendant son séjour à Digne que le comte de Carces, voyant de ses propres yeux l'importance de la petite ville de Digne, au moment où les ligueurs venaient de faire alliance avec le duc de Savoie, inspira au gouverneur et aux ligueurs les plus influents de la ville, la pensée et le désir de la fortifier pour en faire un point de défense assuré. La ville, moitié séduite, moitié contrainte, fit venir d'Aix un ingénieur habile. Celui-ci se transporta sur les lieux, trouva que les fortifications existantes ne pouvaient pas suffire et dressa un nouveau plan qu'il soumit au conseil. Ce plan, qui embrassait une étendue considérable, devait entraîner des frais immenses. Les membres du conseil, chargés de l'examiner, et parmi lesquels se trouvaient les habitants les plus riches de la ville, n'eurent pas de peine à faire sentir au conseil que c'était un projet impraticable (1). Le gouverneur lui-même, sous l'inspiration duquel tout s'était fait, n'osa pas le soutenir, et dès ce moment on y renonça complètement.
(1) Les députés du conseil « disent et remonstrent quilz cougnoissent par ladicte désignation et trasse faicte a eulx par ledict engineur, que loeuvre dicelle fortification a leur advys est desy grand longueur et despence veu que icelluy engineur demande tous les jours quatre ou cinq cens hommes de travailh sans y comprandre les maistres massons et aultres mancuvres pour fere les murailhes nécessaires jusques a entiere perfection, qna peyne tout le pais y porroyt satisfaire , ne pouvant estre parachevée telle oeuvre dung grand long temps, aux fornitures de laquelle estant la commune dudict Digne et son vigueyrat si poure, est impossible de y pouvoyr fornyr; joinct que pour garder les susdicts tours, fortz, et bastions, fauldroyt employer et avoyr tousjours grand nombre de gens de guerre. Au moyende quoy leur advysest estre plus expediant a ladicte comune et son vigayrat fere fere et se fortifier de murailhes et fossesbons et larges au tour de ladicte ville et ez partz que sera treuve et cougneu plus nécessaire que entrer en la susdicte forfication, veu la longueur dicelle et impossibilitésusdicte (Rapport du 28 mars1590). »
Il était en effet difficile d'y songer en l'état
d'accablement et de détresse où Digne se trouvait.
La ville ne pouvait plus subvenir à ses
dépenses; depuis le 15 octobre 1589, elle était obligée de nourrir sept à huit cents hommes ;
pendant les fréquentes alertes qui étaient venues
l'effrayer, elle avait été obligée d'appeler à son
secours toutes les troupes en garnison dans les
villages environnants, à Courbons, à Gaubert,
au Brusquet; elle avait été visitée successivement
par les troupes de M. de la Martinengue et
de M. de Meyrargues. Tout cela lui avait occasionné
des dépenses énormes, et elle était arriérée
vis-à-vis de tous ses fournisseurs, qui ne
voulaient plus rien livrer sans argent.
Un jour les consuls furent obligés d'annoncer
au conseil que les bouchers, à qui il était dû plus
de neuf cents écus, ne voulaient plus fournir de
la viande aux soldats.
Les troupes exprimaient déjà leur mécontentement et menaçaient la ville
d'une sédition qui aurait pu avoir des suites
désastreuses. Le conseil n'hésita pas, il en prit
bravement son parti et ordonna aux consuls
d'aviser par le moyen des emprunts, pour éviter
des désordres qu'elle voulait prévenir à tout
prix.
Tous ces embarras financiers n'étaient rien
encore à côté des prétentions exagérées d'une
soldatesque indisciplinée; rien pour eux n'était
sacré, et le conseil rendait, mais en vain, ordonnances
sur ordonnances pour empêcher la dévastation
des récoltes et ordonner le respect des
propriétés.
D'un autre côté, l'exaltation des chefs militaires
avait jeté dans la population des germes
de division toujours déplorables. Elle était divisée
en catholiques et en bigarrats : les catholiques
étaient les partisans de la ligue; les bigarrats étaient ceux qui, sans être protestants, reconnaissaient pour roi Henri IV, prince calviniste.
Des menaces de mort se faisaient entendre contre
ces derniers, et sans la fermeté des principaux
chefs de famille de la ville, de graves désordres
eussent pu éclater.
Le capitaine André Amalric voulut mettre un
terme à ces propos malveillants. Il sut qu'on
l'avait traité hautement de bigarrat, qu'on l'avait
dit digne de la hart et de la corde, et que les
fanatiques du parti ligueur proclamaient que le
plus grand service qu'on pourrait rendre au pays
serait de le débarrasser des hommes tels que lui.
Amalric, en homme de coeur, voulut savoir à
quoi s'en tenir sur les dispositions du conseil. Il
n'hésita pas à se plaindre amèrement dans son
sein, des imputations dont il avait été l'objet; il
fit entendre à ses concitoyens le langage du
patriotisme et déclara qu'il sortirait du conseil,
si ceux qui avaient de semblables projets, et
qui ne craignaient pas de les exprimer, n'en
étaient pas immédiatement chassés. Cette conduite ferme et hardie en imposa aux
ligueurs : les têtes exaltées se trouvaient en très grande
minorité ; ceux auxquels s'adressaient les
paroles du capitaine Amalric dénièrent les propos
qui leur avaient été prêtés, et grâce à la contenance
pleine d'énergie des hommes de bien, la
tranquillité fut maintenue. C'est au milieu de ces embarras, de ces luttes
et de ces misères que s'écoulèrent les deux années
de l'occupation , ainsi qu'on les appela plus tard.
Enfin vers la fin du mois d'octobre 1591, les
troupes royales résolurent de reprendre sur les
ligueurs la ville de Digne, qui était pour le duc
de Savoie la clef de la Provence.
La Valette appela à son aide le duc de Lesdiguières.
Celui-ci s'empressa d'arriver, et entra
en Provence par la vallée de Barcelonnette. Il mit
le siège devant cette ville, qui obéissait au duc
de Savoie : elle se soumit et capitula. Il se mit
ensuite en marche vers la ville de Digne, sous
les murs de laquelle il devait trouver La Valette.
La Valette, de son côté, avait quitté Sisteron
avec toutes les troupes qu'il avait pu réunir; il
avait fait monter en pièces de campagne quatre
canons enlevés au fort de Sisteron, et il attendait
dans les environs de notre ville que Lesdiguières
parût.
Après avoir traversé la Bléone au-dessus de
Malijai, il remonta cette rivière et se trouva
devant le château de Gaubert, petit village à
deux kilomètres de Digne environ. Ce château
était défendu par le Sautaire, qui y était renfermé
avec vingt-trois hommes décidés à défendre
leur vie. Le Sautaire était de Barles : homme
grossier et sorti des derniers rangs de la société,
il avait inspiré de la confiance par son audace et son activité. On l'avait fait capitaine et on lui
avait donné le gouvernement de la place de Gaubert
: c'était un avant-poste destiné à protéger
la ville de Digne, et à lui prêter main forte au
besoin. Le Sautaire fit d'abord une vigoureuse
résistance, mais lorsque les canons de La Valette
eurent fait une large brèche aux murailles du
château, il songea à parlementer. Des propositions
furent faites au gouverneur; mais pendant
les pourparlers, quelques soldats de l'armée
royale parvinrent à s'introduire dans le village,
et le Sautaire et tous ses compagnons furent saisis
et garottés. Ces malheureux espéraient encore
que leur vainqueur accepterait les offres qu'ils
avaient faites la veille : D'Entraix, officier de La
Valette, leur en avait donné l'assurance; mais le
gouverneur était irrité de la résistance qu'on lui
avait opposée, il voulait effrayer par un exemple
terrible les habitants de la ville de Digne, il
resta inébranlable. Sautaire et ses vingt-trois
compagnons comparurent, pour la forme, devant
le prévôt; ils furent tous condamnés à mort,
à l'exception de deux, qui peut-être avaient des
amis, puis ils furent pendus aux arbres les plus
proches du village. C'est le 31 octobre que lut pris le château de
Gaubert (1), et qu'eut lieu l'exécution de Sautaire
et de ses soldats. Presque tous les historiens
provençaux qui ont écrit après Videl, le biographe
du héros dauphinois, ont voulu faire
assister Lesdiguières à ce siège; quelques-uns
même lui en ont donné toute la gloire, si gloire
il peut y avoir à ces exécutions sanglantes dont
le souvenir seul fait frémir.
(1) Nostradamus, Hist. et Chronique de Provence.
C'est une erreur évidente
pour ceux qui connaissent les localités.
Que La Valette ait attaqué Gaubert en venant
de Sisteron, on le comprend très-bien ; mais
on ne doit pas oublier que Lesdiguières descendait
en Provence par la vallée de Barcelonnette,
et que pour venir assiéger Gaubert, il eût été
obligé de laisser Digne derrière lui et de s'emparer,
avant de passer outre, de l'Église de
Notre-Dame du Bourg, qui lui aurait barré le
passage. Au reste, notre opinion se trouve conforme
au récit de Nostradamus, historien contemporain,
et à celle d'Antoine Puget, sieur de
Saint-Marc, qui rapporte les faits dont il avait
été le témoin oculaire. L'opinion de Bouche et
de Papon, évidemment calquée sur l'histoire de
Videl ne pouvait pas nous arrêter, et celle de ce dernier historien s'expliquait parfaitement par
l'intérêt qu'un héros inspire toujours à celui qui
veut raconter ses exploits et ses vertus. Une seule
chose nous embarrassait, c'était l'opinion de Du
Virailh ; mais en lisant attentivement son récit,
nous avons bien vite acquis la conviction qu'il
ne se trouvait ni au siège de Gaubert, ni au siège
de Digne.
Lors donc que La Valette se fut emparé de ce
château, qui devenait pour son armée un point
d'appui inappréciable, il entoura la ville de Digne.
Lesdiguières, de son côté, était arrivé au
Brusquet : c'était dans les premiers jours du
mois de novembre, et dans les deux camps on
s'apprêta à faire une vigoureuse attaque.
La ville de Digne, elle aussi, avait fait ses
préparatifs de défense. Quoique la masse de ses
habitants fût fatiguée de la domination des
ligueurs, elle était forcée d'obéir à son gouverneur,
et de subir l'influence de quelques fanatiques
qui entraînaient la partie flottante et irrésolue
du conseil.
Un petit fort situé sur une hauteur qui domine
la ville, avait été réparé, et des hommes bien
décidés avaient reçu mission de le défendre. (1)
(1) Yidel. Ce petit fort était sans doute la chapelle Saint-Vincent,
qu'on avait fait fortifier pour résister aux ennemis. Cette chapelle,
dont les murailles subsistent encore, pouvait très bien
être appropriée à cette destination. Bâtie en fortes pierres
de taille, elle pouvait résister aux efforts des assiégeants. Elle
dominait d'ailleurs toute la ville et l'église Notre-Dame à
laquelle elle pouvait prêter un secours efficace.Nous avons inutilement
cherché les traces de l'incendie dont parle Videl.
L'église Notre-Dame du Bourg était également en position d'opposer aux assiégeants une résistance qui pouvait les arrêter : trente soldats y avaient été renfermés (1).
(1) Videl, Hist. de Lesdiguières.
La ville avait en outre
ordonné la démolition, dans les environs, de tous
les bâtiments dont les assiégeants auraient pu
s'emparer et se servir. Le couvent des Cordeliers
et son antique clocher avaient été rasés.
Les fortifications de l'intérieur avaient reçu,
pendant l'occupation des ligueurs, d'importantes
augmentations.
Lesdiguières et La Valette résolurent, avant
d'assiéger la ville, de se rendre maîtres de ces
avant-postes qui auraient pu les inquiéter. Ils
commencèrent par le fort qui le premier jour
résista vivement; mais pendant la nuit les soldals, chargés de le défendre, y mirent le feu et
prirent la fuite.
L'église fit une défense plus sérieuse. La Valette
fut obligé de braquer ses canons contre
elle. Cinquante-quatre volées, d'après Nostradamus,
furent tirées contre notre antique basilique
: que ce nombre soit exact ou non, nous ne
pourrions pas l'assurer, mais sur la façade, un
peu en-dessus de la porte d'entrée, on aperçoit
encore l'empreinte d'un boulet. Gassendi prétend
que de son temps on y avait inscrit la date de
l'année, mais cette date n'existe plus de nos
jours.
Les défenseurs de l'église furent obligés de
céder; ils se réfugièrent alors au-dessus des
voûtes de l'église, et là, comme il n'y avait qu'un
étroit passage pour y parvenir, ils purent tenir à
l'écart les soldats plus hardis qui voulaient parvenir
jusqu'à eux grâces à ce moyen ingénieux,
ils purent capituler et obtinrent la vie sauve.
Une fois maîtres de ces divers points, La
Valette et Lesdiguières entourèrent la ville. La
Valette se replia du côté du midi, bouleversa
les faubourgs de Notre-Dame de Consolation, du Pied-de-Ville et de l'Hubac, et vint braquer ses
canons contre le fort de l'Évêché.
Digne fut attaquée sur tous les points : les
démolitions effectuées au quartier de la Traverse,
à l'Habac, au quartier du Rochas et à celui de
Notre-Dame de Consolation, que nos pères n'évaluaient
pas à moins de 40,000 écus, ne laissent
aucun doute à cet égard.
Le fort de l'Évêché résista d'abord bravement.
Le gouverneur de Saint-Jeannet s'efforça d'exciter
le zèle des habitants ; toutes les troupes se
portèrent sur les points attaqués ; mais lorsque
les canons commencèrent à tonner sur la ville,
lorsque;de profondes brèches eurent été faites aux
remparts, la ville s'alarma; les principaux habitants, qui tremblaient pour leurs maisons et leurs
familles, commencèrent à murmurer. La masse
du peuple, qui souffrait depuis deux ans toutes
sortes de vexations, et qui avait pris en haine
M. de Saint-Jeannet et tous ses hommes d'armes,
se joignit bientôt à eux. Malgré les mesures
prises par le gouverneur, et malgré ses exhortations
impuissantes, la fermentation augmenta;
des murmures on en vint aux voies de fait, et la
ville presque entière menaça de se joindre aux
assiégeants (1).
Nostradamus dit que six volées contre le fort
suffirent pour amener la ville à composition.
(1) Nostradamus.—Requête présentée aux états de Riez, le 25 janvier 1592(Arch. de Digne).
Nous n'avons trouvé aucun document qui puisse dissiper nos doutes à cet égard. Nous ferons observer seulement que les faubourgs de la ville furent presque entièrement brûlés et démolis, et que dans son compte des frais de la guerre, La Valette ne porta pas moins de deux cents kilogrammes de poudre. Quoiqu'il en soit, force fut à M. de Saint-Jeannet de songer à une capitulation : des propositions furent faites aux chefs des troupes assiégeantes. Ceux-ci se montrèrent d'abord fort difficiles ; mais les habitants de Digne se firent si humbles et si suppliants qu'ils ne durent pas refuser. Une composition fut signée le 4 novembre. Le capitaine Amalric, alors premier consul, et M. de Vabre, députés par la communauté; M. de Saint-Jeannet, gouverneur, et M. de La Palud, commandant de la force armée, stipulèrent au nom de la ville de Digne. (1 ) Aux termes de ce traité, la ville s'obligeait à payer à M. le duc de Lesdiguières, pour la montre de son infanterie dauphinoise, la somme de cinq mille écus, et de plus tous les frais de la guerre et toutes les dépenses de l'artillerie. Nous avons été assez heureux pour retrouver les états de frais signés, l'un, par le duc de La Valette, et les deux autres par le commissaire général de l'armée royale.
(1) Déposition du sieur du Vabre, dans l'enquête de 1601 (Arcli. de Dignc).
Les frais dus à,M. de
La Valette pour frais d'entretien des troupes
s'élèvent à la somme exorbitante de 7,307 écus
50 sols, à 334 fois huit doubles décalitres
blé et à 285 fois huit doubles décalitres avoine. Les frais dus à Lesdiguières pour les mêmes
dépenses sont moins considérables : il ne réclame
que 3,041 écus 45 sols, 120 fois huit doubles
décalitres blé et 213 fois huit doubles décalitres
avoine. Enfin, la dépense de l'artillerie est évaluée
à la somme de 3,800 écus.
La soumission qui venait d'avoir lieu soulagea
les habitants de Digne d'un grand poids: ils se
félicitaient d'être ainsi débarrassés de la domination
des ligueurs qui les avaient pressurés pendant
deux années. Ce qu'ils redoutaient le plus,
c'était le pillage et un saccagement complet. Ils
étaient heureux de songer que leur ville y avait
échappé. Ils ne savaient pas toutes les angoisses
que l'avenir leur réservait encore.
La Valette, qui ne croyait pas à toutes leurs
protestations, et qui ne voyait dans la ville de
Digne qu'une ville rebelle, se montra à leur égard
d'une excessive sévérité.
Après leur avoir fait reconnaître Henri IV
pour leur seul et unique souverain légitime,
il nomma gouverneur de Digne le sieur des
Crottes, ce même officier gascon auquel la ville
avait refusé l'entrée dans les premiers jours d'octobre 1589; M. de Lartigue fut commis à
la garde du fort de l'Évéché, et tous les autres
officiers royaux furent remplacés par des créatures
sur lesquelles La Valette pouvait compter.
Il présenta ensuite aux consuls les comptes des
dépenses que la ville, aux termes de la capitulation
s'était engagée à payer, et leur fit sommation
de lui compter une première somme de
deux mille écus, ce qui fut effectué.
La ville se trouvait en ce moment dans une
situation déplorable. Encombrée de gens de guerre qu'elle était obligée de nourrir et de
logera forcée de contribuer à des travaux de fortification
que La Valette avait jugés nécessaires,
tant dans l'intérieur de la ville qu'au fort de
Beynes, près MezeP, et à l'entretien des troupes
qui y étaient rassemblées, elle se voyait soumise à une épreuve plus rude encore que
celle qu'elle avait déjà subie vers la fin de
1589 et au commencement de 1590. La présence
de La Valette et de Lesdiguières, escortés
d'un nombreux cortège d'officiers, aggravait
encore ses dépenses journalières. Et quand on
songe que notre pays, qui avait été bloqué au moment de la récolte par les troupes ennemies,
se trouvait dépourvu de toute espèce de provisions,
on se demande comment il put satisfaire à
toutes les exigences des troupes qui lui étaient
imposées. Ces embarras augmentèrent de jour
en jour, et dans un grand nombre de pièces de
cette époque, nos pères se plaignent de la disette
affreuse qui les tourmente, et exposent que beaucoup
d'habitants sans fortune périssent de faim
et de besoin.
Si du moins ils avaient entrevu un moyen de sortir
de cet état de choses intolérable! Mais
non, les vainqueurs les pressaient impitoyablement
pour le paiement de leurs créances. La Valette les menaçait rudement de son_autorité;
Lesdiguières exigeait des otages qu'il emmenait
dans sa forteresse de Puymôre.
(1)
(1) Lesdiguières, après la capitulation, et pour sûreté de sa créance, exigea deux otages qui le suivirent à Gap, et là furent enfermés dans la forteresse que tous nos registres appellent Pré-Mourou, et que Lesdiguières avait fait bâtir quelques années auparavant au-dessus de Gap. Ce furent le capitaine Jehan Charambon, sieur du Costelar et François Autard. Quand ils y eurent resté un mois, ils supplièrent leurs amis et concitoyens de hâter le moment de leur liberté. Le capitaine Charambon, ayant obtenu de venir à Digne vers le milieu de janvier 1592, fut remplacé par Clement Baudoin, qui s'offrit volontairement.
Et puis, pendant les deux années de l'occupation, ils avaient contracté des dettes énormes sans compter les avances qu'ils avaient faites pour la nourriture et l'entretien des troupes de la ligue, avances qui s'élevaient à plus de 25,000 écus et que La Valette ne voulait pas reconnaître, ils étaient encore débiteurs de nombreuses assignations ou contributions levées sur la ville de Digne rebelle par le parti royal. Ces contributions avaient été données en paiement à divers capitaines de compagnies, qui tous en réclamaient impérieusement le remboursement, et se faisaient brutalement justice, emmenant des prisonniers qu'ils retenaient comme otages et qu'ils s'efforçaient de rançonner (1). Leur position était donc très-critique. La Valette, après une absence de quelques jours, était revenu à Digne, où il se trouvait le 16 novembre.
(1) Le jour même de la capitulation de la ville, le 4 novembre 1591, M. de Saint-Vincent, frère de M. du Buisson , fit saisir Baptiste Foulcou , un des consuls de la ville et le retint prisonnier à Sigonce jusqu'à entier paiement. M. du Buisson s'empara à son tour d'Antoine Foulcou, fils du consul, et lui demanda mille écus de rançon. M. du Collet avait fait prisonnier Pierre Chalvet, marchand de Digne
Les consuls, dans leur détresse, s'adressèrent
à lui et le supplièrent de leur accorder
un sursis et un répit d'un an au moins pour le
paiement de leurs dettes. La Valette l'accorda: peut-être entrevoyait-il dans cette mesure la
possibilité d'être plus promptement remboursé
des sommes qui lui étaient personnellement
dues. Quoiqu'il en soit, ses capitaines ne tinrent
aucun compte de son ordonnance, ni des plaintes
et doléances de la ville de Digne.
Les habitants de Digne voulurent ensuite se
faire décharger du paiement des dépenses de la
guerre. Ils présentèrent à La Valette une nouvelle
requête, dans laquelle, invoquant les anciens
statuts et les vieilles coutumes de la Provence,
où, de tout temps, les frais de guerre
avaient été répartis également sur l'universalité
des communes, ils le supplièrent d'appuyer leur
demande auprès de l'assemblée des états. Ce n'était
pas ce que voulait La Valette : il consentit cependant
à appointer leur requête, et à autoriser leur
supplique aux états; mais il se fit des réserves
expresses pour le paiement des sommes qui lui
avaient été promises.
On comprend qu'une pareille demande avait
dû éveiller sa susceptibilité et faire naître dans
son âme des soupçons défavorables. Il se décida
sur-le-champ à prendre des mesures énergiques pour forcer les habitants de Digne à tenir la promesse
qu'ils lui avaient faite. Et voici le moyen
tout militaire qu'il employa.
C'est le 13 janvier qu'il avait déclaré au bas
de la requête à lui présentée qu'il ne pouvait
pas se départir de ses droits assurés par la capitulation
du 4 novembre. Quelques jours après,
le 18 du même mois, il convoqua les consuls et
les principaux habitants de la ville; il annonça
hautement qu'il avait à conférer avec eux d'affaires
de la plus haute importance. Et les crédules
habitants de notre pauvre cité, humbles et
respectueux, de se rendre auprès de M. le gouverneur.
Ils attendaient en silence que M. de
La Valette leur expliquât l'objet de sa convocation;
mais quel ne fut pas leur étonnement,
quelle ne fut pas leur consternation, lorsqu'il leur
déclara qu'ils étaient ses prisonniers, qu'il ne
voulait pas quitter Digne sans arrêter définitivement
ses comptes avec la ville, et sans être sûr
d'un prompt remboursement. Il leur signifia en
outre, que déduction faite de ce que les troupes
avaient reçu en nature, et de la somme de deux
mille écus qui lui avait été comptée, il abonnerait
avec eux pour la somme de dix mille écus,
dont ils allaient, séance tenante, lui souscrire
un acte d'obligation, tant au nom de la ville
qu'en leur nom personnel. Un notaire était présenl,
M" Galias Gaudemar ; il dût rédiger aussitôt un acte par lequel les consuls et les principaux
chefs de maison de la ville s'obligèrent à
payer dans un très-court espace de temps la
somme demandée, et tous les membres présents
furent contraints bon gré mal gré d'y apposer
leur signature (1).
On jugera sans peine de l'effet que dût produire
sur la ville de Digne un pareil acte de ruse
et de surprise. Les vaincus gémirent du peu de
générosité de leur vainqueur; mais ostensiblement
ils s'inclinèrent sous la main qui les frappait
aussi rudement, et ils remercièrent encore
humblement M. de La Valette de tout le bien
qu'il leur avait fait.
Ils s'adressèrent néanmoins aux états tenus à
Riez le 25 janvier suivant (2); mais ils n'obtinrent
rien.
(1) Dépositionde M. du Vabre, dans l'enquête de 1601.
(2) S'il faut en croire la statistique des Bouches-du-Rhone, les états de Riez ne se seraient tenus que le 25 janvier 1592, et ce d'après le procès-verbal transcrit dans le registre de la province. Dans notre registre des délibération,s les députés qui en sont de retour, disent que les états ont terminé leur délibération le 20 janvier. Nous avons cru devoir constater cette différence.
Peu de jours après la tenue de ces états, le 11 février 1592, La Valette trouva la mort au siège de Roquebrune. Les historiens provençaux ont en général fait l'éloge de ce guerrier. Nous regrettons que sa conduite à l'égard des habitants de Digne laisse une tâche à sa mémoire. Car on aura beau dire pour sa justification, nous considérerons toujours la conduite de La Valette comme un acte d'exploitation militaire fort peu digne d'éloges. Son frère, le duc d' Epernon, lui succéda dans le gouvernement de la province. Non moins âpre que son prédécesseur, il fut à peine investi de ses pouvoirs, qu'il voulut se faire payer par la ville de Digne la somme de dix mille écus dont il avait hérité. Avant même d'avoir célébré les obsèques de son frère, auxquelles il convoqua les consuls de Digne par une lettre du 11 février 1 593, et qu'il entoura d'une pompe extraordinaire, le dimanche qui suivit cette date, il songea à se faire rembourser. Le moyen qu'il employa fut aussi simple et aussi expéditif que celui dont s'était servi son frère pour obtenir un acte d'obligation. Un de ses capitaines eut ordre de s'emparer de quatre des principaux notables de la ville, et les fit conduire à Sisteron où il les retint prisonniers. Les noms de ces martyrs du patriotisme doivent être conservés; nous avons éprouvé un pieux recueillement en découvrant leurs noms : c'étaient François Meynier, Barthélemy-Aubert Jausiers sieur du Castelar, noble Jehan Gaudin sieur de Champorein, et M° Antoine Spitalier, notaire. Ils restèrent expatriés pendant un mois; ils furent enfin délivrés grâce à la bonne volonté et aux efforts de leurs amis et de leurs concitoyens. La ville de Digne, profondément blessée, non abattue cependant par un semblable traitement, n'hésita pas à s'imposer les plus grands sacrifices. Dans des circonstances aussi exceptionnelles, les mesures ordinaires ne pouvaient pas suffire: elle eut l'intelligence de sa position et des malheurs qui l'accablaient. Elle possédait la terre, place et seigneurie du Chaffaut, dont elle avait la directe pleine et entière : elle n'hésita pas à l'exposer en vente. Le sieur Bernardin Tabaret l'acheta au prix de 8,333 écus et 20 sous. Il consentit même à faire un prêt assez important qui ne fut sanctionné par un acte d'obligation que le 17 février 1 593. Et la ville, sans plus attendre, avant d'avoir passé l'acte de vente, impatiente de délivrer ses enfants, envoya du Vabre à Sisteron, pour terminer cette affaire avec le duc d'Épernon. Du Vabre était porteur d'une partie de la somme due par la ville, mais il n'avait pas la totalité : le prix de la vente et le montant de l'acte d'emprunt n'étaient pas encore comptés en entier. M. d'Épernon fut intraitable, il voulut tout ou rien. Du Vabre était désespéré : il ne perdit cependant pas courage. Il apprit que M. d'Epernon était débiteur envers deux marchands de la ville de Sisteron, de sommes considérables dont ils ne pouvaient pas être payés. Il alla les trouver, leur offrit une obligation de la ville de Digne en échange des sommes qui leur étaient dues par M. d'Épernon. Ses offres furent acceptées, et M. d'Épernon consentit en faveur de ces deux marchands, Estienne Berard et Blaise Nicollas, deux cessions sur la ville de Digne, dont une de 3,600 écus et l'autre de 1,400 écus. Au moyen de ces cessions et de l'argent en espèces compté par du Vabre, d'Épernon donna, le 22 janvier 1593, un acquit général de la somme de 10,000 écus dont il était créancier. La ville de Digne n'avait pas oublié non plus les otages emmenés à Pré-Mouron par Lesdiguières. Elle lui devait cinq mille écus de l'obligation consentie dans la capitulation; elle lui devait encore en outre, pour solde des frais et dépenses des troupes, la somme de trois mille cinq cents écus environ, ce qui faisait en tout huit mille cinq cents écus. Elle envoya auprès de lui M. de Saint-Pons, pour obtenir du temps et solliciter la liberté des prisonniers. Lesdiguières fut plus généreux que M. d'Épernon, il consentit à diviser les paiements de la somme à lui due et à prolonger de deux ans le délai accordé pour sa libération. La ville vit avec bonheur le retour de ses enfants exilés; elle ne les accueillit cependant pas avec des fêtes : elle était sombre et triste; elle se sentait épuisée, et se voyait en outre surchargée de cinq compagnies qui aggravaient sa position, et d'un gouverneur dont les dépenses retombaient tout entières sur elle. Nous n'essaierons pas de retracer ici toutes les angoisses de la ville de Digne pendant les dernières années du xvie siècle, nous ne dirons pas tous les sacrifices qu'elle fut obligée de s'imposer, toutes les tailles et tous les emprunts qu'elle dût voter pour subvenir au paiement de ses dépenses et de ses dettes. Nous ne raconterons même pas ses luttes contre le gouverneur des Crottes, qui devenait tous les jours plus exigeant, et qui finit par indisposer contre lui la population tout entière. Sans doute, ces luttes se rattachaient en partie à l'opposition qui s'éleva à cette époque dans presque toute la Provence, contre le duc d'Épernon, et les Gascons, ses compatriotes. Nous ne dirons qu'un mot de la manière dont finirent ces dissentiments (1).
(1) Les renseignements que nous avons dérouverts sur l'expulsion du gouverneur des Crottes sont extraits d'une sorte de procès- verbal dressé par un des consuls, sans date ni signature, il est vrai, mais d'une écriture bien connue, celle de MeGalias Gaudemar, notaire, et alors consul de Digne. Il existe dans les archives trois projets différents du même procès-verbal, tous écrits de la même main; mais aucun d'eux n'est signé, et il est probable que le procès-verbal définitif dût recevoir encore quelques changements. Quoiqu'il en soit, en l'absence de tous renseignements sur l'année 1594, ces trois pièces sont excessivement curieuses.
Vers le commencement de l'année 1594, dans les premiers jours de janvier, M. des Crottes voulut exiger de la ville de Digne des avances considérables pour l'entretien des compagnies sous ses ordres. Malgré les observations des consuls et des personnages les plus influents, il voulut imposer par force sa volonté. Mais cette fois la mesure était comble ; ces nouvelles exigences ne furent que le prétexte d'une explosion imminente depuis longtemps. Toutes les classes de la ville, riches et pauvres, se soulevèrent, et le 14 janvier 1594, M. des Crottes, nommé gouverneur en 159!, par M. de La Valette, fut obligé de quitter la ville de Digne, après avoir vu sa maison envahie et pillée. Le sieur de Reallon, commandant des compagnies en garnison à Digne, fut contraint de le suivre. Après leur expulsion, sommation fut faite par les consuls, à François Autard, trésorier, créature du gouverneur, et chargé par lui de faire l'exaction des contributions qu'il réclamait de la ville, de rendre tous les papiers qui lui avaient été confiés avec défense de s'immiscer désormais dans l'exaction des tailles. François Autard refusa d'obéir, et les consuls le décrétèrent de prise de corps. Le capitaine Biaise Arnaud fut chargé de le conduire en prison, mais il parvint à s'échapper de ses mains. Quelques jours après, le bureau était assemblé. François Autard, qui était resté chez lui, fut mandé, et sur un nouveau refus de sa part de rendre les pièces réclamées, il fut saisi une seconde fois et enfermé dans les prisons de Digne. Mais le soir du même jour, il revint à de meilleurs sentiments. Il fit proposer aux consuls de rendre immédiatement les papiers qu'il avait en son pouvoir, moyennant bonne et valable décharge. Ce qui fut accordé, et Autard fut aussitôt rendu à la liberté. Il fallait que la conduite de M. des Crottes à l'égard des habitants fût bien tyrannique et bien violente pour les amener à une pareille extrémité. Ils furent, il est vrai, délivrés de sa présence et de son autorité ; mais il ne leur fallut pas moins payer quelques années plus tard ce qui lui restait dû à son départ et les dégâts faits dans sa maison. La ville paya tout: elle avait déjà compté dans le temps à M. de La Valette la somme de dix mille écus ; il lui restait encore des charges énormes: il lui restait surtout la créance de M. de Lesdiguières, et c'était celle qui devait lui donner le plus de transes et d'inquiétudes. Lorsque le premier terme fixé par le duc de Lesdiguières fut arrivé, la ville n 'était pas en mesure de payer: elle s'empressa d'envoyer des députés auprès de lui; mais cette fois Lesdiguières fut moins facile qu'en 1592. Il déclara formellement qu'il voulait être payé, et il envoya à Digne, pour veiller à la rentrée de ce qui lui était dû, le sieur Lambert, son agent. Le sieur Lambert ne put rien obtenir. Qu'obtenir, en effet, d'une ville qui depuis trente ans avait été pillée et saccagée quatre fois, dont les guerres civiles avaient anéanti le commeree (1), et qui n'avait plus aucune espèce de ressources? Lesdiguières vit qu'il lui serait difficile d'être payé, et résolut d'agir sans ménagements aucuns. Il écrivit à d'Espinouse, alors gouverneur de la ville (2), et lui intima l'ordre de recevoir à Digne une de ses compagnies de gens d'armes, avec déclaration qu'elle ne sortirait de la ville que lorsque sa créance serait entièrement soldée. (3)
(1) Leur vie et nourriture despent de leur trafic et négociation, lequel cessant coume a cesse et cesse tout est en perdicion. Il est noutoire que le terroir dudict Digne est si petit que trois on quatre peres de boeufs au plus peuvent labourer toute la terre dudict Digne (Mém.pour les députés envoyésà d'Épernon).
(2) Lettre de Lesdiguières.
(3) Le conseil a delibere par comung accord que sera dresscc une cstappe pour par le moien dicelle les compagnies mandees au sieur d'Espinouze seront nourries et entretenues tant en pain vin chair foin, et a ces fins ledict sieur d'Espinouze sera prie quilz ce contantent de prandre de foin sansavoyne, et au reglemant acoustumé en ce pays sera prins roolle des cappitaioes et tous les soldats quilz ont (Reg. des délib. , 31 mai 1595).
A cette nouvelle, la ville de Digne, qui savait,
par une longue et triste expérience, combien est
lourde la charge de nourrir des gens de guerre,
s'imposa extraordinairement, eut recours à un
emprunt forcé sur les habitants les plus aisés,
et députa trois membres du conseil, M. de Saint-
Pons, le capitaine Amairie et Louis Charambon,
pour aller supplier le duc de Lesdiguières, obtenir
de lui un nouveau délai, et surtout le renvoi
des troupes qu'il avait envoyées.
Le duc de Lesdiguières, pour toute réponse,
leur signifia qu'il ne ferait sortir de Digne les
compagnies qu'il y avait envoyées que lorsque la
communauté lui aurait donné une cautioin suffisante
en Dauphiné pour les sommes dont il était
créancier, ou l'aurait soldé entièrement. A défaut, il exigeait que les personnes dont il avait
envoyé la liste à M. d'Espinouse, se rendissent
immédiatement auprès de lui comme otages.
Cette réponse, rapportée par les députés, le
19 juin 1595, foudroya les habitants de Digne.
Un conseil général fut anssilôt convoqué pour le
lendemain. Et le 20 juin, dès le matin, Louis-
Isoard Amalric de Chanareilhes, Reymond Sossy
et Etienne Boyer, consuls de Digne, réunissaient
dans la grande salle de la maison commune, cinquante-
un chefs de famille, consternés de la sévère
rigueur du duc de Lesdiguières à leur égard.
Le capitaine Amalric rendit compte au conseil
de la mission dont il avait été chargé avec ses
deux compagnons de voyage. Il fit connaître la
réception qu'ils avaient reçue du duc de Lesdiguières, et les conditions qu'il leur avait signifiées,
comme l'expression d'une volonté bien arrêtée. Nous ne savons ce qui se passa dans
l'esprit de ces hommes ainsi rassemblés, mais
après avoir silencieusement écouté le capitaine
Amalric, ils prirent courageusement une de ces
résolutions énergiques que personne ne comprendra
dans le siècle où nous vivons, tant elle
est empreinte d'héroïsme.
Le conseil, tout d'une commune voix, commença
par remercier les députés de la peine
qu'ils s'étaient donnée dans l'intérêt de la ville,
puis, comme un seul homme, prit une délibération
que nous devons nous borner à transcrire
textuellement :
Le conseil général, après avoir remercie les depputtez de la
peine quils ont prise au dict voiage a dellibere conclud et
arresle qu'il sera faicl ung roolle par ceulx que les sieurs consulz
adviseront,de toutes les chaînes d'or, d'argent, bagues,
joyeaux et vaisselle d'or et d'argent, qui sont es maisons de
ceste ville, et après constraindrc tous qu'il appartiendra de
les prester extimation faicle par orfebvresa ladicte communaute
soubz honneste interest et de tout employer pour le payement
de ce qui est dû audict seigneur des Diguières.
Le conseil général a dellibere que les obstages nommes au
role dudict seigneur des Diguières se rendront faciles pour
aller au lieu par luy ordonné, pour faire sollager ladicte
ville et faire desloger les gens de guerre que y sont, et que
ladicte ville poursuivra diligemment leur congédiement (1).
(1) Reg. des délib., 20juin 1595.
Ces résolutions énergiques furent prises dans la séance du 20 juin. Le 26 au soir, M. d'Espinouse reçut la liste des otages qui devaient se transporter à Grenoble. La nouvelle s'en répandit rapidement dans la ville, et le lendemain 27, dès cinq heures du matin, le conseil était assemblé. Il y fut décidé qu'on ferait supplier M. de Lesdiguières, par l'intermédiaire de M. d'Espinouse, de se contenter de trois otages, au lieu de dix qu'il en demandait. Et comme il était de trop grand matin pour faire réclamer auprès du gouverneur la liste envoyée par Lesdiguières, le conseil fut renvoyé à midi. A midi, tout le monde était présent à la commune; le consul Sossy fut délégué pour aller chercher chez M. d'Espinouse la liste des otages demandés. On ne savait pas encore d'une manière précise les noms des habitants désignés, et on se figure sans peine l'anxiété de tous les membres du conseil. Cette liste fut, dès le retour du consul Sossy, soumise au conseil général, et on y lut avec un douloureux étonnement les noms de dix des meilleurs citoyens de la ville. C'étaient les frères de Champorcin, Aubert Jausiers, le capitaine Amalric, de Thoron, Jean d'Antraunes, Chaffret Reynaud, Augier avocat, François Autard et François Meynier. Des réclamations s'élevèrent aussitôt de tous les côtés: le capitaine Amalric ne pouvait pas abandonner ses nombreuses afïaires ; l'avocat Augier prétendait n'avoir pas de propriétés dans le terroir de la ville et n'être pas tenu de ses dettes; les deux frères Champorcin demandaient que l'un d'eux, au moins, fût dispensé de cette charge. Tous comprenaient combien il leur faudrait de dévouement pour obéir. Mais le conseil insista auprès des personnes désignées, il leur fit entrevoir la position de la ville, et les supplia de se sacrifier pour leur pays. En même temps il chargea le consul Sossy de les accompagner auprès de M. de Lesdjguières, pour le supplier de rendre ces otages à la liberté dans le plus bref délai possible, et d'avoir égard à la situation malheureuse de la ville de Digne. Le conseil ne perdit cependant pas de vue ses obligations : l'impôt de deux écus par livre déjà voté fut recommandé à la sollicitude des consuls, et pour en faire l'exaction plus promptèment, on décida qn 'un appel serait fait à tous les habitants, et que tous ceux qui paieraient le jour même jouiraient de cet avantage tout exceptionnel qu'un écu leur serait compté pour deux. Le lieutenant de viguier ne voulut pas autoriser de sa présence une semblable délibération. Le conseil n'en persista pas moins. Le conseil décida en outre que, pendant leur absence, les otages envoyés auprès de M. le duc de Lesdiguières auraient droit à une indemnité fixée par les consuls, et qu'ils seraient dispensés pendant leur absence des logements de gens de guerre, des capaiges, de la garde, et du paiement de la taille de douze écus. Toutes ces mesures avaient été énergiquement votées, lorsque le 2 juillet arrivèrent les nouvelles troupes envoyées par Lesdignières. La ville se soumit et redoubla d'efforts. Les otages se mirent immédiatement en route pour Grenoble, accompagnés du consul Sossy. Ce dernier et douloureux sacrifice devait enfin mettre un terme à ses maux. L'arrivée des ôtages et le paiement d'un à-compte calmèrent le duc de Lesdiguières ; son agent Lambert fut envoyé de nouveau à Digne, pour terminer cette affaire, et moyennant une somme de 200 écus qui lui fut comptée à lui personnellement, de la main à la main', celui-ci fit consentir son maître à accepter des cessions de créances sur divers pays de la Provence, et la ville de Digne, représentée par ses consuls et par dix ou douze des principaux chefs de maison, s'acquitta envers le duc de Lesdiguières, dans les premiers jours du mois de novembre 1595, et le dix de ce mois, par acte rière Me Gaudemar, notaire, de la somme de 6,574 écus 37 sous 6 deniers dont elle était débitrice. (1)
(1) Auquel conseilh a este propozepar ledict sieur de Chanarclhes premier consul que en suite des précédantes délibérations conseilhieres il et sescompagnons avec dix ou douze des prinsipaulx chefs de ladicte ville traitant avec Monsieur Lambert agent de Monseigneur Desdiguieresen ce pays de Provence sur le payement que la ville debvoit fere des six mil cinq cens septante quatre escus trente sept soulx six deniers ausquels ils estoyent obliges envers ledict seigneur en cessions sur la comunaute de Seyne et aultres lieux de son viguierat, ilz auraient enfin avec le consantement dudict Lambert touteffois acepte plusieurs cessions que seroient este faictes par de particuliers de ladicte ville de Digne sur ladicte ville de Seyneet lieu de Barles pour le payement de ladicte parlie. Toutes lesquelles soumes ils auroient despuis cedeesle dix du presant audict sieur Lambert intervenant comme procureur dudict seigneur que auroit par moyen quitte ladicte communauté de ladicte soume six mil cinq cens septante quatre escus trente sept soulx six deniers contenus en l'obligation faicte en faveur dudict seigneur et consanti à la cansellation dicelluy apert par acte receu par ledict Gaudemar(Reg. des délib.,11 novembre1595).
Quelques-unes de ces cessions ne furent pas acquittées à leur échéance, ce qui donna lieu à des procès qui causèrent de nouveaux frais à la ville, et dont elle finit cependant par se débarrasser. Lesdiguières, enchanté d'avoir obtenu paiement de sommes qu'il croyait perdues, se prêta, du reste, aux derniers arrangements avec une gracieuse facilité, et nous avons lu dans les archives de la commune des lettres de lui toutes pleines d'un affectueux dévouement. La ville de Digne dût conserver longtemps le souvenir des traitements quelle en avait reçus.
PIÈCES JUSTIFICATIVES
EXTRAITS DES HISTORIENS DE PROVENCE RELATION AUSIÉGE DE LA VILLE DE DIGNE, EN 1591.
Antoine de Puget, sieur de Saint-Marc, Mémoires
Le sieur de La Vallette rapela le sieur d'Esdiguières, qui
vint à Digne. Nous y conduisimes catre canons et passant
par Quamhort (Gaubert) nous l'atacasmes, batismes. Ilz se
randirent; c'estoint tout gens de corde, aussi n'ayant pas
bien sceu fere son fet, ilz feurent pandus pour la pluspart.
De là alasmes attaquer ceste grand eglize qui est hors la
vile de Digne, où il y avait de gens de guerre; la batismes.
Ceux qui estoint dedens se nichairent sur la grand voulte de
maniéré que ne les sceusmes forcer. Lhors nous eusmes noveles que le Pui estoit en denger de ce perdre ; qui fut cauze
qu'on resceut ceux de Digne à composition. y comprins
l'église et poyèrent une somme d'argent, et nous ayant mis
les canons à l'Evêclié , où fut pour y commander le sieur de
Lartigue et à la vile le sieur Des Crottes, dauphinois. Nous
vinsmes en diligence à Pertuis.
César Nostradamus (Histoire et chronique de Provence L,yon1, 1644, VIlle partie).
... Sur la tarde seree, le Duc (de Savoie) (qui reçoit nouvelles, comme le gouverneur Gascon (La Valleue), joinct au gouverneur Dauphinois (Lesdiguières) battent furieusement les murs de Digne, avec l'artillerie de Sisteron, et que le Duc de Mont-morancy a fait le mesme au fort près d'Arles) de peur de quelque sinistre esclandre, fait desbander son camp et ses machines du Puech, pour se rendre à l'abry d'Aix le 7 de novembre : journée de repos à ceste biccoque, et de renommée immortelle à S. Cannat, qui avec cent quatre vingts harquebuziers et vingt armez seulement durant 35 jours, si vaillamment et sans bransle aucun d'estonnement se porta à la defense d'un beffroy, de tous costez tempesté contre les forces d'un si grand et courageux prince, et les foudres de deux mil cinq cens coups de canon, lasché contre ces hauts rochers sous des tonnerres espouventables, n'y ayant perdu que vingt-six hommes et eu soixante de blessez. Digne n'en avoit pas tant enduré, qui après cinquante quatre vollées contre l'église, et six tant seulement contre le fort s'estoit rendue trois jours devant, à telle composition que la ville donneroit cinq mil escus au seigneur de Lesdiguieres, pour la monstre de l'infanterie Dauphinoise : et d'abondant les frais de toute l'armee, selon l'estime qui en seroit faite, la vie, hardes et bagues sauves à tous ceux qui voudroient en sortir tant habitants qu'estrangers. Ce qui advint ainsi, parce que le peuple se trouvant le plus fort contraignit et violenta Saint-Jannet, gouverneur de la place, et les gens de guerre, qui ne manquoient pas de courage à recevoir ce party, auquel ils perdirent le moins. Dans un autre passageo, on lit sur la prise de Gaubert : Le jour ensuivant, où le mois (octobre) expire en contrechange de ce que le gouverneur a pris Gaubert, où il a fait pendre Sautaire et vingt-trois de ses soldats, les foudres continuent.
Didel. (Histoire de Lesdiguièreis 1649).
Lesdiguières prit le chemin de Digne, pour aider à La Valette à y mettre le siège. Cette ville estoit d'autant plus importante au duc (de Savoye) qu'elle lui donnoil le moyeu de s'estendre bien avant dans la Provence ; et c'est pourquoy ils avoient un notable interest a la luy oster. Comme Lesdiguieres arrivait au Brusquet, il fut prié par ceux de Cisteron , de les délivrer de la tyrannie de Gaubert, petite place voisine, occupée par le Sautaire, qu'il avait auparavant chassé de Barles , et qui luy ayant promis de ne plus continuer ses voleries avait obtenu son pardon. Il l'assiége donc, et le contraint de se remettre à sa discrétion, non sans leur laisser encore l'espérance d'une seconde grâce; mais estant sollicite par ceux du voisinage d'en fayre un exemple, il relascha de sa naturelle douceur, pour leur donner ce juste contentemen; en suyte de quoi le capitaine et ses compagnons portèrent la peine de leurs maléfice,s deux exceptés qui justifièrent de n'y avoir jamais eu de part. Estant allé de là joindre La Valette, qui avoit foit cependant marcher son canon vers Digne, ils investissent la place, et commencent à battre un petit fort au-dessus, d'où ils pouvoient estre incommodez. Quelques volees ayant foit esprouver à ceux de dedans qu'ils ne devaient pas s'y asseurer, ils y mettent le feu, et la nuict estant venue ils le quittent. On battoit en mesme temps une église, séparée de la ville d'une harquebuzade, et qui estoyt deffendue par trente soldats. Les assiégez ayant perdu l'avantage de leur fort, et estant d'ailleurs fort pressez par quatre canons qui foisoicnt une grande bresche, commencent a s'estonner et deux jours après capitulent. Ceux de l'église, contraints de se rendre à discrétion, obtinrent la vie: et de cette sorte, les uns et les autres furent bientôt remis en leur devoir. Le duc (de Savoie) voyant La Valette et Lesdiguières attachés à cette occasion, qu'il s'imaginoit devoir les retenir plus long temps, assiégé et bat le Puech, s'asseurant ou de le prendre, ou de les divertir de leur entreprise. Mais ny l'un ny l'autre ne luy réussit; car après la réduction de Digne, ils tournent à lui, et arrivant sur le bord de la Durance, le voient de l'autre costé, avec toute la cavalerie rangée en trois escadrons.
Bouche. (Histoire de Provence,tom.II, liv x)
Pendant que le duc de Savoye estoit devant le siege du Puech, le sieur de Lesdiguieres estant rentré en Provence avec ses troupes dauphinoises, joint avec icelles du sieur de La Valette, vint attaquer le lieu de Gaubert, qui s'estant trop opiniâtre à ne se vouloir rendre, vit étrangler le 30 octobre le capitaine Sautaire avec 25 de ses soldats. De ce lieu de Gaubert, il se porta à la ville de Digne, qui après cinquante-quatre coups de canon, tirez contre l'Eglise, et six seulement contre le fort, se rendit lâchement le 9 novembre, par le peuple mutiné contre le sieur de Saint-Jannet, son gouverneur, à telle composition que la vie, les bardes et bagages seroient accordez à tous ceux qui en voudroient sortir, tant habitans qu'étrangers: et que la ville donneroit cinq mille écus au même sieur de Lesdiguières, pour la montre de son infanterie, et payeroit tous les frais de toute l'armée, selon l'estime qui en seroit faite.
Papon. (Histoire générale de Provence,tom iv.)
Lesdiguières, déjà maître du village de Gaubert, était campé devant la ville de Digne, qu'il força de se rendre, et dont il exigea une contribution de cinq mille écus, et les frais de la campagne.
Du Virailh. (Mémoires manuscrits de la bibliothèque d'Aix)
Au même temps que M. de Savoye battait le Puech, M. de Lavalette et M. Desdiguières joints ensemble avoient fait brèche à Gaubert. Il y avoit dedans un capitaine nommé le Sautaire de Barles, grossier et de basse classe, mais pour ce qu'il étoit dispos de sa personne, vigilant et excellent picoreur, vertu de laquelle on faisoit estime en ce temps, la ligue et les savoyards l'avoient fait capitaine et luy avoient donné le gouvernement de Gaubert, afin quil servit de rempart à Digne. Toutefois aussitôt qu'il vit qu'on se préparoit à le forcer par la breche que quatre canons eurent bientôt faite ample aux murailles de ce meschant lieu il commença à parlementer, et comme homme mieux pratic à enlever quelque proye de nuit, qu'à garder place, durant le parlement il pourvut si mal à la brèche, qu'il entra par icelle dans le village plusieurs soldats du camp et se trouvant les plus forts dans la place prirent prisonnier le Sautaire et tous ses soldats qui ne firent point de résistance, ayant opinion que puisqu'ils avaient laissé entrer les gens de M. de La Valette sur la fiance du traité, qu'on devait leur tenir le même accord qu'on leur avait promis. Le sieur d'Entraix, qui les assuroit qu'il fairoit en façon que M. de La Valette ratifieroit et fairoit observer tout ce qu'il avait capitulé avec eux. Mais le Sautaire se trouva bien loin de son compte quant il se vit avec tous ses gens entre les mains du prévôt, qui les fit tous pendre ce jour même aux arbres les plus proches du village. Le lendemain M. de La Valette eut établi le sieur de Crote au gouvernement de la ville de Digne, et Lartigue de Frignan à l'évêché que les savoyards avaient fortifié. Il partit ensuite avec M. Desdiguières pour secourir le Puech.
ÉTAT DE FRAIS DUS A M. DE LESDIGUIÈRES
(1591.) - Archives de Digne
Sommaire de la distribulion faicte aux troupes de gens a
cheval du sieur Lesdiguieres et pour quinze jours au siege
de Digne, le tout suivant lestat bailhe par le dict sieur et
suivant le reglement faict par Monseigneur de Lavalelte
admiralh de France gouverneur et lieutenant general pour
le Roy en Provence.
Le pain ce monte tous les jours 3356 pains et pour quinze
jours sont 50,340 pains que sont a raison de 420 pains pour
charge de dix onces la pièce, cent vingt charges bled.
Ladvoine sont tous les jours 14 charges
3 panaux et pour quinze jours monte
213 charges.
La chair monte tous les jours seize
quintaulx septante-huict livres, et pour
quinze jours sont 271 quintal 70 livres
eta raison de 4 escus le quintal , mil
six escus quarante cinq sous. 1006 escus 45 sous.
Le vin ce monte tous les jours 1578
carteyrons, et pour quinze jours reduiet
en meilherolles sont cinq cent vingt
quatre meilherolles dix-huit carteyrons ,
que monte a deux escus la meilherolle,
mil quarante huict escus quarante-cinq sous.
1048 escus 45 sous.
Le foin ce monte deux cents septante
trois quintaux pour jour et pour quinze
jours sont trois mil neuf cents quarantecinq
quintaulx, et a raison de quinze
sous le quintat, monte neuf cents huitante-
six escus quinze sous. 986 escus 15 sous.
Que monte le bled. 120 charges.
Avoyne. 215 charges.
Argent. 3041 escus 45 sous.
Signé ÂGNEL,commissaire général.
ÉTAT DE FRAIS DUS A M. DE LA VALETTE
(1591) .- Archives de Digne.
Sommaire de la distribution faicte a larmee dressee au siege de Digne pour Mgr. de La Valette admiralh de France gouverneur et lieutenant général pour Sa Majeste au present pays de Provence suivant lestat bailhe par mondict seigneur durant quinze jours.
Le pain ce monte chacun jour 9340 pains et reduict en bled a raison de 420 pains pour charge font 22 charges et cart et pour 15 jours font trois cent trente-quatre charges, Ladvoyne 19 charges pour jour et pour 15 jours font deux cent huitante cinq charges. La chair 48 quintaulx 16 livres pour jour, et pour 15 jours font 721 quintal, monte deux mil huict cents huictantc sept escutz cinquante soubz,. , 2887 esculz 50 sous. Le vin 4,813 carteyrons pour jour et pour 45 jours 1502 meilherolles 59 cart à raison de deux escutz la meilherolle monte trois mil huit cents escutz. 3,800 escutz. Le foin trois cens septante-cinq quintaulx pour jour et pour 15 jours font 5625 quintaux, que a raison de 15 sous le quintal monte mil quatre cents dix escutz. Que monte en bled. 554 charges. Avoyne. 285 charges. En argent. 7507 écus 50 sous.
Signé AGNEL,commissairegénéral.
FRAIS DE L'ARTILLERIE
( 1591).- Archives de Digne.
Estai de la despence qui a este faicte parlartillerie qui a este
preparee et conduicte a la ville de Digne a laquell, on en
demande remboursement suivant la convention faicte par la
capitulation.
Premièrement il a este nécessaire de faire remonter tout
a neuf quatre canons tant de bois que de ferrures qui
rendu a raison de cent escus pour chacun canon pour le
moins a 400 escus.
Pour les cordages, menus appareils coume
lanternes vernis forge et autres comoditez nécessaires
trois cents escus, ci. 500escus.
A reporter. 700 escus
Report 700 escus.
Pour le charroy desdicts quatre canons a la
raison de ce que lassanblee derniere en avait accorde
qui est de cent escus le jour et pour quinze
jours compris la venue, sejour et retour, ci. 1500 escus.
Pour les munitions oonsumees tant au canon
que aux gens de pied de ce pays et de Daulphine,
sest despance cinquante quintaulx pouldre fine,
laquelle mondict seigneur demande estre remplacee
en espece ou bien a raison de vingt escus
le quintal comprins le port de cinquante boulet
a canon, a raison de deux escus pièce, monte
le tout en argent a 1100 escus.
Pour les officiers de lartillerie et aultres de
larmee 500 escus.
Au commissaire général commandant a l'artillerie
pour ses droicts. 200 escus.
Se monte trois mil huict cens escus.
Signé Lavalette.
REQUÊTE DU CONSUL AMALRIC ET DÉCRET DE LA VALETTE, POUR LE SURSIS DES DETTES DE LA COMMUNE.
(16 novembre 1591)-. Archives de Digne.
A Monseigneur de La Vallette, chevalier des deux Ordres
du Roy, Admirailh de France, Guouverneur et Lieutenant
General pour Sa Mageste au present pais de Prouvance.
Supplient humblement les Consulz de la communaulte
manans et habitants de la ville de Digne, que durant les
guerres passees et presantes ilz seroint este grandement
vexces et tourmentes de grandes et excessives despances qu'il
leur a convenu faire pour le paiement des contributions advances
antrctien et noriteure des gents de guerre et aultres
charges quilz 3ont este constraints supporter pour avoir despuis
deux ans par force et constrainte fait advance aux troupes
des ennemis jusques a la concurante somme denviron
vingt et cinq ou trente mil escus quy leur sont enquores deubz et ne peuvent estre exiges pour avoir este fermee la
main et lexaction interdite par vous, Monseigneur, et pour
avoir dailheurs ladicte communaulle beaucoup des pandeu a
la fortification dela ville et soffert plusieurs aultres grandes
et infinies despances ruines et pertes tant par le moien du
siege que de lenlretien de la guarnizon et aultres troppes que
sont ordinairement dans ladicte ville outre et par dessus lesquelles
doibt ladicte commanaulte paier a monseigneur Des
Diguieres la somme de cinq mil escus pourle paiement de
linfanterie de Daulphine ainsi qua este acorde par la composition
faicte sur la redition de ladite ville pour raison desquelles
charges se treuvent lesdicts suppliants sy grandement
opresses et surcharges quîlz ne peuvent aufcunement satisfaire
a plusieurs grandes et excessives demandes que leur
sont faictes de certains arreraiges de contribuions et aultres
assignacions que plusieurs gtnlilhomes et cappitaynes prétendent
leur estre debvues sur ladicte ville pour lexaction desquelles
font enquores despances sur despances le sieur de
Saint-Vincens que demande la somme de neuf cents escus
comme aussi plusieurs auitres demandent grandes sommes
pour mesmes arreraiges des contributions et pour les deptes
deubz par ladicte communaulte auxquels ne peuvent lesdicts
suppliants aulcunement satisffairepour la notoire et évidente
pourrette de ladicte ville sans succomber et abandonner entièrement
leurs biens et voudroint atandu les susdictes charges par eulx soffertes et lesterillile des deux saisons dernièrement
passees leur estre par vous prouveu par vostre grandeur
ce considere attendu que lesdicts suppliantz sont asses
charges du paiement des cinq mil escus quilz doibvent fere
a monseigneur Des Diguieres et des aultres folles et charges
quilz supportent journellement pour lenlretien et nourriteure
de la garnison et aultres troppes quy resident ordinairement
en ladicle ville et des aultres ruines et pertes ja soffertes
par le moien du siege et frounitures faictes a latirailli de lartillerie sera vostre hon plaisil., Monseigneur, ordonner
que lesdits suppliantz jouiront du surssoy et respit a tout le
moings pour ung an de paier lesdictsarreirages des contribucions
assignacionset aultres deptes et a ces fins estre faictes
inibitions et deffances a tous gentilhommes et capitenes comisseres
et aultres de quelque qualité quilz soint de les vexxer
ny molester durant ledict temps en leurs personnes ou
biens a peine de rebellion et de tous despans domaiges et
interets que ladicte communaulte consulz ou particuliers
dicelle pourront soffrir et iLzprieront Dieu pour vostre prosperite
et augmentement de vostre Grandeur.
Signé AMALRIC consul.
Teneur du decret et appoinlement de mondict Segneur.
Il est deffendu a tous gents de guerre comisseres et aultres
pretandants leur estre deub quelque chosse par les suppliantz
pour raison des contributions passees de les trobler
mollester ne rechercher leurs personnes ny biens moings
les-aupresser jusques a ce que aultrement en ait este par
nous ordonne a peine de desobeyssance et de perdre entièrement
leur pretandeu depte voilant que a ces fins le present
decret et sursoy soict signifie a tous quil appartiendra et
quil soit teneu la maing en lobservacion d'icelluy par le
sieur de Crottes auquel il est mande ainsin de fere.
Faict à Digne , le xvi novembre 1591.
Signé LA VALLETTE
REQUÊTE DU CONSUL AMALRIC A M. DE LAVALETTE ET RÉPONSE DU DUC
(13janvier1592).—Archives de Digne.
A Monseigneur de la Valette, admirai de France, gouverneur et lieutenant général pour le Roy au présent pais de Provance.
Monseigneur,
Les consuls et communaulte de la ville de Digne remonstrent
tres humblement a vostre grandeur que sur le faict de
la convention faicte lhors que ladicte ville feust par les gens
de guerre que la tenoint occuppee par les annemys remise à
l'obeissance du Roy...
de vostre grace leur auries accorde les traictes comme les
aussi bons subjectz de sa Magesté. Et pour ce que les supplians
nont volleu contester contre vostre grandeur a la capitulation mesmes pour avoir mieulx moien de chasser lesdicis
annemis y a article consernant quilz paieront les fraiclz de
larmee chose du tout a eulx imposible en consideration que
le pais a tousjours paie et paie les despances des affaires de
guerre mesmes chose que jamais nest advenue ne demandee
en ville que ce sont prinse par force consideie aussi quil sest
demande contributions du temps de loccupation en mesme
esgalite que les aultres quils ont paie et paient toutes charges
qu'ils ont souffert toute la despance faite par les annemis que
leur va a plus de soixante mil escus oultre les despances fournies
a vostre dicte armee. Et pour ce que ce faict sagist a le
remonstrer et accorder par les estas de ce dict pais presentemant
assembles en ceste ville de Riez ont volleu les depputes
présenter la requete ci jointe et remonstrer leur faiet de bouche
a vostre grandeur et en après aux Estas pour resouldre
audict faict si tel est vostre plaisit.
Ce considere et que ce faict sagist de en resouldre avec
les présents Estas que nont voleu en faire ny aucunement eu
parler sans vostre bonne vollonte et consantemant et sans
toutes fois prendre que sil y a quelque chose en vostre particulier
de en faire et en toutes choses comme vous plaira leur
en ordonner. Et en considération que de vostre grace les
aves tousjours aymes et chéris plaise a vostre grandeur et
bonte leur permetre présenter la requeste cy joincte auxdicts
Estas et remonstrer leur faict de bouche pour accorder les
différants, et lesdicts Estas y ordonner la justice en tel cas
requise affin que par les grandes sommes que sont engaiges
ne soient tous constraincts desabiter et quils puissent faire
le service quils desirent au Roy et a vostre grandeur. Et
seront tenus prier Dieu pour vostre bonne prospérité.
Signé Amalric consul
Les suppliants pourront sadresser a lassemblee des Estats et leur faire les remonstrances telles quils adviseront pour leur soulagement, declarant toutesfois que nous ne pouvons nous departir de ce qui est porte par les articles de la capitulation mesmes en ce qui regarde les frais de lartillerie et paiement des gens de guerre.
Faict a Riez ce xiij janvier 1592.
Signé LAVALLETTE
REQUÊTE PRESENTEE AUX ÉTATS TENUS A RIEZ, LE 25 JANVIER 1592.
(18 janvier 1592).—Archives de Digne.
A Messieurs tenantz les troiz Etas du preésent pays de Provence.
Supplient humblement les consulz et comunaute manans
et abitans de la ville de Digne remonstrent que de tout temps
sont estes tres affectionnes comme sont de present au servisso
du Roy par tant de preuves quil en est memoire a tous et si
bieu ladicte ville a este occupee par les ennemis ce feut par
brigues et entreprinse faicte par les susdicts ennemis que lors
tenoint occupe les lieux de Lurs , Gaubert, Puimichel, Belvezer
et aultres lieux que par raison de quelques de la ville
que leur aderoint le xve du mois d'octobre 89 , ceroint entres
par ladicte adherance en une maizon et guagne plusieurs endronnes
que nonostant toutes résistances que le corps et
prinsipaux de la ville aient seu fere nont peu esvader que lors ladicte ville ne feust surprinze a leur très grant regret et
fâcherie saizi levesche en forme de sitadelle que les a teneus
ses subjeetz que nont peu esvader ne empescher ladicte occupacion
jusques au quatriesme du mois de nouvemhre dernier
que Monseigneur de La Vallette gouverneur et lieutenant
general pour le roy en se dit pais avec belle et forte armee
les aiaut assieges par le moien et industrie des prinsipaux de
ladicte ville ce seroint rendusa son hobeissance et compozicion
accordee sur sa foy et promesse entre aultres articles que
les abitans de ladicte ville seroint traites en la mesme quallite
que les autres bons subjet? et serviteurs du roy et pour
ce que par autre article presupauzant mondict segneur de La
Vallette que ladicte ville se feut delle mesmes rebellee et rendue
ausdicts enemis leur auroict faict promettre en ladicte compozicion
quils paieroint les frais de larmee lors venue pour les
assieger a coy auroint adliere en consideracion que estant
bien informe des affaires et que toutes chozes se esgualizent
en ce pais auxafferesde la guerre ne les constraindroit a ce
fere ne moins ledit pais en consideracion comme dict est
quils sont du propre corps et ame dudict pais ville des plus
ansiennes diceluy qui a tousjours porte et porte sa part des
charges tres affectionnee en yceluy car quant il seroit question quils deussent paier lesdicts frais de ladicte armee que ne
doivent ne peuvent ceret autant que de les vouloir ruiner
entièrement de fond en comble les constraindre de dezabiter
et fere entièrement perdre la memoire de ladicte ville comme
si elle navait jamais este, mesmes considere quelle porte les
charges du roy et du pais pour trente-et-sept feux lorsque ne
possèdent de terroir pas autant que le plus petit et moindre
village du viguierat dicelle et sy peu de terre que deux peres
de boeufs ou trois au plus peut labourer toute la terre que se
eultive en bled de leur terroir. Considere aussy que sils heussent
voleu contrister contre la voilante de mondict segnewr de
La Vallette ceroit autant que de sestre voleu randre îvtilz audict servisso du roy et sien lesquels voullanl wionstrer leur
bonne vollonte et hobeissance ce sont liberallement voleu
accorder et sousmettre a leur debvoir sachant bien comme
dict est que de sa benignite et promesse susdicte seroint
taietes conduits et gouvernes comme les aultres bons subjects
de Sa Mageste et que de toute anssienete toutes despences ce
.esguallizent audict pais et quils hont fourni et fournissent leur
villes occupées par les enemis et pour la conservation du pais
et par sce moien la esguallile doibt estre pour heux comme
pour les autres et pour autres rezouns quils ressiteront de
bouche si tel est le bon plezir de seste honorable assamblee
en forme detalz.
Ce considere pleze a vous Messieurs de ceste honourable
congregacion donner audiance aux deputez de ladicte ville pour
de leur bouche vous remonstrer la peure verite et occazion
des afferes, leur justificacion et innocence, les occazions et
raizons que vous doivent esmouvoir a leur fere fere justice les
traicter a la mesme esguallite et quallite que les autres du
pais et leurs raizons entendues tant de leur bouche que de la
présente requeste leur fezant droict et justice dire et declarer
sil vous plaict que ledict article. en se que conserne
quils paieront les frais de larmee que comme choze non raizonnable
ni la pouvant fere seront descharges pour raizon
dudict paiement sauf de en paier leur part sous la generallite
et esgualizacion dudict pays suivant les ansiennes costumes
d'iceluy et seront traictes conduicts et gouvernes les supplians
en la mesme forme fasson et esgallite que les autres villes et
lieux du susdict pays comme choze tres rezonnable et les supplians
seront tenus de prier Dieu pour la bone prosperite du
roi de mondict segneur de La Vallette son lieutenant de seste
imjjourable congregacion et de tout ledict pais.
Signé AMALRIC, consul
Le sieur gouverneur sera supplie de reppuler les principaux habitans de ladicte ville de Digne qui se sont conserves sonbz lobeissance du roy pour bons subjects et serviteurs du roy, suyvant la déclaration faicte par le cappitaine Amalric, lung des consuls , et pour le surplus, ledict sieur sera supplie dy pourvoir soubz son bon plaisir. Fait a Riez durant la tenue des estas au dix-huictiesme janvier mil cinq cens nonante-deux.
HESMIVY (signature illisible).
REQUÊTE DES PÈRES CORDELIERS AU CONSEIL DE LA COMMUNAUTÉ DE DIGNE
(Archives de Digne)—. Sans date.—Trouvée dans le sac de 1592.
Les pères gardien econome et religieux du couvant Saint- François Cordeliers de ceste ville vous remonstrent questant leur couvant hors de vostre ville comme vous scavez il estoit en ces guerres dernieres expose a la mercy de ceux quy faisant dessain sur vostreville ilz semparoint dudict couvant pour sy loger de sorte que a vostre consideration ledict couvant seroit este brusle desmoly et ruyne par plusieurs fois et bien que les supliants eussent moyen de se provoir par voye de la justice pour la réparation du couvant neanmoingz desirant vivre en paix avec ladicte ville commebons patriotes ilz auraint tache des revenus de leur dict couvant quoy que petitz de reparer ces ruines et faire bastir de nouveau le corps de leurs chambres et logemant et couvrir leur Esglise a grands frais et despans mesmes il uy a pas deux ans quilz tirent refaire deux arcades du couvert quy leur costa bien cent escus quitz payèrent fors cinquante livres que la communauté leur donna lors pour ceste derniere réparation , du despuis lesdicts religieux ne désirant rien plus suivant leur profession que lhoneur de Dieu et laugrnentation de son service ilz auroint novellement faict faire ung retable pour leur grand autel qui leur costera bien plus de cent escus ne layant le mestre quy la a prix faict ancores acheve, et daetant qui reste encorcs dachever ta réparation du clocher de leur dicte esglise lesdicts religieux ne pouvant faire tant de fornitures quyconviendrait ilz vous requierent 1reshumblement de voloir fornir la despance quil faudra pour acheverla reparation du clocher lequel serait este -ibbalu pour le bien de vostre ville et mesmes par votre comandemant suivant les deliberations sur ce tenues qui se peuvent voir en vos registres et plusieurs de vous en serez memoratifs laquelle délibération feust este bastante de vous faire constraindre par la voye de la justice a la reparer entièrement tout ainsin que le couvant des cordeliers de la ville de Brignolles, les Augustins de la ville de Grâce et les Jacopins de Draguignan ont faict condamner lesdictesvilles et comunautes a la réparation de ses couvantz desmollis pour leur service en temps de guerre. Neanmoings les suplianlz nont volu procéder de la sorte en vostre endroict car oultre le bastiment de leur dict couvant quilz ont fait a leurs propres coustz et despans ils y ont repare encore une partie dudict clocher en lestât que vous le voyez ou ilz ont despanda environ quarante ou cinquante escus ne vous deniandans a presanl sinon quil vous plaise, Messieurs, ou fornir ce quil conviendra a lachever ou prandre le souin vous mesmes par telz députés que vous plerra cometre et les dicts religieux prieront Dieu pour vostre prospérité quil face la grace a vostre ville destre toujours plus florissante.
Signés : frère François Guethony, gardien; frère Joseph Jean Feraud, frère Anthoyne Daidet, frère Anthoyne Collomb, frère Guillem Rougière, et Meynier économe.
DÉPOSITION DE M. DU VABRE, DANS L'ENQUÊTE DU 22 AOUT 1601, POUR LA RÉDUCTION DES DETTES DE LA COMMUNE DE DIGNE
(Archives de Digne).
Et avons faict aussi venir Jacques Bertrand sieur Du Vabre,
lequel moyenant le serment quil a preste entre nos
mains de nous dire la verite a dict quen lannee 1591 et le
quatriesme novembre estant ceste ville assiegee par le sieur de
La Valette et le sieur Des Digufères , le cappitayne Amalric,
pour lors Consul et luy qui respond , Deppules pour la communauté,
le sieur de Sainct Jannet pour lhors gouverneur
en ladite ville et le sieur de La Palud pour les gens de
guerre vindrent a composition avec lesdicts Seigneurs et
promirent paier les frais de la guerre et des puis au mois de
janvier suyvant ledict seigneur de La Valette fict assembler,
a ce qu'il a ouï dire par ung commung bruit et cela est notoire,
lesdicts Consulz et principaulx du lieu, et soubz pretexte tle leur voulloir dire quelque chose dimportance les fist
obliger de la somme de dix mil escus, acte prins par M. Gallias
Gaudemar notaire, a laquelle obligation il ne fust pas
presant estant il deppute a lassemblee a Riez; pour le paiement
de laquelle somme de dix mil escus le seigneur Duc
Despernon commandant pour le Royen ce pays frere et
héritier dudict sieur de la Valette fiet faire de prisonniers
quatre principaulx de ladicte ville scavoir François Meynier,
RarthelemyAubert Jausiers sieur Du Castellar, noble Jehan
Gaudin sieur de Champorcin et Anthoine Espitallier
notaire, et les fict conduire a Sisleron , par le ministaire du
sieur de Brian ung de ses agents, et apres avoir demure lesdicts
prisonniers ung mois ou environ en ladicte ville de Sisteron,
il que respond fuct deppute par ladicte communaute
de Digne pour aller a Sisteron et pourvoir aux dictes afferes
et faire sortir lesdicts prisonniers, et empruntèrent de la
damoiselle Ysabeau de Meynier femme du sieur Duchaffault
la somme de quatre mil escus lesquels suyvant lindication et
charge que ledict de Brian leur fist, lesdicts Meynier, Gaudin,
Espitalier et Juusier et il que respond expcdiairent aux
agents Et comme le commung bruit estoit
pour faire venir de gens de guerre du Daulphine , et le
reste pour le pouvoir acquitter entandant que ledict Seigneur
Despernon debveit a Estiennc Berard marchant de
Sisteron une grande somme et a sieur Biaise Nicollet aussy
marchant dudit Sisteron, il avec les troys susnommés furent
prier lesdicts Berard et Nicollet pour les faire tenir quittes
envers ledict sieur Despernon , seavoir ledict Berard pour
troys mil six cens escus et ledict Nicollet pour quatorze cens
escus moyenant une obligation que leur feroint de semblables
sommes, ce que avec beaucoup de peynes ils obtinrent
diceulx et passèrent lesdictes obligacions aux susnommés
comme par prest et argent comptant, mais par mesmemoïen
le mesmcjour ledict sieur de Brian moiennant largent comptant qu'ilz luy baillerent pour le reste il leur fict acquit general
de la somme de dix mil escus lesquels trois mil six cents
escus ils paierent audict Berard au mois de febvrier apres
suyvant et de l'argent qu'ils recevoient de Bernardin Tabaret
sieur Duchaffault a mesme prix et incontinanl n'ayant garde
ledict argent que deux heures lequel prix estoyt a rayson
de lequel paiement fust faict par Jehan
Charambon et luy qui deppose, lequel argent expedie par
ledict Tabaret proceddait tant du prix de la place Du Chaffault
par ladicte communaute a luy vendue que pour argent comptant
quil leur presta declarant sur ce enquis qu'il nestoit
point au commancement du traicte que lesdictes personnes
firent avec lesdicts sieurs de Montron et Verrieres agent
dudict Seigneur Despernon.
Signé BERTRAND
LETTRE DE LESDIGUIÈRES A D'ESPINOUZE, GOUVERNEUR DE DIGNE
(27mars 1595.—Reg. des délib., 31 mai 1595).
Monsieur, je ne vois aulcung efaict des promesses de ces Messieurs de Dine, et mestonne que vous estant sur les lieux pour enquester mieux que je ne puys le faire la poure vollonte quilz ont de me satisfere vous ayez différé de faire mettre dedans ladicte ville mes compagnies sans les laisser ainsi rooller par les villages comme elles font, par este ycy doncques je vous prierays que vous servira aussi de comander pour faire loger maintenant lesdictes compagnies dans Dine jusques a ce que les habitans dicelle en ayent entliieremenl paye ce quilz me doibvent et quilz mont des si long temps promis. Donnez- moy je vous prie ce contantemant que par votre premiere je soys assure que vous laurez faict ainsi comme je me veux promettre de votre bonne vollonte et sur ceste assurance je demeureray comme je suys Monsieur, votre humble. allie parant a vous faire service.
LES DIGUIERES, ainsi signé.
En marge: A Grenoble, le 27 may 1595
Et au-dessus: A Monsieur Despinouze
LISTE DES OTAGES DEMANDÉS PARL LESDIGUIERES.
(13 juin 1595.—Reg.des délib..27 juin 1595).
Rooe des ostaiges de Digne que seront envoyeza Embrun pour
y estre gardes jusques a plain payement de ce que est deub
a Mr de Las Diguieres par ladicle ville de Digne.
Le Sr de Champorcin laysne.
Le Sr de Champorcin puisne.
Le Sr Geozier.
Le cappitaine Amalric.
Le Sr Thoron.
Jehan d'Antraunes.
Chaffret Reynaud.
Le Sr Augier avocat.
Le Sr Autard.
François Meynier.
Faict a Grenoble le quinziesme jonr de juin mil v iiij, xv.
Les Diguieres ainsi signe.
FIN DE L'OUVRAGE
Texte numérisé par J. P. Audibert