ESSAI SUR L'HISTOIRE DE DIGNE PENDANT LA PESTE DE 1629.

par

FIRMIN GUICHARD.

DIGNE.

1845

PREMIÈRE PARTIE.

Nous n'avons pas la prétention de raconter, après notre illustre Gassendi, la peste dont la ville de Digne fut affligée pendant l'été de 1629. Nous comprenons trop bien quel doit être notre rôle auprès d'un si grand maître. Aussi ne voulons- nous que compléter le récit qu'il a fait et rappeler une foule de détails dont il n'a sans doute pas eu connaissance, et que nous avons trouvés consignés dans les archives de la commune. Nous avons également suivi nos pères pas à pas, en analysant avec soin leurs délibérations conseillères dans ces temps désastreux. Ce seront tout autant d'annotations au récit du savant prévôt qui ne paraîtront pas dépourvues d'intérêt, et qui ne pouvaient d'ailleurs guères trouver place dans la Notice sur l'Église de Digne.

Suivons Gassendi dans son récit :
Puisque nous en sommes à parler de l'air, il nous faut dire un mot sur la peste, qui, pendant l'été de 1629, fit dans la ville de Digne, des ravages tels que nul fléau, à notre avis, ne peut lui être comparé. Nous avons souvent entendu les vieillards se plaindre des désordres causés par les guerres civiles; nous les avons entendu gémir au seul souvenir de l'année 1569, pendant laquelle Mauvans répandit tant de sang; mais rien n'égala jamais le désastre dont nous avons à parler: il ne resta guères que la sixième ou la septième partie de la population; en effet, avant que ce fléau se fût abattu sur la ville, on ne comptait à Digne pas moins de dix mille âmes, et après, à peine pût-on en compter quinze cents. Nous nous trouvions alors en Flandre, où nous reçûmes de nos amis, comme depuis nous en reçûmes à Paris, des lettres lamentables : mais notre étonnement fut bien pire lorsque, revenus à Digne trois ans après, nous trouvâmes désertes la plupart des maisons de cette ville que nous avions laissée si populeuse, et nous ne rencontrâmes plus dans les rues que des figures à peu près inconnues. Il fut petit le nombre des amis que nous pûmes embrasser; et c'était une chose affreuse que d'entendre raconter tout ce qu'ils avaient souffert, à ceux qui avaient échappé à la mort. Le tableau qu'on nous en faisait était bien plus sombre que celui tracé par la main de Thucydide, au sujet de cette peste qui, selon l'expression du poète:

Finibns Cecropiisfunestos reddidit agros,
Vastavitque vias, exhausit civibus urbem.

Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'authenticité des faits que nous allons rapporter, car nous les tenons du célèbre Lautaret, qui exerce la médecine dans la ville de Digne. Or, il a non seulement vu les malades, mais il a été lui-même atteint de la contagion, et il se propose de publier un livre sur cette matière. Nous ne voyons pas d'inconvénient néanmoins à donner sur cet événement quelques détails qu'il nous a lui-même appris.

Le docteur Lautaret n'a jamais écrit le livre que nous annonçait Gassendi, et c'est bien dommage. Peu d'hommes ont donné plus de preuves que lui de dévouement à leur pays au milieu de cette calamité effroyable. Nous aurons plus d'une fois l'occasion de parler de lui.

Le mal, autant qu'il nous en souvient, commença à se manifester dans les premiers jours du mois de juin; cependant depuis quelque temps déjà on prenait de grandes précautions à cause du bruit qui s'était répandu que la peste avait envahi Lyon et le Dauphiné et que déjà elle avait éclaté sur quelques points de la Provence. Mais ce furent les militaires, qui revenant en désordre de l'Italie, et traversant la ville de Digne, en apportèrent le germe. Tant que ce fléau dura pendant l'espace de quatre mois, le ciel couvrit la terre d'épais brouillards ; la chaleur fut étouffante, et les orages et les pluies se succédèrent fréquemment. On observa même une lueur, ou un météore lumineux, qui passa sur la ville par un mouvement rapide. Pendant tout ce temps, on ne vit aucun oiseau ni dans la ville ni dans les champs: bien plus, on ne vit, on n'éprouva plus d'autre maladie que la peste elle-même. Les craintes d'une prochaine invasion de la peste régnaient en effet depuis longtemps. Dès l'année 1628, des signes précurseurs avaient annoncé le fléau, et le parlement d'Aix avait rendu un arrêt, adressé à toutes les communautés de la province, par lequel il ordonnait les plus grandes précautions et l'établissement, dans chaque commune, d'un bureau de santé. La ville de Digne exécuta les ordres du parlement dès le 10 septembre 1628. Un bureau de santé, composé de dix membres, fut créét, et ordre fut donné aux consuls de faire fermer toutes les avenues de la ville. Une garde assidue fut postée aux différentes portes, et c'est au milieu d'une alternative continuelle de craintes et d'espérances que s'écoulèrent la fin de l'année 1628 et le commencement de l'année 1629. Dans les premiers jours du mois d'avril, une lettre des procureurs du pays annonça aux consuls le passage prochain d'un détachement de cavalerie. Dès le 6 avril, le conseil1 arrêta toutes les mesures que pouvait nécessiter un pareil événement. Ce ne fut cependant que vers le 20 mai suivant4 qu'une compagnie de cavalerie, détachée du corps d'armée du maréchal de Créqui, traversa Digne en revenant de Suze et en se dirigeant vers la ville de Nismes dans le Languedoc.
Ce détachement laissa dans la ville quelques malades, placés, sans aucun doute, sous cette influence fatale qui précède toujours les grandes invasions épidémiques et pestillentielles et donne à toutes les maladies quelques-uns de ses caractères essentiels. Les esprits étaient déjà vivement préoccupés : depuis quelque temps les bruits les plus sinistres circulaient et augmentaient la frayeur; chaque jour on entendait dire que la peste se rapprochait davantage, lorsqu'un jour, vers la fin du mois de mai, le bruit se répandit qu'elle avait éclaté à Chenerilles, petit village sur la rive gauche de la Bléone, à quelques lieues de Digne. (1) Il n'en fallait pas davantage pour plonger nos pères, déjà effrayés, dans une profonde stupeur.

(1) Une observation qui n'échappera à personne, c'est que la peste éclata d'abord à Chenerilles, alors que l'on admettait généralement, dans le XVIIe siècle, que la peste avait été apportée à Digne par les troupes venant d'Italie.

Des hommes de l'art, probablement les docteurs Lautaret et André, et le chirurgien Lieutaud, furent aussitôt envoyés sur les lieux et chargés de dresser un rapport sur la nature et les caractères de la maladie. Ce rapport fut envoyé à Aix, et le premier juin le parlement rendit, pour la commune de Chenerilles, un arrêt semblable à celui qu'il devait rendre quinze jours plus tard pour la ville de Digne, arrêt barbare qui défendait aux habitants de sortir du lieu infecté sous peine de mort, et aux étrangers de s'y introduire sous aucun prétexte. Cet arrêt confia la garde de Chenerilles aux consuls de la ville de Digne et des lieux circonvoisins, triste mission qu'ils devaient quelques mois plus tard expier douloureusement. Les officiers royaux durent tenir la main à l'exécution de cet arrêt, et les consuls de Digne s'empressèrent d'y obéir. L'avocat Jehan Gaudin était alors premier consul, Jehan Boyer, receveur particulier du domaine du roi, était second consul, et André Meynier, marchand, tiers consul. Ils se hâtèrent d'envoyer de nouveau sur les lieux les hommes de l'art qui déjà y étaient allés pour faire un rapport au Parlement. Sur l'avis que ceux-ci transmirent dès leur arrivée au lieu infecté, on y envoya des gardes pour empêcher qu'aucun des habitants de ce malheureux pays pût en sortir, sans songer qu'un jour les habitants de Digne maudiraient, eux aussi, ceux qui viendraient les cerner dans leur ville. Il faut le dire, cependant, les consuls ne se bornèrent pas à leur envoyer des gardes. Ils prescrivirent encore des mesures d'humanité. Les docteurs envoyés déjà sur les lieux pour étudier la maladie, vers la fin du mois de mai, y étaient retournés dès la réception de l'arrêt du parlement et y étaient restés, d'après les ordres des consuls, pour donner des secours aux malades: c'était dans les premiers jours du mois de juin ; mais quand ils voulurent rentrer à Digne, on refusa de les recevoir; on craignait qu'ils n'eussent pris le germe de la maladie qu'on redoutait tant, et ils furent obligés de faire une quarantaine sévère. On les enferma dans une maison de campagne où ils furent gardés à vue par quelques-uns de leurs concitoyens. La ville ne se borna pas à envoyer des médecins à ses voisins : elle leur fit passer aussi des médicaments et des vivres, et leur fit faire plusieurs distributions de pain. Tous ces faits résultent d'une manière positive des comptes du trésorier de l'année 1629, où se trouvent portées en compte, avec d'assez curieux détails, ces diverses fournitures. Digne, entourée du fléau, ne pouvait pas tarder à en être frappée. Et, en effet, plusieurs cas de peste se déclarèrent dans son sein. Nos consuls n'en continuèrent pas moins cependant leurs envois à Chenerilles, jusques au moment où le danger, devenant plus pressant, la ville fut obligée de songer à ses propres enfants. Il parait à peu près certain que ce fut, ainsi que le dit Gassendi, dans les premiers jours du mois de juin que la peste éclata dans notre ville. Pourtant on n'y crut pas dès le principe. Il existe dans le registre des délibérations un conseil particulier, à la date du 7 juin , dans lequel il n'est pas encore question de l'invasion de la maladie. Les esprits paraissent bien en être préoccupés, mais ils n'y croient pas encore, ou peut-être, dans un sentiment de terreur instinctive, cherchent- ils à se tromper eux-êmes.
C'est ainsi qu'après avoir ordonné un feu de joie en signe de réjouissance pour un traité de paix conclu entre la France et l'Angleterre, et que les procureurs du pays ont fait connaître, le conseil invite les consuls à ne faire aucune démarche pour attirer les étrangers à la prochaine foire, celle sans doute de la saint Jean. La délibération dit bien que ce n'est que parce qu'elle « est dordinere fort petite a cauze de la foire d'Aix et aultres voizines, et quelle escheoit sur larière saison en laquelle le peuple est pouvre et incomode; » mais nous croirions bien plutôt que le conseil, tout en prenant cette excuse, redoutait bien davantage en réalité un rassemblement trop nombreux qu'il voulait éviter à tout prix. Au reste, le parlement ne se contenta pas de cette demie-mesure, et, le 15 juin, il rendait un arrêt qui supprimait cette foire et faisait défense aux consuls de Digne de permettre à toutes personnes d'y aller. Le conseil de la communauté approuve ensuite des travaux de réparation ordonnés au portail du Pied-de-Ville. Il s'occupe avec anxiété de tout ce qui peut empêcher le fléau de faire irruption dans ses murs. Il paraît à peu près certain, et cette délibération en est pour nous une preuve convaincante, que le 7 juin la peste ne s'était point encore déclarée à Digne d'une manière bien formelle. Cependant quelques cas suspects de contagion ne tardèrent pas à être signalés. Les consuls et le bureau de santé, toujours vigilants, chargèrent les médecins d'examiner attentivement l'état des malades et de faire un rapport sur la nature et le caractère de leur maladie. Les docteurs Lautaret et André se trouvaient encore en quarantaine, et ce rapport fut fait par les docteurs Rippert et Bernard, et par le chirurgien Ricavy. La science fit-elle erreur, ou n'eut-elle recours qu'à un subterfuge pour rassurer les habitants consternés ? C'est là un point qu'il nous est impossible d'affirmer. Ce que nous savons, c'est que le rapport des médecins fut complètement rassurant et fut adressé sans retard au parlement à Aix. Ce fut M" Jean Reynaud, avocat, qui fut chargé de cette mission. Il resta cinq jours à son voyage. Le parlement ne fut nullement rassuré à la lecture de ce rapport : il dût demander de nouveaux renseignements que le lieutenant du siège de Digne, Charles de Tabaret, Sr du Chaffault, s'empressa de lui transmettre. Tabaret dût annoncer en même temps à la cour le décès de Me Henry Fabry Sr de Châteauredon , avocat et membre du bureau de santé, qui avait jeté l'effroi dans toute la ville. Le 15 juin, par mesure de précaution, le parlement avait supprimé la foire de la Saint- Jean. Le lendemain, 16, sur les nouvelles arrivées de Digne, il rendit un nouvel arrêt par lequel il ordonnait que la maison du Sr Châteauredon serait murée et placardée, et défendait à tous les habitants de la ville de Digne de communiquer avec les lieux circonvoisins, et à toutes personnes d'entrer dans ladite ville, arrêt imprévoyant, arrêt fatal, qui causa la plus grande partie des maux dont noLre pays fut accablé. M. le conseiller du Parlement Olivier avait été commis par la cour. Nous apprenons du moins, par les comptes du trésorier, que ce magistrat vint à peu près vers cette époque à Champtercier. Les consuls de Digne et un assez grand nombre de notables, des plus apparents, comme on disait alors, furent le visiter au lieu où il s'était arrêté. La réunion eut lieu en plein air, dans un pré, pour éviter toute espèce de communications, et là dût se passer, sans aucun doute, une conférence sur les principaux besoins de la ville et sur l'état de sa santé. Dans l'intervalle, la ville avait eu le temps d'apparaître dans son plus triste jour. Outre la famille Châteauredon, d'autres personnes notables de la ville avaient été atteintes de la peste. Le capitaine Pierre Brun, Louis Bain, et d'autres, avaient été déjà victimes du fléau. Du moment que la peste fut déclarée, une grande partie des habitants, des habitants aisés surtout, s'empressa de déserter la ville. On ne songeait qu'à s'éloigner et à quitter des lieux où la vie était en danger. Quelques officiers royaux eux-mêmes ne craignirent pas d'abandonner leur poste. Les consuls, au contraire, se dévouèrent avec courage à la pénible mission dont ils étaient chargés : ils se mirent à l'oeuvre avec une noble activité, et ordonnèrent toutes les mesures qu'ils crurent devoir prendre dans l'intérêt de la ville. Malheureusement ils étaient préoccupés de fausses idées répandues partout, et, chose triste à dire, toutes les mesures qu'ils ordonnèrent ne pouvaient qu'activer l'énergie du fléau contre lequel on avait à lutter. Les portes furent gardées avec plus de soin encore que par le passé; l'infirmerie St. Lazare fut disposée de manière à recevoir les malades. Michel Joucard fut le premier qu'on y transporta, et on s'apprêta à faire construire dans les champs des huttes ou cabanes qui devaient recevoir les familles mises en quarantaine. On pourvut en même temps aux besoins de la consommation , et on chercha à s'assurer des médecins et des infirmiers. Les premières victimes de la maladie furent donc transportées à St.-Lazare, et leurs familles obligées de sortir de la ville et de rester en quarantaine. Il est difficile aujourd'hui de se faire une idée de ce qu'était la quarantaine de 1629. Nous ne pourrons pas en donner une description aussi exacte que la réalité elle-même. Mais qu'on se figure, s'il est possible, le coup d'oeil que dûrent présenter nos campagnes, lorsqu'une partie de la ville fut obligée de camper, en plein air, sous des huttes ou cabanes, construites avec des planches mal jointes, et recouvertes en paille ou en chaume. Qu'on se représente toutes ces familles éplorées qui venaient de perdre un de leurs membres, et qui étaient forcées de venir s'entasser pêle-mêle, hommes, femmes et enfants, dans de misérables cabanes où l'on pouvait à peine se retourner, et où l'on n'avait aucune des choses indis pensables à la vie. Qu'on se représente ce lugubre spectacle, et on aura, par la pensée du moins, un tableau des souffrances que nos pères durent endurer, et on comprendra pourquoi la peste de 1629 fut si meurtrière. Ce fut sans doute un grand malheur qu'une aberration aussi complète. Mais nos consuls croyaient faire le bien, et ils restèrent à cet égard d'une sévérité impassible. Ils firent d'abord assez bonne contenance. Cependant la viande manquait à la boucherie de la ville. Les consuls ne reculèrent devant aucun moyen pour s'en procurer. Un troupeau d'Arles, qui se rendait à Archail pour passer son quartier d'été dans ses montagnes pastorales, traversa le terroir de Digne. Les consuls en furent prévenus, et immédiatement ils se rendirent à Archail et firent saisir près de deux cents moutons, offrant inutilement une indemnité aux bergers, qui se bornèrent à protester. Ils comprirent bientôt qu'ils ne pouvaient pas garder sur leur tête une aussi lourde responsabilité ; ils voulurent consulter le conseil de la communauté et faire approuver leur conduite : ils le réunirent dans la journée du 27 juin. Nous croyons devoir reproduire textuellement cette délibération. Nous reproduirons également en entier celles des 29 juin et 9 juillet suivant. Ce sont des actes passés dans des moments trop solennels pour que nous puissions consentir à les dénaturer en les modifiant même légèrement.

Conseil particulier du 27juin 1629.

Du vingt-sept juin mil six cens vingt-neuf après midyen la ville de Digne et dans la maison commune, le conseilh particulier de la communaulte de ladicte ville a este assamble a la maniere accoustumee ou sont estes presentz Monsieur Me Charles de Tabaret sieur du ChafTault conseilher du roi et lieutenant général civil et criminel au siege ci ressort dudict Digne, MeJan Gaudin, advocat en la cour, premier consul, tenant le baston du roi en main en absance de M. le Viguier, Me Jan Boyer, recepveur particulier du domeyne du Roi audict siege, et Me André Mleynier, aultres consulz modernes, Me Elzias Geoflroi Sr de la Tour, advocat, M. Pierre Marchier notere, et Robert Bernard, consulz vieulx, notere Bernardin Hesmivy, Louys Amalric, Anthoine Pierre escuyer, Me Jan Baptiste de Faucon, Me Jehan Roux et Louys Reboul, advocatz, Me Jan Chaussegros, Anthoine Gaudemar, procureur, Me Anthoine Plan, Michel Salliere, bourgeois, Me Pierre Tardivi trezorier moderne de la communaulte Anthoine Hermite sieur du Caslelard, François Baille sieur de la Javye, Me Gaspard Hesmiol, advocat de la communaulte, Claude Roux, escuyer, Pierre Mathieu, Claude Savornin et André Aillaud, merchans, tous dudict Digne, conseilhiers du conseilh particulier de ladicte communaulte, ou subroges au lieu et place des absans.
Auquel conseilh a este represante par ledict sieur Gaudin premier consul qu'on a retenu le nombre denviron sept tranteniers de moutons sur les troupeaux quy ont passe dans le terroir de ceste ville ensuite dune délibération du bureau de la santé du vingt-quatre du courant sans en avoir arreste le prix pour ce que les bergers ne lont voleu fereet requis le conseilh dapreuver en tant que de besoing la delibéraiion du bureau. Remonstrc encor quil ny a point dargent dans la bource commune et que les debteurs de la communaulte reffuzent de payer attandu linterdiction, requierent le conseilh dy prouvoir aussi ; quil est expediant de fere de chefz de rue pour lassurance de la ville et prévenir les mouvemans factieulx quy ce pourroint exciter. Les freres Observantins sont en extreme necessite de pain et de vin silz doibvent estre adsistes et secoureus par la communaulte quy est fondatrisse de leur maison ; quils ont conveneu avec ung infirmier a vingt soulz par jour et quil est necessere davoir un chirurgien et de personnes a suilizallee pour servir dans linfirmerye et establir de gardes a ceulx quy seront mis dans les cabanes et uttes au terroir de ceste ville et prouvoir a leurs allimens et au payement desdictes gardes et voir sy elles seront entretenues et payees aux despans de ceulx quy seront gardes. A este delibere unanimement que la retenue et achept de moutons est rattifie et quilz seront payes par la communaulte a lextime ou par accord que Messieurs les consulz en feront et la deliberation du bureau en tant que de besoin apreuve. Quil sera prins nombre de personnes de qualité pour estre chefz de rue a la dilligence de Messieurs les consulz quy les pourront changer a leur plaisir et volonte, lesquels chcfz de rue ou cappouraux seront charges de fere fere la patoulhe toutes les nuytz tant dedans que dehors la ville pour empescher les inconveniens et mouvemens quils pourroient arriver et quon ne sorte les vivres et denrees a la desrobee. Pouvoir a Messieurs les consulz dadcister les peres Observaniins de toutes les chozes necesseres et de leur achepter une thounelle de vin pour leur estre distribuée a la discret ion desdicts sieurs consulz. Ils pourront aussi subvenir a tous les particuliers nécessiteux de la ville avec discrétion et bailheront argent ou bled par forme de prest et en retireront obligacion , laquelle sera au perilh et fortune de la communaulte et nullement desdicts sieurs consulz quy en demeureront des maintenant deschargez pour ce que cest par forme daumosne. Le conseilh apreuve et ratiflie le pache et convantion faicte avec l'infirmier et donne charge expresse a Messieurs les consulx den chercher daultres et de personnes quy vueilhent subir le denger et servir a linfirmerye a tel prix et con dictions quils advizeront, leur donnant sur ce subject toute sorte de pouvoir sen rapportant a leur honneur et conssiance. Pouvoir encore de payer a leur discretion les médecins et chirurgiens quy leur feront rapport verbal ou par escript en estant req uis de lestat des maladyes quilz jugeront suspectes et pestillantes a fin de fere ranvoyer les malades dans linfirmerye et sera donne pour un moys comptable puis le vingt-cinq du courant aux médecins soixante livres et aux chirurgiens quarante. Le mesme pouvoir leur est donne de fornir vivres tant a ceulx quy seront dans linfirmerye que dans les cabanes et uttes quy les voudront rccepvoir de la communaulte sauf den fere, appreuvant et rattifiani toute la forniture faicle jusques au jour dhui aux personnes quy ont este retenues dans leurs maisons ou sont de la qualite susdicte. Les gardes quy ont estes donnes par Messieurs les conseuls ou le seront a lad venir seront payes par la communaulte et a ces fins pouvoir leur est donne den mettre aultant que suiffre doibve selon les occurrances et besoins et en tel nombre quilz jugeront bon estre son rapportant le conseilh a leur religion honneur et conssiance. Ilz pourront encore convenir avec un chirurgien pour servir dans linfirmerye et lemployer aux aultres usages necesseres aux prix paches et condictions et qualites quilz trouveront bon estre. Et generallement le conseilh remet et resigne la ville et toute sa conduite entre les mains de Messieurs les conseulz les chargeant très expressemant de payer toutes les personnes quilz treuveront a propos demployer pour le public et leur eu fere mandemens sur le trezorier. Et a cest effect les charge tres expressement demprunter de telles personnes quiiz treuveront jusques a la somme de troys mille livres den passer les obligacions requizes obliger tous les biens droitz rantes et revenus de la communaulte aux paches et qualites quilz advizeront les constituans leurs procureurs especiaulz et generaulz sans derrogation avec promesse dagreer leur gestion et de payer la somme aux termes et qualités accordes, laquelle somme sur lobligacion sera receue par Pierre Tardivy trezorier moderne de la communaulte et de snite expedier sur les mandemans quy lui seront adresses a laccoustumee par Messieurs les consulz.
Suivent les signatures.
TAllARET. - GAUDIN, consul. -J. BOIER, consul. — A. MEYNIER, consul.-HERMlTE.-ELz. GEOFROY. —L AMALRIC. -CHAUSSEGROS. - MARCHIER. —ROUX.—ROUX.—GAUDEMAR.—BERNARD.— SAVORNIN.-REBOUL. —REYNAUD. -AILHAUD. —SALLlÈRE. —PLAN. - TARDIVY.— HESMIOL —PIERRE.- HESMIVY. —Du SAUZE.—DENOIZE, greffier.
Cette délibération , qui renferme les plus précieux détails, donne une intelligence complète de la situation de la ville de Digne, à la fin du mois de juin 1629. Elle révèle tous les embarras des consuls et dessine nettement les moyens par lesquels ils entendent combattre la maladie qui a jeté l'épouvante dans toute la population. La ville était depuis peu de jours sous le poids de l'interdiction prononcée par l'arrêt du 16 juin, que nous avons mentionné, et cependant les vivres commençaient déjà à manquer. Il fallait pourtant pourvoir aux besoins de la classe indigente, incontestablement la plus nombreuse ; il fallait pourvoir à la subsistance des familles qu'on avait forcées d'aller en quarantaine. Tous les travaux se trouvaient suspendus, le commerce était complètement anéanti, et tous ceux qui ne vivaient que du fruit de leur travail n'avaient pas du blé en réserve et se trouvaient réduits à une misère affreuse. Les maisons religieuses elles-mêmes avaient peu d'approvisionnements, et la maison des Observantins, fondée par la ville, venait de faire entendre un cri de détresse. Les consuls n'avaient pas, il faut le dire, hésité un seul instant à prendre les mesures qu'ils avaient jugées nécessaires. Soutenus par le bureau de santé, ils avaient avec vigueur fait face aux premiers besoins nés de l'irruption du fléau. C'étaient eux qui avaient fait organiser l'infirmerie Saint-Lazare pour recevoir les habitants malades de la peste et qui y avaient établi les premiers infirmiers ; c'étaient eux qui avaient fait adopter le système des quarantaines et qui faisaient exécuter les prescriptions rigoureuses que ce système avait nécessitées ; ils avaient provoqué le concours des médecins et des chirurgiens, et leur activité n'avait pas perdu de vue un seul instant le soin important d'assurer à tous les habitants la subsistance indispensable. Tout cela avait été fait spontanément : les consuls avaient agi sous l'impulsion d'un noble sentiment d'humanité et de patriotisme. Dès qu'ils eurent le temps de la réflexion, ils assemblèrent le conseil de la communauté, pour soumettre leurs actes à son approbation et lui exposer les difficultés qui les attendaient à l'oeuvre. Le conseil ratifia sans hésiter tout ce qu'ils avaient fait jusques-là ; il approuva hautement leur conduite et leur donna de nouveaux et de plus amples pouvoirs. S'occupant d'abord des mesures d'ordre intérieur, il les autorisa à nommer, dans chaque rue, une personne notable chargée de commander et de diriger les gardes du quartier, pour veiller nuit et jour à la tranquillité publique et empêcher, au besoin, qu'on ne sortit de la ville des vivres ou des denrées. Il les autorisa à nommer le nombre de gardes nécessaires pour garder dans leurs cabanes les familles mises en quarantaine. Arrivant ensuite aux mesures d'humanité, il leur donna pouvoir d'assister les pères Observantins, de faire à tous les nécessiteux de la ville des distributions de blé ou d'argent à titre de prêt, mais il ne voulut pas les en rendre responsables, parce que ce prêt n'était à ses yeux qu'une aumône. Il les autorisa encore à fournir les vivres nécessaires à tous ceux qui se trouvaient dans l'infirmerie St.-Lazare et à toutes les familles dispersées dans la campagne pour subir la quarantaine. Les consuls reçurent encore du conseil le pouvoir le plus absolu d'augmenter les infirmiers à proportion du nombre des malades, de s'assurer le concours des médecins et des chirurgiens auxquels ils avaient promis déjà une indemnité assez forte, et enfin de chercher un chirurgien qui consentit à aller donner ses soins aux malades de l'infirmerie St.-Lazare. Pour faire face à ces diverses dépenses, il fallait nécessairement de l'argent, qui manquait tout-à-fait, parce que les débiteurs de la communauté, en présence d'un pareil fléau, refusaient de s'exécuter. Le conseil les autorisa à emprunter une somme de trois mille livres au nom de la commune. Enfin, il remet et résigne la ville et toute la conduite entre les mains de Messieurs les consuls, car il a compris que dans un désastre pareil l'autorité a besoin d'être libre dans ses efforts, et il a une entière confiance dans les hommes qui en sont investis. Ce pouvoir illimité donné aux consuls aurait pu sauver la ville, si ceux-ci ne s'étaient pas jetés dans une voie fausse et malheureuse qui les entraîna malgré eux vers un but diamétralement opposé à celui qu'ils voulaient atteindre. La mortalité s'accrut considérablement pendant les journées des 27 et 28 juin. Un grand nombre de familles furent atteintes. Le système adopté fut impitoyablement suivi: le malade était envoyé à St.-Lazare, quand on y était à temps, et sa famille mise tout aussitôt en quarantaine. Nous pourrions citer un nombre considérable d'habitants qui furent atteints du fléau pendant ces deux jours, et envoyés à l'infirmerie, tandis que leurs familles étaient parquées dans les huttes que nous avons décrites ci-dessus, soit à Chabasse, soit aux Epinettes, soit à Mouiroues, dans tous les quartiers enfin du territoire si limité de la ville de Digne. Nous pouvons citer notamment les familles Deaudet, Pascal, Bayle, qui furent tour-à-tour frappées.
Les maisons religieuses elles-mêmes n'étaient pas à l'abri du fléau. Le bruit se répandit que la peste avait fait invasion au couvent des Cordeliers. Les consuls ordonnèrent aussitôt que les portes en fussent fermées et que toutes les communications avec l'intérieur de la ville fussent sévèrement interrompues. En même temps ils placèrent des gardes à toutes les portes du couvent. Les consuls, il faut le reconnaître, remplirent leur mission, pendant ces jours de désolation, avec une courageuse énergie. Ils veillèrent avec une infatigable ardeur à la satisfaction de tous les besoins qui leur furent signalés. Ils activèrent la garde, mirent des sentinelles sur le pont des Eaux-Chaudes pour empêcher toute communication des habitants avec l'infirmerie St.-Lazare où se trouvaient les pestiférés. Ils firent surveiller les maisons abandonnées par suite de l'envoi à St.-Lazare et de la mise en quarantaine. Ils firent aussi ouvrir la porte du Portalet pour une plus grande facilité des relations. Outre ces mesures générales d'intérêt public, il était d'autres soins non moins importants qui retombaient sur les consuls et sur les membres du bureau de santé. Il fallait veiller constamment à la distribution des vivres dans les cabanes établies sur les divers quartiers du territoire1 ; il fallait, d'un autre côté, ne pas laisser mourir de faim, dans la ville, les pauvres et les nécessiteux qui manquaient même de pain. Les consuls firent distribuer tout ce qu'ils avaient à leur disposition, soit en vivres, soit en argent.
Au milieu de tous ces embarras, au milieu de cet état de détresse, les consuls durent faire un appel aux communes voisines : manquant de tout, des objets le plus nécessaires à la vie, la ville avait grand besoin de n'être pas abandonnée dans ce moment critique. Malgré tous leurs efforts et toute la peine qu'ils se donnaient, les consuls, on le comprend, devaient être exposés à de nombreuses demandes et à des réclamations de toute espèce. Aussi furent-ils forcés, pour empêcher l'invasion de leurs maisons et échapper aux sollicitations importunes et au contact des personnes atteintes du mal contagieux, de placer des gardes à leurs portes et de s'en faire accompagner.
Mais les deux journées des 27 et 28 juin avaient été si meurtrières qu'elles avaient jeté partout la crainte et la terreur. Tous ceux qui entrevoyaient la possibilité de quitter notre malheureuse cité, qui n'était pas encore cernée par les troupes que le parlement faisait lever dans les communes des environs, se disposaient à en sortir et à chercher au loin un refuge à tant de maux. C'est alors que le parlement, craignant que la ville de Digne ne fût abandonnée dans un pareil désastre, soit par ses consuls, soit par les officiers royaux, rendit, le 28 juin, un arrêt par lequel il enjoignait aux officiers royaux et aux consuls de Digne de rester dans ladite ville, et dans le cas où ils en seraient sortis, d'y rentrer sans délai, sous peine d'être poursuivis sévèrement et de répondre de tous les événements qui pourraient arriver. Mais cet arrêt n'empêcha pas d'abord la désertion des habitants: la panique était générale, et elle ressort on ne peut mieux de la délibération prise le 29 juin, sur la Place des Herbes, aujourd'hui de l'Évêché , devant la porte du consul Gaudin. Les conseillers présents se rassemblent à la hâte et prennent une délibération que nous transcrivons, et qui est un véritable cri de désespoir et de sauve qui peut poussé dans un moment de profond découragement.

Délibérati du 29 juin 1629.

Du vingt neuf juin mil six cens vingt neuf de matin dans la place publique dicte des Herbes a este délibéré par les soubssignes quy nont peu sasssambler a la ccoustumee a cause de la maladye contagieuze et pestillante de laquelle il plaict a Dieu dallliger la ville que Pierre Ricavi M° chirurgien de ladicte ville yra servir les malades de ladicte maladye quy sont dans linfirmerye durant un moys dhuy comtable a la charge quil ne ce communiquera ni frequantera dans la ville pour le prix durant ledict temps de cinq cens cinquante livres quy luy seront expediees par Messieurs les consulz ou trezorier dicelle sur leur mandemant sans quil puisse rien prethandre après ledict terme espire pour sa quaranteyne. Appreuve le conseilh les infirmyers serviteurs enterreurs et aultres personnes establyes pour le service des malades de Messieurs les consulz et du public au prix convenu. Permis aux habitans de la ville de serrer leurs meubles marchandizes et biens precieulx dans leurs maizons et chambres particulières dicellc et den murer les portes et y fere appozer le sceau du roi cy besoin est et seront faictes les attestations requizes des maisons quy sont encore en santé pour leur asseurance future. Suivent les signatures.

TABARET.—GAUDIN, consul.—J. BOIER, cousul.- A. MEYNIER, consul.-MARCHIER.-BERNARD. -REYNAUD.-HERMITE.- L. AMALRIC.- AUTARD.
— PLAN.—FREDIÈRE. —JACQUES.—ALLEMAND.—DUPIES.—FABRY.—MICHEL.—ROUX. —DUPONT.—AMAYENC. —RIPPERT. —Deux signatures
illisibles. DENOIZE, greffier.

On se disposait donc de toutes parts à abandonner la ville. Le conseil lui-même de la communauté en avait compris l'urgence. Il venait d'autoriser les habitants à serrer leurs choses précieuses, à fermer et à murer leurs portes, et à y faire apposer le sceau du roi. On devait en même temps faire faire toutes les attestations requises pour les maisons encore en santé dans l'intérêt de leur assurance future. Cette dernière disposition avait sans doute pour but non-seulement d'assurer la conservation des objets ainsi mis sous clef, mais encore d'éviter, pour l'avenir, la formalité de la purification dont nous aurons à parler plus tard. Il n'était question ici que des maisons encore en état de santé. Toutes celles qui avaient été atteintes du fléau étaient déjà complètement abandonnées. D'ailleurs, les consuls, qui faisaient garder leurs portes et s'entouraient de gardes pour éviter le contact des malades, et les officiers royaux n'auraient pas pu s'exposer aux atteintes de la contagion en pénétrant dans les maisons pestiférées.
Cette mesure prouve jusqu'à la dernière évidence combien les habitants étaient effrayés, et quelles prescriptions extraordinaires les consuls et le conseil étaient forcés d'ordonner. Au reste, cette frayeur était bien légitime. La mortalité avait suivi une progression toujours croissante. On avait jeté en quarantaine un nombre infini de familles. Les vivres, les ressources de toute espèce commençaient à manquer, et en l'état d'interruption de toutes les communications, on ne savait comment y suppléer.
Les consuls déployaient envain un zèle souvent impuissant. Les gardes, les infirmiers ne pouvaient plus suffire : on n'en trouvait déjà plus qu'à des prix exhorbitants (1).
Le chirurgien Ricavy avait traité avec les consuls.

(1) Le nombre des morts a este si grand en ceste ville et aux cabannes hors icelle quil a falleu employer plusieurs infirmiers ausquelz a fallu donner ce quilz voulloient et encore sa grand peine on en pouvoit retrouver. (Compte du trés. de 1629,Pierre Tardivy).

Il avait consenti à aller s'enfermer pendant un mois dans l'infirmerie St.-Lazare, moyennant une somme de cinq cent cinquante livres. Le conseil venait d'approuver le traité fait avec lui; mais quelques jours après ce chirurgien devait trouver la mort au milieu des malades qu'il allait soigner. Ce qui devait créer de nouveaux embarras quoique sur cette somme ses héritiers fusent tenus de restituer tout ce qui dépassait 183 écus et 20 sous. Les autres médecins et chirurgiens étaient tout aussi difficiles. Ils exigeaient dix écus par semaine pour faire alternativement, et de deux en deux, le service de la ville et donner leurs soins à tous les malades indistinctement. On fut fort heureux de les satisfaire à ce prix. Mais les malades de l'infirmerie n'avaient pas besoin seulement de secours corporels : ils manquaient de soins religieux, et aucun prêtre n'avait pu y être établi : deux pères Cordeliers, à la tête desquels se trouvait le père Durand, se dévouèrent au service des malades et s'enfermèrent dans l'infirmerie. Les distributions de vivres se faisaient chaque jour avec plus de difficultés. Le nombre des cabanes augmentait sans cesse: tous les quartiers en avaient été couverts ; on avait même empiété sur le territoire de Marcoux.
Or, à mesure que les difficultés croissaient, les ressources diminuaient, et on ne trouvait plus un nombre suffisant d'individus pour soutenir les divers services que l'on avait organises dans le principe. Les consuls ne se découragèrent pourtant pas. Le blé et l'argent leur faisaient défaut. Ils eurent recours aux emprunts et achetèrent à crédit tout le blé qu'ils purent découvrir. Marcelin Fabre, marchand, leur prêta six cents écus; M° Gâche, avocat, leur en prêta deux cents; la dame Isabeau Savornin de Lauzières, leur en prêta cent; enfin, ne sachant plus où passer, ne trouvant personne qui voulut ou qui pût leur prêter, un des consuls eux-mêmes, André Meynier, fit un prêt à la ville de huit cents écus." Ces nouvelles ressources permirent de faire face aux besoins les plus pressants. Si la peste avait diminué, elles auraient pu en amener d'autres. Mais la contagion devenait de jour en jour plus terrible, et ces sommes furent bientôt épuisées. Les cas de peste augmentaient tous les jours. La maladie agissait avec tant d'intensité que la plupart des malades mouraient avant d'avoir pu être transportés à St.-Lazare. Il fallait pourvoir à les ensevelir, en gardant toutefois les plus grandes précautions.
Mais bientôt le nombre des victimes était devenu tel que les hommes employés à les ensevelir furent insuffisants. Le cimetière ordinaire fut abandonné, et on crut devoir choisir un endroit spécial pour tous ceux qui mouraient de la contagion. Les consuls avaient fait creuser des fosses dans le jardin de Nicollas Deaudet, pour y ensevelir les victimes de la peste. Et pour remplacer les ensevelisseurs eux-mêmes on avait fait construire une claie qui était occupée tous les jours à transporter les cadavres à leur dernière demeure. Mais cette recrudescence de la maladie avait créé de nouveaux dangers. Les corps laissés trop longtemps dans les maisons répandaient une infection profonde qui donnait encore de la force au fléau dévastateur. Les animaux eux-mêmes avaient été atteints, et les lisses actuelles étaient encombrées de chiens et de chats morts de la même maladie. Les consuls essayèrent encore de remédier à cette nouvelle source de maladie : sur une ordonnance du bureau de santé, de grands feux furent allumés sur toutes les places de la ville; des hommes furent chargés de balayer et de laver les rues; on s'efforça d'éloigner, par tous les moyens possibles, tout ce qui pouvait alimenter ou favoriser la contagion. C'est sur ces entrefaites qu'arrivèrent quelques secours des communes de Valensole, de Seyne et de Riez, secours bien insuffisants et qui bientôt devaient rester inefficaces. En présence de tant d'embarras et de misères, les consuls réunirent de nouveau le conseil de la communauté, qui, cette fois encore, s'assembla devant la porte du consul Gaudin. Nous transcrivons cette délibération qui confie la ville aux consuls et leur donne un pouvoir absolu.

Délibération du 9 juillet 1629.

Du neufviesme juilhet mil six cent vingt neuf de matin en la ville de Digne, devant la maison de M. le consul Gaudin a la plasse publique, par devant M° Jehan Baptiste Gaudemar conseilher du Roi au siege dudict Digne et en absance de M. le lieutenant ou sont estes prezentz M° Jan Gaudin, advocat en la cour, M° Jan Boyer recepveur particulier du domeyne du Roi audict siege et M° André Meynier consulz modernes, Louys Amalric, Claude Roux escuyers, Me Ollivier Dupies, Louys Reboul, advocat en la cour, cappitayne Pierre Chaud, Jacques Autard, Claude Savornin , Pierre Mathieu, Pierre Gautier, cappitayne André Cantel , Michel Meynier, Melchion Gai, Elzias de Rochas, Louys Meynier,St d'Entrages, Andre Eymar blanchier, M°Anthoine Plan cy devant notere, M° Pierre Masse procureur, Jehan Pierre Bertrand Sr de Feissal et aultres. Le conseilh attandu l'extreme necessite de la maladye a donne toute sorte de pouvoirs a Messieurs les consulz demprunter telle somme dargent quilz advizeront pour subvenir au payement des occurrances necesseres et que les sommes seront reçues par Pierre Tardivi et par lui expediees sur leurs mandemans ensamble telle quantité de bled quilz treuveront bon estre pour en secourir le peuple suivant les précédantes deliberacions. Comme aussi le conseilh donne pouvoir de traiter avec les medecins, appoticaires et chirurgiens a la ville et aultres quilz treuveront hors de la ville cy besoing est. Rattifie le conseilh tout ce qua este fait par Messieurs les consulz jusques au jourdhui. Suivent les signatures.

GAUDEMAR.-GAUDIN consul.-J. BOIER, consul.- A. MEYNIER, consul.- L AMALRIC—REBOUL.— PLAN.-A UTARD.-ROUX.-MASSE.-SAVORNIN.
—AUTARD—. M. MENIER. —ROCHABRUN—.MATHIEU.— Deux signatures illisibles.-DENOIZE, greffier.

Ce conseil, le dernier qui nous ait été conservé de l'administration municipale, qui se trouvait à la tête de la ville de Digne lors de l'invasion du fléau, n'est qu'une approbation hâtive, donnée sur la place publique, des actes des consuls. Elle est encore signée par les trois consuls eux-mêmes, mais le lieutenant Tabaret est remplacé : a-t-il succombé au fléau, ou a-t-il abandonné son poste? Le même jour, ensuite d'une délibération du bureau de santé, qui lutte de son coté et donne du courage à tous les fonctionnaires et aux habitants, les consuls font un nouvel accord avec les médecins et les chirurgiens, qui déjà ne se contentaient plus de dix écus par semaine, pour se dévouer au service des malades, et auxquels il fallut compter une somme de 700 écus. Parmi ceux avec qui l'on traite, se trouvent déjà des médecins étrangers qui sont venus apporter leur tribut de dévouement et d'efforts. Nous trouvons notamment un médecin de Mison. Un emprunt de trente-deux charges de blé est contracté, le 11 juillet, d'un marchand de la ville, André Boyer. Les distributions se continuent quoique toujours plus difficiles et par suite moins régulières. Mais la mortalité devient de plus en plus effrayante : le nombre des morts s'accroît tous les jours davantage. Les consuls eux-mêmes, ou du moins leurs familles, sont à leur tour atteintes de la peste. Le bureau de santé aurait dû au moins faire une exception pour ceux de qui dépendait le salut de la ville: il fut impitoyable et décida que les mesures prises à l'égard des autres habitants leur seraient appliquées, et le premier consul, M° Jean Gaudin, fut obligé à son tour d'aller en quarantaine et de se mettre en cabane.
Il y était dès le 11 juillet. Nous en avons la preuve dans le compte du trésorier, qui paye les frais de construction de la hutte qui lui était destinée. Ses deux autres collègues ne furent atteints qu'après lui; mais dès le 14 du mois de juillet, ils cessèrent de signer les mandats du trésorier, et dès ce moment commença l'épouvantable désordre que Gassendi retrace en traits si énergiques. Les ordres commencèrent à ne plus s'exécuter; bientôt même il ne devait plus y avoir personne pour commander ; chacun ne dût plus songer qu'à soi-même. C'est au milieu de cette consternation universelle que les membres du bureau de santé, seuls chargés de l'administration de notre malheureuse cité, se voyant dans un état d'impuissance absolue, ne comptant plus ni sur eux-mêmes, ni sur personne, voyant le fléau grandir tous les jours, ne crurent pouvoir mieux faire que de s'adresser à celui qui a la souveraine puissance, qui régit les mondes par la seule force de sa volonté, et au nom de la ville, au nom de leurs infortunés concitoyens, ils s'humilièrent profondément et crièrent merci à genoux et les mains élevées vers le ciel. Pour que leurs prières fussent plus favorablement accueillies, ils eurent recours à la puissante intervention de laVierge, sa mère. Ils réunirent tous les membres du bureau de santé, s'adjoignirent tous les habitants valides île la ville, et tous ensemble, le 15 du mois de juillet, firent aux pieds des autels le voeu solennel d'aller processionnellement, après la cessation de la peste, en pèlerinage à Notre-Dame-de-Grâce, chapelle en vénération à Cotignac, petit village de Provence, faisant partie aujourd'hui du département du Var. Ils promirent de faire à la chapelle un don de mille livres, sur les revenus de la communauté. Tous les membres présents s'obligèrent à exécuter personnellement ce voeu, et exprimèrent l'espoir, dans le cas où ils seraient victimes du fléau, d'en voir réaliser l'accomplissement par les survivants. Cet acte est le dernier que nous trouvions mentionné dans les archives de la commune. Dès ce moment tout fut désorganisé, les services publics cessèrent, les distributions de secours n'eurent plus lieu ; le 24juillet, le trésorier de la commune, Pierre Tardivy, qui avait jusque là bravement résisté, succomba lui-même sous les coups du fléau. Le 26, tous les consuls avaient abandonné la ville. Notre tâche s'arrête ici; laissons parler Gassendi, car dès ce moment nos archives sont muettes.

Les symptômes qui annonçaient le mal et qui l'accompagnaient, étalent la soif, les suffocations, l'insomnie, la lassitude, la pesanteur de tête, l'extinction de la voix, les nausées, les vomissements, les déjections sanguines, les crachements de sang, la sueur, le tremblement, les convulsions, l'insensibilité causée par le froid, le délire, etc. Les symptômes les plus fréquents étaient l'apparition de bubons aux émonctoires des aisselles, des aînes et du cerveau. De forme ovoïde, les plus petits de ces bubons étaient de la grosseur d'une amande, et les plus gros, de la grosseur d'un oeuf. Tantôt il n'en apparaissait qu'un seul, plus souvent deux; quelquefois ils étaient accompagnés de charbons, mais toujours ils étaient douloureux, surtout pendant l'inflammation. Ces bubons disparaissaient quelquefois d'eux-mêmes, ou rentraient en dedans; mais presque toujours ils venaient à suppuration, et tant qu'elle durait, il était impossible d'éprouver une douleur plus vive et plus aiguë. Les charbons se présentaient aussi tantôt seuls, et tantôt, comme nous l'avons dit, accompagnés de bubons, mais toujours enflammés, malins et entourés de pustules. Quelquefois il n'y en avait qu'un, souvent, un plus grand nombre , quelques malades en ont eu jusqu'à douze. Ils finissaient par se transformer en escarres et en ulcères d'une fétidité repoussante, larges comme la main, sinon davantage : rarement leur dimension restait en dessous. Chez quelques malades on n'a observé que des pustules de diverses nuances, noires, rouges, pourprées, couleur de feu. Chez d'autres, les articulations s'engorgeaient; quelques-uns même furent subitement frappés de mort, sans que la maladie se fût annoncée par quelque symptôme. Les cadavres présentaient un aspect horrible ; la face était contournée, et les chairs, au lieu d'être molles et flasques, comme on aurait dû s'y attendre, étaient rudes et contractées. Une des choses les plus surprenantes, c'est l'effet que produisait la violence de la maladie chez quelques individus. Un entr'autres, grimpa comme un écureuil le long d'une muraille, et parvenu sur le toît se mit à lancer des tuiles, qui pleuvaient comme des noix. Un autre, monté également sur le toit de sa maison, à l'aide d'une échelle, y fit pendant quelque temps toutes sortes de gambades, puis après en être descendu, se mit à courir devant lui, jusqu'à ce que se précipitant au milieu des soldats commis à la garde de la ville, il tomba frappé d'un coup mortel. Un autre, indigné qu'on le retint à l'hôpital comme malade, parvint à s'échapper, courut vers sa femme qu'il rejoignit, et avec laquelle il s'abandonna aux plaisirs des sens: ils expirèrent instantanément l'un et l'autre. Un autre, s'imaginant qu'il pourrait voler, étendit ses bras, en guise d'ailes , se précipita d'un lieu élevé, et se brisa en mille pièces. Un autre, se figurant qu'il était dans un navire battu par la tempête, se mit à jeter ses meubles par la fenêtre, comme si c'étaient des marchandises. Enfin un père, en vint à saisir son jeune enfant, et à le précipiter tout vivant, les bras tendus hors de la croisée, sur le pavé de la rue.
Ajouterons-nous maintenant que la nature de la maladie était telle, que plusieurs personnes ont survécu après avoir passé pour mortes pendant plusieurs jours? Ajouterons-nous qu'il a dû nécessairement arriver que des malades encore vivants aient été ensevelis? Car, tant que les fossoyeurs purent suffire à leur tàche , ils s'em pressèrent , sans laisser s'écouler le temps nécessaire, d'enlever tous ceux qui leur paraissaient privés de sentiment et de vie. Quelques uns revenant à eux pendant qu'on les transportait, se précipitèrent hors du charriot sur lequel étaient entassés les cadavres. Une jeune fille de vingt ans, déjà jetée dans la fosse, donna des signes de vie, et en fut retirée. Une autre âgée de vingt-cinq ans, après avoir passé trois jours, privée de sentiment, dans un sillon de vigne, fut tirée le quatrième de son état de léthargie par la douleur que lui causait un bubon naissant, et fut assez heureuse pour en guérir. Une veuve resta six jours entiers sans avoir conscience de son existence, ou du moins sans prendre aucune espèce de nourriture ni de boisson, et ce fut peut-être ce qui la sauva. Un malade, regarde comme mort pendant quatre jours, ne put pas être enseveli, parce que sa femme qui avait creusé sa fosse,de ses propres mains, n'était pas assez forte pour l'y plonger elle-même: tout-à-coup il revient comme d'un profond sommeil, se met à parcourir les champs, prédisant l'avenir, annonçant le jugement dernier, et exhortant à la pénitence tous ceux qu'il rencontrait, accablant de malédictions ceux qui ne tombaient pas à ses genoux, et faisant mille choses bizarres que nous avons apprises de sa propre bouche. Mais, c'est assez sur ce sujet, suivons le cours de la maladie: les premiers jours pendant la première semaine, il n'était mort que trois ou quatre personnes; vers le milieu du mois de juin, il en mourait quinze par jour; au commencement de juillet, le nombre des morts s'élevait chaque jour à quarante ; vers le milieu de juillet et au commencement d'août, à cent soixante; ce ne fut que vers le milieu de ce dernier mois que ce fléau commença à perdre de son intensité : dans le courant du mois de septembre il ne rpourait plus que cinq ou six personnes par jour ; et la mortalité cessa entièrement au commencement du mois d'octobre. De tous ceux qui étaient morts ou qui avaient survécu, on fit le compte, que cinq cents à peine avaient pu recevoir les soins et les secours nécessaires. Des familles nombreuses avaient été entièrement éteintes, et on citait une chambre, qui n'avait pas plus de deux toises carrées, dans laquelle on avait trouvé neuf cadavres. La principale cause des ravages qu'exerça ce fléau, fut l'inexpérience d'abord, et ensuite l'interprétation trop rigoureuse de l'ordonnance ou arrêt du parlement, qui défendait, sous peine de mort, aux habitants de Digne, de sortir de la ville ou de son territoire. Or, le territoire de cette ville étant, comme nous l'avons déjà dit, extrêmement restreint par la Bléone, dont la rive extérieure appartient aux communes de Courbons et des Sièyes (quoique les terres, les vignes, les prés et les champs, qui s'étendent à une lieue et demie à la ronde, appartiennent exclusivement à des Dignois), son exiguité empêchait de diviser la population et de la répartir dans de petites habitations isolées, circonstance qui, assurément, n'était pas connue de la cour suprême. D'un autre côté, le conseiller chargé de faire exécuter cet arrêt, avait fait prendre les armes à des hommes des communes voisines, pour ne laisser sortir du territoire de Digne, aucun des habitants qui auraient cherché hors de la ville un toît ou un abri, et un poste de ces hommes armés fut établi sur le pont de la Bléone. Ces mesures furent souvent la cause, lorsque par exemple un crieur était envoyé pour faire quelque communication aux habitants de la ville, que les citoyens en accourant en foule, aux abords du pont, pour l'entendre, se pressaient, se touchaient et se communiquaient la maladie. Ajoutez à cela que les habitants des villages voisins, en vinrent bientôt à un tel degré d'endurcissement, qu'ils restèrent complètement insensibles au malheur des Dignois : on aurait dû dans un pareil désastre, et dans l'impuissance où étaient les habitants de cette ville, de se procurer les choses nécessaires à la vie, les leur faire parvenir et prévoir leurs besoins: loin de là, lorsqu'un ami s'efforçait de faire passer dans la ville des vivres ou d'autres objets, les gardes les détournaient à leur profit ; si d'autres, dans l'espoir de réaliser un bénéfice, apportaient divers objets et les mettaient en vente, les gardes les achetaient à vil prix, pour les revendre ensuite à des prix excessifs. Quand la désolation fut à son comble et que les cadavres ne purent plus être ensevelis il en resta plus de quinze cents sans sépulture, qui répandaient dans la ville la plus horrible infection. On agita un instant la question, et on décida de détruire par le feu la ville et ses habitants : si cette résolution ne fut pas exécutée, c'est qu'on apprit au même instant que la peste venait d'envahir trois ou quatre villes voisines, et l'on comprit qu'en incendiant la ville de Digne il fallait aussi les anéantir. On se borna donc à incendier une maison de campagne située dans un champ voisin de la ville et, avec elle, toute la famille de ses propriétaires qui s'y était retirée. Certainement, si ces infortunés avaient pu se construire des chaumières, même de simples barraques dans les champs des environs, surtout sur l'autre rive de la Bléone, pour faire, suivant l'usage, une quarantaine de quelques jours, sous les yeux et la surveillance assidue des habitants des villages voisins, une très grande partie d'entre eux, auraient pu se sauver, en fuyant le foyer de la contagion : un très grand nombre de ceux qui purent se retirer dans les maisons de campagne du territoire de Digne échappèrent à la mort. Mais tous ceux qui n'eurent pas à leur disposition une pareille ressource, virent bientôt que la sévérité des populations voisines ne leur laissait aucun espoir de sortir de la ville: ils s'y enfermèrent donc et y périrent misérablement. La ville offrit surtout un aspect lamentable, lorsque la maladie en fut arrivée à ce point que l'hôpital établi au dehors de la ville, à la chapelle de Saint-Lazare, ne put plus recevoir de malades; lorsque le char mortuaire ne put plus enlever les morts, parce que les fossoyeurs, ceux-mêmes qu'on avait choisis parmi les prisonniers, étaient morts ou moribonds. Les magistrats de la ville se virent alors dans la cruelle nécessité de relâcher, d'abord, puis d'abandonner tout-à-fait les rênes de l'administration. La ville se trouva bientôt sans consuls, sais juge, sans culte divin: les ouvriers, les employés de la cité manquèrent bientôt à leur tour: l'horloge se tut, les fontaines tarirent, les moulins s'arrêtèrent, les fours se refroidirent, le marché resta désert, et on manqua des choses les plus nécessaires à la vie. Une chose remarquable, c'est que dans ces jours, où la mort paraissait inévitable, on vit quelques personnes, dans la crainte d'être enterrées toutes nues, s'envelopper d'un suaire avant même d'être atteintes par la maladie. Tout sentiment de pitié et d'humanité était anéanti. On vit une femme refuser à son mari malade toute espèce de secours. Une autre, en mal d'enfant, car toutes avortaient sous l'influence de cette maladie, se délivra elle-même de son foetus, le porta à sa mamelle avant qu'il fut détaché du placenta, et périt bientôt après avec lui. Un grand nombre d'individus erraient ça et là pillant les maisons désertes, et préférant s'enrichir de cette manière plutôt que de servir un maître. On n'aurait pas trouvé un domestique au prix de deux cents écus par mois. Ces malheureux ne savaient pas que bientôt ils seraient frappés à leur tour et périraient avec leurs richesses mal acquises. De tous ceux qui se livraient à ces excès, peu survécurent, les autres perdirent sans savoir comment ce qu'ils avaient amassé. Lorsqu'un malade revenait à la sanlé, il se plaçait aux endroits exposés au vent, et le bravait en face. Ceux qui se rencontraient dans les rues, ne se reconnaissaient plus, et se regardaient comme des ombres vivantes. Heureux celui qui, dans ces temps affreux, pouvait pourvoir lui-même à ses besoins, et n'était pas obligé de recourir à l'assistance d'un autre. Beaucoup périrent abandonnés dans les champs et furent trouvés gisant sur le sol où ils avaient rendu le dernier soupir. Parmi eux on trouva une mère dont l'enfant suçait encore les mamelles glacées par la mort. Quelques jeunes enfants vécurent du lait de chèvres qui leur servirent de nourrices ; d'autres en plus grand nombre restèrent pendant longtemps ignorés dans les maisons et privés de sépulture. Les pères qui avaient survécu ensevelissaient leurs enfants; les enfants inhumaient leurs parents; les époux leurs femmes, et les femmes leurs maris. Mais les fosses avaient si peu de profondeur, que le moindre vent mettait souvent à découvert le visage ou quelques membres des cadavres ainsi ensevelis. Bien plus, on avait creusé au Pré-de-Foire et dans un champ voisin des Eaux-Chaudes d'immenses fosses dans lesquelles on amoncelait les cadavres: celles qui se trouvaient le plus rapprochées de la ville furent tellement encombrées, qu'on put à peine les recouvrir d'une quantité suffisante de terre, et qu'on fut obligé d'en remettre une seconde fois, pour cacher des bras ou des jambes qui apparaissaient ça et là.

DEUXIÈME PARTIE.

Nous n'ajouterons rien au tableau énergique tracé par la main de Gassendi. Triste spectacle, que celui d'une ville de dix mille âmes en proie au terrible fléau de la peste, et abandonnée, au moment du danger, non-seulement par les officiers royaux, mais encore par ses consuls et par les médecins eux-mêmes, sur le dévouement desquels elle aurait dû pouvoir compter. Tirons un voile sur cette scène d'effroyable confusion et de désordre, et arrivons bien vite à cette époque qui suivit la cessation de la maladie contagieuse et pendant laquelle on s'efforça de réparer, autant qu'on le put, les maux que Digne avait subis. Mais d'abord disons quelques mots sur ces deux mois terribles pendant lesquels on ne put songer qu'à sa conservation personnelle, et dont il ne reste plus dans nos archives la moindre trace, silence pour le moins aussi significatif que les phrases si fortement senties de notre illustre Prévôt. Essayons de rappeler les quelques faits épars que Gassendi ne mentionne pas et que nous avons trouvés dans des pièces postérieures à cette époque. Ces faits sont peu nombreux, d'une très minime importance; mais ils ne doivent pas être négligés, précisément à cause même de la rareté de pareils renseignements. Le 24 juillet, nous l'avons déjà dit, le trésosorier Pierre Tardivy était mort; le 26 du même mois, les trois consuls étaient sortis de la ville. C'est surtout depuis ce jour néfaste que Digne resta sans direction, sans administration, jusques vers la fin du mois de septembre suivant. C'est le 27 septembre seulement que la peste cessa complètement, et ce n'est qu'à cette époque qu'on put s'occuper avec fruit de la réorganisation d'une administration nouvelle.
Une note du trésorier de 1630-1631, André Boyer, nous apprend que dans les premiers jours du mois d'août , alors que le docteur Lautaret et l'apothicaire Jacques étaient retenus dans leur lit par la peste, que presque tous les chirurgiens étaient morts victimes du fléau, et que tous les autres médecins saisis d'épouvante s'étaient hâtés de fuir, il arriva à Digne un prêtre, originaire de Normandie, du diocèse d'Abranche, appelé Michel Massue dans les délibérations du conseil, qui s'offrit spontanément à servir et traiter les habitants malades et à faire des travaux de purification devenus indispensables. Il fut accueilli avec reconnaissance ; on lui promit un magnifique habit de camelot, et de plus qu'il serait largement payé de tous les soins et de tous les services qu'il rendrait aux habitants atteints de la contagion. Nous aurons plus d'une fois encore à parler de Michel Massue; nous ne voulons ici que constater son arrivée à Digne, le 3 août, au moment où la peste sévissait avec le plus de violence.
Il résulte encore de tous les registres de cette époque, de toutes les délibérations du conseil qui nous ont été conservées, que ce fut M. le conseiller d'Agut, membre du parlement séant à Aix, qui fut chargé de faire exécuter l'arrêt rendu pour interdire l'entrée et la sortie de la ville de Digne. M. le conseiller d'Agut s'acquitta de sa mission avec une grande activité et la sévérité la plus rigide. Il fit lever des troupes dans toutes les villes, dans tous les villages qui avoisinaient notre malheureuse cité. Il en leva jusqu'à la Javie, Colmars et Castellane. Toutes les issues de Digne furent, grâces à ses soins, rigoureux sement gardées : toutes ces troupes établirent leur blocus même aux portes de la ville et empêchèrent les habitants qui avaient des campagnes dans les environs de s'y retirer. M. le conseiller d'Agut promit aux communes dans lesquelles il fit ces levées qu'elles seraient plus tard indemnisées ; il se transporta partout en personne pour assurer l'exécution des sevères mesures ordonnées par le parlement. Nous n'avons que peu de traces des actes de M. le conseiller d'Agut ; mais une preuve qu'il dût exercer une grande influence et une grande autorité pendant toute cette époque sur la ville de Digne, c'est que, chargé de l'exécution de l'arrêt qui sequestrait ses habitants , nous trouvons des actes de lui du mois de juillet, nous le trouvons ensuite organisant des levées d'hommes dans toutes les communes pour le blocus de Digne; plus tard, c'est lui qui, à la cessation du fléau et avant que la ville ait repris la liberté de circulation, réorganise l'administration municipale ; c'est lui enfin qui dirige les travaux de purification et qui veille sur la ville de Digne jusqu'à l'époque où l'entrée lui est enfin rendue et la libre circulation rétablie.
Les délibérations du conseil de l'année 1630 contiennent souvent des plaintes amères contre lui, et le conseil, dans sa séance du 20 octobre 1630, invite les syndics à se procurer des expéditions en forme de tous les actes émanés de ce conseiller commis par le parlement. Il existe, non pas dans les archives de Digne, mais dans celles de Riez, une lettre de ce conseiller, M d'Agut, en date du 11 juillet 1629, dont nous devons la connaissance à un modeste savant de cette ville. Cette lettre est adressée aux consuls, et il paraît que M. d'Agut s'occupait alors de rechercher la cause de l'invasion du fléau à Digne. Il écrivait que André Gassend, merchant de Digne, estant aux abois de la mort avait déclare que lui avec deux autres merchants de Riez par leur advarice avaient cause le mal contagieux audict Digne. Si la vérité de cette déclaration pouvait être admise, l'opinion que la peste a été apportée dans nos murs par les troupes venant d'Italie se trouverait détruite. Mais nous ne savons pas quel degré de confiance peuvent mériter des révélations faites au lit de mort par un malade qui, peut-être, comme tant d'autres, avait le délire et par suite des hallucinations sur la réalité desquelles on ne peut guères compter. Quoiqu'il en soit de la mission remplie par le conseiller d'Agut pendant les mois de juillet, d'août et de septembre, et sur laquelle nous n'avons que des renseignements vagues et fort incertains, nous trouvons, à la date du 5 octobre 1629, la mention d'une ordonnance qui constitue à Digne une nouvelle organisation municipale, et nous trouvons, à partir de cette époque, une série de délibérations qui nous ont été conservées par le notaire Denoize, dans ses minutes, délibérations dont il fit plus tard une copie, certifiée et signée par lui, qui fut annexée au registre des délibérations de l'année 1630. Grâces à ces documents qui nous ont été conservés par un homme courageux et dévoué, qui resta impassible dans son étude tant que dura le fléau, nous pourrons suivre nos pères pendant cette période remarquable qui s'étend du 5 octobre 1629 au 21 mars 1630, durant laquelle les habitants de Digne, séquestrés dans leur ville, furent obligés de subvenir tous seuls à leurs besoins, isolés qu'ils étaient du reste dela province par les arrêts rendus par le parlement d'Aix.
L'assemblée du conseil nouvellement organisé se tient le 5 octobre 1629, dans la maison de Jean-Pierre-Bertrand Isoard, Sr de Feyssal, premier consul subrogé et exerçant en cette qualité les fonctions de viguier. La délibération dit en termes exprès que cette assemblée a lieu suivant lordonnance rendue ce jourdhuy par Monsieur le lieutenant commissere. Ors ce lieutenant commissaire n'est autre que M. le conseiller d'Agut, délégué par l'arrêt de la cour et qui se tient dans les environs de la ville, d'où il veille sur tout ce qui peut intéresser les habitants. Par cette ordonnance, de nouveaux consuls sont subrogés aux anciens, qui sont absents de la ville. Ce sont MM. Bertrand de Feyssal, premier consul, Jehan Dejanon, deuxième consul, et André Besson, tiers consul. La même ordonnance recompose le conseil particulier, dans lequel viennent prendre place Jean-Baptiste de Faucon sieur du Sauze, avocat en la cour, François Jacques, apothicaire, capitaine Pierre Brun, M° Bernardin Bain, praticien, David de Lautaret, docteur en médecine, Estienne Hellye, couturier, Pierre Chaussegros, avocat en la cour, Barthélemy Autard, sieur de Tauze, Jean Thome et Jean Deaudct, procureur au siège de la ville de Digne. Tous ces nouveaux conseillers sont déclarés subrogés aux membres de l'ancien conseil, tous absents, soit par suite de mort, soit par suite de désertion. Le premier objet dont s'occupe le conseil, n'eût été, dans des circonstances ordinaires, qu'un acte de simple administration intérieure; question la plus simple se complique étrangement. On était alors, nous l'avons dit, au 5 octobre; le temps de la vendange était arrivé, et il s'agissait de faire la cueillette des raisins, non-seulement dans les vignes situées sur le territoire de Digue, mais encore dans celles appartenant à des habitants de la ville et situées sur le territoire des communes voisines, de Courbons, des Sièyes, de Gaubert, etc., bien plus nombreuses, bien plus importantes que celles situées sur le terroir de la commune, extrêmement limité. Le parlement avait rendu un arrêt pour régler l'ordre dans lequel devait se faire la vendange, et prononçait des peines corporelles sévères contre tous ceux qui, en y procédant, s'écarteraient de la voie publique et vacqueraient à d'autres soins que ceux de la vendange et de la cueillette des fruits. Cet arrêt avait frappé de terreur les habitants des communes voisines, qui se voyaient menacés de la présence et du contact de malheureux pestiférés, qu'ils traquaient depuis plusieurs mois, sons l'impression de la crainte qu'ils leur inspiraient. Ils s'adressèrent au lieutenant commissaire, M. le conseiller d'Agut, et le supplièrent d'empêcher l'exécution de cet arrêt, offrant de faire eux-même la vendange pour les habitants de Digne, à leurs propres frais et dépens. M. le conseiller d'Agut, avant de mettre à exécution l'arrêt de la cour du parlement, fit connaître au conseil de la communauté les propositions qui lui étaient faites; mais le conseil tout entier demanda que l'arrêt du parlement fût exécuté dans sa forme et teneur, et recommanda expressément aux consuls de supplier humblement à cet égard M. le lieutenant commissaire, en le priant de leur communiquer une expédition de cet arrêt et une copie de l'ordre établi par lui pour la vendange. Le conseil ordonne ensuite de faire dans toute la ville des criées et proclamations pour faire connaître les diverses inhibitions et défenses portées par l'arrêt, et recommander aux habitants de ne pas s'écarter des chemins publics et de ne vaquer qu'à la vendange et à la cueillette des fruits, sous peine de punition corporelle. Cette séance du 5 octobre se tint, comme nous l'avons déjà dit, dans la maison du premier consul subrogé, Bertrand Isoard de Feyssal. Il en fut ainsi jusqu'au 5 octobre, où le conseil se réunit dans le palais de justice, qu'on appelait alors la maison du roi, et qui a été transformé de nos jours en bibliothèque publique. Les travaux de la vendange durent ne commencer que quelque temps après cette séance du conseil, et être retardés, par suite des difficultés soulevées jusques vers le 15 octobre; mais l'exécution de l'arrêt devait donner naissance à des embarras qu'on n'avait pas d'abord prévus. Parmi les vignes dont la récolte devait avoir lieu, il y en avait un grand nombre qui, après la longue mortalité dont la ville de Digne avait été affligée, appartenaient à des héritiers encore mineurs, ou dépendaient de successions vacantes. On se demanda qui devait se charger en leur nom de cette récolte pour leur en rendre compte en temps et lieu. Était-ce à la communauté et aux consuls à accepter une pareille responsabilité? Ce rôle ne convenait-il pas mieux aux plus proches parents des familles ainsi décimées ? Les consuls ne voulurent rien faire sans consulter le conseil particulier de la communauté, et le 17 octobre, ils lui soumirent la question. Le conseil, sans hésiter, ordonna que les plus proches parents devraient se charger des fruits des mineurs et des héritages vaeants, en les obligeant à fournir bonne et suffisante caution. On poussa même les précautions jusqu'à désigner deux habitants pour faire la prisée des fruits ainsi confiés aux parents. Ce conseil fut tenu au moment où la vendange occupait la plus grande partie de la ville, et nous en trouvons la preuve dans la délibération elle même, qui constate que si on n'a pas délibéré autre chose, c'est à cause de la précipitation que nécessitent les travaux de la vendange. Cependant, quoique pendant ce mois d'octobre, et depuis la réorganisation de l'administration communale, la ville de Digne paraisse, à en juger par les deux premières délibérations qui nous restent de cette époque, presque complètement absorbée par les soins de la vendange, les consuls subrogés devaient avoir d'autres occupations non moins embarrassantes.
L'administration nouvelle récemment créée, subrogée à l'ancienne, comme on disait alors, par M. le conseiller d'Agut, avait pris en main la direction de la cité dans des circonstances tout à fait extraordinaires. Tous les services administratifs se trouvaient désorganisés depuis plusieurs mois: on ne faisait plus de recettes ; on ne pouvait par conséquent guères faire face aux dépenses ; toutes les sources de revenus étaient taries ; on n'avait pas pu songer à remplacer le trésorier, dont les fonctions eussent été tout au moins inutiles. D'un autre coté, toutes les mesures d'ordre intérieur, de police communale, avaient été partout abandonnées. Il fallait tout réorganiser, et comme la ville se trouvait dans une position exceptionnelle, il fallait recourir à des moyens inusités.
La ville était bloquée, comme pendant la peste, et les habitants ne pouvaient avoir aucune communication avec le dehors. Les criées faites au nom du lieutenant commissaire, ou en vertu d'un arrêt du parlement, se faisaient sur le pont de la Bléone, et les pauvres habitants étaient obligés, pour l'entendre, de se presser à ses abords. Les consuls subrogés, qui s'étaient dévoués d'avance à combattre toutes les difficultés qui pourraient surgir sous leurs pas, qui avaient le coeur plein de courage et de patriotisme, et qui voulaient retirer leur pays de l'état d'affreuse détresse dans lequel il se trouvait, entreprirent de ramener l'ordre au milieu de ce dédale, et se mirent à l'oeuvre avec la plus grande énergie. Mais, malgré toute leur bonne volonté, malgré leur désir sincère de remédier au mal, ils ne purent et ne durent songer qu'à une réorganisation provisoire accommodée aux exigences de la position extraordinaire dans laquelle la ville gémissait. Il fallait, avant tout, obtenir du parlement l'entrée qui était interdite et rentrer dans les voies desquelles on était sorti. Une fois le conseil constitué, tous les fonctionnaires, tous les serviteurs de la commune furent renouvelés. Deux gardes du terroir furent nommés par les consuls. On renouvela la défense d'entrer et de sortir de la ville sans avoir fait la quarantaine prescrite, pour ne pas donner motif au parlement de retarder indéfiniment cet arrêt d'entrée après lequel tout le monde soupirait. Des criées et proclamations furent faites à cet effet. On menaça les habitants qui favoriseraient cette entrée. Une patrouille qui parcourait la ville et de jour et de nuit fut organisée. Les diverses rêves qui pouvaient procurer quelques ressources et qui toutes avaient été interrompues furent mises aux enchères, et on avisa au rétablissement de la boucherie. On permit aux habitants d'aller prendre du bois dans la forêt de Feston, en se conformant toutefois au règlement fait par un bureau établi à cet effet qui délivrait à chaque chef de famille des autorisations spéciales. Tout individu qui serait allé dans la forêt, sans s'être conformé aux prescriptions ordonnées était frappé de peines sévères. Nous ne suivrons pas les consuls de cette époque au milieu des nombreux détails d'administration qui durent les occuper, nous ne le pourrions d'ailleurs que très difficilement, n'ayant pas d'autre indication que les délibérations conseillères dont nous avons parlé. Mais le fait capital de cette époque, celui qui domine les délibérations du conseil, c'est le fait de la purification générale dont nous aurons à parler un peu longuement peut-être. Ce fut le premier objet dont s'occupa M. le conseiller d'Agut, lorsque la peste eut cessé, et dès que l'administration municipale eût été réorganisée. On ne pouvait pas rendre à la ville de Digne le droit d'entrée et de circulation, sans avoir procédé d'abord à une purification générale, qui permît aux étrangers et aux habitants qui l'avaient quittée d'y revenir sans crainte. M. d'Agut envoya donc à Digne des parfumeurs chargés de procéder à cette opération importante. Ce fut un sieur Tablier de St. Alley, qui y vint dans le courant du mois d'octobre: il était accompagné d'un assez grand nombre d'employés sous ses ordres. Mais la ville ne voulut rien commencer sans connaître à quelles conditions cette purification serait faite, et quelle ne fut pas sa surprise, quel ne fut pas son étonnement, lorsque M. de St. Ailey, envoyé par le commissaire du parlement, réclama pour son salaire et celui de ses collègues 100 pistoles par mois et pour chacun, outre un écu par jour pour leurs aides, somme à laquelle il évaluait leur dépense journalière. La ville s'émut en présence de pareilles prétentions et le conseil s'assembla le 25 octobre pour en délibérer. On fut unanimement d'accord que la ville ne pouvait pas subvenir à d'aussi fortes dépenses : on trouvait d'ailleurs un moyen facile de faire ce travail à bien meilleur marché. Trois habitants de la ville, dont les connaissances spéciales offraient toute sorte de garanties , David de Lautaret, docteur en médecine, François-Jacques, appothiaire et Jehan Dejanon, l'un des consuls subrogés avaient proposé de se charger de cette entreprise en fournissant eux-mêmes toutes les drogues nécessaires, moyennant 6 écus par mois, ou 7 écus, s'ils étaient obligés de faire venir le genièvre à leurs frais. En l'état de cette offre, il n'y avait pas lieu à hésiter, et le conseil décida unanimement qu'on supplierait humblement M. le conseiller d'Agut, lieutenant et commissaire, de vouloir bien autoriser la ville à accepter la proposition fàite par les trois habitants de Digne, pour éviter à la ville des frais auxquels, dans son état de détresse, elle serait dans l'impossibilité de subvenir, et d'ordonner que les parfumeurs par lui envoyés sortiraient de la ville, après avoir fait toutefois la quarantaine exigée. Cette demande fit hésiter M. le conseiller d'Agut. Il était difficile d'imposer une lourde charge sur une ville réduite à une extrême misère, et cependant, d'un autre côté, il n'était pas prudent de laisser exécuter par les habitants de Digne eux-mêmes une mesure aussi importante que celle de la purification. Il fit annoncer aux consuls qu'il enverrait un règlement sur l'ordre à suivre dans ce travail de purification, sur la dépense qui devrait en résulter, et sur la marche qui devrait être rigoureusement suivie.
Le 11 novembre, il n'avait encore pris aucune détermination, et on attendait encore ce réglement qu'il avait promis. Dans la première séance de ce jour, le premier consul subrogé, d'après les ordres sans doute du lieutenant-commissaire, propose au conseil, d'autoriser MM. Gaudin et Roux, qui sont en dehors de la ville et peuvent parcourir le reste de la Provence, à faire les emprunts nécessaires pour assurer les travaux de purification. Mais le conseil, tout d'une commune voix, demande avant de prendre aucun engagement, communication du règlement dressé par M. le lieutenant commissaire, et des prescriptions des consuls pour en assurer l'exécution. Le conseil ne veut voter des fonds que lorsqu'il saura le chiffre des dépenses qu'on lui impose.
Ce refus est dicté autant par le désir d'obtenir de plus amples renseignements sur les réponse à faire, que par la répugnance du conseil à s'adresser aux anciens consuls. Cette répugnance ressort déjà de cette délibération, et elle se prononcera bientôt avec plus d'énergie. Quoiqu'il en soit, ce règlement ne tarda pas à être communiqué au conseil, suivant le désir qu'il en avait exprimé. C'est le 13 novembre qu'il en fut donné lecture, en plein conseil, et nous regrettons de n'avoir pas été assez heureux pour le retrouver dans les archives de la commune. Dans ce même conseil, on donna aussi lecture d'une sommation signifiée au nom de MM. Gaudin et Boyer, consuls qui avaient quitté la ville, et qui, quoique absents, se croyaient encore en possession de l'autorité que leur assurait leur charge. Ils demandaient que la purification fut poussée avec célérité et diligence. Le conseil, sans se prononcer sur la sommation faite par ses anciens consuls, fut obligé de se soumettre à l'ordonnance rendue par le lieutenant-commissaire qui établissait l'ordre de la purification. M. le conseiller d'Agut exigeait, à la vérité, que les parfumeurs par lui envoyés fussent employés à ce travail. Mais, en compensation, les Consuls avaient obtenu qu'au lieu de faire venir de nouveaux parfumeurs on accepterait ceux qui se présentaient à Digne. On s'était même empressé de traiter avec eux, et on avait d'avance réduit leurs prétentions à de justes limites. Les trois habitants de Digne qui s'étaient proposés pour faire la purification à des conditions si avantageuses pour la ville, étaient autorisés à s'adjoindre deux hommes, comme le sieur de St-Alley, pour les aider et assister. On avait même obtenu d'adjoindre à ces parfumeurs le prêtre Michel Massue, dont nous avons déjà parlé, et qui était à Digne depuis le 3 août, où il avait fait preuve de dévouement.
La purification devait être ainsi poussée activement par cinq parfumeurs, dont un imposé par le commissaire, et les quatre autres choisis par les consuls. Le conseil s'empressa d'approuver et de recommander l'adoption de ce règlement, et autorisa, à ces conditions, un emprunt de 500 écus, pour payer la dépense. En même temps, il chargea tous les parfumeurs désignés, de faire immédiatement un rapport sur le mode d'exécution de ce nouveau règlement, et de dresser un état indiquant l'ordre à suivre, attendu que celui tracé par le règlement de M. le lieutenant-commissaire serait complètement inexécutable. Ce rapport sera ensuite adressé sans retard à
M. le lieutenant qui devra lui donner son autorisation et son approbation. Le conseil charge en même temps les consuls de demander à ce magistrat une ordonnance qui permette d'ouvrir toutes les maisons, chambres et appartements, tant de ceux qui sont présents dans la ville de Digne, que de ceux qui sont absents, pour que toutes les maisons, sans exception, puissent être parfumées et soumises à la purification. Il ordonne en outre que pendant cette opération personne ne puisse entrer dans la ville sous peine d'expulsion. Telles sont les mesures ordonnées par le conseil pour cette grande opération que le parlement d'Aix avait déclarée indispensable et sans laquelle la ville n'aurait pas obtenu l'entrée dont elle était privée depuis si longtemps.
Le rapport des parfumeurs fut immédiatement fait et adressé à M. le conseiller d'Agut qui l'approuva. Le 23 novembre, le conseil s'assemble de nouveau, au moment où les travaux doivent commencer, et prend quelques nouvelles mesures que nous devons rappeler en peu de mots. Le 13 novembre le conseil avait fait défense à toutes personnes se trouvant hors de la ville d'y entrer sous peine d'expulsion. Cette défense atteignait tous les malheureux dispersés dans l'étendue du territoire de Digne, depuis qu'ils y avaient été jetés en quarantaine. Quand ils surent les mesures ordonnées, ils voulurent venir veiller eux-mêmes à leurs intérêts et assister à la purification de leurs maisons, et de tous les côtés des réclamations furent adressées aux consuls. Cette demande fut soumise au conseil le 23 novembre et on ordonna aussitôt sans hésiter, que tous ceux qui s'étaient réfugiés dans le territoire de Digne par suite de l'invasion de la peste, pourraient y entrer, s'ils étaient sains et bien portants, et qu'à cet effet ils seraient préalablement visités par ceux que MM. les consuls commettraient.
On ordonne de plus que personne ne pourra entrer dans la ville, ni meubles, ni hardes, sans les avoir soumis à une purification préalable, qui se fera en les lavant dans une dissolution d'eau et de vinaigre, et ce, sous peine de confiscation et de vente de l'objet saisi, dont moitié applicable au dénonciateur, et moitié aux pauvres de l'hôpital.
Le conseil commet ensuite des intendants, pour veiller à ce que la purification se fasse conformément au règlement, et à ce qu'elle ne produise aucun désordre. Les consuls et MM. de Lautaret, Jacques et Pierre Brun sont spécialement chargés de ce soin. Nous ne nous expliquons pas trop comment le médecin Lautaret et l'apothicaire Jacques, qui étaient eux-mêmes chargés des opérations de la purification, pouvaient être à la fois choisis pour intendants. Mais au XVIIe siècle, on pouvait être moins rigoriste qu'aujourd'hui.
Enfin le conseil ratifie un emprunt de 400 écus contracté par les consuls, et commet Antoine Taxil pour peser le genièvre qui sera apporté pour la purification. La purification devait faire faire une grande consommation de genièvre, et les consuls avaient consenti des prix faits avec un individu qui était chargé d'en apporter à Digne la quantité nécessaire et avec un autre individu chargé de le concassser. Le conseil ratifie aussi ces deux actes.
C'est à partir de cette époque que la purificalion commença. Toutes les maisons y furent soumises: l'absence du propriétaire n'était pas un empêchement; et tous les objets mobiliers furent impitoyablement trempés dans le parfum purificateur. Le genièvre entrait dans la composition de ce parfum, qu'on appelait vulgairement parfum doux. Ce parfum n'était pas le seul ingrédient de la substance destinée à la purification. Nous avons trouvé une note qui nous en a fait comprendre la composition.
On mêlait ensemble quatre pots de vinaigre, une livre de parfum doux, une livre d'alun et une livre de soufre. On passait une couche de cette liqueur sur les murs intérieurs des maisons, sur les plafonds et les planchers. On en induisait les tables, chaises et autres meubles meublants; et on y trempait ensuite tout ce qui devait subir l'opération de la purification. Nous avons retrouvé quelques inventaires dressés par suite de cette opération dans diverses maisons de la ville, et ils offrent des détails assez singuliers (1),

(1) Inventere des meubles que les parfumeurs ont sorty de la maison de Jehan Gautier.
Premièrement deux aux de chausses gris.
Plus deux mauvaises bissaches.
Plus deux robes de femme lune grise et lautre noire.
Plus deux robes de clerson lune rouge et lautre noire.
Plus une chemisolle de femme grise.
Plus une autre robe rouge.
Plus ung corps de femmejaulne.
Plus ung sac pour traversier.
Plus ung pourpoinet dhomme.
Inventere des meubles que les parfumeurs ont sorty de la maison d'Henry Giraud.
Premièrement ung cortinage consistant en trois rideaux son entour avec la frange.
Plus quatre linceuils.
Plus trois chemises deux dhomme et une de femme.
Plus une besasse.
Plus ung mattelas et son traversier de leyne.
Plus trois chemises deux de femme et une dhomme.
Plus ungcouttillon de femme gris.
Plus une chemisolledhomme blanche.
Plus un pourpoinet de femmenoir.
Plus une liasse.
Plus une tricousse dhomme.
Plus une serviette.
Plus une couverte de peyn noire.
Plus ung mauvais sacà tenir bled.
Plus un autre sac.
Plus deux couvertes de lict blanches lune bonne et lautre mauvaise.
Plus quatre piasses.
Plus une bissache.

Ces opérations de la purification durèrent jusques vers le milieu de janvier 1630. Lorsqu'elles furent terminées, le conseil chargea les parfumeurs de faire un rapport sur l'état, qualité et quantité des drogues pour la purification envoyées d'Aix par le consul Gaudin et le greffier de la communauté. C'était le 17 janvier que le conseil faisait cette ordonnance, et dès le 26, il prescrivait aux consuls de pourvoir à la quarantaine des parfumeurs et de traiter avec eux des vacations qui leur étaient dues. Cependant quelques difficultés s'élevèrent pour la fixation du salaire et des vacations du sieur de St.Alley, qui demandait plus de 1200 écus. On transigea avec lui en lui payant un solde de 250 écus, et le 7 février 1630, le conseil ratifia ce marché des consuls. Le conseil vota en même temps un nouvel emprunt, tant pour solder les dépenses de la purification que pour les autres besoins de la commune. Nous avons été forcés, pour achever de raconter tout ce qui concernait la purification de pousser notre récit jusqu'au mois de février. Nous devons maintenant revenir un instant sur nos pas, pour faire connaîre un fait qui ne nous est révélé que par Gassendi, et dont nous avons vainement cherché des traces dans nos archives. Laissons parler Gassendi :

Mais il est temps d'en finir: la ville se trouva délivrée de ce fléau dans le courant du mois d'octobre et de novembre, et on songea à la désinfecter en la nettoyant avec attention. D'un autre coté, comme les soldats commis à la garde de la ville se conduisaient insolemment (au commencement de décembre un citoyen fut frappé par eux et devint leur victime), les habitants qui étaient restés dans la ville, et ceux qui depuis y étaient revenus, formèrent le complot de les expulser de la ville: ce qui fut effectué; quelques-uns de ces soldats furent tués, les autres mis en fuite, et les habitants ne voulurent plus souffrir qu'on envoyât une garde nouvelle. C'est alors qu'en faisant le dénombrement de ceux qui avaient échappé au fléau, soit dans la ville, soit dans la campagne, on ne trouva plus que quinze cents âmes; et dans ce nombre, plus de femmes que d'hommes; plus de vieillards que de jeunes gens : sur ces quinze cents, cinq ou six tout au plus n'avaient pas été atteints par la maladie. Inutile de rappeler ici que la liberté de circulation ne fut rendue aux habitants de Digne par un nouvel arrêt de la cour que vers les fêtes de Pâques, sur la fin du mois d'avril suivant. Inutile aussi de rappeler que lorsque, dix-huit mois après, la peste fondit pour la seconde fois sur la ville, tous les habitants s'empressèrent de fuir au loin: aussi n'en périt-il guère plus de cent, et encore tous ceux qui en furent victimes étaient-ils tous nouvellement fixés à Digne. Une chose remarquable , c'est qu'aucun de ceux qui avaient eu la première maladie, n'en fût atteint à la seconde invasion.

Nous aurons à parler dans notre troisième partie de la seconde invasion de la peste qui n'eut lieu que vers le milieu de l'année 1631. Nous devons seulement faire observer ici que la cessation du fléau que Gassendi ne fixe que dans le courant d'octobre et de novembre, est indiquée par les registres de nos archives et par les délibérations conseillères à l'époque précise du 27 septembre. Nous aurons aussi à nous occuper de l'entrée de la ville ordonnée par l'arrêt du parlement que cite Gassendi et qui fut rendu à Pertuis le 20 février 1630. Les formalités de la purification, ordonnées par le parlement et dirigées par M. le conseiller d'Agut, avaient entraîné beaucoup de longueurs et de retards, et la ville était impatiente de sortir de cet état de séquestration et d'ilotisme dans lequel on la tenait depuis la cessation du fléau. Aussi, un grand nombre d'habitants, sans s'arrêter aux sévères défenses qui leur étaient faites, et que les consuls faisaient exécuter dans la seule crainte que ces infractions ne causassent de nouveaux motifs de délai, franchissaient-ils fréquemment les barrières et allaient-ils, dès qu'ils le pouvaient, visiter dans les communes environnantes, des Sieyes, de Courbons, de Gaubert, leurs propriétés depuis si longtemps abandonnées. Ce sentiment intime, l'amour de la propriété, si vif encore aujourd'hui chez beaucoup de natures, devait à cette époque être bien plus intense encore.
Dans sa séance du 2 janvier, le conseil arrête que de nouvelles inhibitions et défenses seront faites à toute sorte de personnes , de quelque condition qu'elles soient, de franchir les barrières, et ce, sous peine d'une amende de cent livres et de punition exemplaire. Le conseil ordonne, en outre, de faire inhibition et défense aux habitants des villages voisins de s'introduire dans la ville, sous peine de la vie et de confiscation des meubles et hardes qu'ils y apporteront. Pour assurer l'exécution de ces ordonnances, les conseils devront placer un plus grand nombre de gardes aux barrières, et les habitants seront appelés, par voie de capage, à la garde des portes de la cilé.
Ces prescriptions sont renouvellées à chaque conseil. Les délibérations des 17 et 28 janvier, les seules qui aient été, avec celle du 2, tenues pendant ce mois, les contiennent également. On dirait que le conseil craint toujours que la violation des ordres transmis par le lieutenant commissaire, n'ajourne indéfiniment le retour de la ville à un état de choses plus normal que celui dans lequel elle gémit et s'étreint. C'est à peu près vers cette époque, que commence une lutte intéressante dans sa cause, intéressante dans ses résultats, qui ne doit ici nous arrêter qu'un instant, mais qui se prolongea pendant quelques années et que nous suivrons jusqu'à la fin, en poursuivant nos études sur la peste.
On sait déjà que les consuls qui se trouvaient à la tête de l'administration communale, au moment du fléau, avaient déserté la ville, dès le 26 juillet, et l'avaient laissée sans direction: c'étaient notamment le premier consul Gaudin, et le deuxième consul Jehan Boyer, receveur du domaine royal. Nous n'avons plus retrouvé de traces d'André Meynier, tiers consul qui probablement était mort, victime peut-être du fléau. Ces trois consuls avaient été nommés, lors de la création du nouvel Etat, le 24 mars précédent, de l'année 1629. Suivant les règlements communaux, et en l'absence de toute sentence et de toute décision du parlement sur ce point, et malgré la nomination de consuls subrogés faite par l'ordonnance du 5 octobre de M. le conseiller d'Agut, ils se considéraient comme encore légalement revêtus de leur charge, et comme les seuls et légitimes représentants et consuls de la ville de Digne. Ils se trouvaient en ce moment en la ville d'Aix, où ils s'étaient réfugiés, et quand ils crurent qu'ils pouvaient rentrer dans la ville sans danger, ils voulurent reprendre leurs fonctions, et s'adressèrent, en leur qualité de consuls de Digne, au parlement de Provence, siégeant alors à Pertuis, qui rendit quelques arrêts que nous ne connaissons malheureusement pas, et dans lesquels, sans aucun doute, il accueillait leurs demandes au nom de la ville de Digne. Le consul Gaudin, tout fier d'être reconnu par le parlement, comme premier consul et représentant de la ville de Digne, s'empressa d'accourir, et quoiqu'il ne put pas franchir les barrières, il fit signifier ces arrêts aux consuls subrogés, pour prendre acte de la reconnaissance de ses droits faite par la cour. Cette signification fit à Digne une profonde sensation. Le conseil fut aussitôt assemblé : c'était le 17 janvier 1630, et le premier consul subrogé, M. Ysoard de Feyssal, fit part au conseil de ce qui se passait. Il lui exposa, ou pour nous servir de l'expression alors consacrée, il lui représenta que des personnes qui navoint aulcung pouvoir ny charge de la ville, avaient à l'insu de la communauté, poursuivi et obtenu des arrêts du parlement de Provence. Il proposa, en conséquence, d'envoyer auprès de la cour une députation spéciale pour faire valoir les droits de la commune. Le conseil tout entier ordonne aussitôt qu'on désavoue expressément tout ce qui a été ainsi fait à l'insu de la ville, soit pour obtenir des arrêts, soit dans tout autre but; et que M° Bouche, procureur à Aix, du ministère duquel on s'est servi, soit formellement désavoué comme procureur de la communauté. Le conseil exprime en outre la volonté que toutes poursuites ne puissent être faites que par la personne commise et spécialement députée par lui , qui devra employer le ministère de Me Gardet, procureur ordinaire de la communauté et à son défaut Me Niel. Le député de la ville devra en même temps supplier instamment les membres du parlement et le lieutenant du grand sénéchal à Digne, de décider franchement quels sont les consuls qui doivent conserver J'administration de la ville. Sera-ce les consuls subrogés nommés et institués par M. le conseiller d'Agut, pendant la peste? Ou bien les consuls nommés lors de la création du nouvel état et qui ont abondonné la ville à cause de la contagion? Les habitants de Digne ne peuvent pas raisonnablement être tenus d'obéir à plus de trois consuls. D'ailleurs, observe le conseil, les consuls absents de la ville ne peuvent leur être d'aucune utilité, et leurs prétentions ne font naître dans la ville que désordre et confusion. Au reste, la ville et ses habitants ne désirent pas d'autres consuls que ceux qui ont été institués par M. le conseiller d'Agut. Le conseil députe ensuite M° Jean Chaussegros, procureur près la ville de Digne, qui n avait pas quitté son pays, et qui, pendant le fléau, lui avait rendu tous les services d'un bon citoyen. C'était lui, au reste, qui avait fait aux prétentions des anciens consuls, l'opposition la plus vigoureuse, et qui s'était hautement prononcé contre elles. Il n'était pas au conseil, mais son zèle était connu. Nous aurons à parler de lui plus d'une fois encore, car au mois de mars suivant, il fut nommé premier consul, et c'est à son activité et à son intelligence, que la ville dût, en grande partie, l'atténuation des maux qu'elle avait soufferts. Dès que le conseil fut terminé, le greffier, c'était toujours le notaire Denoize, se transporta à la barrière du grand pont ou du pont de Bléone; et là, signifia à Me Jehan Gaudin , et Roux Dallyeis qu'il trouva à la barrière , un extrait de cette délibération. Puis il en fit faire une criée sur le pont, à haute et intelligible voix, et dressa acte du tout, en présence de l'le Samuel Taxil, chanoine; Antoine Taxil, son frère, et Blaise Francoul, marchand. Le notaire déclare en outre que M° Gaudin et Roux Dallyeis qui étaient présents, mais de l'autre côté de la barrière, n'ont pas pu signer, parce qu'ils n'ont pas osé s'approcher. M° Jehan Chaussegros accepta la mission dont le conseil l'avait chargé, et dans la séance du 28 janvier suivant, sa députalion fut confirmée de nouveau , et on le pria, en outre, attendu que la purification de la ville était complète, de poursuivre auprès du parlement la mise en quarantaine de la ville de Digne, pour qu'elle pût obtenir enfin la liberté de circulation dont elle était depuis si longtemps privée.
Le conseil revint en même temps sur les questions soulevées au précédent conseil et les recommanda expressément au député choisi. Me Chaussegros partit aussitôt pour Aix, après une quarantaine sans doute, et il s'acquitta avec un entier succès, de la mission qui lui avait été confiée. Nous ne savons pas de quelle manière il fit repousser les prétentions des anciens consuls; mais ce qu'il ya de certain , c'est qu'ils ne reprirent pas leur charge, et que les consuls subrogés restèrent en fonctions jusqu'à la rentrée et à la création du nouvel état. Relativement à la demande de la quarantaine, il obtint, le 20 février 1630 un arrêt, qui mit la ville de Digne en quarantaine, et en fixa la fin au 22 du mois de mars suivant, pour compléter le délai de trente jours. Dès qu'il eut obtenu cet arrêt qui devait combler les voeux de ses concitoyens, il s'empressa sans doute d'en transmettre la nouvelle, et revint à Digne avec un extrait dudit arrêt. Mais à peine arrivé à Digne, on dût songer à l'exécuter. M. le conseiller de St.Marc, avait été nommé commissaire pour donner l'entrée à la ville de Digne: il fallait lui envoyer un député, et lui présenter requête de remplir la charge qui lui avait été donnée. Le conseil s'assembla le 2 mars: il députa de nouveau Me Jehan Chaussegros pour se rendre à Pertuis auprès du conseiller-commissaire, et poursuivre jusqu'au bout l'exécution de l'arrêt.
Il vota en même temps un emprut de 600 écus pour faire face aux dépenses que l'entrée et les autres affaires de la ville devaient occasionner.
Pendant que Me Jehan Chaussegros faisait son voyage, la ville était encore en proie à des embarras difficiles à prévenir. Le blé commençait à manquer et on craignait une disette. Le conseil en fut informé par les consuls et dut ordonner des mesures pour y pourvoir. Par une ordonnance du 28 janvier, il commet
les consuls Dejanon et Besson, le sieur du Sauze, Pierre Jacques, le chanoine Taxil, le sieur de la Peyrière, receveur des domaines et le sieur Devalvyer, pour faire la visite et perquisition des blés qui se trouvent dans la ville, et pour en acheter toutes les quantités qu'il pourront en découvrir, prélèvement fait toutefois de la provision nécessaire à chaque famille jusqu'à la prochaine récolte. Il députe en même temps un des consuls avec le capitaine Pierre Chaud et Esprit Alleyer, pour qu'ils aillent à Beynes traiter avec Isnard Augier du prix de cent charges de blé qu'il offre de céder à la commune.Le conseil revient ensuite sur la défense d'entrer dans la ville à cause de la présence de la peste dans les environs. Les consuls devront chercher également des bouchers pour assurer la consommation des habitants.
Dans sa séance du 2 mars, le conseil fait un acte de charité en donnant deux écus à deux habitants qui se trouvent réduits à la plus extrême misère. Il ordonne, pour se créer quelques ressources, la vente du sel déposé dans la maison commune.
Une question de préséance, soulevée par le procureur du roi près le siège de Digne, qui demande à entrer dans le conseil secret pour la création du nouvel état, ou renouvellement des officiers municipaux, est ajournée au temps où la ville aura repris son ancien état. Le conseil réorganise ensuite le bureau de santé qui avait été formé avant l'invasion de la peste, et qui avait disparu au milieu du désordre causé par le fléau. Il nomme membres du bureau : les consuls, le sieur de Lautaret, le chanoine Taxil, l'avocat Hesmivy, Jacques Frédéric, Me Charambon, le sieur de Lapeyrière, receveur des dixmes, le capitaine Pierre Chaud, et les autorise à délibérer et à rendre des ordonnances, pourvu que leur réunion soit composée de la moitié au moins des membres nommés. Enfui, le conseil dans sa séance du 15 mars, approuve la mise aux enchères de la boucherie. Les consuls exposent que quelques bouchers ont offert de fournir la viande de mouton à deux sous et demi la livre, et celle de boeuf, à deux sous. Le conseil décide qu'on procèdera aux enchères à des conditions moins exagérées. On laisse le prix du mouton à deux sous et demi, mais le prix du boeuf est réduit à sept liards. Les bouchers devront en outre céder toute la graisse qu'ils obtiendront au fabricant de chandelles de la ville , au prix de cinq écus les quarante kilogrammes, ou comme disaient nos pères, le quintal, et même à quatre écus et demi si la chose est possible. On nous pardonnera d'entrer dans ces minutieux détails, qui, au premier abord, n'ont, aucune importance, mais qui servent à comprendre la physionomie de cette époque. On apprit bientôt que M. le conseiller de St. Marc approchait de Digne. Le 26 mars, on sut son arrivée aux Mées. Le 27, il vint descendre au moulin de Courbons, et procéda à l'audition de nombreux témoins, pour constater l'état de santé de la ville. Le soir, il se retira aux Sièyes, où il fut retenu tout le jour par la grande quantité de neige qui était tombée pendant la nuit, et qui empêcha les officiers royaux et les consuls de se rendre le matin auprès de lui. Au reste, nous n'essayerons pas de raconter la venue à Digne du commissaire délégué. Nous aimons mieux transcrire en entier le procès-verbal de ses opérations, que nous avons retrouvé dans les registres des délibérations de la commune, et qui est une pièce assez curieuse pour trouver ici sa place, malgré sa longueur.

PROCÊS-VERBAL DRESSÉ PAR M. LE CONSEILLERDE SAINT-MARC

Scavoir faisons Nous François de St-Marc, conseilher du royen sa cour de parlement de Provence, que par arrest de la cour en la chambre establie a la ville de Pertuys a cause de la malladye contagieuse dont la ville d'Aix se trouve affligee, du vingtiesme febvrier 1630, donne sur la requeste presentee a la cour par les consulz et communaulte de la ville de Digne, ladicte cour auroit mis lesdicts consulz et communaulte manans et habitans dudict Digne en quarantaine de santé laquelle finiroit le 22e du presant moys de mars, auquel jour lentree leur seroit par nous donnee et qua ces fins nous acheminerions sur les lieulx et y procéderions suivant le reglement general faict par ladicte cour et pourvoirions aux ordres necesseres consernant ladicte santé, le tout aux despans de ladicte communaulte , en execution duquel arrest, a la réquisition de Me Jean Chaussegros, enquesteur au siege dudict Digne, depputte de ladicte communaulte serions ce jourd'hui judy accompagne de Jean Dupuy audiencier en ladicte vingt-uniesme mars 1630 partis de la ville de Pertuys cour nostre greffier et de Louys Gonde, un des archers du prévost, et ailes coucher a la ville de Manosque et louge au lougis ou pand pour enseigne St-Marc, 22 mars. Du lendemain vendredy 22e dudict mois sommes partis dudict Manosque en compagnie de Me. Jean Lombard, advocat du roy au siege de Forcalquier substitut de M. le procureur general du roy en la cour lequel nous avions assigne audict jour et lieu, et alles coucher a la ville des Mees et loge au logis ou pend pour enseigne le Cheval Blanc.

23 mars.

Du samedy 23 dudict moys aux Mees, en exécution dudict arrest, ledict Me Jchan Lombard, en ladicte quallite nous a requis quil soit par nous sommeremant informe sur la santé des habitans de ladicte ville et a ces fins quil nous plaise laxer ajournemant contre les consulz et deux des aparans des villes et lieux voisins dudict Digne et en absence desdicts consuls les consuls vieux pour estrc ouys sur la santé desdicts habitans pour ladicte informacion faicte et a luy communiquée y conclure ce que de raison. Et nous conseilher et commissere avons ordonne que les consulz des lieux de Sieyes, Champtercier, Courbons, Thouard, Du Chaffaultet du Brusquet, et en leur absence les consulz vieux ensemble deux des plus aparans desdictz lieux seroient adjournes par-devant nous audict Mees et audict lougis du Cheval Blanc, au vingt-quatriesme du courant et aultres jours lieux et heures pour estre ouys moyenant sermant sur la santé des habitans de ladicte ville de Digne et a ces fins que lettres seront ex pediees. Laquelle commission a este expediee a Monet Trompet huissier en ladicte cour quy nous a aussy accompagne pour une aultre commission. Dudict jour ledict Me Lombard en ladicte quallite, nous a produict les tesmoingz suivantz pour estre ouys sur le faict de ladicte santé, qui sont : Pierre De Villeneufve sieur Despinouse, âgé de 71 ans; Jehan Esmiol , lieut. de juge, du lieu de Champtercier, âgé de 55 ans; M°Melchion Tourniaire, notaire royal, du lieu de Courbons, âgé denviron 30 ans;
Laquelle information est à un cayer à part.

24 mars.

Du dimanche 24 dudict mars, jour des Rameaux, avons supercede pour nestre les tesmoingz assignes arri ves en ce lieu.

25 mars.

Du 25 dudict moys, lundy, jour de lannonciation Nostre Dame, avons ouy en tesmoing sur le faict de ladicte santé, audict cayer, Anthoine Estiblie, marchant et segond consul dudict lieu de Thoard, âgé de 55 ans. Anthoine Giraud, mesnager , dernier consul du lieu de Thoard, âgé denviron 50 ans. Anthoine Marrot, notere dudict lieu de Thoard , âgé de 37 ans. Pierre de Barras, conseigneur dudict Thoard, escuyer de Mollane, âge de 63 ans. Me Esprit Aubert, notere et greffier du lieu de Champtercier, âgé de 50 ans. Jehan Bondoul, travailleur et premier consul du lieu de Champtercier, âgé de 50 ans. Jehan Chauvin travailleur et consul du lieu de Champtercier, âgé de 42 ans. Honnore Riquet Beaussier, habitant au lieu des Sieyes, âgé de 30 ans. Mathieu Jauffret , hoste du logis des Sieyes, premier consul dudict lieu, âgé d'environ 40 ans. Pierre Besson , mesnager et consul des Sieyes, âgé de 60 ans.

26 mars.

Du mardy, 26 dudict mois, au lieu que dessus, avons ouy en tesmoing sur le fait de ladicte santé audict cayer, Jacques Gailhard, premier consul dudict lieu de Thoard, âge de 55 ans Jehan Gaubert, premier consul du lieu de Courbons, âgé de 72 ans, Elzias Meynier, segond consul du lieu de Courbons, âgé de 32 ans. Pierre Pierre Isnard, mesnager de Courbons, âgé de 34 ans. Bernardin Nicolas, lieutenant du siege du lieu du Chaffault, âgé de 55 ans. Anthoine Augier, de Mezel, habitant au Chaffault, âge de 39 ans. Jehan Anthoine Blanc, premier consul du lieu du Chaffault, âge de 60 ans. Jacques Autric, mesnager et consul du lieu du Chaffault, âgé de 37 ans Scipion Roit, bourgeois du lieu du Brusquet, âgé de 58 ans ou environ. Michel Fabre, mesnager, du lieu du Brusquet, âgé de 70 ans. Rambaud Estays, bourgeois du lieu du Brusquet, age denviron 45 ans.

27 mars

Du mercredy, 27 dudict mois sommes partis dudict Mees et alles a la barriere du pent de Digne ou estant ledict M°Lombard, en ladicte qualicte, nous a requis vouloir continuer nostre informacion et procéder a laudition des consulz modernes, chirurgiens, appoticaires, relligieux et prestres de l'Eglise cathédrale de ladicte ville et aultres quy se sont retires dans icelles despuis deux ou trois mois en ça. Et nous Conseilher et commissere avons ordonne quen continuant nostre information sera par nous procede a laudition des consulz modernes, chirurgiens, appoticaires, religieux et prestres de lEglise cathedralle dudict Digne ensemble des principaux de ladicte ville et aultres quy se sont retires dans icelle despuis deux ou trois mois en ça et a ces fins sommes entres dans ledict mollin de Courbons ou estans avons faict venir pardevers nous et a une distance proportionnée les tesmoings suivans lesquelz avons ouys moyenant sermant sur le faict de ladicte santé estant audict cayer que sont: Jehan Pierre Bertrand d'Ysoard sieur de Feyssal, premier consul subroge de ladicte communaulte de la ville de Digne aage de 40 ans ou environ. Jehan Louys de Jeannon, appoticaire et segond consul subroge de ladicte ville, aage de 29 ans. Andre Besson dernier consul subroge de ladicte ville de Digne, aage denviron 60 ans. Frere Marcial, prestre et religieux de lcrdre des Recolles du couvent de ladicte ville de Digne, aage denviron 42 ans. M° Blaze Ausset, prevost en leglise cathedrale de ladicte ville de Digne, aage de 70 ans. M° Sauveur Taxil chanoine en ladicte Eglise, aage denviron 56 ans. Frère Allexy Michel, natif de Salon, gardien du couvent des cordelliers dudict Digne, aage de 28 ans. M° Elzias Camalle, natif du lieu de St.Vallier, cure en lEglise cathedrale de ladicte ville de Digue, aage denviron 53 ans. M° David de Lautaret, medecin de ladicte ville de Digne, aage denviron 38 ans. Jehan Baptiste de Glandeves sieur du Puy-Michel, aage de 22 ans. M° Honnore Reboul sieur de Lambert, advocat au siege de Digne, aage de 43 ans. Anthoine Roux sieur de la Perusse, escuver de ladicte ville de Digne, aage denviron 23 ans. M°Michel Massue prestre du dioceze dAurans en Normandie, aage denviron 33 ans. Tous lesquels tesmoingz nont signe leurs dépositions attendu quils sortoint de ladicte ville de Digne a laquelle navons encor donne lentree les ayant nous toutes signees pour vallider et donner plus de force et dauthorite a nostre procédure et ce en presence desdicts tesmoingz. Et ce faict attandu lheure tarde sommes partis dudict mollin de Courbons, duquel nous avons veu y faisant nostre procédure tout le peuple tant hommes que femmes et petits enfans, personnes de quallite et aultres lesquels estoient tous sortis de la ville a nostre arrivee et demeuroient tous dessus le pont ou le long de la riviere et dans les prairies pendant que nous travailhions estant tres tous en tres bonne santé leurs visages bons et assures et nayant sceu remarquer aulcuns quelque soin que y ayons aporie ny de ceulx que particulièremant avons ouïs en tesmoins quy eust visage ny marque de mallade, et nous sommes retires au lieu des Sieyes ou avons couche ayantz donne assignation au lieutenant et officiers dudict Sieyes de se rendre a nous audict lieu des Sieyes le landemain matin 28 dudict mois pour recepvoir de nous les ordres que jugerions estre necesseres pour estre mieux assures de la santé de ladicte ville.

28 mars.

Auquel jour 28 a cause des grandes pluyes et neiges lesdictz ofifciers ne peurent nous joindre audict Sieyes que jusques sur les trois heures appres midy a laquelle heure M. Gaspard Castagny, lieutenant particulier, M.de Verdaches, lieutenant des submissions et M. Estienne Aubert Jausiers, advocat du roy audict siege estant arrives au pres de nous et en absence de M. Charles deTabaret sieur du Chaffault, lieutenant principal, lequel a cause du mauvais temps nestoit peu venir vers nous, avonsexpedie" audict M° Jausiers, advocat du roy un extraict de nostre ordonnance, la teneur de laquelle s'ensuit Nous conseiller et commissaire suivant la delliberation faicte par la cour du vingtiesme de ce mois avons enjoinet et enjougnons aux ofifciers du siege et ressort de la ville de Digne entrer dans icelle y fere et exercer la fonction de leurs charges pour en appres nous informer de leur propre bouche de lestat et santé de ladicte ville et nous advenir au vray de tousles ordres quon y aura observe despuis lestablissement de leurs quarantaines tant pour la purillication dicelle des maisons particulières et meubles que y sont dedans ouverture des sécrétés , que des malladies et morts que y sont arrivées et la quallite dicelles despuis le temps des quarantaines donnees et ce suivant la perquisition et recherche qui en pourra le plus exactement estre faicte tant pour la plus grande assurance de ladicte ville et aultres lieux de ce ressort que généralement de toute la province, pource faict et ouy le raport que nous sera faict par lesdictz otliciers de tout ce que dessus estre par nous, pourveu a lentree de ladicte ville et habitans dicelle contormemant aux arrest et reglemantz de la cour.
Et ce faict avons epjoinct audict MeJausiers estant dans la ville de Digne denvoyer querir ledict M° de Tabaret, lieutenant principal, pour mettre en exécution nostre dicte ordonnance par tout demain 29 dudict moys, comme aussy luy avons remis le dénombrement des habitans de ladicte ville quy feust faict lhors de lestablissemant desdictes quarantaines pour procéder ensemblement avec lesdicts olïiciers a la verillication dicelluy et nous dire la verite sy le nombre des personnes contenues audict dénombrement y est conforme dresser verbal de tout ce que dessus ensemblement des personnes quy manqueront dans ladicte ville dudict dénombrement soit par mort malladye ou absance, nous en exprimer les causes particulieres, pour en appres procédant nous a lentrce desdits habitans en entrant dans ladicte ville le trantiesme du presant moys jour du samedy sainct, sil plaict a Dieu, nous puissions verifier le contenu audict verbal et entrer dans ladicte ville avec plus dassurance et ensuite de ce les susdictz olïiciers se sont retires dans ladicte ville de Digne nous ayant ledict Jausiers dict qui! satisferoit a nos ordonnances.

29 mars.

Et advenant le vendredy sainct 29e dudict mois sur les cinq heures du soir sont venus audict lieu des Sieyes ledict Me de Thabaret, lieutenant principal, Castagny, lieutenant particulier, et Jausiers, advocat du roi, nous advertir comme ilz avoiut entieremant satisflaict a nostre dicte ordonnance tant pour la purification de ladicte ville eglizes maisons particulières, meubles, ouvertures des secrettes ayant pour raison de ce faict une sommaire information, laquelle nous ont remise a laquelle il resulte de la bonne et parfaite santé quy est dans ladicte ville, comme aussy ils ont remis un verbal contenant la vérification des personnes quy sont contenues au desnombremant par lequel il appert ny manquer que dix ou douze hommes que sont a la guerre despuis un mois ou deux ainsy que les cousulz leur ont assure, et trois ou quatre personnes mortes de malladie ordinaire ainsy que a appareu de raportz faictz par les medecins, et nayant peu nous procéder audict denombremant a cause de la grande quantité de neige quil treuva et que dailleurs lesdictz oiffciers avoient cougnaissance particulière des personnes contenues auxdictz denombremants, et ce faict lesdictz de Tabaret, Castagny et Jausiers se sont retires en ladicte ville a Digne et luy avons donne assignation a demain trantiesme de ce moys jour de samedy sainct a huit heures de matin de se trouver audict lieu des Sieyes pour nous accompaigner en ladicte ville de Digne dans laquelle nous fesions estat dentrer pour procéder a lentiere execution de l'arrest de nostre commission dudict jour 20e febvrier 1630.

30 mars.

Et du landemain jour de samedy saint sommes partis a huit heures de matin du lieu des Sieyes en compagnye de M°Jean Lombard, substitut de M. le procureur general du roy, de Jean Dupuy nostre grefifer, MeJean Gaudin, advocat au Siege de Digne, Trompet, huissier en la cour, Pierre Darbes audietlcier criminel et deux des archers du prevost pour aller en la ville de Digne y donner libre entree aux habitans dicelle suivant larrest, et a un quart de lieue dudict Sieyes et tout contre la ville de Digne auons heu en rencontre tous les officiers dudict siege, consulx et principaux habitans de ladicte ville, lesquels navoint sceu partir plustot pour nous venir treuver a cause de la quantite de nege quil treuveraient et encores parce que nous avions devance lheure de ladicte assignation et de ceste facon sommes entres dans ladicte ville avec un grand esplaudissement et contentement de tout le peuple, et sommes aile dessandre a la maison dudict M. de Thabaret, et une heure appres en compagnye desdictz otliciers consulx et principaux de ladicte ville sommes ailes a lEglize catliedralle de ladicte ville pour ou yrtonice et faire chanter un Te Deum laudamus et rendre graces a Dieu de lentree et santé de ladicte ville, et en appres nous sommes retires en la maison dudict sieur de Thabaret pour y disner, et incontinant appres disner sont comparus par-devant nous, Jean Pierre Bertrand Isoard sieur de Feyssal, Jean Louys de Jeanon appoticaire et Andre Besson, consulz subroges en ladicte ville de Digne pendant la malladie contagieuse et aultres principaux, lesquels nous ont requis en présence dudict M° Lombard substitut dudict sieur procureur général du roy, quattandu que la santé est tres bonne despuis six a sept mois dans ladicte ville et que nous y sommes entres quils nous pleust mettre ledict arrest en entiere execution et a ces fins quil soit permis aux habitans dudict Digne de sortir de ladicte ville aller librement frequenler et comercer par toutes les villes et lieux sains de la province en rapportant bonnes billettes de santé avec deffances de les empescher ny reffuser a peyne de dix mil livres despans domaiges et interestz. Ledict M° Lombard en ladicte quallile a requis que conformemant a larrest de nostre commission libre entree et comerce soient donnes aux corisulz manam? el habitans dudict Digne pour toutes les villes et lieulx de la province, raportant bonnes billettes de santé avec deffances a tous quil appartiendra de les empescher a peyne de dix mil livres despans doinages et interest audicts habitans et qu'il soit informe contre les contrevenantz; neanlmoingz quil soit enjoinct aux consulz dudict Digne de faire garder et observer les arrestz et reglemantz de la cour en ce quy est du negoceet trafiq des marchandises a peyne de dix mil livres damande et de respondre en leurs propres des inconvenians que pourroint arriver et quil soit enjouinct aux officiers dy tenir la main et en advertir la cour sus les mesmes peynes. Et nous conseilher et commissaire avons ordonne que libre entree et comerce seront donnes aux consulz manantz et habitans de ladicte ville de Digne par touttes les villes et lieux de la province en raportant bonnes billettes de santé de ladicte ville, avons faict inhibitions et deffances aux consulz et administrateurs des villes et lieux du despartement de la cour dy refuser ny empescher lentree et comerce dans icelles a peyne de dix mil livres damande despans domaiges et interestz desdicts habitans et sera en forme contre les contrevenantz par le premier juge royal ou huissier de la cour, et neanlmoingz avons enjoinct et enjoignons aux consulz de la ville de Digne de faire garder et observer les arrests et reglemantz de la cour en ce quy est du negoce et tralliq des marchandises a peyne de dix mil livres damande en leur propre sans se pouvoir rejeter sur le corps de la communaulte et de respondre de tous les inconveniantz quy en pourroient arriver et enjoint aux officiers dy tenir la main et en advertir la cour sur les mesmes peynes, et sera la presante ordonnance leue et publiee a son de trompe et cry public par tous les lieux et carrefours de ceste ville de Digne accoustumes.

31 mars.

Du landemain dernier dudict mois de mars, jour de Pasques, audict Digne et dans la maison dudict sieur lieutenant sur les quatre heures appres midy, venant nous douir vespres, lesdicts consulz subroges accompagnes de Me Jean Boyer segond consul de ladicte ville quy estoitsort y pendant ladicte malladie contagieuse nous auroient remontre que par arrest de ladicte cour donne a leur requête du dix-huict du mois de mars, auroit este par nous ordonne quil serait par nous procède a la création du nouveau estat de ladicte ville de Digne suivant le reglemant de ladicte communaulte le vingt-cinquiesme dudict presant mois de mars ou a tel autre jour quil seroit pas nous advize avec deffance auxdicts consulx administrateurs et conseilhers de la maison commune de ladicte ville de procéder a ladicte création par devant aultre que par devant nous a peyne de dix mil livres et nullite de procédure, nous requérant que conformemant audict arrest il nous plaise vouloir procéder a ladicte création du nouvel estat a demain premier jour du moys dapvril ou tel autre jour que nous advizerons, puisque navons peu proceder a icelle le vingt-cinquiesme de ce mois auquel temps ladicte ville estoit encore dans linterdiction. Et nous conseilher et commyssaire avons ordonne que sera par nous procédé a la création du nouvel estat a demain lundy premier jour du mois dapvril, jour et l'esle de St-Etienne, et a ces fins avons enjoint auxdicts consulz de nous remettre le reglemant de ladicte communaulte ensemble le roole du conseilh particulier et général pour voir ceulx quy sont mortz pendant la malladie afin que procédions a la subrogation diceux. En execution de quoy lesdits consulz nous ont remis ledict reglemant et avons treuve le conseilh particulier de ladicte maison commune estre compose de quinze comprins les trois consulz lesquels sont ceux quy font la premiere nomination de trois premiers consulz, trois segonds et trois derniers et trois trezoriers, et le conseil general est compoze de quarante-huict, lesquels choisissent un des trois premiers, des segonds et des derniers et un des trezoriers suivant la pleuralite des opinions.

1 avril.

Du lendemain matin premier avril mil six cens trante, jour de St-Estienne sommes alles a la grand Eglise en compagnie desdicts consulz subroges, dudict M° Jean Boyerconsul et plusieurs apparans de ladicte ville ou avons faict dire une messe du Saint-Esprit a la maniere accoustumee, et appres sommes alles a la maison du roy pour proceder a ladicte création du nouvel estât, et avons treuve que au conseilh particulier ny avoit de vivantz que
1. M°Jehan Boyer, consul,
2. M° Jehan Chaussegros, procureur,
3. Robert Bernard.
4.. M°Jacqucs Rochebrun, procureur.

5. Blaze Franque.
6. M°Jehan de Valluys, notaire.
Et nous conseilher et commyssaire avons subroge a la place des morts et dudict Rochebrun absent pour faire le nombre entier de quinze :
1. Jehan Bertrand Isoard sieur de Feyssal.
2. Jehan Louys de Jeannon.
3. Andre Besson.
4. M° David de Lautharet, médecin.
5. Louys Aubert Jausiers sieur du Castellar.
6. Pierre Chaud.
7. M° Jean Roux, recepveur des décimes.
8. M° Ilonnore Amoreux, procureur.
9. Anthoine Taxil.
10. M°Honnore Reboul, sr de Lambert, advocat.
Et du conseilh general avons treuve ny avoir que de vivants :
1. M° Jean Deaudet, procureur.
2. Anthonio Fabre.
3. M° Phelip Mouret, notere.
4. Jehan Chaussegros sieur de La Tour.
5. Louis Amalric.
6. M° Honnore Reboul sr de Lambert, advocat.
7. M° Honnore Amoreux, procureur.
8. M°Jean Roux, recepveur.
9. Barthélémy Autard.
10. M° Anthoine Esmivy, advocat.
11. Pierre Boyer.
12. M° Pierre Rode, notere.
13. Balthazar Jeauffret.
Et nous conseilher et commyssaire avons subrogéa la place des morts et desdicts Rode et Mouret absents pour faire le nombre entier de quarante-huict:
1. M° Jehan Roux advocat de Colmars.
2. Esperit Arnaud.
3. Francoys, de Jacques.
4. Anthonio Taxil.
5. Jacques Codur.
6. Jeannet Laugier.
7. Jean Seignoret.
8. Le sieur de la Peyriert.
9. Estienne Hellié.
10. M. llesmiol.
11. Scipion Gauderuar.
12. M. Allayer.
13. Louys Buisson.
14. Bernardin Bassac.
15. Joseph Ferriol.
16. M°Jean Chaussegros, procureur.
17. Louis Auber Jausiers sieur du Castelar
18. Jehan Orslier.
19. M. Bernard, medecin.
20. M. Frediere, advocat.
21. M°Jean de Valluys , notere.
22. M. David de Lautaret, medecin,
23. Manuel Lombard.
24. Jehan Laugier.
25. Anthoine Fabre.
26. André Delard.
27. Jean Bartel.
28. Pierre Canton.
29. Me Charambon, advocat.
30. Melchion Bertrand.
31. Nicolas Caire.
32. Pierre Collomp.

33. Anthoinc Feriere, cardcur.
34. Jean Gilly.
35. Guilhaumes Alphant.
36. Dominique Aymar.
37. Louis Gay.
Et ce faict avons faict assembler dans la maison du roy tous les susnommés et nous sommes retires dans une chambre avec ceux du conseilh particulier que sont en nombre de quinse pour estre par eux procédé a la nomination de ceux quy doibvent estre ballotes suivant le règlement, auxquels avons donne le sermant en tel cas requis. ( Suivent ensuite les trois candidats pour chacune des places de premier, second, tiers consul et trésorier, désignés par les 15 membresdu conseil particulier.On procède immédiatement au résultat de ce premier choix qui ne se faict pas au scrutin secret, mais pour lequel chaque membre écrit la liste de ses candidats quil signe de son nom).

Se treuvant par ce moïen que ceux quy doibvent estre ballottes pour premier consul tant par le conseilh particulier que du général compoze de quarante- huict sont :
M° Jean Chanssegros, procureur.
M° David de Lautaret, medecin.
M°Honnore Reboulsieur de Lambert, advocat.
Et pour segond consul
Pierre Chaud,
Mellonnore Amoreux , procureur.
M° Jean Roux, recepveur des dixmes.
Et pour dernier consul :
Balthasar Geoflret.

Esperit Arnaud.
Anlhoine Taxil.
Et pour trezorier :
Andre Boyer.
Jean Gilles.
Manuel Lombard.
Et ce faict avons faict entrer dans ladicte chambre tous ceux du conseilh général en nombre de quarante huict, ausquels avons faict entendre ce que dessus et donne le sermant en tel cas requis. Et par la pleuralite des oppinions sont este créés consulx, savoir : Pour premier
M° Jehan Chaussegros, procureur.
Pour segond.
Pierre Chaud.
Pour dernier
Balthazar Geotfret.
Et pour trésorier
André Boyer
Ausquels avons en mesme temps faict prester le sermant en tel cas requis et les avons mis en possession. Et tout incontinant ledict conseilh général et particulier ont esleu pour extimateurs :
M° Jean Boyer, recepveur
Jean Louys de Jeannon.

Antire Besson.
Robert Bernard.
Comme aussy par la pluralite des oppinions sont este eslus pour advocat M° de Barras; pour procureur, M°Deaudet; et pour grenier, M°Denoise. Et nous conseilher et commyssaire avons ordonné que les aultres officiers dudict nouvel estat seront faietz par le premier conseilh que se tiendra, et nous sommes retires.
Signé F. de St-Marc.

TROISIÈME PARTIE.

*

C'est le samedi, 30 de mars, la veille du jour de Pâques, dans la matinée, que la ville de Digne fut rendue à la circulation, et que M. le conseiller de Saint-Marc y fit son entrée escorté de tous les officiers royaux, de tous les consuls, de tous les membres du conseil, et suivi d'une immense partie de la population qui poussait des vivats d'allégresse, et faisait entendre de vifs et bruyants applaudissements. Le sol était ce jour là couvert de neige, ce qui n'empêcha pas cependant uue manifestation dont le procès-verbal de M. le conseiller de Saint- Marc lui-même constate l'enthousiasme. M. de Saint-Marc descendit chez le lieutenant Tabaret , que nous retrouvons à son poste, et de là se rendit à l'église de Saint-Jérôme, où au milieu d'un grand concours d'habitants , on chanta un Te-Deum solennel. Le lendemain eut lieu, ce qu'on appelait alors la création du nouvel état. C'était l'élection annuelle des officiers municipaux. Cette élection se fit en présence et sous la présidence de M. de Saint-Marc. M°Jehan Chaussegros, fut nommé premier consul ; Pierre Chaud, second consul ; et Balthazar Jauffret, tiers consul. Les nouveaux eonsuls à peine installés, voulurent témoigner à l'envoyé du parlement toute leur joie et toute leur reconnaissance, et lui offrirent quelques objets qui devaient lui faire supporter avec plus de patience la sevère frugalité de la table dans nos rudes montagnes. On lui donna un énorme fromage et du vin du cru. On accompagna ce don un peu rustique de deux magnifiques chapons et de six paires de perdrix. Ces présents furent renouvelés avant son départ, et comme les comptes du trésorier sont d'une précision et d'une exactitude qui ne laisse rien à désirer, nous pouvons dire que la seconde fois, le don fut plus copieux que la première.
Outre une nouvelle quantité de vin, et divers autres objets de minime importance, on lui donna encore deux chapons, neuf perdrix, et deux levrauts, de la chair la plus tendre et la plus délicate. Le conseil qui fut assemblé le 4 avril, approuva la dépense faite pour de pareilles largesses. Nous ne savons pas cependant si ses membres n'en eurent pas plus tard du regret ; car M. de Saint-Marc refusa de consigner dans son procès-verbal une protestation légitime, faite par eux deux jours plus tard. Ce qui donna lieu à cette protestation, ce furent les demandes de nombreux créanciers de la commune, qui assignèrent les Consuls devant M. de Saint-Marc pour réclamer le montant des vacations qu'ils prétendaient leur être dues pour la garde de la ville. Le conseil, réuni le 6 avril, fut d'avis de s'opposer à une semblable demande, délégua le consul Chaussegros pour comparaître sur l'assignation et lui dicta la réponse que nous reproduisons textuellement :
Sur quoy a este dellibere quon se prcsantera a lassignation et fera la responce suivante : Les consuls de ladite ville de Digne ont dict que nont aulcun intherest en la taxe quon porsuit parceque elle ne touche ny regarde ladite ville laquelle ny doibt contribuer ung seul liard, daultant quaiant este afftIigee de peste, au lieu de recevoir secours et adcistance, il sont estes bloques et assieges dans leur ville jusques a deux cens pas de leurs portes par des gens de guerre quon y a loges, comandes par leurs intandans, lesquels les ont empesches de sortir et prandre quarantaine dans les biens et propriétés qui possèdent aux terroirs voisins que sont jougnants et atenans le terroir de ladite ville, les aians tenus si serres et constrainctz , que dans moingz de quarante jours y est mort plus de huict mil personnes, et de plus ils ont perdu les fruictz de leurs biens questoient pendans fanlte dadcistance , ce que ne leur seroit arrive sy on leur heusse donne ce terroir pour s'y louger et moien de tresport tellemant que ces gardes ne leur aiant cause que des pertes et dommaiges irreparables sensuit qui nen doibvent entrer sauf correction au paiemant dicellui de leurs intandans ni aux aultres puis que ladite garde ne revient pas a leur profict mais bien a leur dommaige et toutalle perte, aussy nen na pas este mize pour garder ceulx de la ville mais bien ceulx habitans aux lieux voizins et de toute la province, alîin que le mal ne se communiqua; que sy ceulx la se sont volleus conserver, ils en doibvent su porter la despance et non pas ceste poure et desoulee ville, laquelle se treuvant comme deserte par la perte de la plus grand partye de ses habitans ne doit pour surcroît de ses maux soffrir la perte du peu de biens que leur restent. Ce quilz ont dict sans aprobaiion de toutes les procédures faictes contre eulx et principallemant de celles de monseigneur le conseilher d Agut dont ilz protestent et sen prouvoiront en tams et lieu. Cette protestation était l'expression énergique des sentiments qui émouvaient nos pères à cette époque, à la seule pensée de l'affreux malheur qui s'était apesanti sur leur pauvre cité, ils songeaient avec indignation à la conduite qu'on avait tenue contre ses infortunés habitants : au lieu de leur permettre de se retirer dans leurs maisons de campagne, qu'ils possédaient presque tous dans les territoires des communes voisines de Digne, à cause du peu d'étendue de son territoire particulier, on les avait brutalement cernés, et impitoyablement contraints à rester entre leurs murs étroits et malsains sous le coup d'un fléau épouvantable. Aussi M. le conseiller de Saint-Marc, ne voulut pas faire droit à la réquisition du consul Chaussegros. Il ne voulut pas consigner dans son rapport qui devait passer sous les yeux du parlement, une récrimination aussi fondée et qui l'eût frappé au coeur; car, il faut bien le dire, ce fut le parlement, qui fit à lui seul tout le mal, par le système déplorable qu'il adopta. Loin de notre pensée de médire de cette magnifique institution qui a fait la gloire de notre Provence, mais à cette époque, elle fut prise d'une sorte de vertige, elle se sépara en deux chambres, dont l'une se retira à Pertuis et l'autre à Salon, d'où elles se firent une guerre déplorable de coterie et de parti. Cette protestation confirme encore ce que nous disait Gassendi, dans sa notice sur l'église de Digne, et que nous avions de la peine à nous persuader, que la ville de Digne avait à cette époque dix mille âmes de population sur lesquelles il en périt huit mille. On comprendra sans peine dans quelle triste situation notre cité devait se trouver après un aussi grand désastre. Tous les services publics étaient complètement suspendus et anéantis, la police avait cessé de se faire, la comptabilité n'avait plus personne pour tenir en règle les affaires de la commune, toutes les ressources étaient à peu près épuisées. Quelques hommes dévoués s'étaient bien efforcés d'amoindrir les conséquences d'un pareil état de choses, mais la situation exceptionnelle que la rigidité des mesures prises par l'autorité avait faite, n'en était pas moins déplorable. Il fallut une grande énergie, et une activité sans exemple, le tout fortifié par un patriotisme intelligent, pour remettre les choses dans leur état normal. Ce fut la tâche remplie par les consuls qui avaient été nommés, et surtout par le premier consul, l'avocat Chaussegros. Cet homme d'une vaste intelligence et d'une ardeur admirable, ne perdit pas courage, et se mit à l'oeuvre sans hésitation, en redonnant à tous ses concitoyens abattus le courage et l'espoir d'un meilleur avenir. Il s'empressa de faire un relevé des besoins les plus urgents, et convoqua pour le 14 avril un conseil général, dans lequel il voulut faire approuver les nombreuses mesures qu'il avait à proposer.
Ce conseil du 14 avril peint trop bien la situation de la ville, pour n'être pas reproduit entier. Il fera connaître, mieux que nous ne pourrions le faire nous-mêmes les embarras de nos pères en ce moment.

Conseil général du 14 avril 1630

Du quatorze avril mil six cents trante du matin en la ville de Digne, dans la maison du roi par devant Monsieur Messire Gaspard Castagny, conseilher du roi, lieutenant particulier, assesseur civil et criminel au siege et ressort de ladicte ville. Le conseilh général de la communaulte dudit Digne a este assamble et couvoque a voye de trompe et cry public a la maniesre accoustumee, Auquel sont estes presants : M° Jan Chaussegros, en questeur pour le roi audit siege premier consul, tenant le baston du roi en main en absance du sieur viguier en chef; cappitayne Pierre Chaud et Balthazard Geoffroy, segond et troisiesme consulz ; Jan Louys Dejanon et André Besson consulz vieulx ; Me Honnore Reboul sieur de Lambert, advocat; Louys Aubert Jausiers sieur du Castelard; cappitayne Scipion Gaudemard; M° Clemenr Reboul, procureur ; Jan Chaussegros , sieur de Latour; Barthellemi Autard, sieur de la Javye ; Anthoine Taxil; M° Manuel Lombard; Dominique Eymar; Louys Seguret ; Estienne Lanlelme ; Joseph Ferriol; Bernardin Bassac; Louys Gai; Me Guilheaume Belletrux ; Jan Gilli ; Jan Aubert; Pierre Canton; Anthoine Fabri; Malhieu Rougon; Jean Honnore Bassac; Jean Bartel; Durant Pouquet; François Jacques ap. ; M° Jan Baptiste Charambon, advocat et enquesteur; Anthoine Lantelme; M° Anthoine lIesmivi, advocat; cappitayne Esperit Arnaud; Peyron Baudoin; Honnore Meynier; Blaze Francoul ; Jan Reynaudin; Georges Royt; Me Pierre de Barras, advocat de ladite communaulte ; M° Andre Boyer, tresorier moderne de ladite communaulte, tous particuliers conseilhers dudit conseilh ou subroges au lieu et place des absans.
Auquel conseilh a este propoze par ledit sieur Chaussegros premier consul que les mizeres et calamilles dont ceste pauvre ville de Digne a este afligee au moyen de la maladye contagieuze laquelle a cesse de present par la grace de Dieu ont mis en tel desordre la police et les réglés quon y avoit auparavant gardees quil est necessere de les restablir. Car le collège auquel la jeunesse estoit instruyte cesse tout a faict ; les fonteines sont rompues et sans conducteur par le dexces de Gaspard Astoin ; les fermes finyes, et celles quy sont en estat ne peuvent sunire aux occurances necesseres; les trezoriers et administrateurs des deniers publiques sont mortz; la ville engagee de grandz debtes oultre lesquelles debtes le trezorier du roi et des deniers du pays demande troys mil ou tant de livres pour arreyrages de la derniere annee au payement desquelz on ne peult subvenir pour n'y avoir aulcungz deniers en la boursse commune ni moyen den avoir, pour nestre les rantes et fermes dicelle restablyes. Et daultre part les intandanlz, soldats et commysseres qui ont bloque ceste ville durant la peste demandent payement de leurs prethandus salleres quoique la ville ny soyt pas tenue y aiant de ce proces par devant Nosseigneurs de parlement et par devant Monsieur le conseilher de Saint- Marc, commyssere sur ce deppute, lequel a este conteste apert au precedant conseilh, et y a encor beaucoup daultres demandes que plusieurs particuliers font, ce que donne subject de convoquer ceste assamblee pour aporter sur le tout tel ordre que sera advize. Sur quoi a este delibere en premier lieu suivant larrest general de la cour du premier febvrier dernier deriger le bureau de santé en ceste ville conformement a icelluy ayant nomme ledit conseilh unanimement pour les apparans de ladicte ville que y doibvent adcister M° Honnore Reboul sieur de Lambert, advocat, et Mre Jan Roux receveur des dexcimes, et pour les intandantz M° Jan Baptiste Charambon, enquesteur, et Me Anthoine llesmivi advocat. Plus a este delibere que pourla plus exacte garde que ce doibt fere en ceste ville, il sera comande ung capage aux portes de ladicte ville et que ceulx quy seront comandes y adcistent actuellemant aux peynes des precedants reglemants. Plus que les portes particulières que ce treuvent hors la ville et par lesquelles on peull entrer et sortir dicelle seront fermees aux despens des propriétaires, donnant sur ce pouvoir et charge a Messieurs les consulz de le fere fere. Que toutes les bilhettes seront consignées ez mains des intandantz a la garde de la porte du Pied-de-Ville, et deffances a tous les particuliers de la ville de louger aulcungs estrangers quy ne leur apparoice de ladicte consignation a peyne de punission examplere. Que les fonteines et larrolhoge de la ville seront restablys et remis en bon estat et pour cest enecta le conseilh donne pouvoir et charge a Messieurs les consulz prins avec eulx quatre ou cinq des plus apparants de la ville en fere les marches et donner les prix faictza ceulx quy advizeront prefferant en ce les obvriers et artisans de la ville et neanlgmoins de payer les salleres a ceulx quy ont accomode et conduit ledit arrologe pour le passe. Que les comptes des comptables et débiteurs de la communaulte seront promtement ou ys et examines et a ceste fin le conseilh a comis pour auditeurs les sieurs consulz nouveaux et avec eulx Me Honnore Reboul, sieur de Lambert, Louys Aubert Jausiers, sieur de Castelard, et attandu que lesdicts comptes sont de tres grande importance pour la ville a cause de la multiplication dafferes et negoces quelle a heu sur ses bras lannee derniere, ledict conseilh a unanimement resouleu que quoique par le passe on ne nommast que deux auditeurs a present den nommer quatre et sans conséquence, ayant este encore délibere quyl sera permis a tous les particuliers de ladicte ville de donner de mémoires et instructions sans aulcung sallere, nommant pour troisiesme et quatriesme auditeurs M° llesmivi advocat, et cappitayne Scipion Gaudemar. Que toutes les reves et fermes de la communaulte et mesmes celle dun liard par livre pour les provizions seront mizes a lenchere a la dilligence de Messieurs les consulz a laccoustumee. Plus ledit conseilh a donne pouvoir et charge a Messieurs les consulz damprunter de tels particuliers quilz trouveront et a la meilleure condition quilz advizeront jusques a la somme de douze cens ecus pour subvenir au payement des deniers du roi et du pays et daultres charges et afferes urgentes de la communaulte a quoi nont aullre moyen de satisfera que parcellui dudict emprunt donnant a ces fins le conseilh pouvoir et charge auxdicts consulz en passer les obligations requizes et necesseres. Quant au restablissement du college de ceste ville attandu quil cest présente ung des peres de loratoyre ayant charge du corps de la congrégation pour tenir regir ledict college, a este délibéré de sursoir a lestablissement jusqua la Saint-Michel prochain et ceppendant darreter ledict pere en ceste ville pour entrer en exercice lannee prochaine a cest effect donnent pouvoir et charge a Messieurs les consulz de traiter avec les peres de la dicie congrégation le plus utillement que pourra pour la communaulte et a ces fins de poursuivre lunion de la preceptoriale de leglize Saint-Jerosme audict college par advis et conseilh quilz prandront a cest effect au moyen duquel procureront ladvantage de la dicte communaulte pour le restablissement dudict college. Plus ledict conseilh a donne pouvoir et charge a Messieurs les consulz appelez avec eulx les auditeurs de contes susnommes de proceder a la liquidation et verilficalion des vacations fraicz fournitures et menues debtes prethandues par plusieurs des particuliers de ladicte ville a la charge quilz advertiront au tout le conseilh particulier pour prouvoir a leur payement sil y escheoit. Plus quon poursuivra Messieurs du chapitre de ceste ville pour fere prouvoir de benetliciers en leur esglize de la qualittc portee en leurs statutz et nue les annales seront employées aux repparations de leglizeet que les gaiges du predicateur quon debvoit employer la presente annee seront exiges par Messieurs les consulz pour estre emploves a la norriture des peres Recollets quy ont faict prescher. Les rantiers du seigneur evesque seront poursuivys denvuider les mains. Ledict conseilh a delibere unanimement de fere distribuer une charge de bled aux peres Cordeliers pour aumosne , atlandu leur hurgente necessite et sans conséquence. Plus que larrest et ordonnance rendus par M. le conseilher de Saint-Marc touchant l'ouverture et comerce de lentree de ceste ville sera mande par toutes les villes et lieulx de ce ressort et aultres de ceste province pour estre gardes selon leur forme et teneur. Plus le conseilh a ratillie la deliberation faicte au precedant conseiIh particulier touchant laumosne qua este faicte aux peres Recoulets observantins donnant encor pouvoir a Messieurs les consulz de la continuer jusques quaultrement soit delibere. Ledict conseilh a unanimement resoleu que Messieurs de la ville de Riez seront mandes et vizittes par deux de Messieurs les consulz quy les remerceeront très humblemant de ce que eux seulz de tous nos voizins vindrent favorablemant offrir leur secours et adcistance a ceste ville Ihors de son urgente necessitte et que les aultres villes et villages du ressort sarmoint tous les jours et sassambloint pour conjurer les ruynes et désolations quon y a veu peu de temps après, lesquelz sieurs consulz liquideront les fraiez fournitures et vaccations desdicts sieurs consulz de Riez et se randront fassiles et comptans, leur offriront en revanche toute sorte de services après ung monde de remerciemans quy leur feront. Que certaine roue servant a la poudre cjuest au moulin du Pred de la Foire sera donnee a Jean Honnore Bassac maître poudrier pour icelle servir a son mestier. Que les lisses questoient despuis la porte du Pied de Ville jusques au Pred de la Foire seront ouverte aux lieux les plus comodes que seront advizes par Messieurs les consulz en indamnizant les particuliers sil y eschoit. Le conseilh a ratitïie le voeu que feust faict a Nostre Dame de Grace sur le subject de la maladye du xv julhet dernier. Plus que les infirmyers quavoient este establvs continueront et notamment le savoyard. Que le roi sera tres humblemant suplye dexamter ceste pauvre ville du lougemant des gens de guerre pour dix ans attandu les grandes pertes et mortalittes arrives durant la contagion derniere et que la ville est quasi deserte, et a cest effect et pour obtenir la confirmation des privilèges de la communaulte sera deppute en cour. Que aulcungs nouveaux habitants ne seront receus dans ladicte ville jusques a la Saint-Michel prochain a cause des inconveniens quy en pourroient arriver et ceulx quy sont entres avec les pauvres estrangers seront introduitz en leurs villages. Que personne ne pourra couper aulcung boys vert au boys de Feston, lequel sera veu et vizitte par Messieurs les consulz et par les extimateurs modernes que feront rapport de lestat quil ce treuve de present pour cougnestre le domaige que en sera donne a ladvenir A este donne pouvoir a Messieurs les consulz de traiter avec ung chandellier et passer le contract a la mcilheure condition quilz pourront.
Signes Castagny lieut. Chaussegros, consul, P. Chaud, consul, Geaufroy, consul. Denoize, notaire et greffier.

Il est inutile de rien ajouter à cette délibération pour faire comprendre la situation grave et difficile dans laquelle la ville se trouvait au moment où la libre circulation fut rétablie pour elle. Le consul Chaussegros en avait la triste certitude, lorsqu'il faisait un appel au conseil général, pour mettre un terme aux misères et calamités causées par l'affreuse contagion qui venait de la désoler. Toutes les règles de police étaient abandonnées, tous les services publics étaient suspendus, les fermes qui assuraient les ressources de la ville étaient arrivées à leur terme, et n'avaient pas été renouvelées , les trésoriers et administrateurs des deniers publics avaient été frappés par le fléau ; tous ceux qui étaient redevables envers la commune étaient morts, et leurs héritiers réclamaient même des indemnités pour les pertes par eux éprouvées. D'autre part, des créanciers de toute espèce faisaient entendre leurs réclamations. Il était indispensable de les examiner, de contester celles qui n'étaient pas fondées, et de payer celles qui étaient incontestables, notamment celles demandées par le trésorier du roi et du pays. Le conseil donne aux consuls pleins pouvoirs, il les autorise à emprunter les sommes nécessaires, reconstitue le bureau de santé, la garde de la ville par voie de capage, nomme des auditeurs de compte, vote la mise aux enchères de tous les rêves, envoie une députation au roi pour que la ville soit déchargée du logement des gens de guerre pendant dix ans, et règle une foule de détails administratifs que nous n'avons pas à énumérer ici. Cette délibération contient la ratification du voeu fait par la ville le 15 juillet 1629 , dont nous avons parlé. Il est une autre décision de cette délibération que nous ne devons pas laisser inapeiçue. C'est la députation de deux consuls envoyée à Riez pour remercier les habitants de cette ville de ce que seuls entre tous leurs voisins ils sont venus pendant la durée du fléau dont ils ont eu tant à souffrir, leur offrir leur assistance et leur secours, tandis que les habitants des autres villes s'assemblaient et s'armaient contre eux et ont été en grande partie la cause de la désolation dont la ville de Digne a été le théâtre. Les députés de la commune devront liquider les frais et fournitures dûs à la commune de Riez, et se rendre faciles sur le règlement d'un pareil compte. Ils devront en outre leur offrir en retour, outre un monde de remerciements, suivant la naïve et énergique expression de la délibération, toute sorte de services. Ce témoignage de reconnaissance aussi solennellement donné honore autant les habitants de la ville de Riez que ceux de la ville de Digne. Les consuls, après cette délibération, se mirent immédiatement à l'oeuvre, et firent preuve d'une activité sans exemple. C'est dans ce moment, alors que la ville, malgré ses embarras/ jouissait du bonheur d'être rendue à la liberté , qu'un incident fort bizarre vint troubler un instant cette joie. On sait déjà que lorsque la peste sévit à Aix, le parlement se sépara en deux chambres, dont l'une se retira à Pertuis et l'autre à Salon. Les plus grandes institutions ne sont pas à l'abri des faiblesses humaines, et cette division amena entre les deux chambres du parlement des luttes que nous voudrions bien effacer de l'histoire. La ville de Digne fut une des victimes de ces tristes querelles. Un arrêt de la chambre de Pertuis avait mis la ville de Digne en quarantaine et avait ordonné qu'à partir du 20 mars elle serait rendue à la libre circulation. La chambre de Salon l'apprit bientôt, et piquée de ce qu'on ne l'avait pas consultée, elle rendit d'office, dans les premiers jours du mois d'avril, un arrêt par lequel elle interdisait à tous les habitants de la ville de Digne l'entrée de tous les lieux de son ressort, jusqu'à ce que la communauté leur eût demandé par une députation à cet effet expressément nommée, comme elle l'avait fait auprès de la chambre de Pertuis, un arrêt qui l'autorisât à établir des relations libres avec tous les lieux de la Provence. Cette nouvelle fut annoncée à la ville par M. de Latour, conseiller au siège de Digne, qui se trouvait à Pertuis, en date du 15 avril , et y parvint le 18 du même mois.
Il était inutile de résister, et le conseil ce même jour envoya une députation vers les membres du parlement qui tenaient leurs séances à Salon. Cet acte de soumission satisfit les nobles membres du parlement qui s'empressèrent d'acquiescer à l'humble supplique qui leur était adressée. Les consuls s'étaient empressés d'acquitter les deniers du pays, que les trésoriers réclamaient impitoyablement. Ils avaient réorganisé les service les plus importants, et ils s'occupaient avec un soin extrême de régler tous les comptes de la communauté, tant ceux qu'elle avait à réclamer, que ceux qui retomberaient sur elle. Le prêtre Massue fut appelé en plein conseil, et là, après avoir entendu ses plaintes, il fut décidé , qu'à cause des services qu'il avait réellement rendus on lui donnerait un habit complet de camelot, on ne lui réclamerait rien pour les vivres qui lui avaient été fournis pendant son séjour à Digne, depuis le 3 août jusqu'au 27 septembre. Relativement aux travaux de purification par lui faits depuis cette dernière époque, le conseil lui fixe ses journées à raison de deux écus quinze sous par jour, ce qui lui fit une somme totale de 306 écus 41 sols. On le laissa libre d'ailleurs de réclamer le prix de ses soins à ceux qui les lui devaient ou à leurs héritiers. Massue se tint pour satisfait et continua probablement sa vie de pérégrinations. On était arrivé vers la fin du mois d'avril. Les nombreuses sépultures qu'avait nécessitées la contagion, avaient obligé nos pères à creuser des fosses dans des lieux rapprochés de la ville, on avait même pris une partie du Pré-de-la-Foire. Un cimetière avait été établi sur les bords de la rivière des Eaux-Chaudes, en face de la platrière, dans le jardin de M. Julien des Audes, un peu en dessous du pont actuel du Pigeonnier. Un autre se trouvait tout près de l'endroit où fut bâtie à cette époque la chapelle de Saint-Sébastien, qui n'existe plus aujourd'hui, mais dont on a gardé le souvenir, et qu'on regrette en voyant aujourd'hui à sa place un triste réservoir de nos fontaines. Ces cimetières adoptés à la hâte et où les sépultures avaient été faites avec trop de précipitation se trouvaient dans un état déplorable. Les animaux domestiques les plus immondes, les bêtes fauves s'y attroupaient. Uue délibération du 21 avril ordonna qu'on ceindrait de murailles lesdits cimetières, pour empêcher les profanations dont on avait la douleur presque chaque jour d'être témoin. Nos pères dans un moment d'exaltation toute religieuse votèrent l'érection de deux chapelles, dont une, celle de Saint-Sebastien, devait être emplacée à l'extrémité de la rue de la Traverse, et l'autre sur les bords de la rivière des Eaux-Chaudes, dédiée à Saint-Roch (1). Mais les nombreux embarras de cette époque empêchèrent la ville de faire cette nouvelle dépense, et la chapelle de Saint-Sébastien seule vint offrir aux familles un lieu saint où elles pouvaient pleurer ceux qu'elles avaient si terriblement perdus et prier pour le repos de leur âme.

(1) Et feront bastir unnc capelle a chascune part une a lhoneur de Saint-Roch et laullre a Ihoneur de Saint-Sebastien soubz le bon plaisir du conseilh général et de Monsieur levesque dudict Digne. (Dél. du 21 avril 1630)
Nous devons dire que dans le registre des délibérations le nom de Saint-Sébastien ne se trouve que par suite d'un renvoi et d'une rature du mot Louys, que le greffier du conseil avait d'abord écrit.

Nous avons fait d'inutiles recherches pour retrouver la chapelle de Saint-Roch : nous croyons fermement qu'elle n'a jamais existé. C'est vers cette même époque qu'on ferma pour jamais la petite chapelle Sainte-Catherine, dont le savant M. Bondil nous a si bien fait connaître l'emplacement. Le conseil ordonna cette fermeture par sa délibération du 21 avril. On arrivait au mois de mai; mais le temps qui s'était écoulé depuis que la ville avait recouvré la liberté, n'avait pas suffi pour ramener les choses à leur état normal. Les embarras , au contraire, croissaient de jour en jour. Le consul Chaussegros avait été obligé d'aller assister à Valensole à une assemblée des États qui y avait été convoquée le 28 avril. En revenant, il annonça que les États avaient voté une imposition extraordinaire, et que les procureurs du pays avaient ordonné que la ville de Digne, malgré son état de détresse, recevrait un régiment qui devait y séjourner quelque temps. Cette nouvelle causa une profonde stupeur ; il fallut songer à un emprunt nouveau, et on autorisa les consuls à contracter au nom de la ville une obligation de 4,000 fr. On avait déjà voté une taille de 2 écus par livre et on prit une mesure, qui devait un jour amener la ville de Digne, à abandonner ses moulins qui étaient pour elle la source de revenus abondants pour ses dépenses. Le conseil ordonna que toutes les créances de l'hôpital Saint-Jacques seraient retirées et mises à la disposition de la ville, qui servirait à l'hôpital, une rente annuelle de la somme que lesdites créances produiraient. Les procureurs du pays, pour aider à subvenir à la dépense que devait entraîner le logement des troupes, avaient bien accordé une somme de 5,000 francs payable par quelques villes voisines. Mais ce secours était impuissant en présence de la détresse dans laquelle se trouvait encore la cité de Digne.
Le 27 mai, un avis envoyé de Seyne, prévient les consuls que les troupes sont en marche sur Digne. Le conseil particulier est immédiatement assemblé, et on députe le consul Chaud et M. de Feyssal, vers le commandant, pour lui demander la grâce, en considération de la situation exceptionnelle de la ville, de loger une partie de ses troupes dans les villages environnants. Dans l'incertitude cependant où l'on est si une pareille faveur sera accordée, on prescrit toutes les mesures nécessaires pour se procurer une quantité de vivres suffisante. Dans ce même conseil, on revient sur une délibération précédemment prise par laquelle le premier consul Chaussegros était député vers le roi pour obtenir une dispense du logement des troupes dans la ville pendant dix ans. Les nouveaux embarras qui surgissent rendent sa présence indispensable, et on nomme pour le remplacer un habitant de Digne, le sieur Seurre. Dès le soir les troupes faisaient leur entrée : elles se composaient de trois compagnies de chevaux légers et d'une compagnie de carabiniers. Toutes les sollicitations avaient été inutiles. Il était impossible de résister à la force armée : on dut se résigner et les consuls furent invités par le conseil à prendre toutes les mesures possibles pour fournir les vivres et aliments. On députa le trésorier Boyer vers le parlement et les procureurs du pays pour solliciter le prompt délogement de ces troupes.
Mais la tâche donnée aux consuls était à peu près impossible. Tous leurs efforts restèrent sans résultat. Le consul Chaussegros se vit forcé le 31 mai d'assembler le conseil particulier, et de lui exposer la vérité toute entière. Le blé, l'avoine manquaient complètement, à tel point qu'on avait été obligé d'arrêter quelques muletiers qui passaient dans le terroir et qui en étaient porteurs. Le conseil fort embarrassé prie les consuls de faire une visite à M. de Nieuville, commandant en remplacement de M. d'Arbouse, qui avait quitté Digne avec précipitation dès le lendemain de son arrivée. On lui exposera la triste situation des habitants, et on le suppliera d'envoyer trois de ses compagnies dans les principaux villages environnants.
En même temps le conseil députe M° Charambon vers Mgr. de Mont-Morenci, alors gouverneur de Provence, pour obtenir le délogement. Tous les habitants murmuraient et les consuls avaient de la peine à les contenir lorsque fort heureusement, le 3 juin au matin, le receveur Boyer arriva d'Aix, porteur d'un arrêt du parlement qui ordonnait le délogement de Digne de trois compagnies.
Le conseil fut tout aussitôt assemblé, et le consul Chaussegros donna lecture d'un arrêt qui prescrivait à la compagnie de chevaux légers de M. de Hoquincourt, d'aller à Champtercier, à celle de chevaux légers de M. de La Fossilière, à Courbons, et à celle des carabiniers de M. Nerciny du Blot, à Marcoux. Il ne devait rester à Digne que la compagnie de chevaux légers de M. d'Arbouse. Cet arrêt fut bientôt connu dans toute la ville et causa la joie la plus vive, celle d'un soulagement subit, alors qu'on se sent horriblement oppressé. Le conseil, pour l'exécution de cet arrêt, ordonna au consul, de ne plus faire distribuer des vivres qu'aux hommes de la compagnie d'Arbouse. Un second arrêt du parlement ordonna enfin le départ de toutes ces troupes, et elles quittèrent Digne, le 11 juin. Ce fut un prévôt qui apporta ce dernier arrêt, et il fallut lui payer ainsi qu'à ses deux archers une somme de 236 livres. Vers la même époque, la ville de Digne fut obligée de contribuer au transport d'une très grande quantité de blé, que le roi de France s'était procurée à Antibes et qui devait être transportée en Italie pour les besoins de l'armée française. Les commissaires chargés d'effectuer ce transport avaient établi un de leurs bureaux à Digne, et cette ville avait été taxée par arrêt de la cour à la fourniture d'autant d'hommes et de mulets qui seraient nécessaires pour assurer le transport de 25 charges par jour de Digne à Seyne. On passait pour cela une indemnité de 2 fr. 50 c. par charge. Mais les mulets ne pouvaient pas porter facilement une pareille charge, et on fut obligé de ne faire les chargements que de 9 panaux, en réduisant l'indemnité à 2 fr. 25 c. Mais bientôt les muletiers se plaignirent de l'insuffisance de ce prix, et les consuls furent contraints, pour ne pas arrêter le transport, de leur fournir un supplément, qui ne s'éleva pas à moins de 200 écus. Un autre embarras vint encore compliquer ce transport. La peste faisait d'énormes ravages à Seyne et dans la montagne. Le bureau de santé ordonna que les portes de la ville fussent soigneusement gardées, et les muletiers qui allaient jusqu'à Seyne ne purent plus y entrer et toute communication avec eux fut interdite au reste des habitants (1).

(1) La ville ayant appris que la peste était à Seyne, pour empêcher que les voituriers qui y transportaient le blé n'infectassent la ville, établit des gardes aux portes de la ville et ordonne que les muletiers n'auront pas de communication avec les habitants de la ville dans laquelle ils ne pourront entrer.

C'est vers cette même époque que le conseil eut à s'occuper de la demande formée par les religieuses de la Visitation qui désiraient s'établir à Digne, et qui achetèrent du neveu de l'évêque la maison qu'il possédait rue de la Traverse et qui est aujourd'hui transformée en caserne de gendarmerie. Le conseil fut enchanté de cette proposition , cependant il n'acquiesça à cette demande qu'à la condition que les dames religieuses consentiraient à ce que leurs biens et propriétés fussent compris comme ceux des habitants dans les allivrements de la commune.
Dans les premiers jours de juillet, la ville eut un moment de panique qui lui causa de nouveaux embarras. Un praticien qui habitait Digne depuis peu de temps, Anthoine Rollandi, de Saint-Vincent fut pris d'une maladie que l'on crut contagieuse. MM. Lautaret et Rippert furent appelés à le visiter et firent un rapport dont les conclusions
justifièrent les appréhensions que l'on avait conçues.
A cette nouvelle, une terreur panique s'empara de tous les habitants. Ils avaient encore présentes à l'esprit toutes les misères endurées par les malheureux qui étaient restés forcément prisonniers, et à l'aspect des nouveaux apprêts que l'on faisait pour une infirmerie et pour la régularisation d'un nouveau service de quarantaine avec tout son lugubre cortège, la plus grande partie s'empressa de déserter une ville qu'on pouvait désormais considérer comme maudite, et s'en fut répandre l'alarme, non seulement dans les environs mais encore jusqu'à l'extrémité de la Provence. Le parlement ne tarda pas à en être informé, et crut remplir un devoir commandé par l'intérêt public en ordonnant sans retard des mesures jugées nécessaires contre la ville infectée. Un arrêt en date du 9 juillet 1630 prononça la suspension pour dix jours de l'entrée récemment accordée à la ville de Digne. Les consuls devront tenir le parlement au courant des progrès de la maladie. Et à ce sujet, M. le président d'Oppède leur écrivit une longue lettre pour stimuler leur zèle. Mais dans l'intervalle, la vérité eut le temps de se faire jour. Un médecin de Sisteron, M. Rostan, se trouvait à Digne en passant. Nos consuls, préoccupés de l'idée terrible d'une nouvelle invasion, voulurent avoir son avis et le prièrent de visiter le malade, de concert avec MM. Lautaret et Rippert. Mais cette fois le rapport fut tout différent du premier : ce n'était pas la peste, et les habitants avaient eu le tort de s'alarmer sur un premier avis donné peut-être un peu légèrement. Quoiqu'il en fût, le mal était fait, et c'est au milieu de cette heureuse certitude qu'on avait échappé au danger, que l'arrêt du parlement vint tomber sur la ville. Toutes les assurances données par les consuls ne purent l'arrêter. Les consuls en furent désolés; ils firent faire un nouveau rapport et se hâtèrent de l'envoyer à Aix pour faire révoquer la suspension prononcée. Tous ces accidents qui en temps ordinaire n'auraient été que passagers et sans aucune importance, compliquaient grandement, en ce moment, la situation de la ville et accroissaient ses embarras. Cet état des choses dura toute l'année. Au mois de septembre, un arrêt du parlement, en date du 11 de ce mois, obligea de nouveau la ville de Digne à recevoir le régiment de M. de Pilles, qui était suivi d'un procureur du pays M. François de Borrili. Le 19 septembre, le délai du logement fixé par le parlement était expiré, et le conseil particulier assemblé, sous la présidence du consul Chaussegros, apprend de lui qu'il a fait sommation au chef du régiment logé dans la ville, d'avoir à déloger dans le plus bref délai. Le conseil approuve cette mesure, et ordonne à l'unanimité de ne plus fournir d'aliments audit régiment, s'il ne veut pas exécuter l'arrêt de la cour auquel la ville s'est respectueusement soumise. Les consuls devront au besoin réiterer la sommation, et protester contre tous les désordres qui pourraient être occasionnés par suite de l'obstination des troupes. Au besoin ils devront recourir au lieutenant du siège pour qu'il constate tous les faits qui pourraient être utiles à la communauté dans ses réclamations. Les consuls s'empressèrent de suivre la marche tracée par le conseil. Une nouvelle sommation fut signifiée au sieur de Pilles. Celui-ci leur répondit par un acte excessivement long, au dire du registre des délibérations, et déclara nettement que ne pouvant pas déloger, on eut à fournir à ses hommes les vivres et subsistances nécessaires. Il donna même à la suite de sa réponse une lettre du roi écrite à M. le président du parlement, et une autre lettre de ce magistrat qui la lui avait adressée.
Malgré tout cela, les consuls voyant que le sieur de Pilles ne voulait pas exécuter l'arrêt, s'adressèrent au procureur du pays qui se trouvait à Digne et qui devait être fort embarrassé. Mais le commandant de Pilles, s'apercevant qu'on faisait de la résistance, n'hésita pas à user, pour se faire obéir, de la force armée qu'il avait à sa disposition. Il divisa son régiment en plusieurs pelotons et les établit dans les principaux quartiers de la ville pour en imposer par la crainte aux timides habitants de Digne.
Une fois décidé à employer la force, il fit saisir les consuls, et on les enferma dans la prison royale. Les consuls protestèrent vivement. Ils requirent M. François de Borrili de leur donner acte des violences brutales dont ils étaient l'objet. Mais il était inutile de lutter plus longtemps, et ils furent forcés de promettre la continuation des aliments réclamés si audacieusement. Ils déclarèrent qu'ils ne cédaient qu'à la force. Qu'importait à M. de Pilles, pourvu qu'on lui promît d'assurer la subsistance de ses hommes. Sur cette promesse, il leur fit rendre la liberté: un conseil particulier fut immédiatement assemblé, et on décida à l'unanimité que les habitants continueraient la fourniture des vivres, sous toutes les protestations déjà faites sur l'impossibilité de résister à la force, et on députa le receveur Boyer à Aix pour aller exposer à la cour les désordres dont la ville venait d'être la victime. Le 24 septembre, le receveur Boyer rapporta un nouvel arrêt qui ordonnait le délogcment de la compagnie du sieur de Pilles pour le 28, et qui indiquait comme communes contribuables à la dépense de la ville de Digne, les communes de Mezel, de Courbons, de Champtercier et de Thoard. Cet arrêt fut aussitôt signifié au commandant de Pilles, et aux consuls des communes contribuables. Le conseil n'en ordonna pas moins que l'arrêt serait exécuté à la lettre, comme si déjà il avait oublié la manière dont celui du 11 septembre l'avait été.
Aussi les consuls, ce jour là même, suivant peut-être un peu trop les inspirations du conseil, et peut-être celles de leur coeur ulcéré, ne voulurent-ils pas d'abord fournir des vivres qu'en vertu de l'arrêt, on avait fait demander aux communes voisines et qui tardaient à arriver. Les soldats murmuraient, ils s'étaient répandus dans la ville et faisaient entendre des menaces qui annonçaient de nouveaux désordres. Les consuls se hâtèrent de convoquer une seconde fois et tout précipitamment le conseil, et attendu qu'il n'y avait pas moyen de résister à la force, ils se firent autoriser à fournir les vivres nécessaires, sauf à les répéter plus tard des communes imposées. Le 28 septembre arriva. On espérait, ou du moins on désirait ardemment le départ de M. de Pilles et de son régiment. Mais celui-ci resta impassible, et malgré le dernier arrêt de la cour, il déclara qu'il ne partirait que le 30. Les consuls en référèrent au conseil ; ils leur dirent que les troupes vivaient presque à discrétion et étaient d'une exigence inconcevable. Mais que faire ? Le conseil fut d'avis d'obéir. M. de Pilles partit enfin le 30, mais il ne fallut pas moins recourir à l'intervention de son sergent-major, à qui on fit accepter douze pistolles d'Espagne. C'était à cette époque, le seul moyen de rendre faciles les gens de guerre qui n'avaient pas entièrement oublié les traditions des bandes d'aventuriers des xiii et xiv° siècles. Dans ces moments d'épreuve où la ville de Digne était obligée de courber la tête sous le joug qui lui était imposé, il se commettait un abus très-fréquent, auquel le conseil se vit forcé de remédier. Pour se soustraire à la charge du logement des troupes un grand nombre d'habitants désertaient la ville et s'enfuyaient soit dans leur maison de campagne, soit dans une commune voisine. Ils fermaient leur maison d'habition, et échappaient ainsi aux embarras qui tourmentaient tant ceux de nos pères qui ne pouvaient en faire autant. Les consuls voulurent frapper d'une peine tous ceux qui cherchaient ainsi à éluder les obligations que leur qualité de citoyen leur imposait. Ils firent part au conseil de ce qui se passait, et ils proposèrent une mesure qui devait y remédier. Toutes les fois qu'un habitant se serait absenté dans le but d'éviter cette charge, les consuls devraient faire nourrir à leurs frais les soldats logés chez eux.
Un autre abus s'était introduit, qu'on voulut aussi faire disparaître. Quelques habitants prenaient le parti, lorsque des soldats étaient logés chez eux, de leur offrir une somme d'argent et de les renvoyer pour qu'ils eussent à se pourvoir comme ils l'entendraient. Ce qui amenait souvent des désordres, car le militaire qui avait reçu de l'argent, le dépensait follement en excès, et puis il retombait sur les bras des consuls. Le conseil décida qu'en pareil cas l'argent donné par les particuliers serait considéré comme non payé, et que tous les frais du logement n'en seraient pas moins à la charge de ceux qui auraient ainsi cherché à s'y soustraire, parce que cette charge devait être supportée par chaque habitant en personne. On prononça de plus une amende de trente-deux livres contre ceux qui se rendraient coupables de pareils abus, dont les deux tiers seraient versés dans la caisse de l'hôpital et l'autre tiers servirait de récompense au dénonciateur. Au milieu de tous ces embarras l'activité des consuls ne fut jamais en défaut. L'intelligence surtout du consul Chaussegros facilita souvent la solution des nombreuses difficultés qui se rencontraient. C'était un homme actif, décidé, énergique, exerçant une très grande influence sur ses concitoyens, et il fit pendant l'année de son consulat le plus grand bien à notre malheureuse cité. Il eut cependant à soutenir plus d'une lutte. Il avait fait une vive opposition aux consuls de 1629, qui avaient abandonné la ville au moment de la peste. C'était lui qui pendant la quarantaine de santé, s'était opposé le plus vivement à leurs prétentions de continuer quoique absents leurs fonctions de consuls, et qui était allé à Aix les combattre devant le parlement. Aussi le consul Gaudin ne lui avait pas pardonné, et il n'est pas de récriminations qu'il ne fit entendre contre lui. M° Gaudin d'un autre côté avait de nombreuses relations, il avait des amis qui prenaient sa défense, et il s'était formé un parti qui cherchait à entraver l'administration des consuls en charge et lançait contre eux les accusations les plus malveillantes. Les choses furent poussées si loin qu'un jour en pleine place publique M° Honoré de Feyssal , qui avait été le premier consul subrogé, lorsque commença la purification de la ville, s'était permis les accusations les plus violentes contre les consuls et avait accablé d'injures le consul Chaud dans l'exercice de ses fonctions. Un rapport de ce fait excessivement grave fut présenté au conseil, qui ordonna d'informer contre ledit M. de Feyssal et de le poursuivre sans retard.
Cette lutte dura jusqu'à la création du nouvel état, qui se fit au milieu d'une agitation très vive. Le consul Chaussegros fit des efforts inouis pour exclure du conseil général et du conseil particulier l'ancien consul Gaudin. Sa proposition fut même adoptée ; mais le lendemain, sur la réclamation de M° Gaudin , et par les efforts de ses amis, l'assemblée revint sur cette décision et M. Gaudin fut admis à faire partie des deux conseils. Le procès-verbal, qui devait être rédigé avec un peu de passion et qui probablement devait faire connaître les causes de cette lutte, a été mutilé, le feuillet qui le contenait a été déchiré et il n'en reste que le commencement et la fin. Ce n'est pas le temps qui a fait cette mutilation. Nous croyons plutôt qu'une fois les haines apaisées, pour ne pas laisser un souvenir éternel de ces tristes querelles, les parties intéressées dûtrent faire disparaître les pages que nous ne retrouvons plus aujourd'hui. Quoiqu'il en soit de cette lutte, le consul Chaussegros n'en était pas moins un homme remarquable. Il fut député à toutes les assemblées des états et des communautés qui se tinrent en Provence pendant son consulat. Il avait assisté au mois de mai à l'assemblée tenue à Valensole ; le 25 octobre il avait été présent à Aix. Là il s'était mis en relation avec toutes les notabilités provençales, et son opinion y exerçait une influence notable. Député au commencement de l'année 1631, à l'assemblée qui fut convoquée à Marseille le 11 janvier et qui se tint dans l'ancienne abbaye de St Victor, il prit une part très active et très remarquable aux travaux de cette assemblée, et fut un des sept membres qui furent députés vers le roi de France, pour remédier aux maux que causaient aux populations les logements continuels des troupes. Au moment où ces députés allaient se mettre en route pour Paris, le prince de Condé, que nos registres qualifient, premier prince du sang, duc d'Anghien et de Chasteau-Roux, premier duc et pair de France vint en Provence envoyé par le roi pour transmettre ses ordres aux états généraux qu'il fit convoquer à Tarascon pour le 6 mars.
Dès qu'on sut son arrivée en Provence , une nouvelle assemblée des communautés fut tenue à Aix et une députation de douze personnes, parmi lesquelles se trouva encore désigné le consul Chaussegros fut envoyée vers le prince. Le 6 mars notre consul assistait encore comme représentant de la ville de Digne aux états généraux qui y furent tenus, états dans lesquels le prince de Condé annonça que sur les plaintes du pays le roi avait fait retenir en Languedoc les troupes qui venaient en Provence, mais il leur déclara en même temps qu'il fallait que le pays lit des dons notables au roi. Les états remercièrent le prince et entrèrent en conférence avec lui. Ils offrirent un million de livres. Le prince en voulait deux: on finit par fixer le chiffre à un million cinq cents mille livres payables en quatre ans. Ces mêmes états ordonnèrent des poursuites contre les vols et pillages commis par les gens de guerre, mesure à laquelle le consul Chaussegros ne resta pas étranger. Le 21 mars suivant les consuls nommés en 1630, après la peste, furent remplacés par M° Jean-Baptiste Faucon, sieur du Sauze, premier consul, Pierre Roddes, sieur de Barras, deuxième consul, et Antoine Taxil, marchand, troisième consul.
Quelques jours après, le 28 mars, on reçut de Paris, l'exemption accordée par le cardinal Richelieu du logement des troupes. Nous en donnons la copie :
Le cardinal de Richelieu lieutenant-general de larmee du Roy. Nous desirans exempter de tous logementz et courses de gens de guerre la ville de Digne en Provence, a cause de la malladie contagieuse dont les habitantz de la dicte ville ont este atlliges et qu'ilz ont souffert durant les guerres d'Itallie, deffandons très expressement a tous gens de guerre tant de cheval que a pied dy loger prandre forrages ny emporter aulcune chose sy ce nest en payant sur peine de punition examplaire, laquelle ville ensemble lesdicts habitantz nous avons mise en la protection et sauvegarde du roy et la nostre, et pour cest cffect leur avons permis et permetons par les presantes de fere raetre et appozer aux lieux et endroictz plus eminentz de la dicte ville les armes et panonceaux de sa majeste et les nostres, et où aulcung dcsdictz gens de guerre seroient cy ozes denfraindre la presante sauvegarde mandons au premier prévost au juge royal sur ce requis de se saisir des contrevenantz et les fere punir si rigoureusement que les aultres y prenent example.
Faict a Lyon le dixiesme jour doctobre mil six cent trante
.
Le cardinal de Richelieu ainsi signe et plus bas :
Par mondict Seigneur.
Martin, ainsiz signe.
Scelle en marge du sceau et armes de mondict seigneur le cardinal.

Cette exemption fit grand plaisir aux habitants de Digne, mais elle était à peu-près sans valeur si on n'obtenait pas une semblable exemption du gouverneur de Provence, alors le duc de Guise, et du prince de Condé. Aussi le conseil s'empressa de députer vers eux le premier consul Du Sauze pour la solliciter. Trois jours plus tard, la ville était menacée d'un nouveau logement de gens de guerre. Une compagnie qui se trouvait à Courbons se disposait à venir à Digne. Les consuls eurent hâte d'aller au devant d'eux. Ils firent au capitaine un présent de 60 pistolles d'Espagne, et ils obtinrent ainsi qu'ils n'entreraient pas dans la ville. Nous arrivons à l'époque où eut lieu la seconde invasion de la peste dont parle Gassendi dans son récit. C'est encore au commencement du mois de juin de l'année 1631 , que les premiers symtômes se manifestèrent, et on comprend sans peine de quelle épouvante furent frappés les habitants de notre malheureuse cité.
Dès qu'on eut la certitude que la maladie avait reparu il se fit une désertion presque générale. On redoutait l'arrêt que sans doute allait rendre le parlement de Provence, dès qu'il serait averti. On avait toujours présents à la pensée les déplorables résultats de la séquestration ordonnée en 1629, et on voulait échapper aux conséquences d'un ordre aussi cruel. Le bureau de santé s'était assemblé le 5 juin. Il avait ordonné toutes les mesures de précaution que la prudence pouvait suggérer. On avait établi l'infirmerie au quartier des Camargues; mais c'était un endroit marécageux, humide, malsain, dans lequel tous souffraient, et les malades atteints de la peste, et ceux qui étaient obligés d'y rester, pour leur donner des soins. Les médecins notamment avaient réclamé, et le bureau de santé émit l'avis que l'infirmerie actuelle fût abandonnée et qu'on choisit un local plus favorable. Les consuls auraient voulu immédiatement en référer au conseil ; mais la désertion avait été telle dans la ville, qu'il n'y avait pas moyen de réunir un nombre suffisant de conseillers. On fut obligé d'envoyer des avis de convocation dans les villages et dans les campagnes des environs, et on parvint enfin à en réunir quelquesuns, hors la ville , au quartier de St.-Lazare, dans un pré appartenant aux hoirs du conseiller Gaudin. Le conseil ainsi assemblé approuva toutes les mesures prescrites par le bureau de santé, et ordonna l'abandon de l'infirmerie des Camargues en décidant qu'une nouvelle infirmerie serait établie dans le couvent des pères Cordeliers. Le conseil ratifia également un traité fait par les consuls avec les médecins et les apothicaires, pour assurer le traitement des malades. Comme dans la première invasion, pour éviter que les consuls, qui étaient obsédés de supplications, ne fussent mis en contact avec des malades atteints de la peste, on leur permit d'établir près de leurs personnes, trois gardes pour les accompagner dans leurs courses de nuit, et de doubler ce nombre au besoin, en se faisant suivre en même temps du lieutenant de viguier. On les autorisa à traiter avec tous les médecins et chirurgiens qui consentiraient à se dévouer aux soins des malades. Enfin le conseil ordonna d'une manière expresse qu'on établit des gardes à toutes les portes de la ville pour ne laisser entrer aucune personne étrangère, aucun animal ni chose quelconque, jusqu'après le rétablissement de la santé. Mais les consuls n'eurent pas seulement, dans ce moment d'épouvante et de désordre, à lutter contre la terreur des habitants, et les violences de la maladie; ils eurent d'autres embarras à supporter.
C'est au moment où la ville était de nouveau désorganisée que le trésorier royal exigeait avec une dure sévérité le payement des tailles royales et du pays. On le supplia, on lui exposa la situation, et on le pria d'accepter lui-même le pouvoir des consuls pour emprunter au nom de la ville, car ils ne pouvaient pas abandonner leur poste dans un pareil moment, et ils ne devaient guères songer à trouver de l'argent à Digne. D'un autre côté, on craignait de manquer de viande pour la consommation ; le boucher de la ville ne tenait pas les engagements qu'il avait pris. Les consuls furent obligés de saisir les moutons qu'il avait chez lui et de les mettre en vente à ses frais.
Cependant la peste faisait tous les jours des progrès. Vers le commencement de juillet on apprit qu'elle s'était déclarée au couvent des pères Récollets. Les consuls se trouvèrent alors dans un grand embarras. La délibération du conseil du 22 juin, avait ordonné de transporter l'infirmerie dans le couvent des Cordeliers, Or, il y avait dans ce couvent une chapelle dans laquelle les fidèles pouvaient suivre les offices divins. L'église St.Jérôme n'avait pas de prêtres, et d'ailleurs elle n'était pas dans ce moment propre au service des autels. Si on était obligé de fermer encore la chapelle des Récollets, il ne restait plus à Digne d'église où l'on pût célébrer le service divin.
Préoccupés de cette pensée, les consuls se hàtèrent de convoquer un conseil, qui se tint le 9 juillet sur la grande place publique du Marché. Sur l'exposé fait par M. de Barras, premier consul, le conseil décide à l'unanimité que église et le couvent des Pères Observantins resteront fermés, et que les consuls y établiront des gardes, pour assurer la séparation des religieux en état de santé et de ceux atteints de la contagion. Le conseil autorise en même temps les consuls à fournir aux malades de cette communauté tous les secours dont ils pourront avoir besoin, soit en aliments, soit en remèdes. Puis, revenant sur l'ordonnance précédemment rendue, il décide que le couvent des Cordeliers ne sera pas transformé en infirmerie, que son église restera ouverte aux fidèles, et qu'en cas d'insuffisance de l'infirmerie des Camargues (1), on disposera de nouveau l'hôpital St.Lazare.

(1) Le quartier des Camargues n'était autre que celui appelé aujourd'hui quartier des Epinettes. La preuve en résulte de nos anciens livres terriers dans lesquels on trouve fréquemment cette mention: Située au quartier des Camargues ou des Espinettes. Quant au bâtiment qui, en 1631, servit d'infirmerie, nous n'avons rien découvert encore qui ait pu nous mettre sur ses traces. Le seul bâtiment de ce quartier qui nous ait paru propre à cette destination est la maison où a été établie aujourd'hui la fabrique de draps de M. Banon. Nous ne pouvons cependant rien affirmer à cet égard.

Il est intéressant, sans doute, de suivre pas à pas toutes ces tribulations successives qu'éprouvèrent nos pères, pendant cette seconde invasion de la peste, qui fut moins terrible et moins désastreuse que la première ; mais nous comprenons que ces détails finissent par devenir fatigants, aussi allons-nous désormais passer rapidement sur les faits qui nous restent à raconter, pour arriver à la fin d'un travail que beaucoup, peut-être, trouveront un peu long.
A l'époque où nous sommes arrivés, on manquait à Digne de fioles, de topettes, pour nous servir d'un mot vulgairement employé, de tous ces ustensiles enfin si nécessaires aux malades. Le départ d'un marchand verrier en était la seule cause. Les consuls, après s'être fait auioriser par le conseil, n'hésitèrent pas à faire ouvrir ses portes, et à mettre ainsi à la disposition des habitants tous les objets dont ils sentaient la privation. C'est encore pendant ce mois de juillet que notre ville fut témoin d'une scène assez étrange. Le procureur du roi, au siège de Digne, M. Moutoux, avait reçu, dans une question de préséance qui l'intéressait, une opposition de la part des consuls, qui l'avait violemment irrité. Il se répandait en menaces, et les consuls craignaient qu'il ne fût capable d'attenter à leur vie. Ils exposèrent leurs craintes au conseil, et demandèrent l'autorisation de diriger des poursuites contre lui, mais les membres les plus influents de l'assemblée intervinrent, ils firent décider qu'il serait sursis jusqu'après la cessation du fléau à de pareilles poursuites, et ils parvinrent à calmer les consuls. Cependant la peste ne discontinuait pas: le linge manquait à l'infirmerie ; il fallut s'en procurer. On nomma un surintendant de l'infirmerie pour activer la garde qui s'y faisait. On régla de nouveau le système des quarantaines,
et on recommanda les plus minutieuses précautions. On prescrivit l'ensevelissement de tous les morts de peste dans le pré des Cordeliers qui était le cimetière du couvent. Dans les derniers jours du mois de juillet, une jeune fille mourut de la contagion au sein de sa famille, sans que les parents eussent averti l'autorité municipale. Lorsqu'on voulut les envoyer en quarantaine ils refusèrent de sortir, et alors, tant la peur était grande, on ordonna de boucher les portes et les fenêtres de leur maison, pour empêcher toute communication extérieure. Une famille voisine et liée d'amitié et de parenté avec elle, était venue prodiguer des soins à la jeune malade. On défendit à tous ses membres de dépasser leur porte, dont ils furent tenus de remettre les clefs aux intendants de la santé. Le 5 août, le conseil assemblé sur la place du marché, renouvelle le voeu fait le 15 juillet 1629, et élève de nouveau des supplications; et des prières vers le souverain maître. On promet solennellement de l'exécuter dès la cessation du fléau, alors que la ville aura recouvré sa libre entrée. Chacun des habitants devra tenir personnellement à son accomplissement. En même temps on prend des précautions sévères, et on fulmine des peines très fortes contre tous ceux qui ayant des malades dans leur maison, soit dans l'intérieur de la ville, soit dans l'étendue du territoire, refusent d'en sortir pour se mettre en quarantaine.
C'était le moment de procéder à un travail qui, à cette époque, occupait nos pères beaucoup plus qu'aujourd'hui. Le terroir de Digne était surtout complanté en pruniers, et vers le mois d'août, la plus grande partie des habitants se réunissaient par groupes de quinze à vingt personnes pour procéder à la pelure des prunes que l'on faisait sécher. On sentit la nécessité de nommer des commissaires pour veiller à ce que le plus grand ordre régnât dans cette opération. Les groupes devaient être à distance les uns des autres, et si un cas de peste venait à se déclarer parmi les travailleurs, tout le groupe dont le malade faisait partie devait être sequestré, et pour ce cas les précautions les plus minutieuses étaient prescrites. Fnfin, on songea aussi à la purification de la ville. Le chirurgien Isnardy qui, pendant cette seconde invasion, avait fait preuve de zèle et d'habileté, est appelé sur la place des herbes, et là, on traite avec lui pour qu'il se charge de cette entreprise. Il accepte et on convient qu'il la fera moyennant le payement d'une somme de 200 livres, qui lui sera fait, moitié dès que la purification sera commencée, et moitié après son achèvement. Malgré l'offre faite par un habitant de prendre cette opération moyennant la somme de 150 livres, le conseil, à cause de la confiance que lui inspire M. Isnardy, maintient sa première délibération. La purification commença vers le 10 août, et dès le 12, la première somme de 100 fr. convenue avec le chirurgien Isnardy, lui fut comptée. Cependant deux nouveaux cas de peste s'étaient déclarés : l'un certifié par deux médecins, et contesté par M. Isnardy, qui probablement ne voulait pas être arrêté dans son entreprise de purification; l'autre, qui avait frappé un frère Cordelier. Les deux victimes furent envoyées à l'infirmerie, et tous ceux qui avaient subi leur contact furent mis en quarantaine. La purification fut donc suspendue, et ce ne fut que le 20 août que les consuls furent de nouveau autorisés à traiter avec tous ceux qui pourraient être nécessaires à cette grande opération, et les apothicaires Bollogne et Copi furent chargés de fournir les drogues qui devaient y être employées. C'est dans ce moment que le receveur Boyer fit aux consuls un commandement pour la somme de 1,200 écus arriérés sur les deniers du roi et du pays. Les consuls assemblent, le 31 août, un conseil général dans un pré situé dans le terroir de Courbons, et on charge les consuls de constituer pour procureurs MM. du Sauze, Feyssal et Boyer, avec pouvoir d'emprunter cette somme aux meilleures conditions. Il paraît que la ville se trouvait en ce moment dans un grand état de détresse, car cette délibération contient, en finissant, une protestation des consuls, sur ce que le défaut de fonds les empêche de faire face aux nécessités du moment. Le conseil semble y pourvoir en faisant appliquer, aux nécessités de la ville, le surplus de la somme empruntée, sur laquelle 1,200 livres seulement devaient être consacrées à payer le trésorier du roi et du pays. Mais il paraît que les consuls n'en étaient pas contents et qu'ils avaient à se plaindre de la conduite méfiante du conseil à leur égard, qui n'avait pas voulu déjà faire droit à leur plainte contre le procureur du roi, ce qui les oblige à renouveler leur protestation contre lui. Le 5 septembre le chirurgien Isnardy déclare qu'il ne peut plus se charger de l'infirmerie, et les consuls sont obligés de traiter avec un autre habitant, Revest Gilly, et de le faire aux meilleures conditions. Les formalités de la purification recommencèrent le 15 septembre : on purifia d'abord les maisons infectées de peste et on décida qu'après les vendanges on convoquerait une assemblée de tous les chefs de famille pour délibérer sur la question de savoir si on devait procéder ou non à une purification générale. Pour éviter toutes communications entre les habitants et ceux du dehors, on arrêta qu'elles s'ouvriraient le 1er octobre et dureraient jusqu'au 15, sous la condition que ce délai de quinze jours serait affecté, savoir : les huit premiers jours aux habitants qui avaient déserté la ville et se trouvaient dans les environs, et les autres huit jours aux habitants qui se trouvaient dans la cité. Pour hâter la purification, on fit un nouvel accord, avec un apothicaire et trois autres habitants, que le conseil ratifie le 18 septembre. C'étaient Reybaud, Paget et Lyons. On nomma pour intendant Monnet Desdier, qui fut chargé de leur procurer tout le parfum qui serait nécessaire, et pour contrôleur, André Boyer, qui devait soigneusement enregistrer les meubles et autres objets de chaque habitant qui seraient soumis à la purification et qui devraient ensuite être remis à la garde d'un surveillant qui empêcherait que personne ne les touche. A cette époque, la mortalité diminua, elle cessa bientôt complètement, et la purification dût être poussée avec activité. Ce ne fut pourtant que le 13 novembre suivant que la ville ouvrit ses portes aux étrangers. Mais on exigea qu'ils fussent munis de billets de santé. Elle se pourvut, dans le courant de décembre, auprès du parlement pour obtenir la libre entrée de la ville. Elle l'obtint tout de suite; mais, par un excès de crainte et de précaution, elle ne voulut la faire connaître que dans le mois de janvier.
Pendant les premiers mois de l'année 1632, la ville se trouva enfin complètement débarrassée du fléau. La création du nouvel état eut lieu, comme d'habitude, le 24 mars, dimanche de la Passion. Les consuls nommés furent: M° Antoine Hesmivy, avocat; François Jacques, bourgeois; et Pierre Brunel, marchand. Le premier consul, M° Hesmivy, craignant que la ville, si elle n'accomplissait pas son voeu, ne fût exposée de nouveau à la colère céleste, s'empressa, dès le 13 avril, de faire au conseil la proposition ci-après :
« Auquel Conseilh a este reprezante par ledict » sieur Consul Hesmivy, que pendant le temps que ceste ville feust affligee de la peste, il feust faict voeu par les sieurs consulz de lorz et plusieurs aultres particulliers quy estoient en ladicte ville, par delliberacion du bureau de santé du 15 juilhet 1629, qu'aprez la cessation de ladicte malladye, la plus grande partye du peuple de la ville quy aura este preservee de ladicte malladye iroient a pied portant un flambeau allume en main a Notre-Dame de Grasse pour randre tres humblemant grasses à Dieu et a sa tres glorieuse mère patronne de ceste ville, du benefice receu de Dieu par ses prieres et intercession, et feroit haumosne a la chapelle de Cotignac, hérigée soubz le nom de la glorieuse vierge, jusques a la somme de mil livres, des deniers de la communaulte, ce chargent a cest effect conscience et la postérité de satisfere a ce voeu, et parce que ceste ville ne peut jusques a aujourd'hui y satisfere, tant a cauze de la surcharge des gens de guerre quont lauge en icelle que encores par la rechute de peste y arrivee l'este dernier, a requis le conseilh delliberer et effectuer le voeu. Sur quoy ledict conseilh a dellibere et donne pouvoir aux sieurs consulz demprunter la somme de quinze cents livres pour les employer a ce que sera necessere pour aller fere et effectuer ledict voeu, et pour cest effect partir de ceste ville le plux dilligemment que se pourra.»
Ce pèlerinage s'effectua dans le courant du mois de juin de l'année 1632. Outre l'aumône de 1,000 livres, les dépenses s'élevèrent à un peu plus de 400 livres. Depuis lors notre ville n'a plus été désolée par cet épouvantable fléau.

Numérisé par J. P. Audibert

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