ESSAI SUR L'HISTOIRE DE DIGNE PENDANT LA PESTE DE 1629.
par
DIGNE.
1845
PREMIÈRE PARTIE.
Nous n'avons pas la prétention de raconter, après notre illustre Gassendi, la peste dont la ville de Digne fut affligée pendant l'été de 1629. Nous comprenons trop bien quel doit être notre rôle auprès d'un si grand maître. Aussi ne voulons- nous que compléter le récit qu'il a fait et rappeler une foule de détails dont il n'a sans doute pas eu connaissance, et que nous avons trouvés consignés dans les archives de la commune. Nous avons également suivi nos pères pas à pas, en analysant avec soin leurs délibérations conseillères dans ces temps désastreux. Ce seront tout autant d'annotations au récit du savant prévôt qui ne paraîtront pas dépourvues d'intérêt, et qui ne pouvaient d'ailleurs guères trouver place dans la Notice sur l'Église de Digne.
Suivons Gassendi dans son récit :
Puisque nous en sommes à parler de l'air, il nous
faut dire un mot sur la peste, qui, pendant l'été de
1629, fit dans la ville de Digne, des ravages tels
que nul fléau, à notre avis, ne peut lui être comparé.
Nous avons souvent entendu les vieillards se plaindre
des désordres causés par les guerres civiles; nous
les avons entendu gémir au seul souvenir de l'année
1569, pendant laquelle Mauvans répandit tant de
sang; mais rien n'égala jamais le désastre dont nous
avons à parler: il ne resta guères que la sixième ou
la septième partie de la population; en effet, avant
que ce fléau se fût abattu sur la ville, on ne comptait
à Digne pas moins de dix mille âmes, et après,
à peine pût-on en compter quinze cents. Nous nous
trouvions alors en Flandre, où nous reçûmes de nos
amis, comme depuis nous en reçûmes à Paris, des
lettres lamentables : mais notre étonnement fut bien
pire lorsque, revenus à Digne trois ans après, nous
trouvâmes désertes la plupart des maisons de cette
ville que nous avions laissée si populeuse, et nous
ne rencontrâmes plus dans les rues que des figures
à peu près inconnues. Il fut petit le nombre des amis
que nous pûmes embrasser; et c'était une chose
affreuse que d'entendre raconter tout ce qu'ils avaient
souffert, à ceux qui avaient échappé à la mort. Le
tableau qu'on nous en faisait était bien plus sombre
que celui tracé par la main de Thucydide, au sujet
de cette peste qui, selon l'expression du poète:
Finibns Cecropiisfunestos reddidit agros,
Vastavitque vias, exhausit civibus urbem.
Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'authenticité des faits que nous allons rapporter, car nous les tenons du célèbre Lautaret, qui exerce la médecine dans la ville de Digne. Or, il a non seulement vu les malades, mais il a été lui-même atteint de la contagion, et il se propose de publier un livre sur cette matière. Nous ne voyons pas d'inconvénient néanmoins à donner sur cet événement quelques détails qu'il nous a lui-même appris.
Le docteur Lautaret n'a jamais écrit le livre que nous annonçait Gassendi, et c'est bien dommage. Peu d'hommes ont donné plus de preuves que lui de dévouement à leur pays au milieu de cette calamité effroyable. Nous aurons plus d'une fois l'occasion de parler de lui.
Le mal, autant qu'il nous en souvient, commença
à se manifester dans les premiers jours du mois de
juin; cependant depuis quelque temps déjà on prenait
de grandes précautions à cause du bruit qui
s'était répandu que la peste avait envahi Lyon et le
Dauphiné et que déjà elle avait éclaté sur quelques
points de la Provence. Mais ce furent les militaires,
qui revenant en désordre de l'Italie, et traversant la
ville de Digne, en apportèrent le germe. Tant que
ce fléau dura pendant l'espace de quatre mois, le
ciel couvrit la terre d'épais brouillards ; la chaleur
fut étouffante, et les orages et les pluies se succédèrent
fréquemment. On observa même une lueur, ou
un météore lumineux, qui passa sur la ville par un
mouvement rapide. Pendant tout ce temps, on ne vit aucun oiseau ni dans la ville ni dans les champs:
bien plus, on ne vit, on n'éprouva plus d'autre maladie
que la peste elle-même.
Les craintes d'une prochaine invasion de la
peste régnaient en effet depuis longtemps. Dès
l'année 1628, des signes précurseurs avaient
annoncé le fléau, et le parlement d'Aix avait
rendu un arrêt, adressé à toutes les communautés
de la province, par lequel il ordonnait les plus
grandes précautions et l'établissement, dans
chaque commune, d'un bureau de santé.
La ville de Digne exécuta les ordres du parlement
dès le 10 septembre 1628. Un bureau de
santé, composé de dix membres, fut créét, et ordre fut donné aux consuls de faire fermer toutes
les avenues de la ville.
Une garde assidue fut postée aux différentes
portes, et c'est au milieu d'une alternative continuelle
de craintes et d'espérances que s'écoulèrent
la fin de l'année 1628 et le commencement
de l'année 1629.
Dans les premiers jours du mois d'avril, une
lettre des procureurs du pays annonça aux consuls
le passage prochain d'un détachement de
cavalerie. Dès le 6 avril, le conseil1 arrêta toutes les mesures que pouvait nécessiter un pareil événement. Ce ne fut cependant que vers le 20 mai
suivant4 qu'une compagnie de cavalerie, détachée
du corps d'armée du maréchal de Créqui, traversa
Digne en revenant de Suze et en se dirigeant
vers la ville de Nismes dans le Languedoc.
Ce détachement laissa dans la ville quelques malades,
placés, sans aucun doute, sous cette influence
fatale qui précède toujours les grandes
invasions épidémiques et pestillentielles et donne
à toutes les maladies quelques-uns de ses caractères
essentiels.
Les esprits étaient déjà vivement préoccupés :
depuis quelque temps les bruits les plus sinistres
circulaient et augmentaient la frayeur; chaque
jour on entendait dire que la peste se rapprochait
davantage, lorsqu'un jour, vers la fin du mois
de mai, le bruit se répandit qu'elle avait éclaté
à Chenerilles, petit village sur la rive gauche de
la Bléone, à quelques lieues de Digne.
(1) Il n'en
fallait pas davantage pour plonger nos pères,
déjà effrayés, dans une profonde stupeur.
(1) Une observation qui n'échappera à personne, c'est que la peste éclata d'abord à Chenerilles, alors que l'on admettait généralement, dans le XVIIe siècle, que la peste avait été apportée à Digne par les troupes venant d'Italie.
Des hommes de l'art, probablement les docteurs
Lautaret et André, et le chirurgien Lieutaud,
furent aussitôt envoyés sur les lieux et
chargés de dresser un rapport sur la nature et
les caractères de la maladie.
Ce rapport fut envoyé à Aix, et le premier juin
le parlement rendit, pour la commune de Chenerilles, un arrêt semblable à celui qu'il devait
rendre quinze jours plus tard pour la ville de
Digne, arrêt barbare qui défendait aux habitants
de sortir du lieu infecté sous peine de mort, et
aux étrangers de s'y introduire sous aucun prétexte.
Cet arrêt confia la garde de Chenerilles
aux consuls de la ville de Digne et des lieux
circonvoisins, triste mission qu'ils devaient quelques
mois plus tard expier douloureusement.
Les officiers royaux durent tenir la main à
l'exécution de cet arrêt, et les consuls de Digne
s'empressèrent d'y obéir. L'avocat Jehan Gaudin
était alors premier consul, Jehan Boyer, receveur
particulier du domaine du roi, était second
consul, et André Meynier, marchand, tiers consul. Ils se hâtèrent d'envoyer de nouveau sur
les lieux les hommes de l'art qui déjà y étaient
allés pour faire un rapport au Parlement. Sur
l'avis que ceux-ci transmirent dès leur arrivée au
lieu infecté, on y envoya des gardes pour empêcher
qu'aucun des habitants de ce malheureux
pays pût en sortir, sans songer qu'un jour les
habitants de Digne maudiraient, eux aussi, ceux
qui viendraient les cerner dans leur ville.
Il faut le dire, cependant, les consuls ne se
bornèrent pas à leur envoyer des gardes. Ils
prescrivirent encore des mesures d'humanité.
Les docteurs envoyés déjà sur les lieux pour étudier
la maladie, vers la fin du mois de mai, y
étaient retournés dès la réception de l'arrêt du
parlement et y étaient restés, d'après les ordres
des consuls, pour donner des secours aux malades: c'était dans les premiers jours du mois de juin ; mais quand ils voulurent rentrer à
Digne, on refusa de les recevoir; on craignait
qu'ils n'eussent pris le germe de la maladie qu'on
redoutait tant, et ils furent obligés de faire une
quarantaine sévère. On les enferma dans une
maison de campagne où ils furent gardés à vue
par quelques-uns de leurs concitoyens.
La ville ne se borna pas à envoyer des médecins
à ses voisins : elle leur fit passer aussi des
médicaments et des vivres, et leur fit faire plusieurs
distributions de pain.
Tous ces faits résultent d'une manière positive
des comptes du trésorier de l'année 1629, où se
trouvent portées en compte, avec d'assez curieux
détails, ces diverses fournitures. Digne, entourée du fléau, ne pouvait pas tarder
à en être frappée. Et, en effet, plusieurs cas de
peste se déclarèrent dans son sein. Nos consuls
n'en continuèrent pas moins cependant leurs
envois à Chenerilles, jusques au moment où le
danger, devenant plus pressant, la ville fut
obligée de songer à ses propres enfants.
Il parait à peu près certain que ce fut, ainsi
que le dit Gassendi, dans les premiers jours du
mois de juin que la peste éclata dans notre ville.
Pourtant on n'y crut pas dès le principe. Il existe
dans le registre des délibérations un conseil particulier, à la date du 7 juin , dans lequel il n'est
pas encore question de l'invasion de la maladie.
Les esprits paraissent bien en être préoccupés,
mais ils n'y croient pas encore, ou peut-être,
dans un sentiment de terreur instinctive, cherchent-
ils à se tromper eux-êmes.
C'est ainsi qu'après avoir ordonné un feu de
joie en signe de réjouissance pour un traité de
paix conclu entre la France et l'Angleterre, et
que les procureurs du pays ont fait connaître, le conseil invite les consuls à ne faire aucune
démarche pour attirer les étrangers à la prochaine
foire, celle sans doute de la saint Jean. La délibération
dit bien que ce n'est que parce qu'elle
« est dordinere fort petite a cauze de la foire
d'Aix et aultres voizines, et quelle escheoit sur
larière saison en laquelle le peuple est pouvre
et incomode; » mais nous croirions bien plutôt
que le conseil, tout en prenant cette excuse,
redoutait bien davantage en réalité un rassemblement
trop nombreux qu'il voulait éviter à tout
prix. Au reste, le parlement ne se contenta pas de cette demie-mesure, et, le 15 juin, il rendait
un arrêt qui supprimait cette foire et faisait
défense aux consuls de Digne de permettre à
toutes personnes d'y aller.
Le conseil de la communauté approuve ensuite
des travaux de réparation ordonnés au portail
du Pied-de-Ville. Il s'occupe avec anxiété de tout
ce qui peut empêcher le fléau de faire irruption
dans ses murs.
Il paraît à peu près certain, et cette délibération
en est pour nous une preuve convaincante,
que le 7 juin la peste ne s'était point encore déclarée
à Digne d'une manière bien formelle.
Cependant quelques cas suspects de contagion
ne tardèrent pas à être signalés. Les consuls et
le bureau de santé, toujours vigilants, chargèrent
les médecins d'examiner attentivement
l'état des malades et de faire un rapport sur la
nature et le caractère de leur maladie. Les docteurs Lautaret et André se trouvaient
encore en quarantaine, et ce rapport fut fait par
les docteurs Rippert et Bernard, et par le chirurgien
Ricavy. La science fit-elle erreur, ou
n'eut-elle recours qu'à un subterfuge pour rassurer
les habitants consternés ? C'est là un point
qu'il nous est impossible d'affirmer. Ce que nous
savons, c'est que le rapport des médecins fut
complètement rassurant et fut adressé sans retard
au parlement à Aix. Ce fut M" Jean Reynaud,
avocat, qui fut chargé de cette mission. Il resta
cinq jours à son voyage.
Le parlement ne fut nullement rassuré à la
lecture de ce rapport : il dût demander de nouveaux
renseignements que le lieutenant du siège
de Digne, Charles de Tabaret, Sr du Chaffault,
s'empressa de lui transmettre. Tabaret dût annoncer en même temps à la cour le décès de
Me Henry Fabry Sr de Châteauredon , avocat et
membre du bureau de santé, qui avait jeté
l'effroi dans toute la ville.
Le 15 juin, par mesure de précaution, le
parlement avait supprimé la foire de la Saint-
Jean. Le lendemain, 16, sur les nouvelles arrivées
de Digne, il rendit un nouvel arrêt par
lequel il ordonnait que la maison du Sr Châteauredon
serait murée et placardée, et défendait
à tous les habitants de la ville de Digne de
communiquer avec les lieux circonvoisins, et à
toutes personnes d'entrer dans ladite ville, arrêt
imprévoyant, arrêt fatal, qui causa la plus
grande partie des maux dont noLre pays fut
accablé.
M. le conseiller du Parlement Olivier avait été
commis par la cour. Nous apprenons du moins,
par les comptes du trésorier, que ce magistrat
vint à peu près vers cette époque à Champtercier.
Les consuls de Digne et un assez grand nombre
de notables, des plus apparents, comme on disait alors, furent le visiter au lieu où il s'était
arrêté. La réunion eut lieu en plein air, dans
un pré, pour éviter toute espèce de communications,
et là dût se passer, sans aucun doute,
une conférence sur les principaux besoins de la
ville et sur l'état de sa santé.
Dans l'intervalle, la ville avait eu le temps
d'apparaître dans son plus triste jour. Outre la
famille Châteauredon, d'autres personnes notables
de la ville avaient été atteintes de la peste.
Le capitaine Pierre Brun, Louis Bain, et d'autres,
avaient été déjà victimes du fléau. Du moment que la peste fut déclarée, une
grande partie des habitants, des habitants aisés
surtout, s'empressa de déserter la ville. On ne
songeait qu'à s'éloigner et à quitter des lieux où
la vie était en danger. Quelques officiers royaux
eux-mêmes ne craignirent pas d'abandonner leur
poste.
Les consuls, au contraire, se dévouèrent avec
courage à la pénible mission dont ils étaient
chargés : ils se mirent à l'oeuvre avec une noble
activité, et ordonnèrent toutes les mesures qu'ils
crurent devoir prendre dans l'intérêt de la
ville. Malheureusement ils étaient préoccupés de
fausses idées répandues partout, et, chose triste
à dire, toutes les mesures qu'ils ordonnèrent ne
pouvaient qu'activer l'énergie du fléau contre
lequel on avait à lutter.
Les portes furent gardées avec plus de soin
encore que par le passé; l'infirmerie St. Lazare
fut disposée de manière à recevoir les malades.
Michel Joucard fut le premier qu'on y transporta, et on s'apprêta à faire construire dans les champs
des huttes ou cabanes qui devaient recevoir les familles
mises en quarantaine. On pourvut en même
temps aux besoins de la consommation , et on
chercha à s'assurer des médecins et des infirmiers.
Les premières victimes de la maladie furent
donc transportées à St.-Lazare, et leurs familles
obligées de sortir de la ville et de rester en quarantaine.
Il est difficile aujourd'hui de se faire une idée
de ce qu'était la quarantaine de 1629. Nous ne
pourrons pas en donner une description aussi
exacte que la réalité elle-même. Mais qu'on se
figure, s'il est possible, le coup d'oeil que dûrent
présenter nos campagnes, lorsqu'une partie de
la ville fut obligée de camper, en plein air, sous
des huttes ou cabanes, construites avec des planches
mal jointes, et recouvertes en paille ou en
chaume. Qu'on se représente toutes ces familles
éplorées qui venaient de perdre un de leurs
membres, et qui étaient forcées de venir s'entasser
pêle-mêle, hommes, femmes et enfants,
dans de misérables cabanes où l'on pouvait à peine
se retourner, et où l'on n'avait aucune des choses
indis pensables à la vie. Qu'on se représente ce
lugubre spectacle, et on aura, par la pensée du
moins, un tableau des souffrances que nos pères
durent endurer, et on comprendra pourquoi la
peste de 1629 fut si meurtrière. Ce fut sans doute un grand malheur qu'une
aberration aussi complète. Mais nos consuls
croyaient faire le bien, et ils restèrent à cet égard
d'une sévérité impassible.
Ils firent d'abord assez bonne contenance.
Cependant la viande manquait à la boucherie de
la ville. Les consuls ne reculèrent devant aucun
moyen pour s'en procurer. Un troupeau d'Arles,
qui se rendait à Archail pour passer son quartier
d'été dans ses montagnes pastorales, traversa le
terroir de Digne. Les consuls en furent prévenus,
et immédiatement ils se rendirent à Archail et
firent saisir près de deux cents moutons, offrant
inutilement une indemnité aux bergers, qui se
bornèrent à protester.
Ils comprirent bientôt qu'ils ne pouvaient pas
garder sur leur tête une aussi lourde responsabilité
; ils voulurent consulter le conseil de la communauté et faire approuver leur conduite :
ils le réunirent dans la journée du 27 juin.
Nous croyons devoir reproduire textuellement
cette délibération. Nous reproduirons également
en entier celles des 29 juin et 9 juillet suivant.
Ce sont des actes passés dans des moments trop
solennels pour que nous puissions consentir à les
dénaturer en les modifiant même légèrement.
Conseil particulier du 27juin 1629.
Du vingt-sept juin mil six cens vingt-neuf après
midyen la ville de Digne et dans la maison commune,
le conseilh particulier de la communaulte de ladicte
ville a este assamble a la maniere accoustumee ou
sont estes presentz Monsieur Me Charles de Tabaret
sieur du ChafTault conseilher du roi et lieutenant
général civil et criminel au siege ci ressort dudict
Digne, MeJan Gaudin, advocat en la cour, premier
consul, tenant le baston du roi en main en absance
de M. le Viguier, Me Jan Boyer, recepveur particulier
du domeyne du Roi audict siege, et Me André
Mleynier, aultres consulz modernes, Me Elzias
Geoflroi Sr de la Tour, advocat, M. Pierre Marchier
notere, et Robert Bernard, consulz vieulx, notere
Bernardin Hesmivy, Louys Amalric, Anthoine Pierre
escuyer, Me Jan Baptiste de Faucon, Me Jehan Roux
et Louys Reboul, advocatz, Me Jan Chaussegros,
Anthoine Gaudemar, procureur, Me Anthoine Plan,
Michel Salliere, bourgeois, Me Pierre Tardivi trezorier
moderne de la communaulte Anthoine Hermite
sieur du Caslelard, François Baille sieur de la Javye, Me Gaspard Hesmiol, advocat de la communaulte,
Claude Roux, escuyer, Pierre Mathieu, Claude
Savornin et André Aillaud, merchans, tous dudict
Digne, conseilhiers du conseilh particulier de ladicte
communaulte, ou subroges au lieu et place des
absans.
Auquel conseilh a este represante par ledict sieur
Gaudin premier consul qu'on a retenu le nombre
denviron sept tranteniers de moutons sur les troupeaux
quy ont passe dans le terroir de ceste ville
ensuite dune délibération du bureau de la santé du
vingt-quatre du courant sans en avoir arreste le prix
pour ce que les bergers ne lont voleu fereet requis le
conseilh dapreuver en tant que de besoing la delibéraiion
du bureau. Remonstrc encor quil ny a point
dargent dans la bource commune et que les debteurs
de la communaulte reffuzent de payer attandu linterdiction,
requierent le conseilh dy prouvoir aussi ;
quil est expediant de fere de chefz de rue pour lassurance
de la ville et prévenir les mouvemans factieulx
quy ce pourroint exciter. Les freres Observantins
sont en extreme necessite de pain et de vin silz
doibvent estre adsistes et secoureus par la communaulte
quy est fondatrisse de leur maison ; quils ont
conveneu avec ung infirmier a vingt soulz par jour
et quil est necessere davoir un chirurgien et de personnes
a suilizallee pour servir dans linfirmerye et
establir de gardes a ceulx quy seront mis dans les
cabanes et uttes au terroir de ceste ville et prouvoir
a leurs allimens et au payement desdictes gardes et
voir sy elles seront entretenues et payees aux despans
de ceulx quy seront gardes.
A este delibere unanimement que la retenue et
achept de moutons est rattifie et quilz seront payes par la communaulte a lextime ou par accord que
Messieurs les consulz en feront et la deliberation du
bureau en tant que de besoin apreuve.
Quil sera prins nombre de personnes de qualité
pour estre chefz de rue a la dilligence de Messieurs les
consulz quy les pourront changer a leur plaisir et
volonte, lesquels chcfz de rue ou cappouraux seront
charges de fere fere la patoulhe toutes les nuytz tant
dedans que dehors la ville pour empescher les inconveniens
et mouvemens quils pourroient arriver et
quon ne sorte les vivres et denrees a la desrobee.
Pouvoir a Messieurs les consulz dadcister les peres
Observaniins de toutes les chozes necesseres et de
leur achepter une thounelle de vin pour leur estre
distribuée a la discret ion desdicts sieurs consulz.
Ils pourront aussi subvenir a tous les particuliers
nécessiteux de la ville avec discrétion et bailheront
argent ou bled par forme de prest et en retireront
obligacion , laquelle sera au perilh et fortune de la
communaulte et nullement desdicts sieurs consulz
quy en demeureront des maintenant deschargez pour
ce que cest par forme daumosne.
Le conseilh apreuve et ratiflie le pache et convantion
faicte avec l'infirmier et donne charge expresse
a Messieurs les consulx den chercher daultres et de
personnes quy vueilhent subir le denger et servir a
linfirmerye a tel prix et con dictions quils advizeront,
leur donnant sur ce subject toute sorte de pouvoir
sen rapportant a leur honneur et conssiance.
Pouvoir encore de payer a leur discretion les médecins
et chirurgiens quy leur feront rapport verbal
ou par escript en estant req uis de lestat des maladyes
quilz jugeront suspectes et pestillantes a fin de fere
ranvoyer les malades dans linfirmerye et sera donne pour un moys comptable puis le vingt-cinq du courant
aux médecins soixante livres et aux chirurgiens
quarante.
Le mesme pouvoir leur est donne de fornir vivres
tant a ceulx quy seront dans linfirmerye que dans
les cabanes et uttes quy les voudront rccepvoir de la
communaulte sauf den fere, appreuvant et rattifiani
toute la forniture faicle jusques au jour dhui aux personnes
quy ont este retenues dans leurs maisons ou
sont de la qualite susdicte.
Les gardes quy ont estes donnes par Messieurs les
conseuls ou le seront a lad venir seront payes par la
communaulte et a ces fins pouvoir leur est donne
den mettre aultant que suiffre doibve selon les occurrances
et besoins et en tel nombre quilz jugeront
bon estre son rapportant le conseilh a leur religion
honneur et conssiance.
Ilz pourront encore convenir avec un chirurgien
pour servir dans linfirmerye et lemployer aux aultres
usages necesseres aux prix paches et condictions et
qualites quilz trouveront bon estre.
Et generallement le conseilh remet et resigne la
ville et toute sa conduite entre les mains de Messieurs
les conseulz les chargeant très expressemant
de payer toutes les personnes quilz treuveront a propos
demployer pour le public et leur eu fere mandemens
sur le trezorier.
Et a cest effect les charge tres expressement demprunter
de telles personnes quiiz treuveront jusques
a la somme de troys mille livres den passer les obligacions
requizes obliger tous les biens droitz rantes
et revenus de la communaulte aux paches et qualites
quilz advizeront les constituans leurs procureurs especiaulz
et generaulz sans derrogation avec promesse dagreer leur gestion et de payer la somme aux termes
et qualités accordes, laquelle somme sur lobligacion
sera receue par Pierre Tardivy trezorier moderne
de la communaulte et de snite expedier sur les mandemans
quy lui seront adresses a laccoustumee par
Messieurs les consulz.
Suivent les signatures.
TAllARET. - GAUDIN, consul. -J. BOIER, consul. —
A. MEYNIER, consul.-HERMlTE.-ELz. GEOFROY.
—L AMALRIC. -CHAUSSEGROS. - MARCHIER.
—ROUX.—ROUX.—GAUDEMAR.—BERNARD.—
SAVORNIN.-REBOUL. —REYNAUD. -AILHAUD.
—SALLlÈRE. —PLAN. - TARDIVY.— HESMIOL
—PIERRE.- HESMIVY. —Du SAUZE.—DENOIZE,
greffier.
Cette délibération , qui renferme les plus précieux
détails, donne une intelligence complète
de la situation de la ville de Digne, à la fin du
mois de juin 1629. Elle révèle tous les embarras
des consuls et dessine nettement les moyens par
lesquels ils entendent combattre la maladie qui
a jeté l'épouvante dans toute la population.
La ville était depuis peu de jours sous le poids
de l'interdiction prononcée par l'arrêt du 16 juin,
que nous avons mentionné, et cependant les
vivres commençaient déjà à manquer. Il fallait
pourtant pourvoir aux besoins de la classe indigente,
incontestablement la plus nombreuse ; il
fallait pourvoir à la subsistance des familles qu'on
avait forcées d'aller en quarantaine. Tous les
travaux se trouvaient suspendus, le commerce était complètement anéanti, et tous ceux qui ne
vivaient que du fruit de leur travail n'avaient
pas du blé en réserve et se trouvaient réduits à
une misère affreuse. Les maisons religieuses
elles-mêmes avaient peu d'approvisionnements,
et la maison des Observantins, fondée par la
ville, venait de faire entendre un cri de détresse.
Les consuls n'avaient pas, il faut le dire, hésité
un seul instant à prendre les mesures qu'ils
avaient jugées nécessaires. Soutenus par le bureau
de santé, ils avaient avec vigueur fait face
aux premiers besoins nés de l'irruption du fléau.
C'étaient eux qui avaient fait organiser l'infirmerie
Saint-Lazare pour recevoir les habitants
malades de la peste et qui y avaient établi les
premiers infirmiers ; c'étaient eux qui avaient fait
adopter le système des quarantaines et qui faisaient
exécuter les prescriptions rigoureuses que
ce système avait nécessitées ; ils avaient provoqué
le concours des médecins et des chirurgiens, et
leur activité n'avait pas perdu de vue un seul
instant le soin important d'assurer à tous les
habitants la subsistance indispensable.
Tout cela avait été fait spontanément : les
consuls avaient agi sous l'impulsion d'un noble
sentiment d'humanité et de patriotisme. Dès
qu'ils eurent le temps de la réflexion, ils assemblèrent
le conseil de la communauté, pour soumettre leurs actes à son approbation et lui exposer les difficultés qui les attendaient à l'oeuvre.
Le conseil ratifia sans hésiter tout ce qu'ils
avaient fait jusques-là ; il approuva hautement
leur conduite et leur donna de nouveaux et de
plus amples pouvoirs.
S'occupant d'abord des mesures d'ordre intérieur,
il les autorisa à nommer, dans chaque
rue, une personne notable chargée de commander
et de diriger les gardes du quartier, pour
veiller nuit et jour à la tranquillité publique et
empêcher, au besoin, qu'on ne sortit de la ville
des vivres ou des denrées.
Il les autorisa à nommer le nombre de gardes
nécessaires pour garder dans leurs cabanes les
familles mises en quarantaine.
Arrivant ensuite aux mesures d'humanité, il
leur donna pouvoir d'assister les pères Observantins,
de faire à tous les nécessiteux de la ville
des distributions de blé ou d'argent à titre de
prêt, mais il ne voulut pas les en rendre responsables,
parce que ce prêt n'était à ses yeux
qu'une aumône. Il les autorisa encore à fournir
les vivres nécessaires à tous ceux qui se trouvaient
dans l'infirmerie St.-Lazare et à toutes
les familles dispersées dans la campagne pour
subir la quarantaine.
Les consuls reçurent encore du conseil le pouvoir
le plus absolu d'augmenter les infirmiers à proportion du nombre des malades, de s'assurer
le concours des médecins et des chirurgiens
auxquels ils avaient promis déjà une indemnité
assez forte, et enfin de chercher un chirurgien
qui consentit à aller donner ses soins aux malades
de l'infirmerie St.-Lazare.
Pour faire face à ces diverses dépenses, il fallait
nécessairement de l'argent, qui manquait
tout-à-fait, parce que les débiteurs de la communauté,
en présence d'un pareil fléau, refusaient
de s'exécuter. Le conseil les autorisa à
emprunter une somme de trois mille livres au
nom de la commune.
Enfin, il remet et résigne la ville et toute la
conduite entre les mains de Messieurs les consuls,
car il a compris que dans un désastre pareil l'autorité
a besoin d'être libre dans ses efforts, et il a
une entière confiance dans les hommes qui en
sont investis.
Ce pouvoir illimité donné aux consuls aurait
pu sauver la ville, si ceux-ci ne s'étaient pas
jetés dans une voie fausse et malheureuse qui
les entraîna malgré eux vers un but diamétralement
opposé à celui qu'ils voulaient atteindre.
La mortalité s'accrut considérablement pendant
les journées des 27 et 28 juin. Un grand
nombre de familles furent atteintes. Le système
adopté fut impitoyablement suivi: le malade
était envoyé à St.-Lazare, quand on y était à temps, et sa famille mise tout aussitôt en quarantaine.
Nous pourrions citer un nombre considérable
d'habitants qui furent atteints du fléau
pendant ces deux jours, et envoyés à l'infirmerie,
tandis que leurs familles étaient parquées dans
les huttes que nous avons décrites ci-dessus, soit
à Chabasse, soit aux Epinettes, soit à Mouiroues,
dans tous les quartiers enfin du territoire si limité
de la ville de Digne. Nous pouvons citer
notamment les familles Deaudet, Pascal, Bayle,
qui furent tour-à-tour frappées.
Les maisons religieuses elles-mêmes n'étaient
pas à l'abri du fléau. Le bruit se répandit que la
peste avait fait invasion au couvent des Cordeliers.
Les consuls ordonnèrent aussitôt que les
portes en fussent fermées et que toutes les communications
avec l'intérieur de la ville fussent
sévèrement interrompues. En même temps ils
placèrent des gardes à toutes les portes du
couvent. Les consuls, il faut le reconnaître, remplirent
leur mission, pendant ces jours de désolation,
avec une courageuse énergie. Ils veillèrent avec
une infatigable ardeur à la satisfaction de tous
les besoins qui leur furent signalés. Ils activèrent
la garde, mirent des sentinelles sur le pont des
Eaux-Chaudes pour empêcher toute communication
des habitants avec l'infirmerie St.-Lazare
où se trouvaient les pestiférés.
Ils firent surveiller
les maisons abandonnées par suite de
l'envoi à St.-Lazare et de la mise en quarantaine.
Ils firent aussi ouvrir la porte du Portalet
pour une plus grande facilité des relations. Outre ces mesures générales d'intérêt public,
il était d'autres soins non moins importants qui
retombaient sur les consuls et sur les membres
du bureau de santé. Il fallait veiller constamment
à la distribution des vivres dans les cabanes établies
sur les divers quartiers du territoire1 ; il
fallait, d'un autre côté, ne pas laisser mourir de
faim, dans la ville, les pauvres et les nécessiteux
qui manquaient même de pain. Les consuls firent
distribuer tout ce qu'ils avaient à leur disposition, soit en vivres, soit en argent.
Au milieu de tous ces embarras, au milieu de
cet état de détresse, les consuls durent faire un
appel aux communes voisines : manquant de
tout, des objets le plus nécessaires à la vie, la
ville avait grand besoin de n'être pas abandonnée
dans ce moment critique.
Malgré tous leurs efforts et toute la peine
qu'ils se donnaient, les consuls, on le comprend,
devaient être exposés à de nombreuses demandes
et à des réclamations de toute espèce. Aussi furent-ils forcés, pour empêcher l'invasion de
leurs maisons et échapper aux sollicitations importunes
et au contact des personnes atteintes
du mal contagieux, de placer des gardes à leurs
portes et de s'en faire accompagner.
Mais les deux journées des 27 et 28 juin
avaient été si meurtrières qu'elles avaient jeté
partout la crainte et la terreur. Tous ceux qui
entrevoyaient la possibilité de quitter notre malheureuse
cité, qui n'était pas encore cernée par
les troupes que le parlement faisait lever dans les
communes des environs, se disposaient à en sortir
et à chercher au loin un refuge à tant de maux.
C'est alors que le parlement, craignant que la
ville de Digne ne fût abandonnée dans un pareil
désastre, soit par ses consuls, soit par les officiers
royaux, rendit, le 28 juin, un arrêt par
lequel il enjoignait aux officiers royaux et aux
consuls de Digne de rester dans ladite ville, et
dans le cas où ils en seraient sortis, d'y rentrer
sans délai, sous peine d'être poursuivis sévèrement
et de répondre de tous les événements qui
pourraient arriver. Mais cet arrêt n'empêcha pas d'abord la désertion
des habitants: la panique était générale,
et elle ressort on ne peut mieux de la délibération
prise le 29 juin, sur la Place des Herbes,
aujourd'hui de l'Évêché , devant la porte du
consul Gaudin. Les conseillers présents se rassemblent
à la hâte et prennent une délibération
que nous transcrivons, et qui est un véritable
cri de désespoir et de sauve qui peut poussé dans
un moment de profond découragement.
Délibérati du 29 juin 1629.
Du vingt neuf juin mil six cens vingt neuf de matin dans la place publique dicte des Herbes a este délibéré par les soubssignes quy nont peu sasssambler a la ccoustumee a cause de la maladye contagieuze et pestillante de laquelle il plaict a Dieu dallliger la ville que Pierre Ricavi M° chirurgien de ladicte ville yra servir les malades de ladicte maladye quy sont dans linfirmerye durant un moys dhuy comtable a la charge quil ne ce communiquera ni frequantera dans la ville pour le prix durant ledict temps de cinq cens cinquante livres quy luy seront expediees par Messieurs les consulz ou trezorier dicelle sur leur mandemant sans quil puisse rien prethandre après ledict terme espire pour sa quaranteyne. Appreuve le conseilh les infirmyers serviteurs enterreurs et aultres personnes establyes pour le service des malades de Messieurs les consulz et du public au prix convenu. Permis aux habitans de la ville de serrer leurs meubles marchandizes et biens precieulx dans leurs maizons et chambres particulières dicellc et den murer les portes et y fere appozer le sceau du roi cy besoin est et seront faictes les attestations requizes des maisons quy sont encore en santé pour leur asseurance future. Suivent les signatures.
TABARET.—GAUDIN, consul.—J. BOIER, cousul.-
A. MEYNIER, consul.-MARCHIER.-BERNARD.
-REYNAUD.-HERMITE.- L. AMALRIC.- AUTARD.
— PLAN.—FREDIÈRE. —JACQUES.—ALLEMAND.—DUPIES.—FABRY.—MICHEL.—ROUX.
—DUPONT.—AMAYENC. —RIPPERT. —Deux signatures
illisibles. DENOIZE, greffier.
On se disposait donc de toutes parts à abandonner
la ville. Le conseil lui-même de la communauté
en avait compris l'urgence. Il venait
d'autoriser les habitants à serrer leurs choses
précieuses, à fermer et à murer leurs portes,
et à y faire apposer le sceau du roi. On devait
en même temps faire faire toutes les attestations
requises pour les maisons encore en santé dans
l'intérêt de leur assurance future. Cette dernière
disposition avait sans doute pour but non-seulement
d'assurer la conservation des objets ainsi
mis sous clef, mais encore d'éviter, pour l'avenir,
la formalité de la purification dont nous
aurons à parler plus tard. Il n'était question ici
que des maisons encore en état de santé. Toutes
celles qui avaient été atteintes du fléau étaient déjà complètement abandonnées. D'ailleurs, les
consuls, qui faisaient garder leurs portes et s'entouraient
de gardes pour éviter le contact des
malades, et les officiers royaux n'auraient pas
pu s'exposer aux atteintes de la contagion en
pénétrant dans les maisons pestiférées.
Cette mesure prouve jusqu'à la dernière évidence
combien les habitants étaient effrayés, et
quelles prescriptions extraordinaires les consuls
et le conseil étaient forcés d'ordonner.
Au reste, cette frayeur était bien légitime. La
mortalité avait suivi une progression toujours
croissante. On avait jeté en quarantaine un nombre infini de familles. Les vivres, les ressources
de toute espèce commençaient à manquer, et en
l'état d'interruption de toutes les communications,
on ne savait comment y suppléer.
Les consuls déployaient envain un zèle souvent
impuissant. Les gardes, les infirmiers ne pouvaient
plus suffire : on n'en trouvait déjà plus
qu'à des prix exhorbitants (1).
Le chirurgien Ricavy avait traité avec les consuls.
(1) Le nombre des morts a este si grand en ceste ville et aux cabannes hors icelle quil a falleu employer plusieurs infirmiers ausquelz a fallu donner ce quilz voulloient et encore sa grand peine on en pouvoit retrouver. (Compte du trés. de 1629,Pierre Tardivy).
Il avait consenti à aller s'enfermer pendant un mois dans l'infirmerie St.-Lazare, moyennant
une somme de cinq cent cinquante livres. Le
conseil venait d'approuver le traité fait avec lui;
mais quelques jours après ce chirurgien devait
trouver la mort au milieu des malades qu'il allait
soigner.
Ce qui devait créer de nouveaux embarras
quoique sur cette somme ses héritiers
fusent tenus de restituer tout ce qui dépassait
183 écus et 20 sous.
Les autres médecins et chirurgiens étaient
tout aussi difficiles. Ils exigeaient dix écus par
semaine pour faire alternativement, et de deux
en deux, le service de la ville et donner leurs
soins à tous les malades indistinctement. On fut
fort heureux de les satisfaire à ce prix. Mais les malades de l'infirmerie n'avaient pas
besoin seulement de secours corporels : ils manquaient
de soins religieux, et aucun prêtre n'avait
pu y être établi : deux pères Cordeliers, à
la tête desquels se trouvait le père Durand, se
dévouèrent au service des malades et s'enfermèrent
dans l'infirmerie.
Les distributions de vivres se faisaient chaque
jour avec plus de difficultés. Le nombre des cabanes
augmentait sans cesse: tous les quartiers
en avaient été couverts ; on avait même empiété
sur le territoire de Marcoux.
Or, à mesure que les difficultés croissaient,
les ressources diminuaient, et on ne trouvait
plus un nombre suffisant d'individus pour soutenir
les divers services que l'on avait organises
dans le principe.
Les consuls ne se découragèrent pourtant pas.
Le blé et l'argent leur faisaient défaut. Ils eurent recours aux emprunts et achetèrent à crédit tout
le blé qu'ils purent découvrir.
Marcelin Fabre, marchand, leur prêta six
cents écus; M° Gâche, avocat, leur en prêta
deux cents; la dame Isabeau Savornin de Lauzières,
leur en prêta cent; enfin, ne sachant
plus où passer, ne trouvant personne qui voulut
ou qui pût leur prêter, un des consuls eux-mêmes,
André Meynier, fit un prêt à la ville de
huit cents écus." Ces nouvelles ressources permirent de faire face
aux besoins les plus pressants. Si la peste avait
diminué, elles auraient pu en amener d'autres.
Mais la contagion devenait de jour en jour plus
terrible, et ces sommes furent bientôt épuisées.
Les cas de peste augmentaient tous les jours.
La maladie agissait avec tant d'intensité que la
plupart des malades mouraient avant d'avoir pu
être transportés à St.-Lazare. Il fallait pourvoir
à les ensevelir, en gardant toutefois les plus
grandes précautions.
Mais bientôt le nombre des victimes était devenu
tel que les hommes employés à les ensevelir
furent insuffisants. Le cimetière ordinaire fut
abandonné, et on crut devoir choisir un endroit
spécial pour tous ceux qui mouraient de la contagion.
Les consuls avaient fait creuser des fosses
dans le jardin de Nicollas Deaudet, pour y ensevelir
les victimes de la peste. Et pour remplacer
les ensevelisseurs eux-mêmes on avait fait construire
une claie qui était occupée tous les jours à transporter les cadavres à leur dernière demeure.
Mais cette recrudescence de la maladie avait
créé de nouveaux dangers. Les corps laissés trop
longtemps dans les maisons répandaient une infection profonde qui donnait encore de la force
au fléau dévastateur. Les animaux eux-mêmes
avaient été atteints, et les lisses actuelles étaient
encombrées de chiens et de chats morts de la
même maladie.
Les consuls essayèrent encore de remédier à
cette nouvelle source de maladie : sur une ordonnance
du bureau de santé, de grands feux
furent allumés sur toutes les places de la ville;
des hommes furent chargés de balayer et de laver
les rues; on s'efforça d'éloigner, par tous les
moyens possibles, tout ce qui pouvait alimenter
ou favoriser la contagion. C'est sur ces entrefaites qu'arrivèrent quelques
secours des communes de Valensole, de Seyne
et de Riez, secours bien insuffisants et qui bientôt
devaient rester inefficaces.
En présence de tant d'embarras et de misères,
les consuls réunirent de nouveau le conseil de la
communauté, qui, cette fois encore, s'assembla
devant la porte du consul Gaudin. Nous transcrivons cette délibération qui confie la ville aux
consuls et leur donne un pouvoir absolu.
Délibération du 9 juillet 1629.
Du neufviesme juilhet mil six cent vingt neuf de matin en la ville de Digne, devant la maison de M. le consul Gaudin a la plasse publique, par devant M° Jehan Baptiste Gaudemar conseilher du Roi au siege dudict Digne et en absance de M. le lieutenant ou sont estes prezentz M° Jan Gaudin, advocat en la cour, M° Jan Boyer recepveur particulier du domeyne du Roi audict siege et M° André Meynier consulz modernes, Louys Amalric, Claude Roux escuyers, Me Ollivier Dupies, Louys Reboul, advocat en la cour, cappitayne Pierre Chaud, Jacques Autard, Claude Savornin , Pierre Mathieu, Pierre Gautier, cappitayne André Cantel , Michel Meynier, Melchion Gai, Elzias de Rochas, Louys Meynier,St d'Entrages, Andre Eymar blanchier, M°Anthoine Plan cy devant notere, M° Pierre Masse procureur, Jehan Pierre Bertrand Sr de Feissal et aultres. Le conseilh attandu l'extreme necessite de la maladye a donne toute sorte de pouvoirs a Messieurs les consulz demprunter telle somme dargent quilz advizeront pour subvenir au payement des occurrances necesseres et que les sommes seront reçues par Pierre Tardivi et par lui expediees sur leurs mandemans ensamble telle quantité de bled quilz treuveront bon estre pour en secourir le peuple suivant les précédantes deliberacions. Comme aussi le conseilh donne pouvoir de traiter avec les medecins, appoticaires et chirurgiens a la ville et aultres quilz treuveront hors de la ville cy besoing est. Rattifie le conseilh tout ce qua este fait par Messieurs les consulz jusques au jourdhui. Suivent les signatures.
GAUDEMAR.-GAUDIN consul.-J. BOIER, consul.-
A. MEYNIER, consul.- L AMALRIC—REBOUL.—
PLAN.-A UTARD.-ROUX.-MASSE.-SAVORNIN.
—AUTARD—. M. MENIER. —ROCHABRUN—.MATHIEU.—
Deux signatures illisibles.-DENOIZE, greffier.
Ce conseil, le dernier qui nous ait été conservé
de l'administration municipale, qui se trouvait
à la tête de la ville de Digne lors de l'invasion du
fléau, n'est qu'une approbation hâtive, donnée
sur la place publique, des actes des consuls. Elle
est encore signée par les trois consuls eux-mêmes,
mais le lieutenant Tabaret est remplacé : a-t-il succombé
au fléau, ou a-t-il abandonné son poste? Le même jour, ensuite d'une délibération du
bureau de santé, qui lutte de son coté et donne
du courage à tous les fonctionnaires et aux habitants, les consuls font un nouvel accord avec
les médecins et les chirurgiens, qui déjà ne se
contentaient plus de dix écus par semaine, pour
se dévouer au service des malades, et auxquels il
fallut compter une somme de 700 écus.
Parmi ceux avec qui l'on traite, se trouvent
déjà des médecins étrangers qui sont venus apporter
leur tribut de dévouement et d'efforts.
Nous trouvons notamment un médecin de Mison.
Un emprunt de trente-deux charges de blé est
contracté, le 11 juillet, d'un marchand de la
ville, André Boyer. Les distributions se continuent quoique toujours plus difficiles et par
suite moins régulières.
Mais la mortalité devient de plus en plus
effrayante : le nombre des morts s'accroît tous
les jours davantage. Les consuls eux-mêmes, ou
du moins leurs familles, sont à leur tour atteintes
de la peste. Le bureau de santé aurait dû au moins
faire une exception pour ceux de qui dépendait
le salut de la ville: il fut impitoyable et décida
que les mesures prises à l'égard des autres habitants
leur seraient appliquées, et le premier consul,
M° Jean Gaudin, fut obligé à son tour
d'aller en quarantaine et de se mettre en cabane.
Il y était dès le 11 juillet. Nous en avons la preuve
dans le compte du trésorier, qui paye les frais de
construction de la hutte qui lui était destinée. Ses deux autres collègues ne furent atteints
qu'après lui; mais dès le 14 du mois de juillet,
ils cessèrent de signer les mandats du trésorier,
et dès ce moment commença l'épouvantable désordre
que Gassendi retrace en traits si énergiques.
Les ordres commencèrent à ne plus s'exécuter;
bientôt même il ne devait plus y avoir
personne pour commander ; chacun ne dût plus
songer qu'à soi-même.
C'est au milieu de cette consternation universelle
que les membres du bureau de santé, seuls
chargés de l'administration de notre malheureuse
cité, se voyant dans un état d'impuissance absolue,
ne comptant plus ni sur eux-mêmes, ni
sur personne, voyant le fléau grandir tous les
jours, ne crurent pouvoir mieux faire que de
s'adresser à celui qui a la souveraine puissance,
qui régit les mondes par la seule force de sa volonté,
et au nom de la ville, au nom de leurs
infortunés concitoyens, ils s'humilièrent profondément
et crièrent merci à genoux et les mains
élevées vers le ciel. Pour que leurs prières fussent
plus favorablement accueillies, ils eurent recours à la puissante intervention de laVierge,
sa mère.
Ils réunirent tous les membres du bureau de
santé, s'adjoignirent tous les habitants valides
île la ville, et tous ensemble, le 15 du mois de
juillet, firent aux pieds des autels le voeu solennel
d'aller processionnellement, après la cessation
de la peste, en pèlerinage à Notre-Dame-de-Grâce, chapelle en vénération à Cotignac,
petit village de Provence, faisant partie aujourd'hui
du département du Var. Ils promirent de
faire à la chapelle un don de mille livres, sur les
revenus de la communauté. Tous les membres
présents s'obligèrent à exécuter personnellement
ce voeu, et exprimèrent l'espoir, dans le cas où
ils seraient victimes du fléau, d'en voir réaliser
l'accomplissement par les survivants. Cet acte est le dernier que nous trouvions
mentionné dans les archives de la commune. Dès
ce moment tout fut désorganisé, les services
publics cessèrent, les distributions de secours
n'eurent plus lieu ; le 24juillet, le trésorier de
la commune, Pierre Tardivy, qui avait jusque là
bravement résisté, succomba lui-même sous
les coups du fléau. Le 26, tous les consuls avaient
abandonné la ville.
Notre tâche s'arrête ici; laissons parler Gassendi,
car dès ce moment nos archives sont
muettes.
Les symptômes qui annonçaient le mal et qui l'accompagnaient,
étalent la soif, les suffocations,
l'insomnie, la lassitude, la pesanteur de tête, l'extinction
de la voix, les nausées, les vomissements,
les déjections sanguines, les crachements de sang,
la sueur, le tremblement, les convulsions, l'insensibilité
causée par le froid, le délire, etc. Les symptômes
les plus fréquents étaient l'apparition de bubons
aux émonctoires des aisselles, des aînes et du
cerveau. De forme ovoïde, les plus petits de ces
bubons étaient de la grosseur d'une amande, et les
plus gros, de la grosseur d'un oeuf. Tantôt il n'en
apparaissait qu'un seul, plus souvent deux; quelquefois ils étaient accompagnés de charbons, mais toujours
ils étaient douloureux, surtout pendant l'inflammation.
Ces bubons disparaissaient quelquefois d'eux-mêmes,
ou rentraient en dedans; mais presque toujours
ils venaient à suppuration, et tant qu'elle durait, il
était impossible d'éprouver une douleur plus vive et
plus aiguë. Les charbons se présentaient aussi tantôt
seuls, et tantôt, comme nous l'avons dit, accompagnés
de bubons, mais toujours enflammés, malins
et entourés de pustules. Quelquefois il n'y en avait
qu'un, souvent, un plus grand nombre , quelques
malades en ont eu jusqu'à douze. Ils finissaient par
se transformer en escarres et en ulcères d'une fétidité
repoussante, larges comme la main, sinon davantage :
rarement leur dimension restait en dessous. Chez
quelques malades on n'a observé que des pustules de
diverses nuances, noires, rouges, pourprées, couleur
de feu. Chez d'autres, les articulations s'engorgeaient; quelques-uns même furent subitement
frappés de mort, sans que la maladie se fût annoncée
par quelque symptôme. Les cadavres présentaient
un aspect horrible ; la face était contournée, et les
chairs, au lieu d'être molles et flasques, comme
on aurait dû s'y attendre, étaient rudes et contractées.
Une des choses les plus surprenantes, c'est l'effet
que produisait la violence de la maladie chez quelques
individus. Un entr'autres, grimpa comme un
écureuil le long d'une muraille, et parvenu sur le
toît se mit à lancer des tuiles, qui pleuvaient comme
des noix. Un autre, monté également sur le toit de
sa maison, à l'aide d'une échelle, y fit pendant
quelque temps toutes sortes de gambades, puis
après en être descendu, se mit à courir devant lui, jusqu'à ce que se précipitant au milieu des soldats
commis à la garde de la ville, il tomba frappé d'un
coup mortel. Un autre, indigné qu'on le retint à
l'hôpital comme malade, parvint à s'échapper, courut
vers sa femme qu'il rejoignit, et avec laquelle il
s'abandonna aux plaisirs des sens: ils expirèrent
instantanément l'un et l'autre. Un autre, s'imaginant
qu'il pourrait voler, étendit ses bras, en guise
d'ailes , se précipita d'un lieu élevé, et se brisa en
mille pièces. Un autre, se figurant qu'il était dans
un navire battu par la tempête, se mit à jeter ses
meubles par la fenêtre, comme si c'étaient des marchandises.
Enfin un père, en vint à saisir son jeune
enfant, et à le précipiter tout vivant, les bras tendus
hors de la croisée, sur le pavé de la rue.
Ajouterons-nous maintenant que la nature de la
maladie était telle, que plusieurs personnes ont survécu
après avoir passé pour mortes pendant plusieurs
jours? Ajouterons-nous qu'il a dû nécessairement
arriver que des malades encore vivants aient été ensevelis?
Car, tant que les fossoyeurs purent suffire à
leur tàche , ils s'em pressèrent , sans laisser s'écouler
le temps nécessaire, d'enlever tous ceux qui leur
paraissaient privés de sentiment et de vie. Quelques uns
revenant à eux pendant qu'on les transportait,
se précipitèrent hors du charriot sur lequel étaient
entassés les cadavres. Une jeune fille de vingt ans,
déjà jetée dans la fosse, donna des signes de vie, et
en fut retirée. Une autre âgée de vingt-cinq ans,
après avoir passé trois jours, privée de sentiment,
dans un sillon de vigne, fut tirée le quatrième de
son état de léthargie par la douleur que lui causait
un bubon naissant, et fut assez heureuse pour en
guérir. Une veuve resta six jours entiers sans avoir conscience de son existence, ou du moins sans
prendre aucune espèce de nourriture ni de boisson,
et ce fut peut-être ce qui la sauva. Un malade, regarde
comme mort pendant quatre jours, ne put pas
être enseveli, parce que sa femme qui avait creusé
sa fosse,de ses propres mains, n'était pas assez forte
pour l'y plonger elle-même: tout-à-coup il revient
comme d'un profond sommeil, se met à parcourir les
champs, prédisant l'avenir, annonçant le jugement
dernier, et exhortant à la pénitence tous ceux qu'il
rencontrait, accablant de malédictions ceux qui ne
tombaient pas à ses genoux, et faisant mille choses
bizarres que nous avons apprises de sa propre bouche.
Mais, c'est assez sur ce sujet, suivons le cours de
la maladie: les premiers jours pendant la première
semaine, il n'était mort que trois ou quatre personnes;
vers le milieu du mois de juin, il en mourait
quinze par jour; au commencement de juillet, le
nombre des morts s'élevait chaque jour à quarante ;
vers le milieu de juillet et au commencement d'août,
à cent soixante; ce ne fut que vers le milieu de ce
dernier mois que ce fléau commença à perdre de son
intensité : dans le courant du mois de septembre il
ne rpourait plus que cinq ou six personnes par jour ;
et la mortalité cessa entièrement au commencement
du mois d'octobre. De tous ceux qui étaient morts ou
qui avaient survécu, on fit le compte, que cinq
cents à peine avaient pu recevoir les soins et les
secours nécessaires. Des familles nombreuses avaient
été entièrement éteintes, et on citait une chambre,
qui n'avait pas plus de deux toises carrées, dans
laquelle on avait trouvé neuf cadavres.
La principale cause des ravages qu'exerça ce fléau,
fut l'inexpérience d'abord, et ensuite l'interprétation trop rigoureuse de l'ordonnance ou arrêt du parlement,
qui défendait, sous peine de mort, aux habitants
de Digne, de sortir de la ville ou de son territoire.
Or, le territoire de cette ville étant, comme nous
l'avons déjà dit, extrêmement restreint par la Bléone,
dont la rive extérieure appartient aux communes de
Courbons et des Sièyes (quoique les terres, les vignes,
les prés et les champs, qui s'étendent à une
lieue et demie à la ronde, appartiennent exclusivement
à des Dignois), son exiguité empêchait de
diviser la population et de la répartir dans de petites
habitations isolées, circonstance qui, assurément,
n'était pas connue de la cour suprême. D'un autre
côté, le conseiller chargé de faire exécuter cet arrêt,
avait fait prendre les armes à des hommes des communes
voisines, pour ne laisser sortir du territoire
de Digne, aucun des habitants qui auraient cherché
hors de la ville un toît ou un abri, et un poste de
ces hommes armés fut établi sur le pont de la Bléone.
Ces mesures furent souvent la cause, lorsque par
exemple un crieur était envoyé pour faire quelque
communication aux habitants de la ville, que les
citoyens en accourant en foule, aux abords du pont,
pour l'entendre, se pressaient, se touchaient et se
communiquaient la maladie.
Ajoutez à cela que les habitants des villages voisins,
en vinrent bientôt à un tel degré d'endurcissement,
qu'ils restèrent complètement insensibles au
malheur des Dignois : on aurait dû dans un pareil désastre, et dans l'impuissance où étaient les habitants
de cette ville, de se procurer les choses nécessaires
à la vie, les leur faire parvenir et prévoir
leurs besoins: loin de là, lorsqu'un ami s'efforçait
de faire passer dans la ville des vivres ou d'autres objets, les gardes les détournaient à leur profit ; si
d'autres, dans l'espoir de réaliser un bénéfice, apportaient
divers objets et les mettaient en vente, les
gardes les achetaient à vil prix, pour les revendre
ensuite à des prix excessifs. Quand la désolation fut
à son comble et que les cadavres ne purent plus être
ensevelis il en resta plus de quinze cents sans sépulture, qui répandaient dans la ville la plus horrible
infection. On agita un instant la question, et on
décida de détruire par le feu la ville et ses habitants :
si cette résolution ne fut pas exécutée, c'est qu'on
apprit au même instant que la peste venait d'envahir
trois ou quatre villes voisines, et l'on comprit qu'en
incendiant la ville de Digne il fallait aussi les
anéantir. On se borna donc à incendier une maison
de campagne située dans un champ voisin de la ville
et, avec elle, toute la famille de ses propriétaires
qui s'y était retirée.
Certainement, si ces infortunés avaient pu se
construire des chaumières, même de simples barraques
dans les champs des environs, surtout sur l'autre
rive de la Bléone, pour faire, suivant l'usage, une
quarantaine de quelques jours, sous les yeux et la
surveillance assidue des habitants des villages voisins,
une très grande partie d'entre eux, auraient
pu se sauver, en fuyant le foyer de la contagion :
un très grand nombre de ceux qui purent se retirer
dans les maisons de campagne du territoire de Digne
échappèrent à la mort. Mais tous ceux qui n'eurent
pas à leur disposition une pareille ressource, virent
bientôt que la sévérité des populations voisines ne
leur laissait aucun espoir de sortir de la ville: ils s'y
enfermèrent donc et y périrent misérablement. La
ville offrit surtout un aspect lamentable, lorsque la maladie en fut arrivée à ce point que l'hôpital établi
au dehors de la ville, à la chapelle de Saint-Lazare,
ne put plus recevoir de malades; lorsque le char
mortuaire ne put plus enlever les morts, parce que
les fossoyeurs, ceux-mêmes qu'on avait choisis parmi
les prisonniers, étaient morts ou moribonds. Les magistrats
de la ville se virent alors dans la cruelle
nécessité de relâcher, d'abord, puis d'abandonner
tout-à-fait les rênes de l'administration. La ville se
trouva bientôt sans consuls, sais juge, sans culte
divin: les ouvriers, les employés de la cité manquèrent
bientôt à leur tour: l'horloge se tut, les fontaines
tarirent, les moulins s'arrêtèrent, les fours se refroidirent,
le marché resta désert, et on manqua des
choses les plus nécessaires à la vie.
Une chose remarquable, c'est que dans ces jours,
où la mort paraissait inévitable, on vit quelques
personnes, dans la crainte d'être enterrées toutes
nues, s'envelopper d'un suaire avant même d'être
atteintes par la maladie. Tout sentiment de pitié et
d'humanité était anéanti. On vit une femme refuser
à son mari malade toute espèce de secours. Une
autre, en mal d'enfant, car toutes avortaient sous
l'influence de cette maladie, se délivra elle-même de
son foetus, le porta à sa mamelle avant qu'il fut détaché
du placenta, et périt bientôt après avec lui.
Un grand nombre d'individus erraient ça et là pillant
les maisons désertes, et préférant s'enrichir de cette
manière plutôt que de servir un maître. On n'aurait
pas trouvé un domestique au prix de deux cents écus
par mois. Ces malheureux ne savaient pas que bientôt
ils seraient frappés à leur tour et périraient avec
leurs richesses mal acquises. De tous ceux qui se
livraient à ces excès, peu survécurent, les autres perdirent sans savoir comment ce qu'ils avaient
amassé. Lorsqu'un malade revenait à la sanlé, il se
plaçait aux endroits exposés au vent, et le bravait
en face. Ceux qui se rencontraient dans les rues,
ne se reconnaissaient plus, et se regardaient comme
des ombres vivantes. Heureux celui qui, dans ces
temps affreux, pouvait pourvoir lui-même à ses
besoins, et n'était pas obligé de recourir à l'assistance
d'un autre.
Beaucoup périrent abandonnés dans les champs et
furent trouvés gisant sur le sol où ils avaient rendu
le dernier soupir. Parmi eux on trouva une mère
dont l'enfant suçait encore les mamelles glacées par
la mort. Quelques jeunes enfants vécurent du lait de
chèvres qui leur servirent de nourrices ; d'autres en
plus grand nombre restèrent pendant longtemps
ignorés dans les maisons et privés de sépulture.
Les pères qui avaient survécu ensevelissaient leurs
enfants; les enfants inhumaient leurs parents; les
époux leurs femmes, et les femmes leurs maris. Mais
les fosses avaient si peu de profondeur, que le
moindre vent mettait souvent à découvert le visage
ou quelques membres des cadavres ainsi ensevelis. Bien plus, on avait creusé au Pré-de-Foire et dans un champ voisin des Eaux-Chaudes d'immenses fosses
dans lesquelles on amoncelait les cadavres: celles
qui se trouvaient le plus rapprochées de la ville furent
tellement encombrées, qu'on put à peine les
recouvrir d'une quantité suffisante de terre, et qu'on
fut obligé d'en remettre une seconde fois, pour cacher
des bras ou des jambes qui apparaissaient ça
et là.
DEUXIÈME PARTIE.
Nous n'ajouterons rien au tableau énergique
tracé par la main de Gassendi. Triste spectacle,
que celui d'une ville de dix mille âmes en proie
au terrible fléau de la peste, et abandonnée, au
moment du danger, non-seulement par les
officiers royaux, mais encore par ses consuls et
par les médecins eux-mêmes, sur le dévouement
desquels elle aurait dû pouvoir compter. Tirons
un voile sur cette scène d'effroyable confusion
et de désordre, et arrivons bien vite à cette
époque qui suivit la cessation de la maladie contagieuse
et pendant laquelle on s'efforça de réparer,
autant qu'on le put, les maux que Digne
avait subis.
Mais d'abord disons quelques mots sur ces
deux mois terribles pendant lesquels on ne put
songer qu'à sa conservation personnelle, et dont
il ne reste plus dans nos archives la moindre trace, silence pour le moins aussi significatif que
les phrases si fortement senties de notre illustre
Prévôt. Essayons de rappeler les quelques faits
épars que Gassendi ne mentionne pas et que nous
avons trouvés dans des pièces postérieures à cette
époque. Ces faits sont peu nombreux, d'une
très minime importance; mais ils ne doivent pas
être négligés, précisément à cause même de la
rareté de pareils renseignements.
Le 24 juillet, nous l'avons déjà dit, le trésosorier
Pierre Tardivy était mort; le 26 du même
mois, les trois consuls étaient sortis de la ville.
C'est surtout depuis ce jour néfaste que Digne
resta sans direction, sans administration, jusques
vers la fin du mois de septembre suivant.
C'est le 27 septembre seulement que la peste
cessa complètement, et ce n'est qu'à cette époque qu'on put s'occuper avec fruit de la réorganisation
d'une administration nouvelle.
Une note du trésorier de 1630-1631, André
Boyer, nous apprend que dans les premiers jours
du mois d'août , alors que le docteur Lautaret
et l'apothicaire Jacques étaient retenus dans leur
lit par la peste, que presque tous les chirurgiens
étaient morts victimes du fléau, et que tous les
autres médecins saisis d'épouvante s'étaient hâtés
de fuir, il arriva à Digne un prêtre, originaire
de Normandie, du diocèse d'Abranche, appelé
Michel Massue dans les délibérations du conseil,
qui s'offrit spontanément à servir et traiter les
habitants malades et à faire des travaux de purification
devenus indispensables.
Il fut accueilli avec reconnaissance ; on lui
promit un magnifique habit de camelot, et de plus qu'il serait largement payé de tous les soins
et de tous les services qu'il rendrait aux habitants
atteints de la contagion.
Nous aurons plus d'une fois encore à parler
de Michel Massue; nous ne voulons ici que
constater son arrivée à Digne, le 3 août, au
moment où la peste sévissait avec le plus de
violence.
Il résulte encore de tous les registres de cette
époque, de toutes les délibérations du conseil
qui nous ont été conservées, que ce fut M. le
conseiller d'Agut, membre du parlement séant
à Aix, qui fut chargé de faire exécuter l'arrêt
rendu pour interdire l'entrée et la sortie de la
ville de Digne.
M. le conseiller d'Agut s'acquitta de sa mission
avec une grande activité et la sévérité la
plus rigide. Il fit lever des troupes dans toutes
les villes, dans tous les villages qui avoisinaient
notre malheureuse cité. Il en leva jusqu'à la
Javie, Colmars et Castellane. Toutes les issues
de Digne furent, grâces à ses soins, rigoureux
sement gardées : toutes ces troupes établirent
leur blocus même aux portes de la ville et empêchèrent
les habitants qui avaient des campagnes dans les environs de s'y retirer. M. le conseiller
d'Agut promit aux communes dans lesquelles
il fit ces levées qu'elles seraient plus tard
indemnisées ; il se transporta partout en personne
pour assurer l'exécution des sevères mesures
ordonnées par le parlement.
Nous n'avons que peu de traces des actes de
M. le conseiller d'Agut ; mais une preuve qu'il
dût exercer une grande influence et une grande
autorité pendant toute cette époque sur la ville
de Digne, c'est que, chargé de l'exécution de
l'arrêt qui sequestrait ses habitants , nous trouvons
des actes de lui du mois de juillet, nous le
trouvons ensuite organisant des levées d'hommes
dans toutes les communes pour le blocus de
Digne; plus tard, c'est lui qui, à la cessation
du fléau et avant que la ville ait repris la liberté
de circulation, réorganise l'administration municipale ; c'est lui enfin qui dirige les travaux de
purification et qui veille sur la ville de Digne
jusqu'à l'époque où l'entrée lui est enfin rendue
et la libre circulation rétablie.
Les délibérations du conseil de l'année 1630
contiennent souvent des plaintes amères contre
lui, et le conseil, dans sa séance du 20 octobre 1630, invite les syndics à se procurer des
expéditions en forme de tous les actes émanés
de ce conseiller commis par le parlement.
Il existe, non pas dans les archives de Digne,
mais dans celles de Riez, une lettre de ce conseiller,
M d'Agut, en date du 11 juillet 1629,
dont nous devons la connaissance à un modeste
savant de cette ville. Cette lettre est adressée
aux consuls, et il paraît que M. d'Agut s'occupait
alors de rechercher la cause de l'invasion du
fléau à Digne. Il écrivait que André Gassend,
merchant de Digne, estant aux abois de la mort
avait déclare que lui avec deux autres merchants
de Riez par leur advarice avaient cause le mal
contagieux audict Digne.
Si la vérité de cette déclaration pouvait être
admise, l'opinion que la peste a été apportée
dans nos murs par les troupes venant d'Italie se
trouverait détruite. Mais nous ne savons pas quel
degré de confiance peuvent mériter des révélations
faites au lit de mort par un malade qui,
peut-être, comme tant d'autres, avait le délire et par suite des hallucinations sur la réalité desquelles
on ne peut guères compter.
Quoiqu'il en soit de la mission remplie par le
conseiller d'Agut pendant les mois de juillet,
d'août et de septembre, et sur laquelle nous
n'avons que des renseignements vagues et fort
incertains, nous trouvons, à la date du 5 octobre
1629, la mention d'une ordonnance qui
constitue à Digne une nouvelle organisation municipale,
et nous trouvons, à partir de cette
époque, une série de délibérations qui nous ont
été conservées par le notaire Denoize, dans ses
minutes, délibérations dont il fit plus tard une
copie, certifiée et signée par lui, qui fut annexée
au registre des délibérations de l'année 1630.
Grâces à ces documents qui nous ont été conservés
par un homme courageux et dévoué, qui
resta impassible dans son étude tant que dura
le fléau, nous pourrons suivre nos pères pendant
cette période remarquable qui s'étend du 5 octobre 1629 au 21 mars 1630, durant laquelle les
habitants de Digne, séquestrés dans leur ville,
furent obligés de subvenir tous seuls à leurs
besoins, isolés qu'ils étaient du reste dela province
par les arrêts rendus par le parlement
d'Aix.
L'assemblée du conseil nouvellement organisé
se tient le 5 octobre 1629, dans la maison de
Jean-Pierre-Bertrand Isoard, Sr de Feyssal,
premier consul subrogé et exerçant en cette qualité
les fonctions de viguier. La délibération dit
en termes exprès que cette assemblée a lieu suivant
lordonnance rendue ce jourdhuy par Monsieur
le lieutenant commissere. Ors ce lieutenant
commissaire n'est autre que M. le conseiller
d'Agut, délégué par l'arrêt de la cour et qui se
tient dans les environs de la ville, d'où il veille
sur tout ce qui peut intéresser les habitants. Par cette ordonnance, de nouveaux consuls
sont subrogés aux anciens, qui sont absents de
la ville. Ce sont MM. Bertrand de Feyssal, premier
consul, Jehan Dejanon, deuxième consul,
et André Besson, tiers consul.
La même ordonnance recompose le conseil
particulier, dans lequel viennent prendre place
Jean-Baptiste de Faucon sieur du Sauze, avocat
en la cour, François Jacques, apothicaire, capitaine
Pierre Brun, M° Bernardin Bain, praticien,
David de Lautaret, docteur en médecine,
Estienne Hellye, couturier, Pierre Chaussegros,
avocat en la cour, Barthélemy Autard, sieur de
Tauze, Jean Thome et Jean Deaudct, procureur
au siège de la ville de Digne. Tous ces nouveaux
conseillers sont déclarés subrogés aux membres
de l'ancien conseil, tous absents, soit par suite
de mort, soit par suite de désertion.
Le premier objet dont s'occupe le conseil,
n'eût été, dans des circonstances ordinaires,
qu'un acte de simple administration intérieure;
question la plus simple se complique étrangement.
On était alors, nous l'avons dit, au 5 octobre; le temps de la vendange était arrivé, et il s'agissait
de faire la cueillette des raisins, non-seulement
dans les vignes situées sur le territoire de
Digue, mais encore dans celles appartenant à
des habitants de la ville et situées sur le territoire
des communes voisines, de Courbons, des Sièyes,
de Gaubert, etc., bien plus nombreuses, bien
plus importantes que celles situées sur le terroir
de la commune, extrêmement limité.
Le parlement avait rendu un arrêt pour régler
l'ordre dans lequel devait se faire la vendange,
et prononçait des peines corporelles sévères
contre tous ceux qui, en y procédant, s'écarteraient
de la voie publique et vacqueraient à
d'autres soins que ceux de la vendange et de la
cueillette des fruits.
Cet arrêt avait frappé de terreur les habitants
des communes voisines, qui se voyaient menacés
de la présence et du contact de malheureux pestiférés,
qu'ils traquaient depuis plusieurs mois,
sons l'impression de la crainte qu'ils leur inspiraient.
Ils s'adressèrent au lieutenant commissaire,
M. le conseiller d'Agut, et le supplièrent
d'empêcher l'exécution de cet arrêt, offrant de
faire eux-même la vendange pour les habitants
de Digne, à leurs propres frais et dépens. M. le conseiller d'Agut, avant de mettre à
exécution l'arrêt de la cour du parlement, fit
connaître au conseil de la communauté les propositions
qui lui étaient faites; mais le conseil
tout entier demanda que l'arrêt du parlement
fût exécuté dans sa forme et teneur, et recommanda
expressément aux consuls de supplier
humblement à cet égard M. le lieutenant commissaire,
en le priant de leur communiquer une
expédition de cet arrêt et une copie de l'ordre
établi par lui pour la vendange.
Le conseil ordonne ensuite de faire dans toute
la ville des criées et proclamations pour faire
connaître les diverses inhibitions et défenses
portées par l'arrêt, et recommander aux habitants
de ne pas s'écarter des chemins publics et
de ne vaquer qu'à la vendange et à la cueillette
des fruits, sous peine de punition corporelle. Cette séance du 5 octobre se tint, comme nous
l'avons déjà dit, dans la maison du premier
consul subrogé, Bertrand Isoard de Feyssal. Il
en fut ainsi jusqu'au 5 octobre, où le conseil se
réunit dans le palais de justice, qu'on appelait
alors la maison du roi, et qui a été transformé
de nos jours en bibliothèque publique.
Les travaux de la vendange durent ne commencer
que quelque temps après cette séance
du conseil, et être retardés, par suite des difficultés
soulevées jusques vers le 15 octobre; mais
l'exécution de l'arrêt devait donner naissance à
des embarras qu'on n'avait pas d'abord prévus.
Parmi les vignes dont la récolte devait avoir
lieu, il y en avait un grand nombre qui, après la longue mortalité dont la ville de Digne avait été
affligée, appartenaient à des héritiers encore mineurs, ou dépendaient de successions vacantes.
On se demanda qui devait se charger en leur
nom de cette récolte pour leur en rendre compte
en temps et lieu. Était-ce à la communauté et
aux consuls à accepter une pareille responsabilité?
Ce rôle ne convenait-il pas mieux aux plus proches
parents des familles ainsi décimées ?
Les consuls ne voulurent rien faire sans consulter
le conseil particulier de la communauté,
et le 17 octobre, ils lui soumirent la question.
Le conseil, sans hésiter, ordonna que les plus
proches parents devraient se charger des fruits
des mineurs et des héritages vaeants, en les
obligeant à fournir bonne et suffisante caution.
On poussa même les précautions jusqu'à désigner
deux habitants pour faire la prisée des fruits ainsi
confiés aux parents.
Ce conseil fut tenu au moment où la vendange
occupait la plus grande partie de la ville, et nous
en trouvons la preuve dans la délibération elle même,
qui constate que si on n'a pas délibéré
autre chose, c'est à cause de la précipitation que
nécessitent les travaux de la vendange. Cependant, quoique pendant ce mois d'octobre,
et depuis la réorganisation de l'administration
communale, la ville de Digne paraisse,
à en juger par les deux premières délibérations
qui nous restent de cette époque, presque complètement
absorbée par les soins de la vendange,
les consuls subrogés devaient avoir d'autres
occupations non moins embarrassantes.
L'administration nouvelle récemment créée,
subrogée à l'ancienne, comme on disait alors,
par M. le conseiller d'Agut, avait pris en main
la direction de la cité dans des circonstances tout à
fait extraordinaires. Tous les services administratifs
se trouvaient désorganisés depuis plusieurs
mois: on ne faisait plus de recettes ; on ne pouvait
par conséquent guères faire face aux dépenses
; toutes les sources de revenus étaient
taries ; on n'avait pas pu songer à remplacer le
trésorier, dont les fonctions eussent été tout au
moins inutiles. D'un autre coté, toutes les mesures d'ordre
intérieur, de police communale, avaient été
partout abandonnées. Il fallait tout réorganiser,
et comme la ville se trouvait dans une position
exceptionnelle, il fallait recourir à des moyens
inusités.
La ville était bloquée, comme pendant la
peste, et les habitants ne pouvaient avoir aucune
communication avec le dehors. Les criées faites
au nom du lieutenant commissaire, ou en vertu
d'un arrêt du parlement, se faisaient sur le pont
de la Bléone, et les pauvres habitants étaient obligés,
pour l'entendre, de se presser à ses abords.
Les consuls subrogés, qui s'étaient dévoués
d'avance à combattre toutes les difficultés qui
pourraient surgir sous leurs pas, qui avaient le
coeur plein de courage et de patriotisme, et qui
voulaient retirer leur pays de l'état d'affreuse
détresse dans lequel il se trouvait, entreprirent
de ramener l'ordre au milieu de ce dédale, et se
mirent à l'oeuvre avec la plus grande énergie.
Mais, malgré toute leur bonne volonté, malgré
leur désir sincère de remédier au mal, ils ne
purent et ne durent songer qu'à une réorganisation
provisoire accommodée aux exigences de
la position extraordinaire dans laquelle la ville
gémissait. Il fallait, avant tout, obtenir du parlement
l'entrée qui était interdite et rentrer dans
les voies desquelles on était sorti. Une fois le conseil constitué, tous les fonctionnaires,
tous les serviteurs de la commune
furent renouvelés. Deux gardes du terroir furent
nommés par les consuls.
On renouvela la défense d'entrer et de sortir
de la ville sans avoir fait la quarantaine prescrite,
pour ne pas donner motif au parlement de retarder
indéfiniment cet arrêt d'entrée après
lequel tout le monde soupirait. Des criées et
proclamations furent faites à cet effet. On menaça
les habitants qui favoriseraient cette entrée.
Une patrouille qui parcourait la ville et de
jour et de nuit fut organisée.
Les diverses rêves qui pouvaient procurer quelques ressources et qui toutes avaient été
interrompues furent mises aux enchères, et on
avisa au rétablissement de la boucherie.
On permit aux habitants d'aller prendre du
bois dans la forêt de Feston, en se conformant
toutefois au règlement fait par un bureau établi
à cet effet qui délivrait à chaque chef de famille
des autorisations spéciales. Tout individu
qui serait allé dans la forêt, sans s'être conformé
aux prescriptions ordonnées était frappé de peines
sévères.
Nous ne suivrons pas les consuls de cette époque
au milieu des nombreux détails d'administration
qui durent les occuper, nous ne le pourrions
d'ailleurs que très difficilement, n'ayant
pas d'autre indication que les délibérations conseillères
dont nous avons parlé.
Mais le fait capital de cette époque, celui qui
domine les délibérations du conseil, c'est le fait de la purification générale dont nous aurons à
parler un peu longuement peut-être.
Ce fut le premier objet dont s'occupa M. le
conseiller d'Agut, lorsque la peste eut cessé, et
dès que l'administration municipale eût été réorganisée.
On ne pouvait pas rendre à la ville de
Digne le droit d'entrée et de circulation, sans
avoir procédé d'abord à une purification générale,
qui permît aux étrangers et aux habitants
qui l'avaient quittée d'y revenir sans crainte.
M. d'Agut envoya donc à Digne des parfumeurs
chargés de procéder à cette opération
importante. Ce fut un sieur Tablier de St. Alley,
qui y vint dans le courant du mois d'octobre:
il était accompagné d'un assez grand nombre
d'employés sous ses ordres.
Mais la ville ne voulut rien commencer sans
connaître à quelles conditions cette purification
serait faite, et quelle ne fut pas sa surprise,
quel ne fut pas son étonnement, lorsque M. de
St. Ailey, envoyé par le commissaire du parlement,
réclama pour son salaire et celui de ses
collègues 100 pistoles par mois et pour chacun, outre un écu par jour pour leurs aides,
somme à laquelle il évaluait leur dépense journalière. La ville s'émut en présence de pareilles prétentions
et le conseil s'assembla le 25 octobre
pour en délibérer.
On fut unanimement d'accord que la ville ne
pouvait pas subvenir à d'aussi fortes dépenses :
on trouvait d'ailleurs un moyen facile de faire
ce travail à bien meilleur marché.
Trois habitants de la ville, dont les connaissances
spéciales offraient toute sorte de garanties
, David de Lautaret, docteur en médecine,
François-Jacques, appothiaire et Jehan Dejanon,
l'un des consuls subrogés avaient proposé
de se charger de cette entreprise en fournissant
eux-mêmes toutes les drogues nécessaires, moyennant
6 écus par mois, ou 7 écus, s'ils étaient
obligés de faire venir le genièvre à leurs frais.
En l'état de cette offre, il n'y avait pas lieu à
hésiter, et le conseil décida unanimement qu'on supplierait humblement M. le conseiller d'Agut,
lieutenant et commissaire, de vouloir bien autoriser
la ville à accepter la proposition fàite par
les trois habitants de Digne, pour éviter à la
ville des frais auxquels, dans son état de détresse, elle serait dans l'impossibilité de subvenir,
et d'ordonner que les parfumeurs par lui
envoyés sortiraient de la ville, après avoir fait
toutefois la quarantaine exigée.
Cette demande fit hésiter M. le conseiller
d'Agut. Il était difficile d'imposer une lourde
charge sur une ville réduite à une extrême misère,
et cependant, d'un autre côté, il n'était
pas prudent de laisser exécuter par les habitants
de Digne eux-mêmes une mesure aussi importante
que celle de la purification.
Il fit annoncer aux consuls qu'il enverrait un
règlement sur l'ordre à suivre dans ce travail de
purification, sur la dépense qui devrait en résulter,
et sur la marche qui devrait être rigoureusement
suivie.
Le 11 novembre, il n'avait encore pris aucune détermination, et on attendait encore ce réglement
qu'il avait promis.
Dans la première séance de ce jour, le premier
consul subrogé, d'après les ordres sans doute du
lieutenant-commissaire, propose au conseil,
d'autoriser MM. Gaudin et Roux, qui sont en
dehors de la ville et peuvent parcourir le reste
de la Provence, à faire les emprunts nécessaires
pour assurer les travaux de purification. Mais le
conseil, tout d'une commune voix, demande
avant de prendre aucun engagement, communication
du règlement dressé par M. le lieutenant
commissaire, et des prescriptions des consuls
pour en assurer l'exécution. Le conseil ne veut
voter des fonds que lorsqu'il saura le chiffre des
dépenses qu'on lui impose.
Ce refus est dicté autant par le désir d'obtenir
de plus amples renseignements sur les réponse
à faire, que par la répugnance du conseil à
s'adresser aux anciens consuls. Cette répugnance
ressort déjà de cette délibération, et elle
se prononcera bientôt avec plus d'énergie.
Quoiqu'il en soit, ce règlement ne tarda pas à
être communiqué au conseil, suivant le désir qu'il
en avait exprimé. C'est le 13 novembre qu'il
en fut donné lecture, en plein conseil, et nous
regrettons de n'avoir pas été assez heureux pour
le retrouver dans les archives de la commune.
Dans ce même conseil, on donna aussi lecture
d'une sommation signifiée au nom de MM. Gaudin
et Boyer, consuls qui avaient quitté la ville,
et qui, quoique absents, se croyaient encore en
possession de l'autorité que leur assurait leur
charge. Ils demandaient que la purification fut
poussée avec célérité et diligence. Le conseil, sans se prononcer sur la sommation
faite par ses anciens consuls, fut obligé de se
soumettre à l'ordonnance rendue par le lieutenant-commissaire qui établissait l'ordre de la
purification. M. le conseiller d'Agut exigeait, à
la vérité, que les parfumeurs par lui envoyés
fussent employés à ce travail. Mais, en compensation,
les Consuls avaient obtenu qu'au lieu de faire
venir de nouveaux parfumeurs on accepterait
ceux qui se présentaient à Digne. On s'était même
empressé de traiter avec eux, et on avait d'avance
réduit leurs prétentions à de justes limites.
Les trois habitants de Digne qui s'étaient
proposés pour faire la purification à des conditions
si avantageuses pour la ville, étaient autorisés
à s'adjoindre deux hommes, comme le
sieur de St-Alley, pour les aider et assister. On
avait même obtenu d'adjoindre à ces parfumeurs
le prêtre Michel Massue, dont nous avons
déjà parlé, et qui était à Digne depuis le 3 août,
où il avait fait preuve de dévouement.
La purification devait être ainsi poussée activement
par cinq parfumeurs, dont un imposé
par le commissaire, et les quatre autres choisis
par les consuls.
Le conseil s'empressa d'approuver et de
recommander l'adoption de ce règlement, et autorisa,
à ces conditions, un emprunt de 500 écus,
pour payer la dépense. En même temps, il chargea tous les parfumeurs
désignés, de faire immédiatement un
rapport sur le mode d'exécution de ce nouveau
règlement, et de dresser un état indiquant l'ordre
à suivre, attendu que celui tracé par le
règlement de M. le lieutenant-commissaire serait
complètement inexécutable.
Ce rapport sera ensuite adressé sans retard à
M. le lieutenant qui devra lui donner son autorisation
et son approbation.
Le conseil charge en même temps les consuls
de demander à ce magistrat une ordonnance
qui permette d'ouvrir toutes les maisons, chambres et appartements, tant de ceux qui sont
présents dans la ville de Digne, que de ceux qui
sont absents, pour que toutes les maisons, sans
exception, puissent être parfumées et soumises
à la purification.
Il ordonne en outre que pendant cette opération
personne ne puisse entrer dans la ville sous
peine d'expulsion.
Telles sont les mesures ordonnées par le conseil
pour cette grande opération que le parlement
d'Aix avait déclarée indispensable et sans
laquelle la ville n'aurait pas obtenu l'entrée dont
elle était privée depuis si longtemps.
Le rapport des parfumeurs fut immédiatement
fait et adressé à M. le conseiller d'Agut
qui l'approuva. Le 23 novembre, le conseil s'assemble de nouveau, au moment où les travaux
doivent commencer, et prend quelques nouvelles
mesures que nous devons rappeler en peu de
mots.
Le 13 novembre le conseil avait fait défense à
toutes personnes se trouvant hors de la ville d'y
entrer sous peine d'expulsion. Cette défense atteignait
tous les malheureux dispersés dans
l'étendue du territoire de Digne, depuis qu'ils
y avaient été jetés en quarantaine. Quand ils
surent les mesures ordonnées, ils voulurent venir
veiller eux-mêmes à leurs intérêts et assister à
la purification de leurs maisons, et de tous les
côtés des réclamations furent adressées aux consuls.
Cette demande fut soumise au conseil le 23
novembre et on ordonna aussitôt sans hésiter,
que tous ceux qui s'étaient réfugiés dans le
territoire de Digne par suite de l'invasion de la
peste, pourraient y entrer, s'ils étaient sains et
bien portants, et qu'à cet effet ils seraient préalablement
visités par ceux que MM. les consuls
commettraient.
On ordonne de plus que personne ne pourra
entrer dans la ville, ni meubles, ni hardes, sans
les avoir soumis à une purification préalable,
qui se fera en les lavant dans une dissolution
d'eau et de vinaigre, et ce, sous peine de confiscation
et de vente de l'objet saisi, dont moitié applicable au dénonciateur, et moitié aux pauvres
de l'hôpital.
Le conseil commet ensuite des intendants,
pour veiller à ce que la purification se fasse conformément
au règlement, et à ce qu'elle ne produise
aucun désordre. Les consuls et MM. de
Lautaret, Jacques et Pierre Brun sont spécialement
chargés de ce soin. Nous ne nous expliquons
pas trop comment le médecin Lautaret et l'apothicaire Jacques, qui étaient eux-mêmes
chargés des opérations de la purification, pouvaient
être à la fois choisis pour intendants. Mais
au XVIIe siècle, on pouvait être moins rigoriste
qu'aujourd'hui.
Enfin le conseil ratifie un emprunt de 400 écus
contracté par les consuls, et commet Antoine
Taxil pour peser le genièvre qui sera apporté
pour la purification.
La purification devait faire faire une grande
consommation de genièvre, et les consuls avaient
consenti des prix faits avec un individu qui était
chargé d'en apporter à Digne la quantité nécessaire
et avec un autre individu chargé de le
concassser. Le conseil ratifie aussi ces deux
actes.
C'est à partir de cette époque que la purificalion commença. Toutes les maisons y furent
soumises: l'absence du propriétaire n'était pas
un empêchement; et tous les objets mobiliers
furent impitoyablement trempés dans le parfum
purificateur.
Le genièvre entrait dans la composition de ce
parfum, qu'on appelait vulgairement parfum
doux. Ce parfum n'était pas le seul ingrédient de
la substance destinée à la purification. Nous
avons trouvé une note qui nous en a fait comprendre
la composition.
On mêlait ensemble quatre pots de vinaigre,
une livre de parfum doux, une livre d'alun et
une livre de soufre.
On passait une couche de cette liqueur sur les
murs intérieurs des maisons, sur les plafonds et
les planchers. On en induisait les tables, chaises
et autres meubles meublants; et on y trempait
ensuite tout ce qui devait subir l'opération de la
purification.
Nous avons retrouvé quelques inventaires
dressés par suite de cette opération dans diverses
maisons de la ville, et ils offrent des détails assez
singuliers (1),
(1) Inventere des meubles que les parfumeurs ont sorty de la
maison de Jehan Gautier.
Premièrement deux aux de chausses gris.
Plus deux mauvaises bissaches.
Plus deux robes de femme lune grise et lautre noire.
Plus deux robes de clerson lune rouge et lautre noire.
Plus une chemisolle de femme grise.
Plus une autre robe rouge.
Plus ung corps de femmejaulne.
Plus ung sac pour traversier.
Plus ung pourpoinet dhomme.
Inventere des meubles que les parfumeurs ont sorty de la
maison d'Henry Giraud.
Premièrement ung cortinage consistant en trois rideaux
son entour avec la frange.
Plus quatre linceuils.
Plus trois chemises deux dhomme et une de femme.
Plus une besasse.
Plus ung mattelas et son traversier de leyne.
Plus trois chemises deux de femme et une dhomme.
Plus ungcouttillon de femme gris.
Plus une chemisolledhomme blanche.
Plus un pourpoinet de femmenoir.
Plus une liasse.
Plus une tricousse dhomme.
Plus une serviette.
Plus une couverte de peyn noire.
Plus ung mauvais sacà tenir bled.
Plus un autre sac.
Plus deux couvertes de lict blanches lune bonne et lautre
mauvaise.
Plus quatre piasses.
Plus une bissache.
Ces opérations de la purification durèrent jusques vers le milieu de janvier 1630. Lorsqu'elles furent terminées, le conseil chargea les parfumeurs de faire un rapport sur l'état, qualité et quantité des drogues pour la purification envoyées d'Aix par le consul Gaudin et le greffier de la communauté. C'était le 17 janvier que le conseil faisait cette ordonnance, et dès le 26, il prescrivait aux consuls de pourvoir à la quarantaine des parfumeurs et de traiter avec eux des vacations qui leur étaient dues. Cependant quelques difficultés s'élevèrent pour la fixation du salaire et des vacations du sieur de St.Alley, qui demandait plus de 1200 écus. On transigea avec lui en lui payant un solde de 250 écus, et le 7 février 1630, le conseil ratifia ce marché des consuls. Le conseil vota en même temps un nouvel emprunt, tant pour solder les dépenses de la purification que pour les autres besoins de la commune. Nous avons été forcés, pour achever de raconter tout ce qui concernait la purification de pousser notre récit jusqu'au mois de février. Nous devons maintenant revenir un instant sur nos pas, pour faire connaîre un fait qui ne nous est révélé que par Gassendi, et dont nous avons vainement cherché des traces dans nos archives. Laissons parler Gassendi :
Mais il est temps d'en finir: la ville se trouva délivrée de ce fléau dans le courant du mois d'octobre et de novembre, et on songea à la désinfecter en la nettoyant avec attention. D'un autre coté, comme les soldats commis à la garde de la ville se conduisaient insolemment (au commencement de décembre un citoyen fut frappé par eux et devint leur victime), les habitants qui étaient restés dans la ville, et ceux qui depuis y étaient revenus, formèrent le complot de les expulser de la ville: ce qui fut effectué; quelques-uns de ces soldats furent tués, les autres mis en fuite, et les habitants ne voulurent plus souffrir qu'on envoyât une garde nouvelle. C'est alors qu'en faisant le dénombrement de ceux qui avaient échappé au fléau, soit dans la ville, soit dans la campagne, on ne trouva plus que quinze cents âmes; et dans ce nombre, plus de femmes que d'hommes; plus de vieillards que de jeunes gens : sur ces quinze cents, cinq ou six tout au plus n'avaient pas été atteints par la maladie. Inutile de rappeler ici que la liberté de circulation ne fut rendue aux habitants de Digne par un nouvel arrêt de la cour que vers les fêtes de Pâques, sur la fin du mois d'avril suivant. Inutile aussi de rappeler que lorsque, dix-huit mois après, la peste fondit pour la seconde fois sur la ville, tous les habitants s'empressèrent de fuir au loin: aussi n'en périt-il guère plus de cent, et encore tous ceux qui en furent victimes étaient-ils tous nouvellement fixés à Digne. Une chose remarquable , c'est qu'aucun de ceux qui avaient eu la première maladie, n'en fût atteint à la seconde invasion.
Nous aurons à parler dans notre troisième
partie de la seconde invasion de la peste qui
n'eut lieu que vers le milieu de l'année 1631.
Nous devons seulement faire observer ici que
la cessation du fléau que Gassendi ne fixe que
dans le courant d'octobre et de novembre, est
indiquée par les registres de nos archives et par
les délibérations conseillères à l'époque précise
du 27 septembre.
Nous aurons aussi à nous occuper de l'entrée
de la ville ordonnée par l'arrêt du parlement que cite Gassendi et qui fut rendu à Pertuis le
20 février 1630.
Les formalités de la purification, ordonnées par le parlement et dirigées par M. le conseiller
d'Agut, avaient entraîné beaucoup de longueurs
et de retards, et la ville était impatiente de sortir
de cet état de séquestration et d'ilotisme dans
lequel on la tenait depuis la cessation du fléau.
Aussi, un grand nombre d'habitants, sans s'arrêter
aux sévères défenses qui leur étaient faites,
et que les consuls faisaient exécuter dans la
seule crainte que ces infractions ne causassent
de nouveaux motifs de délai, franchissaient-ils
fréquemment les barrières et allaient-ils, dès
qu'ils le pouvaient, visiter dans les communes
environnantes, des Sieyes, de Courbons, de Gaubert,
leurs propriétés depuis si longtemps abandonnées.
Ce sentiment intime, l'amour de la
propriété, si vif encore aujourd'hui chez beaucoup
de natures, devait à cette époque être bien
plus intense encore.
Dans sa séance du 2 janvier, le conseil arrête
que de nouvelles inhibitions et défenses seront
faites à toute sorte de personnes , de quelque
condition qu'elles soient, de franchir les barrières,
et ce, sous peine d'une amende de cent
livres et de punition exemplaire. Le conseil ordonne,
en outre, de faire inhibition et défense
aux habitants des villages voisins de s'introduire dans la ville, sous peine de la vie et de confiscation
des meubles et hardes qu'ils y apporteront.
Pour assurer l'exécution de ces ordonnances,
les conseils devront placer un plus grand nombre
de gardes aux barrières, et les habitants seront
appelés, par voie de capage, à la garde des
portes de la cilé.
Ces prescriptions sont renouvellées à chaque
conseil. Les délibérations des 17 et 28 janvier,
les seules qui aient été, avec celle du 2, tenues
pendant ce mois, les contiennent également.
On dirait que le conseil craint toujours que la violation des ordres transmis par le lieutenant
commissaire, n'ajourne indéfiniment le retour
de la ville à un état de choses plus normal que
celui dans lequel elle gémit et s'étreint.
C'est à peu près vers cette époque, que
commence une lutte intéressante dans sa cause,
intéressante dans ses résultats, qui ne doit ici
nous arrêter qu'un instant, mais qui se prolongea
pendant quelques années et que nous suivrons
jusqu'à la fin, en poursuivant nos études
sur la peste.
On sait déjà que les consuls qui se trouvaient
à la tête de l'administration communale, au
moment du fléau, avaient déserté la ville, dès le
26 juillet, et l'avaient laissée sans direction:
c'étaient notamment le premier consul Gaudin,
et le deuxième consul Jehan Boyer, receveur du
domaine royal. Nous n'avons plus retrouvé de
traces d'André Meynier, tiers consul qui probablement
était mort, victime peut-être du fléau.
Ces trois consuls avaient été nommés, lors de
la création du nouvel Etat, le 24 mars précédent,
de l'année 1629. Suivant les règlements
communaux, et en l'absence de toute sentence
et de toute décision du parlement sur ce point,
et malgré la nomination de consuls subrogés
faite par l'ordonnance du 5 octobre de M. le
conseiller d'Agut, ils se considéraient comme
encore légalement revêtus de leur charge, et comme les seuls et légitimes représentants et
consuls de la ville de Digne.
Ils se trouvaient en ce moment en la ville
d'Aix, où ils s'étaient réfugiés, et quand ils crurent
qu'ils pouvaient rentrer dans la ville sans
danger, ils voulurent reprendre leurs fonctions,
et s'adressèrent, en leur qualité de consuls de
Digne, au parlement de Provence, siégeant
alors à Pertuis, qui rendit quelques arrêts que
nous ne connaissons malheureusement pas, et
dans lesquels, sans aucun doute, il accueillait
leurs demandes au nom de la ville de Digne.
Le consul Gaudin, tout fier d'être reconnu
par le parlement, comme premier consul et représentant
de la ville de Digne, s'empressa d'accourir,
et quoiqu'il ne put pas franchir les barrières,
il fit signifier ces arrêts aux consuls subrogés,
pour prendre acte de la reconnaissance
de ses droits faite par la cour.
Cette signification fit à Digne une profonde
sensation. Le conseil fut aussitôt assemblé : c'était
le 17 janvier 1630, et le premier consul
subrogé, M. Ysoard de Feyssal, fit part au
conseil de ce qui se passait.
Il lui exposa, ou pour nous servir de l'expression
alors consacrée, il lui représenta que des
personnes qui navoint aulcung pouvoir ny charge
de la ville, avaient à l'insu de la communauté,
poursuivi et obtenu des arrêts du parlement de Provence. Il proposa, en conséquence,
d'envoyer auprès de la cour une députation spéciale
pour faire valoir les droits de la commune.
Le conseil tout entier ordonne aussitôt qu'on
désavoue expressément tout ce qui a été ainsi
fait à l'insu de la ville, soit pour obtenir des
arrêts, soit dans tout autre but; et que M° Bouche,
procureur à Aix, du ministère duquel on
s'est servi, soit formellement désavoué comme
procureur de la communauté. Le conseil exprime
en outre la volonté que toutes poursuites ne
puissent être faites que par la personne commise
et spécialement députée par lui , qui devra
employer le ministère de Me Gardet, procureur
ordinaire de la communauté et à son défaut
Me Niel. Le député de la ville devra en même temps
supplier instamment les membres du parlement
et le lieutenant du grand sénéchal à Digne, de
décider franchement quels sont les consuls qui
doivent conserver J'administration de la ville.
Sera-ce les consuls subrogés nommés et institués
par M. le conseiller d'Agut, pendant la peste?
Ou bien les consuls nommés lors de la création
du nouvel état et qui ont abondonné la ville à
cause de la contagion? Les habitants de Digne ne
peuvent pas raisonnablement être tenus d'obéir
à plus de trois consuls. D'ailleurs, observe le conseil,
les consuls absents de la ville ne peuvent
leur être d'aucune utilité, et leurs prétentions
ne font naître dans la ville que désordre et confusion.
Au reste, la ville et ses habitants ne désirent
pas d'autres consuls que ceux qui ont été
institués par M. le conseiller d'Agut. Le conseil députe ensuite M° Jean Chaussegros,
procureur près la ville de Digne, qui n avait
pas quitté son pays, et qui, pendant le fléau,
lui avait rendu tous les services d'un bon citoyen.
C'était lui, au reste, qui avait fait aux prétentions
des anciens consuls, l'opposition la plus vigoureuse,
et qui s'était hautement prononcé contre
elles. Il n'était pas au conseil, mais son zèle était
connu. Nous aurons à parler de lui plus d'une
fois encore, car au mois de mars suivant, il fut
nommé premier consul, et c'est à son activité et
à son intelligence, que la ville dût, en grande
partie, l'atténuation des maux qu'elle avait soufferts. Dès que le conseil fut terminé, le greffier,
c'était toujours le notaire Denoize, se transporta
à la barrière du grand pont ou du pont de Bléone;
et là, signifia à Me Jehan Gaudin , et Roux
Dallyeis qu'il trouva à la barrière , un extrait de
cette délibération.
Puis il en fit faire une criée sur le pont, à
haute et intelligible voix, et dressa acte du tout,
en présence de l'le Samuel Taxil, chanoine;
Antoine Taxil, son frère, et Blaise Francoul,
marchand.
Le notaire déclare en outre que M° Gaudin et
Roux Dallyeis qui étaient présents, mais de
l'autre côté de la barrière, n'ont pas pu signer,
parce qu'ils n'ont pas osé s'approcher. M° Jehan Chaussegros accepta la mission dont le conseil l'avait chargé, et dans la séance du 28
janvier suivant, sa députalion fut confirmée de
nouveau , et on le pria, en outre, attendu que
la purification de la ville était complète, de poursuivre
auprès du parlement la mise en quarantaine
de la ville de Digne, pour qu'elle pût obtenir
enfin la liberté de circulation dont elle était
depuis si longtemps privée.
Le conseil revint en même temps sur les
questions soulevées au précédent conseil et les
recommanda expressément au député choisi.
Me Chaussegros partit aussitôt pour Aix, après
une quarantaine sans doute, et il s'acquitta avec
un entier succès, de la mission qui lui avait été
confiée. Nous ne savons pas de quelle manière
il fit repousser les prétentions des anciens consuls;
mais ce qu'il ya de certain , c'est qu'ils ne reprirent pas leur charge, et que les consuls
subrogés restèrent en fonctions jusqu'à la rentrée
et à la création du nouvel état.
Relativement à la demande de la quarantaine,
il obtint, le 20 février 1630 un arrêt, qui mit la
ville de Digne en quarantaine, et en fixa la fin
au 22 du mois de mars suivant, pour compléter
le délai de trente jours.
Dès qu'il eut obtenu cet arrêt qui devait combler
les voeux de ses concitoyens, il s'empressa
sans doute d'en transmettre la nouvelle, et revint
à Digne avec un extrait dudit arrêt.
Mais à peine arrivé à Digne, on dût songer
à l'exécuter. M. le conseiller de St.Marc, avait
été nommé commissaire pour donner l'entrée à
la ville de Digne: il fallait lui envoyer un député,
et lui présenter requête de remplir la charge qui
lui avait été donnée.
Le conseil s'assembla le 2 mars: il députa de
nouveau Me Jehan Chaussegros pour se rendre
à Pertuis auprès du conseiller-commissaire, et
poursuivre jusqu'au bout l'exécution de l'arrêt. Il vota en même temps un emprut de 600 écus
pour faire face aux dépenses que l'entrée
et les autres affaires de la ville devaient occasionner.
Pendant que Me Jehan Chaussegros faisait son
voyage, la ville était encore en proie à des embarras
difficiles à prévenir.
Le blé commençait à manquer et on craignait
une disette. Le conseil en fut informé par les
consuls et dut ordonner des mesures pour y
pourvoir.
Par une ordonnance du 28 janvier, il commet les consuls Dejanon et Besson, le sieur du Sauze,
Pierre Jacques, le chanoine Taxil, le sieur de la
Peyrière, receveur des domaines et le sieur Devalvyer,
pour faire la visite et perquisition des
blés qui se trouvent dans la ville, et pour en
acheter toutes les quantités qu'il pourront en
découvrir, prélèvement fait toutefois de la provision
nécessaire à chaque famille jusqu'à la
prochaine récolte.
Il députe en même temps un des consuls avec
le capitaine Pierre Chaud et Esprit Alleyer, pour
qu'ils aillent à Beynes traiter avec Isnard Augier
du prix de cent charges de blé qu'il offre de céder
à la commune.Le conseil revient ensuite sur la défense d'entrer
dans la ville à cause de la présence de la
peste dans les environs.
Les consuls devront chercher également des
bouchers pour assurer la consommation des habitants.
Dans sa séance du 2 mars, le conseil fait un
acte de charité en donnant deux écus à deux
habitants qui se trouvent réduits à la plus extrême
misère.
Il ordonne, pour se créer quelques ressources,
la vente du sel déposé dans la maison commune. Une question de préséance, soulevée par le
procureur du roi près le siège de Digne, qui
demande à entrer dans le conseil secret pour la
création du nouvel état, ou renouvellement des
officiers municipaux, est ajournée au temps où
la ville aura repris son ancien état.
Le conseil réorganise ensuite le bureau de
santé qui avait été formé avant l'invasion de la
peste, et qui avait disparu au milieu du désordre
causé par le fléau. Il nomme membres du bureau
: les consuls, le sieur de Lautaret, le chanoine
Taxil, l'avocat Hesmivy, Jacques Frédéric,
Me Charambon, le sieur de Lapeyrière,
receveur des dixmes, le capitaine Pierre Chaud,
et les autorise à délibérer et à rendre des ordonnances,
pourvu que leur réunion soit composée
de la moitié au moins des membres nommés. Enfui, le conseil dans sa séance du 15 mars,
approuve la mise aux enchères de la boucherie.
Les consuls exposent que quelques bouchers ont
offert de fournir la viande de mouton à deux
sous et demi la livre, et celle de boeuf, à deux
sous. Le conseil décide qu'on procèdera aux
enchères à des conditions moins exagérées. On
laisse le prix du mouton à deux sous et demi,
mais le prix du boeuf est réduit à sept liards.
Les bouchers devront en outre céder toute la
graisse qu'ils obtiendront au fabricant de chandelles
de la ville , au prix de cinq écus les
quarante kilogrammes, ou comme disaient nos
pères, le quintal, et même à quatre écus et demi
si la chose est possible. On nous pardonnera d'entrer dans ces minutieux
détails, qui, au premier abord, n'ont, aucune
importance, mais qui servent à comprendre
la physionomie de cette époque.
On apprit bientôt que M. le conseiller de St.
Marc approchait de Digne. Le 26 mars, on
sut son arrivée aux Mées. Le 27, il vint descendre
au moulin de Courbons, et procéda à
l'audition de nombreux témoins, pour constater
l'état de santé de la ville. Le soir, il se retira aux
Sièyes, où il fut retenu tout le jour par la grande
quantité de neige qui était tombée pendant la
nuit, et qui empêcha les officiers royaux et les
consuls de se rendre le matin auprès de lui.
Au reste, nous n'essayerons pas de raconter
la venue à Digne du commissaire délégué. Nous
aimons mieux transcrire en entier le procès-verbal
de ses opérations, que nous avons retrouvé
dans les registres des délibérations de la commune, et qui est une pièce assez curieuse pour
trouver ici sa place, malgré sa longueur.
PROCÊS-VERBAL DRESSÉ PAR M. LE CONSEILLERDE SAINT-MARC
Scavoir faisons Nous François de St-Marc, conseilher du royen sa cour de parlement de Provence, que par arrest de la cour en la chambre establie a la ville de Pertuys a cause de la malladye contagieuse dont la ville d'Aix se trouve affligee, du vingtiesme febvrier 1630, donne sur la requeste presentee a la cour par les consulz et communaulte de la ville de Digne, ladicte cour auroit mis lesdicts consulz et communaulte manans et habitans dudict Digne en quarantaine de santé laquelle finiroit le 22e du presant moys de mars, auquel jour lentree leur seroit par nous donnee et qua ces fins nous acheminerions sur les lieulx et y procéderions suivant le reglement general faict par ladicte cour et pourvoirions aux ordres necesseres consernant ladicte santé, le tout aux despans de ladicte communaulte , en execution duquel arrest, a la réquisition de Me Jean Chaussegros, enquesteur au siege dudict Digne, depputte de ladicte communaulte serions ce jourd'hui judy accompagne de Jean Dupuy audiencier en ladicte vingt-uniesme mars 1630 partis de la ville de Pertuys cour nostre greffier et de Louys Gonde, un des archers du prévost, et ailes coucher a la ville de Manosque et louge au lougis ou pand pour enseigne St-Marc, 22 mars. Du lendemain vendredy 22e dudict mois sommes partis dudict Manosque en compagnie de Me. Jean Lombard, advocat du roy au siege de Forcalquier substitut de M. le procureur general du roy en la cour lequel nous avions assigne audict jour et lieu, et alles coucher a la ville des Mees et loge au logis ou pend pour enseigne le Cheval Blanc.
23 mars.
Du samedy 23 dudict moys aux Mees, en exécution
dudict arrest, ledict Me Jchan Lombard, en
ladicte quallite nous a requis quil soit par nous sommeremant
informe sur la santé des habitans de
ladicte ville et a ces fins quil nous plaise laxer ajournemant
contre les consulz et deux des aparans des
villes et lieux voisins dudict Digne et en absence
desdicts consuls les consuls vieux pour estrc ouys sur
la santé desdicts habitans pour ladicte informacion
faicte et a luy communiquée y conclure ce que de
raison.
Et nous conseilher et commissere avons ordonne
que les consulz des lieux de Sieyes, Champtercier,
Courbons, Thouard, Du Chaffaultet du Brusquet, et
en leur absence les consulz vieux ensemble deux
des plus aparans desdictz lieux seroient adjournes
par-devant nous audict Mees et audict lougis du
Cheval Blanc, au vingt-quatriesme du courant et
aultres jours lieux et heures pour estre ouys moyenant
sermant sur la santé des habitans de ladicte ville de
Digne et a ces fins que lettres seront ex pediees.
Laquelle commission a este expediee a Monet
Trompet huissier en ladicte cour quy nous a aussy
accompagne pour une aultre commission.
Dudict jour ledict Me Lombard en ladicte quallite,
nous a produict les tesmoingz suivantz pour estre ouys
sur le faict de ladicte santé, qui sont : Pierre De Villeneufve sieur Despinouse, âgé de 71
ans;
Jehan Esmiol , lieut. de juge, du lieu de Champtercier,
âgé de 55 ans;
M°Melchion Tourniaire, notaire royal, du lieu de
Courbons, âgé denviron 30 ans;
Laquelle information est à un cayer à part.
24 mars.
Du dimanche 24 dudict mars, jour des Rameaux, avons supercede pour nestre les tesmoingz assignes arri ves en ce lieu.
25 mars.
Du 25 dudict moys, lundy, jour de lannonciation Nostre Dame, avons ouy en tesmoing sur le faict de ladicte santé, audict cayer, Anthoine Estiblie, marchant et segond consul dudict lieu de Thoard, âgé de 55 ans. Anthoine Giraud, mesnager , dernier consul du lieu de Thoard, âgé denviron 50 ans. Anthoine Marrot, notere dudict lieu de Thoard , âgé de 37 ans. Pierre de Barras, conseigneur dudict Thoard, escuyer de Mollane, âge de 63 ans. Me Esprit Aubert, notere et greffier du lieu de Champtercier, âgé de 50 ans. Jehan Bondoul, travailleur et premier consul du lieu de Champtercier, âgé de 50 ans. Jehan Chauvin travailleur et consul du lieu de Champtercier, âgé de 42 ans. Honnore Riquet Beaussier, habitant au lieu des Sieyes, âgé de 30 ans. Mathieu Jauffret , hoste du logis des Sieyes, premier consul dudict lieu, âgé d'environ 40 ans. Pierre Besson , mesnager et consul des Sieyes, âgé de 60 ans.
26 mars.
Du mardy, 26 dudict mois, au lieu que dessus, avons ouy en tesmoing sur le fait de ladicte santé audict cayer, Jacques Gailhard, premier consul dudict lieu de Thoard, âge de 55 ans Jehan Gaubert, premier consul du lieu de Courbons, âgé de 72 ans, Elzias Meynier, segond consul du lieu de Courbons, âgé de 32 ans. Pierre Pierre Isnard, mesnager de Courbons, âgé de 34 ans. Bernardin Nicolas, lieutenant du siege du lieu du Chaffault, âgé de 55 ans. Anthoine Augier, de Mezel, habitant au Chaffault, âge de 39 ans. Jehan Anthoine Blanc, premier consul du lieu du Chaffault, âge de 60 ans. Jacques Autric, mesnager et consul du lieu du Chaffault, âgé de 37 ans Scipion Roit, bourgeois du lieu du Brusquet, âgé de 58 ans ou environ. Michel Fabre, mesnager, du lieu du Brusquet, âgé de 70 ans. Rambaud Estays, bourgeois du lieu du Brusquet, age denviron 45 ans.
27 mars
Du mercredy, 27 dudict mois sommes partis dudict Mees et alles a la barriere du pent de Digne ou estant ledict M°Lombard, en ladicte qualicte, nous a requis vouloir continuer nostre informacion et procéder a laudition des consulz modernes, chirurgiens, appoticaires, relligieux et prestres de l'Eglise cathédrale de ladicte ville et aultres quy se sont retires dans icelles despuis deux ou trois mois en ça. Et nous Conseilher et commissere avons ordonne quen continuant nostre information sera par nous procede a laudition des consulz modernes, chirurgiens, appoticaires, religieux et prestres de lEglise cathedralle dudict Digne ensemble des principaux de ladicte ville et aultres quy se sont retires dans icelle despuis deux ou trois mois en ça et a ces fins sommes entres dans ledict mollin de Courbons ou estans avons faict venir pardevers nous et a une distance proportionnée les tesmoings suivans lesquelz avons ouys moyenant sermant sur le faict de ladicte santé estant audict cayer que sont: Jehan Pierre Bertrand d'Ysoard sieur de Feyssal, premier consul subroge de ladicte communaulte de la ville de Digne aage de 40 ans ou environ. Jehan Louys de Jeannon, appoticaire et segond consul subroge de ladicte ville, aage de 29 ans. Andre Besson dernier consul subroge de ladicte ville de Digne, aage denviron 60 ans. Frere Marcial, prestre et religieux de lcrdre des Recolles du couvent de ladicte ville de Digne, aage denviron 42 ans. M° Blaze Ausset, prevost en leglise cathedrale de ladicte ville de Digne, aage de 70 ans. M° Sauveur Taxil chanoine en ladicte Eglise, aage denviron 56 ans. Frère Allexy Michel, natif de Salon, gardien du couvent des cordelliers dudict Digne, aage de 28 ans. M° Elzias Camalle, natif du lieu de St.Vallier, cure en lEglise cathedrale de ladicte ville de Digue, aage denviron 53 ans. M° David de Lautaret, medecin de ladicte ville de Digne, aage denviron 38 ans. Jehan Baptiste de Glandeves sieur du Puy-Michel, aage de 22 ans. M° Honnore Reboul sieur de Lambert, advocat au siege de Digne, aage de 43 ans. Anthoine Roux sieur de la Perusse, escuver de ladicte ville de Digne, aage denviron 23 ans. M°Michel Massue prestre du dioceze dAurans en Normandie, aage denviron 33 ans. Tous lesquels tesmoingz nont signe leurs dépositions attendu quils sortoint de ladicte ville de Digne a laquelle navons encor donne lentree les ayant nous toutes signees pour vallider et donner plus de force et dauthorite a nostre procédure et ce en presence desdicts tesmoingz. Et ce faict attandu lheure tarde sommes partis dudict mollin de Courbons, duquel nous avons veu y faisant nostre procédure tout le peuple tant hommes que femmes et petits enfans, personnes de quallite et aultres lesquels estoient tous sortis de la ville a nostre arrivee et demeuroient tous dessus le pont ou le long de la riviere et dans les prairies pendant que nous travailhions estant tres tous en tres bonne santé leurs visages bons et assures et nayant sceu remarquer aulcuns quelque soin que y ayons aporie ny de ceulx que particulièremant avons ouïs en tesmoins quy eust visage ny marque de mallade, et nous sommes retires au lieu des Sieyes ou avons couche ayantz donne assignation au lieutenant et officiers dudict Sieyes de se rendre a nous audict lieu des Sieyes le landemain matin 28 dudict mois pour recepvoir de nous les ordres que jugerions estre necesseres pour estre mieux assures de la santé de ladicte ville.
28 mars.
Auquel jour 28 a cause des grandes pluyes et
neiges lesdictz ofifciers ne peurent nous joindre audict
Sieyes que jusques sur les trois heures appres
midy a laquelle heure M. Gaspard Castagny, lieutenant
particulier, M.de Verdaches, lieutenant des
submissions et M. Estienne Aubert Jausiers, advocat
du roy audict siege estant arrives au pres de nous et
en absence de M. Charles deTabaret sieur du Chaffault,
lieutenant principal, lequel a cause du mauvais
temps nestoit peu venir vers nous, avonsexpedie"
audict M° Jausiers, advocat du roy un extraict de
nostre ordonnance, la teneur de laquelle s'ensuit
Nous conseiller et commissaire suivant la delliberation
faicte par la cour du vingtiesme de ce mois
avons enjoinet et enjougnons aux ofifciers du siege
et ressort de la ville de Digne entrer dans icelle y
fere et exercer la fonction de leurs charges pour en
appres nous informer de leur propre bouche de
lestat et santé de ladicte ville et nous advenir au
vray de tousles ordres quon y aura observe despuis
lestablissement de leurs quarantaines tant pour la
purillication dicelle des maisons particulières et meubles
que y sont dedans ouverture des sécrétés , que
des malladies et morts que y sont arrivées et la quallite
dicelles despuis le temps des quarantaines donnees
et ce suivant la perquisition et recherche qui
en pourra le plus exactement estre faicte tant pour
la plus grande assurance de ladicte ville et aultres
lieux de ce ressort que généralement de toute la province, pource faict et ouy le raport que nous sera
faict par lesdictz otliciers de tout ce que dessus estre
par nous, pourveu a lentree de ladicte ville et habitans
dicelle contormemant aux arrest et reglemantz
de la cour.
Et ce faict avons epjoinct audict MeJausiers estant
dans la ville de Digne denvoyer querir ledict M° de
Tabaret, lieutenant principal, pour mettre en exécution
nostre dicte ordonnance par tout demain 29
dudict moys, comme aussy luy avons remis le dénombrement
des habitans de ladicte ville quy feust
faict lhors de lestablissemant desdictes quarantaines
pour procéder ensemblement avec lesdicts olïiciers a
la verillication dicelluy et nous dire la verite sy le
nombre des personnes contenues audict dénombrement
y est conforme dresser verbal de tout ce que
dessus ensemblement des personnes quy manqueront
dans ladicte ville dudict dénombrement soit par
mort malladye ou absance, nous en exprimer les
causes particulieres, pour en appres procédant nous
a lentrce desdits habitans en entrant dans ladicte
ville le trantiesme du presant moys jour du samedy
sainct, sil plaict a Dieu, nous puissions verifier le
contenu audict verbal et entrer dans ladicte ville
avec plus dassurance et ensuite de ce les susdictz
olïiciers se sont retires dans ladicte ville de Digne
nous ayant ledict Jausiers dict qui! satisferoit a nos
ordonnances.
29 mars.
Et advenant le vendredy sainct 29e dudict mois sur les cinq heures du soir sont venus audict lieu des Sieyes ledict Me de Thabaret, lieutenant principal, Castagny, lieutenant particulier, et Jausiers, advocat du roi, nous advertir comme ilz avoiut entieremant satisflaict a nostre dicte ordonnance tant pour la purification de ladicte ville eglizes maisons particulières, meubles, ouvertures des secrettes ayant pour raison de ce faict une sommaire information, laquelle nous ont remise a laquelle il resulte de la bonne et parfaite santé quy est dans ladicte ville, comme aussy ils ont remis un verbal contenant la vérification des personnes quy sont contenues au desnombremant par lequel il appert ny manquer que dix ou douze hommes que sont a la guerre despuis un mois ou deux ainsy que les cousulz leur ont assure, et trois ou quatre personnes mortes de malladie ordinaire ainsy que a appareu de raportz faictz par les medecins, et nayant peu nous procéder audict denombremant a cause de la grande quantité de neige quil treuva et que dailleurs lesdictz oiffciers avoient cougnaissance particulière des personnes contenues auxdictz denombremants, et ce faict lesdictz de Tabaret, Castagny et Jausiers se sont retires en ladicte ville a Digne et luy avons donne assignation a demain trantiesme de ce moys jour de samedy sainct a huit heures de matin de se trouver audict lieu des Sieyes pour nous accompaigner en ladicte ville de Digne dans laquelle nous fesions estat dentrer pour procéder a lentiere execution de l'arrest de nostre commission dudict jour 20e febvrier 1630.
30 mars.
Et du landemain jour de samedy saint sommes partis a huit heures de matin du lieu des Sieyes en compagnye de M°Jean Lombard, substitut de M. le procureur general du roy, de Jean Dupuy nostre grefifer, MeJean Gaudin, advocat au Siege de Digne, Trompet, huissier en la cour, Pierre Darbes audietlcier criminel et deux des archers du prevost pour aller en la ville de Digne y donner libre entree aux habitans dicelle suivant larrest, et a un quart de lieue dudict Sieyes et tout contre la ville de Digne auons heu en rencontre tous les officiers dudict siege, consulx et principaux habitans de ladicte ville, lesquels navoint sceu partir plustot pour nous venir treuver a cause de la quantite de nege quil treuveraient et encores parce que nous avions devance lheure de ladicte assignation et de ceste facon sommes entres dans ladicte ville avec un grand esplaudissement et contentement de tout le peuple, et sommes aile dessandre a la maison dudict M. de Thabaret, et une heure appres en compagnye desdictz otliciers consulx et principaux de ladicte ville sommes ailes a lEglize catliedralle de ladicte ville pour ou yrtonice et faire chanter un Te Deum laudamus et rendre graces a Dieu de lentree et santé de ladicte ville, et en appres nous sommes retires en la maison dudict sieur de Thabaret pour y disner, et incontinant appres disner sont comparus par-devant nous, Jean Pierre Bertrand Isoard sieur de Feyssal, Jean Louys de Jeanon appoticaire et Andre Besson, consulz subroges en ladicte ville de Digne pendant la malladie contagieuse et aultres principaux, lesquels nous ont requis en présence dudict M° Lombard substitut dudict sieur procureur général du roy, quattandu que la santé est tres bonne despuis six a sept mois dans ladicte ville et que nous y sommes entres quils nous pleust mettre ledict arrest en entiere execution et a ces fins quil soit permis aux habitans dudict Digne de sortir de ladicte ville aller librement frequenler et comercer par toutes les villes et lieux sains de la province en rapportant bonnes billettes de santé avec deffances de les empescher ny reffuser a peyne de dix mil livres despans domaiges et interestz. Ledict M° Lombard en ladicte quallile a requis que conformemant a larrest de nostre commission libre entree et comerce soient donnes aux corisulz manam? el habitans dudict Digne pour toutes les villes et lieulx de la province, raportant bonnes billettes de santé avec deffances a tous quil appartiendra de les empescher a peyne de dix mil livres despans doinages et interest audicts habitans et qu'il soit informe contre les contrevenantz; neanlmoingz quil soit enjoinct aux consulz dudict Digne de faire garder et observer les arrestz et reglemantz de la cour en ce quy est du negoceet trafiq des marchandises a peyne de dix mil livres damande et de respondre en leurs propres des inconvenians que pourroint arriver et quil soit enjouinct aux officiers dy tenir la main et en advertir la cour sus les mesmes peynes. Et nous conseilher et commissaire avons ordonne que libre entree et comerce seront donnes aux consulz manantz et habitans de ladicte ville de Digne par touttes les villes et lieux de la province en raportant bonnes billettes de santé de ladicte ville, avons faict inhibitions et deffances aux consulz et administrateurs des villes et lieux du despartement de la cour dy refuser ny empescher lentree et comerce dans icelles a peyne de dix mil livres damande despans domaiges et interestz desdicts habitans et sera en forme contre les contrevenantz par le premier juge royal ou huissier de la cour, et neanlmoingz avons enjoinct et enjoignons aux consulz de la ville de Digne de faire garder et observer les arrests et reglemantz de la cour en ce quy est du negoce et tralliq des marchandises a peyne de dix mil livres damande en leur propre sans se pouvoir rejeter sur le corps de la communaulte et de respondre de tous les inconveniantz quy en pourroient arriver et enjoint aux officiers dy tenir la main et en advertir la cour sur les mesmes peynes, et sera la presante ordonnance leue et publiee a son de trompe et cry public par tous les lieux et carrefours de ceste ville de Digne accoustumes.
31 mars.
Du landemain dernier dudict mois de mars, jour de Pasques, audict Digne et dans la maison dudict sieur lieutenant sur les quatre heures appres midy, venant nous douir vespres, lesdicts consulz subroges accompagnes de Me Jean Boyer segond consul de ladicte ville quy estoitsort y pendant ladicte malladie contagieuse nous auroient remontre que par arrest de ladicte cour donne a leur requête du dix-huict du mois de mars, auroit este par nous ordonne quil serait par nous procède a la création du nouveau estat de ladicte ville de Digne suivant le reglemant de ladicte communaulte le vingt-cinquiesme dudict presant mois de mars ou a tel autre jour quil seroit pas nous advize avec deffance auxdicts consulx administrateurs et conseilhers de la maison commune de ladicte ville de procéder a ladicte création par devant aultre que par devant nous a peyne de dix mil livres et nullite de procédure, nous requérant que conformemant audict arrest il nous plaise vouloir procéder a ladicte création du nouvel estat a demain premier jour du moys dapvril ou tel autre jour que nous advizerons, puisque navons peu proceder a icelle le vingt-cinquiesme de ce mois auquel temps ladicte ville estoit encore dans linterdiction. Et nous conseilher et commyssaire avons ordonne que sera par nous procédé a la création du nouvel estat a demain lundy premier jour du mois dapvril, jour et l'esle de St-Etienne, et a ces fins avons enjoint auxdicts consulz de nous remettre le reglemant de ladicte communaulte ensemble le roole du conseilh particulier et général pour voir ceulx quy sont mortz pendant la malladie afin que procédions a la subrogation diceux. En execution de quoy lesdits consulz nous ont remis ledict reglemant et avons treuve le conseilh particulier de ladicte maison commune estre compose de quinze comprins les trois consulz lesquels sont ceux quy font la premiere nomination de trois premiers consulz, trois segonds et trois derniers et trois trezoriers, et le conseil general est compoze de quarante-huict, lesquels choisissent un des trois premiers, des segonds et des derniers et un des trezoriers suivant la pleuralite des opinions.
1 avril.
Du lendemain matin premier avril mil six cens
trante, jour de St-Estienne sommes alles a la grand
Eglise en compagnie desdicts consulz subroges, dudict
M° Jean Boyerconsul et plusieurs apparans de ladicte
ville ou avons faict dire une messe du Saint-Esprit a
la maniere accoustumee, et appres sommes alles a la
maison du roy pour proceder a ladicte création du
nouvel estât, et avons treuve que au conseilh particulier
ny avoit de vivantz que
1. M°Jehan Boyer, consul,
2. M° Jehan Chaussegros, procureur,
3. Robert Bernard.
4.. M°Jacqucs Rochebrun, procureur.
5. Blaze Franque.
6. M°Jehan de Valluys, notaire.
Et nous conseilher et commyssaire avons subroge
a la place des morts et dudict Rochebrun absent pour
faire le nombre entier de quinze :
1. Jehan Bertrand Isoard sieur de Feyssal.
2. Jehan Louys de Jeannon.
3. Andre Besson.
4. M° David de Lautharet, médecin.
5. Louys Aubert Jausiers sieur du Castellar.
6. Pierre Chaud.
7. M° Jean Roux, recepveur des décimes.
8. M° Ilonnore Amoreux, procureur.
9. Anthoine Taxil.
10. M°Honnore Reboul, sr de Lambert, advocat.
Et du conseilh general avons treuve ny avoir que
de vivants :
1. M° Jean Deaudet, procureur.
2. Anthonio Fabre.
3. M° Phelip Mouret, notere.
4. Jehan Chaussegros sieur de La Tour.
5. Louis Amalric.
6. M° Honnore Reboul sr de Lambert, advocat.
7. M° Honnore Amoreux, procureur.
8. M°Jean Roux, recepveur.
9. Barthélémy Autard.
10. M° Anthoine Esmivy, advocat.
11. Pierre Boyer.
12. M° Pierre Rode, notere.
13. Balthazar Jeauffret.
Et nous conseilher et commyssaire avons subrogéa la place des morts et desdicts Rode et Mouret absents
pour faire le nombre entier de quarante-huict:
1. M° Jehan Roux advocat de Colmars.
2. Esperit Arnaud.
3. Francoys, de Jacques.
4. Anthonio Taxil.
5. Jacques Codur.
6. Jeannet Laugier.
7. Jean Seignoret.
8. Le sieur de la Peyriert.
9. Estienne Hellié.
10. M. llesmiol.
11. Scipion Gauderuar.
12. M. Allayer.
13. Louys Buisson.
14. Bernardin Bassac.
15. Joseph Ferriol.
16. M°Jean Chaussegros, procureur.
17. Louis Auber Jausiers sieur du Castelar
18. Jehan Orslier.
19. M. Bernard, medecin.
20. M. Frediere, advocat.
21. M°Jean de Valluys , notere.
22. M. David de Lautaret, medecin,
23. Manuel Lombard.
24. Jehan Laugier.
25. Anthoine Fabre.
26. André Delard.
27. Jean Bartel.
28. Pierre Canton.
29. Me Charambon, advocat.
30. Melchion Bertrand.
31. Nicolas Caire.
32. Pierre Collomp.
33. Anthoinc Feriere, cardcur.
34. Jean Gilly.
35. Guilhaumes Alphant.
36. Dominique Aymar.
37. Louis Gay.
Et ce faict avons faict assembler dans la maison du
roy tous les susnommés et nous sommes retires dans
une chambre avec ceux du conseilh particulier que
sont en nombre de quinse pour estre par eux procédé
a la nomination de ceux quy doibvent estre ballotes
suivant le règlement, auxquels avons donne le sermant
en tel cas requis.
( Suivent ensuite les trois candidats pour chacune des places
de premier, second, tiers consul et trésorier, désignés par les
15 membresdu conseil particulier.On procède immédiatement
au résultat de ce premier choix qui ne se faict pas au scrutin
secret, mais pour lequel chaque membre écrit la liste de ses
candidats quil signe de son nom).
Se treuvant par ce moïen que ceux quy doibvent
estre ballottes pour premier consul tant par le conseilh
particulier que du général compoze de quarante-
huict sont :
M° Jean Chanssegros, procureur.
M° David de Lautaret, medecin.
M°Honnore Reboulsieur de Lambert, advocat.
Et pour segond consul
Pierre Chaud,
Mellonnore Amoreux , procureur.
M° Jean Roux, recepveur des dixmes.
Et pour dernier consul :
Balthasar Geoflret.
Esperit Arnaud.
Anlhoine Taxil.
Et pour trezorier :
Andre Boyer.
Jean Gilles.
Manuel Lombard.
Et ce faict avons faict entrer dans ladicte chambre
tous ceux du conseilh général en nombre de quarante
huict, ausquels avons faict entendre ce que dessus
et donne le sermant en tel cas requis.
Et par la pleuralite des oppinions sont este créés
consulx, savoir :
Pour premier
M° Jehan Chaussegros, procureur.
Pour segond.
Pierre Chaud.
Pour dernier
Balthazar Geotfret.
Et pour trésorier
André Boyer
Ausquels avons en mesme temps faict prester le
sermant en tel cas requis et les avons mis en possession.
Et tout incontinant ledict conseilh général et particulier
ont esleu pour extimateurs :
M° Jean Boyer, recepveur
Jean Louys de Jeannon.
Antire Besson.
Robert Bernard.
Comme aussy par la pluralite des oppinions sont
este eslus pour advocat M° de Barras; pour procureur,
M°Deaudet; et pour grenier, M°Denoise.
Et nous conseilher et commyssaire avons ordonné
que les aultres officiers dudict nouvel estat seront
faietz par le premier conseilh que se tiendra, et nous
sommes retires.
Signé F. de St-Marc.
TROISIÈME PARTIE.
*
C'est le samedi, 30 de mars, la veille du jour
de Pâques, dans la matinée, que la ville de Digne
fut rendue à la circulation, et que M. le conseiller
de Saint-Marc y fit son entrée escorté de tous
les officiers royaux, de tous les consuls, de tous
les membres du conseil, et suivi d'une immense
partie de la population qui poussait des vivats
d'allégresse, et faisait entendre de vifs et bruyants
applaudissements.
Le sol était ce jour là couvert de neige, ce qui
n'empêcha pas cependant uue manifestation
dont le procès-verbal de M. le conseiller de Saint-
Marc lui-même constate l'enthousiasme.
M. de Saint-Marc descendit chez le lieutenant
Tabaret , que nous retrouvons à son poste, et
de là se rendit à l'église de Saint-Jérôme, où au
milieu d'un grand concours d'habitants , on
chanta un Te-Deum solennel.
Le lendemain eut lieu, ce qu'on appelait alors la création du nouvel état. C'était l'élection annuelle
des officiers municipaux. Cette élection se
fit en présence et sous la présidence de M. de
Saint-Marc. M°Jehan Chaussegros, fut nommé
premier consul ; Pierre Chaud, second consul ;
et Balthazar Jauffret, tiers consul.
Les nouveaux eonsuls à peine installés, voulurent
témoigner à l'envoyé du parlement toute
leur joie et toute leur reconnaissance, et lui offrirent
quelques objets qui devaient lui faire supporter
avec plus de patience la sevère frugalité
de la table dans nos rudes montagnes.
On lui donna un énorme fromage et du vin du
cru. On accompagna ce don un peu rustique de
deux magnifiques chapons et de six paires de
perdrix.
Ces présents furent renouvelés avant son départ, et comme les comptes du trésorier sont
d'une précision et d'une exactitude qui ne laisse
rien à désirer, nous pouvons dire que la seconde
fois, le don fut plus copieux que la première.
Outre une nouvelle quantité de vin, et divers
autres objets de minime importance, on lui
donna encore deux chapons, neuf perdrix, et
deux levrauts, de la chair la plus tendre et la
plus délicate. Le conseil qui fut assemblé le 4 avril, approuva
la dépense faite pour de pareilles largesses. Nous
ne savons pas cependant si ses membres n'en
eurent pas plus tard du regret ; car M. de Saint-Marc refusa de consigner dans son procès-verbal
une protestation légitime, faite par eux deux
jours plus tard.
Ce qui donna lieu à cette protestation, ce furent
les demandes de nombreux créanciers de la commune,
qui assignèrent les Consuls devant M. de
Saint-Marc pour réclamer le montant des vacations
qu'ils prétendaient leur être dues pour
la garde de la ville.
Le conseil, réuni le 6 avril, fut d'avis de s'opposer
à une semblable demande, délégua le consul
Chaussegros pour comparaître sur l'assignation
et lui dicta la réponse que nous reproduisons
textuellement :
Sur quoy a este dellibere quon se prcsantera a lassignation
et fera la responce suivante :
Les consuls de ladite ville de Digne ont dict que
nont aulcun intherest en la taxe quon porsuit parceque elle
ne touche ny regarde ladite ville laquelle ny doibt contribuer ung seul liard, daultant quaiant
este afftIigee de peste, au lieu de recevoir secours et
adcistance, il sont estes bloques et assieges dans leur
ville jusques a deux cens pas de leurs portes par des
gens de guerre quon y a loges, comandes par leurs
intandans, lesquels les ont empesches de sortir et
prandre quarantaine dans les biens et propriétés qui
possèdent aux terroirs voisins que sont jougnants et
atenans le terroir de ladite ville, les aians tenus si
serres et constrainctz , que dans moingz de quarante
jours y est mort plus de huict mil personnes, et de
plus ils ont perdu les fruictz de leurs biens questoient
pendans fanlte dadcistance , ce que ne leur seroit
arrive sy on leur heusse donne ce terroir pour s'y
louger et moien de tresport tellemant que ces gardes
ne leur aiant cause que des pertes et dommaiges
irreparables sensuit qui nen doibvent entrer sauf
correction au paiemant dicellui de leurs intandans
ni aux aultres puis que ladite garde ne revient pas
a leur profict mais bien a leur dommaige et toutalle
perte, aussy nen na pas este mize pour garder ceulx
de la ville mais bien ceulx habitans aux lieux voizins
et de toute la province, alîin que le mal ne se
communiqua; que sy ceulx la se sont volleus conserver,
ils en doibvent su porter la despance et non pas
ceste poure et desoulee ville, laquelle se treuvant
comme deserte par la perte de la plus grand partye
de ses habitans ne doit pour surcroît de ses maux
soffrir la perte du peu de biens que leur restent.
Ce quilz ont dict sans aprobaiion de toutes les procédures
faictes contre eulx et principallemant de celles
de monseigneur le conseilher d Agut dont ilz protestent
et sen prouvoiront en tams et lieu. Cette protestation était l'expression énergique
des sentiments qui émouvaient nos pères à cette
époque, à la seule pensée de l'affreux malheur
qui s'était apesanti sur leur pauvre cité, ils songeaient
avec indignation à la conduite qu'on avait
tenue contre ses infortunés habitants : au lieu
de leur permettre de se retirer dans leurs maisons
de campagne, qu'ils possédaient presque
tous dans les territoires des communes voisines
de Digne, à cause du peu d'étendue de son territoire
particulier, on les avait brutalement cernés,
et impitoyablement contraints à rester entre
leurs murs étroits et malsains sous le coup d'un
fléau épouvantable.
Aussi M. le conseiller de Saint-Marc, ne voulut
pas faire droit à la réquisition du consul Chaussegros.
Il ne voulut pas consigner dans son rapport
qui devait passer sous les yeux du parlement,
une récrimination aussi fondée et qui
l'eût frappé au coeur; car, il faut bien le dire, ce
fut le parlement, qui fit à lui seul tout le mal,
par le système déplorable qu'il adopta. Loin de
notre pensée de médire de cette magnifique
institution qui a fait la gloire de notre Provence,
mais à cette époque, elle fut prise
d'une sorte de vertige, elle se sépara en deux
chambres, dont l'une se retira à Pertuis et
l'autre à Salon, d'où elles se firent une guerre
déplorable de coterie et de parti. Cette protestation confirme encore ce que nous
disait Gassendi, dans sa notice sur l'église de
Digne, et que nous avions de la peine à nous
persuader, que la ville de Digne avait à cette
époque dix mille âmes de population sur lesquelles
il en périt huit mille.
On comprendra sans peine dans quelle triste
situation notre cité devait se trouver après un
aussi grand désastre. Tous les services publics
étaient complètement suspendus et anéantis, la
police avait cessé de se faire, la comptabilité
n'avait plus personne pour tenir en règle les
affaires de la commune, toutes les ressources
étaient à peu près épuisées. Quelques hommes
dévoués s'étaient bien efforcés d'amoindrir les
conséquences d'un pareil état de choses, mais
la situation exceptionnelle que la rigidité des mesures
prises par l'autorité avait faite, n'en était pas
moins déplorable. Il fallut une grande énergie,
et une activité sans exemple, le tout fortifié par un
patriotisme intelligent, pour remettre les choses
dans leur état normal. Ce fut la tâche remplie
par les consuls qui avaient été nommés, et surtout
par le premier consul, l'avocat Chaussegros.
Cet homme d'une vaste intelligence et d'une
ardeur admirable, ne perdit pas courage, et se
mit à l'oeuvre sans hésitation, en redonnant à
tous ses concitoyens abattus le courage et l'espoir
d'un meilleur avenir. Il s'empressa de faire un relevé des besoins
les plus urgents, et convoqua pour le 14 avril
un conseil général, dans lequel il voulut faire
approuver les nombreuses mesures qu'il avait à
proposer.
Ce conseil du 14 avril peint trop bien la situation
de la ville, pour n'être pas reproduit entier.
Il fera connaître, mieux que nous ne pourrions
le faire nous-mêmes les embarras de nos pères
en ce moment.
Conseil général du 14 avril 1630
Du quatorze avril mil six cents trante du matin en
la ville de Digne, dans la maison du roi par devant
Monsieur Messire Gaspard Castagny, conseilher du
roi, lieutenant particulier, assesseur civil et criminel
au siege et ressort de ladicte ville.
Le conseilh général de la communaulte dudit
Digne a este assamble et couvoque a voye de trompe
et cry public a la maniesre accoustumee,
Auquel sont estes presants :
M° Jan Chaussegros, en questeur pour le roi audit
siege premier consul, tenant le baston du roi en main
en absance du sieur viguier en chef; cappitayne
Pierre Chaud et Balthazard Geoffroy, segond et troisiesme
consulz ; Jan Louys Dejanon et André Besson
consulz vieulx ; Me Honnore Reboul sieur de Lambert,
advocat; Louys Aubert Jausiers sieur du Castelard;
cappitayne Scipion Gaudemard; M° Clemenr
Reboul, procureur ; Jan Chaussegros , sieur de Latour;
Barthellemi Autard, sieur de la Javye ; Anthoine
Taxil; M° Manuel Lombard; Dominique Eymar; Louys Seguret ; Estienne Lanlelme ; Joseph
Ferriol; Bernardin Bassac; Louys Gai; Me Guilheaume
Belletrux ; Jan Gilli ; Jan Aubert; Pierre
Canton; Anthoine Fabri; Malhieu Rougon; Jean
Honnore Bassac; Jean Bartel; Durant Pouquet; François
Jacques ap. ; M° Jan Baptiste Charambon, advocat
et enquesteur; Anthoine Lantelme; M° Anthoine
lIesmivi, advocat; cappitayne Esperit Arnaud; Peyron
Baudoin; Honnore Meynier; Blaze Francoul ;
Jan Reynaudin; Georges Royt; Me Pierre de Barras,
advocat de ladite communaulte ; M° Andre Boyer,
tresorier moderne de ladite communaulte, tous particuliers
conseilhers dudit conseilh ou subroges au
lieu et place des absans.
Auquel conseilh a este propoze par ledit sieur
Chaussegros premier consul que les mizeres et calamilles
dont ceste pauvre ville de Digne a este afligee
au moyen de la maladye contagieuze laquelle a cesse
de present par la grace de Dieu ont mis en tel desordre
la police et les réglés quon y avoit auparavant
gardees quil est necessere de les restablir. Car le collège
auquel la jeunesse estoit instruyte cesse tout a
faict ; les fonteines sont rompues et sans conducteur
par le dexces de Gaspard Astoin ; les fermes finyes,
et celles quy sont en estat ne peuvent sunire aux
occurances necesseres; les trezoriers et administrateurs
des deniers publiques sont mortz; la ville engagee
de grandz debtes oultre lesquelles debtes le trezorier
du roi et des deniers du pays demande troys
mil ou tant de livres pour arreyrages de la derniere
annee au payement desquelz on ne peult subvenir
pour n'y avoir aulcungz deniers en la boursse commune
ni moyen den avoir, pour nestre les rantes et
fermes dicelle restablyes. Et daultre part les intandanlz, soldats et commysseres qui ont bloque ceste
ville durant la peste demandent payement de leurs
prethandus salleres quoique la ville ny soyt pas tenue
y aiant de ce proces par devant Nosseigneurs de parlement
et par devant Monsieur le conseilher de Saint-
Marc, commyssere sur ce deppute, lequel a este conteste
apert au precedant conseilh, et y a encor beaucoup
daultres demandes que plusieurs particuliers
font, ce que donne subject de convoquer ceste assamblee
pour aporter sur le tout tel ordre que sera advize.
Sur quoi a este delibere en premier lieu suivant
larrest general de la cour du premier febvrier dernier
deriger le bureau de santé en ceste ville conformement
a icelluy ayant nomme ledit conseilh unanimement pour
les apparans de ladicte ville que y doibvent
adcister M° Honnore Reboul sieur de Lambert,
advocat, et Mre Jan Roux receveur des dexcimes, et
pour les intandantz M° Jan Baptiste Charambon,
enquesteur, et Me Anthoine llesmivi advocat.
Plus a este delibere que pourla plus exacte garde
que ce doibt fere en ceste ville, il sera comande ung
capage aux portes de ladicte ville et que ceulx quy
seront comandes y adcistent actuellemant aux peynes
des precedants reglemants.
Plus que les portes particulières que ce treuvent
hors la ville et par lesquelles on peull entrer et sortir
dicelle seront fermees aux despens des propriétaires,
donnant sur ce pouvoir et charge a Messieurs les
consulz de le fere fere.
Que toutes les bilhettes seront consignées ez mains
des intandantz a la garde de la porte du Pied-de-Ville, et deffances a tous les particuliers de la ville
de louger aulcungs estrangers quy ne leur apparoice de ladicte consignation a peyne de punission examplere.
Que les fonteines et larrolhoge de la ville seront
restablys et remis en bon estat et pour cest enecta le
conseilh donne pouvoir et charge a Messieurs les consulz
prins avec eulx quatre ou cinq des plus apparants
de la ville en fere les marches et donner les
prix faictza ceulx quy advizeront prefferant en ce les
obvriers et artisans de la ville et neanlgmoins de
payer les salleres a ceulx quy ont accomode et conduit
ledit arrologe pour le passe.
Que les comptes des comptables et débiteurs de la
communaulte seront promtement ou ys et examines et
a ceste fin le conseilh a comis pour auditeurs les
sieurs consulz nouveaux et avec eulx Me Honnore
Reboul, sieur de Lambert, Louys Aubert Jausiers,
sieur de Castelard, et attandu que lesdicts comptes
sont de tres grande importance pour la ville a cause
de la multiplication dafferes et negoces quelle a heu
sur ses bras lannee derniere, ledict conseilh a unanimement
resouleu que quoique par le passe on ne
nommast que deux auditeurs a present den nommer
quatre et sans conséquence, ayant este encore délibere
quyl sera permis a tous les particuliers de ladicte
ville de donner de mémoires et instructions sans aulcung
sallere, nommant pour troisiesme et quatriesme
auditeurs M° llesmivi advocat, et cappitayne Scipion
Gaudemar.
Que toutes les reves et fermes de la communaulte
et mesmes celle dun liard par livre pour les provizions
seront mizes a lenchere a la dilligence de Messieurs
les consulz a laccoustumee.
Plus ledit conseilh a donne pouvoir et charge a
Messieurs les consulz damprunter de tels particuliers quilz trouveront et a la meilleure condition quilz
advizeront jusques a la somme de douze cens ecus
pour subvenir au payement des deniers du roi et du
pays et daultres charges et afferes urgentes de la communaulte
a quoi nont aullre moyen de satisfera que
parcellui dudict emprunt donnant a ces fins le conseilh
pouvoir et charge auxdicts consulz en passer
les obligations requizes et necesseres.
Quant au restablissement du college de ceste
ville attandu quil cest présente ung des peres de loratoyre
ayant charge du corps de la congrégation pour
tenir regir ledict college, a este délibéré de sursoir
a lestablissement jusqua la Saint-Michel prochain et
ceppendant darreter ledict pere en ceste ville pour
entrer en exercice lannee prochaine a cest effect donnent
pouvoir et charge a Messieurs les consulz de
traiter avec les peres de la dicie congrégation le plus
utillement que pourra pour la communaulte et a ces
fins de poursuivre lunion de la preceptoriale de
leglize Saint-Jerosme audict college par advis et conseilh
quilz prandront a cest effect au moyen duquel
procureront ladvantage de la dicte communaulte pour
le restablissement dudict college.
Plus ledict conseilh a donne pouvoir et charge a
Messieurs les consulz appelez avec eulx les auditeurs
de contes susnommes de proceder a la liquidation et
verilficalion des vacations fraicz fournitures et menues
debtes prethandues par plusieurs des particuliers
de ladicte ville a la charge quilz advertiront au
tout le conseilh particulier pour prouvoir a leur payement
sil y escheoit.
Plus quon poursuivra Messieurs du chapitre de
ceste ville pour fere prouvoir de benetliciers en leur
esglize de la qualittc portee en leurs statutz et nue les annales seront employées aux repparations de
leglizeet que les gaiges du predicateur quon debvoit
employer la presente annee seront exiges par Messieurs
les consulz pour estre emploves a la norriture
des peres Recollets quy ont faict prescher. Les rantiers
du seigneur evesque seront poursuivys denvuider les mains.
Ledict conseilh a delibere unanimement de fere
distribuer une charge de bled aux peres Cordeliers pour aumosne , atlandu leur hurgente necessite et
sans conséquence.
Plus que larrest et ordonnance rendus par M. le
conseilher de Saint-Marc touchant l'ouverture et
comerce de lentree de ceste ville sera mande par
toutes les villes et lieulx de ce ressort et aultres de
ceste province pour estre gardes selon leur forme et
teneur.
Plus le conseilh a ratillie la deliberation faicte au
precedant conseiIh particulier touchant laumosne
qua este faicte aux peres Recoulets observantins donnant
encor pouvoir a Messieurs les consulz de la continuer
jusques quaultrement soit delibere.
Ledict conseilh a unanimement resoleu que Messieurs
de la ville de Riez seront mandes et vizittes
par deux de Messieurs les consulz quy les remerceeront
très humblemant de ce que eux seulz de tous
nos voizins vindrent favorablemant offrir leur
secours et adcistance a ceste ville Ihors de son urgente
necessitte et que les aultres villes et villages du ressort
sarmoint tous les jours et sassambloint pour conjurer
les ruynes et désolations quon y a veu peu de
temps après, lesquelz sieurs consulz liquideront les
fraiez fournitures et vaccations desdicts sieurs consulz
de Riez et se randront fassiles et comptans, leur offriront en revanche toute sorte de services après
ung monde de remerciemans quy leur feront.
Que certaine roue servant a la poudre cjuest au
moulin du Pred de la Foire sera donnee a Jean Honnore
Bassac maître poudrier pour icelle servir a son
mestier.
Que les lisses questoient despuis la porte du Pied
de Ville jusques au Pred de la Foire seront ouverte
aux lieux les plus comodes que seront advizes par
Messieurs les consulz en indamnizant les particuliers
sil y eschoit.
Le conseilh a ratitïie le voeu que feust faict a Nostre
Dame de Grace sur le subject de la maladye du xv
julhet dernier.
Plus que les infirmyers quavoient este establvs
continueront et notamment le savoyard.
Que le roi sera tres humblemant suplye dexamter ceste pauvre ville du lougemant des gens de guerre
pour dix ans attandu les grandes pertes et mortalittes
arrives durant la contagion derniere et que la ville
est quasi deserte, et a cest effect et pour obtenir la
confirmation des privilèges de la communaulte sera
deppute en cour.
Que aulcungs nouveaux habitants ne seront receus
dans ladicte ville jusques a la Saint-Michel prochain
a cause des inconveniens quy en pourroient arriver
et ceulx quy sont entres avec les pauvres estrangers
seront introduitz en leurs villages.
Que personne ne pourra couper aulcung boys vert
au boys de Feston, lequel sera veu et vizitte par
Messieurs les consulz et par les extimateurs modernes
que feront rapport de lestat quil ce treuve de
present pour cougnestre le domaige que en sera
donne a ladvenir A este donne pouvoir a Messieurs les consulz de
traiter avec ung chandellier et passer le contract a la
mcilheure condition quilz pourront.
Signes Castagny lieut. Chaussegros, consul,
P. Chaud, consul, Geaufroy, consul. Denoize,
notaire et greffier.
Il est inutile de rien ajouter à cette délibération
pour faire comprendre la situation grave et
difficile dans laquelle la ville se trouvait au moment
où la libre circulation fut rétablie pour
elle. Le consul Chaussegros en avait la triste certitude, lorsqu'il faisait un appel au conseil général,
pour mettre un terme aux misères et calamités
causées par l'affreuse contagion qui venait
de la désoler. Toutes les règles de police étaient
abandonnées, tous les services publics étaient
suspendus, les fermes qui assuraient les ressources
de la ville étaient arrivées à leur terme, et
n'avaient pas été renouvelées , les trésoriers et
administrateurs des deniers publics avaient été
frappés par le fléau ; tous ceux qui étaient redevables
envers la commune étaient morts, et leurs
héritiers réclamaient même des indemnités pour
les pertes par eux éprouvées. D'autre part, des
créanciers de toute espèce faisaient entendre
leurs réclamations. Il était indispensable de les
examiner, de contester celles qui n'étaient pas
fondées, et de payer celles qui étaient incontestables, notamment celles demandées par le trésorier
du roi et du pays.
Le conseil donne aux consuls pleins pouvoirs,
il les autorise à emprunter les sommes nécessaires,
reconstitue le bureau de santé, la garde de
la ville par voie de capage, nomme des auditeurs
de compte, vote la mise aux enchères de tous
les rêves, envoie une députation au roi pour
que la ville soit déchargée du logement des gens
de guerre pendant dix ans, et règle une foule
de détails administratifs que nous n'avons pas à
énumérer ici.
Cette délibération contient la ratification du
voeu fait par la ville le 15 juillet 1629 , dont nous
avons parlé.
Il est une autre décision de cette délibération
que nous ne devons pas laisser inapeiçue. C'est
la députation de deux consuls envoyée à Riez
pour remercier les habitants de cette ville de ce que seuls entre tous leurs voisins ils sont venus
pendant la durée du fléau dont ils ont eu tant à
souffrir, leur offrir leur assistance et leur secours,
tandis que les habitants des autres villes s'assemblaient
et s'armaient contre eux et ont été en
grande partie la cause de la désolation dont la
ville de Digne a été le théâtre. Les députés de la
commune devront liquider les frais et fournitures
dûs à la commune de Riez, et se rendre faciles
sur le règlement d'un pareil compte. Ils devront en outre leur offrir en retour, outre un monde
de remerciements, suivant la naïve et énergique
expression de la délibération, toute sorte de services.
Ce témoignage de reconnaissance aussi solennellement
donné honore autant les habitants
de la ville de Riez que ceux de la ville de Digne.
Les consuls, après cette délibération, se mirent
immédiatement à l'oeuvre, et firent preuve d'une
activité sans exemple.
C'est dans ce moment, alors que la ville, malgré
ses embarras/ jouissait du bonheur d'être
rendue à la liberté , qu'un incident fort bizarre
vint troubler un instant cette joie.
On sait déjà que lorsque la peste sévit à Aix,
le parlement se sépara en deux chambres, dont
l'une se retira à Pertuis et l'autre à Salon. Les
plus grandes institutions ne sont pas à l'abri des
faiblesses humaines, et cette division amena
entre les deux chambres du parlement des luttes
que nous voudrions bien effacer de l'histoire.
La ville de Digne fut une des victimes de ces
tristes querelles.
Un arrêt de la chambre de Pertuis avait mis
la ville de Digne en quarantaine et avait ordonné
qu'à partir du 20 mars elle serait rendue à la libre
circulation.
La chambre de Salon l'apprit bientôt, et piquée
de ce qu'on ne l'avait pas consultée, elle rendit d'office, dans les premiers jours du mois
d'avril, un arrêt par lequel elle interdisait à tous
les habitants de la ville de Digne l'entrée de tous
les lieux de son ressort, jusqu'à ce que la communauté
leur eût demandé par une députation
à cet effet expressément nommée, comme elle
l'avait fait auprès de la chambre de Pertuis, un
arrêt qui l'autorisât à établir des relations libres
avec tous les lieux de la Provence.
Cette nouvelle fut annoncée à la ville par
M. de Latour, conseiller au siège de Digne, qui
se trouvait à Pertuis, en date du 15 avril , et y
parvint le 18 du même mois.
Il était inutile de résister, et le conseil ce même
jour envoya une députation vers les membres du
parlement qui tenaient leurs séances à Salon.
Cet acte de soumission satisfit les nobles membres
du parlement qui s'empressèrent d'acquiescer
à l'humble supplique qui leur était adressée.
Les consuls s'étaient empressés d'acquitter les deniers du pays, que les trésoriers réclamaient
impitoyablement. Ils avaient réorganisé les service
les plus importants, et ils s'occupaient
avec un soin extrême de régler tous les comptes
de la communauté, tant ceux qu'elle avait à
réclamer, que ceux qui retomberaient sur elle.
Le prêtre Massue fut appelé en plein conseil,
et là, après avoir entendu ses plaintes, il fut
décidé , qu'à cause des services qu'il avait réellement
rendus on lui donnerait un habit complet
de camelot, on ne lui réclamerait rien pour les
vivres qui lui avaient été fournis pendant son
séjour à Digne, depuis le 3 août jusqu'au 27 septembre.
Relativement aux travaux de purification
par lui faits depuis cette dernière époque,
le conseil lui fixe ses journées à raison de deux
écus quinze sous par jour, ce qui lui fit une
somme totale de 306 écus 41 sols. On le laissa
libre d'ailleurs de réclamer le prix de ses soins à
ceux qui les lui devaient ou à leurs héritiers.
Massue se tint pour satisfait et continua probablement
sa vie de pérégrinations. On était arrivé vers la fin du mois d'avril. Les
nombreuses sépultures qu'avait nécessitées la
contagion, avaient obligé nos pères à creuser des
fosses dans des lieux rapprochés de la ville, on
avait même pris une partie du Pré-de-la-Foire.
Un cimetière avait été établi sur les bords de la
rivière des Eaux-Chaudes, en face de la platrière,
dans le jardin de M. Julien des Audes,
un peu en dessous du pont actuel du Pigeonnier.
Un autre se trouvait tout près de l'endroit où
fut bâtie à cette époque la chapelle de Saint-Sébastien,
qui n'existe plus aujourd'hui, mais dont
on a gardé le souvenir, et qu'on regrette en voyant
aujourd'hui à sa place un triste réservoir de nos
fontaines. Ces cimetières adoptés à la hâte et où
les sépultures avaient été faites avec trop de précipitation
se trouvaient dans un état déplorable.
Les animaux domestiques les plus immondes, les
bêtes fauves s'y attroupaient. Uue délibération
du 21 avril ordonna qu'on ceindrait de murailles
lesdits cimetières, pour empêcher les profanations
dont on avait la douleur presque chaque
jour d'être témoin. Nos pères dans un moment d'exaltation toute
religieuse votèrent l'érection de deux chapelles,
dont une, celle de Saint-Sebastien, devait être
emplacée à l'extrémité de la rue de la Traverse,
et l'autre sur les bords de la rivière des Eaux-Chaudes, dédiée à Saint-Roch (1).
Mais les nombreux embarras de cette époque
empêchèrent la ville de faire cette nouvelle dépense,
et la chapelle de Saint-Sébastien seule
vint offrir aux familles un lieu saint où elles pouvaient pleurer ceux qu'elles avaient si terriblement
perdus et prier pour le repos de leur âme.
(1) Et feront bastir unnc capelle a chascune part une a lhoneur
de Saint-Roch et laullre a Ihoneur de Saint-Sebastien soubz le
bon plaisir du conseilh général et de Monsieur levesque dudict
Digne. (Dél. du 21 avril
1630)
Nous devons dire que dans le registre des délibérations le nom
de Saint-Sébastien ne se trouve que par suite d'un renvoi et
d'une rature du mot Louys, que le greffier du conseil avait
d'abord écrit.
Nous avons fait d'inutiles recherches pour
retrouver la chapelle de Saint-Roch : nous croyons
fermement qu'elle n'a jamais existé.
C'est vers cette même époque qu'on ferma pour
jamais la petite chapelle Sainte-Catherine, dont
le savant M. Bondil nous a si bien fait connaître
l'emplacement. Le conseil ordonna cette fermeture
par sa délibération du 21 avril.
On arrivait au mois de mai; mais le temps
qui s'était écoulé depuis que la ville avait recouvré
la liberté, n'avait pas suffi pour ramener les
choses à leur état normal. Les embarras , au
contraire, croissaient de jour en jour.
Le consul Chaussegros avait été obligé d'aller
assister à Valensole à une assemblée des États qui
y avait été convoquée le 28 avril. En revenant,
il annonça que les États avaient voté une imposition
extraordinaire, et que les procureurs du
pays avaient ordonné que la ville de Digne, malgré son état de détresse, recevrait un régiment
qui devait y séjourner quelque temps.
Cette nouvelle causa une profonde stupeur ;
il fallut songer à un emprunt nouveau, et on
autorisa les consuls à contracter au nom de la
ville une obligation de 4,000 fr. On avait déjà voté une taille de 2 écus par livre
et on prit une mesure, qui devait un jour amener
la ville de Digne, à abandonner ses moulins
qui étaient pour elle la source de revenus abondants
pour ses dépenses.
Le conseil ordonna que toutes les créances de
l'hôpital Saint-Jacques seraient retirées et mises
à la disposition de la ville, qui servirait à
l'hôpital, une rente annuelle de la somme que
lesdites créances produiraient.
Les procureurs du pays, pour aider à subvenir
à la dépense que devait entraîner le logement
des troupes, avaient bien accordé une somme de
5,000 francs payable par quelques villes voisines.
Mais ce secours était impuissant en présence de
la détresse dans laquelle se trouvait encore la
cité de Digne.
Le 27 mai, un avis envoyé de Seyne, prévient
les consuls que les troupes sont en marche sur
Digne. Le conseil particulier est immédiatement
assemblé, et on députe le consul Chaud et M. de
Feyssal, vers le commandant, pour lui demander
la grâce, en considération de la situation exceptionnelle de la ville, de loger une partie de
ses troupes dans les villages environnants.
Dans l'incertitude cependant où l'on est si une
pareille faveur sera accordée, on prescrit toutes
les mesures nécessaires pour se procurer une
quantité de vivres suffisante.
Dans ce même conseil, on revient sur une
délibération précédemment prise par laquelle le
premier consul Chaussegros était député vers le
roi pour obtenir une dispense du logement des
troupes dans la ville pendant dix ans. Les nouveaux
embarras qui surgissent rendent sa présence
indispensable, et on nomme pour le remplacer
un habitant de Digne, le sieur Seurre.
Dès le soir les troupes faisaient leur entrée : elles se composaient de trois compagnies de chevaux
légers et d'une compagnie de carabiniers.
Toutes les sollicitations avaient été inutiles. Il
était impossible de résister à la force armée : on
dut se résigner et les consuls furent invités par
le conseil à prendre toutes les mesures possibles
pour fournir les vivres et aliments. On députa
le trésorier Boyer vers le parlement et les procureurs
du pays pour solliciter le prompt délogement
de ces troupes.
Mais la tâche donnée aux consuls était à peu près
impossible. Tous leurs efforts restèrent sans
résultat. Le consul Chaussegros se vit forcé le 31
mai d'assembler le conseil particulier, et de lui
exposer la vérité toute entière.
Le blé, l'avoine manquaient complètement,
à tel point qu'on avait été obligé d'arrêter quelques
muletiers qui passaient dans le terroir et qui
en étaient porteurs. Le conseil fort embarrassé prie les consuls de
faire une visite à M. de Nieuville, commandant
en remplacement de M. d'Arbouse, qui avait
quitté Digne avec précipitation dès le lendemain
de son arrivée. On lui exposera la triste situation
des habitants, et on le suppliera d'envoyer trois
de ses compagnies dans les principaux villages
environnants.
En même temps le conseil députe M° Charambon
vers Mgr. de Mont-Morenci, alors gouverneur
de Provence, pour obtenir le délogement.
Tous les habitants murmuraient et les consuls
avaient de la peine à les contenir lorsque fort
heureusement, le 3 juin au matin, le receveur
Boyer arriva d'Aix, porteur d'un arrêt du parlement
qui ordonnait le délogement de Digne de
trois compagnies.
Le conseil fut tout aussitôt assemblé, et le
consul Chaussegros donna lecture d'un arrêt qui
prescrivait à la compagnie de chevaux légers de
M. de Hoquincourt, d'aller à Champtercier, à
celle de chevaux légers de M. de La Fossilière,
à Courbons, et à celle des carabiniers de M. Nerciny
du Blot, à Marcoux. Il ne devait rester à
Digne que la compagnie de chevaux légers de
M. d'Arbouse.
Cet arrêt fut bientôt connu dans toute la ville
et causa la joie la plus vive, celle d'un soulagement subit, alors qu'on se sent horriblement
oppressé.
Le conseil, pour l'exécution de cet arrêt,
ordonna au consul, de ne plus faire distribuer
des vivres qu'aux hommes de la compagnie d'Arbouse.
Un second arrêt du parlement ordonna enfin
le départ de toutes ces troupes, et elles quittèrent
Digne, le 11 juin. Ce fut un prévôt qui
apporta ce dernier arrêt, et il fallut lui payer
ainsi qu'à ses deux archers une somme de 236
livres.
Vers la même époque, la ville de Digne fut
obligée de contribuer au transport d'une très
grande quantité de blé, que le roi de France
s'était procurée à Antibes et qui devait être transportée
en Italie pour les besoins de l'armée
française.
Les commissaires chargés d'effectuer ce transport
avaient établi un de leurs bureaux à Digne,
et cette ville avait été taxée par arrêt de la cour
à la fourniture d'autant d'hommes et de mulets qui seraient nécessaires pour assurer le transport
de 25 charges par jour de Digne à Seyne.
On passait pour cela une indemnité de 2 fr. 50 c.
par charge. Mais les mulets ne pouvaient pas
porter facilement une pareille charge, et on fut
obligé de ne faire les chargements que de 9 panaux,
en réduisant l'indemnité à 2 fr. 25 c. Mais bientôt les muletiers se plaignirent de l'insuffisance
de ce prix, et les consuls furent contraints,
pour ne pas arrêter le transport, de leur
fournir un supplément, qui ne s'éleva pas à
moins de 200 écus. Un autre embarras vint encore compliquer ce
transport. La peste faisait d'énormes ravages à
Seyne et dans la montagne. Le bureau de santé
ordonna que les portes de la ville fussent soigneusement
gardées, et les muletiers qui allaient
jusqu'à Seyne ne purent plus y entrer et toute
communication avec eux fut interdite au reste
des habitants (1).
(1) La ville ayant appris que la peste était à Seyne, pour empêcher que les voituriers qui y transportaient le blé n'infectassent la ville, établit des gardes aux portes de la ville et ordonne que les muletiers n'auront pas de communication avec les habitants de la ville dans laquelle ils ne pourront entrer.
C'est vers cette même époque que le conseil
eut à s'occuper de la demande formée par les
religieuses de la Visitation qui désiraient s'établir à Digne, et qui achetèrent du neveu de l'évêque
la maison qu'il possédait rue de la Traverse et qui
est aujourd'hui transformée en caserne de gendarmerie.
Le conseil fut enchanté de cette proposition
, cependant il n'acquiesça à cette demande
qu'à la condition que les dames religieuses
consentiraient à ce que leurs biens et propriétés
fussent compris comme ceux des habitants dans
les allivrements de la commune.
Dans les premiers jours de juillet, la ville eut
un moment de panique qui lui causa de nouveaux
embarras. Un praticien qui habitait Digne depuis
peu de temps, Anthoine Rollandi, de Saint-Vincent fut pris d'une maladie que l'on crut contagieuse.
MM. Lautaret et Rippert furent appelés à le visiter et firent un rapport dont les conclusions
justifièrent les appréhensions que l'on
avait conçues.
A cette nouvelle, une terreur panique s'empara
de tous les habitants. Ils avaient encore présentes
à l'esprit toutes les misères endurées par
les malheureux qui étaient restés forcément prisonniers, et à l'aspect des nouveaux apprêts que
l'on faisait pour une infirmerie et pour la régularisation
d'un nouveau service de quarantaine
avec tout son lugubre cortège, la plus grande
partie s'empressa de déserter une ville qu'on
pouvait désormais considérer comme maudite,
et s'en fut répandre l'alarme, non seulement
dans les environs mais encore jusqu'à l'extrémité
de la Provence.
Le parlement ne tarda pas à en être informé,
et crut remplir un devoir commandé par l'intérêt
public en ordonnant sans retard des mesures
jugées nécessaires contre la ville infectée. Un
arrêt en date du 9 juillet 1630 prononça la suspension
pour dix jours de l'entrée récemment
accordée à la ville de Digne. Les consuls devront
tenir le parlement au courant des progrès de la
maladie. Et à ce sujet, M. le président d'Oppède
leur écrivit une longue lettre pour stimuler leur
zèle.
Mais dans l'intervalle, la vérité eut le temps
de se faire jour. Un médecin de Sisteron, M. Rostan, se trouvait à Digne en passant. Nos consuls,
préoccupés de l'idée terrible d'une nouvelle invasion,
voulurent avoir son avis et le prièrent de
visiter le malade, de concert avec MM. Lautaret
et Rippert.
Mais cette fois le rapport fut tout différent du
premier : ce n'était pas la peste, et les habitants
avaient eu le tort de s'alarmer sur un premier
avis donné peut-être un peu légèrement.
Quoiqu'il en fût, le mal était fait, et c'est au
milieu de cette heureuse certitude qu'on avait
échappé au danger, que l'arrêt du parlement
vint tomber sur la ville. Toutes les assurances
données par les consuls ne purent l'arrêter.
Les consuls en furent désolés; ils firent faire
un nouveau rapport et se hâtèrent de l'envoyer
à Aix pour faire révoquer la suspension prononcée. Tous ces accidents qui en temps ordinaire
n'auraient été que passagers et sans aucune importance,
compliquaient grandement, en ce moment,
la situation de la ville et accroissaient ses
embarras. Cet état des choses dura toute l'année. Au
mois de septembre, un arrêt du parlement, en
date du 11 de ce mois, obligea de nouveau la ville
de Digne à recevoir le régiment de M. de Pilles,
qui était suivi d'un procureur du pays M. François
de Borrili.
Le 19 septembre, le délai du logement fixé par
le parlement était expiré, et le conseil particulier
assemblé, sous la présidence du consul Chaussegros,
apprend de lui qu'il a fait sommation au
chef du régiment logé dans la ville, d'avoir à
déloger dans le plus bref délai.
Le conseil approuve cette mesure, et ordonne
à l'unanimité de ne plus fournir d'aliments audit
régiment, s'il ne veut pas exécuter l'arrêt de la
cour auquel la ville s'est respectueusement soumise.
Les consuls devront au besoin réiterer la
sommation, et protester contre tous les désordres
qui pourraient être occasionnés par suite de
l'obstination des troupes. Au besoin ils devront
recourir au lieutenant du siège pour qu'il constate
tous les faits qui pourraient être utiles à la
communauté dans ses réclamations. Les consuls s'empressèrent de suivre la marche
tracée par le conseil. Une nouvelle sommation
fut signifiée au sieur de Pilles. Celui-ci leur
répondit par un acte excessivement long, au dire
du registre des délibérations, et déclara nettement
que ne pouvant pas déloger, on eut à fournir
à ses hommes les vivres et subsistances nécessaires.
Il donna même à la suite de sa réponse
une lettre du roi écrite à M. le président du parlement, et une autre lettre de ce magistrat qui
la lui avait adressée.
Malgré tout cela, les consuls voyant que le
sieur de Pilles ne voulait pas exécuter l'arrêt,
s'adressèrent au procureur du pays qui se trouvait
à Digne et qui devait être fort embarrassé.
Mais le commandant de Pilles, s'apercevant qu'on faisait de la résistance, n'hésita pas à user,
pour se faire obéir, de la force armée qu'il avait à sa disposition.
Il divisa son régiment en plusieurs pelotons et
les établit dans les principaux quartiers de la
ville pour en imposer par la crainte aux timides
habitants de Digne.
Une fois décidé à employer la force, il fit saisir
les consuls, et on les enferma dans la prison royale.
Les consuls protestèrent vivement. Ils requirent
M. François de Borrili de leur donner acte
des violences brutales dont ils étaient l'objet.
Mais il était inutile de lutter plus longtemps,
et ils furent forcés de promettre la continuation
des aliments réclamés si audacieusement. Ils déclarèrent
qu'ils ne cédaient qu'à la force. Qu'importait
à M. de Pilles, pourvu qu'on lui promît
d'assurer la subsistance de ses hommes.
Sur cette promesse, il leur fit rendre la liberté:
un conseil particulier fut immédiatement assemblé,
et on décida à l'unanimité que les habitants
continueraient la fourniture des vivres, sous toutes
les protestations déjà faites sur l'impossibilité
de résister à la force, et on députa le receveur
Boyer à Aix pour aller exposer à la cour les désordres
dont la ville venait d'être la victime. Le 24 septembre, le receveur Boyer rapporta
un nouvel arrêt qui ordonnait le délogcment de
la compagnie du sieur de Pilles pour le 28, et qui indiquait comme communes contribuables à
la dépense de la ville de Digne, les communes
de Mezel, de Courbons, de Champtercier et de
Thoard.
Cet arrêt fut aussitôt signifié au commandant
de Pilles, et aux consuls des communes contribuables.
Le conseil n'en ordonna pas moins que l'arrêt
serait exécuté à la lettre, comme si déjà il avait
oublié la manière dont celui du 11 septembre
l'avait été.
Aussi les consuls, ce jour là même, suivant
peut-être un peu trop les inspirations du conseil,
et peut-être celles de leur coeur ulcéré, ne voulurent-ils pas d'abord fournir des vivres qu'en
vertu de l'arrêt, on avait fait demander aux
communes voisines et qui tardaient à arriver. Les
soldats murmuraient, ils s'étaient répandus dans
la ville et faisaient entendre des menaces qui
annonçaient de nouveaux désordres.
Les consuls se hâtèrent de convoquer une
seconde fois et tout précipitamment le conseil, et attendu qu'il n'y avait pas moyen
de résister à la force, ils se firent autoriser à
fournir les vivres nécessaires, sauf à les répéter
plus tard des communes imposées.
Le 28 septembre arriva. On espérait, ou du
moins on désirait ardemment le départ de M. de
Pilles et de son régiment. Mais celui-ci resta
impassible, et malgré le dernier arrêt de la cour,
il déclara qu'il ne partirait que le 30.
Les consuls en référèrent au conseil ; ils leur
dirent que les troupes vivaient presque à discrétion
et étaient d'une exigence inconcevable. Mais
que faire ? Le conseil fut d'avis d'obéir.
M. de Pilles partit enfin le 30, mais il ne fallut
pas moins recourir à l'intervention de son
sergent-major, à qui on fit accepter douze pistolles
d'Espagne. C'était à cette époque, le seul
moyen de rendre faciles les gens de guerre qui n'avaient pas entièrement oublié les traditions
des bandes d'aventuriers des xiii et xiv° siècles.
Dans ces moments d'épreuve où la ville de
Digne était obligée de courber la tête sous le
joug qui lui était imposé, il se commettait un
abus très-fréquent, auquel le conseil se vit forcé
de remédier. Pour se soustraire à la charge du
logement des troupes un grand nombre d'habitants
désertaient la ville et s'enfuyaient soit dans
leur maison de campagne, soit dans une commune
voisine. Ils fermaient leur maison d'habition,
et échappaient ainsi aux embarras qui
tourmentaient tant ceux de nos pères qui ne pouvaient
en faire autant.
Les consuls voulurent frapper d'une peine tous
ceux qui cherchaient ainsi à éluder les obligations
que leur qualité de citoyen leur imposait.
Ils firent part au conseil de ce qui se passait, et
ils proposèrent une mesure qui devait y remédier.
Toutes les fois qu'un habitant se serait absenté
dans le but d'éviter cette charge, les consuls
devraient faire nourrir à leurs frais les soldats
logés chez eux.
Un autre abus s'était introduit, qu'on voulut aussi faire disparaître. Quelques habitants prenaient
le parti, lorsque des soldats étaient logés
chez eux, de leur offrir une somme d'argent et
de les renvoyer pour qu'ils eussent à se pourvoir
comme ils l'entendraient. Ce qui amenait souvent
des désordres, car le militaire qui avait reçu
de l'argent, le dépensait follement en excès, et
puis il retombait sur les bras des consuls.
Le conseil décida qu'en pareil cas l'argent
donné par les particuliers serait considéré comme
non payé, et que tous les frais du logement n'en
seraient pas moins à la charge de ceux qui auraient
ainsi cherché à s'y soustraire, parce que
cette charge devait être supportée par chaque
habitant en personne. On prononça de plus une
amende de trente-deux livres contre ceux qui se
rendraient coupables de pareils abus, dont les deux
tiers seraient versés dans la caisse de l'hôpital et
l'autre tiers servirait de récompense au dénonciateur. Au milieu de tous ces embarras l'activité des
consuls ne fut jamais en défaut. L'intelligence
surtout du consul Chaussegros facilita souvent
la solution des nombreuses difficultés qui se rencontraient.
C'était un homme actif, décidé, énergique,
exerçant une très grande influence sur ses
concitoyens, et il fit pendant l'année de son consulat
le plus grand bien à notre malheureuse cité.
Il eut cependant à soutenir plus d'une lutte. Il
avait fait une vive opposition aux consuls de
1629, qui avaient abandonné la ville au moment
de la peste. C'était lui qui pendant la quarantaine
de santé, s'était opposé le plus vivement à leurs
prétentions de continuer quoique absents leurs
fonctions de consuls, et qui était allé à Aix les
combattre devant le parlement.
Aussi le consul Gaudin ne lui avait pas pardonné,
et il n'est pas de récriminations qu'il ne
fit entendre contre lui. M° Gaudin d'un autre côté avait de nombreuses
relations, il avait des amis qui prenaient sa défense,
et il s'était formé un parti qui cherchait
à entraver l'administration des consuls en charge
et lançait contre eux les accusations les plus malveillantes.
Les choses furent poussées si loin qu'un jour
en pleine place publique M° Honoré de Feyssal ,
qui avait été le premier consul subrogé, lorsque
commença la purification de la ville, s'était permis
les accusations les plus violentes contre les consuls et avait accablé d'injures le consul Chaud
dans l'exercice de ses fonctions.
Un rapport de ce fait excessivement grave fut
présenté au conseil, qui ordonna d'informer
contre ledit M. de Feyssal et de le poursuivre
sans retard.
Cette lutte dura jusqu'à la création du nouvel état, qui se fit au milieu d'une agitation
très vive. Le consul Chaussegros fit des efforts
inouis pour exclure du conseil général et du conseil
particulier l'ancien consul Gaudin. Sa proposition
fut même adoptée ; mais le lendemain,
sur la réclamation de M° Gaudin , et par les
efforts de ses amis, l'assemblée revint sur cette
décision et M. Gaudin fut admis à faire partie des
deux conseils. Le procès-verbal, qui devait être
rédigé avec un peu de passion et qui probablement
devait faire connaître les causes de cette
lutte, a été mutilé, le feuillet qui le contenait
a été déchiré et il n'en reste que le commencement
et la fin. Ce n'est pas le temps qui a fait
cette mutilation. Nous croyons plutôt qu'une fois
les haines apaisées, pour ne pas laisser un souvenir
éternel de ces tristes querelles, les parties
intéressées dûtrent faire disparaître les pages que
nous ne retrouvons plus aujourd'hui.
Quoiqu'il en soit de cette lutte, le consul
Chaussegros n'en était pas moins un homme remarquable.
Il fut député à toutes les assemblées
des états et des communautés qui se tinrent en
Provence pendant son consulat. Il avait assisté
au mois de mai à l'assemblée tenue à Valensole ;
le 25 octobre il avait été présent à Aix. Là il
s'était mis en relation avec toutes les notabilités
provençales, et son opinion y exerçait une influence
notable. Député au commencement de l'année 1631, à
l'assemblée qui fut convoquée à Marseille le 11
janvier et qui se tint dans l'ancienne abbaye de
St Victor, il prit une part très active et très remarquable
aux travaux de cette assemblée, et
fut un des sept membres qui furent députés vers
le roi de France, pour remédier aux maux que
causaient aux populations les logements continuels
des troupes.
Au moment où ces députés allaient se mettre
en route pour Paris, le prince de Condé, que
nos registres qualifient, premier prince du sang,
duc d'Anghien et de Chasteau-Roux, premier
duc et pair de France vint en Provence envoyé
par le roi pour transmettre ses ordres aux états
généraux qu'il fit convoquer à Tarascon pour le
6 mars.
Dès qu'on sut son arrivée en Provence , une
nouvelle assemblée des communautés fut tenue
à Aix et une députation de douze personnes,
parmi lesquelles se trouva encore désigné le consul
Chaussegros fut envoyée vers le prince.
Le 6 mars notre consul assistait encore comme
représentant de la ville de Digne aux états généraux
qui y furent tenus, états dans lesquels le
prince de Condé annonça que sur les plaintes du
pays le roi avait fait retenir en Languedoc les
troupes qui venaient en Provence, mais il leur
déclara en même temps qu'il fallait que le pays lit des dons notables au roi. Les états remercièrent
le prince et entrèrent en conférence avec
lui. Ils offrirent un million de livres. Le prince
en voulait deux: on finit par fixer le chiffre à un
million cinq cents mille livres payables en quatre
ans. Ces mêmes états ordonnèrent des poursuites
contre les vols et pillages commis par les gens
de guerre, mesure à laquelle le consul Chaussegros
ne resta pas étranger.
Le 21 mars suivant les consuls nommés en
1630, après la peste, furent remplacés par M° Jean-Baptiste Faucon, sieur du Sauze, premier consul,
Pierre Roddes, sieur de Barras, deuxième
consul, et Antoine Taxil, marchand, troisième
consul.
Quelques jours après, le 28 mars, on reçut de
Paris, l'exemption accordée par le cardinal Richelieu
du logement des troupes. Nous en donnons
la copie :
Le cardinal de Richelieu lieutenant-general de
larmee du Roy.
Nous desirans exempter de tous logementz et courses
de gens de guerre la ville de Digne en Provence,
a cause de la malladie contagieuse dont les habitantz
de la dicte ville ont este atlliges et qu'ilz ont
souffert durant les guerres d'Itallie, deffandons très
expressement a tous gens de guerre tant de cheval
que a pied dy loger prandre forrages ny emporter
aulcune chose sy ce nest en payant sur peine de punition
examplaire, laquelle ville ensemble lesdicts habitantz nous avons mise en la protection et sauvegarde
du roy et la nostre, et pour cest cffect leur
avons permis et permetons par les presantes de fere
raetre et appozer aux lieux et endroictz plus eminentz
de la dicte ville les armes et panonceaux de sa
majeste et les nostres, et où aulcung dcsdictz gens
de guerre seroient cy ozes denfraindre la presante
sauvegarde mandons au premier prévost au juge royal
sur ce requis de se saisir des contrevenantz et
les fere punir si rigoureusement que les aultres y
prenent example.
Faict a Lyon le dixiesme jour doctobre mil six cent
trante.
Le cardinal de Richelieu ainsi signe
et plus bas :
Par mondict Seigneur.
Martin, ainsiz signe.
Scelle en marge du sceau et armes de mondict
seigneur le cardinal.
Cette exemption fit grand plaisir aux habitants
de Digne, mais elle était à peu-près sans valeur
si on n'obtenait pas une semblable exemption
du gouverneur de Provence, alors le duc de
Guise, et du prince de Condé. Aussi le conseil
s'empressa de députer vers eux le premier consul
Du Sauze pour la solliciter.
Trois jours plus tard, la ville était menacée d'un
nouveau logement de gens de guerre. Une compagnie
qui se trouvait à Courbons se disposait à
venir à Digne. Les consuls eurent hâte d'aller au devant d'eux. Ils firent au capitaine un présent
de 60 pistolles d'Espagne, et ils obtinrent ainsi
qu'ils n'entreraient pas dans la ville.
Nous arrivons à l'époque où eut lieu la seconde
invasion de la peste dont parle Gassendi dans son
récit. C'est encore au commencement du mois
de juin de l'année 1631 , que les premiers symtômes
se manifestèrent, et on comprend sans
peine de quelle épouvante furent frappés les
habitants de notre malheureuse cité.
Dès qu'on eut la certitude que la maladie avait
reparu il se fit une désertion presque générale.
On redoutait l'arrêt que sans doute allait rendre
le parlement de Provence, dès qu'il serait averti.
On avait toujours présents à la pensée les déplorables
résultats de la séquestration ordonnée en
1629, et on voulait échapper aux conséquences
d'un ordre aussi cruel.
Le bureau de santé s'était assemblé le 5 juin.
Il avait ordonné toutes les mesures de précaution
que la prudence pouvait suggérer. On avait établi
l'infirmerie au quartier des Camargues; mais
c'était un endroit marécageux, humide, malsain, dans lequel tous souffraient, et les malades
atteints de la peste, et ceux qui étaient obligés d'y
rester, pour leur donner des soins. Les médecins
notamment avaient réclamé, et le bureau de
santé émit l'avis que l'infirmerie actuelle fût
abandonnée et qu'on choisit un local plus favorable.
Les consuls auraient voulu immédiatement en
référer au conseil ; mais la désertion avait été
telle dans la ville, qu'il n'y avait pas moyen de
réunir un nombre suffisant de conseillers. On
fut obligé d'envoyer des avis de convocation
dans les villages et dans les campagnes des environs, et on parvint enfin à en réunir quelquesuns,
hors la ville , au quartier de St.-Lazare,
dans un pré appartenant aux hoirs du conseiller
Gaudin.
Le conseil ainsi assemblé approuva toutes les
mesures prescrites par le bureau de santé, et
ordonna l'abandon de l'infirmerie des Camargues
en décidant qu'une nouvelle infirmerie serait
établie dans le couvent des pères Cordeliers. Le conseil ratifia également un traité fait par
les consuls avec les médecins et les apothicaires,
pour assurer le traitement des malades.
Comme dans la première invasion, pour éviter
que les consuls, qui étaient obsédés de supplications, ne fussent mis en contact avec des
malades atteints de la peste, on leur permit d'établir
près de leurs personnes, trois gardes pour
les accompagner dans leurs courses de nuit, et de
doubler ce nombre au besoin, en se faisant suivre
en même temps du lieutenant de viguier.
On les autorisa à traiter avec tous les médecins
et chirurgiens qui consentiraient à se dévouer
aux soins des malades.
Enfin le conseil ordonna d'une manière expresse
qu'on établit des gardes à toutes les portes
de la ville pour ne laisser entrer aucune personne étrangère, aucun animal ni chose quelconque,
jusqu'après le rétablissement de la
santé.
Mais les consuls n'eurent pas seulement, dans
ce moment d'épouvante et de désordre, à lutter
contre la terreur des habitants, et les violences
de la maladie; ils eurent d'autres embarras à
supporter.
C'est au moment où la ville était de nouveau
désorganisée que le trésorier royal exigeait avec
une dure sévérité le payement des tailles royales
et du pays. On le supplia, on lui exposa la situation,
et on le pria d'accepter lui-même le pouvoir
des consuls pour emprunter au nom de la ville,
car ils ne pouvaient pas abandonner leur poste
dans un pareil moment, et ils ne devaient guères
songer à trouver de l'argent à Digne. D'un autre côté, on craignait de manquer de
viande pour la consommation ; le boucher de la ville ne tenait pas les engagements qu'il avait
pris. Les consuls furent obligés de saisir les moutons
qu'il avait chez lui et de les mettre en vente
à ses frais.
Cependant la peste faisait tous les jours des
progrès. Vers le commencement de juillet on
apprit qu'elle s'était déclarée au couvent des
pères Récollets.
Les consuls se trouvèrent alors dans un grand
embarras. La délibération du conseil du 22 juin,
avait ordonné de transporter l'infirmerie dans le
couvent des Cordeliers, Or, il y avait dans ce couvent
une chapelle dans laquelle les fidèles pouvaient
suivre les offices divins. L'église St.Jérôme
n'avait pas de prêtres, et d'ailleurs elle
n'était pas dans ce moment propre au service des
autels. Si on était obligé de fermer encore la
chapelle des Récollets, il ne restait plus à Digne
d'église où l'on pût célébrer le service divin.
Préoccupés de cette pensée, les consuls se hàtèrent
de convoquer un conseil, qui se tint le
9 juillet sur la grande place publique du Marché.
Sur l'exposé fait par M. de Barras, premier
consul, le conseil décide à l'unanimité que église et le couvent des Pères Observantins
resteront fermés, et que les consuls y établiront
des gardes, pour assurer la séparation des
religieux en état de santé et de ceux atteints
de la contagion. Le conseil autorise en même
temps les consuls à fournir aux malades de
cette communauté tous les secours dont ils
pourront avoir besoin, soit en aliments, soit
en remèdes. Puis, revenant sur l'ordonnance
précédemment rendue, il décide que le couvent
des Cordeliers ne sera pas transformé en
infirmerie, que son église restera ouverte aux
fidèles, et qu'en cas d'insuffisance de l'infirmerie
des Camargues (1), on disposera de nouveau l'hôpital St.Lazare.
(1) Le quartier des Camargues n'était autre que celui appelé aujourd'hui quartier des Epinettes. La preuve en résulte de nos anciens livres terriers dans lesquels on trouve fréquemment cette mention: Située au quartier des Camargues ou des Espinettes. Quant au bâtiment qui, en 1631, servit d'infirmerie, nous n'avons rien découvert encore qui ait pu nous mettre sur ses traces. Le seul bâtiment de ce quartier qui nous ait paru propre à cette destination est la maison où a été établie aujourd'hui la fabrique de draps de M. Banon. Nous ne pouvons cependant rien affirmer à cet égard.
Il est intéressant, sans doute, de suivre
pas à pas toutes ces tribulations successives
qu'éprouvèrent nos pères, pendant cette seconde
invasion de la peste, qui fut moins terrible
et moins désastreuse que la première ;
mais nous comprenons que ces détails finissent
par devenir fatigants, aussi allons-nous désormais
passer rapidement sur les faits qui nous
restent à raconter, pour arriver à la fin d'un
travail que beaucoup, peut-être, trouveront un
peu long.
A l'époque où nous sommes arrivés, on manquait
à Digne de fioles, de topettes, pour nous
servir d'un mot vulgairement employé, de tous
ces ustensiles enfin si nécessaires aux malades.
Le départ d'un marchand verrier en était la
seule cause. Les consuls, après s'être fait auioriser par le conseil, n'hésitèrent pas à faire
ouvrir ses portes, et à mettre ainsi à la disposition
des habitants tous les objets dont ils
sentaient la privation.
C'est encore pendant ce mois de juillet que
notre ville fut témoin d'une scène assez étrange.
Le procureur du roi, au siège de Digne, M.
Moutoux, avait reçu, dans une question de préséance qui l'intéressait, une opposition de
la part des consuls, qui l'avait violemment
irrité. Il se répandait en menaces, et les consuls
craignaient qu'il ne fût capable d'attenter
à leur vie.
Ils exposèrent leurs craintes au conseil, et demandèrent l'autorisation de diriger des poursuites
contre lui, mais les membres les plus
influents de l'assemblée intervinrent, ils firent
décider qu'il serait sursis jusqu'après la cessation
du fléau à de pareilles poursuites, et
ils parvinrent à calmer les consuls.
Cependant la peste ne discontinuait pas: le
linge manquait à l'infirmerie ; il fallut s'en
procurer.
On nomma un surintendant de l'infirmerie
pour activer la garde qui s'y faisait.
On régla de nouveau le système des quarantaines,
et on recommanda les plus minutieuses
précautions.
On prescrivit l'ensevelissement de tous les morts de peste dans le pré des Cordeliers qui
était le cimetière du couvent.
Dans les derniers jours du mois de juillet,
une jeune fille mourut de la contagion au sein
de sa famille, sans que les parents eussent
averti l'autorité municipale. Lorsqu'on voulut
les envoyer en quarantaine ils refusèrent de
sortir, et alors, tant la peur était grande, on
ordonna de boucher les portes et les fenêtres
de leur maison, pour empêcher toute communication
extérieure.
Une famille voisine et liée d'amitié et de
parenté avec elle, était venue prodiguer des
soins à la jeune malade. On défendit à tous
ses membres de dépasser leur porte, dont ils
furent tenus de remettre les clefs aux intendants
de la santé. Le 5 août, le conseil assemblé sur la place
du marché, renouvelle le voeu fait le 15 juillet
1629, et élève de nouveau des supplications;
et des prières vers le souverain maître. On
promet solennellement de l'exécuter dès la cessation
du fléau, alors que la ville aura recouvré
sa libre entrée. Chacun des habitants devra
tenir personnellement à son accomplissement.
En même temps on prend des précautions
sévères, et on fulmine des peines très fortes contre tous ceux qui ayant des malades dans
leur maison, soit dans l'intérieur de la ville,
soit dans l'étendue du territoire, refusent d'en
sortir pour se mettre en quarantaine.
C'était le moment de procéder à un travail
qui, à cette époque, occupait nos pères beaucoup
plus qu'aujourd'hui. Le terroir de Digne
était surtout complanté en pruniers, et vers le
mois d'août, la plus grande partie des habitants
se réunissaient par groupes de quinze à
vingt personnes pour procéder à la pelure des
prunes que l'on faisait sécher.
On sentit la nécessité de nommer des commissaires
pour veiller à ce que le plus grand
ordre régnât dans cette opération. Les groupes
devaient être à distance les uns des autres, et
si un cas de peste venait à se déclarer parmi
les travailleurs, tout le groupe dont le malade
faisait partie devait être sequestré, et pour ce
cas les précautions les plus minutieuses étaient
prescrites. Fnfin, on songea aussi à la purification de
la ville. Le chirurgien Isnardy qui, pendant
cette seconde invasion, avait fait preuve de
zèle et d'habileté, est appelé sur la place des
herbes, et là, on traite avec lui pour qu'il se
charge de cette entreprise. Il accepte et on
convient qu'il la fera moyennant le payement
d'une somme de 200 livres, qui lui sera fait,
moitié dès que la purification sera commencée,
et moitié après son achèvement.
Malgré l'offre faite par un habitant de prendre
cette opération moyennant la somme de 150
livres, le conseil, à cause de la confiance que
lui inspire M. Isnardy, maintient sa première
délibération. La purification commença vers le 10 août,
et dès le 12, la première somme de 100 fr.
convenue avec le chirurgien Isnardy, lui fut
comptée.
Cependant deux nouveaux cas de peste s'étaient
déclarés : l'un certifié par deux médecins,
et contesté par M. Isnardy, qui probablement
ne voulait pas être arrêté dans son entreprise
de purification; l'autre, qui avait frappé
un frère Cordelier. Les deux victimes furent
envoyées à l'infirmerie, et tous ceux qui avaient
subi leur contact furent mis en quarantaine.
La purification fut donc suspendue, et ce ne
fut que le 20 août que les consuls furent de
nouveau autorisés à traiter avec tous ceux qui
pourraient être nécessaires à cette grande opération,
et les apothicaires Bollogne et Copi furent chargés de fournir les drogues qui devaient
y être employées.
C'est dans ce moment que le receveur Boyer
fit aux consuls un commandement pour la somme
de 1,200 écus arriérés sur les deniers du roi et
du pays.
Les consuls assemblent, le 31 août, un conseil
général dans un pré situé dans le terroir de
Courbons, et on charge les consuls de constituer
pour procureurs MM. du Sauze, Feyssal et
Boyer, avec pouvoir d'emprunter cette somme
aux meilleures conditions.
Il paraît que la ville se trouvait en ce moment
dans un grand état de détresse, car cette délibération
contient, en finissant, une protestation des
consuls, sur ce que le défaut de fonds les empêche
de faire face aux nécessités du moment.
Le conseil semble y pourvoir en faisant appliquer,
aux nécessités de la ville, le surplus de
la somme empruntée, sur laquelle 1,200 livres
seulement devaient être consacrées à payer le trésorier du roi et du pays. Mais il paraît que
les consuls n'en étaient pas contents et qu'ils
avaient à se plaindre de la conduite méfiante
du conseil à leur égard, qui n'avait pas voulu
déjà faire droit à leur plainte contre le procureur
du roi, ce qui les oblige à renouveler leur protestation
contre lui.
Le 5 septembre le chirurgien Isnardy déclare
qu'il ne peut plus se charger de l'infirmerie, et
les consuls sont obligés de traiter avec un autre
habitant, Revest Gilly, et de le faire aux meilleures
conditions.
Les formalités de la purification recommencèrent
le 15 septembre : on purifia d'abord les maisons infectées de peste et on décida qu'après
les vendanges on convoquerait une assemblée
de tous les chefs de famille pour délibérer sur la
question de savoir si on devait procéder ou non
à une purification générale.
Pour éviter toutes communications entre les
habitants et ceux du dehors, on arrêta qu'elles
s'ouvriraient le 1er octobre et dureraient jusqu'au
15, sous la condition que ce délai de
quinze jours serait affecté, savoir : les huit premiers
jours aux habitants qui avaient déserté la
ville et se trouvaient dans les environs, et les
autres huit jours aux habitants qui se trouvaient
dans la cité.
Pour hâter la purification, on fit un nouvel
accord, avec un apothicaire et trois autres habitants, que le conseil ratifie le 18 septembre.
C'étaient Reybaud, Paget et Lyons.
On nomma pour intendant Monnet Desdier,
qui fut chargé de leur procurer tout le parfum
qui serait nécessaire, et pour contrôleur,
André Boyer, qui devait soigneusement enregistrer
les meubles et autres objets de chaque
habitant qui seraient soumis à la purification et
qui devraient ensuite être remis à la garde d'un
surveillant qui empêcherait que personne ne les
touche.
A cette époque, la mortalité diminua, elle
cessa bientôt complètement, et la purification
dût être poussée avec activité. Ce ne fut pourtant
que le 13 novembre suivant que la ville ouvrit
ses portes aux étrangers. Mais on exigea qu'ils
fussent munis de billets de santé. Elle se pourvut, dans le courant de décembre,
auprès du parlement pour obtenir la libre entrée
de la ville. Elle l'obtint tout de suite; mais, par
un excès de crainte et de précaution, elle ne
voulut la faire connaître que dans le mois de
janvier.
Pendant les premiers mois de l'année 1632,
la ville se trouva enfin complètement débarrassée
du fléau. La création du nouvel état eut lieu,
comme d'habitude, le 24 mars, dimanche de la
Passion. Les consuls nommés furent: M° Antoine
Hesmivy, avocat; François Jacques, bourgeois;
et Pierre Brunel, marchand.
Le premier consul, M° Hesmivy, craignant
que la ville, si elle n'accomplissait pas son voeu,
ne fût exposée de nouveau à la colère céleste, s'empressa, dès le 13 avril, de faire au conseil
la proposition ci-après :
« Auquel Conseilh a este reprezante par ledict
» sieur Consul Hesmivy, que pendant le temps
que ceste ville feust affligee de la peste, il
feust faict voeu par les sieurs consulz de lorz et plusieurs aultres particulliers quy estoient en ladicte ville, par delliberacion du bureau de santé du 15 juilhet 1629, qu'aprez la cessation de ladicte malladye, la plus grande partye du peuple de la ville quy aura este preservee de ladicte malladye iroient a pied portant un flambeau allume en main a Notre-Dame de Grasse pour randre tres humblemant grasses à Dieu et a sa tres glorieuse mère patronne de ceste ville, du benefice receu de Dieu par ses prieres et intercession, et feroit haumosne a la chapelle de Cotignac, hérigée soubz le nom de la glorieuse vierge, jusques a la somme de mil livres, des deniers de la communaulte, ce chargent a cest effect conscience et la postérité de satisfere a ce voeu, et parce que ceste ville ne peut jusques a aujourd'hui y satisfere, tant a cauze de la surcharge des gens de guerre quont lauge en icelle que encores par la rechute de peste y arrivee l'este dernier, a requis le conseilh delliberer et effectuer le voeu. Sur quoy ledict conseilh a dellibere et donne pouvoir aux sieurs consulz demprunter la somme de quinze cents livres pour les employer a ce que sera necessere pour aller fere et effectuer ledict voeu, et pour cest effect partir de ceste ville le plux dilligemment que se pourra.»
Ce pèlerinage s'effectua dans le courant du
mois de juin de l'année 1632. Outre l'aumône
de 1,000 livres, les dépenses s'élevèrent à un
peu plus de 400 livres.
Depuis lors notre ville n'a plus été désolée
par cet épouvantable fléau.
Numérisé par J. P. Audibert