Tiré de : « Description des principaux lieux de France » par J. A. Dulaure. Tome I, 1789.

L'orthographe a été modernisée.

Riez

Cette ville épiscopale est située à deux lieues de Moustiers, à dix et demie de Dignes, et à douze lieues d'Aix ; elle portait ancienne­ment le nom de Reii ou bien de Colonia, Reiorum apollinarium.

origine. César envoya dans ce pays une colonie Romaine, qui fonda cette ville, dont les habitants furent nommes Apollinares , à cause du culte particulier qu'ils y rendaient à Apollon.

Les nombreux monuments qu'on a découverts dans des fouilles, ou qui existent encore, sont une preuve de l'ancienne magnificence de cette ville. Il est malheureux pour les Beaux-Arts et pour l'Histoire, que les habitants de Riez ne se soient pas plutôt dépouillés de cette indiffé­rence, de ce mépris pour les restes précieux de l'antiquité, de ce caractère digne des peuples féroces et ignorants qui ont ravagé l'Europe, et qui se plaisaient à détruire ce que le bon goût et le génie avaient élevé à grands frais.

On aurait pu rassembler, dans cette ville, une collection des plus précieuses, de médailles,d'urnes, de petites idoles, de statues, d'anciens instruments destinés aux sacrifices, etc. mais l'esprit intéressé et peu curieux des habitants a tout négligé ou détruit. On y a vu dans ce siècle ci des maçons dégrader en un instant des raretés que le temps et les barbares avoient épargnés pendant plus de douze cents ans ; des pierres chargées d'inscriptions intéressantes, ont servi aux fondements des édifices moder­nes ; des autels antiques, des chapiteaux, des frises magnifiques ont été indifféremment mutilées, taillées et détruites comme des pierres brutes.

antiqvitês. Malgré cette indifférence, il reste encore à Riez des monuments antiques considérables. Le Panthéon, qui forme aujour­d'hui l'église de Saint Clair, a été magnifi­quement décrit par un Prêtre de cette ville , nommé Bartel, qui fit imprimer, en1636, un ouvrage intitulé, Historica & Chronologica Prasulum Sanctae Eclesiae Reg. Nomenclatura.

La forme extérieure de ce Panthéon est car­rée, celle de l'intérieur est ronde ; il est soutenu par huit colonnes corinthiennes de granit qui ont vingt pieds de haut. Il y avait autre­fois à l'extérieur et à la naissance du dôme, trente-six colonnes de marbre d'une petite pro­portion, qui soutenaient douze niches où étaient placées les statues des douze grands dieux. Un évêque appelé M. Valavoire, s ans respecter la propriété des habitants, ni l'antiquité de cet édifice, l'a dégradé en faisant enlever et transporter ces petites colonnes hors du diocèse, dans les terres de sa famille. Il est vrai que, pour dédommager les habitants de cette spoliation, ce prélat fit bâtir l'aile qui est devant cet ancien monument dont ses prédécesseurs avaient fait un baptistère.

Pour les douze statues, elles furent aussi enlevées longtemps auparavant par la comtesse Mabile , qui les transporta dans sa terre de Sorps, proche Beauduen (1).

Le long du grand chemin, au dessous des Cordeliers, on voit quatre colonnes sur pied, qui sont les plus belles, les plus grandes de la province, et un des morceaux les plus curieux qui restent en France, des anciens Ro­mains ; elles sont de granit, et portent encore leur entablement : on présume qu'autrefois elles étaient au nombre de douze, et qu'au mi­lieu s'élevait la statue colossale du soleil. Jule Raimond de Soliers croyait que ces quatre colonnes formaient la partie antérieure d'un superbe mausolée. Le Père Miraillet pensait qu'elles étaient un reste de prétoire. Comme on n'a point trouvé d'inscription, on ne peut former que des conjectures sur l'espèce d'édi­fice auquel ces colonnes appartenaient.

Dans le siècle dernier, on trouva, parmi des ruines antiques, une très grande pierre servant d'autel dédié à la mère des Dieux, et plusieurs fragments de pierres précieuses.

En1690, on découvrit une statue représentant un jeune homme de quinze ans, et tout au­près un bras de cuivre doré.

(1) Le Père Miraillet, Jésuite, dit en1654, dans ses En tretiens délicieux , à propos des Pièces antiques portées de Riez au château de Sorps, que son grand père ayant fait creuser auprès de ce château, trouva un grand Pégase de jaspe, un Apollon de corail, une Andromède, une grande Minerve, un beau carré d'ivoire et d'ébène, etc.

  En 1703, proche du Panthéon, on déterra une grande pierre carrée qui avait servi de socle à une statue du dieu Silvain. Environ l'an 1735, on trouva en­core dans le lit du ruisseau oriental une petite idole de Mercure.

description. La ville de Riez avait an­ciennement une grande étendue, et était divisée en haute et basse ; mais les ravages des Sarrasins et des guerres civiles l'ont réduite au petit espace qu'elle occupe. Quoiqu'elle soit très peuplée, et que les rues en soient étroites, l'air y est pur. On remarque que la plupart des maisons de cette ville ont des escaliers très obscurs ; il semble que les maçons se soient accordés pour faire partout le même défaut de construction.

Riez se trouve presque situé au milieu de la Provence ; il est entre deux ruisseaux, et au bas d'une colline nommée le Mont

Saint-Ma­xime.

Cette ville n'a que deux portes, la pre­mière, qui est orientale, s'appelait autrefois la porte Aiguière, elle est aujourd'hui nommée la porte de la fontaine ronde, à cause d'une belle fontaine qui est en face, et qui fournit abondamment de l'eau par neuf tuyaux ; la seconde porte était anciennement appelée la porte de Saint-Sol (1) , et aujourd'hui la porte de Puimoisson ; au de là de chacune de ces portes sont deux faubourgs considérables.

( 1) C'est par l'ancienne porte de Saint-Sol , qu'au mois de juillet de l'an 478, le célèbre Sidoine Apollinaire fit son entrée à Riez, lorsqu'il vint visiter é vêque de cette ville. Sidoine, appelé C. Sollius Sidonius Apollinaris ne portait vulgaire­ment que le nom de Sollius. Pour conserver la mémoire de cette visite honorable, les habitants de Riez donnèrent le nom de Sollius à la porte, à la rue et au bourg par où Sidoine était entré, ainsi qu'à la fontaine qui avoisine cette porte dont il préférait l'eau à celle des autres fontaines de cette ville. Le peuple nomme encore cette fontaine Sansous par corruption de Sanctus Sollius. Sidoine avait épousé la fille de l'Empe­reur Avitus; il devint préfet de Rome, chef du Sénat, et patrice ; il fut ensuite nommé, en 471, â l'évêché de Clermont. Charmé de la manière honorable et magni­fique dont Fauste l'avait reçu à Riez, Sidoine l'en remercia à son retour par un poème de cent vingt huit vers.

  II y a eu trois cathédrales à Riez; la première fut bâtie par les prédécesseurs de Saint-Maxime, sous le nom de Notre-Dame du Siège , parce qu'elle fut le premier siège de la religion chré­tienne en cette ville ; elle était au dessus et vis-à-vis du Panthéon, dans l'endroit où l'on voit aujourd'hui une croix, qui est le seul reste de ce pieux monument. Son élévation au dessus du temple de tous les dieux, marquait le triomphe du christianisme sur la religion des Romains. Comme les premiers peuples de Riez adoraient particulièrement la mère des Dieux, les premiers prélats de cette ville, pour ne point trop heurter de front les opinions des ha­bitants et les accoutumer, par un changement peu sensible, à la nouvelle religion substituèrent au culte de la Mère de tous les Dieux celui de la Mère du Dieu des Chrétiens. Ils ne renversèrent point le Panthéon qui était voisin mais ils le sacrèrent, et le convertirent en bap tistère qui porta longtemps le nom baptismal de Saint-Jean.

Saint-Maxime fit bâtir une seconde cathé­drale très-magnifique, dont plusieurs auteurs font la description. Elle était située sur le haut de la colline, pour la commodité des habitants de la ville haute nommée alors Castrum; elle fut dédiée à Saint - Alban. La première église conserva encore longtemps son existence et ses prérogatives; mais ayant été détruite par les Sarrasins, le siège épiscopal fût transféré à l'église haute, qui prit alors le nom de son fondateur Saint-Maxime . Les guerres for­cèrent dans la suite les évêques à convertir leur palais, voisin de cette église, en une forteresse.

Enfin, lorsqu'en 1490 on jeta les fondements d'une nouvelle église proche les fossés de la ville, cette cathédrale se trouvant éloignée, fut insensiblement abandonnée. Elle conserva en­core son titre jusqu'en 1520 ; alors le siège fut transféré dans la nouvelle, qui est celle qu'on voit aujourd'hui : depuis on négligea d'y faire les réparations nécessaires. Vers l'an 1589, elle fut livrée aux ravages des soldats de la garnison du château épiscopal, changé en citadelle, et ses portes demeurèrent toujours ouvertes ; elle servit même, dit-on, dans une grande tempête, de retraite au gardien commun des pourceaux, et à s on troupeau ; mais on assure que cette espèce de profanation fût sur le champ miraculeusement punie. Enfin les habitants de Riez, fatigués du voisinage des soldats de la garnison qu'on entretenait dans le château épiscopal, obtinrent, à prix d'argent, de raser cette citadelle. En même-temps, dit un historien du pays, «ils portèrent aussi, l'an 1596, leurs mains sacrilèges sur leur cathédrale ; cette église si vénérable, si auguste, bâtie par leur saint patron, et qui avait subsistée près de douze cents ans, sans avoir pour cet effet ni ordre, ni permission du Roi, ni du Gouverneur » et malgré l'opposition de l'Evêque et du Clergé. Ils avaient au moins conservé le sanctuaire jusques vers le mois d'octobre, mais ils le démolirent avant la fin de la même année (1)».

Dans la suite, pour réparer la faute de leurs aïeux, les habitants de Riez firent élever, sur les ruines de cette ancienne cathédrale, une chapelle en l'honneur de Sainte-Maxime ; on y releva six colonnes sur leurs bases, on y fit de petits arcs semblables à ceux du Panthéon, on éleva ensuite deux autres grandes colonnes qu'on plaça sur le devant de la chapelle, qui fut achevée en 1665 ; c'est auprès de cette chapelle que M. Phelipeaux, évoque, fit, en 1719, bâtir le séminaire.

La troisième cathédrale qui existe aujourd'hui, fut construite, comme nous l'avons dit, en 1490 ; Saint-Maxime et Sainte-Thècle Martyre, en sont les patrons. Si la précédente, cathédrale fut profanée et entièrement dé­truite en temps de paix par les catholiques habitants de Riez ; celle-ci fut pillée, ravagée en temps de guerre, par des étrangers hugue­nots.

(1) Un manuscrit intitulé, Description de la ville de Riez en Provence.

Suivant l'auteur ecclésiastique du manuscrit déjà cité, les Huguenots, commandé par beaucoup de noblesse, entrèrent dans Riez en juillet 1574, «environ deux heures avant le jour, ils remplirent tout de meurtres, et rui­nèrent presque cette ville ; les prêtres furent maltraités ; plusieurs livres et anciens papiers furent brûlés, les ornements, les vases sacrés furent pillés ; les belles peintures qui étaient autour du sanctuaire, défigurées à coup de balles, aussi bien que la façade de l'église , qui parait encore enfumée et brûlée ; la voûte de la sacristie rompue, le clocher abattu, les cloches rompues et enlevées; enfin on ne laissa dans l'église que les quatre murailles ; elle fut pro­fanée jusqu'à y faire entrer les charrettes de l'artillerie ».

L'église et le couvent des Cordelière furent démolis en cette occasion. Le Maréchal de Rets reprit cette ville sur les huguenots au mois de décembre suivant.

La cathédrale fut peu à peu rétablie par la libéralité d'Henri III et par les soins de l'évêque Rastelli ; la sacristie fut achevée en1594, et la construction du clocher ne commença qu'en 1599; il est placé à côté du sanctuaire. En 1647, M . d'Attichi évêque de Riez, augmenta la cathédrale de la nouvelle nef, fit faire la première des sept chapelles à s es dépens et un caveau pour la sépulture des évêques.

Usages anciens. Les païens faisaient à Riez, en l'honneur de Cybèle, un sacrifice appelé des Touroboles. On commençait cette cérémonie par creuser une fosse profonde que l'on couvrait de planches trouées en plusieurs endroits ; sur ces planches, était étendu le tau­reau destiné au sacrifice. Le Prêtre, vêtu d'une robe de s ois et la tête ceinte de bandelettes, se plaçait au dessous de ces planches, et la victime étant égorgée, il se tournait de tout côté pour recevoir sur ses habits le sang qui en découlait. Après son entier écoulement, il sortait de la fosse tout couvert de sang, et le peuple se prosternait devant lui comme devant la Divinité. Ces habits ensanglantés, qui leur inspiraient la plus profonde vénéra­tion, étaient conservés comme un objet sacré.

Ces sortes de sacrifices, appelés régénération , parce qu'on était persuadé que le sang de la victime purifiait toutes souillures, ne furent avouées à Rome , par le Gouvernement, que sous le règne d' Antonin Pie , vers le milieu du deuxième siècle, et ils furent ensuite prati­qués dans la Gaule.

promenades, Les promenades de Riez, le long des prairies, sont très agréables. Les coteaux voisins sont plantés de vignes et d'oli­viers qui offrent une jolie perspective. Daridel dans son Histoire des plantes de Provence, place les vins de Riez au nombre des meilleurs de cette province ; cette opinion est établie depuis longtemps par ce proverbe latin :

Vinum Rejense super omnia vina recense

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Scannérisé par J.P. Audibert