Le petit Epeautre de Haute Provence: Fidèle à son terroir 

La mondialisation apporte l'uniformité de nos modes de vie qui mijotent dans des marmites aux recettes toutes faites. Tout semble accommoder d'avance : du bouillon de nos pensées à la réceptivité de nos papilles gustatives !

Heureusement, la Haute Provence apparaît comme une terre de saveurs originales. Elle recèle des richesses de goûts qui viennent de la préservation de son environnement et de ses ressources millénaires. Un bel exemple de ces saveurs intactes est le petit épeautre de Haute Provence.

1- Une céréale antique.

Le petit épeautre (1) est une céréale du bassin méditerranéen qui a été fortement consommée à l'époque romaine. Selon les archéologues, cette précieuse nourriture (2) aurait 10.000 ans et se retrouve en Provence dès le néolithique. Puis, sa culture fut abandonnée au profit du blé au rendement plus facile et plus élevé.

Pourtant le petit épeautre (3) trouva un foyer de résistance en Haute Provence. Les paysans les plus pauvres, dans les coins les plus reculés, qui n'avaient ni les conditions ni les moyens d'une nouvelle culture, continuèrent la production de l'engrain (autre nom du petit épeautre) pour la consommation familiale. Ainsi, la Haute Provence dans un terroir voisin à celui des espaces lavandiers a sauvegardé par nécessité et attachement cette céréale rustique à la saveur inchangée, qui n'a subi aucune modification génétique depuis des siècles.

2- Une céréale rustique.

C'est en plein été, plus tardivement que le blé, que les champs de petit épeautre vont prendre leur belle couleur jaune d'or. Ces champs côtoient souvent des plantations de lavandes et c'est alors un éclat de bleus et de jaunes qui créent un pays de couleurs suaves.

Ces paysages emblématiques passent par Forcalquier, Vachères, Redortiers, Sault, Les Omergues, Sederon jusqu'à Laragne. Mais quelles sont les caractéristiques du petit épeautre ? Si il a traversé les siècles c'est parce que c'est avant tout une céréale rustique. Cette graminée est peu exigeante c'est-à-dire qu'elle résiste aux variations climatiques, ne craint pas le froid, pousse en altitude, n'a pas besoin de pesticide et surtout se contente de très peu d'eau. La tige est courte, son épi est aplati formé de deux rangs de grains à alignement symétrique et sa barbe est de grande dimension. Mais si elle s'est réfugiée en Haute Provence, c'est que sa culture nécessite de nombreux efforts que tous n'étaient pas disposés à consentir.

3- Une céréale coriace.

Le petit épeautre n'est pas un grain nu mais un grain vêtu. Si le blé doit seulement être moissonné et battu pour être consommable, le petit épeautre demande un gros travail. Il a, en effet, une triple enveloppe solide et difficile à ôter. Tout comme le riz, il faudra effectuer du décorticage, du polissage, tout ce mondage lui fera perdre 30% sur son poids initial. De plus, sa récolte est délicate car il possède un axe fragile, l'épi arrivé à maturité se délitant très facilement. On comprendra que tout ce travail exige de la peine et un coût de production élevé.

Heureusement, les agriculteurs de Haute Provence, fidèles à leur patrimoine culturel ont sauvegardé cette graminée à la saveur douce et fruitée.

4- Une céréale d'aujourd'hui.

Aujourd'hui, cette culture traditionnelle semble sauvée. C'est tout un savoir faire, savoir vivre, savoir goûter qui a été relancé par une cinquantaine d'exploitations couvrant 200 hectares . Elle répond à un sursaut salutaire recherchant des produis naturels et diététiques visant un équilibre alimentaire sain.

--- Engrain présenté dans le catalogue Vilmorin au XIX ème siècle.

L'obtention d'un IGP (Indication géographique protégée) en garantit l'origine et la qualité. D'une excellente digestibilité, le petit épeautre s'accommode à la fois comme le blé et le riz au travers de multiples recettes (4) qui vont de la soupe au gratin jusqu'au taboulé, salade ou risotto.

Dans un monde aseptisé où tout est fabriqué selon des normes technocratiques européennes ou soumis au diktat économiques mondial , la persévérance à maintenir cette céréale régionale ressemble, de la part des habitants de Haute Provence, à une leçon de fidélité. Mais le particulier rejoint l'universel.

C'est l'écrivain Jim Harrisson qui écrit :

« Choisir une bonne nourriture et une bonne cuisine, c'est lutter pour une vie juste et réagir à l'environnement tout entier ». 

--- Champ d'épeautre.

A consulter : Article de Marie SILVIONI in revue Terre Provençale, sept. 99.

A le mémoire de mon grand-père, Joseph Pascottini, qui, après Trieste, a partagé avec la Haute Provence une vie de travail et de simplicité.

Robert Sausse

(1) – Triticum monococcum

(2) – Riche en magnésium, phosphore, calcium, acides aminés.

(3) – Deux sortes en France : le grand épeautre que l'on trouve dans le nord et le petit épeautre, dont il est question ici, qui se cultive dans les Alpes et en Provence.

(4) – Quelques recettes : http://www.petitepeautre.com/recettes.html

Les notes sont du rédacteur du site.

sommaire