Eugène Martel : peintre du silence intérieur

Les peintres provençaux sont revenus d'une manière presque obsessionnelle devant leur paysage de prédilection : Ravaisou devant sa campagne aixoise, Olive devant sa Méditerranée, Cézanne devant sa Ste Victoire. Pourtant, en Haute Provence, Eugène Martel a peint un seul paysage intitulé «  La Porte du Mistral » : il s'agit de son haut plateau dans sa solitude et sa grandeur de toujours. C'est que ce peintre viscéralement attaché à son Revest du Bion ( 1 ) a recherché tout autre chose dans la pratique de son art. Il a voulu traduire au terme d'une ténacité de plusieurs années, une vie immuable et intérieure : celle des habitants du lointain pays.

Cette recherche de l'éternité est une démarche à la fois artistique, poétique et mystique : c'est la quête du mystère humain.

--- La Porte du Mistral

  1 – Loin de toute école

Le peintre aixois, Marius Granet en exil à Paris, écrivait dans une lettre « sans soleil pas de bonne peinture ; sans soleil, c'est la mort ».

Si l'attrait de sa région et sa lumière picturale lui est irrésistible, c'est pour une raison bien différente qu'Eugène Martel se retire chez lui, dans sa ferme de Pierrerousse, au Revest du Bion, aux confins de la Haute Provence.

Malgré la fréquentation à Avignon de Pierre Grivolas, un professeur des Beaux Arts moderne qui sort ses élèves sur le terrain du plein air, son caractère demeure rétif à l'enseignement collectif et banalisé. Il en sera d'ailleurs de même au contact de ses collègues de l'atelier avant-gardiste de Gustave Moreau : Matisse ou Rouault. Il écrit lui-même dans une lettre à son petit cousin Roger Clément : « Je n'avais nul besoin d'être rappelé aux discipline rigoureuses qui m'eussent encore raidi au lieu de m'assouplir ». Il se retranche alors logiquement chez lui, dans les Basses Alpes, loin de toute école. C'est donc la profondeur de son être, un goût de la solitude et de l'introspection, la recherche de la permanence des êtres et des choses qui le pousseront à un travail long et scrupuleux de peintre.

2- La recherche du mystère

Cette recherche va passer par le choix des sujets et une technique de peinture. Ses sujets se situent dans le monde paysan : bergerie, écurie, ferme, coin du feu etc. Mais ce sont surtout les habitants (et notamment sa famille) pris isolement dans leur portrait représentatif ou dans leur activité sociale (comme une réunion au café) qui vont être immortalisés. Eugène Martel écrit alors clairement : « Ma vie à Paris était terminé. J'en avais apporté les plus saines résolutions et la volonté de me consacrer à peindre les gens de mon village. »

Bien sur, sa peinture va être alors une observation minutieuse, voire hyperréaliste, qui fera ressortir un monde paysan souvent isolé dans leur intérieur (vieux paysans, laveuse de casseroles -avant 1914-).

Dans ces tableaux tous les objets de la vie quotidienne sont représentés avec précision : bassinoire, poêle, chandelier, chaise, verre, etc. et font ainsi ressortir les symboles d'une vie . Mais, il observe surtout le tempérament et le caractère de ses modèles, il traduit aussi bien la malice d'une jeune femme que la timidité et l'effacement de son père. Il est donc tout simplement mais avec génie le peintre de la vie intérieure au travers du portrait, son genre de prédilection. Toute une humanité semble alors circonscrite sur la toile. Mais les Bas-Alpins sont aussi perçu dans leur vie sociale. Ainsi sont représentées des scènes de café (Le Café des Sœurs Athanase-1904- Terrasse de Café au Revest-1918-), des réunions de famille (Les Quatre Sœurs Jourdan-1907-, L'Atelier de la Couturière-1900 -), des fêtes villageoises (L'Hymne Russe-1898-). Il y ressort toujours une dimension sociologique, ethnographique et psychologique. C'est que la virtuosité du peintre concerne alors tous les éléments, aussi bien les attitudes familières et le caractère des habitués que tous les éléments présents constitutifs d'une réalité tangible. Ici se remarque une des techniques du peintre que l'on a parfois qualifié de peintre de l'ombre ou du contre jour car la lumière arrive derrière les personnages et ne fait apparaître que l'essentiel de la gestuelle ou de la situation.

Cette technique de peinture en contre jour s'accompagne très souvent de l'utilisation de couleurs grises avec seulement quelques touches éclairantes.

--- Auto portrait (1920), trouvé sur le site de la marie du Revest du Bion

3 Du Revest à l'univers

Eugène Martel peignait lentement, loin de tout circuit commercial, avec une exigence qui faisait de son cheminement un parcours difficile. Une incubation lente, une recherche de sa propre identité aboutit à une œuvre qui traduit la vie éternelle des habitants du Haut Pays, leur enracinage au terroir de la montagne de Lure. Dans son village lointain « il dresse ses portraits comme le catalogue de sa race » (J. Giono dans une lette à Léon Blum). Mais nous l'avons deviné, il y a bien plus : au travers de son microcosme du Revest, il traduit l'âme humaine universelle.

Nota : Le n°107 des Alpes de Lumière est consacré à Eugène Martel.

( 1 ) Lieu de sa naissance.

Robert Sausse

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