ESSAI SUR LA CONDITION DES JUIFS EN PROVENCE
AU MOYEN-AGE
PAR
CAMILLE ARNAUD
Juge honoraire, Chevalier de la Légion d'Honneur
J'excuserois volontiers, en nostre peuple, de n'avoir aultre patron et regle de perfection que ses propres mœurs et usances. Montaigne. Livre 1 , Chap . 49.
FORCALQUIER IMPRIMERIE- LIBRAIRIE D'AUGUSTE MASSON, 1879.
PRÉFACE.
J'ignore si quelqu'un a écrit sur la condition. des Juifs au moyen-âge. Mais , qu'on s'en soit occupé ou non , je crois que les recherches auxquelles je me suis livré ne seront pas complètement inutiles. En effet , les gens studieux , amoureux d'antiquailles , seront , peut-être , bien aises de savoir comment la race Juive était gouvernée. Quant aux autres , je n'écris pas pour eux, — qu'ils ne me lisent pas. Je dirai au lecteur curieux , mais méfiant, que les documens qui vont suivre ont été trouvés par moi dans les archives des Bouches-du- Rhône. Je les donne tels qu'ils existent , en ayant soin d'indiquer les registres dans lesquels j'ai puisé. De cette manière , on pourra se convaincre que je ne rapporte que la pure vérité. Au reste , s'il est possible de mentir en écrivant l'histoire d'une race quelconque , il serait difficile , impossible même, d'inventer les preuves à l'appui. Par conséquent, je renvoye les incrédules aux archives. Qu'ils les compulsent et ils ne tarderont pas à rendre justice à ma sincérité. Je préviens le lecteur qu'il ne s'agit pas ici d'une histoire , mais d'un simple essai ayant pour objet d'évoquer et de remettre en lumière quelques-unes des institutions régissant les Juifs. Je ne vais pas au-delà.
I. La population de la Provence est loin d'être autoctone. Elle se compose d'élémens qui y ont afflué , soit du nord , soit du midi , et toutes les parties de la France , même les pays voisins , ont fourni leur contingent. Les hommes se déplaçaient plus communément qu'on ne croirait pendant le moyen-âge. Mais, de quelque part qu'ils vinssent, les émigrants se fondirent, s'amalgamèrent avec la population provençale , celtique , de fait , malgré les invasions romaine et germanique. Une seule race conserva son individualité. Les causes de ce phénomène furent tellement puissantes qu'elles se manifestent encore moment où j'écris . Je veux parler des Juifs. Leur persistance à vivre séparément , à former une caste dans l'état , tient moins à la différence de religion , qu'à un fait historique qui a laissé des traces profondes dans les annales de l'humanité. Bourreaux du Christ , ils soulevèrent contre eux l'animadversion des chrétiens. On les méprisa , haït, détesta ; on les traita en êtres immondes ; on les écarta de la société , en les parquant dans des quartiers qui leur furent assignés. Bref, on tua dans son germe toute velléité de rapprochements. Ils réagirent , à leur tour, contre la réprobation universelle dont ils étaient l'objet , maintinrent de leur côté la distance qui les séparait de leurs voisins et, ne pouvant se mêler à eux , ils les considérérent comme des ennemis. Cette haine réciproque , endurcie par sa longue durée , affermit une séparation qui menaçait d'être perpétuelle. De fait , elle subsiste encore , quoique moins tranchée. Mais tous les enfans d'Israël ne furent pas également constans dans leurs convictions religieuses. Beaucoup d'entre eux dégoutés du traitement auxquels ils étaient soumis , affectés de la répulsion qu'ils inspiraient et liés au sol provençal , devenu pour eux une patrie , abandonnèrent la foi de leurs pères , pour se convertir au christianisme. La vérité apparut-elle à leurs yeux , ou cédèrent-ils à une contrainte irrésistible ? Je ne sais. Mais le fait est certain ; on pourrait même dire qu'il est assez commun , car il n'est pas rare de rencontrer dans les actes notariés des contractans Juifs , qualifiés néophytes . Plus d'une famille , aujourd'hui chrétienne , est d'origine Judaïque. J'en pourrais citer dans tous les états . Quoiqu'il en soit , ces conversions réelles ou calculées , ne furent que des accidens qui ne modifièrent pas sensiblement la situation des Juifs . Le corps de la nation resta religieusement attaché à son culte et la séparation entre Juifs et chrétiens fut toujours aussi fortement accusée. Cependant , malgré eux, il s'établit des points de contact nombreux et incessans. Il devait en être ainsi , car il n'est pas donné à deux races humaines contigues de mener une existence, pour ainsi dire, parallèle. Des relations se formèrent donc et leur fréquence fut en raison de la population israëlite. Faibles , là ou cette population était clairsemée ; journalières , sans être intimes, dans les pays où les Juifs se trouvaient en plus grand nombre. La dissémination de cette race en Provence constitue un phénomène qu'on ne s'explique pas aisément , surtout si l'on raisonne d'après ce qui se voit aujourd'hui. Maintenant, on ne trouve des Juifs que dans quelques grandes villes , où ils font corps ; au moyen-âge, il y en avait partout , ou presque partout , et, sans parler des petites villes qu'ils habitaient en assez grand nombre , on en rencontrait dans beaucoup de villages. Leur apparition à Marseille , à Aix , à Avignon , à Arles , se comprend, mais on ne se rend pas aussi facilement compte de leur établissement à Forcalquier, à Manosque , à Digne , à Apt , sans parler d'autres localités encore moins importantes. Néanmoins , il en était ainsi. Par exemple , la tradition m'a appris que les Juifs avaient une synagogue à Forcalquier, elle m'en a indiqué le local, et j'ai trouvé dans les archives municipales un contrat de mariage, rédigé en Hébreux, datant du milieu du XVe siècle. Je le soumis à un israëlite Marseillais qui me fit connaître ces particularités. Des actes contemporains sont venus confirmer la tradition. Personne ne saura jamais à quelle époque, ni en quel nombre , les Juifs se fixèrent en Provence, mais il est positif qu'ils y pullulèrent et, qu'en raison de leur industrie , ils finirent par acquérir une certaine importance. Ils furent les marchands d'argent auxquels les Italiens seuls , Lombards ou florentins, firent concurrence. Leur histoire est , par conséquent , étroitement liée avec la nôtre et, n'en fut-il pas ainsi , le fait d'avoir habité le même pays suffirait à justifier les recherches que j'ai faites sur leur condition. Bien que ne professant pas la même religion que nous , ils n'en sont pas moins nos concitoyens et , à ce titre, ils méritent qu'on s'occupe d'eux. II. Sans doute , la situation des Juifs , en Provence , fut toujours assez précaire , car il leur fallut lutter contre des préjugés fortement enracinés. Cependant, malgré la différence de religion , bien qu'on leur fit porter injustement la peine d'un fait que leurs ancêtres avaient commis et, sans s'arrêter à ce que leur profession avait d'odieux , car ils pratiquaient le prêt à intérêt , avec grand renfort d'usure , dans leurs rapports avec l'état , ils n'étaient ni mieux ni plus mal traités que le restant de leurs concitoyens. Ils avaient mêmes droits et mêmes devoirs et , s'ils contribuaient aux charges publiques sous une autre forme, ils y fournissaient leur contingent. Mais ils étaient complètement exempts d'une obligation assez lourde , celle du service militaire. Je n'ai jamais vu qu'ils y prissent part. III. D'après une opinion qui avait cours avant 1789 , opinion que j'ai mainte fois entendu formuler d'une manière absolue , on tenait les Juifs pour incapables de posséder la propriété foncière. Je ne sais ce qu'il en était à cette époque et n'ai pas besoin de m'en enquérir ; mais je puis certifier que, bien antérieurement, ils étaient propriétaires aux mêmes titres que leurs autres concitoyens. Ainsi , une note de Clavaire , datant du 18 septembre 1341 , atteste que deux cent trois Juifs possédaient des maisons à Aix et qu'ils y logeaient douze cent onze individus ( 1) . Ce fait est caractéristique. Dans un village du Bailliage de Digne, en 1487, un Juif payait le casement au seigneur.- Salomon Mancipi , Judeus , servit pro suo casamento (2) . – Ab habiram Leonis, Judeo, pro domibus et possessionibus quam tenet in castro et territorio draguiniani, nomine
(1 ) Archives des B. -du-Rhône. Série B, 2. N° 16, fo 168.
(2) Archives des B.-du- Rhône. - Série B, 2. N° 357, fo 2
casamenti et pro casamento (1). - Cette note est de 1340. Or, le casement était une espèce de cens qui portait sur les propriétés urbaines et rurales. De plus , ils étaient , comme tout le monde, aptes à contracter des baux à emphytéose perpétuelle et ils usaient fréquemment de cette faculté. Plus d'un acte notarié en fait foi. IV. En leur qualité de citoyens, les Juifs supportaient leur part des charges publiques et ils étaient soumis aux taxes locales établies par les municipalités. C'est ce qui avait lieu à Arles , ainsi qu'il résulte de la convention. passée , le 10 décembre 1385, entre le comte et la ville , représentée par des délégués spéciaux. Cette convention porte expressément que les Juifs seront citoyens d'Arles et fixe à deux cent florins d'or , valeur chacun de seize sous monnaie courante , la somme qu'ils devaient verser annuellement au trésor public (2) . Un privilège de Forcalquier , constaté par acte du 13 août 1377 , porte : Quod officiales regii , Lombardi et Judei contribuant cum aliis incolis (3). V. Ce n'étaitpas un impôt proprement dit, car il n'était pas proportionnel , c'était plutôt un abonnement consenti par les Juifs , ou à eux imposé. Une ordonnance du 27 novembre
(1) Archives des B. - du-Rhône. Série B, 2. N° 365, fo 166 .
(2) Archives des B. - du-Rhône . - Lividi , f° 491 .
( 3) Registre des privilèges , f° 61 , vº.
1409 s'en explique d'une manière assez claire, Le comte devait cinq cent florins , valeur de seize sous provençaux chacun , à Vivaud Boniface , de Marseille. Pour s'acquitter, il ordonna à son trésorier de payer annuellementà Boniface la somme de cinquante francs, jusqu'à ce que sa créance eut été intégralement soldée , et il lui enjoignit de prendre cette somme sur la contribution fournie par les Juifs de la même ville. In et super pensione que curia nostra recipere consuevit annuatim in et super Judeis ipsis (1) . Indubitablement cette pension avait été consentie , dans l'origine , pour rédimer vexation. C'était une espèce de don , qui n'avait rien de gracieux , car il était forcé. ― On lui donnait communément un autre nom. On l'appelait Taille des Juifs, - Talhia Judeorum, et sa quotité varia souvent. Des lettres patentes du 8 octobre 1303 nous apprennent que , antérieurement, à Marseille, elle s'élevait à trois cent livres , lesquelles furent affectées à la construction du monastère de Ste-Marie de Nazareth, d'Aix , et qu'on la réduisit à deux cent livres , après avoir été payée pendant longtemps sur le pied de cent livres (2) . Tout cela sent très fort l'arbitraire. Quoiqu'il en soit , en 1331 , cette taille était de cent livres , deux sous , payables moitié à
(1) Archives des B.-du-Rhône. Lividi, f° 267, v°.
(2) Arch. des B. - du- Rhône. -Série B, 2. No 322, f° 48 ,
Pâques , moitié à Toussaint (1). En 1301 , elle échéait à Noël (2) . A St-Maximin, en 1304, la taille des Juifs , ou proventus Judeorum ainsi que la qualifie un acte du 10 octobre 1402 (3), était perçue à Noël et à St-JeanBaptiste (4) ; il en était de même pour Castellane , en 1303 (5) , et , au Puget-Théniers, selon une note du 16 juillet 1297 (6), elle s'élevait à deux livres , huit deniers pour chacun. Ce chiffre me paraît exorbitant. VI. Voilà tout ce que j'ai trouvé , quant à la taille , ou impôt. Je n'en dirai pas davantage , faute de plus amples documens. Maintenant, si nous passons à la contribution des Juifs aux charges locales , c'est-à- dire , aux impôts établis par les communautés , je ferai remarquer qu'ils étaient complètement assimilés aux chrétiens. Un acte du 20 août 1306 , le porte formellement , et nous venons de voir que la convention passée le 10 décembre 1385 entre Arles et le comte ne fait pas de distinction. Cet acte du 20 août 1306 , intitulé constitution pour les Juifs, contient l'article suivant. Volumus quod Judei in illis solummodo talliis quas universitates ipse , ob proprias et communes
(1) Arch. des B. - du- Rhône. -Série B , 2. Nº 322, fº 20 , v°
(2) Arch. des B. - du-Rhône. -Série B, 2. N° 309, f° 79, vo
(3) Arch . des B. - du-Rhône. -Armorum, fº 288 .
(4) Arch. des B.- du- Rhône. -Série B, 2. N° 190 , f° 172.
(5) Arch . des B.- du-Rhône. -Série B, 2. N° 519, f° 31. (6) Arch. des B.-du- Rhône. -Série B, 2. N° 499, fo 4.
(6) Arch. des B.-du- Rhône. -Série B, 2. N° 499, fo 4.
utilitates sen necessitates, inter se fecerint, cum eis contribuere teneantur (1) . VII. La constitution de 1306 posait le principe, quant à l'application , elle se faisait par les Juifs eux-mêmes , soit qu'il s'agit d'impositions publiques ou communales. Leurs syndics ou baillis les répartissaient sur leurs corréligionnaires et en opéraient le recouvrement. A cet effet , les lettres patentes du 27 novembre 1409 , dont il a été question ci-dessus , s'adressent à ces représentants de la nation Juive et leur enjoignent de payer annuellement la somme de cinquante francs à Vivaud Boniface , créancier du comte. Cet usage est attesté par une note datant de 1305 (2) . Dans une occasion , des différents s'étant élevés entre les Juifs de Manosque , à raison de la levée des taxes établies pour aumônes à leurs coréligionnaires et pour les besoins de leur communauté , le juge de l'ordre de SaintJean nomma deux commissaires Juifs , avec pouvoir d'établir les taxes et de les recouvrer. Les contraventions à l'ordonnance de ce magistrat étaient passibles de l'amende de cinquante livres (3) . VIII. La perception des tailles et taxes diverses levées sur les Juifs était régulière, puisqu'elles représentaient le payement d'un service rendu.
(1 ) Arch . des B. -du- Rhône . -Domini Caroli , fº 233, vº .
(2) Arch . des B. - du - Rhône. - Série B , 2. N° 441 , fº 5 .
( 3) Archives des Bouches- du- Rhône.
Mais le pouvoir central avait des exigences autrement vexatoires. De tems en tems il les mettait à contribution , sans doute par acte du bon plaisir. Par exemple , en 1470 , la communauté juive donna dix-huit mille florins au comte (1) . C'était une grosse somme et il est à croire que les Juifs en la payant, obéirent à la contrainte. Au reste , on les traitait ainsi à peu près partout. Si on se donnait la peine de rechercher , on trouverait plus d'un exemple de pareil fait. IX. Une note portant la date du 15 juillet 1342 dit que , d'après une ordonnance de Robert , les Juifs qui payaient annuellement un certain cens , étaient exempts du fouage. Il ressort de là que la contribution fournie par les Juifs. équivalait au fouage auquel étaient soumis les chrétiens (2). Cette exemption existait à Aix, en 1336 , et à Apt , en 1333 (3) . X. Mais ce n'était pas tout. D'autres charges pesaient sur eux. Je ne parle pas, bien entendu, des redevances que , en leur qualité de propriétaires, ils servaient au seigneur dominant. Sous ce rapport, il y avait assimilation complète entre eux et tous autres détenteurs du fond. Il s'agit de redevances dont l'origine demeure, quelquefois inconnue. Pourquoi les servaientils ? Impossible de le savoir.
(1) Arch. des B. - du- Rhône. -Juge Mage, n° 5, fº 39.
(2) Arch. des B. -du- Rhône. -Série B 2, nº 436 , fº 27, v°
(3) Arch . des B. - du- Rhône . Série B. 2, nº 347, fo 86, voet 209, fo 1.
Par exemple , à la date du 2 des ides de janvier 1262 , il fut fait un accord entre le chapitre de Forcalquier et les Juifs de Manosque, par lequel ceux-ci s'engagèrent à donner annuellement au chapitre huit deniers par feu. Le fait est positif, mais la cause de la convention n'est point indiquée (1) . Une note du 24 juin 1372 , m'apprend que les Juifs d'Arles servaient au fisc soixante livres de poivre , annuellement , dont vingt livres à la Noël, vingt livres à Pâques et vingt livres à St.-Jean-Baptiste , et que la livre de poivre valait six sous provençaux. Actuellement le poivre est moins cher, car il s'agissait de sous d'argent (2) . A Tarascon , en 1348 , ils payaient annuellement au fisc , pour leur cimetière et leur école, dix oboles d'or. Notez , en ce qui touche le cimetière, que le fisc n'avait point la directe sur le sol. Vous allez en voir un exemple. IĮ fallait qu'ils payassent pour apprendre à lire et pour se faire enterrer (3) . En 1356 , la redevance servie par les Juifs de Digne était de deux sous , un denier et une obole pour leur cimetière , et pour leur école de deux gros (4) .
(1 ) Archives des Bouches- du- Rhône.
(2) Arch . des B. -du-Rhône. -Série B, 2. N° 266 , f. 6, et n° 352, fº 22, vº.
(3) Arch. des B.-du- Rhône. -Série B, 2. No 295, f° 16. (4) Arch. des B.-du-Rhône. -Série B, 2. N° 354.
(4) Arch. des B.-du-Rhône. -Série B, 2. N° 354.
Le clavaire de Draguignan porte en compte, pour l'année 1475 : - A Judeis ville Draguiniani pro sinagoga sive scola, quatuor libras , sire (cire), quibus teneantur quolibet anno solvere domino forojuliense episcopo. Ces quatre livres de cire valaient un florin , c'està-dire , seize sous provençaux (1 ) . L'évêque prélevait ce florin sur quatre livres , en monnaie, que les Juifs servaient au fisc (2). L'évêque de Toulon percevait annuellement douze deniers couronnés sur les Juifs faisant feu à Toulon. Pro quolibet foco facto judeorum habitantium in tholono. Plus une autre redevance à raison de leur cimetière. Et ab ipsa universitate (Judeorum) unam libram piperis , ratione ciminterii per eosdem Judeos constructi ; cujus ciminterii fundus seu solum teneri dicitur sub dominio Guillelmi Petri, clerici, immediate, et sub dominio curie , mediate (3) 1290. Enfin , ceux de Marseille avaient un cimetière également accensé , selon la note suivante , datant de 1301. Isacus Manerani et Samiellen dieu lo crescha (Dieu le fasse croître) Judei , sindici Judeorum , manifestavit curie tenere per eos et per universitatem judeorum civitatis Massilie , quandam terram vocatam Mont Zuyu (mont Juif) in qua sepelliuntur
(1) Arch. des B. -du-Rhône. -Série B, 2. N° 384 , fº¡123.
(2) Arch. des B.- du- Rhône. - Série B, 2. N° 382, f° 185.
(3) Arch . des B. - du- Rhône. - Série B, 2. N° 409 , fo 51 .
Judey, scitam in territorio civitatis superioris Massilie , sub dominio domini nostri regis , ad censum duorum solidorum , solvendorum in festo beati Thome ( 1) . Ce cimetière devait , par conséquent , se trouver dans la vieille ville , au quartier des Carmes. Si , quelque jour , en creusant dans ce quartier on trouve des ossemens humains , qu'on n'en soit pas surpris. Ce seront dépouilles Juives. XI. La taille des Juifs était appliquée, quelquefois , à des œuvres pies. Ainsi, il est probable qu'ils contribuèrent , pour une bonne part , à l'édification du couvent de Notre-Dame de Nazareth , d'Aix. J'ai déjà dit que la taille des Juifs de Marseille fut affecté à la construction de ce couvent , et il m'est tombé sous la main une quittance délivrée le 14 avril 1294, par Béringer Alphant , prieur du monastère , constatant que , par ordre du sénéchal , le clavaire de Forcalquier lui paya dix- sept livres, six sous , six deniers , prises sur la taille des Juifs. L'argent des infidèles ne fut pas employé mal à propos (2). XII. Nous connaissons, à peu près, les charges pesant sur les Juifs. Maintenant, comment étaient-ils administrés ? La réponse est facile. En ce qui concernait la communauté , ils se gouvernaient eux-mêmes , sans l'entremise des officiers du comte. Ils. nommaient des
(1 ) Arch . des B. - du- Rhône. - Série B, 2. N° 309 , fº 136 .
(2) Arch. des B.-du- Rhône. - Série B, 2. N° 347, 1° 67.
syndics, ou baillis, qui géraient leurs affaires, répartissaient l'impôt , le percevaient et le versaient dans les caisses du fisc. Le pouvoir central ne s'en mêlait nullement , pas plus qu'il ne s'occupait de l'administration municipale des chrétiens. Il laissait faire. Les choses n'en allaient pas plus mal. Un esprit chagrin dirait qu'elles allaient mieux et serait capable de le prouver, sans faire un tour de force. Ils avaient des procureurs généraux et spéciaux. Les premiers faisaient les affaires de la communauté Juive , prise dans son ensemble ; le rôle des autres se bornait à l'administration locale. Ainsi , en 1299 , les Juifs ayant promis une taille au comte, nommèrent commissaires à la répartition trois de leurs correligionnaires , savoir : Rotelus de Olobrega (Valabrègues) habitant Tarascon, Salves , de Digne, et Bonfils , de Beaucaire , habitant Arles. Onze Juifs de Forcalquier furent taxes , ensemble , à treize livres douze deniers. Ces délégués figurent dans les actes sous la qualification de Bayloni et procuratorės Judeorum (1). Quant aux procureurs spéciaux , ayant une administration restreinte à la localité , on les trouve là ou la corporation Juive était nombreuse. Par exemple , en 1301 , à Marseille , leurs syndics , au nombre de deux , reconnurent tenir leur cimetière sous le domaine du
(1 ) Arch . des B. - du- Rhône. - Série B , 2. N° 347 , fº 24.
comte. Déjà , il en a été parlé. Un autre acte dont il a aussi été question , relatif à la même ville , charge les syndics des Juifs - Sindici et Bayloni universitatis predicte ( Massilie) Judeorum de payer une certaine somme. Il devait en être de même dans toutes les grandes villes , mais on comprend que , pour les petits pays , la mesure n'était pas exécutable. XIII. Le gouvernement s'était grandement préoccupé des Juifs ; il leur avait même accordé des privilèges qui ne se retrouvent plus , mais qui , certainement , ont existė. Ainsi , une supplique présentée à la reine Marie par le conseil municipal de Forcalquier et répondu le 23 juin 1385 , porte : Item , confirmare Judeis, incolis dicti loci Forcalqueri, presentibus et futuris, statuta , libertates , privilegia et immunitates quascumque eis concessas per dominos nostros comites ; ita et taliter quod dieti Judei , de confirmatione hujusmodi fienda habeant instrumenta et litteras oportunas. Notez que , depuis bien longtemps, les Juifs ont quitté Forcalquier (1). - Même demande formée par le conseil de la communauté d'Apt , approuvée le 15 juin 1385 (2). Néanmoins elle laisse ignorer quels étaient ces anciens privilèges. Il en est de plus récens , indiquant à quoi ils
(1 ) Registre des privilèges, fo 33. Arch . des B. - duRhône. Venus, fo 124, v.
(2) Arch. des B. -du- Rhône. Lividi , fo 159.
s'appliquent. En voici un émané de la reine Yolande, le 27 mai 1423 , confirmé par le roi Réné le 5 février 1443, ce prince étant alors à Tarascon. S'il habitait son château , je ne lui en fais pas compliment. C'est un fort bel édifice , comme prison , mais , pour logement , il doit être peu agréable. Cet acte a trait aux poursuites criminelles dirigées contre les Juifs et veut qu'on leur applique le droit commun. On en était donc sorti. Ordinamus et volumus quod nullus Judeus vel Judea , cujuscumque conditionis sit , capi , incarcerari , detineri et molestari in persona vel bonis possit , pro quocumque crimine contra ipsum objecto , nisi tale crimen probatum fuerit prius per testes fide dignos, juxta formam juris. Item , quod nullus officialis quicumque sit , nullique conservatores , vicarii , bauili , judices , procuratores et advocati fiscales , seu alii officiales nostri , quacumque nominatione distincti , majores seu minores , possint recipere aliquam informationem neque inquisitionem contra aliquem Judeum, cujuscumque conditionis sit , nisit appareat legitimus accusator , cujus nomen in pede accusationis sive tituli sit scriptum , et quod pene se subjiciat talionis , et super dampnis , disturbiis et interesse que delatum pati propterea vel sustinere contingerit, accusator det cautiones sufficientes et ydoneas, aut intrudatur regiis carceribus , detinendus ibidem , usquequo processus completus fuerit et per sententiam judicialiter terminatur. Item , quod nullus Judeus vel Judea , cujuscumque conditionis sit, possit incarcerari vel in carceribus detineri , nec ejus bona possent inventarisari , nec alias possit sic eidem molestia irrogari pro quocumque crimine sibi imposito, dummodo possit sufficientes cautiones prebere , nisi tale crimen punitionem exigat corporalem , et quod sibi tradatur et detur titulorum inquisitionalium copia , super quibus responsurus fuerit , antequam cogatur seu vexetur ad respondendum talibus inquisitionalibus titulis seu inquisitioni. Item , quod de talibus inquisitionibus precedentibus detur delato copia , infra dies juridicos , et ad faciendum defensiones suas admittatur; et nisi hoc sibi concessum fuerit , alias nec aliter non possit aliqua fieri exequtio in personna nec bonis accusati. Item , quod omnis inquisitio recepta, facta et facienda sub alia forma quam supra exprimitur , debeat cancellari et aboleri , et nullius valoris existat , seu roboris (1). XIV. Ce privilège constate que l'on traitait avec une sévérité excessive les Juifs poursuivis criminellement. L'ordonnance qui va suivre prouvera qu'on se permettait envers eux des actes de despotisme qui seraient inouis, si nous n'en avions eu des exemples
( 1 ) Archives des B. - du- Rhône. Triolet, fo 36.
contemporains. En 1474 , Gillet Gilibert , écuyer , employé aux cuisines du roi Réné , alla à Pertuis , y prit , de force , une Juive âgée de dix-huit ans , la conduisit à Aix et l'y fit baptiser. Plainte de ce fait fut portée au roi qui rendit une ordonnance , le 21 octobre 1474, et statua à futur. Edicimus quod , a modo inanthea , judey supradicti , utriusque sexus , mares et femine, cujuscumque etatis et quantumcumquejuvenes et senes existant , ad exeundum de errore cecitatis Judayce non cogantur. Item , sancimus quod Judey ipsi , utriusque sexus , videlicet , mares quatuordecim annorum , femine vero duodecim , si forsan informatio haberetur ipsos velle christianos fieri , non extrahantur propterea a domo paterna , sed in eadem domo , presentibus eorum parentibus , scilicet , patre et matre , casu quo viverent , quod si non , proximioribus consanguineis et affinibus eorumdem, interrogentur et plane ac pacifice , sine incutione alicujus timoris audiantur ; ita quod, si libere respondeant velle baptismum assumere, tunc baptisentur; si autem non, in lege eorum consistant , non iterum interrogandi . Cette ordonnance est fort sage; il faudrait qu'elle fut suivie et appliquée par tout (1) . XV. La constitution pour les Juifs, promulguée le 20 août 1306, parmi d'autres
(1 ) Arch. des B. -du- Rhône. -Série B. 2. N° 678 , fº 51.
dispositions dont il sera parlé ci-après , fit disparaitre un abus qui leur était fort préjudiciable. On forçait les Juifs qui se présentaient devant les tribunaux pour y obtenir lettres les autorisant à plaider, à payer double droit. La constitution les égalisa avec les chrétiens. S'ils pressuraient les gens , on le leur rendait , mais les débiteurs ne profitaient pas du redressement. Ajoutons qu'ils y gagnèrent l'affranchissement du péage établi , depuis deux ans à Orgon (1 ) . En revanche , à Pertuis , un Juif mort payait cinq sous de péage (2) XVI. On leur accordait des saufs- conduits , au grand détriment de leurs adversaires. Sans doute , ils les obtenaient à prix d'argent. Les États réclamèrent et , par ordonnance du 23 août 1417, datée d'Angers , Louis III fit droit partiellement à leur requête. Item , dignetur propter multa inconvenientia sequta populo christiano propter conservatorias et salvagardias Judeis concessas, in opprobium , dampnum et inervationem jurisdictionis prelatorum , et baronum , ceterumque nobilium , atque dampnum populi christiani , omnes conservatorias et salvagardias eisdem concessas revocare , et ipsos reducere sub ministratione prime et consuete justitie ; et quod omnes salvagardie ab inde inantea cessent , et ubi concederentur
( 1 ) Arch. des B. - du - Rhône. - Domini Caroli . fº 233, vº
(2) Arch. des B.-du-Rhône. -Série B, 2. N° 256.
salvagardie , quod pars accusata vocetur et audiatur et , ipsa audita , ubi justum videatur , talis salvagardia concedatur et non alias. - Responsio. Volumus quod ex nunc tollantur salvagardie ; alia vero in eadem petitione contenta suspendemus hinc ad nostrum proximum accessum ad nostram patriam ; cassamus quaslibet alias salvagardias, nisi dumtaxat illas que dabuntur de cetero parte vocata (1) . Cependant, malgré l'ordonnance , on continua à accorder des saufs conduits , car le 15 janvier 1471 , le sénéchal défendit aux officiers de molester deux Juifs parcourant la Provence pour affaires (2). Le pouvoir avait beau légiférer, les hommes puissants abusaient de leur position. XVII. En lisant la pièce précédente , on n'aura pas manqué de remarquer qu'il y est question de la conservation des Juifs. C'était une assez singulière institution , mais qui ne surprendra que ceux qui n'ont point réfléchi sur la tendance des esprits , à cette époque. On ne songeait qu'à soi , on ne s'occupait que de soi , sans s'inquiéter de son voisin , et chacun s'efforçait de se faire concéder des privilèges particuliers , dont il tirait ensuite le meilleur parti qu'il pouvait. De son côté , le pouvoir central , manquant d'énergie , aussi bien que d'esprit politique , ne savait pas résister aux
(1 ) Arch . des B. - du-Rhône. Lividi, fos 301-311 , v° .
( 2) Arch . des B. - du- Rhône. -Juge mage, N° 5, ſo 322 .
sollicitations , soit qu'elles fussent présentées. par des gens influens , soit qu'on les appuyat d'un argument encore plus irrésistible . Je serais bien surpris si la conservation des Juifs ne provenait pas de l'une ou de l'autre de ces causes. Toujours est-il qu'on les sépara de la société chrétienne , comme si la différence de religion netraçaitpas une ligne de démarcation. assez prononcée. On serait tenté de croire que c'était fait exprès. Les Juifs eurent donc un conservateur. Quand ? Je l'ignore ; mais, fort heureusement, je sais, à peu près , en quoi consistait sa fonction. Par exemple, je ne vois pas trop ce qu'ils y gagnèrent. Placés en dehors du droit commun , ils se trouvèrent à la discrétion de celui qui avait mission de les protéger et qui , plus d'une fois, dut abuser de son pouvoir. Rien n'est dangereux , pour les individus, comme de former une classe à part ; le despotisme les guette et les saisit. C'est la conséquence forcée de toute existence particulière. Celui qui fait partie d'une association restreinte peut dire adieu à la liberté. Regardez autour de vous. Une ordonnance , sur le fait de la justice , datée du 20 novembre 1424 , nous apprend quels étaient les devoirs du conservateur des Juifs. Il paraît que cette institution remontait beaucoup plus haut et que les seigneurs s'efforçaient de l'amoindrir. De fait, elle leur nuisait, en ce sens, qu'elle les privait d'une partie des droits de justice qui n'entraient pas dans leurs caisses. Quia, ut asseritur pro parte curie, conservatorjudeorum est in possessione cognoscendi de omnibus causis criminalibus judeorum et de injuriis per eos factis et passis active et passive, ita quod nullus prelatus, baro vel alius habens judeos in territorio suo , de premissis quoquomodo cognoscere non potest : volumus prefatum conservatorem in sua possessione manuteneri, idque precipimus quod fiat super hiis prohibitio pro futuro. Volumus processum fieri contra illos de Manuasca qui judeos voluerunt occidere , ac contra impedientes jurisdictionem conservatoris ante dicti ( 1) . Voilà ce qu'était le conservateur des Juifs ; mais, pour s'en faire une idée bien exacte , il faudrait l'avoir vu fonctionner. Or , cela m'a été impossible. Je n'ai pas trouvé traces dans les archives d'une procédure faite par lui. Tout ce que je sais, c'est qu'il abusa de son pouvoir; qu'il commença par se faire allouer, à titre de traitement , cinq cent florins , somme assez ronde , et ce sans y être autorisé ; qu'il empochait le montant des condamnations et des compositions , et qu'il se livrait à une foule d'extorsions qui, naturellement, tombaient sur ses justiciables. Ceux-ci ne durent pas se féliciter d'être soustraits à la juridiction ordinaire. Il est vrai qu'on les aurait également rançonnés. Je ne sais si les Juifs se plaignirent , mais le
(1 ) Archives des B.-du-Rhône. - Crucis sive novi , fo 168.
fisc , dont le conservateur usurpait les droits , porta ces faits à la connaissance du sénéchal , lequel y statua par ordonnance du 19 octobre 1487. Aymarius de Pictavia , etc. Viguerio, judice , curie civitatis aquensis. Jacobus Galioti , tanquam conservator privilegiorum per retrovivos principes comunitati judeorum provincie concessorum , a tempore institutionis dicti officii recipere consueverit , ab ipsa judeorum communitati , singulis annis , pro gagiis dicti officii , florinos quingentos , licet per litteras dicte institutionis non appareat aliquam summam determinatam , pro dictis gagiis , stabilitam aut declaratam esse. Tamen , a tempore institutionis dicti officii , locum tenentes dicti Galioti , qui se faciunt nominari vice conservator et Judex curie conservatorie Judeorum, presumpserunt et hucusque continuarunt dictos Judeos , non vocato fisci regii procurator, aut alio quocumque partem curie regie faciente, sic vicem Judicum partis gerentes, contra juris dispositiones ; et quod deterius est, condempnationes dictorum suorum processus et compositiones, ac infinitas extorsiones indebitas , sibi ipsi appropriaverunt , que erario regio appropriari debebant. Comme sanction , le sénéchal défend au conservateur , à peine de cent marcs d'argent fin d'amende , de procéder à l'expédition des procès criminels , sans y avoir appelé le clavaire du Tribunal ordinaire , ou le procureur fiscal (1). Tels étaient les faits et gestes du conservateur. Il connaissait de toutes les affaires criminelles dirigées contre les Juifs , s'appropriait le montant des condamnations , ainsi que des compositions , le tout en fraude du fisc ; extorquait de l'argent à ses justiciables et , de plus, en exigeait une grosse somme , à titre de traitement, bien que les lettres patentes qui l'instituaient n'en fissent nullement mention. Il faut savoir que toutes lettres patentes portant nomination à une fonction fixaient le traitement qui y était attaché et désignaient l'agent du fisc chargé de le payer, XVIII. Mais il existait un autre abus , non moindre , que l'ordonnance ne corrigea pas , parce qu'il était universel. L'usage autorisait le conservateur des Juifs à se donner un lieutenant , c'est-à-dire , un substitut , dont personne n'avait le pouvoir de contester , ni la probité, ni la capacité , si bien que la fonction était souvent gérée par gens que le gouvernement se serait très-fort gardé d'y nommer. Que le lieutenant fut un homme honnête et capable, ou un aigrefin ignorant , nul n'avait le droit d'y trouver à redire. Or , il arrivait que le conservateur, ne pouvant ou ne voulant gérer son office , à mesure qu'il était nommé, se mettait en quête d'un lieutenant , qu'il en
(1 ) Archives des B. -du-Rhône. Série B. 2, nº 680, fo 522.
trouvait à foison , traitait avec celui qui le payait le mieux et lui donnait l'institution par acte notarié. On comprend que , cela fait , le lieutenant investi de tous les pouvoirs du fonctionnaire qu'il suppléait, se souciait fort peu de la justice et s'occupait uniquement du soin de rentrer dans ses débours , avec intérêts, et que les justiciables en faisaient tous les frais. XIX. Il fallait que la conservation des Juifs fut extrêmement productive, car elle fut confiée quelquefois à des gens haut placés. Ainsi , par lettres patentes du 23 juillet 1462 , le roi René nomme à cet emploi Frédéric de Lorraine , comte de Vaudemont , son gendre , avec les pouvoirs les plus étendus , même le merum et mixtum imperium. Mais laissons le parler. Renatus , etc. Illustri Frederico de Lothoringia , Vaudemontis comiti , genero nostro vos conservatorem et Judicem Judeorum utriusque sexus , in nostris comitatibus provincie et Forcalquerii terris que illis adjacentibus degentium , ad vitam vestram , duximus ordinandum , etc. Cum meri et mixti imperii ac gladii potestate , illorumque exercitio et omnimoda jurisdictione , gagiis quoque seu pensione annua'; etc. Quod circa, mandamus quatenus hujusmodi officium vobis commissum , per vos vel a vobis deputandum, de cujus tamen defectibus volumus vos teneri , exercere seu exerceri facere studeatis ; etc. Mandantes gentibus Judeorum et eorum singulis , tam baylonis eorumdem Judeorum , quam aliis mediate et immediate subditis nostris, ut in omnibus et singulis que ad dictum officium spectare noscuntur, vobis vestrisque et a vobis deputandi Jussionibus pareant ; quantum penas et banna per vos vel a vobis deputandum sibi imponendas, quas ex nunc ratas gerentes volumus ab eorum transgressoribus extorqueri , cupiunt evitare. Datum in castro nostro andegavis (1). Le prince fut donc nommé conservateur des Juifs , avec des gages , bien entendu , gages dont la quotité importe peu. L'ordonnance de nomination lui confère les pouvoirs les plus larges, puisqu'elle lui donne le merum imperium ; il pouvait condamner à la mutilation, à la peine capitale ; édicter des bans autrement dit , des ordonnances de police , que le comte approuve, dès à présent, et en punir les infractions. En outre , il est institué à vie , avec pouvoir de se donner un lieutenant , des faits duquel il devait répondre , il est vrai . Mais la responsabilité du gendre d'un roi est constamment illusoire. Elle fait bien sur le papier. L'avez-vous jamais vue se traduire en fait ? On n'imaginera pas , sans doute , que le comte de Vaudemont, prince de la maison de Lorraine , gendre du roi René , s'abaissat jusqu'à juger personnellement les malfaiteurs Juifs , fut-ce pour leur faire couper les oreilles ou les envoyer pendre. Pareille besogne était
(1) Arch. des B. - du-Rhône. Taurus,
au-dessous de sa dignité . Il vendait l'office à un lieutenant qu'il mettait en son lieu et place , emboursait les deniers, touchait annuellement le traitement attaché à la charge , et ne s'inquiétait nullement de ce que deviendraient ses justiciables. Je n'ose pas trop l'en blâmer, car tout autre aurait agi de même. Il avait trouvé une sinécure et s'en était emparé. Rien n'est plus commode , ni mieux porté. La preuve, c'est que n'en a pas qui veut. J'ignore combien de tems vécut le comte de Vaudemont , mais , le 5 octobre 1472, Jacques Galioti , chambellan et conseiller du roi , déjà pourvu , à vie , des offices de capitaine , Viguier , juge et Clavaire à Forcalquier , offices qu'il avait pouvoir de faire gérer, fut nommé conservateur , des Juifs, sa vie durant, avec faculté de se faire suppléer , car il ne pouvait être , en même temps , à Aix et à Forcalquier. En 1487 , le même, personnage exerçait encore cette charge (1). XX. Tels étaient les privilèges accordés aux Juifs. On voit qu'ils n'avaient pas grande importance. Arrivons , maintenant , aux restrictions qu'on leur avait imposées , restrictions leur faisant une place particulière dans la société. Un statut , datant du 8 février 1294 , leur interdit , entre autres choses , l'exercice des fonctions publiques. On avait beau les proclamer
(1) Arch. des B.- du-Rhône. - Pavo, f° 174, vo .
citoyens , ainsi qu'on fit à Arles en 1385 , en fait, ils étaient hors du droit commun. Voici ce statut. Preterea, sancimus neminem judeorum quodcumque publicum officium, cujuscumque curie, administrare vel gerere, occasione cujus posset in christianos aliquam potestatem publicam exercere. L'infraction au statut était punie d'une amende de deux marcs d'argent fin. Quant aux insolvables , on les mettait au pilori pendant quatre dimanches consécutifs , depuis la première heure du jour, jusqu'à celle du diner. Enfin , le fonctionnaire qui tolérait l'ingérance d'un Juif dans son office, encourait une amende de quatre marcs d'argent. Ceci devait s'appliquer aux lieutenans (1). Il était permis aux Juifs d'exercer la médecine et la chirurgie, mais à certaines conditions. La Constitution du 20 août 1306 , qui leur est particulière , voulait , d'abord , qu'ils eussent été examinés et fussent experts dans leur art ; ensuite , elle exigeait qu'ils ne visitassent les malades qu'après que ceux-ci se seraient confessés et auraient communié. On craignait l'attouchement d'un Juif pour les malades qui n'auraient pas été en état de grâce (2) . Cette Constitution allait directement contre une autre Constitution antérieure de quelques
(1) Arch. des B. - du-Rhône. Domini Caroli, fo 85, v°
(2) Arch . des B. - du - Rhône.- Domini Caroli , f° 233. v°
mois, puisque celle-ci , émanée de Robert, alors duc de Calabre, est du 6 mai 1306. Elle défendait aux Juifs d'exercer la médecine et punissait les chrétiens qui les appelaient. Precipimus quod nullus in infirmitate vocare debeat medicum judeum, vol aliter infidelem, vel ab eo, seu ejus consilio, recipere medicinam; nec per Senescallum , vel officialem alium, judeo inter fideles licentia in posterum concedatur ; et si forte alicui ante hoc tempus sit concessa , eam decernimus non tenere , revocantes eamdem. Judeus vero qui contra presentem ordinationem vocatus accesserit in decem librarum reforciatarum penam incidat, nostre curie applicamdam; quam si solvere nequiverit , corpore eum castigari jubemus. Vocans vero fidelis arbitrio judicis cujus jurisdictionis est puniatur (1). La défense était formelle, cependant elle ne fut pas longtemps en vigueur et les médecins Juifs , reconnus capables, purent , avec l'autorisation du sénéchal , exercer leur art sur les chrétiens. Cette profession constituait pour eux une espèce de monopole , car les médecins Juifs étaient fort nombreux. L'un d'entre eux fut même admis au nombre des domestiques de la reine Jeanne. Sa nomination est du 14 janvier 1369. Une ordonnance du roi René,
(1 ) Archives des B. -du- Rhône. - Série B. 2, nº 141 , f 157. - Parva regestra.
du 1er mai 1452 , affranchit ceux de Marseille de la contrainte par corps. Rex concedit dictis Judeis medicis , ut , durante decennio et ultra ejusdem magestatis durante beneplacito , non possint pro debitis incarcerari , arrestari vel alias de persona molestari , dum tamen sint sufficientes in bonis , quibuscumque obligationibus et curiarum statutis et rigoribus minime obstituris (1) . XXII. On tenait les Juifs en telle suspicion que le roi Réné crut devoir, par ordonnance du 18 mai 1454, les confirmer dans l'exercice de divers actes et métiers auxquels ils se livraient auparavant , tels que la médecine, le commerce , la faculté de prendre à ferme les droits du fisc , les péages , même les revenus des clavaireries ; et qu'il défendit qu'on les forçat à ouir les sermons des prédicateurs chrétiens , ou à hanter les églises catholiques; chargeant les officiers majeurs et mineurs d'empêcher le clergé , sous peine d'encourir son indignation , de provoquer du scandale parmi les Juifs , par paroles ou autrement (2) . XXIII. Le statut du 8 février 1294, déjà cité , s'opposait à ce qu'ils louassent des domestiques chrétiens , et défendait à ceux-ci, de servir les Juifs. Mais l'ordonnance du 18 mai 1454 releva chrétiens et Juifs de cette
(1) Archives des B.- du-Rhône.
(2) Arch. des B. - du - Rhône. -- Leonis, fº 83. Leonis , fo 152, v
interdiction, en les autorisant à communiquer librement entre eux. Ordinamus quod dicti Judeipossint impune, sicut actenus soliti sunt, cum christianis conversari, eundo, redeundo, tractando , mercando et alias negociando ubilibet ; mercenarios et familiarios christianos tenere , pro libito voluntatis ; edictis contrariis minime obstituris. Cette ordonnance n'était pas inutile , car le statut local d'Aix , voulant empêcher toute communication , punissait d'une amende de cinquante sous , dont le tiers revenait au dénonciateur, le jeu de dez pratiqué entre Juifs et chrétiens. La note, de laquelle ce fait est tiré, date du 30 juin 1295. La prohibition du statut était le comble de l'absurdité (1). On traitait les Juifs sans façon, au point de s'emparer de leurs lits et de les porter hors de la maison. Il fallut que le sénéchal intervint et, par lettres du 31 août 1346, ordonnat aux officiers de Digne de respecter la propriété d'autrui. Philippus de sanguineto, etc. Officialibus. reginalibus civitatis Digne, etc. , pro parte universitatis Judeorum dicte civitatis fuit nobis noviter supplicatum ut, cum vos ipsi officiales cogatis Judeos ipsos ad dandum vobis lectos, seu pannos lectorum, et, nisi vobis illos dent, vos, intrantes domos Judeorum ipsorum et intrare facientes vestram familiam , per vim
(1 ) Arch. des B.- du- Rhône. Capitis, fo 2.
ab eis lectorum ipsorum pannos extrahatis et faciatis extrahi et deinde portari, contra tenorem regalium litterarum clare memorie domini Roberti regis. nes, Le sénéchal ordonne de respecter les Juifs et de les défendre ( 1) . Il fallait que cet usage fut général , puisque le roi Robert l'avait défendu. Au reste , dans beaucoup de commula fourniture des lits constituait un service féodal. Il en était ainsi à Gordes , en 1306 (2) ; à St.- Martin-de- Castillon , en 1336 (3) ; et à St.-Maximin , en 1295 , ce droit était réservé au roi , à la reine et à leurs enfants (4). Dans la viguerie de Brignoles , les villages étaient tenus à faire pareille fourniture à la famille du roi , ce qui comprenait maîtres et domestiques, àpeine de cinquante livres d'amende (5) . Cette obligation résulte des notes du clavaire des 5, 6, 7 avril 1324. Quant au logement, quelque fois les hôtes du seigneur avaient le droit de loger chez les vassaux (6) ; d'autres fois , les officiers du comte s'installaient d'autorité chez le bourgeois , ainsi qu'ils faisaient à Draguignan,où ce mode de procéder leur fut défendu (7) .
(1 ) Arch . des B. - du-Rhône. -- Série B, 9. N° 673, f° 80, Juge mage, no 2.
(2) Arch. des B. - du- Rhône.
( 3) Arch. des B.-du- Rhône. - Dromadaire , f 163, v° . Hirundo, f° 362, vº .
(4) Arch. des B.-du-Rhône, Armorum , fo 102 .
(5) Arch. des B. - du- Rhône . -Dromadaire f° 163, vo.- En 1306.
(7) Arch . des B. - du-Rhône. -Armorum, fo 14. - En 1403.
Enfin , une sentence arbitrale définissant et réglant les privilèges de Cuers , à la date du 7 septembre 1339 , défend aux nouveaux arrivans de déloger ceux qui les avaient précédés à l'auberge et de coucher avec eux , malgré eux. De no dislogandis hospitibus supervenientibus ad domos hospitum , nec eis invitis cum ipsis jacere ( 1 ) .- Dans cet aimable tems , on se couchait seul et , pour peu qu'on eut le sommeil dur, on était exposé , le lendemain matin , à avoir un camarade de lit. On voit que les chrétiens avaient leur part des tribulations des Juifs . XXV. Ceux-ci étaient tenus d'avoir une demeure particulière. Le privilège de Grasse, datant du 15 octobre 1399 , est formel.- Quod Judei et Judee, in prefata civitate morantes, morari debeant in una carreria per consilium Grasse eligenda.- Placet, vocatis officialibus curie et cum eorum assensu ( 2). La présence des officiers du comte était une garantie contre les caprices de la population , mais elle ne suffisait pas , puisque le roi Réné , homme sensé, crut devoir prescrire de ne rien innover en cette matière et de suivre les anciens usages. Son statut est du 16 mai 1454. Ordinamus quod Judei, circa permutatione carreriarum in quibus soliti sunt commorari, nullam sentiant novitatem ; ipsisque Judeis in suis
(1) Arch. des B.-du-Rhône. -Série B, 2. N° 422 , fo46, vo
( 2) Arch . des B. - du- Rhône . -Armorum, fº 263.
synagogis , siminteriis atque tombis nulla vis fiat, aut inferatur impedimentum (1). L'horreur inspirée par les Juifs était si grande , que leurs maisons ne devaient pas toucher celles des chrétiens. Il fallut un statut, rendu le 20 août 1306, pour abroger cette absurde prohibition (2). On leur interdisait également de loger dans le voisinage des églises. Je rapporte , à ce sujet , une ordonnance de la reine Isabelle, rendue le 8 septembre 1435 , à la requête du conseil municipal de Forcalquier. Vicario eidemque Judici curie regie forcalquerii , etc. Pro parte sindicorum et consilii ville predicte , etc. Quod, propter propinquium situm domorum et mancionum Judeorum dicte ville ecclesie ejusdem , dum contingit sanctam unctionem ac celeste viaticum , per sacerdotes et ecclesie ministros , egrotantibus in villa deferri, crucem autaquam benedictam portari, vel etiam funera ad ecclesiam devehi , Judei ipsi omnia primo vident, unde sepe ipsi sunt et videntur suas , inter se, derisiones facere, quod nedum indecens esse, sed etiam in divine magestatis offensam , sancte matris ecclesie delusionem et ejus sacramentorum et ministrorum vilipendium asseruerunt ipsi exponentes redundare , etc. Supplicarunt, etc. Judeos ipsos , numero
(1) Arch. des B. -du-Rhône. Leonis , fo 152, v°
(2) Arch. des B. -du-Rhône.- Domini Caroli , fº 233, v° .
paucos, alibi in loco removeri a dicta ecclesia, infra dictam villam collocari ordinare. Mandamus , ad omnem dictorum sindicorum et consilii requisitione instantiam , preordinato et predisposito loco habiti ydoneo et mancionis populi Judayci prefati, infra villam predictam et in loco removeri a dicta ecclesia, etc. Compellendo Judeis ipsis sic collocatis ipsos et eorum posteros ad morandum et standum in loco ipso vos cogatis et compellatis (1) . Ce texte n'est pas pur , mais il est compréhensible. XXVI. On déniait aux Juifs la faculté de contracter avec les chrétiens. Il existe des lettres patentes du sénéchal , du 2 septembre 1304 , adressées au viguier et au juge de Forcalquier , autorisant les Juifs à passer tous contrats licites. La prohibition était le comble de la déraison (2) . Ils ne pouvaient être fermiers des fours. Le privilège de Cuers , du 7 septembre 1339, s'y oppose formellement. De non tenendis in furnis aliquem Judeum pro fornagia colligenda. Ils profanaient tout ce qu'ils touchaient (3) . XXVII. Défense aux Juifs de contraindre par corps leurs débiteurs chrétiens. Tel est le dispositif d'un statut de Robert , daté du
(1 ) Registre des privilèges, fo 83, vº .
(2) Archives des Bouches - du-Rhône.
(3) Arch . des B. -du- Rhône. -Série B, 2. N° 422, f° 35.
16 octobre 1328, et adressé aux officiers du comte. Mandamus, quatenus vos , vel is nostrum ad quem spectabit, non permittatis, christianos fideles nostros de personis capi pro quorumcumque debitis Judeorum ; vos etiam ab hiis penitus abstinentes. Les Juifs se basaient sur un rescrit du comte , mais celui-ci répond que le rescrit dont ils arguaient ne concernait que le fisc. Cependant , considérant la misérable condition des Juifs , il ordonne à ses officiers de les protéger dans les poursuites qu'ils faisaient en recouvrement de leurs créances , et de contraindre les chrétiens au payement de leurs dettes par les voies de droit. Cette partie du dispositif est en contradiction avec les motifs du statut , car les Juifs n'étaient pas si misérables , puisqu'ils possédaient des créances ( 1). Au reste , quelquefois la sollicitude de l'autorité descendait sur eux. Par exemple, des lettres du sénéchal , adressées aux officiers de Barjol le 16 novembre 1429 , leur ordonnent de protéger les Juifs et de terminer les procès criminels dirigés contre eux . Le sénéchal veut qu'on lui envoye les procédures introduites depuis plus de six mois. Selon toute apparence , leur conservateur ne faisait pas son devoir , on le faisait mal (2). XXVIII. On les poursuivait au criminel
(1) Arch. des B.-du-Rhône. Viridis, fo 172.
( 2) Arch. des B.-du-Rhône. Série B, 2. N° 433, f° 94.
sur les motifs les plus futiles , ce qui leur était commun avec les chrétiens. Ainsi , en 1310 , le Juif chargé de circoncire les nouveaux nés , ayant refusé de prêter son ministère , dut comparaître devant le juge , et il se produisit alors cette bizarrerie de voir un délinquant traduit devant les juges chrétiens, pour avoir enfreint un des préceptes de la loi hébraïque (1). Ce fait , ainsi que les suivans , se passèrent à Manosque dont les religieux de St.Jean de Jérusalem étaient seigneurs. Une autrefois un Juif, s'étant attribué mal à propos la qualité de sacrificateur , fingens et asserens se fore cohen Judeorum fut poursuivi devant le même juge (2) . Il en fut de même pour celui qui avait acheté des amandes avant la floraison des amandiers. Ce fait date de 1394 (3). Enfin , une information prise le 10 juin 1341, nous révèle un singulier délit que le latin me permettra de faire connaître. 1 Anno domini 1341 , die decima Junii , inquisitio facta fuit per curiam predictam (Manosque) tam ex suo officio quam ad denunciationem Feraude Chabaude , de Anfossis, contra Benvengudam, Judeam , uxorem Meloni, Judey , dicti loci , ex eo et super eo quod supradicta Benvenguda, diabolica stigatione comota, quamdam camissiam blancam et bene lavatam quam Ferauda Chabauda, de
(1) Archives des Bouches-du-Rhône.
(2) Archives des Bouches- du- Rhône.
(3) Archives des Bouches- du- Rhône.
Anfossis , sibi pignore tradiderat , induit et portavit eo tempore quo fluxum sanguinis patiebatur , re aliena utendo et vestes christianorum sic viliter deturpando et in predictis genus humanum contempnendo et vilipendendo ; quam camisiam cum predicto fluxu sanguinis dicte Feraude restituendo ; que cum sit res mali exempli et correctione digna, idcirco dicta curia ad inquirendum processit , ut sequitur. La prévenue avoua le fait et implora la pitié du juge. Son père la cautionna , après quoi elle dut subir jugement. Elle fut condamnée , sans doute , car on sortait rarement indemne des mains de la justice , mais il faut avouer que voilà bien du bruit pour une chemise salie , que le diable n'avait rien à voir dans cette affaire , et que le genre humain n'en était ni dégradé, ni vilipendė (1) . Un jour de sabbat , les Juifs de la même ville s'étant querellés et battus, dans la synagogue, le juge intervint et poursuivit d'office. J'ignore comment ils s'en tirèrent , car les sentences ne sont pas insérées. dans le registre (2). en 1338 , Dans le courant de l'année 1296 , la clameur publique accusa les Juifs d'avoir tué un enfant chrétien. Il y eut instruction en forme , audition de témoins , à
(1) Archives des Bouches-du- Rhône.
(2) Archives des Bouches-du - Rhône.
la suite de laquelle Richer Mercier , juge , probablement, fort embarrassé de sa décision, appela le jurisconsulte Baxian Caxolis, pour l'assister. Baxian, après avoir examiné la procédure, opina pour l'acquittement. Son avis est écrit, mais n'est pas motivé. Le voici Et superpredictis fuitpetitum a me, per dominum Richerium, judicem Manuasce, quod deberem dare sibi consilium utrum dicti Judei et Judee essent condempnandi et condempnande , vel non. Consilium mei predicti Baxiani tale est , quod do dicto domino judici ; quod absolvat eos et eas, secundum dictam inquisitionem. En conséquence, le juge les acquitta tous. Ils étaient au nombre de cinquante-neuf, tant hommes que femmes. Mais il parait que le jugement ne fut pas approuvé du public, car le même jour, 3 novembre 1296, il y eut grand tumulte au cimetière de St. Sauveur ; il fallut faire publier à son de trompe, que tout le monde eut à en sortir, et plusieurs furent condamnés à des amendes considérables, pour n'avoir pas obéi à l'injonction. L'un d'eux en eut pour dix livres. Ils avaient crié, Rayda sus los Jusioux ! c'est-à-dire, sus aux Juifs ( 1) ! XXIX. Voici un jugement qu'il sera bon de rapporter en entier. Il est du 15 septembre 1341. Crescas, de Mirabeau, Juif, fut poursuivi pour avoir tenté de suborner une femme mariée , Celle-ci, interrogée par le juge , s'exprima dans les termes suivans.
(1) Archives des Bouches- du- Rhône.
Post modum erexit se ad quendam angulum dicte domus et calavit bracas , et posuit membrum suum porrectum et grossum in manu ipsius deponentis, et subsequenter accepit eam ad brachium, trahens eam versus dictum angulum, dicens quod volebat eam carnaliter cognoscere, stando pedes apodiatam ad parietem ; quo deponens non sustinuit, sed dixit, nos alie christiane consuevimus stare jacendo in lectis dum facimus talia et non stando pedes. Sur cette déposition, suspecte à tous les titres, le Juif fuit condemnatus in amissione membri. Je raconte des vilenies, mais je parle sérieusement et ne voudrais pas qu'on me crut capable d'équivoquer sur un mot. Mais ici l'équivoque est forcée, car on mutilait les criminels de toutes les façons. Maintenant, décidez quel fut le genre de mutilation (1) . XXX. Une fois les Juifs de Manosque entreprirent de se rendre justice, c'est-à-dire , de punir eux-mêmes un de leurs correligionnaires qui avait commis un délit contre les mœurs. Mais mal leur en prit, car le juge se mêla de leur affaire et les poursuivit. Le préambule de l'information, ainsi que la déposition de l'un des témoins, expliqueront le fait dont il s'agissait. L'information est du 5 avril 1306. - Inquisitio facta est officio curie hospitalis contra omnes et singulos Judeos qui de
(1) Archives des Bouches- du- Rhône.
infra scriptis culpabiles reperirentur , super eo quod ad audientiam dicte curie pervenit. quod, non nulli Judei Manuasce, suo ausutemerario, timore Dei postposito , et in contemptu et dedecus totius christianitatis et in contemptum dicte curie , unum Judeum, dum faciebantfestum quod vocatur Purim ducendo eum per carrerias et eum crudelitur verberando ; super quibus dicta curia ad inquirendum processit. Voilà le fait ; passons maintenant à l'explication qui en fut donnée par le témoin. Sahat Judeus , testis juratus, dixit quod audivit dici quod plures Judei , in festo vocato Purim , fustigaverunt per carreriam Bendich, filium Bassene , Judee , nudum , dicendo , videre justitiam illius qui inventus est cum quadam muliere ; et similiter ducebant eodem modo Nascassonum , Judeum , inductum ad modum mulieris (1) . C'est ainsi que procéda la justice Juive. Mais les auteurs de cette exibition malhonnête durent rendre compte de leur conduite devant la justice chrétienne. XXXI. On voit que la situation des Juifs était loin d'être agréable , mais on l'avait aggravée par une mesure vexatoire , au premier chef. Il leur était enjoint de porter une marque distinctive sur leurs vêtements , de manière qu'on ne put les confondre avec leurs
(1 ) Archives des Bouches- du- Rhône.
concitoyens chrétiens. On les traitait comme les filles publiques qu'on devait toujours pouvoir distinguer des honnêtes femmes. On nommait cette marque, rota ou la roue. Elle consistait en une pièce d'étoffe jaune et ronde qu'ils était tenus de placer sur leur tunique. Au reste , le statut du 8 février 1294 en donne la description. -Ut Judei a christianis , ipsa inspectione habitus, discernantur, precipimus quod quilibet Judeus, in veste superiori, portet, ubique patenter super pectus, rotam magnam de feltro croceo habentem in circuitu quantitatem medii palmi de Canna, (1 )nullam contra hoc fraudem portando vestes de colore dicti feltri vel aliter commissurus. Si vero Judeus aliquis proxime dictum signum portare pretermiserit, vel contra mentem hujus constitutionis fraudem aliquem fecerit, solvat, qualibet vice qua indutus existens sine predicto signo inventus fuerit, vel fraudem contra premissa commiserit, unam marcham argenti fini, pro pena, curie temporali, et si quis penam predictam solvere . non poterit ponatur, die dominica, hora prima, publice in costello et ibidem usque ad horam comestionis teneatur. Le statut veut, en outre , que , dans tous les cas qu'il prévoit, le juge compétent procède
(1 ) Demi- pan , c'est-à- dire, le seizième de la Canne, mesure qui équivalait à la toise.
sommairement , sine strepitu Judicii et figura (1). tente. Le privilège de Grasse, approuvé par le comte le 15 octobre 1399 , avait réglé la grandeur de la roue et obligeait les Juifs à porter une certaine coiffure. Quod Judei teneantur portare rotam de panno rubeo et supra pectus, usque ad latitudinem trium digitorum, nonobstante quocumque privilegio in contrarium obsisPlacet. Quod Judei teneantur portare super caput eorum, pro signo, cornelia (2) sive albenetam , licet dicant se francigenas. Placet (3) . Disposition semblable, quant à la roue, pour la viguerie de Draguignan, ainsi qu'il conste du privilège, en date du 29 octobre 1427. Quod quilibet Judeus, villam ipsam Draguiniani et loca sue vicarie habitans, rotam panni super vestimentis suis, diferentem a colore eorumdem vestimentorum, portare teneatur ; ut ipsi Judei alieni a christicolis cognoscantur. La peine était de vingtcinq marcs d'argent fin pour chaque contravention (4). - --- Le roi Réné, prince tolérant , diminua les rigueurs du statut de Charles II , par son édit du 18 mai 1454. Il changea la dimension de la
(1) Arch. des B.- du-Rhône. - Domini Caroli, fo 85, vo
(2) Probablement, une espèce de coiffure.
(3) Arch. des B.- du-Rhône. - Armorum , fº 263 .
(4) Arch. des B.- du- Rhône. 238, v°. - - Crucis sive novi , fos 237.
roue qu'il réduisit à la largeur d'un gros d'argent , signe que les Juifs devaient porter sur leur habit et qu'ils appliquaient sur la ceinture , à gauche. La prescription n'avait d'effet que dans l'intérieur des villes et lieux clos ; quant aux Juifs en cours de voyage ils étaient affranchis du port de la roue. Les contraventions étaient réprimées par une amende de cinq sous qui ne pouvait être prononcée qu'à la poursuite des officiers du comte (1). L'édit du 18 mai 1454 abrogea les statuts antérieurs et notamment celui fait , le 6 mai 1306 , par Robert , duc de Calabre , lequel , en cas de contravention , prononçait la confiscation du vêtement couvrant la partie supérieure du corps et en divisait la valeur entre le fisc et le dénonciateur (2) . Cette pénalité , remplacée quelquefois par une amende arbitraire, demeura en vigueur jusqu'au tems du roi René. Par exemple, en 1378, la confiscation fut pratiquée à Tarascon. Vidonus portavit quamdam cotardiam sine filo .- Dum sub vicarius allevaret tunicam dicti Vidoni inventam absque rota (3). - Une note du clavaire de Draguignan, de 1363 , mentionne une condamnation à cinq sous d'amende , - quia rodam Judaicam non portavit (4) . Il y avait un arbitraire
(1) Arch. des B. -du - Rhône. Leonis, f° 152, v° .
(2) Arch. des B. -du- Rhône. - Série B, 2. N° 141 , f° 157. Parva regestra.
( 3) Arch. des B.- du-Rhône. - Série B, 2. N° 297.
(4) Arch. des B.-du-Rhône. - Série B, 2. N° 375 , fº 48.
tel dans l'administration de la justice et un tel laisser aller dans l'autorité , que les édits du comte demeuraient fréquemment lettre morte. XXXII. Aux vexations autorisées par une législation stupide, s'ajoutait la haine populaire, depuis longtems devenue universelle. Soit différence de religion , soit la profession des Juifs , exerçant le prêt à intérêt usuraire, cette haine faisait fréquemment explosion ; des bouffées de colère passaient sur le peuple et le jetaient dans des excès déplorables. Alors la populace , dont quelques méchans drôles soulevaient les instincts , se réunissait , attaquait les maisons des Juifs , les forçait , les pillait , maltraitait les propriétaires que , plus d'une fois elle tua. L'autorité , dépourvue de nerf, n'ayant pas de force publique à son service , laissait faire , puis , quand l'émeute s'était calmée , faute d'alimens , elle intervenait , procédurait , informait contre les auteurs réels ou prétendus des sévices commis, lesquels auteurs se tiraient ordinairement d'affaire au moyen d'une composition, dont le sénéchal dictait les termes. Le fisc emboursait le montant de la composition et les Juifs en étaient pour les coups qu'ils avaient reçus. Comme le vol jouait toujours un grand rôle dans les émeutes de ce genre , l'autorité s'efforçait d'obtenir la restitution des effets soustraits par l'emploi d'un expédient assez singulier, qui prouve combien elle était indulgente. On publiait , à son de trompe , une ordonnance du viguier ou du juge enjoignant aux détenteurs des effets pillés sur les Juifs d'avoir à les restituer , dans le délai de deux ou trois jours , à peine d'être entrepris comme voleurs. Ce mode de restitution , dont l'efficacité me paraît douteuse, fait voir qu'elles étaient les idées de l'époque en matière de justice distributive , quand il s'agissait des Juifs. Forcer leurs maisons , les piller, n'était qu'un acte indifférent si , obéissant à la sommation , on remettait à la justice le mobilier ou l'argent volé. A la suite d'une émeute qui eut lieu à Manosque contre les Juifs , émeute dans le cours de laquelle les habitans de cette ville se comportèrent de la manière accoutumée , le commandeur de l'ordre de St.Jean fit publier l'ordonnance suivante , qui est du 25 mai 1348. Quod omnis persona, cujuscumque conditionis existat, extranea vel privata, quealiquod accepit seu habeat de domibus Judeorum, vel extra, ea restituent curie Manuasce, hinc ad diem crastinam in terciis , sub pena centum marcharum argenti et ulterius peteretur ab èis profurto. Le commandeur n'y allait pas de main morte. Cent marcs d'argent faisaient une somme énorme. Aujourd'hui ils vaudraient au moins cinq mille francs ( 1) . XXXIII. Un statut émané de Philippe, prince de Tarente , vicaire général en Provence ,
(1) Archives des Bouches-du- Rhône.
rendu le 28 mars 1356, ratifie les compositions faites à l'occasion du meurtre et du pillage des Juifs. Confirmamus omnes compositiones hucusque factas per senescallos et quoscumque officiales alios ordinarios vel commissarios, cum quibuscumque personis , tam super morte et disrobatione Judeorum quam de alio quocumque crimine seu delicto, ita quod componentes ipsi de his pro quibus composuerunt ab inde in antea non debeant per dictam curiam impeti vel molestari. La composition passait l'éponge sur le délit (1) . Cet article du statut a trait , selon toutes les apparences, aux violences commises, l'année d'auparavant, contre les Juifs à Apt, ainsi qu'en plusieurs autres lieux de sa viguerie (2). Il paraîtrait même que ces désordres étaient beaucoup plus anciens, car, le 20 juin 1348, le clavaire de Tarascon relate le jugement de condamnation suivant : Quare dixit quod ita bene essent interfecti Judei de Tharascone sicuti illi de Apta. Cette fois on eût pitié d'eux (3). XXXIV. En 1351 , on tua des Juifs au Luc (4) ; et , en 1340 , les gens de Moustiers ameutės , tentèrent de les tuer , le vendredi saint , pendant qu'ils étaient dans leur synagogue
(1 ) Arch. des B. - du - Rhône.- Lividi , f• 264, v° .
(2) Arch. des B. -du-Rhône.- Série B, 2. N° 336.
(3) Arch . des B. -du-Rhône. -Série B, 2. N° 295, fo 36,
(4) Arch . des B. - du- Rhône. -Série B, 2. No 384 , f° 168, vet suivants .
et de s'emparer de leurs biens. Le projet fut mis à exécution , car ils menacèrent de tuer les officiers du comte qui s'y opposaient , mais il n'aboutit pas ( 1) . - Le XIVe siècle fut fertile en évènemens de ce genre, car , à la même époque , on tua et pilla des Juifs à Forcalquier. Il parait que les habitans de plusieurs villages voisins prirent part à cette expédition , puisqu'ils furent taxés dans la composition qui s'en suivit. Il y eut , par conséquent, une sorte de conspiration. J'ai compté jusqu'à sept de ces villages. Ce furent St.-Maime , Sigonce , Revest-en-Fangat, Niozelles , Lincel , Dauphin et Revest-des-Brousses. Entre tous, ils payèrent la somme de cent vingt-sept florins, valant, en couronnes, quatre-vingt-une livres, cinq sous, sept deniers et une obole. La quittance est du 13 juin 1351 (2) . Un autre compte , datant de la même année , ajoute Aubenas aux communes qui composèrent et élève la somme de la composition à cent soixante-six florins, valant, en couronnés , cent six livres , quatre sous , neuf deniers et trois pites (3). A cette occasion , par lettres patentes du 16 mars 1350 , contre signées par Guillaume Henri , Juge mage, Raymond d'Agout , sénéchal ,
(1) Arch. des B. - du- Rhône . Série B, 2. N° 527 f° 368 et suivants .
(2) Arch. des B. - du-Rhône. - Série B, 2. No 334 f° 246.
(3) Arch. des B. - du - Rhône. - Série B, 2. N° 334.
enjoignit au viguier et juge et au clavaire de Forcalquier d'instruire sur les faits d'assassinat et de pillage des Juifs de cette ville , et leur donna pouvoir de composer avec les accusés. Ceux-ci profitèrent de la faculté, traitèrent avec le viguier et avec le clavaire auxquels , en récompense de leurs peines et dépenses en faisant les compositions , le sénéchal fit compter , à l'un vingt- cinq florins et , à l'autre , dix florins , à prendre sur le montant des dites compositions. La lettre du sénéchal , contre-signée par Henri de Gapo , lieutenant du Juge mage , est du 25 octobre 1351 (1). La quittance du viguier , datée du 31 octobre 1351 , est ainsi conçue. Il donne reçu des vingt-cinq florins touchés par lui ; de fiscali pecunia exacta de compositionibus per nos factis cumpluribus universitatibus vicarieForcalquerii , propter mortem Judeorum de Foréalquerio et disraubatione inde secuta . Cette quittance ferait croire qu'on avait massacré tous les Juifs du pays , sans exception (2) . En 1428, la population de Manosque, excitée par le nommé Jacques Bernard , se souleva contre les Juifs et les attaqua. Il paraît qu'il s'y passa des évènemens fort graves, car l'instigateur des troubles fut condamné à mort par le conseil royal , siégeant à Aix. Ce jugement ne put recevoir son exécution , par la
( 1 ) Arch . des B.- du - Rhône. - Série B, 2. N° 334 , fº 209, vº
(2) Arch. des B.- du - Rhône. -Série B, 2. N° 334 , fo 209, v
raison que le peuple d'Aix s'y opposa , délivra Bernard et le conduisit dans une église où il fut en sûreté , en vertu du droit d'asile. Non content de cela , il s'en prit aux Juifs , en tua neuf ou dix et pilla les maisons de la rue qu'ils habitaient. Ce fut tellement sérieux , que l'autorité dut se relâcher de sa rigueur. Le roi convertit en bannissement hors de la Provence la peine de mort portée contre Bernard et fit grâce aux habitans d'Aix , ȧ condition qu'ils restitueraient les effets volés ; mais il réserva aux Juifs l'action civile . Il se trouvait alors à Tarascon. Les coupables , hommes et femmes , vinrent lui demander pardon. La pièce attestant ces faits est du 3 novembre 1430 (1) . XXXV. On évitait tout contact avec les Juifs , si ce n'est pour les tuer et les voler, et l'autorité , suivant en cela le sentiment public, avait pris des mesures pour empêcher un rapprochement qui aurait pu dégénérer en promiscuité. Un statut du 12 août 1295 défendait à leurs bouchers de tuer leurs animaux et d'en vendre la chair dans la boucherie des chrétiens . Carolus , etc. Vivario aquensi , etc. Ad notitiam nostram de novo pervenit quod Judei aquenses animalia eorum in buccaria christianorum aquensium mixtim occidunt et vendunt, cum quo hujusmodi comixtio
(1 ) Arch . des B. - du- Rhône. -Série B, 2. N° 211 , f° 90.
satisinconveniens dinoscatur ; fidelitati tue firmiter precipiendo mandamus quatenus Judeos ipsos occidere seu vendere predicta eorum animalia in eadem buccaria christianorum nullatenus patiaris , ipsos ad hoc , qua videris congrua cohertione , compellens. Le viguier , par le fait du statut, se trouvait investi d'un pouvoir discrétionnaire pour répri mer les contraventions (1). Un second statut , du 6 mai 1306 , confirma le premier , en termes encore plus vifs. Ut etiam nulla sit inter christianos et Judeos communio , statuimus ut a modo macellus Judeorum sit a macello fidelium separatus , ne carnes a Judeis Judaico more mactatis et , fortassis , eo recepto quod eis necessarium est , que superfluas venditioni expositas a christianis emi contingat, quod quidem indignum et velut sacrilegium censetur ; cum ab illis ea que per fidelium manus parata sunt judicentur immunda (2) . Le roi Réné , par sa constitution du 18 mai 1454 , maintint les Juifs dans leurs anciens usages , mais il ne visa pas à les faire confondre avec les chrétiens ; l'idée n'était pas de son temps. Quodque etiam ipsi Judei suis solitis serimoniis uti , carnesque sagatare (3)
(1 ) Arch . des B.- du- Rhône. -Série B, 2. N° 141 , fo 59, v°
(2) Arch. des B. - du-Rhône. -Série B, 2. N° 141 , fo 157 .
(3) De sagata, mot provençal , signifiant drageon : ou du latin seco.
in tabulis et locis consuetis possint, juxta consuetum, sine contradictione ( 1) . Ces statuts étaient sévèrement appliqués. Voici le texte d'une proclamation faite , le 30 septembre 1340 , par ordre du commandeur de Manosque. Quod nulla persona sit ausa facere marcellum ( 2 ) Judeis in diebus sabatinis, post occasum solis, usque solis occasum diey dominice proxime subsequentis, sub pena quinque solidorum et amissionis carium. - Quod nulla persona audeat vendere carnes marcelate pro Judeis cum aliis carnibus marcellatis pro christianis , nec in eadem tabula , sub pena predicta et amissionis carium (3). Les statuts des bouchers de la même ville, convenus le 18 octobre 1340, contiennent la disposition suivante : Voluerunt quod arietes nec carnes occise per Judeos, seu ad opus Judeorum, non vendantur in macello superiori, neque in tabulis circumstantibus , nec macellari , vel Judei non occident nec scorient nulla animalia per Judeos, nisi in carreria boccharie tantum (4). Une sentence du juge de St.Maximin, rendue en 1323, prouve qu'on y suivait les
(1) Archives des B.- du-Rhône. Leonis, fo 152, vo.
( 2) Pour macellum .
(3) Archives des Bouches - du-Rhône .
(4) Archives des Bouches - du - Rhône.
dispositions des statuts, qu'on avait soin, d'ailleurs , de porter à nouveau à la connaissance du public par des proclamations. Quia venerunt contra formam preconisationis et penam in ea contentam, de carnibus, per Judeos sagatatis , non vendendo in tabulis christianorum, vendiderunt, in eorum tabulis carnes sagatatas per Judeos, christianis. Et ci, dix sous d'amende (1 ) . Les Juifs avaient leurs tables ou étaux à part. Quia contra ordinationem factam de non vendendis carnibus sagatatis nisi in certa tabula macelli , carnes sagatatas in sua tabula vendidit. Ce jugement est aussi de 1323 (2) . Pour ces tables, les Juifs servaient une redevance au fisc. Ainsi, à Digne, ils avaient deux tables à la boucherie, au cens annuel de douze sous, deux deniers, une obole et une pite. La note est de 1356 (3) . A Theniers , en 1333, la redevance était de vingt sous (4) . Enfin , un statut de Robert , du 17 décembre 1309 , défend aux Juifs de Grasse de tuer dans la boucherie des
(1) Arch. des B.- du- Rhône. 275 vo. Série B 2, nº 390, fº
(2) Archives des Bouches- du- Rhône. no 390, fo 285, vo
(3) Archives des Bouches- du- Rhône. nos 352 et 354.
(4) Archives des Bouches- du- Rhône. no 506 , fo 4. - Série B 2 , - Série B 2 , - Série B.
chrétiens (1 ) . On était impitoyable envers cette race. XXXVI. J'ai parlé autre part du serment des Juifs, mais il sera bon de citer quelques particularités du mode de prestation . Ordinairement ils prêtaient serment sur la loi de Moïse. Un acte émané des maîtres rationaux, à la date du 27 février 1408 , le constate. Reperitur in depositione Astrugoni Bonefidei, Judei de Mayranicis, collectoris tunc pedagii dicti loci , facta per eum medio prestito juramento ad legem Moïsi (2). Ils juraient super acquinam. J'ignore ce que signifie ce mot employé dans une note de 1427. Juravit super acquinam, more Judaico , ab eo manu tacta (3). Cependant, si je m'en rapporte à une procédure faite à Manosque , le 15 septembre 1341 , par cette expression on entendait le corps des lois de Moïse. Crescas , de Mirabello , Judeus , super sanctam legem Moïsi , sive super quinia , stare mandatis curie (4). Evidemment, quinia est l'altération d'acquina . Le même serment fut prêté le 10 décembre 1415, devant un maître rational. Judeus juravit ad aquinam
(1 ) Archives des Bouches- du-Rhône. Série B. 2, n° 456, fa 25, v°.
(2) Arch. des B. -du- Rhône. - Lividi , f 255.
(3) Arch. des B. - du-Rhône. Chartrier de Manosque.
(4) Archives des Bouches-du- Rhône.
Leur serment , quel qu'il fut, devait être tenu. In quibus juribus habetur quod juramentum erit servandum , etiam si fiat super lapidem (2). En 1474 , un notaire de Manosque faisait jurer les Juifs sur sa robe. Super raupam michi notarii. C'était le pendant du serment , super lapidem. XXXVII. On soumettait les Juifs à des exigences qu'ils supportaient , crainte d'un plus grand mal. Par exemple, à Forcalquier, les écoliers étaient dans l'habitude de les vexer, aux jours des fêtes de Ste-Catherine et de St-Nicolas , et , par ce moyen , ils en obtenaient de l'argent qu'ils employaient à faire. confectionner des torches en l'honneur de la sainte et du saint. Il paraît que les écoliers espiègles détournèrent de sa destination l'argent qu'ils savaient extorquer aux Juifs , en grognant et simulant l'oreille de cochon avec le bout de la veste , étant gamin , j'ai fait cette manoeuvre car le conseil municipal y avisa , en ordonnant que les sommes dues par les Juifs aux écoliers seraient , en tems opportun , remises aux syndics , lesquels les verseraient entre les mains des maîtres d'école. Le conseil , par sa délibération , autorisait et
(1 ) Archives des Bouches-du - Rhône. 433, fº 95, v° Série B 2.
(2) Car. Pellegrinus , Praxis vicariorum . Pars , 11 . Sectio 11 , Subsectio, 11 p. 121 .
consacrait une illégalité flagrante. Mais il s'agissait des Juifs ( 1) . XXXVIII. Il les traitait avec aussi peu de cérémonie , en temps de contagion. Aux premiers symptômes de peste , on commençait par les expulser de la ville , leur laissant le soin de vivre comme ils pourraient, et, quand, atteints du mal , ils mouraient , on les ensevelissait dans les champs , absolument comme s'il se fut agi d'un animal domestique. C'est ainsi qu'on se comporta envers eux en 1478 (2). XXXIX. J'ai dit que les Juifs exerçaient la profession de marchands d'argent , le plaçant à gros intérêts et prêtant principalement sur gages. C'est , peut-être , autant à cela qu'à la différence de religion qu'ils devaient la défaveur populaire dont ils étaient amplement chargés. Il est vrai que la législation leur en avait fait une large part. Le plus ancien statut que je connaisse, en matière de prêt fait par les Juifs , est du 10 des kalendes de juin 1243. Ce statut ne leur est pas particulier , car il dispose sur d'autres sujets, mais il vise principalement les Juifs , dans deux de ses chapitres. Le premier est intitulé : De instrumentis usurariorum ; infra quod tempus valeant vel non valeant. En voici la teneur.
(1) Délibération du Conseil municipal - 1493f° 322. v°
(2) Délibération du Conseil municipal fos 80, 102.
Statuimus quod , si quis Judeus , vel usurarius, ostenderit publicum instrumentum usuram seu penam continens , non valeat si triennium elapsum a termino prime solutionis faciende fuerit, nisi querimonia esset medio tempore deposita in curia ; et ita sit tutus reus in toto debito sortis et usurarum , ipso tamen jurante se sortem solvisse , si vero jurare noluerit , non sit in aliquo quo ad sortem tutus, Si vero debitor cum juramento vel sine juramento , elapso termine , confiteatur se adhuc debere debitum vel partem , nichilominus sit tutus quo ad usuras tantum ; et hec ad futura negotia sive instrumenta extenduntur. De preteritis vero instrumentis statuerunt quod de cetero non valeant , a tempore publicationis hujus statuti elapso biennio , nisi medio tempore esset in curias querimonia deposita de debitore , ut supra dictum est. Et hoc statutum et omnia infra scripta statuta habent locum in judicatura Aquensi et Brinonie et sancti Maximini , et inter eos qui sunt earumden judicaturarum. Si vero principalis debitor esset aliene Judicature et fidejussores et mandatores et constitutores essent predictarum judicaturarum , extendantur (1) hoc statutum ad dictos fidejussores et mandatores et constitutores . Ce texte est clair. A futur , il établissait la
(1) Lisez extendatur. Je copie servilement ; que d'autres corrigent !
prescription triennale ; elle était biennale pour le passé, mais à condition, dans les deux cas, que le créancier n'eût pas réclamé en justice. Lorsque le débiteur invoquait la prescription triennale , il était soumis à une prestation de serment. Telle est l'analyse succincte de cet article du statut qui n'avait force de loi que dans les vigueries ou bailliages d'Aix , de Brignoles et de St.Maximin , et qui était applicable aux fidejusseurs , mandans et constituans domiciliés dans l'étendue de ces trois juridictions , alors que le débiteur principal habitait un autre ressort. Cette exception paraîtrait extraordinaire , si l'on ne savait que le statut fut fait spécialement pour Aix. Le comte s'en explique dans le préambule. Has constitutiones fecit dominus RaymundusBerengarius , comes et marchio provincie et comes forcalquerii , quas vult et precipit in aquense curia inviolabiliter observari. L'article suivant contient une erreur évidente de copiste. Il fait produire un effet à ce statut , alors qu'il n'existait pas. Post hec , anno 1240 , quarto idus septembris , dominus comes voluit et concessit Judeis quod presens statutum nullum prejudicium eis generaret hoc durante tempore guerre , postea vero , statim pace facta , dictum statutum incipiat suum robur habere. Il est clair que la date du 4 des ides de septembre 1240 est fautive et doit être reportée après celle du 10 des kalendes de juin 1243.
Celle d'un statut postérieur énoncé dans l'article qui suit est exacte. Post hec , anno domini 1245 , quarto kalendarum Julii , dominus comes voluit et concessit Judeis quod predictum statutum nullum prejudicium eis generaret ab hodie usque ad tres annos continuos et completos, Postea vero statim dictum statutum incipiat suum robur habere in hominibus civitatis Aquensis et non in aliis. Franchement, je n'y comprends rien. Il y a une telle incohérence dans la législation de cette époque , où l'on ne rencontre pas une vue d'ensemble, que je suis tenté de dire qu'autant vaudrait fouiller dans un gachis. Voyez , plutôt ? Le comte veut parer aux abus résultant du prêt à intérêt. L'intention est louable ; mais , après avoir établi des règles à ce sujet, il en affranchit les Juifs pendant tout le tems de la guerre qu'il faisait alors , sans doute , parce qu'il avait besoin d'eux pour se procurer de l'argent ; puis , il renvoie l'effet de son statut à trois ans après la date de 1245 , tems pendant lequel les Juifs eurent toute latitude ; ensuite, il en limite l'effet à la seule ville d'Aix. Où voulait-il en venir et quel bien pouvait-il attendre d'une législation conçue et rédigée de cette façon ? Mais il faut se borner à raconter ce qui était et non rechercher ce qu'on aurait dû faire. XXXX. Dans le chapitre subséquent , intitulé de usuris que prestari debeant le statut fixe le taux de l'intérêt . Remarquez qu'il ne parle que des Juifs. Il n'y avait qu'eux qui prêtassent de l'argent. Cela se comprend , le prêt à intérêt étant défendu par les lois canoniques. Statuimus quod Judei possint usuras quinque solidorum pro libra , quolibet mense, recipere, quanticunque quantitatis fuerit debitum et non ultra , tam a principali debitore, quam a fidejussore vel mandatore vel constitutore, et ipsi Judei de usuris alias usuras non recipiant nec etiam stipulentur, quod si fecerint , deinde usuras amittant , et sic hoc ultimum ad futurum tempus tantum extenditur, et hoc ad presentes et preteritos et futuros contractus extenditur (1) . On croit rêver en lisant pareilles choses. Cinq sous par livre d'intérêts , c'est le 25 %; après quatre mois , le capital était payé ; au bout de l'an , il avait triplé, et, tout cela, sans tenir compte de l'intérêt composé. Mais , par grâce spéciale , le statut défendait de stipuler et de toucher les intérêts des intérêts ; à peine de perdre les uns et les autres et , sous ce rapport , ne statuait que pour l'avenir, les faits accomplis étant respectés. Quant aux intérêts réguliers , le statut s'appliquait au passé , au présent et à l'avenir. Après cela, on comprend que les Juifs fussent universellement détestés , maudits, qu'on les pillât et assommât, de tems
(1) Arch . des B. -du- Rhône . -Pergamenorum. fo 193.
à autre. C'était mal fait , mais ils abusaient terriblement de leur fortune. XXXXI. Je faisais , tout à l'heure , le reproche d'incohérence à notre ancienne législation , mais il faut être juste ; les dispositions immédiatement suivantes du statut sont parfaitement conséquentes. Comme celui qui emprunte au 25 % par mois est vite au bout de son patrimoine , le statut autorise le débiteur insolvable à faire cession de biens ; s'ils ne suffisent pas , il ouvre l'action du créancier contre les cautions. Ensuite , par mesure de précaution, afin de donner le tems de respirer au débiteur traqué par les limiers de justice, il permet au juge , eu égard à l'état du créancier et du débiteur , d'accorder å celui-ci un délai de trente jours pour exécuter le jugement de condamnation. On était parfois miséricordieux , mais on n'abusait pas de la pitié. XXXXII. Cela se passait en 1243. Le tems améliora la situation du débiteur , car un statut de Réné , du 26 juin 1453 , fait spécialement pour Marseille , fixe à 25 %, le taux de de l'intérêt à percevoir par les Juifs. Rex prohibet Judeis utriusque sexus dicte civitatis, ne a cetero ipsi Judei recipiant pro usuris a christianis ultra florenos viginti quinque pro centenario , sub pena confiscationis bonorum suorum (1) . On demandait que les Juifs ne
(1) Achives des B. -du-Rhône. Leonis, fo 128.
pussent exiger plus de deux patacs par florins (1), mais le roi maintint l'ancien taux de 25 %. Seulement de mensuel qu'il était , il devint annuel. Cela n'est pas dit expressément dans le statut , mais le fait ressort de son esprit. Un acte du 16 mars 1437 fixe à 10 % le taux de l'intérêt à Tarascon et dans sa viguerie (2) . XXXXIII. Le statut du 10 des kalendes de juin 1243 , prévoyait le cas où , en place d'intérêts , le créancier avait stipulé du blé ou autres céréales , et il diminuait le chiffre de la prestation usuraire. L'article est rubriqué : Defrumento loco usurarum. Il porte : Statuimus quod si quis Judeus fuerit stipulatus ab aliquo frumentum vel aliquam messem loco usurarum , si predictumfrumentum sive messis tempore condempnationis valeat ultra usuras supra in alio statuto concessas, liberetur debitorsolvendas usuras quinque denariorumpro libra ; supra concessas tacuimus. C'est-à-dire, que le statut, portant pour ce cas l'intérêt à cinq deniers par livre, annule
(1 ) D'après une ordonnance de Foulque d'Agout , sénéchal , du 20 mars 1364 , le patac valait deux deniers provençaux . C'était , peut-être , ce qu'un parère du 31 octobre 1330 , appela moneta nigra, parvus Robertinus . En 1517 , le patac, monnaie noire, valait un liard, les deux.... Arch. des B. - du - Rhône. -Série B , 2 Nos 192 , 391 , fo 111 , v . Recueil des privilèges, fo 291 , vo .
(2) Ibid. Lilii , fo 233.
implicitement celui de 25 %, qu'il tolérait. Le prince se tait, donc il faut s'entenir à ce qu'il ordonne. XXXXIV. La constitution pour les Juifs, faite le 20 août 1306 , contient une disposition peu commune dont il convient de parler. Elle permet au débiteur, s'acquittant partiellement, de retirer le titre de son obligation , à condition d'en consentir un nouveau , privilège qui ne dut pas lui servir de beaucoup. Quod quam primum debitor satisfacere ceperit, teneatur omnino creditor ipsi debitori, juxta dicti domini statutum , primum restituere instrumentum , satisfactione totali et integra nullatenus expectata , faciendo et dando ei per debitorem ipsum instrumento alio quantitatem residuam contenturo ; ita , scilicet, quod primi instrumenti tenor inseratur in illo et obligatio que pro ipsa residua quantitate secundario fiet habeat eamdem auctoritatem et vim quoad prioritatem et fidejussionem , ac pignoris obligationem , quam habere primum et totale debitum noscebatur (1). A première vue , on croirait que le statut fut conçu et rédigé par un notaire , tant il s'applique à multiplier les écritures , cependant le manque d'instruction dans toutes les classes en rend suffisamment raison . En 1306, peu de personnes savaient lire et écrire, de telle sorte que le débiteur , voulant avoir une
(1 ) Arch. des B. du-Rhône. - Domini Caroli , f 233, v°
quittance partielle , devait , de toute nécessité, recourir à un notaire. Seulement , la transcription dans le nouvel acte du titre originel constituait une charge qu'on aurait pu lui épargner. J'ajoute que ce document mentionne un autre statut que je n'ai pas trouvé. XXXXV. Le statut du 10 des kalendes de juin 1243 , établissait la prescription de deux ou trois ans pour les obligations de prêt à intérêt. Un autre plus récent , rendu le 8 novembre 1480 , à la requête des états , voulut que la prescription fut vicennale. Placet quod debita Judeorum que non fuerint petita , aut aliquid pro eis solutum , aut alias conventum , pro toto vel parte ; durante tempore viginti annorum, non possint peti , tam pro tempore preterito , quam pro futuro , sed prescribantur eo tempore viginti annorum, non obstante rigore curie camere , nisi fuerint impediti petere ex beneficio cessionis. bonorum (1). Disposition pareille existait dans un autre statut datant de 1469 (2) . XXXXVI. Le pouvoir venait quelquefois au secours des débiteurs. Ainsi , une ordonnance de Jeanne , du 4 février 1344 , considérant que les ( usuriers Juifs , Toscans et Lombards pressurent le peuple , donne aux
(1) Arch. des B.-du-Rhône.
(2) Arch, des B. -du-Rhône. fos 139, vo 195. Corona, fo 1. Recueil des privilèges.
débiteurs deux ans pour acquitter leurs dettes, à condition de cautionner devant le sénéchal ou devant le bailli. Ce répit ne pouvait manquer d'être bienvenu aux débiteurs. Quant aux Juifs , ils attendaient le moment propice pour prendre leur revanche (1) . XXXXVII. Le gage , ou nantissement, est le corollaire naturel du contrat de prêt, surtout s'agissant de petites sommes. Dans cette stipulation l'usure a ses coudées franches. Comme ce contrat était extrêmement usité dans le moyen-âge , on en avait réglementé l'exercice, soit par des statuts généraux, soit par des ordonnances locales , lesquelles avaient les Juifs pour objet. Le statut de Réné , du 26 juin 1453 , déjà cité , particulier à Marseille , permet aux Juifs de recevoir des gages valant le double de leur créance et veut qu'il en soit dressé acte public ou privé. Rex imperat quod Judei pignora valentia duplum credite quantitatis recipiant ; quodque ipsi Judei pignora hujusmodi recipientes confiteantur ipsa pignora habuisse per instrumentum vel appodixas (2), sub penapredicta . La confiseation des biens du prêteur. La convention passée le 5 novembre 1336, entre le seigneur du fief de Puy-Roustan et ses vassaux , porte : Quod ipsi homines
(1) Arch. des B.- du- Rhône. Série B, 2. N° 440, fo 153, v°
(2 ) C'est ainsi qu'on nommait la quittance. De là, on fit Podissa. En provençal , le mutuum s'appelait Chebencia .
tenentur recipere, simili modo et forma, c'est-à-dire , nisi ad extimam tantummodo faciendam per arbitros dicti loci ab eorum debitoribus , possessiones et pignora, et non aliter, pro debitis de quibus unus vel plures ipsorum , alii vel aliis reperirentur obligati. · Ici ce sont les cominaux qui apprécient la valeur des gages (1). XXXXVIII. Au sujet du gage , il existe un statut fort ancien qui est arrivé jusqu'à nous. Aux nones de février 1206, Guillaume, comte de Forcalquier , fit à Manosque diverses concessions. On lit dans cet acte : Si aliquis alicui in burgo possessiones et res suas pignori obligaverit , antequam veniat tricesimus annus redimendi habeat potestatem, et si forte jamdictum pignus non redimeret intra hos suprascriptos annos, pro hac facta a nobis institutione valeant se defendere qui possiderint pignora. La faculté de rachat ne prescrivait que par trente ans (2). Ce tems était beaucoup trop long. J'ignore ce qu'on fit dans l'intervalle , mais le 20 février 1420 , une ordonnance de la reine Yolande , autorisa les Juifs à vendre aux enchères les effets qu'ils détenaient à titre de gage si , dans les deux ans , les débiteurs ne les avaient pas rachetés , après avoir été sommés de le
(1 ) Arch. des B- du-Rhône. - Pacis , fo 174.
(2) Arch. des B. -du- Rhône . Lividi, f 160 .
faire, en présence de deux témoins. La mesure était assurément fort sage (1). XXXXIX. Pour éviter que la possession du gage , entre les mains du créancier se prolongeat trop longtemps , l'autorité locale intervenait et faisait publier que les débiteurs eussent à dégager les effets par eux engagés, dans un certain délai , sinon , qu'ils seraient vendus à l'enchère. Ainsi , à Aix, les débiteurs avaient dix jours. Ce fait est attesté par une note datant du 26 avril 1296 (2) . Voici une publication faite à Manosque , le 10 octobre 1336, par ordre du commandeur et de son bailli. Quod omnis persona que habet pignora aliqua penes Bendichonum Leonis, Juif — ea redement infra decem dies , alias daretur ei licentia ipsa pignora ad inquantum vendendi (3). Le commandeur fixait le délai pendant lequel l'engagiste pouvait conserver la possession du gage. Quod omnis persona que habet pignora, ultra unum annum, penes Bellando, Juif - illa redemerit hinc ad dies decimos proximos, quia ulterius non audiretur. On faisait ordinairement une seconde publication (4) Cette pièce est du 14 janvier 1338. L. Il y a plus. Le commandeur faisait
(1 ) Arch. des B. - du-Rhône . Série B, 2. N° 396, fº 31 , vº
(2) Arch. des B. - du- Rhône. -Parva regestra, fos 79, 80.
(3) Archives des Bouches-du- Rhône.
(4) Archives des Bouches- du- Rhône.
défense de recevoir des gages de la part de certaines personnes. Le 26 octobre 1392 , il fut défendu , par publication faite d'ordre du bailli de Manosque , à quiconque d'accepter des gages de Pierre Caillol , joueur de dés et dissipateur des biens de son père. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'on soigne les intérêts des prodigues (1). LI. On agissait de même en ce qui touchait les gages pris par les banniers ou nonces pour assurer le paiement des amendes et droits de justice. Le commandeur y pourvoyait. Le 22 novembre 1359 , par son ordre, on fit la proclamation suivante : Quod omnis persona que habeat pignora penes curiam redimeat hinc ad diem dominicam proximam, aliter venderentur ad inquantum (2) . Le gage , dans ce cas , se transformait en cautionnement. On l'exigeait des délinquans , des plaideurs , et quand une instance se liait , il fallait que demandeur et défendeur donnassent gage ou caution à raison de trois sous par livre de la valeur de la chose demandée. Quand il s'agissait d'assurer le paiement des droits de justice, la quotité du gage était laissée à l'arbitraire du juge ou du clavaire. On le pratiquait ainsi à Aix , en force du statut de Raymond Bérenger , du 10 des kalendes de juin 1243. A Marseille, en vertu du statut de la veille des
( 1 ) Archives des Bouches- du- Rhône.
(2) Arelrives des Bouches- du- Rhône.
kalendes de juin 1257 , Charles I aussitôt l'instance liée et le serment de calomnie ( 1) prêté, on donnait des gages pour le payement des droits de justice , sur le pied de douze deniers par livre , d'après l'estimation du procès (2). LII. Défense de divertir les gages. Quod nulla persona audeat extrahere aliqua pignora de loco Manuasce, sine licentia curie, sub pena centum solidorum pro quolibet et in amissione pignorum. La publication est du 11 mai 1339 (3). Enfin, quand le débiteur ne s'acquittait pas, le gage était vendu aux enchères , selon la prescription de l'autorité. Quod omnis persona Judea vel christiana, que habet pignora aliqua vendenda ad incantum, ea vendat et vendi faciat publice ad incantum, in villa Manuasce et non alibi, sub pena pro quolibet et vice quolibet centum solidorum et amissionis pignorum. Cette pièce , émanée du commandeur de Manosque, est du 22 février 1338 (4). Nous avons vu plus haut que la reine Yolande, par son édit, du 20 février 1420, donnait deux ans pour le rachat du gage.
(1 ) Les parties affirmaient, par serment, être dans leur droit.
( 2) Arch . des B. du-Rhône. - Pergamenorum, f° 38, v°
(3) Archives des Bouches-du- Rhône.
(4) Archives des Bouches- du- Rhône.
LIII. Voilà tout ce que j'ai trouvé aux archives sur le prêt à intérêt qui était presque entièrement exercé par les Juifs . Ajoutons , pour être complet , qu'il existait des statuts punissant les usuriers , bien qu'il fut difficile d'en rencontrer à une époque où l'intérêt légal était de 25 %. L'un de ces statuts est dụ 2 mars 1294 (1) , l'autre, émané de Charles II , n'a pas de date (2) . Quant aux Juifs , j'ai dit tout ce que j'en sais.
(1) Arch. des B. - du - Rhône. Domini Caroli, fº 70 vº .
( 2) Arch. des B.-du-Rhône. Memoriæ, f° 367, v°