NOTICE GEOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE

SUR LA COMMUNE DE LARDIERS

Par

Louis PELLOUX

1887

ARMOIRIES

Lardiers porte de sinople à un loup d'or coupé d'argent à un chevron de sable. Ces armoiries durent être données à Lardiers par la famille de Simiane qui posséda ce fief pendant 30 ou 40 ans jusqu'en 1266. L'ancien fief de Malcor porte écartelé aux 1er et 4e d'azur à un arbre d'or, terrassé de sinople qui est de Testanière, au 2e d'azur à un lion d'or, au chef d'or, chargé d'un aigle couronné de sable, au vol éployé qui est de Gaffarel ; au 3e d'azur au lion d'or, armé et lampassé de gueules qui est d'Arnaud de Miravail.

NOMS

 

Lardario

an 1045

Larderys

an 1332

Larderio

an 1266

Larderii

an 1400

Larderii

an 1266

Larderii

an 1471

Larderys

an 1287

Lardies

an 1540

Larderium

an 1290

Lardiers

an 1698

Larderio

an 1294

Lardiers

an 1728

Lardeyreco

an 1297

Lardiers

an 1776

TERRITOIRE – PRODUCTIONS

Le territoire de Lardiers, auquel on a annexé en 1791 celui de Malcor, a pour bornes les communes d'Ongles et de Saint-Etienne-les-Orgues, à l'est ; de Saint-Vincent, de Châteauneuf-Miravail et de l'Hospitalet, au nord ; de l'Hospitalet, de Saumane et de Banon, à l'ouest, et d'Ongles, au sud.

Sa plus grande longueur, à vol d'oiseau, est de 10 kilomètres et sa plus grande largeur de 5 kilomètres. Il est formé en grande partie par des montagnes qui, dans la région nord, s'élèvent graduellement des deux côtés d'une gorge longue d'environ 7 kilomètres jusqu'à la crête de la chaîne de Lure qui, sur ce point, atteint 1.661 mètres.

Au sud s'étend une petite plaine circulaire de 2 à 3 kilomètres de diamètre, limitée par les petites montagnes du Coulet-Bas, des Aubarines, de Gleiroux, du Défends et de Coutelle. Elles sont couvertes en grande partie de bois taillis à essences de chênes ou de hêtres.

Le sol de la plaine, graveleux et léger, n'est productif qu'à la condition de recevoir des pluies fréquentes. Il est au contraire de très bonne qualité dans la longue vallée qui s'étend à l'ouest, depuis Saint-Geniez jusqu'au Soubeyran.

Considéré au point de vue géologique, le territoire de Lardiers appartient entièrement à la formation néocomienne. La plaine est couverte d'une épaisse couche de cailloux arrondis par les vagues de la mer, à l'époque où celle-ci s'avançait, pendant la formation crétacée, jusqu'à la montagne de Lure.

Le territoire de Lardiers a une superficie totale de 3.007 h. 95 a. 85 c., dont 558 h. 15 a. 96 c. en terres labourables et 1.719 h. 76 a. 26 c. en bois taillis. En 1698, il fut évalué 33.000 livres et Malcor à 8.000 livres.

Le blé, les légumes, les amandes, la lavande, les truffes, etc., forment les principaux produits du territoire. Les sources y sont nombreuses et abondantes. Carrière de pierres tendres inexploitées au quartier de Saint-Geniez. Source légèrement sulfureuse aux Chenevières.

ALTITUDES – DISTANCES

Le village, 782 mètres. – Col de Buire, 886 mètres. – Le Recoussaud, 894 mètres. – Aubarines, 1.161 mètres. – Cleiroux, 1.187 mètres. – Chastelard, 990 mètres. – Pic-Bouin, 1.000 mètres. – Crête de Lure, 1.661 mètres.

Le village est à 12 kilomètres de Saint-Etienne par la route d'Ongles, et à 7 kilomètres à travers bois. – A 4 kilomètres de Saumane. – A 18 kilomètres de Forcalquier par la Colle, et à 20 kilomètres par la vallée de la Laye.

FETE PATRONALE – FOIRES

Fête patronale Sainte-Anne, 26 juillet. Les chevaliers de Malte, qui possédèrent la seigneurie de Lardiers de 1266 à 1790, payaient une somme de 9 livres en 1776 pour l'acquisition des prix ou joyas que l'on distribuait pendant la fête patronale. Foires les 15 juin et 15 octobre. Elles sont peu importantes.

POPULATION

En 1045, 1266 et 1297, Lardiers n'avait qu'un très petit nombre de maisons. – En 1400, 1442 et 1471, il était inhabité. – En 1494, quelques familles. – En 1540, 8 maisons et autant de familles. – En 1580, 60 familles. – En 1610, 66 familles. – En 1655, 70 familles. – En 1679, 100 familles. – En 1709, 90 familles. – En 1729, 70 familles. – En 1753, 80 familles. – En 1765, 321 habitants, dont 162 hommes ou garçons et 159 femmes ou filles. – En 1782, 64 familles. – En 1806, 322 habitants. – 1815, 308 habitants. – 1827, 393 habitants. – 1837, 364 habitants. – 1847, 398 habitants. – 1857, 295 habitants. – 1867, 315 habitants. – 1877, 272 habitants. – 1887, 252 habitants.

Mouvement de la population de 1823 à 1883 : 164 mariages, 592 naissances et 666 décès.

VILLAGE

Le village est bâti à découvert au milieu de la plaine, sur un banc de rochers calcaires. Au sud s'élèvent le château et l'église, remarquables par leur ancienneté ; une petite place ombragée de tilleuls, plantés en 1848, sépare ces deux édifices du presbytère. A l'intérieur, les rues sont étroites et les maisons, avec leurs perrons disgracieux, paraissent disposées sans ordre, mais ces défauts sont largement rachetés par un site avantageux, et par la vue de nombreuses habitations très commodes et très convenables. A l'est coule un petit ruisseau, appelé le Riou, alimenté par plusieurs sources ; il a creusé son lit, de quelques mètres de profondeur, à travers des bancs de rochers de couleur grise qui alternent avec des marnes bleuâtres feuilletées.

Depuis 1874, la route de Saumane à Forcalquier traverse le village de Lardiers ; elle franchit le Riou sur un petit pont construit à la même date.

Lardiers possède quatre petits hameaux, tous situés à proximité du village ; ce sont ceux de La Garouvière, des Hautes-Granges, des Basses-Granges et du Moulin. Autrefois, il en existait un cinquième, appelé La Cour des Ponces, qui n'est plus habité depuis environ cent ans.

PROPRIETES COMMUNALES

L'église de Lardiers fut probablement construite au Xe ou au XIe siècle, en même temps que l'hospice voisin, aujourd'hui le château, destiné à recevoir les lépreux ( Hospitale de Larderii ). Elle se composait primitivement d'une simple nef ; les chapelles latérales datent de l'année 1606, tout comme la porte qui possède quatre colonnes avec chapiteaux. Cet édifice manque de grâce tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, parce que la porte s'ouvre sur un des côtés de la nef, et qu'une immense tribune masque une partie de la voûte ; en outre, le sol est sensiblement inférieur à celui de la place.

L'horloge, placée sous le clocher, fut achetée en 1828 au prix de 800 francs sur l'initiative de M. Arnoux, curé.

Le presbytère est un bâtiment à deux étages ; il possède une assez jolie façade et occupe une excellente position sur l'un des côtés de la place.

La commune possède un ancien bâtiment en pierres équarries dans lequel se trouvent : un four, une forge, la mairie et la maison d'école. Un projet a été dressé pour construire une autre maison d'école plus convenable.

La fontaine, située au nord du village, est alimentée par la source dite de Pierre Mathieu, du quartier du Serre. Une autre fontaine, qui reçoit les eaux de la Ganasse, a été construite en 1882 et 1883 au quartier du Pré de la Vignasse. La Grande Fontaine qui est près du hameau du Moulin appartient également à la commune.

La petite chapelle de Saint-Claude fut, dit-on, édifiée vers la fin du XVIIe siècle par un prêtre appelé Claude Brunier ; elle tombait en ruines lorsque M. Fabre, curé, la fit reconstruire en 1865. La cloche a été donnée par M. Lagarde, qui fut maire de Marseille et membre du Conseil général pour le canton de Saint-Etienne.

Il n'y a pas à Lardiers de forêts communales.

ETYMOLOGIE

Le mot Lardiers ne dérive certainement, ni de Lares (dieux lares), ni de Lardarium (lard), ni de Lardar (griller). Il est peu probable aussi, contrairement à ce que nous avons dit dans notre Histoire de Lardiers , qu'il ait été formé de la dernière syllabe du mot Castellard ou de Lardia , signifiant pâturage en langue celtique.

La véritable étymologie de ce nom nous est indiquée par une charte de l'année 1266 sur laquelle on lit : « Castrum de Larderii valgarit appellatur hospital de Lardery (1)  », c'est-à-dire : le château de Lardiers, vulgairement appelé hôpital des Ladres. Un autre document de l'année 1290 porte également « Hospitale de Lardery (2) ». Il semble résulter de ces deux textes que les religieux appelés Lazaristes fondèrent à Lardiers, vers le Xe siècle, un hôpital de leur ordre pour y soigner les ladres ou lépreux. Larderii , nom latin du village, a donc été formé de Ladreria par la simple transposition de la lettre R. Le mot ladre appartient essentiellement à la langue provençale que l'on parlait et que l'on écrivait concurremment avec la langue latine pendant la seconde moitié du Moyen Age.

L'hôpital des ladres de Lardiers, agrandi et transformé, est devenu le château.

(1) Archives des Bouches-du-Rhône, Ordre de Malte, com. d'Avignon , arm. 3, carton 25, n° 262.

(2) Archives des Bouches-du-Rhône, série B. 1079, f° 12 et suivants.

 

HOMMAGES

On ne connaît pas d'acte d'hommage pour la seigneurie de Lardiers, mais il existe un acte de dénombrement donné en 1539 par Ant. de Barras, commandeur d'Avignon.

Malcor, fief annexé au territoire de Lardiers. – Année 1410, Gauthier d'Aymar. – 1585, Guill. et Bert. de Bermond. – 1596, Paul de Marin. – 1596, Claude Bermond. – 1598, Pierre de Fauris. – 1658, Antoine Sylvestre. – 1672, Jean Magnan. – 1672, Joseph Revest. – 1672, Jean de Bermond. – 1672, Fr. Scipion Sylvestre. – 1696, Jh Roux, époux de Magdel. de Bermond. – 1714, Antoine de Fauris. – 1720, Jean-Louis Testanière. – 1723, Antoine de Fauris. – 1739, d'André Thérèze, veuve de Jh Roux. – 1776, André-Elzéard d'Arbaud de Jouques. – 1761, J. Franc. Paul de Fauris Saint-Vincent. – 1764, Jean-André Testanière du Revest-du-Bion. – 1777, Jh Rémy Testanière de Miravail. – 1779, Jh François et André Verdet, frères.

AFFOUAGEMENTS

En 1400, 1418, 1431, 1442 et 1471, Lardiers était inhabité. – 1540, 1/4 de feu. – 1665, 1/4 de feu. – 1698, 1/2 feu. – 1733, 1 feu. – 1776, 1 feu.

En 1698, le territoire de Lardiers fut estimé 33.000 livres et celui de Malcor 8.000 livres.

HISTOIRE

Il est hors de doute qu'une ville gallo-romaine a existé dans le territoire de Lardiers, au sommet d'une montagne de forme conique appelée le Castellard, d'où la vue embrasse un vaste horizon (990 mètres d'altitude). Un plateau circulaire, entouré d'une double enceinte de murs en ruines, indique exactement l'emplacement qu'elle occupait. On y trouve en grande quantité des débris de poteries et de tuiles sarrasines, fréquemment aussi, on rencontre dans le sol des monnaies romaines (1), des fragments d'épées, des balances, etc. Il y avait non loin de là, aux quartiers de Pic-Bouïn, de Seigne, des Blaches, de la Combe des Gandis, des terres d'une étendue considérable dont beaucoup étaient encore cultivées au siècle dernier.

Les Romains n'ont marqué leur passage dans la plaine de Lardiers que par l'établissement d'un conduit en maçonnerie dans lequel passaient les eaux de la Ganasse pour aboutir au hameau des Ganas et à la villa située au quartier où s'élève la chapelle de Notre-Dame, dans le territoire d'Ongles.

La fondation du village de Lardiers peut être vaguement fixée au Xe ou au XIe siècle, à l'époque où les populations n'eurent plus à redouter les attaques des barbares et trouvèrent quelque sécurité dans la plaine.

Lardiers existait déjà en 1045, ainsi que le constate une charte du Cartulaire de Saint-Victor (n° 657) sur laquelle figure comme témoin Airulfi de Lardario . Un autre document, daté de l'année 1215, fait mention du Commandator de Lardery et Saumana . A cette dernière date, la terre de Lardiers appartenait donc déjà aux chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem ou chevaliers de Malte ; ils en furent dépouillés bientôt après par la famille de Simiane, issue des d'Agoult.

Le village primitif se composait d'un petit nombre de maisons groupées sur un banc de rochers, au quartier de l'hiera vieilha (aire vieille), non loin de la fontaine. Plus au sud, et à une distance d'environ cent mètres, les Lazaristes firent construire un hospice avec chapelle pour y soigner les lépreux ou ladres, qui étaient très nombreux vers le milieu du Moyen Age. Le presbytère et un autre bâtiment renfermant le four, la forge, la mairie et la maison d'école durent être édifiés bientôt après par les seigneurs de Simiane ou plutôt par les chevaliers de Malte. Tous les murs de ces constructions possèdent un revêtement extérieur en pierres équarries, ce qui leur assure une grande solidité.

A la suite d'une sentence arbitrale rendue en 1266, la veille des calendes de février, par les seigneurs de Villamuris, Santa-Tulia, Vacheriis, Dalphino, Launcello et Nivezellis, Raybaud de Simiane dut restituer aux chevaliers de Malte le château de Lardiers, castrum et villam de Larderii , avec tous les droits seigneuriaux qui y étaient attachés, et leur payer en outre douze livres de Tours (2).

La terre de Lardiers fut possédée sans interruption par les chevaliers de Malte depuis l'année 1266 jusqu'à l'époque de la Révolution, en 1790. Elle relevait primitivement de la commanderie des Omergues que le grand maître de Lastic supprima le 17 février 1442 pour la réunir à celle d'Avignon.

La population de Lardiers, tout comme celle des villages voisins, devait être assez nombreuse sous les règnes de Charles II et de Robert (de 1285 à 1343). Mais elle fut cruellement décimée par la terrible peste noire de 1348. Ce fléau fit encore beaucoup de victimes en 1361, en 1374 et en 1391. Enfin, les bandits commandés par Raymond de Turenne massacrèrent ou dispersèrent en 1391 et 1392 les malheureux habitants qui avaient échappé à la mort.

En 1400, 1442 et 1471, Lardiers était au nombre des châteaux inhabités de la viguerie, castro inhabitate de vicarie .

Un document de l'année 1494 porte qu'à cette date « Nicolas de la Croix, prêtre, rentier (fermier) de la commanderie, donna à nouveau bail à la communauté de Lardiers le four banal du dit lieu, sous la cense d'un sol. Le dit acte reçu par Fr. Clément, notaire à Manosque ».

Les Etats de Provence jugèrent utile, en 1540, de faire dresser par des commissaires spéciaux un affouagement supplémentaire pour les bourgs inhabités en 1471. Voici le procès-verbal relatif à la commune de Lardiers ; il va nous permettre de connaître une situation restée obscure jusqu'à cette époque de notre histoire.

« Le vingtroisiesme jour du mois de juing année mille cinq cent quarante (1540) étant en la ville de Forcalquier, pour plus promptement procéder à nos dites commissions, avons envoyé appeler, un nommé Pierre Vial, syndic du dict Lardiers, âgé de quarante ans et Sébastien Vial du dict lieu. Lesquels après avoir pris leurs serments par eux prestés à la manière accoutumée, les avons interrogés sur la quantité de maisons du dict lieu de Lardiers et des habitants d'iceluy. Que ont dict que au dict lieu, il y a huit maisons unies ensemble et autant d'habitants. Et disent que sont en telle subgetion que les possessions qu'ils appellent tasquières en font au seigneur le 8 et celles qu'ils appellent franches le 13. Vrai est que la dîme y est comptée pour ce que le terroir est peu valable ; ne paient point fournage, car le four est des dits hommes ; n'y a point de moulin et n'ont que deux vignes desquelles ils font au seigneur le 13. Et disent que entre tous une année comportant l'autre, recueillent deux cents charges de blé. Disent aussi que des particuliers d'Ongles et de Saumane qui sont au nombre de 6, viennent et labourent au dict terroir de Lardiers ; vray est que le seigneur les lui oste s'il lui plaît et les baille à qui il veut et que l'herbage est du seigneur lequel peut les vendre, ensemble l'herbage des possessions de ces hommes osté qu'il en soit le foin.

« Et confronte le terroir du dict Lardiers avec celui de l'Hospitalet, d'Ongles, de Banon, de Saumane et de la montagne nommée Malcol (3) . »

Ainsi, après six cents ans d'existence, Lardiers ne comptait encore que huit familles ou environ quarante habitants.

Un parchemin ayant appartenu à la commanderie d'Avignon portait ce qui suit dans sa partie analytique :

« L'an 1554 et le 23 novembre, le commandeur donne à nouveau bail, à Jacques Turin, la place pour bâtir un moulin à eau, situé dans une terre d'Antoine Vial, au terroir du dict Lardiers, quartier de la Riaille, confrontant du couchant la dicte Riaille et du levant le chemin allant de Lardiers à Saint-Geniez, avec la faculté de prendre de l'eau à la Grande Fontaine pour la conduire au dict moulin, sous la cense d'une charge blé anoune, plus un coing de terre, proche la dicte Riaille, contenant deux charges de semence, sous la cense d'une géline (4). »

Ce contrat reçut sa complète exécution. Bientôt après aussi, de nombreuses maisons vinrent se grouper autour du moulin et formèrent un hameau qui occupait une position pittoresque et agréable sur les bords d'un ruisseau.

Ce moulin resta la propriété de la famille Turin pendant environ 220 ans. Il fut ensuite acquis par Pierre Vial, menuisier, qui, dans un acte de reconnaissance du 1er juin 1785, déclare le posséder au même titre que ses prédécesseurs (5). Actuellement, il n'existe plus et quelques-unes des maisons voisines, depuis longtemps abandonnées, tombent en ruines.

L'exercice du droit de pâturage et de bûcherage, dont jouissaient les habitants de Lardiers, donna lieu à de nombreux abus que les chevaliers de Malte s'efforcèrent de réprimer, soit en imposant la transaction du 30 juin 1539, soit en ordonnant des poursuites judiciaires contre les délinquants.

Pendant les guerres de religion et sous le règne de Henri IV, la population de Lardiers s'accrut dans des proportions considérables. De nombreuses maisons furent construites et l'église, qui ne se composait que d'une simple nef, reçut les deux grandes chapelles latérales voisines du chœur (1606). D'un autre côté, l'hôpital des ladres, fermé depuis longtemps, fut agrandi, transformé, et devint le château seigneurial. Tous les murs qui datent de cette époque sont construits avec des pierres irrégulières, tandis que les autres, plus anciens, possèdent un revêtement extérieur de pierres équarries au marteau.

Lardiers ne comptait que 8 familles en 1540 ; il en avait 60 en 1610 et 100 en 1679, soit, à cette dernière date, environ 500 habitants. Près de la moitié portait le nom de Vial (6).

« Lardiers, dit M. Darluc, est un petit village au nord-ouest de Forcalquier. Il contient une soixantaine d'habitants (familles) qui exercent de père en fils, depuis un temps immémorial, la profession lucrative de marchands droguistes. La plupart d'entre eux vont vendre leurs drogues dans les diverses provinces du royaume (7). »

Les droguistes de Lardiers vendaient également de grandes quantités de plantes aromatiques et médicinales qui étaient très abondantes dans la montagne de Lure. A la fin du XVIIe siècle, les trois quarts de la population, qui était d'environ 480 habitants, vivaient sans doute du produit de l'herboristerie et de la droguerie puisque le territoire de cette commune ne fut estimé, en 1698, que 33.000 livres (8).

Beaucoup de marchands droguistes s'expatrièrent et fixèrent leur résidence dans différentes villes de la France ; l'un d'eux, M. Bonfils, devint possesseur d'une grande fortune et acheta, vers l'année 1816, le magnifique château de Chaîna, près de Clermont-Ferrand, où il fixa sa résidence.

L'acte de reconnaissance du 10 mai 1689, dressé pour la confection du livre terrier, contient les indications suivantes :

1.

Le lieu de Lardiers est un simple fief appartenant à la religion de Malte.

2.

Le roi n'a aucune directe, maison, château ni autres domaines au dit lieu, le tout appartient à la dite religion de Malte.

3.

Le village n'a jamais été fermé de murailles, par conséquent, il n'y a aucune régale appartenant au roi.

4.

Les consuls n'ont d'autre juridiction que l'administration des affaires de la communauté.

5.

Les habitants ont la faculté de pâturage, glandage et ramage pour leurs bestiaux, arans, lanuds et porcheirus dans les bois de Seigne, Nartaud, Gleiroux et les Aubarines.

6.

La communauté possède un bâtiment dans lequel se trouvent un four, une forge et la maison de ville. Le four n'est pas banal.

7.

Les habitants sont libres de faire moudre leur blé où bon leur semble.

8.

On ne perçoit au dit lieu ni droit de péage ni de pesage.

9.

Les habitants acquittent la tasque au huitain sur toute espèce de grains mais ne paient ni capage ni fouage.

10.

Les chevaliers de Malte possèdent au dit Lardiers des biens nobles d'une certaine étendue (9).

Dans un acte du 10 décembre 1782 reçu par J.-B. Vial, notaire, les consuls et députés de la communauté de Lardiers reconnaissent messire Henri de Vento, chevalier de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, comme seul seigneur spirituel et temporel du dit lieu et déclarent qu'il possède « toute la juridiction haute, moyenne et basse ; la majeure directe sur tous les biens ; le droit de lods à deux sols par florin ; le droit de retenir par prélation ; la huitième partie de tous grains et graines payables à l'aire ; la huitième partie du chamure (chanvre) ; la huitième partie des raisins portables dans le château ; des censes et devoirs seigneuriaux en chapons, galines, poules et cochons ; des censes en argent sur différentes propriétés ».

Quoique la tasque se confondit ici avec la dîme, Lardiers était au nombre des communes de la viguerie qui avaient à supporter les impôts les plus élevés.

La population de Lardiers atteignit son maximum vers l'année 1680. Elle était alors d'environ 500 habitants. Depuis, par suite sans doute de l'émigration, elle diminua constamment pendant un siècle environ et resta ensuite stationnaire jusqu'en 1806. Lardiers possédait, en 1765, 321 habitants ; ses maisons étaient au nombre de 84.

Les chevaliers de Malte possédaient à Lardiers, au siècle dernier, 20 propriétés particulières ayant une étendue totale de 210.400 cannes complantées de 1.414 amandiers et de 215 mûriers. Elles étaient affermées en 1773 à Laurent-André Vial, de Banon, au prix annuel de 2.550 livres. Quelques autres propriétés situées à l'Hospitalet et à Saint-Saturnin faisaient également partie de cette location.

Pendant la Révolution, tous les biens des chevaliers de Malte furent confisqués et vendus au profit de la nation. M. de Blieux acheta aux enchères, le 14 juillet 1793, au prix de 18.600 livres, le château de Lardiers avec les terres voisines, c'est-à-dire la Ferrage, l'Esparceou, le Pré de la Vignasse et la Grand Terre. Ayant eu la témérité de fixer sa résidence à Lardiers, il fut un jour cerné dans son château par une bande de révolutionnaires et ne parvint que bien difficilement à se sauver. Quelque temps après, alors qu'il était en Amérique, il vendit le château de Lardiers avec toutes ses dépendances à M. François Laugier, qui le transmit à ses enfants.

Ce fut encore pendant la Révolution que les habitants de Lardiers démolirent la tour dite de l'Exposition, qui était contiguë à la place publique et au Grand Jardin ; elle possédait un carcan en fer. Les officiers nommés par le commandeur pour exercer la justice étaient en 1776 : Joseph Mézard, de la ville d'Apt, avocat et juge ; Jean-Baptiste Vial, lieutenant de juge ; Jean-Baptiste Rouchon, procureur fiscal ; Joseph Alexis Vial, greffier, et François Jullien, huissier sergent ordinaire. Ces officiers pouvaient prononcer jusqu'à la peine de mort.

(1) Nous possédons de nombreuses pièces de monnaies romaines trouvées au Castellard.

(2) Archives des Bouches-du-Rhône, Ordre de Malte, com. d'Avignon, arm. 3, carton 25, n° 262 à 272.

(3) Archives des Bouches-du-Rhône, série B. 201.

(4) Acte reçu par Pierre Garcin, notaire.

(5) Archives des Bouches-du-Rhône, Ordre de Malte, com. d'Avignon, Lardiers.

(6) Archives des Bouches-du-Rhône, Ordre de Malte, com. d'Avignon, Reconnaissance .

(7) Histoire naturelle de Provence , par Darluc. – M. Verdet, d'Ongles, était son correspondant.

(8) Les familles Vial, Bonfils, Roux, Rouchon, Pourpe et Rey fournirent de nombreux marchands droguistes.

(9) Archives des Bouches-du-Rhône, série B. 956. – Aymard, notaire à Forcalquier.

MALCOR

Toute la partie nord du territoire de Lardiers, depuis le quartier de Plaine Laugière jusqu'à la crête de la montagne de Lure, formait autrefois le fief de Malcor, du latin Malum collum, signifiant mauvais col, mauvais passage. Il avait une surface totale de 1.403 hectares 57 centiares.

Au milieu du XIIe siècle, la terre de Malcor, tout comme celles de Saint-Vincent, Genciac et Châteauneuf-Miravail, avait trois coseigneurs, savoir : les comtes de Forcalquier, la branche aînée de Mévollon et une branche cadette de la même famille.

Le roi René inféoda à Jean Curety, en 1472, tout ce qu'il possédait à Malcor et à Saint-Vincent. En 1608, Pierre de Fauris Saint-Clément acquit les droits de la famille Curety.

Les Mévollon tenaient vraisemblablement leurs droits sur la vallée de Saint-Vincent d'une alliance avec les comtes de Provence. Bertrand de Baux, qui épousa la petite-fille d'Adélaïs de Mévollon, vendit le 16 mars 1299 ou 1300 la moitié de Saint-Vincent, Genciac, Malcor et Aigremont à l'abbé de Cruis.

Pierre de Mévollon, frère cadet de Raymond de Mévollon, portait en 1167 le titre de seigneur de Saint-Vincent. Des alliances firent passer ses droits aux d'Aiguillon et aux de Cuppis qui les vendirent à la famille de Fauris au commencement du XVIIe siècle.

Malcor resta indivis entre ses coseigneurs jusqu'en 1647. Dans le partage qui eut lieu à cette date par les soins du sieur Antoine Bonnefoy, notaire à l'Hospitalet, M. de Fauris obtint les deux tiers de Malcor moins un septième qui fut donné à la dame d'Audifret de Châteauneuf, mère de Scipion d'Arnaud. Le troisième tiers forma quatre portions, ou douzièmes, attribuées : à la dame de Châteauneuf ; à Jean Magnan, avocat ; à Guillaume Bermond, de Limans, et enfin à Jean Bermond, du même lieu.

On trouve au quartier de Saint-Barthélemy quelques vestiges d'anciennes habitations ainsi que les ruines d'un petit monastère appelé quelquefois le Temple.

Au XVIe et au XVIIe siècles, les habitants des communes voisines défrichèrent à Malcor des surfaces considérables ; cette seigneurie eut alors son conseil municipal pris parmi les habitants de Lardiers ; elle fut définitivement annexée au territoire de Lardiers en 1791.

Les terres de Malcor, d'une nature ingrate, d'une exploitation difficile, et constamment détériorées par les eaux pluviales, ont cessé d'être cultivées depuis bientôt un demi-siècle.

Texte numéerisé par J.P. Audibert

sommaire