Manosque des Payans :
Une ville est toujours remplie de jardins secrets. Il suffit d'un regard attentif pour se les approprier, tisser des liens et des rapports avec sa vie et ses souvenirs, relier le présent au passé. On crée alors des amitiés complexes avec le lieu aimé : son changement ou sa permanence suffit à remuer nos sentiments et à susciter nos émotions. Cette attention aux détails qui nous entourent évoque la pensée d'Albert Camus : « Ce sont des amours secrètes, celles qu'on partage avec une ville ».
Il est d'emblée facile de partager avec Manosque. On aime se perdre dans ses rues méditerranéennes. Ce sont celles du Sud : hautes et étroites, elle protègent du soleil, permettent la vie au dehors et leur entrelacs isole du monde.
Mais les maisons qui montent jusqu'à des toits enchevêtrés font apparaître un détail bien curieux : elles sont souvent surmontées d'une galerie ouverte qui attire l'interrogation.
---Sur cette carte postale ancienne représentant la place de la mairie, on voit bien au dernier étage des immeubles ces greniers que l'on évoque.
En fait, il s'agit simplement d'un grenier destiné à sécher la lessive, à placer une cage à poules ou à conserver des aliments. C'est que Manosque était une ville de paysans ou plutôt de « payans » pour garder le nom de ce si beau quartier. C'est sur les toits qu'Angelo Pardi, le hussard, va se réfugier pour échapper à la colère des Manosquins. Bien sûr, il va côtoyer ces galeries. « C'était ce qu'on appelle une galerie, c'est-à-dire une sorte de terrasse couverte sur le toit ». (Le Hussard sur le Toit, Jean Giono). Affamé, c'est dans une de ces galeries qu'il volera des œufs…
Au niveau de la galerie ou bien dans l'encadrement d'une fenêtre, protégé par une architecture de tuiles apparaissent souvent une potence et une poulie. Cet assemblage de bois ou de fer jouait le rôle d'instrument agricole destiné à élever ou à descendre les charges, notamment le fourrage destiné aux animaux (mulet ou cheval) dont l'écurie était au rez de chaussée. Les portes qui s'ouvrent sur la rue sont alors larges et pratiques : ce sont des portes charretières. Les maisons ont véritablement une allure de ferme. On est encore en plein dans le Manosque de Giono : une ville agricole, celle d'un paradis pastoral disparu.
Aujourd'hui, dans les rues les plus isolées ces potences sont devenues le perchoir privilégié des pigeons.
---Dessin de Yolande Sausse.
Si son utilité est dépassé, la poésie est là : elle naît d'un quotidien oublié qui évoque un monde rural à l'intérieur des portes de la cité moyenâgeuse, du plaisir de lire une société autre, de sa douce utilisation par des pigeons porteurs de regards aériens.
Robert Sausse