MICHEL SERRE : Un peintre espagnol en Provence

1-Un baroque provençal
L'art baroque poursuit un but : atteindre le spectateur. Pour cela, il va mettre en avant le spectacle et l'artifice.
Toutes les disciplines vont participer à cette mise en scène, créant ainsi une conception globaliste qui rend le spectateur lui même actif au travers du mouvement, de la décoration ou de l'effet dramatique.
C'est Rome qui est le centre de cette vie artistique, et Le Bernin le personnage clé du siècle baroque.
Pour autant, le mouvement va intéresser presque toute l'Europe et l'Amérique latine, dépassant le classicisme austère alors en vigueur.
En Provence, c'est le marseillais Pierre Puget qui va devenir, après son séjour à Gênes, l'un des maîtres du baroque européen.
Selon Germain Bazin  " il y a chez les provençaux un instinct propre qui motive les libertés d'une technique au service de l'imaginaire : l'instinct baroque ".
Ici, les sources se situent vers Avignon, ville papale, et Marseille, port maritime vers l'Italie.
Mais en Haute Provence, on conserve les traces d'un peintre baroque ibérique, né à Tarragone en 1658 : Michel Serre.

2-Un peintre venu d'Espagne

Dés l'âge de dix ans, Michel Serre va être en contact avec le milieu artistique!
En effet, il s'enfuit de chez lui, se retrouvant en pleine montagne, à la chartreuse de Scala Dei.
Un moine-peintre, Joaquim Juncasa, lui apprend le dessin et l'emmène dans les grandes villes italiennes pendant cinq ans.
Sans doute, cette formation orientera sa peinture vers le domaine religieux.
Mais le fait déterminant de sa vie va être, en 1675, son installation à Marseille, ville accueillante pour les étrangers. Elle est alors en expansion et en croissance économique et Michel Serre apparait en quelque sorte comme l'artiste attendu du courant baroque. Son quartier est celui de St Ferréol et les commandes vont se multiplier. Sa rapidité d'exécution lui permettra une intense activité picturale : tableaux d'église, bannières de confréries, portraits, décors d'opéra, etc.....
Il va aussi être nommé peintre des galères, dans un rôle de peintre et d’enseignant. Notons que c'est une activité prodigue en figure ornementale en tout genre et en plein dans la veine baroque.
Il va aussi être témoin des heures dramatiques de la peste de 1720, apportant un témoignage pictural en prise directe avec l'événement où il multiplie les détails réalistes au travers de trois grandes toiles qui le rendent célèbre.
Mais cet événement touche aussi l'homme qui devient commissaire général de son quartier ; combattant l'épidémie et allant jusqu'à distribuer sa fortune acquise en quarante ans. Malgré cela, il redevint riche et s'éteignit en 1733.
La Provence conserve de nombreuses toiles de Michel Serre (environ une centaine), notamment à Marseille.
Pourtant, on peut trouver en Haute Provence deux toiles de notre artiste. si elles sont baroques dans leur conception, elles le sont aussi dans leur historique bas-alpin.

3-Tableaux adoptés par les Basses-Alpes

a-A Manosque : La Vierge à l'Enfant montrant son cœur, St Roch et St Joseph

Les tableaux religieux de Michel Serre abordent de multiples domaines : scènes bibliques, scènes de la vie de la Vierge et du Christ, ordres religieux, mais aussi saints et saintes.
C'est à cette catégorie que se rattache le tableau présent à Notre-Dame-de-Romigier, intitulé  " La Vierge à l'Enfant montrant son cœur, St Roch et St Joseph ".

---Michel Serre " La Vierge à l'Enfant montrant son coeur" Notre Dame de Romigier, Manosque
En effet, des saints intercesseurs entourent la Vierge et l'Enfant Jésus, qui, placé au centre du tableau, montre son cœur qu'il tient des deux mains.
Il s'agit de St Michel, protecteur du peintre ; de St Joseph et surtout de St Roch qui est le saint le plus invoqué contre la peste !
C'est que ce tableau a été offert par Michel Serre après la peste de 1720 qui a tant marqué son œuvre et sa vie. Bien visible, la présence de ses armoiries et l'inscription latine "Michael Serre voit et pinxit " indiquent bien qu'il s'agit d'un don du peintre qui exprime son remerciement pour avoir, lui et sa famille, échappé au fléau.
Notons que l'on retrouve les mêmes saints personnages dans un autre tableau de Michel Serre, accroché à l'église de la Madeleine, à Aix en Provence, et qui indique en toutes lettres dans un cartouche qu'il s'agit d'un ex-voto ( collectif ) d'actions de grâces ; donc un remerciement adressé au ciel qui a assuré une protection pendant la peste.
Les vicissitudes de l'histoire ont amené ce grand tableau ( 3m x2 ) de la Vierge à l'Enfant à Manosque, mais il semble avoir été peint pour l'église St Ferréol de Marseille (qui conserve actuellement trois tableaux de notre artiste ).En effet, une description pour le "Voyage pittoresque ", en 1779, relate : "Le tableau de la chapelle de l'adoration représente la Vierge ayant l'Enfant Jésus debout auprès d'elle qui s'ouvre la poitrine pour montrer son cœur et St Roch qui parait dans le bas...".
Mais en quoi ce tableau traduit-il un instinct baroque du XVII ème siècle ?
-----Le tableau de Michel Serre est très fourni de personnages, d'anges, de nuages etc...et on a du mal à repérer son organisation du premier coup d'œil.
Cette exubérance, cet excès de détails, voire cette surcharge est un élément du baroque.
-----Les contrastes d'ombre et de lumière créent des effets de clair-obscur, posant l'œil sur certains détails et créant ainsi un mouvement éloigné de la statique classique. L'éclairage n'est plus uniforme.
-----L'utilisation de couleurs chaudes (rouge, ocre) renforce une émotivité théâtrale, malgré des tons un peu imprécis.
-----Le moment choisi est précis et spectaculaire ; là où l'action se produit. Ici, l’Enfant-Jésus montre son cœur c.a.d le centre intime et essentiel de sa personne qui caractérise l'amour, principe de salut pour l'humanité.
Mais, un autre aspect du baroque apparait dans le choix et le traitement pictural des personnages ; ce qui semble encore plus évident dans le tableau de l'église des Mées.

b-Aux Mées : La Vierge à l'enfant maîtrisant le démon

Le tableau présente un sujet classique : la Vierge tient l'Enfant-Jésus bénissant et chasse le mal personnifié par le diable.
Mais voilà, les choix picturaux (physique, mouvement, environnement etc..) lui donnent un aspect singulier, inattendu, et pour tout dire...baroque !

----Michel Serre "La Vierge à l'Enfant maitrisant le démon".
En effet, la Vierge n'a pas le visage calme du recueillement : elle est toute à son action et à son mouvement de domination.
Sa jeunesse apparait dans son abondante chevelure qui descend jusque dans le cou. Bien plus, une couronne posée sur la tête  semble à la fois de travers et emportée par le mouvement.
La robe drapée par de multiples plis et une draperie flottante autour de le Vierge renforce cette impression.
L'Enfant-Jésus, bien que bénissant, semble d'abord offrir son humanité de gamin : yeux rieurs, joues roses, cheveux frisés, ventre rebondi...
En définitive, nous sommes en pleine familiarité de la vie quotidienne par l'observation réaliste de l'être humain, à la fois physique et émotionnel. Ce quotidien, ce réalisme, c'est bien ce que Le Caravage -maître du baroque- avait initié dans ses tableaux.....
Mais ce réalisme reste au contact du sacré. Au bas du tableau, un enfant attrape le genoux de la vierge. Marie-Claude Homet, qui a attribué cette toile à M.Serre (au lieu de Van Loo) et écrit avec passion une biographie du peintre, souligne qu'il ne s'agit pas de St jean Baptiste enfant mais d'une symbolique de l'âme humaine (référence à l'apocalypse).
Cette peinture de notre artiste dénote de sa production habituelle : son baroquisme est suave, léger, séduisant et échappe par là aux conventions.
Autre élément baroque circonstanciel (et non artistique) est la figure du démon, main levée et démesurément crochue. En fait, le tableau de M. Serre, daté de 1710  avait été acheté par l'abbé Sarmet, originaire des Mées, pour embellir la paroisse bas-alpine. Il figurait alors un dragon dominé par la Vierge, sans doute dans le style de Ste Marguerite et le dragon que l'on peut admirer à l'église ST Ferréol  à Marseille.

----Michel Serre "Sainte Marguerite et le Dragon" St Ferréol de Marseille
Mais le curé de l'époque n'aima pas ce dragon et fit peindre à sa place un olivier, en résonance avec l'appellation de l'église : Notre Dame de l'Olivier !
Nouvelle vague artistique par le curé Esmieu en 1848 qui fait enlever l'olivier pour un repeint du démon.
Aucun doute : il est affreux et vilain dans tous les sens du terme.

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Au travers de grands thèmes de la peinture religieuse, Michel Serre a su prendre la direction de la peinture de son époque et introduire le spectacle dans sa vision picturale.
Au travers de deux toiles, la Haute Provence profite de cette création généreuse et de l'esprit baroque provençal.

Robert Sausse di Vénézia          

Biblio : Marie Claude Homet, Michel Serre, Edisud, 1987
Note : Clichés de J.B Aubert " dignois.fr"(photos 1,2)

 

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