Monticelli (1824-1886) : une enfance bas-alpine :
Le plateau de Ganagobie, à 600 mètres d'altitude, est un véritable belvédère naturel sur la Haute Provence. D'un coté les collines de Manosque de l'autre la longue échine de la montagne de Lure, vers le Nord, les pointes neigeuses des Alpes et en contre bas la Durance qui serpente dans sa vallée.
C'est ici, au milieu de cette nature méditerranéenne, dans une solitude grandiose que Monticelli dont les intensités chromatiques inspireront Van Gogh, vécut une enfance bas-alpine.
Les premiers pas :
Adolphe Monticelli est né le 14 octobre1824 à Marseille, à deux pas de la Canebière. Il fut déclaré à la mairie comme étant né de parents inconnus. C'est qu'il est un enfant naturel, né de l'amour, hors mariage. Pour des raisons de convention sociale et sauvegarder une pension donnée par son père qui aurait vu d'un mauvais œil son fils épouser une simple couturière, Thomas Monticelli mit secrètement son fils en nourrice à Ganagobie.
La ferme de Ganagobie :
Le choix se porte sur la famille DERRIVES, fermiers sur le plateau. C'est dans la ferme attenante au prieuré qu'Adolphe fut élevé ; la famille d'accueil trouvait ainsi un revenu supplémentaire aux activités agricoles. Il y resta onze ans. Il gardera toute sa vie un attachement profond pour sa mère nourricière et l'amour des Basses-Alpes.
C'est Louis Guinand, son cousin, qui écrira en 1891 : « On ne lui apprit rien, on lui enseigna rien que quelques notions religieuses. Il grandit solitaire et sauvage en pleine nature, courant tête nue au soleil l'été, en sabots l'hiver. Il y gagnera un développement physique superbe et une santé robuste ».
La ferme de Montlaux :
N'allant pas à l'école et partageant la vie paysanne du plateau, il fit la connaissance à dix kilomètres de Ganagobie de la famille Roche, les propriétaires de la ferme des Colomblancs à Montlaux. N'ayant pas d'enfants, Justin et Marie prirent Adolphe en affection. Toute sa vie, il leur resta fidèle, retrouvant régulièrement ses racines sentimentales. Pierre Ripert, un des excellents biographes de Monticelli, s'était rendu aux Colomblancs pour recueillir témoignages et souvenirs de ces visites bas-alpine. Ainsi, il nous rapporte que le peintre passa le Noël 1870 avec sa mère à Monlaux alors couvert de neige ; heureux, il déploya un appétit formidable et fumait sa pipe dans le froid protégé par la cape de berger de Justin Roche. En 1849, il passa aussi plusieurs semaines dans sa famille adoptive pour fuir l'épidémie de choléra de Marseille.
Les autres séjours bas-alpins :
Monticelli était un formidable marcheur, à tel point qu'en 1870, il alla de Paris à Marseille à pieds. Il en fut de même pour ses pèlerinages dans le département.
Selon le dictionnaire, les marcheurs, promeneurs, voyageurs sont tous des pèlerins. La quête du pèlerin est de marcher pour atteindre : quête du souvenir et de ses attaches affectives et quête de son avenir de peintre ? Adolphe Monticelli s'est rendu à Digne en 1876 voir son ami l'aquarelliste Paul Martin et il a peint la grande fontaine. C'est le fils, Etienne Martin, qui raconte ce souvenir dans son « Impromptu sur Monticelli » en 1922 : « Avec sa permission, je restais auprès de lui et quoique fort jeune, je fus très impressionné par sa facture à larges touches, par ses applications de couleur pure et par ses lumineuses simplifications. Ah ! Que je voudrais revoir ce grand panneau !...Grâce à ses empattements croustillants, à sa rudesse de matière, il a dû prendre cette belle patine qu'acquièrent avec les années toutes les œuvres de Monticelli « Je peints pour dans trente ans », ne cessait-il de dire. On peut se rendre compte aujourd'hui de la justesse de cette boutade. »
Grand marcheur et célibataire, Monticelli avait ses itinéraires et ses habitudes auprès de ces amis. Dans ces escapades, il a aussi fréquenté Manosque, Forcalquier, Saint Etienne les Orgues, Cruis, etc…
Repères picturaux :
Nous pouvons toujours voir in situ deux tableaux de l'artiste :
- Une vierge à l'enfant, montée sur un châssis de bois, dans le prieuré des Bénédictins.
A propos de cette peinture, Michèle Ducheny, spécialiste des relations entre Giono et les peintres, a retrouvé
une interview de J.Giono datant du 25 Mai 1959, lors de l'émission de télévision de Max-Pol Fouchet : Plaisir des Arts.
A la question : " Y a t il un peintre de la région dans le passé? " ; Giono répond : "Oui, il y en a un, c'est Monticelli"
Il poursuit : " Monticelli a d'abord été mis en nourrice dans la petite ferme qui est à coté du monastère de Ganagobie. Et puis aprés, il y est
revenu, et il a peint pour l'église du monastère une Vierge à l'enfant.
C'est une peinture très remarquable, la Vierge est peinte à l'image des femmes qui habitent la montagne de Lure (des femmes un peu rudes)
et vaguement déséquilibrée. Et l'enfant, le Christ qu'elle porte dans ses bras, est très nettement un enfant nicocéphale, et très curieux."
Pour caractériser cette toile, Giono utilise des mots inhabituels dans le domaine de l'art, mais plein de densité littéraire et qui correspondent
au tempérament baroque de Monticelli.
- Un baptême du Christ dans l'église de Cruis. ( voir article sur « Cruis)
Pour le reste, il faut se référer aux expositions et aux reproductions de nombreux ouvrages. Quelques titres suffisent à évoquer les Basses-Alpes : portraits de M et Mme Roche, charrette de foin à Montlaux, paysage de Ganagobie, chien de Justin Roche, etc… C'est au hasard de ses périples que le peintre laissait d'un coté ou de l'autre un panneau, surtout un prétexte à des études de couleurs.
Nous voilà en face du génie de l'artiste, selon ses propres mots « les couleurs sont sur la palette mais le coloris est dans la cervelle ». Bien sur la beauté du site en lui-même n'est pas déterminante : un arbre chétif suffit pour donner naissance à un chef d'œuvre. Mais en quoi Monticelli a-t-il subi l'influence des Basses-Alpes ? La lumière sous le ciel le plus pur d'Europe y tombe comme nulle part ailleurs. Elle augmente la perception et caractérise les représentations détaillées et colorées. C'est bien la rencontre avec la matière qui sera déterminante. Cette rencontre, Monticelli l'a eu à un âge (l'enfance) où se forme tout ce qui guidera notre vie d'homme. Les rapports avec l'espace, la pierre, le bois ; toutes ces vraies richesses chantées datent de cette époque. Cette matière vécue, ressentie va sortir sur ces panneaux étourdissants, remplis d'empâtements et de coloris.
Laissons aux historiens d'art ces recherches multiples savantes et passionnantes. La passion est bien ce qui caractérise les admirateurs de Monticelli qui nous apparaît habité par la peinture et la couleur, éléments essentiels de sa vie. Mais la Haute Provence faisait sans doute partie de ses amours secrètes, celle qu'on partage avec un pays.
A ma sœur Yolande, dans le souvenir vivant de nos célébrations monticelliennes.
Robert Sausse |
Orientation bibliographique
- Louis Guinand : « La Vie et les Œuvres de Monticelli » Librairie marseillaise, 1891.
- Pierre Ripert : « Monticelli, pèlerinage bas-alpin » in revue Marseille, 1963.
- André Alauzen et Pierre Ripert : « Monticelli, sa vie, son œuvre » la Savoisienne , 1969.
- Francis Blaise : « La problématique bas-alpine à travers Monticelli et Cézanne » 2006.