FIDELE PATRITTI : Une vie de peinture

1-Le catéchisme des peintres montagnards

L’installation de la cour pontificale à Avignon, au 14ème siècle, va attirer des peintres d’’influence italienne qui vont œuvrer dans ce palais d'apparat.
Mais il existe aussi dans le comté de Nice, véritable couloir de circulations, des peintres-voyageurs qui feront des va-et-vient incessants entre les villages de Ligurie et de Provence. Parmi eux, un peintre d'exception, Ludovic Bréa, crée des chefs d’œuvre. Dans ses retables, il trace des figures de grâce rayonnant de toute une clarté intérieure.
Avant et après lui, d'autres peintres, plus solitaires ou méconnus, vont travailler dans les montagnes de l'arrière pays, traduisant la foi religieuse dans un style âpre, expressif et dur.
En fait, églises ou chapelles modestes apparaissent comme des catéchismes illustrés qui s'adressent directement à des fidèles (le plus souvent illettrées)
en mettant en scène l'histoire du Christ !
Mais il n'y a pas que les montagnes niçoises, il y a aussi les montagnes bas-alpines et ce sont des ressorts identiques (travail et gloire divine) qui vont faire cheminer au 19ème siècle des artistes sur notre terroir.
Parmi eux, un nom s'impose : celui de Fidele Patritti !

2-Les tribulations d'un peintre bas-alpin

a-L’émergence de l'artiste

Fidele Patritti s'inscrit dans un mouvement d'artistes italiens qui traversent les Alpes, trouvent un travail -ici la décoration d'églises- et finissent par s'installer dans notre terroir.
On sait que l'histoire migratoire des italiens couvrira plusieurs siècles.
Fidele Patritti est né en 1811, dans la région du lac Majeur, à santa Maria Maggiore.
Mais son père avait déjà traversé les Alpes et était peintre dans la région de Clermont-Ferrand ! Il revenait d'ailleurs en Italie, dans sa terre natale, à pieds.
Cette habitude de marche se retrouvera chez plusieurs peintres provençaux du 19ème siècle, notamment Monticelli qui après avoir acquis robustesse dans son éducation en nourrice à Ganagobie, traversera la France à pieds.
Nous rencontrons Fidele Patritti à Forcalquier, à l'âge de 22 ans. Il y exerce la profession de maître de dessin à l'école secondaire ecclésiastique (annuaire du département).
Il est encore recensé comme "peintre" au boulevard des cordeliers en 1846.
Sa qualité semble d'ailleurs déjà reconnu puisqu'il reçoit une commande de l'église de Banon, intitulée " Saint Eloi associé à d'autres saints évêques" ; puis un Saint Joseph pour Saint Maime.
Naturellement, Fidele Patritti puise son inspiration dans ses origines italiennes et ses maîtres reconnus (Cène de Léonard de Vinci à Reillanne ; Dépôt du christ de Carrache à Ste Tulle; etc...), mais il est également en prise directe avec notre terroir, recevant commande du maire du Revest-des-Brousses des vues des édifices communaux (ex : école des garçons, lavoir public.).
Deux nouvelles réalisations de talent vont consacrer sa renommée, notamment "Le miracle de l'enfant ressuscité par St Maxime», à Riez.
On sait que Maxime resta à la tête de son évêché pendant 27 ans. Aussi, ses évocations iconographiques sont conséquentes et la ferveur populaire qui entoure son souvenir assure en quelque sorte au peintre une belle publicité.
Mais une autre peinture aura un grand succès populaire : il s'agit du rosaire de Thorame-Haute, particulièrement admirée lors du pèlerinage de Notre-Dame-de-la-fleur.
Emporté par son succès, Fidele Patritti n'arrêtera plus de peindre et on peut dire que les églises des communes des basses-alpes renferment tout un patrimoine de tableaux dus aux pinceaux de notre peintre! La liste des toiles, établie par J.b Lacroix et Mireille Risse qui  couvre une cinquantaine de communes montre aisément l'abondance de sa production.

----Sainte Famille, Bras d'Asse
Mais, à cette vie professionnelle va s'imbriquer une autre vie : celle des sentiments humains.

b-L'enracinement bas-alpin

A Forcalquier, Fidele Patritti fréquente une famille originaire des Sanières, prés de Jausiers, en Ubaye. Il s'agit de la famille Plaisant : --Joseph, qui sera missionnaire en Birmanie et qui dans une lettre émouvante demandera un tableau pour sa " petite église en planches"
--François, étudiant au petit séminaire
--Eulalie, la sœur .C'est lorsqu'elle aura vingt ans qu'elle épousera Fidele, à Jausiers, en 1846.
Le  peintre va alors quitter Forcalquier et après un bref séjour de trois mois à Digne, il s'installera... à Jausiers, enracinant sa famille dans cette vallée d'exception.
Il recevra des commandes multiples et sera sollicité de toutes parts.
Comment faire face ?  Des commandes répétitives reprennent souvent le même thème. L'artiste peut alors réutiliser des traits réalisés auparavant pour composer de nouvelles toiles d'une manière plus rapide.
Son succès fera de lui un peintre trimardeur sillonnant le département et changeant plusieurs fois de résidence.
A Allos, il se consacrera pendant deux ans à la restauration picturale de l'église....
En 1859, Patritti va se fixer à Brignoles, dans le Var, ou il rejoint son frère Pierre-Marie, lui même peintre.
Mais pour autant, il ne tourne pas le dos aux Basses-alpes et les commandes continuent à affluer.
Citons, par exemple, un très beau Saint Georges pour le village de Saint Jurs ou des représentations de la Vierge pour Saint André les Alpes.

----Saint Georges, église de St Jurs.

D’une manière générale, les tableaux de Fidele Patritti sont construits avec soin ; les compositions étudiées ; les personnages religieux évocateurs de leur foi. Les coloris sont à la fois fins et diaprés, frais et fluides.
Il disparait en 1867.

c-Quête humaine et picturale

Michèle Ducheny écrit " Giono a toujours été en relation étroite avec les peintres; il établit des rapports entre ce qu'il écrit et la peinture"
Un mot adressé à Lucien Jacques est particulièrement évocateur pour définir son propre art littéraire : "Vous lirez mes images de plume...."
Tout semble dit.
C'est à la couleur surtout que Giono sera sensible et cette fascination va se retrouver dans une oeuvre entièrement consacré à un peintre : Le Déserteur.
Il retrace la vie légendaire d'un mystérieux peintre réfugié dans le Valais et qui vécut dans la misère et dans l'errance.
Cette errance, quelle soit miséreuse, mystérieuse, ou nécessaire n'est pas sans évoquer la vie en mouvement mené par Fidele Patritti et ses prédécesseurs les primitifs pour exercer une vie de peinture.
Nous sommes en présence d'une marche vers quelque chose, d'une recherche, d'une réalisation...En quelque sorte, voici la définition du pèlerinage.
Mais ce pèlerinage, cet exercice de l'art de peindre se façonne dans un coin choisi.
Chemin faisant, c'est bien chez nous, dans les Basses-alpes, que Patritti a choisi de planter sa vie et son chevalet.
Restons lui fidèle.

                                                           Robert Sausse di Vénézia

Biblio : --Fidele Patritti
J.B Lacroix, Mireille Risse
Annales de Hte Pce, N°311,1990
--Giono et les peintres
Site Web de Michèle Ducheny

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