PAUL MARTIN: aquarelliste

1-Des options précoces

Paul Martin s'est dirigé très tôt vers des options qui constitueront le cadre de sa vie.
Peu enclin aux études, il n'aura qu'une instruction sommaire et abandonnera définitivement le collège après la cinquième.
Il mènera alors une existence insouciante dans sa campagne environnante (Digne, Colmars et les basses-alpes) ; constituant ainsi déjà les sources de son inspiration artistique future.
Il dira lui-même " C'est là que j'ai passé le meilleur temps de ma vie".
Ce meilleur temps- celui des balades et du vagabondage- est aussi celui de l'attrait vers l'artistique. Il aime les cours de musique et joue volontiers du cornet à pistons.
Et son meilleur ami est son aîné Victor Camoin qui, malgré son bras gauche paralysé, possédera un talent précoce de dessinateur et de peintre, traduisant mœurs rurales et types dignois.
Il sera l'inspirateur de son ami et lui prodiguera les conseils de base et le goût de l'aquarelle.

2-Le goût de l'art

Paul Martin est né au plein centre de Digne, boulevard Gassendi, le 16 Septembre 1903.
Son père était originaire d'Estoublon, tenant un commerce de quincaillerie et de fruits secs, tout en étant représentant des messageries Poulin.
Mais Pierre Balthazar (il se fera appeler Paulin puis Paul par la suite) va trouver sa voie professionnelle ailleurs, mais pas non plus dans les emplois administratifs où son père s'efforça de le diriger.
En fait, c'est grâce à une autre qualité -celle du génie du négoce qu’il va trouver sa voie. Il va rejoindre son ami Victor Camoin à Marseille et deviendra pendant quatre ans employé de commerce dans la maison Loire (nouveautés).
L'évolution se fera en 1852 où il va se mettre à son compte en ouvrant à Marseille, aux n°48 et 62 de la rue St Ferréol, un magasin d'objets d'art. Cette année est également celle où il se marie et signe ses œuvres Paul Martin.
C'est dans cette boutique d'art qu'il sera un propagateur de talents ; l'endroit devenant un lieu de vente pour les peintres régionaux mais aussi pour les jeunes talents nationaux comme Delacroix, Corot, Théodore Rousseau etc...
Ce jeune marchand de 24 ans diffusera ainsi son éclectisme pictural et son goût pour l'art pendant douze ans, fermant sa galerie en 1864.
Mais il n'y a pas que l'activité marchande .Un autre désir taraude Paul Martin : celui de la création artistique.

3-Le tropisme des basses-alpes

Malgré des expériences de vie qui les éloignent parfois de leur terroir, les peintres provençaux reviennent d'une manière presque obsessionnelle devant leur paysage de prédilection : Ravaisou traque tous les coins de sa campagne aixoise ; Cézanne sa Ste Victoire ; Olive sa méditerranée....etc...
Eh bien, Paul Martin, lui aussi va renouer un contact habituel avec les basses-alpes et ceci en affirmant son nouveau métier, celui d'aquarelliste.
Après avoir laissé sa boutique, il va revenir chaque été à Digne où il achètera en 1873 la Maison St-Martin, maison de campagne qu'il transformera en quelque sorte en musée, la parant de tableaux et d'objets d’art. Il construit un peu les prémices du Musée de Digne dont la réalisation sera la grande préoccupation de ses dernières années.
Il conservera aussi un domicile à Marseille, au 14 rue Montaux, où il gardera la réputation d'un expert de qualité  .Notons surtout qu'aprés la mort de Victor Camoin qui l'initia à l'aquarelle, il deviendra l'élève d'Emile Loubon.
Même s'il réalisa quelques aquarelles de basse provence remarquons-sans chauvinisme-que la quasi totalité de son œuvre est d'inspiration Dignoise !
C'est ici, au contact de ses racines, que sa personnalité et son talent vont s’épanouir. Il va se constituer tout un inventaire de la nature bas-alpine qu'il décline au fil des jours, des années, des saisons, variant les angles de vue autant que les intérêts topographiques.
En définitive, ce pays retrouvé va lui permettre de déployer sa sensibilité et son art de l'aquarelle.

4-Paul Martin, peintre de la sécheresse ?

A la différence des autres peintres provençaux qui aiment les empâtements de couleur, Paul Martin va réaliser son œuvre au travers d'une seule technique : l'aquarelle.
Il crée ainsi tout un catalogue grâce à le légèreté et la transparence, technique qu'il faut totalement maîtriser pour traduire sans épaisseurs et sans retouches les visages de la nature.
Ses tons sont nets, purs, sans excès, loin de tout pittoresque. Il suit en quelque sorte le chemin tracé dés le 18ème siècle par J.A Constantin qui, par l'utilisation du lavis, abordait aussi ses thèmes favoris : arbres, rochers, rivières, solitudes.
Selon les spécialistes les plus belles aquarelles de Paul Martin furent exécutées de 1880 à 1895. Celle que nous présentons, datée 1892, le montre aisément !

....Aux Pras d'Asse, 1892 ( collection de l'auteur) .

De nombreuses aquarelles conservées par le Musée de Digne portent le titre de cours d'eau : Bords de la Durance, Bords de la Bléone, du Verdon etc....
Ici, l'aquarelle est situé sur les bords de l'Asse -"Aux Pras d' Asse"-.
Tout semble partir du centre et s'élever en triangle. Le ciel ainsi posé a une profondeur aérienne et dégage une lumière limpide qui permet d'éclairer tous les détails d'une manière harmonieuse et délicate.
En opposition et du même point de focalisation part un autre triangle qui représente le lit de la rivière (l'Asse).
Ce qui est alors montré -ou plutôt suggéré-...c'est une absence ...l'eau !
En effet, nous sommes en face d'un espace vide parsemé de galets secs et blancs ou l'eau s'est absentée.
Ce qui est le sujet de cette aquarelle c'est donc la sécheresse !
Cette impression est accentuée par la présence d'un minuscule personnage pourtant facilement reconnaissable : une lavandière accroupie, son panier posé à coté d'elle et qui a sans doute trouvé le dernier creux d'eau dans ce paysage désert.
L'apparition de ce personnage, habituellement représenté aux borts de l'eau nécessaire à la lessive renforce encore l'absence de l'élément liquide.
De chaque coté de l'aquarelle apparaissent ensuite les falaises de collines qui descendent vers le lit pierreux. Il s'agit bien là de nos collines provençales, sèches, arides, dépourvues de végétation. Elles caractérisent le terroir bas-alpin.
Ce n'est que vers le milieu de l'aquarelle qu'on a gardé un peu d'humidité faisant apparaitre une vie végétale. Quelques arbres élancés (peupliers) s'illuminent de jaune, traduisant peut-être le début de l'automne et la fin de la sécheresse.
Ainsi, avec concision, mais en représentant à la manière d'un miniaturiste les différents éléments : minéral, végétal, aérien Paul Martin arrive même, grâce à son art, à traduire une absence : celle de l'eau.
Certes, tout est représenté d'une manière précise, claire et distincte : les espèces d'arbres sont facilement reconnaissables et même les herbes sèches au milieu du lit caillouteux peuvent être individuellement distinguées.
Pourtant cette représentation rigoureuse traitée à la manière d'un miniaturiste aboutit à une vision poétique qui donne une vérité d'ensemble et atteint parfaitement le caractère profond du paysage.
J.R Soubiran l'exprime avec talent " Ainsi, oscille son regard de l'infime à l'infini, sans établir de hiérarchie entre les motifs ".
Mais tournons nous un instant vers Giono. En 1955, il écrit  " L'Asse, avant de venir se jeter dans la Durance, traverse des terres de misère et de mesure. Le long de ses eaux maigres, le monde devient petit sans rien perdre de ses possibilités de bonheur."
Le poète des mots rejoint le poète des couleurs.            

        Robert Sausse di Vénézia

 Biblio : J.R Soubiran, L'œuvre des Martin, in, L'Utopie d'une Provence éternelle Musée de Digne, 2005.

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