LA VALLEE DE REILLANNE

Premiers temps.

L'ancienne Vicomté de Reillanne pourrait avoir son histoire, histoire intéressante, et pour l'écrire il ne faudrait peut-être pas soulever beaucoup de poussière dans les archives de Provence.

Mais cette histoire ne se fera sans doute jamais aussi y a-t-il utilité à coordonner les notes et les actes amassés par un érudit, l'auteur des Dat es de Forcalquier, docu­ments qu'il communique obligeamment a ses amis. Cette étude ne sera que l'emploi fait par un manœuvre des maté­riaux qu'avait réunis un bon architecte, mais qu'il avait réunis à tout hasard et sans intention de bâtir. Cependant le manœuvre a travaillé seul à l'histoire des premiers temps ; on le comprendra à la fragilité de l'édifice. Il n'avait que quelques faits certains et quelques traditions proba­bles, ces faits et ces traditions ont été pour lui la base d'inductions téméraires, qui n'ont pu produire que des hypothèses historiques.

La région qui s'étend de Sisteron au village de Céreste paraît avoir appartenu à la grande tribu gauloise des Voconces, qui occupait ainsi tout le pays montagneux situé entre le Rhône et la Durance. Elle confinait au sud avec les Vulgientes d'Apt et avec les Saliens d'Aix, qui ont possédé la chaîne du Luberon.

Cette contrée était une immense forêt, dont nous n'avons plus que de pauvres restes. Elle était sans doute peu habitée. A peine retrouvons-nous quelques outils celtiques, quelques-unes de ces haches de pierre dure et polie que le peuple appelle pierres du tonnerre, parce qu'il les croit tombées du ciel avec la foudre. Les habitats, ces grottes, ces abris, où vécurent nos ancêtres gaulois, nous ne les ren­controns pas, de ces lieux fortifiés, de ces oppida, où, en temps de guerre, ils se réfugiaient derrière des murailles de pierres amoncelées, nous pouvons tout au plus en sup­poser un sur le plateau de Ganagobie. Il a été remarqué que ce nom étrange, qu'on disait autrefois Garagobie, rappelle celui de Gergovie, cet oppidum célèbre des Arvernes que César ne put forcer lors de la conquête des Gaules.

Une route traversait ce désert. D'après les uns, elle remonterait à une haute antiquité et serait due aux Phé­niciens, d'après les autres, elle aurait été faite par les Celtes eux-mêmes. Cette dernière hypothèse est plus pro­bable, car les Phéniciens eurent des comptoirs sur le littoral, mais ne dominèrent pas dans l'intérieur des terres. On dit qu'elle venait d'Espagne et se dirigeait sur l'Italie, franchissant les Alpes au mont Genèvre. Elle fut cela dans la suite mais, à l'origine, elle ne pouvait que relier les quelques localités habitées, Céreste, appelée alors Catuiaca, à Sisteron, qui existait probablement, mais n'était qu'un lieu peu important, un vicus des Voconces.

En 123 avant Jésus-Christ, les Romains asservirent les Saliens, et, bientôt après, les légions commandées par Domitius Aenobardus (1) attaquèrent la Haute Provence et les Allobroges du Dauphiné. On dit qu'une grande bataille fut livrée dans notre contrée, sur les bords du Largue et de la Laye , au lieu appelé encore aujourd'hui les Encontres. Le grand rocher de Villeneuve, qui domine la gorge du Largue, s'appelait autrefois : Rocca Amaritudinis, la Roche amère : peut-être est-ce un souvenir du désastre de nos ancêtres. On croit reconnaître encore une trace du passage de notre vainqueur, Aenobardus, dans le nom donné à une tour qui s'élève sur les bords du Calavon, près de Céreste, la Tour Embarbe.

Un monument plus certainement laissé par Domitius Aenobardus est la voie romaine qui traverse la contrée. Cette route existait avant lui mais il lui donna son tracé définitif, et de son nom l'appela la Voie Domitienne. Le long de cette route, s'établirent des stations : Alaunium, aujourd'hui Notre-Dame-des-Anges, et Céreste, des auberges furent bâties pour la commodité des voyageurs, et une ferme porte encore l'appellation de Tavernoules, qui vient évidemment de Tabernaculum.

D'après M. Pelloux, la voie, en quittant la vallée de la Durance , se bifurquait à Peipin ou à Châteauneuf-Val-Saint-Donat. A droite, elle se dirigeait vers Mallefougasse, Montlaux et Sigonce, d'où elle gagnait Mane. A gauche, elle passait par Alaunium, traversait la Laye et rejoignait le premier tronçon. Cette dernière voie est le chemin Seinet, autrefois Seinesc, dénomination que M. Pelloux traduit par chemin de Gauche, du roman Senec Dans les Dates de Forcalquier, il est dit que le tracé supérieur ne fut qu'une rectification faite au moyen âge pour des­servir la capitale du Comté, et le qualificatif de Seinet signifierait le Chemin Vieux ; il viendrait de Senicus. Le peuple en a fait le Chemin sanglant.

Les Romains étaient donc maîtres de la Provence. Là, comme ailleurs, ils avaient trouvé une aristocratie puis­sante, un peuple opprimé par l'usure, par les impôts, par la violence, n'ayant d'autre ressource que de se faire l'esclave des nobles ; au-dessus de tous, étaient les Druides, prêtres et magistrats, dispensés de porter les armes et ne payant pas d'impôts. (César., Bell. Gall, I . VI.)

Ils changèrent peu de chose à la constitution gauloise ; les Tribus devinrent des Cités ; elles eurent leur capitale, des bourgs appelés Pagi, des villages appelés Vici. Cela dura longtemps ainsi.

Dioclétien paraît avoir démembré la cité des Voconces, quand, en 297, il divisa la Province romaine et créa la Narbonnaise II. A cette occasion seulement, le vicus de Sisteron, qui avait acquis de l'importance, devint Cité. Nous le trouvons avec ce titre au siècle suivant, dans la Notice de Provinces. (Albanès, Gai. Ch. Nov.)

Quelques villes importantes étaient devenues colonies, c'est-à-dire qu'elles avaient reçu des colons italiens, soit civils, soit soldats. On leur avait donné une constitution qui est l'origine des libertés municipales. Le peuple nommait des Duumvirs armés de pouvoirs administra­tifs, judiciaires et militaires, il élisait un Sénat ou Curie parmi les hommes les plus riches. Quelques cités étaient Deditices, c'est-à-dire libres et alliées. Elles ne recevaient pas de constitution de la main du vainqueur et s'admi­nistraient à leur guise. (Fustel de Coulanges, la Gaule Romaine. )

Dans la contrée que nous étudions, il n'y avait pas de villes, la puissance romaine ne s'y affirma donc par aucune colonie mais les nouveaux maîtres prirent possession du sol, ils y fondèrent des établissements agricoles, des villas. Ces villas, à l'origine, n'étaient que des fermes impor­tantes mais bientôt, à côté de la demeure des esclaves qui les cultivaient, elles groupèrent les ateliers de toutes les professions. Par suite, des agglomérations considérables se formèrent, la ferme devint village.

Ces villas avaient été créées dans la situation la plus commode, en plaine, avec des abords faciles, dans les terres les plus fertiles et à proximité des eaux, au centre des bassins les mieux fermés et abrités du vent par les collines.

Ces caractères topographiques indiquent presque sûre­ment l'emplacement des exploitations agricoles des Ro­mains mais on a une certitude, si en ces lieux existe un édifice religieux antique. En effet, plus tard, quand le christianisme fut répandu dans les campagnes, des cha­pelles furent bâties pour les besoins du culte. Les paysans ne pouvaient se rendre à l'église métropolitaine trop éloignée, des prêtres desservirent les chapelles rurales, et des chorévèques parcoururent le pays pour l'adminis­tration des sacrements. Bientôt apparurent les Ordres religieux, aussitôt, beaucoup de ces sanctuaires leur furent confiés et en même temps, pour la subsistance des moines qui s'y fixèrent, des terres leur furent données. C'est l'origine des prieurés.

La plus importante des villas de la région était celle qui a formé le village de Reillanne. On pourrait peut-être dire qu'elle était la seule, que les autres fermes disséminées de Lure au Luberon n'étaient que ses dépendances.

Les premiers propriétaires de cet immense domaine semblent avoir été des affranchis de la famille des Pompées. En effet, c'est à Reillanne qu'a été trouvée la belle inscription de POMPEIA RVFINA, citée par les historiens, qui est aujourd'hui à Porchères, chez M. de Berluc-Perussis.

Les collines qui ferment le bassin de Reillanne sont maintenant couvertes de chênes ; à l'époque romaine, il y avait là des bois de pins, comme l'atteste un fragment d'inscription, de laquelle on lit encore ces deux mots PINARIA - PRIMICIEA, gravés en caractères de 0m05 environ. Cette pierre sert de clef de voûte à la porte d'une ferme située à l'intersection du chemin qui vient de Manosque et de la route qui va à Apt. La villa de Reillanne prit de ces bois le nom de Pinède ou de Pinet, et ce nom, elle l'a gardé jusqu'à nos jours.

Les propriétaires habitaient-ils leur villa à l'époque gallo-romaine. Nous le croyons peu, la politique et les charges municipales absorbaient alors la vie des grands. Des intendants régnaient sur la population d'esclaves, et plus tard de serfs, appliquée à la culture et aux divers métiers, et il dut en être ainsi après l'occupation de la Provence par les Francs.

Les Francs, en effet, ne spolièrent pas les anciens maîtres, mais ils occupèrent le sol domanial, et nous voyons les Comtes et les Patrices possesseurs bénéficiaires de vastes pays. Ils devinrent aussi propriétaires de biens d'alleu, acquis à prix d'argent et quelquefois par violence. Il y avait donc, sous nos premiers rois, comme possédant le sol, les officiers royaux et les anciens sénateurs ou nobles gallo-romains, il faut y ajouter les églises et les monastères. La petite propriété n'existait pas.

L'invasion sarrasine vint bouleverser cet état de choses.

Les grandes armées arabes du Ville siècle ne semblent pas être venues jusqu'à la Durance : mais les hordes qui, à la fin du IX ème, s'établirent au Fraxinet, sur le golfe Grimaud, eurent surtout pour objectif les Alpes. Elles y péné­trèrent, non pour s'emparer du pays, le gouverner, en percevoir les impôts, mais pour le saccager et le ruiner. Elles se fortifiaient au sommet des montagnes, y formaient des camps, des citadelles, et, de là, elles se précipitaient soudainement dans les plaines, pour faire la razzia des troupeaux, emporter les grains et incendier les villages. Ce brigandage dura cent ans. La dévastation était si grande que les bêtes sauvages se multipliaient, les loups parcouraient les campagnes par bandes énormes, dévorant ce que les Arabes avaient oublié. La Vie de saint Mayeul nous raconte qu'une de ces bandes ravageait la vallée de la Durance ; on ne pouvait plus, la nuit, faire sortir les troupeaux des bergeries, et le père du saint dut livrer un combat singulier à un loup monstrueux qui, suivi d'une troupe affamée, montait à l'assaut du parc dressé pour les brebis.

Les villas, construites dans les bas-fonds, au milieu des plus fertiles campagnes, étaient une proie facile pour les pillards sarrasins. Les bois et les gorges des montagnes cachaient leurs approches, et ils fondaient sur les habitants avant d'avoir été aperçus. Pour se mettre à l'abri des surprises, les villageois abandonnèrent leurs maisons ruinées, ils quittèrent la plaine et allèrent s'établir sur les hauteurs voisines.

Alors donc, les bourgs se déplacèrent. Les gens de Reillanne abandonnèrent les prairies de leur vallon, du lieu où s'élevait déjà l'église de Saint-Siffrein, entourée de constructions dont les restes ont été découverts, et du lieu où sont les Cisterciennes de Notre-Dame des Prés, ils gagnèrent le sommet de Saint-Denis et bâtirent là un nouveau village.

Il y avait dans le pays d'autres agglomérations, formées autour de petites villas, de petites fermes dépendant de Reillanne. Elles aussi s'établirent sur les hauts lieux. Chambarliac fonda Dauphin ; Salagon fonda Mane ; Fuzils, Chàteauneuf ; saint Trophime, Villemus ; saint Maurice, Montjustin.

Alors aussi, Forcalquier naquit des ruines de Saint-Promace. Cette ville est hors de la vallée de Reillanne, mais nous ne pouvions nous dispenser de la nommer, parce qu'elle devait devenir la tête du Comté dont relève notre contrée. Elle est mentionnée, pour la première fois, dans une charte de 1030, relative à la restauration de la paroisse antique.

Les nouveaux villages s'entourèrent de retranchements, on bâtit des forteresses, et les maîtres organisèrent la défense. C'est ainsi que nous voyons, de l'autre côté de la montagne de Lure, à Noyers, un gentilhomme campagnard, S. Bevons, attaqué par les Sarrasins dans son château, les repousser avec l'aide de ses hommes, puis prendre part à la guerre de délivrance, qu'avait enfin entreprise le Comte de Provence, et s'y couvrir de gloire.

Parmi les villas de notre région qui furent abandonnées pendant ces guerres, il en était une située dans un petit bassin hermétiquement fermé, que des collines dominent tout à l'entour. Son église, sous le vocable de saint Paul, appartenait au monastère d'Horluc. La tradition, une tradition un peu vague, il faut l'avouer, raconte que les habitants, obligés de fuir, se divisèrent. Les uns s'établirent au nord, sur un plateau escarpé, et y fondèrent un village qui prit le nom de Saint-Michel : les autres montèrent au couchant, sur une montagne d'où la vue embrasse un immense horizon, et créèrent Laincel.

Cette tradition est corroborée par un fait particulier : Saint-Michel et Laincel conservèrent des droits communs sur le lieu de leur origine, sur Saint-Paul, et un territoire assez vaste : ce territoire porta le nom de méger ou mi­toyen, et cette communauté, si anormale qu'elle fût, dura jusqu'à la Révolution.

Les monastères avaient, plus encore que les villages, souffert de l'invasion sarrasine. Il y en avait trois dans notre région : Lure, qui date des premiers temps méro­vingiens, Volx, peut-être de la même époque, quoique d'ordinaire on attribue sa fondation à Charlemagne, et Horluc, qui remonte à une date que nous ignorons. Nous ne savons rien de son histoire ; son nom même n'a été prononcé que lorsqu'il était anéanti et que ses moines avaient disparu.

Volx fut détruit. Son domaine temporel appartenait, longtemps après la libération de la Provence , à Pons, évêque de Glandèves, et à son frère Edelbert, qui, en 1209, restaurèrent le couvent et en firent un prieuré dépendant de Psalmodie.

L'abbaye de Lure, fondée par saint Mary, subit le même sort, et les moines s'enfuirent emportant le corps de saint Donat. Elle ne fut relevée qu'au XII ème siècle, par les soins des Comtes de Forcalquier et des seigneurs voisins, qui la donnèrent à l'abbé de Boscodon.

Le monastère d'Horluc périt comme les autres. Ses biens étaient importants, il paraît avoir possédé bon nombre de prieurés voisins et y avoir assuré le service religieux. Ces biens tombèrent, nous ne savons comment, entre les mains des moines de Montmajour, alors même que les Sarrasins étaient encore puissants dans le pays, tout au moins dans les contrées voisines. En 964 ou 935, le pape Léon VIII, confirmant l'abbaye arlésienne dans la possession de ses domaines, cite en première ligne Monasterium desertum, antiquumque Horluc.

Cette maison fut réédifiée, au commencement du XI ème siè­cle, par les abbés de Montmajour, selon toute apparence par l'abbé Archinric : ils en firent un prieuré relevant de Montmajour, sous le nom de Saint-Pierre de Carluc. Ils en modifièrent ainsi le nom, et, là où leurs devanciers n'avaient vu qu'un bois horrible, ils ne voulurent voir qu'un bois agréable et aimé.

Quand le bienheureux Archinric eut abdiqué l'abbatiat de Montmajour, il vint habiter Carluc. Lui-même ou ses successeurs travaillèrent à recouvrer les droits que cet ancien monastère avait eus sur les prieurés desservis autrefois par ses moines. Ils rentrèrent en possession de tous, du moins nous pouvons l'inférer de ce que, au XIII ème siècle, dépendaient directement de Carluc les prieurés de plusieurs villages, chose peu ordinaire, car les prieurés relevaient normalement des abbayes, sans intermédiaire.

Ces prieurés étaient : Rousset, Sainte-Marie de Redortiers, Saint-Vincent de Limans, Saint-Paul sous le château de Saint-Michel, Saint-Martin de Renacas, Saint-Donat, Sainte-Marie de Vinon, Saint-Trophime de Villemus, Saint-Siffrein dans la vallée de Reillanne, Saint-Pierre et Sainte-Marie de Reillanne, Meirigues près Viens, Sainte-Croix d'Alauze.

Les prieurs étaient tenus de venir chaque année à Carluc, le 16 février, célébrer l'anniversaire du bienheureux Archinric.

Dans la liste de ces églises appartenant à Carluc, nous trouvons Saint-Paul sous le château de Saint-Michel mais les deux villages nés de Saint-Paul pendant l'invasion sarrasine, Saint-Michel et Laincel, ne s'y rencontrent pas. Laincel avait sans doute donné son église au chapitre de Forcalquier, dès l'origine de celui-ci, c'est-à-dire dès les premières années du XI ème siècle, et le chapitre la posséda à titre de bénéfice pendant tout le moyen âge. Les gens de Saint-Michel avaient appelé pour desservir leur paroisse les moines de Saint-André de Villeneuve, près d'Avignon. Carluc ne put faire prévaloir ses prétentions à rencontre de ces puissants occupants et ne rentra en possession que des ruines de Saint-Paul et des terres qui en dépendaient. Il en fit un prieuré rural. Dès cette époque, ou à peu près, fut construite la petite chapelle, qui existe encore dans son intégrité, et le cloître, dont il ne reste que quelques colonnes. Leur vieille architecture romane les fait du XIe ou du XIIe siècle.

L'abbaye, dont les moines desservaient alors Saint-Michel, était un ancien monastère construit sur la rive droite du Rhône, au sommet du Mont Andaon, sous le titre de Saint-André et de Saint-Martin. On ignore son origine, et il avait péri à une époque incertaine, mais probablement sous les coups des Sarrasins, qui prirent Avignon au Ville siècle. Il fut relevé à la fin du X°, comme nous l'apprend une charte du 29 janvier 1009.

Une bulle de Grégoire V nous apprend que, dans ce monastère, outre les églises de Saint-André et de Saint-Martin, il y en avait une troisième dédiée à saint Michel. On peut croire que les moines donnèrent pour titulaire à l'église qu'ils construisirent dans le nouveau village ce patron de leur abbaye, et que le village en prit le nom. Cette église est encore debout, une tuile de sa toiture porte la date de 1054.

Ce ne fut pas le seul village que l'abbaye avignonnaise obtint dans notre contrée. Les habitants de Mane les appe­lèrent, et la nouvelle église fut dédiée en l'honneur d'un autre patron de l'abbaye, en l'honneur de saint André.

La Féodalité.

Les chartes permettent d'écrire l'histoire de Reillanne, à partir de la fin du Xe siècle. Sans doute, elles ne disent pas tout, mais elles nous permettront de rompre avec le système d'hypothèses et d'inductions que nous avons trop largement employé jusqu'ici.

Le régime féodal s'introduisit en Provence après l'expul­sion des Sarrasins.

Sous les rois mérovingiens et sous les premiers carlovingiens, notre pays avait été gouverné par des préfets et des patrices, c'est-à-dire par des fonctionnaires.

En 879, le concile de Mantaille créa le royaume de Provence. Ce royaume aurait pu être fort, mais ses rois, séduits par l'ambition de régner en Italie, le laissèrent aux mains d'officiers peu appliqués aux choses politiques. Quand il passa en la possession de Conrad le Pacifique, celui-ci le fit administrer par un Comte bénéficiaire, Bozon, fils de Rothbald. C'était un fonctionnaire encore, mais un fonctionnaire très indépendant, presque souverain dans son gouvernement.

Qui était Bozon? Était-ce un grand propriétaire pro­vençal? Peut-être, mais assurément de date récente. Ces noms de Bozon et de Rothbald ne sont pas provençaux, et d'ailleurs les rois avaient intérêt à nous envoyer des étrangers, qui, sans attaches locales, avaient peu le moyen de viser à l'indépendance. Telle avait toujours été leur politique.

Le triomphe de Guillaume, fils de Bozon, sur les Sarra­sins, accrut beaucoup son autorité. Le roi lui concéda les terres qu'il avait conquises, il les distribua à ses officiers, à des conditions que nous ne savons pas, mais sûrement il se réserva la suzeraineté et inaugura ainsi le régime féodal.

Cette action, il retendit surtout sur la Basse Provence, notamment sur le littoral de Nice à Marseille, parce que, là, les Sarrasins avaient été les maîtres pendant un siècle, avaient possédé le sol, et que les anciens propriétaires avaient disparu. Il n'en fut pas ainsi dans nos contrées. Ici, les Sarrasins, éloignés de leur base d'opérations, ne s'étaient pas installés,  ils n'avaient jamais été que campés au milieu des populations qu'ils rançonnaient ; les anciens domaines, bien que ruinés, existaient encore. La féodalité ne put s'y introduire que lentement. Les domaines privés entrèrent dans le régime féodal, parce qu'il était impossible de soustraire les habitants à la loi commune, parce qu'il fallait admettre la législation, la justice, telles qu'elles existaient ailleurs en Provence, parce qu'il fallait accepter les charges imposées par les Comtes, subir les cavalcades el les impôts du nouveau régime. Les communes ne pouvaient vivre en dehors des lois existantes.

Les Comtes bénéficiaires eurent fort à faire pour imposer leur autorité chez nous, d'autant plus que les Alpes étaient restées, semble-t-il, hors du royaume d'Arles. ( Dates de Forcalquier.) Leurs évoques n'étaient pas au concile de Mantaille, qui l'avait créé ; la présence des Sarrasins en avait écarté les rois et leurs officiers. Si les Comtes, après leur victoire, réussirent à s'y faire accepter, c'est qu'eux-mêmes, personnellement, y possédaient des alleux. Ces alleux, nous ne les connaissons pas bien, mais ils semblent situés à Manosque, à Forcalquier et à Mane. ( Dates de Forcalquier.)

Les deux fils de Bozon, Guillaume 1er et Rothbald, prirent le titre de Comte, mais Guillaume paraît avoir seul été investi officiellement. Ils s'étaient partagés les alleux de leur père. Rothbald se cantonna particulière­ment dans le Comtat Venaissin ; il possédait cependant un quart de Forcalquier et de Mane. Nous savons que les autres trois quarts appartinrent à Guillaume II, fils de Guillaume 1er.

A la mort de Guillaume I, son frère Rothbald fut investi du Comté, après celui-ci, son neveu Guillaume II lui succéda.

Les fils de Guillaume II, Geoffroid et Bertrand, se parta­gèrent les alleux. Bertrand, loti dans la Haute Provence, y assit assez son autorité pour que, quand il mourut, vers 1054, son fils Guillaume pût créer le comté de Forcalquier. ( Dates de Forcalquier.)

Donc, ce que nous voyons dans notre contrée, de l'expulsion des Sarrasins au milieu du XIe siècle, ce sont les Comtes bénéficiaires, représentant la féoda­lité, qui cherchent à s'établir et à implanter le régime nouveau.

Sous eux, à Sisteron, est un Vicomte. C'est Bérenger, auquel succède son fils, du même nom. Ce dernier devint seigneur de Sisteron, sous la mouvance de l'évêque, et de Forcalquier, sous celle du Comte. C'est même à Forcalquier qu'il faisait sa résidence. ( Dates de Forcalquier, année 1030.)

Vers 1044, la Vicomté de Sisteron passa à Miron, frère de Pierre de Mevolhon, évêque de cette ville. Vers 1070, les fils de Miron étaient seigneurs de Forcalquier, sous la mouvance de l'évêque. Les Bérenger, éloignés de Sisteron, étaient toujours seigneurs de Forcalquier, de Mane et même d'Avignon, vassaux des Comtes.

Les Mevolhon et les Bérenger sont, dans notre pays, les premiers que nous voyons classés dans la hiérarchie féodale ; en même temps que Vicomtes, c'est-à-dire fonctionnaires à Sisteron, ils sont seigneurs de cette ville, de Forcalquier et de Mane. Étaient-ils les représentants de familles du pays, de familles de grands propriétaires, nous, l'ignorons, quoiqu'il y ait à cela toute probabilité.

Mais à côté d'eux, au-dessus d'eux, était une famille puissante, qui, bien qu'en grande situation à la Cour des Comtes, semble avoir mis moins de hâte à réduire ses pro­priétés sous le régime féodal. Elle possédait en bénéfice les marais d'Arles mais, en plus, Roquevaire, Auriol, Peipin, Saint-Savournin, dans la Basse Provence, sur la Durance Peyruis, Valensole, Sept-Fonts (Rousset), Reillanne et ses dépendances, et encore des domaines nom­breux aux environs d'Apt lui constituaient un immense patrimoine allodial, qui paraît n'être entré que lentement dans l'organisation nouvelle.

Nous ne nous occuperons que de Reillanne et des villages qui en relevaient, ce qu'on appelait sa Vallée.

Que faut-il entendre par la Vallée de Reillanne, terme que nous trouvons dans les chartes du XI ème siècle? Assurément, il ne faut y voir aucune signification géographique, les villages qui en faisaient partie sont, les uns dans une vallée tributaire du Calavon, les autres dans celle du Lar­gue et de la Laye. Elle ne représente pas davantage une division administrative, car elle appartenait aux Comtés de Sisteron et d'Aix. C'est un ensemble de propriétés terri­toriales, indépendant de la topographie et de l'administra­tion, un État basé sur la possession du sol par un même maître.

Faisaient partie de la vallée de Reillanne, sûrement : Reillanne, Villemus, Montjustin, Fuzils, Châteauneuf, Céreste, Aubenas et le Bourget, car les titres du XI ème, du XII ème et du XIII ème siècle nous montrent une même famille y seigneuriant. Il faut y ajouter Laincel. Là, dès le XI e siècle, seigneuriait une famille qui ne porte pas d'autre nom que celui du village, et qui ne peut être qu'une branche cadette de celle établie à Reillanne. Les armoiries sont les mêmes, un fer de lance, car on peut reconnaître la lance des Laincel dans ce qu'à Reillanne on dit être un soc de charrue.

Saint-Martin-de-Renacas ne faisait qu'un avec Laincel.

Enfin un titre du XIV e siècle, c'est-à-dire d'une époque où la vallée n'existait plus, mais où le souvenir en subsis­tait, dit que Reillanne est reconnue comme capitale des villages que nous venons de nommer, et en plus de Mane, Saint-Michel, Saint-Maime, Dauphin, Saint-Étienne-lès-Orgues, Ongles et Fontienne.

Ces derniers villages avaient-ils appartenu dès l'origine à la vallée, où y avaient-ils été ajoutés plus tard par acquisitions ou à la suite d'alliances. Nous l'ignorons. Nous avons vu qu'au XI e siècle Mane appartenait aux Bérenger.

Il y avait donc là un domaine immense. Ce domaine n'avait pu être improvisé ; il ne pouvait appartenir qu'à une famille ancienne dans le pays, à une famille proprié­taire dès l'époque mérovingienne, dès l'époque gallo-romaine, propriétaire de la villa de Reillanne et de toutes les autres villas, ou villages, que nous avons cités.

Nous ne pouvons évidemment pas remonter si haut, et nommer les maîtres de la vallée de Reillanne sous les pre­miers rois francs mais nous les connaissons dès le IXe siècle. Elle appartenait alors à Foucher. Son fils, du même nom que lui, se maria, à Avignon, avec Raimodis, et, par contrat de mariage daté du 3 septembre 909, il lui fit don de plusieurs villas dans le comté d'Apt, de la villa de Pinet, avec son église de Saint-Siffrein, et de la villa de la Palud, dans la vallée de Reillanne, au comté d'Aix, et de plusieurs autres villas dans le Comté de Sisteron, c'est-à-dire, à coup sûr, de la vallée tout entière. En outre, il lui donna Valensole et Saint-Maxime, dans le comté de Riez. ( Cartulaire de Cluny, C, 1071.)

De ce mariage naquirent au moins deux enfants. L'un est le grand saint Mayeul, abbé de Cluny, l'autre se nommait Eyric, et nous le voyons, en 960, de concert avec Mayeul, faire diverses donations à Arnulphe, évêque d'Apt. (Cartulaire de Cluny.)

Aucun titre ne nous est venu, nous faisant connaître la descendance d'Eyric, mais nous serions bien surpris s'il n'avait eu pour fils Lambert, que nous trouvons, à la fin du X° siècle, à la Cour du Comte de Provence.

Lambert avait épousé Walberge. Il donna au monastère de Montmajour les marais qui l'entouraient, et à celui de Ganagobie la villa de Peyruis.

A ce moment, s'établirent les noms de famille. Les enfants de Lambert adoptèrent le nom de Reillanne, celui du village qui était le centre du patrimoine de leur maison.

En 1013, Boniface 1er, fil S de Lambert, qui avait épousé Constance, ratifia la donation de Peyruis et renonça à toute revendication.

Boniface 1er eut de nombreux enfants : Raimbaud, qui devint archevêque d'Arles ; Leodegarius, qui eut un fils appelé aussi Raimbaud, Boson, père de Boniface et d'autre Boson ; Boniface II, qui eut de Mathilde Aicard et Pierre, Fouques, Elesinde et Adalmoïs, toutes deux religieuses et sans doute à Saint-Sauveur de Marseille ; Adalaxis, mère d'Enaurs, Atenulfe, père de Boniface III.

Boniface III épousa Wandalmosia et eut : Boniface, Rostang, Pierre, Guy, Atenulfe et Guillaume. (Dam. Arbaud.)

Atenulfe et quelques-uns des siens concédèrent à Carluc le quart des dîmes de Reillanne.

En 1035 et 1040, l'archevêque Raimbaud donna à Saint-Victor une partie de Montjustin.

A ce même monastère Adalaxis donna, en 1045, la moitié de la villa de Fuzils, avec l'église qui y existait. Cette villa était située « dans la vallée de Reillanne, au comté de Sisteron ». Elle consistait en quatre fort bonnes fermes qu'exploitait un nommé Bermond Trenca Vias, et l'abbaye en tira quatre mesures de blé de première qualité.

Évidemment, la villa de Fuzils n'était plus qu'une ferme, la population l'avait abandonnée pendant la guerre, pour fonder Châteauneuf, et la chapelle était délaissée. Elle existe cependant encore et appartient, aujourd'hui, à la commune de Saint-Michel ; elle est sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste. Le nom de Fuzils lui venait de la grande quantité de silex, pierres à feu ou fusils, qu'on rencontre en ce lieu : on dit plus tard, au XVe siècle, Fosios, qui devint Fouio, on la nomme aujourd'hui Saint-Jean-d'Aurifeuille, mais on devrait dire Saint-Jean-dou-Ri-Fouio, c'est à-dire du Ruisseau-de-Fouio.

La famille de Reillanne se multiplia excessivement. Cette multiplication l'appauvrit, et cela dès le XI ème siècle. Les aînés gardèrent Reillanne, mais ils apanagèrent les cadets et dotèrent les filles avec des démembrements de leur petit Etat.

Nous venons de voir Adalaxis maîtresse à Fuzils.

Boniface, fils de Bozon, eut Céreste pour son lot, car il en portait le nom. (Damase Arbaud.)

Les autres eurent certainement aussi leur part, nous avons dit que, très probablement, Laincel appartenait à une branche de la famille.

Cet éparpillement des biens alla en progressant. Au Xllle siècle, en 1302, étaient coseigneurs de Reillanne : Guillaume, Boniface, Huguet et les hoirs de Giraud ; en 1254, Alaisie de Reillanne était dame d'Aubenas ; en 1275, les héritiers d'Hugues de Reillanne et ceux d'Esparron de Reillanne se partageaient la seigneurie de Châteauneuf, et en la même année était cosseigneur de Reillanne un Raymond, dit de Pierrevert.

Non seulement les seigneurs de Reillanne perdaient leurs grands biens, mais leur puissance féodale était atta­quée, et elle fut bientôt annihilée par le développement des franchises municipales.

Au XIII e siècle, en effet, toutes les communes, grandes et petites, s'efforçaient d'augmenter leurs privilèges. On était sous le règne de Raymond-Bérenger V. Ce prince, comte de toute la Provence, affectionnait particulièrement Forcalquier ; la tradition dit qu'il avait la coutume de passer les saisons d'été au château de Saint-Maime. (Dates de Forcalquier, p. 58.) Elle ajoute que c'est à Saint-Maime que naquirent les quatre filles qu'il eut de Béatrix de Savoie : Marguerite, qui épousa saint Louis, roi de France; Eléonore, mariée à Henri III, roi d'Angleterre ; Sance, à Richard, roi des Romains, frère d'Henri III d'Angleterre, et Béatrix, à Charles d'Anjou, roi de Naples. Raymond Bérenger favorisait l'ambition des communes, pour augmenter sa propre puissance au détriment des barons.

Les villages dépendant des seigneurs de Reillanne cher­chaient à se soustraire à leur domination.

Nous croyons qu'ils seigneuriaient à Saint-Michel, mais sûrement ils n'y étaient pas seuls. Nous y trouvons, au XIII ème siècle, plusieurs chevaliers, ayant des hommes à eux, ce qui les constitue seigneurs, ils étaient nobles et possé­daient des directes sous la majeure du Comte. C'est Raymond Trimondi, Guillaume de Saint-Michel, Raymond de Saint-Martin, Raymond Audibert et ses frères, Ray­mond d'Ongles, Aymeric et Raymond Chabaud, Pierre et Petais Chabaud, et trois autres, Isnard Rosie, Guigues Rosie et Pierre Bermond.

En octobre 1242, le peuple de Saint-Michel et les gen­tilshommes susnommés, excepté les trois derniers, se donnèrent au Comte et lui prêtèrent hommage. Raymond-Bérenger jura de respecter leurs franchises, entre autres leur droit d'avoir des consuls.

Quel pouvait bien être le but des gens de Saint-Michel ? Évidemment, d'échapper à leurs seigneurs mais, pour les gentilshommes, leur motif est moins compréhensible, car ils ne stipulèrent en leur faveur que l'avantage de ne pas perdre leur noblesse, quand même ils passeraient trois générations sans faire la guerre. On ne peut leur supposer qu'un but, celui d'évincer des coseigneurs plus puissants.

Sans doute les trois qui refusèrent leur adhésion, Isnard Rosie, Guigues Rosie et Bermond, qui étaient peut-être des Reillanne, car le surnom de Rosie est porté chez les Reillanne à cette époque, et plus tard on trouve des Reil­lanne à Saint-Michel.

L'acte de 1242 fut ratifié l'année suivante, et les privi­lèges furent mieux spécifiés. La moitié des frais de tout procès fut concédée au Comte et dut servir de traitement au baille et à ceux qui, avec lui, seraient commis à la garde de la tour appartenant au seigneur qui était en tête du village. La justice, entre des hommes d'un même seigneur, serait rendue par ledit seigneur. Si les consuls voulaient avoir un juge, ils recourraient au juge de la Cour de Forcalquier. L'acte fut passé dans le cimetière Saint-Pierre.

L'hommage prêté au Comte de Provence devait, dans un délai assez court, anéantir les droits des gentilshommes coseigneurs de Saint-Michel. C'est ce qui arriva, et un titre de 1404, que nous rencontrerons, constate leur dispari­tion, en relatant le souvenir des seigneurs passés . Nous redirons que nous croyons que, parmi ces cosseigueurs, il y avait eu des Reillanne, quelque branche cadette apanagée à Saint-Michel, et qu'un peu plus tard nous trouvons dans ce village des Reillanne tombés dans la médiocrité, qui devaient être les descendants des seigneurs évincés en 1242.

Raymond-Bérenger mourut en août 1245, sa fille Béatrix lui succéda sur toute la Provence et épousa, au commen­cement de l'hiver de cette même année, Charles d'Anjou.

Sous ces nouveaux princes, devait se consommer la ruine de la famille de Reillanne.

En 1254, Esparron, Raybaud Rossia, Boniface le Vieux, Boniface le Jeune, Guillaume le Roux, Raybaud et autre Guillaume et le bailli d'Alaisie d'Aubenas, tous coseigneurs de Reillanne, avaient fait un nouveau règlement pour l'élection des baillis et du juge. La commune avait refusé de s'y soumettre, et les gentilshommes de la ville avaient résisté comme elle. Parmi les opposants, nous voyons Guillaume Chabaud, prud'homme, et les chevaliers B. de Reillanne, Raymond de Reillanne du Bourguet, Raybaud de Reillanne et P. de Reillanne. Ces Reillanne étaient des cadets des coseigneurs et faisaient de la démocratie, à rencontre de leurs aînés.

Une transaction intervint, par laquelle les seigneurs rétablirent le consulat qu'ils avaient voulu annihiler, renoncèrent à avoir un bailli, et changèrent le juge qu'ils avaient nommé et qui était désagréable à la population. (Papon.)

Ils avaient tenté un coup de force, et ils avaient échoué.

En mai 1255, ils revinrent à la charge. Ils prétendirent pouvoir supprimer le consulat, succéder aux hommes morts sans enfants et punir la résistance de la commune. Intervint un nouveau compromis, qui fut pour eux un nouvel échec.

En novembre de cette même année, la comtesse Béatrix, prise comme arbitre, maintint le consulat. (Papon.)

La lutte recommença encore, et, pour en finir, la com­munauté de Reillanne, en 1258, se donna sans condition, elle et ses privilèges, tous ses droits et ceux des habitants, à Charles I d'Anjou. Pour fiche de consolation, on réserva les droits des seigneurs sur le consulat, si tant était qu'ils en eussent. Le comte, par son vicaire, accepta et garantit les franchises et libertés, spécialement en faveur de Raymond de Reillanne et de son oncle, Guillaume de Reillanne.

L'acte de donation fut signé par Guillaume de Reillanne
du Bourguet Raymond de Reillanne, Jauffroi de Reillanne,
toujours évidemment les cadets de la famille. En 1302,
les gens de Reillanne demandèrent et obtinrent l'enregistrement de cet acte. Copie en fut délivrée à qui le désira,
entre autres, à ............... Chabaud, gentilhomme de Saint-Michel, baille royal de Reillanne.

C'en était fait, Reillanne s'était donné aux comtes et les seigneurs étaient à peu près évincés et éliminés.

Il est intéressant de savoir quels étaient ces droits et privilèges, pour la conservation desquels les gens de Reillanne s'étaient soumis au Comte de Provence. Nous les trouvons dans un titre postérieur, un titre de 1519, dans lequel la communauté dit posséder de toute antiquité :

La liberté des fours et des moulins ;

Le droit de faire des ordonnances sur les bois, les blés, les fruits, les glands, etc. ;

De réglementer les poids de tout genre ;

D'aller librement et impunément chacun pour ses affaires, sans lumière, à toute heure de la nuit;

De donner tous biens à amphitéose, sans la permission du Comte;

De ne payer ni treizain, ni lods, sur les donations et les legs ;

De vendre le vin sans publication ;

Le Comte ne prendra chose ou marchandise sans le consentement du propriétaire ;

Il ne pourra anoblir quelqu'un, en déchargeant des taxes ;

Le conseil pourra élire annuellement douze adminis­trateurs :

Il nommera deux défenseurs et syndics ;

Tout crime commis à Reillanne et au Bourget sera pour­suivi par les officiers du lieu, sans que les accusés soient transférés en d'autres prisons ;

L'Université aura trois arbitres et accordeurs de procès ;

Et autres privilèges;

Enfin, l'Université possède le bois du Patis et le Defens de Reclapas.

Nous ne pouvons dire si les autres seigneuries des Reillanne s'insurgèrent aussi contre eux et se donnèrent aux Comtes.

Mane leur appartenait-il, comme l'insinue l'acte du XIV ème siècle dont nous avons parlé ? La chose ne paraît guère possible, et, en tout cas, ce ne put pas être pendant un long temps. En effet, nous avons vu qu'au XI e siècle ce village appartenait aux Comtes, puis aux Bérenger. En 1258, cette terre appartenait aux filles de feu Rodric, et le beau-père de l'une d'elles, Raimond, fils de Guirand de Beaumont, la vendait au Comte Charles I. (Dates de Forcalquier, p. 72.) En 1306, Charles II la céda à Charles Guiguinuissi, pour tant qu'il lui plairait. Le roi Robert en reprit possession en 1338. Mais ce ne fut pas pour la garder, car, en 1340, était seigneur de Mane Reynaud de Rossessio. (Dates de Forcal­quier.)

D'autres villages et châteaux, s'ils étaient sortis du petit Etat primitif de Reillanne étaient restés les apanages de diverses branches de la famille.

Nous avons dit que nous croyons Laincel dans ce cas.

Le château était évidemment situé au faîte de la mon­tagne, comme il l'est aujourd'hui. Un croquis informe du XVI ème siècle nous le montre à pic, sur l'escarpement du plateau supérieur, ne s'élevant que d'un rez-de-chaussée au-dessus de lui, mais faisant descendre ses deux tours jusqu'au village, avec la porte d'entrée au milieu. Cette disposition, que l'on reconnaît encore à notre époque, peut bien être la disposition primitive.

Ce château fut enlevé par le Comte de Provence, Alphonse 1er d'Aragon, quand, en 1177, il marcha contre Guillaume VI de Forcalquier, pour le forcer à lui rendre hommage. Dans la même guerre, furent pris Montfuron, Montjustin, Villemus et Reillanne. (Bouche, t.II , p. 159. - Dates de Forcalquier, p. 41.)

Au XIIle siècle, une famille nouvelle, la famille des Cornuti, était venue partager la seigneurie de Laincel. Comment et à quelle occasion, nous l'ignorons, mais très probablement ce fut à la suite d'une alliance avec les anciens propriétaires. En 1266, nous les voyons coseigneurs et demeurant au-dessous du village, dans ce qu'on appelle encore le Bas-Château.

En cette année 1266, Guillaume Cornut, frère de Pierre, au nom de ses neveux, et Guillaume de Villemus, ayant procuration de Lambert de Laincel, procédèrent en justice, concurremment avec Guillaume Maurel, syndic de Saint-Michel, à la délimitation du territoire des deux villages. La limite reconnue à la seigneurie de Laincel, en tant du moins qu'on en peut reconnaître les repères aujourd'hui, partait de la source de la Tuverenche, passait au nord du Clos, allait jusqu'au village de Saint-Michel, suivait le Ripetier jusqu'à la grand'route et la grand'route jusqu'à Notre-Dame d'Ardène et le Reculon, du Reculon, elle montait à Laincel. Dans ce territoire, les seigneurs de Laincel avaient de tout temps perçu les tasques, et les gens de Saint-Michel avaient droit de faire paître leurs troupeaux.

C'est le terroir limitât, ou méger, dont nous avons déjà parlé. Municipalement, il appartenait à Saint-Michel; féodalement, à Laincel.

Lambert seigneuriait encore à Laincel en 1289. Il était fils de Bérenger, et neveu de Geoffroi, qui fut évêque de Gap, de 1289 à 1315. De 1316 à 1 318, après le court épiscopat d'Olivier de Lage, était évêque de Gap un autre membre de la famille de Laincel, Bertrand. Enfin, en 1331, vivait Lambert de Laincel, peut-être le même que celui de 1289 ; il avait épousé Sibile, sœur de sainte Delphine.

Ce fief devait s'émietter au commencement du XVIe siècle. Les seigneurs primitifs disparurent, le dernier hommage, prêté, par un Laincel est de 1560. Ce Laincel avait un fils muet, qui seigneuria encore à Saint-Martin-de-Renacas, La famille cependant ne s'éteignit pas, elle a duré jusqu'à notre XIXe siècle. Mais le domaine noble passa à d'autres. Alors apparaissent les Saffalin, venus de Manosque, qui habitaient le Bas Château, et les Bernardi, venus d'Aix, qui tenaient leurs droits des Cornuti et qui possédaient le château supérieur. La seigneurie, ainsi divisée, ne fut de nouveau réunie en une seule main qu'à la veille de la Révolution ; elle appartenait alors aux de Grose.

Les comtes ne furent donc jamais, à Laincel, que suzerains.

Châteauneuf aussi était resté aux Reillanne. Nous avons vu qu'en 1275 la seigneurie de ce village appartenait, par moitié, à Béatrix, fille d'Hugues de Reillanne, et aux héritiers d'Esparron de Reillanne. Plus tard, la commu­nauté de Mane acheta Châteauneuf, et les consuls y exer­cèrent les droits seigneuriaux.

Donc, diverses branches de la famille de Reillanne continuèrent à seigneurier dans des fiefs qui étaient leur apanage. Mais les aînés eux-mêmes, bien que fort amoin­dris, avaient encore à Reillanne quelques droits féodaux et possédaient encore des débris de leur ancienne vallée. En 1417, Guillaume, dans son testament, se disait seigneur de Reillanne, du Bourget, de Sainte-Croix et de Montjustin.

Plusieurs entrèrent dans l'Ordre de Saint-Jean de Jéru­salem. En 1246, Gilles de Reillanne était grand prieur de Saint-Gilles. En 1261, Geoffroid était chevalier, de même que Philippe en 1338. En 1347, Guillaume était commandeur et lieutenant-général du Grand Maître.

Les Reillanne n'étaient donc pas entièrement déchus de leur rang.

Une grande partie de la vallée de Reillanne avait appar­tenu au Comté de Sisteron, comme le prouve la donation de Fuzils, en 1045, en conséquence, elle dépendit, au point de vue ecclésiastique, du diocèse de Sisteron, dès son origine. Nous connaissons bien incomplètement son histoire reli­gieuse ; cependant le Cartulaire de Saint-André de Villeneuve nous fournit quelques indications, relativement à Saint-Michel surtout.

Nous avons supposé, avec toute probabilité, que les moines de cette abbaye étaient à Saint-Michel depuis l'expulsion des Sarrasins. Le premier titre qui nous signale leur présence n'est cependant que de 1119. En cette année, le pape Gélase II maintint le monastère en possession de Saint-Michel et aussi de Fuzils, que Saint-Victor avait sans doute perdu pendant l'occupation arabe.

En même temps, le pape confirma à l'abbaye la posses­sion de Châteauneuf, de Saint-Laurent et de Saint-Étienne de Mane.

En 1143, Innocent III, en 1178, Alexandre, en 1227, Gré­goire IX confirmèrent toutes ces églises à Saint-André. (Chantelou.)

Au milieu du XIII ème siècle, le prieuré de Saint-Michel fut uni provisoirement au décanat de l'abbaye. En 1253, le prieur s'appelait Guillaume de Soz.

En 1307, Guillaume de Beaumont, présenté par Bertrand, abbé de Saint-André, fut agréé par Jacques Gantelmi, évêque de Sisteron, comme curé de Saint-Michel. L'évêque lui donna la juridiction spirituelle, en présence d'Isnard, abbé de Lure.

Le 2 octobre 1316, Guillaume de Bérenger était prieur de Saint-Michel. (Signoret.) Sans doute, des prêtres séculiers remplaçaient le prieur résidant à Villeneuve.

En 1442, l'abbé percevait de Saint Michel un cens de X sous, et autant de Fuzils. (Chantelou.)

Un fait nouveau s'était produit. L'église bâtie au XI ème siècle était toujours la paroisse, mais une seconde église du style gothique de transition, d'une seule nef à berceau, avait été construite au pied du Puy. Elle est qualifiée d'église royale, dans un acte de 1302 ; c'est donc qu'elle avait été bâtie par Raymond-Bérenger, ou mieux par les premiers Comtes de la maison d'Anjou, depuis que Saint-Michel s'était donné à la Couronne. Elle sert mainte­nant de paroisse, l'église supérieure ayant été abandonnée.

Outre ces deux églises, existaient plusieurs chapelles dans le territoire de Saint-Michel.

Dans le terroir limitât, à l'extrémité nord-ouest du plateau qui domine Saint-Paul, s'élevait une chapelle dédiée en l'honneur de sant Bousiàri, que l'on a traduit par saint Babylas, quoique le patron soit plus probablement saint Baudile. Elle fut donnée, en 1259, par Alain, évoque de Sisteron, au chapitre de Forcalquier. Aujourd'hui, elle est démolie ; à peine une surélévation du terrain indique son emplacement. Cette chapelle, par sa situation dans le terroir méger, était commune à Laincel et à Saint-Michel ; les processions s'y rendaient des deux villages, et, quand elles s'apercevaient, elles prenaient le pas de course, chacune voulant arriver la première et affirmer ainsi son droit de propriété.

En mai 1209, noble Guillaume Ghabaud, de Saint-Michel, démembra un domaine qu'il possédait en cette commune, au quartier d'Ardène, pour fonder un hôpital des Pauvres, sur le bord de la grand'route. Cet hôpital, sous le titre de Notre-Dame d'Ardène, fut desservi par plusieur Frères et plusieurs Soeurs, parfois mariés ensemble. Le fondateur se réserva le patronage. L'hôpital cessa d'exister à une époque que nous ignorons ; il devint un simple prieuré rural, à la nomination des héritiers du fondateur. Le prieuré de Notre-Dame d'Ardène existe encore, mais il n'est plus qu'une chapelle particulière, appartenant aux descendants de Guillaume Ghabaud.

Le prieuré de Saint-Paul, toujours existant, appartenait toujours à Carluc.

A Mane, vers 1237, Bertrand de Mornaco, moine de Saint-André, était prieur de Notre-Dame de Salagon. Il fut fait évêque de Lodève, mais il ne fut jamais sacré et administra quatre ans son diocèse comme évêque élu. (Ghantelou, Histoire de Saint-André.)

Au milieu du XVe siècle, ce prieuré de Salagon donnait à l'abbé de Saint-André un cens de XI sous. ( Ibid.)

La Vicomté de Reillanne.

L'ancienne Vallée de Reillanne n'existait donc plus ; elle avait été détruite par les partages de famille et par l'in­gérence des Comtes dans les affaires des principaux vil­lages. Cependant son souvenir subsistait, et tout à coup, au XIV e siècle, elle fut reconstituée sous le titre de Vicomté.

La reine Jeanne, petite-fille du roi Robert, régnait en Provence. D'abord mariée à André de Hongrie, elle épousa, en 1347. Louis de Tarente, son cousin. En 1349, elle lui fit don des villages qui avaient autrefois appartenu à Reil­lanne, et, cette même année, Louis les rétrocéda à Fouquet d'Agout Dès le 22 décembre de cette année, Saint-Michel prêta hommage au nouveau seigneur, qui jura de respecter les franchises de la communauté.

Fouquet d'Agout mourut le 19 mars 1375, laissant deux fils. L'aîné, Raymond, lui succéda à Sault, le cadet, Foulques II, à Reillanne et villages en dépendant. Fou­quet II (2) acheta, en 1378, la seigneurie de Dauphin, au prix de 8,000 florins d'or. ( Dates de Forcalquier.)

En 1379 et le 28 mai, la reine Jeanne, alors mariée en quatrièmes noces avec Othon de Brunswich, érigea Reillanne en Vicomté au profit de Fouquet d'Agout. L'acte énumère les villages qui composent son petit État : Reillanne d'abord, qui, est-il dit, est reconnu comme capitale des villages suivants, Mane, qui comprend

Châteauneuf, Saint-Michel, Saint-Maime, Saint-Étienne-lès-Orgues, Fontienne, Ongles et Dauphin. Il n'est pas parlé de Laincel et de Saint-Martin, qui avaient leurs seigneurs particuliers issus des vieux Reillanne, ni de Villemus, Montjustin, Sainte-Croix, Céreste, Aubenas et le Bourget, pour des raisons analogues. La reine ne pouvait donner ce qui ne lui appartenait pas. Mais elle ajouta aux anciennes dépendances de Reillanne : la Bastide-des -Jourdans, Volonne et Montfort.

Fouquet II garda la Vicomté jusqu'à sa mort, et, n'ayant pas d'enfants, il la laissa à son frère aîné, Raymond d'Agout de Sault. Saint-Michel prêta hommage à Raymond en 1385, et celui-ci jura les privilèges.

De son côté, en 1386, Raymond prêta hommage à Louis II pour Reillanne, Saint-Michel, Mane, Dauphin, Saint-Maime, Ongles, Saint-Étienne et Fontienne, tous villages qui figurent dans l'acte d'érection de 1379, et aussi pour Montfuron, Villemus, Monjustin, Aubenas et autres lieux, qui n'y figurent pas et qu'il avait sans doute acquis,

En 1394, le Vicomte démembra de son état Fontienne qu'il donna à un sieur Francisquet François. ( Dates de Forcalquier.)

En 1404, Raymond légua, en mourant, la Vicomté à Louis II, Comte de Provence, et celui-ci en prit immédia­tement possession. Le 20 août 1404, son mandataire se présentait à Saint-Michel pour faire admettre son autorité. L'acte qui fut passé en cette circonstance est trop inté­ressant pour que nous ne nous y arrêtions pas.

Les consuls, sommés de reconnaître le roi pour seigneur, demandèrent que, avant tout, il jurât de respecter leurs privilèges, privilèges que Raymond Bérenger avait acceptés, en 1242, quand la communauté s'était donnée à lui. Mais le commissaire du roi s'y refusa et requit le baile, noble Pierre Audibert, de faire sa soumission. Audibert tenait évidemment sa charge du précédent seigneur, de Raymond d'Agout.

Le baile obéit. Le sergent et trompette public, Pierre Hugues, convoqua les habitants au portail Saint-Pierre, et, en leur présence, Audibert mit le commissaire en posses­sion dudit portail, en le lui faisant ouvrir et fermer, et il lui en donna les clefs. Même chose se passa au portail du Puy, où était la forteresse, et à la tour du Seigneur, dont il est dit, dans un acte de 1243, que le baile avait la garde.

Saint-Michel, en effet, était fortifié ; il avait une ceinture de remparts, aujourd'hui encore bien reconnaissables. Au bas du village, de la belle porte, démolie il y a quelques années seulement, ces murailles suivaient la place du Serre, puis tournaient au nord vers le portail Saint-Pierre, qui ouvrait sur la route de Saint-Jean de Fuzils et qui a été démolie en même temps que la première. De la porte Saint-Pierre, elles gravissaient le Puy par le quartier de Gelande, ceignaient la plus grande partie du plateau supérieur, puis descendaient au couchant vers la porte d'Autuelle, qui a subi le même sort que les autres. D'Autuelle, elles couraient au sud, puis au levant pour rejoindre la porte du Serre. A chaque angle saillant était une tour, plusieurs de ces tours existaient encore il y a quarante ans. La tour du Seigneur était « en tête du village ». La forteresse et la porte du Puy, qui en était voisine, semblent devoir être emplacées un peu au nord de l'église haute, dominant le quartier d'Autuelle, la tradition le dit ainsi, d'ailleurs.

Quand le commissaire royal eut pris possession du village, les consuls lui prêtèrent hommage et déclarèrent tenir du roi « les fonds et autres choses, lesquelles icelle communauté et iceux hommes et personnes singulières de Saint-Michel ont accoustumé de tenir sous la dominie et seigneurie des seigneurs passés de Saint-Michel ».

Ces seigneurs passés sont évidemment ceux qui, en 1242, s'étaient donnés à Raymond Berenger, en même temps que la commune, et qui depuis avaient disparu.

Cela fait, les consuls demandèrent de nouveau au com­missaire de jurer les franchises de Saint-Michel, contenues dans les actes de 1242 et 1243, que nous avons vus à leur date et dont le notaire donna lecture. Le commissaire consentit à toutes leurs exigences ; il jura, au nom de son maître, de respecter les privilèges, et tout fut fini.

Les choses se passèrent de même, sans nul doute, dans tous les autres villages ayant appartenu à Raymond d'Agout.

Le comte ne garda pas longtemps la Vicomté de Reillanne. Le 25 août 1410, il la céda à Pierre d'Acigné, grand sénéchal de Provence, au prix de 4,000 florins.

Après la mort de celui-ci, sa veuve, Hélène d'Enghein, la vendit, en 1428, à Louis de Bouliers, gentilhomme d'origine piémontaise, seigneur de Cental, en Piémont.

Louis de Bouliers prêta hommage en 1437. C'est lui qui, en 1423, quand Alphonse d'Aragon surprit et saccagea Marseille, avait commandé les troupes qui vinrent d'Aix et forcèrent l'ennemi à se rembarquer. (Bouche, tome II, page 447.)

La Vicomté , telle que l'acquit Bouliers, ne comprenait plus que Reillanne, Saint-Michel, Mane, Châteauneuf, Fontienne, Saint-Étienne et le Bourget. A diverses époques, Saint-Maime, Dauphin et Ongles en avaient été détachés. Villemus, Montjustin et autres lieux appartenaient à Jean de Villemus, issu des vieux Reillanne, qui, en 1468, les légua à son fils Jacques. Cette branche d'une noble maison existe encore de nos jours, tombée dans une condition très modeste, elle possède cependant quelques débris de son ancien fief de Montfuron. ( Dates de Forcalquier, 1468.)

De sa femme, Éléonore de Saluces, Louis de Bouliers eut plusieurs enfants. Son fils, Antoine-René, épousa Jeanne d'Agout, qui lui apporta la baronnie de la Tour-d 'Aigues. (Robert de Briançon.) Ce fut lui qui hérita de la Vicomté de Reillanne mais il mourut sans enfant, et la Vicomté passa, en 1511, à Louis II, fils de son frère Jean-Louis.

Louis II vendit la Vicomté à ses trois frères puînés. Ceux-ci se partagèrent Reillanne et prirent le titre de Co-Vicomtes, et en même temps ils se cantonnèrent dans les villages qui en dépendaient encore, André fut seigneur particulier de Saint-Michel, Philibert de Mane, et Séion de Saint-Étienne. (Dates de Forcalquier, 1537.) Quant à Fontienne, il avait été vendu à Jourdan Tournatoris, qui en avait rendu hommage aux Bouillers, en 1479. (Dates de Forcalquier.) Nous verrons aussi le Bourget en d'autres mains.

Les trois frères furent mis en possession de Reillanne en 1519.

Saint-Michel, Mane et Saint-Étienne essayèrent encore d'échapper à la domination des Co-Vicomtes, prétendant n'avoir jamais appartenu à la Couronne et, par conséquent, avoir été cédés indûment par elle. Mais, en 1568, ils furent déboutés de leurs prétentions.

André de Bouliers était donc seigneur de Saint-Michel. Il semble cependant ne pas y avoir eu de château, car c'est dans la maison de Me Michel de Sebastiane, notaire, qu'il fit son testament, le 8 juin 1537. Dans cet acte, il se dit veuf de Lucrèce de Valpergue et s'intitule Vicomte de Reillanne et Seigneur de Saint-Michel, il lègue en faveur de ses trois filles, Louise, Aliènes et Magdeleine, et partage ses biens mobiliers par portions égales entre ses fils, Antoine, Gaspard et Balthasar.

Quant à ses fiefs, c'est-à-dire la Vicomte de Reillanne et Beaumont, il institue son fils aîné, Antoine, héritier, si le Parlement lui donne gain de cause dans le procès qu'il soutient contre son frère, le marquis de Cental, et autres détenteurs. Mais, dans le cas où il perdrait ce procès, il fait à Antoine plusieurs legs, dans Reillanne même, et laisse Saint-Michel à Gaspard et à Balthasar.

Enfin, il choisit pour exécuteur testamentaire François de Castellane, prieur de Saint-Michel. Parmi les témoins, figure noble Isnard Amalric, de ce village, d'une famille qui existe encore aujourd'hui

Par ce testament, nous apprenons que Louis II, après avoir vendu la Vicomte de Reillanne à ses frères, leur suscitait des difficultés relativement à Reillanne même et au lieu de Beaumont. Qu'advint-il ? Les trois acquéreurs furent-ils évincés? Nous l'ignorons. Mais nous savons qu'André eut pour successeur à Saint-Michel son fils aîné, Antoine.

Celui-ci, à la date du 2 novembre 1590, fit donation de ses biens à son fils Gaspard.

Il y avait, à cette époque et depuis le XIV ème siècle au moins, dans le terroir de Saint-Michel, une grande et belle tour gothique qui existe encore aujourd'hui. Elle est connue sous le nom de Tour de Porchères. Cet énorme donjon isolé, divisé en deux étages par des voûtes à berceau, avait été bâti dans une terre alodiale des Audibert, auxquels succédèrent les Valavoire, sans doute pour défendre les porchers de l'endroit et les ouvriers qui exploitaient des carrières de pierres des environs. Cette population semble avoir occupé un petit hameau dont on reconnaît les ruines au pied de la Tour.

Provençal de Valavoire vendit le domaine utile de son aleu, la Tour comprise, à un paysan nommé Vincent Achard, et, en 1417, il en céda la directe à noble Isnard Amalric, de Saint-Michel.

En 1538, M . de Bouliers érigea Porchères en arrière-fief, en faveur de Jean Candolle, avocat du roi à Forcalquier, sous la redevance annuelle d'une paire de gants sur un plat d'étain. Jean Candolle eut vite un successeur, car, le 30 mars 1542, M . de Bouliers donnait investiture à Jacques d'Arbaud, procureur du roi à la sénéchaussée de Forcal quier. Arbaud prit le nom de Porchères et le garda même quand, en 1550, Honoré Poésy, gendre de Candolle, eut vendu l'arrière-fief à Michel de Sebastiane et à son gendre, Esprit Laugery ou Laugier, greffier aux Soumissions. Laugier prit aussi le nom de Porchères. Le petit-fils de l'un et le neveu de l'autre, Honoré de Laugier-Porchères, né à Forcalquier en 1572, et François d'Arbaud-Porchères, né à Brignoles en 1590, cultivèrent les lettres et furent tous deux des quarante premiers de l'Académie française.

Honoré de Laugier avait une sœur, Hélène, qui épousa, en 1614, J.-A. de Berluc. La Tour appartient aujourd'hui à son descendant.

Il ne semble pas que la Tour de Porchères ait jamais été attaquée, et cependant, rien qu'à l'époque où elle appartenait à la famille d'Esprit Laugier, le pays était en feu et bien des bandes armées parcouraient les campagnes.

La Réforme et la Ligue divisaient villes et villages. En 1589, de Vins, chef des ligueurs, s'était emparé de Mane. La Valette , gouverneur de Provence pour le roi, vint dans la contrée, et, le 6 juin de cette année, il tint une assemblée des communes à Céreste et à Reillanne. Il s'empara alors de Montjustin, où les ligueurs avaient mis une petite garnison de vingt hommes ; il lui fallut faire un vrai siège, où furent tirés cent quarante coups de canon, et la place ne fut emportée qu'au troisième assaut, quand le commandant eut été tué. La position de ce village est si forte que, pour parler d'une chose difficile, qu'on espère cepen­dant réussir, on dit populairement depuis cette époque : « Mountjustin es ben esta prés. »

En 1591, la Tour de Porchères avait une garnison roya­liste, commandée par le capitaine Monjouy, qu'y entretenait la ville de Forcalquier, tandis que Saint-Michel tenait pour la Ligue.

En cette année 1591, La Valette s'établit à Sisteron et y appela la fraction du Parlement qui tenait pour le roi et qui siégeait à Manosque. Il s'empara de Lurs et, au mois d'août, de Saint-Michel. Il rasa les fortifications de ce village, et en dispersa les habitants. On estime qu'il y avait alors à Saint-Michel une population de 3,000 âmes. (Arnaud.)

La Valette fut tué, en 1592, au siège de Roquebrune, et le duc d'Epernon lui succéda. Les troubles devaient durer jusqu'à la conversion d'Henri IV, en 1593, et ne s'apaiser que lentement.

La seigneurie de Gaspard de Bouliers avait donc été fort mouvementée et troublée. Il semble avoir peu habité Saint-Michel et s'être dégoûté de ses biens de Provence. Le fait est que, le 18 juillet 1603, il vendit Saint-Michel à son cousin germain, Paul de Marin. Cependant il avait un fils, Alphonse de Bouliers, qui ne mourut qu'en 1669, sans laisser de postérité.

Depuis que la Vicomté de Reillanne avait été érigée, nous ne voyons pas qu'il s'y soit rien passé de bien parti­culier au point de vue ecclésiastique.

Cependant l'église de Saint-Jean de Fuzils cessa d'appar­tenir aux moines de Saint-André de Villeneuve ; elle fut unie, en 1455-56, au chapitre de Forcalquier, en même temps que le prieuré de Saint-Sauveur, situé vers Dauphin.

C'est la première fois que nous parlons de Saint-Sauveur, et pourtant cette église est ancienne; mais on ne sait absolument rien de ce qui la concerne. Un acte de 1746 dit que ce prieuré est si antique que l'érection en est ignorée, que l'on sait seulement que les prieurs avaient passé des baux amphitéotiques dès 1299, « sub ejus dominio et segnoria ». Un des motifs de l'union de Saint-Sauveur à Forcalquier fut que les bâtiments en étaient en ruines. Ces ruines mêmes ont aujourd'hui disparu.

Il existait aussi une chapelle ou oratoire de Saint-Sébastien, sur le chemin de Saint-Michel à Mane. Rien n'en est connu.

La communauté de Saint-Michel avait acquis la terre de Sylvabelle, près du Revest-des-Brousses, et en avait le domaine et la juridiction. En 1537, Olivier Perpini, prêtre de Saint-Michel, fut mis en possession du prieuré rural de Saint-Philippe et Saint Jacques, dans l'église à construire au terroir de Sylvabelle.

Saint-Paul était toujours dans le même état. En 1451, Georges Maurel, prêtre de Saint-Michel, en fut pourvu, à la requête de Louise de Forcalquier, dame de Villeneuve, et de Jean de Villemus, procureur du prieur de Carluc, patron du bénéfice.

Le 3 mars 1540, le prieuré de Saint-Paul fut donné à Melchior de Berluc, et les bulles furent annexées le 5 juillet 1541. Il céda sa place, en 1550, à son frère Jean, qui fut installé en même temps prieur de la chapellenie de Saint-Jacques et Saint-Philippe, que Saint-Paul possédait dans l'église basse de Saint-Michel. Peu après 1556, cette cha­pellenie fut transférée dans l'église haute paroissiale.

En 1559, Jacques de Saffalin obtint le prieuré de Saint-Paul et la chapellenie de Saint-Jacques et Saint-Philippe à l'autel de ces Saints.

En 1569, Antoine de Saffalin obtint provision de Saint-Paul mais, en 1580, Jean Aymin, prieur de Romigiers et vicaire général de Sisteron, se fondant sur l'incapacité du titulaire, nomma à sa place Jean Berluc, neveu du prédé­cesseur de Jacques de Saffalin. Ce fut l'origine d'un procès, qui dura longtemps et dont nous ignorons l'issue.

En 1505, Antoine d'Oraison était prieur de Saint-Michel. Est-ce là un moine de Saint-André, et l'abbaye possédait-elle toujours le prieuré ? Nous l'ignorons.

En 1630, Saint-Michel eut un monastère de Visitandines, et leur supérieure était fille de Paul de Marin. Voici ce qui en est dit dans la Vie de Sainte de Chantal, écrite par P. Bois, curé de Noyers (Avignon, 1751) :

« L'évêque de Riez avait attiré les Visitandines dans sa ville épiscopale. La peste de 1630 les réduisit à la famine. Leur supérieure était fille de la baronne de Saint-Michel. Elle mena ses sœurs à Saint-Michel, au Château. Pendant ce temps, la peste s'abattit sur Forcalquier et y fit périr 2,000 personnes. Les magistrats firent alors le vœu de fonder dans leur ville, si Dieu la délivrait, un couvent ou d'Ursulines ou de Visitandines. Après la disparition du fléau, ils restèrent longtemps à fixer leur choix, enfin, après deux ans d'hésitation, sur l'avis d'un saint Récollet, ils demandèrent des Visitandines.

La Sainte de Chantal, alors à Annecy, destina à cette fondation les sœurs réfugiées à Saint-Michel. La marquise de Janson alla les chercher et les conduisit triomphale­ment à Forcalquier, le 7 mars 1633. Le prévôt, les consuls et les principaux habitants allèrent au devant d'elles et les conduisirent à la concathédrale, où fut chanté le Te Deum, et de là à l'Hôtel-Dieu, où elles demeurèrent jusqu'à ce que, dix-huit mois après, elles s'établirent au faubourg. »

Pendant leur séjour de trois ans à Saint-Michel, les filles de la Visitation habitèrent le Château mais ce ne fut sans doute qu'à leur arrivée et provisoirement, car on croit qu'elles s'étaient établies dans la maison que possède actuellement la famille Pary, maison qu'une tradition appelle le Couvent et dont une pièce, servant aujourd'hui de cuisine, paraît avoir été une chapelle.

De l'église de Mane, nous ne savons rien, si ce n'est qu'en 1590 le vicaire s'appelait David Gautier.

Nous avons vu Gaspard de Bouliers vendre, en 1603, sa seigneurie à Paul de Marin. Les Marin étaient de Saint-Michel, au XVIe siècle, y vivait Jacques Marin. Son fils Antoine acquit, en 1569, la seigneurie d'Aubenas : il avait pris du service et portait le titre de capitaine, sans doute comme tant d'autres qui guerroyèrent pendant les troubles de la Réforme.

Antoine eut un fils, Paul (Robert de Briançon), qui épousa, le 18 décembre 1597, Diane d'Arnaud-Miravail. Seigneur d'Aubenas, il eut l'ambition de devenir seigneur de Saint-Michel, où il faisait sa demeure, et il l'acheta au prix de 15,600 livres.

L'acquisition fut accidentée.

On savait que Gaspard de Bouliers était disposé à vendre sa seigneurie. La commune, toujours préoccupée du désir d'échapper à ses seigneurs, pensa à profiter de ses dispositions et à lui acheter ses droits. Mais elle n'avait pas d'argent. Les habitants chargèrent Paul de Marin, leur concitoyen, de leur en procurer. Paul de Marin affirmait plus tard que lui-même leur avait donné le conseil d'emprunter. C'était en avril 1603. Sur le mandat que lui donna la communauté, il se rendit à Marseille et à Aix, pour négocier cet emprunt.

Il dit qu'il n'avait pas trouvé, les habitants prétendirent qu'il n'avait pas cherché.

Quoi qu'il en soit, il revint à Saint-Michel vers le 15 avril, déclara qu'il n'avait rien pu faire d'utile, et la commune renonça à son projet. Trois mois après, Paul de Marin se rendit en Piémont, auprès de Gaspard de Bouliers, et acheta la seigneurie pour son propre compte.

Il était sans doute assez embarrassé pour expliquer sa conduite. On raconte qu'il donna un grand dîner, mit les conseillers en belle humeur par des libations abondantes et, quand il les vit en bonne disposition, leur déclara qu'il était leur seigneur. Il fut acclamé. Quelques-uns seulement regimbèrent, on dit qu'il les bâtonna. En fait, il fut accepté et entra paisiblement en possession.

Il n'habitait pas toujours Saint-Michel, en 1629, il était viguier de Marseille pour le roi. (Ruffi, tome II, page 227.)

Les choses finirent par se brouiller. En 1630, les habi­tants de Saint-Michel refusèrent à Paul de lui prêter hommage et lui dénièrent ses droits seigneuriaux. Il s'ensuivit une transaction conclue entre la communauté, d'une part, et, d'autre part, Paul de Marin et son fils André, auquel son père avait cédé la seigneurie.

Paul de Marin avait eu de Diane d'Arnaud : Melchione, qui, le 3 mars 1633, épousa Jean d'Agout, seigneur d'Angles ; une fille, que nous avons vue Visitandine, et aussi, sans doute, une troisième fille, Lucrèce, qui était abbesse de Saint-Jean, monastère de Bénédictines à Cavaillon, en 1652, 1658 et 1668. Il eut également deux fils : Annibal, qui, en 1664, était prieur de Saint-Michel, de Saint-Paul et de Dauphin, et André, qui, comme nous venons de le voir, lui succéda.

André avait épousé demoiselle de Guilhen-Montjustin ; en 1664, il était conseiller au Parlement.

En septembre 1644, il avait eu, à Avignon, un fils, François-Annibal, qui devint capitaine de galères et épousa, à Apt, Charlotte d'Autric. François-Annibal prenait le titre de baron de Saint-Michel. Il passa la fin de sa vie à Saint-Michel, jouissant de l'affection de ses vassaux. Il y mourut sans enfants, le 10 avril 1723. Son acte de décès dit de lui :

« Sa mort a été l'admiration de tout le monde, par sa résignation à la volonté de Dieu et par les sentiments de religion qu'il a fait paraître jusqu'à son dernier soupir, ses largesses de charité envers les pauvres, sa considé­ration pour tous ses sujets et l'accueil favorable avec lequel il se laissait aborder d'un chacun n'ont pu que le faire regretter de tous ceux qui avaient eu l'honneur de le connaître. » Signé : Laugier, prêtre.

A la mort de François-Annibal de Marin, la seigneurie, la baronnie de Saint-Michel passa à son cousin, André d'Agout d'Angles.

Par tout ce qui précède, on voit que la Vicomté de Reillanne était absolument démembrée: elle n'existait plus que nominalement.

Les derniers vicomtes de Reillanne.

Nous avons vu que Louis II de Bouliers, vicomte de Reillanne, avait vendu ses droits à ses trois frères, qui avaient pris simultanément le titre de covicomte et s'étaient cantonnés, l'un dans la seigneurie de Saint-Michel, l'autre à Mane, et le troisième à Saint-Étienne. Nous ne savons quelles avaient été les clauses, conditions et réserves de cette vente mais, dès 1537, la branche aînée demandait aux trois cadets, en Parlement, restitution de la Vicomté. Quelle fut l'issue de ce procès, nous l'ignorons. Toutefois, André, Philibert et Séion continuèrent à prendre le titre de covicomtes, et la descendance de leur aîné garda ses prétentions, peut-être ses droits.

Cependant qu'étaient devenus les anciens seigneurs de Reillanne, que nous avons vus dépouillés de leur domina­tion, au XIIIe siècle, par l'affranchissement des communes?

Leur race existait toujours mais, de leurs grands biens, ils n'avaient conservé que quelques villages. En 1489, Pons et Jean de Reillanne étaient encore seigneurs du Bourget, village maintenant détruit, qui était situé près du Largue, dans la direction d'Aubenas. Ils seigneuriaient aussi tous deux à Clamensane, acquisition nouvelle sans doute, au nord de Sisteron.

Pons est le dernier de cette branche aînée des Reillanne. Il avait épousé Louise de Bachis. En 1528, sa fille Isabeau se maria avec François Calvi, intendant du duc de Guise, et le contrat de mariage stipula que son fils aîné prendrait le nom et les armes des Reillanne. (Robert de Briançon.)

Ce fils naquit. Il s'appela Antoine. Sa mère fit pour lui, en 1560, hommage du Bourget. En 1571, Antoine était cosseigneur de Sainte-Croix, comme avait été son père, et il épousait Honorade de Castellane. En 1581, il devenait conseiller au Parlement.

Ses descendants portèrent tous le nom de Reillanne, et nous voyons, en 1631, Marc-Antoine Calvi-Reillanne s'in­tituler seigneur de Reillanne.

Et cependant des branches cadettes des vieux Reillanne existaient encore, les Villemus d'abord, et les Laincel, ensuite, à Saint-Michel, était une autre branche, qui avait gardé son nom, n'étant fieffée nulle part. En 1340, Rosse de Reillanne était chevalier de Saint-Michel. En 1387, il est fait mention de Rebaud de Reillanne, gendarme, conseiller de Saint-Michel. En 1439, Rémond de Reillanne était à Saint-Michel baile du seigneur, c'est-à-dire de M. de Bouliers. En 1442, le même était présent à un accord entre Louis de Bouliers et la ville de Forcalquier. Le dernier de cette branche, bien déchue d'ailleurs comme fortune, fut Esprit de Reillanne, qui mourut prieur d'Ardène, en 1687.

Les choses étaient ainsi, quand mourut le petit-fils de Louis II de Bouliers, à la fin du XVI ème siècle. Il avait gardé, nous l'avons dit, des prétentions sur la Vicomte, malgré la vente faite à ses grands-oncles. Il ne laissait que des filles, qui héritèrent de ces prétentions, de ces droits plus ou moins réels et effectifs. Quelque cinquante ans plus tard, François Calvi, fils de Marc-Antoine, acheta ces droits et devint par là vicomte de Reillanne. (Robert de Briançon.) Les anciens proprié­taires rentraient donc en maîtres à Reillanne, dans la personne de leurs substitués. Mais ce ne fut pas pour très longtemps ; après la mort de François Calvi, survenue en 1693, sa veuve, Alix de la Motte, vendit la Vicomte à Louis de Thomassin, évoque de Sisteron.

Voici donc de nouveaux vicomtes, ceux-ci seront les derniers.

Les Thomassin étaient d'une noblesse de robe, on peut voir leur généalogie dans Artefeui.

François de Thomassin avait eu d'Anne du Chêne : Jean-Baptiste, qui épousa demoiselle d'Arbaud, François, qui devint chanoine de l'Église d'Aix, et Louis, évêque de Sisteron, qui mourut, en 1718, doyen des évêques de France.

C'est ce dernier qui acheta la Vicomte de Reillanne. Mais alors la Vicomte ne consistait plus que dans Reillanne même; les derniers débris de ce petit État avaient été aliénés; Saint-Étienne avait passé des cadets de Bouliers aux Forbin-Janson ; Mane était tombé dans les mêmes mains, ainsi que Châteauneuf, que les consuls de Mane avaient acheté, au XVIe siècle.

Laurent de Forbin prêta hommage pour Mane, en 1673, Joseph de Forbin, en 1696; J.-B. Henri, en 1719; Michel, en 1639. Les Forbin devaient rester à Mane jusqu'au moment où ils furent obligés d'émigrer. En 1719, ils con­struisirent, dans le territoire de Châteauneuf, le beau château de Sauvan, qu'ils n'eurent pas le temps d'achever.

Quant à Saint-Michel, nous avons vu qu'il appartenait, depuis 1603, à la famille de Marin et qu'à la mort du dernier de Marin, François-Annibal, en 1723, la baronnie avait passé aux d'Agout d'Angles.

D'après Robert de Briançon, cette famille est issue de Fouquet Vincens, seigneur de Rognes au XIV siècle. Fouquet Vincens était filleul de Fouquet d'Agout, qui, pour lui témoigner sa bienveillance, lui donna le droit de porter son nom. Ces Vincens d'Agout devinrent seigneurs d'Angles, village des Alpes, au milieu des montagnes qui séparent le Verdon du Var. Un descendant de Fouquet Vincens, nommé Jean, épousa, en 1633, Melchionne, fille de Paul de Marin et de Diane d'Arnaud de Miravail. De ce mariage naquit Antoine, qui, marié en 1683 à Magdeleine de Desidery, eut un fils appelé André. Celui ci recueillit, en 1723, la succession de François-Annibal de Marin, son cousin, et devint baron de Saint-Michel.

Le nouveau seigneur était au service du roi ; nous le voyons, en 1725, capitaine dans Toulouse-Infanterie. Il se maria, en 1727, avec Magdeleine de Dauvet de Grand'Maison, dont il eut plusieurs enfants, entre autres Charles-César, qui continua sa descendance, et Louis Fouquet, qui succéda à son père comme baron de Saint-Michel.

Louis Fouquet était, en 1778, aide-major aux Gardes françaises et capitaine aux Gardes du prince de Condé. Il se battit en duel avec ce prince pour une histoire de galanterie. Cette affaire ne l'empêcha pas de faire son chemin, et, en 1784, il était brigadier des camps et armées et colonel d'infanterie. Pendant la Révolution, il émigra, ses biens furent saisis et vendus, en l'an III, son château de Saint-Michel, situé sur la place de l'église inférieure, fut mis aux enchères, divisé en plusieurs lots. Le seigneur de Saint-Michel ne revit plus la France, il mourut en émigration, en 1813.

Son frère, Charles-César, était capitaine de vaisseau. Il se maria en 1774, et, vers 1776, il eut, à Brest, un fils, qui fut nommé Charles-César-Marie. Il paraît avoir quitté le service au moment de la Révolution, car nous le voyons, en l'an III, se porter adjudicataire du deuxième lot du château de la famille, en prenant la qualité d'agriculteur de Saint-Michel. Mais il ne resta pas dans ce village et se fixa à Manosque, où il demeurait en l'an X.

Cette année, il donna procuration à sa belle-sœur, Charlotte, veuve de Louis-Annibal, baron d'Agout, vivant général de brigade, pour, en son nom, consentir au mariage de son fils Charles-César-Marie, avec Lucie-Philippine Desvieux, fille d'Étienne-Dominique Desvieux, mort général de brigade, et de Charlotte Chernot. Charles-César-Marie était baron de l'Empire et demeurait à Apt ; Melle Desvieux habitait le château de Blanville, près Chartres.

De ce mariage devait naître Charles-Marie-Alfred, qui, marié en 1842, a eu deux enfants : Louis-Charles-Marie Fouquet et Lucie-Marie, mariée, en 1861, au comte du Chayla.

L'histoire de Saint-Michel est finie, car, sous le régime actuel, les villages n'ont pas d'histoire, ils sont absorbés par les grandes villes, presque dépeuplés, il ne s'y passe aucun événement, et ils n'ont plus aucune illustration.

Il nous reste cependant à voir ce qui était survenu dans l'église de Saint-Michel sous la seigneurie des de Marin et des d'Agout.

Nous savons qu'en 1611 le prieur s'appelait Deymini.

En 1728, François de Thomassin, frère de l'évêque de Sisteron, sous-diacre d'Aix, était prieur de Saint-Paul, il résigna ce bénéfice, qui fut conféré par le vice-légat à Jean-François Arnulphi, prêtre d'Aix.

En 1783-1784, le prieuré de Saint-Paul appartenait à Jean-Joseph-Mître de Leydet, prévôt de Sisteron, oncle du général de Leydet.

Mais le pauvre prieuré était dans un triste état, les prieurs, non tenus à la résidence, l'avaient laissé tomber en ruines, et, quand la Révolution éclata, l'église même n'était plus propre au culte.

En 1791, les biens et dépendances de Saint-Paul furent vendus nationalement et achetés par Jean-Joseph Savy, chirurgien de Saint-Michel. Ils consistaient en : l° un petit bâtiment en ruines, où logeait « ci-devant un hermite » 2° une chapelle négligée et interdite, avec un autel en pierres, en mauvais état, et un tableau déchiré au nord et au midi, existaient des vestiges d'anciennes constructions 3° un jardin à côté du bâtiment; 4° enfin diverses terres.

La chapelle de Saint-Paul était à la garde d'un ermite et interdite. C'était l'abandon complet, et la République avait peu à faire pour achever la destruction. Cependant les vieux murs ont résisté, et, après cent ans de profana­tions, la petite église a été rendue au culte.

A Saint-Michel, quand le culte fut interdit, le curé, M. Sicard, partit pour Auxerre (Yonne). Des vicaires, l'un, Jean des Abeilles, se réfugia à Sainte-Croix-à-Lauze, dans la maison Arnaud, l'autre, Guillaume, resta à Saint-Michel, caché dans la maison Richaud, sur la place. Des actes de baptême de 1801 sont signés par lui.

Les derniers curés de Saint-Michel sont :

M. Bonierbale, nommé le 27 juillet 1834.

M. Tellier, nommé le 21 juin 1841.

Quand l'évêque enleva M. Tellier de Saint-Michel, les habitants, irrités, se firent tous protestants.

M. Blanc, nommé le 4 mars 1850. Il ne put ramener les rebelles et dut quitter la paroisse.

M. Martin, nommé le 24 janvier 1851. Il réussit par sa charité et son dévouement à se faire accepter par la popu­lation et bientôt à s'en faire aimer. Il chassa les protes­tants. Il mourut curé de Saint-Michel et fut enterré au cimetière du village.

M. Isoard, nommé le 2 février 1857.

M. Signoret, nommé le 6 septembre 1874.

M. Basset, nommé le 15 février 1885.

M. Rousset, nommé le 1er février 1895.

 

De R.

Texte édité par "Les Annales des Basses Alpes" de 1899

 

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