De Céreste à Reillane

Tome XII des Annales des Basses-Alpes

Nouvelle série

1905-1906

Nous allâmes visiter, en 1900, une partie du canton de Reillane (Basses-Alpes), en remontant la fertile vallée du Caulon.

Monté, le 4 juin, à 8 heures 13 minutes, dans le train d'Apt à Volx (ligne inaugurée en 1890), nous descen­dons à la station de Céreste. Le temps est très beau, et malgré une légère brise soufflant du nord-ouest, le brillant soleil nous promet une journée de chaleur.

Le village de Céreste, situé au bout d'une plaine, sur la route nationale no 100, s'élève sur une éminence à 390 mètres d'altitude; c'est évidemment l'ancienne «  Catuiaca », dont il est fait mention dans l'itinéraire d'Antonin. On trouve à peu de distance deux ponts de construction romaine, et il existe, au milieu du village, un fossé appelé «  Catuce », ce qui est bien une corruption de « Catuiaca ». « L'ancien monument, connu sous le nom vulgaire de Touré d'Embarbo, placé sur l'antique voie romaine, paraît avoir été élevé par Domitius Ahenobarbus, consul romain, l'an 122 avant Jésus-Christ, après sa grande victoire sur les Allobroges et les Arvernes. On a découvert, dans un lieu appelé la «  Chapelle de Saint-Martin », des tombeaux romains et une tablette de pierre grenue, cassée par le milieu et portant une inscription. On trouve aussi, à deux kilo­mètres au nord-est de Céreste, les ruines considérables d'un ancien monastère, qui fut détruit par les barbares dans le IX ème ou le Xème siècle. » (Abbé J.-M. Féraud.) En 1321, Matheline d'Oze, femme de Gauchier de La Roque, seigneur de Ceyreste, rendit hommage pour ses terres au roi Robert.

Le vieux château presque ruiné domine le village. Ce château appartint, au XVème siècle, à une branche de l'illustre famille de Brancas, un mur d'enceinte enferme le vieux Céreste, avec ses ruelles étroites, montantes, silencieuses, quartier presque délaissé, mais propre. Une petite porte paraît dater du XIVème siècle. La partie neuve est bâtie sur un large boulevard qui s'étend à l'ouest du château, là sont les cafés, la gendarmerie, l'hôtel Revest, donnant sur une petite place, à deux pas de l'église. Celle-ci, assez spacieuse, ne fut construite qu'au dernier siècle, placée sous le vocable de Saint-Michel, titulaire de la paroisse, dont la fête se célèbre le 29 septembre, elle possède trois nefs, elle a remplacé une ancienne chapelle située au centre du village, à l'endroit appelé encore Chapelle de Saint-Joseph, on voit aussi, au bout d'une avenue bien ombragée et en pente douce, la vieille chapelle des pénitents blancs et celle de Saint Georges, près du Caulon. « La cure de Céreste, dit l'abbé Féraud, fut érigée en 1618, son prieuré appartenait aux chanoines de Saint-Victor de Marseille, à qui Laugier d'Agoult, évoque d'Apt, en fit donation en 1103.... »

Quoique le pays soit essentiellement agricole, il y a un peu de commerce et assez d'aisance. Le village, peuplé de 1051 habitants, domine le cours de l'Encrême, dont la source est au Grand-Logis, grossi à gauche du torrent de l'Aiguebelle, il va se jeter, à deux kilomètres en aval, dans le Caulon.

Dans ses armoiries, Céreste porte : d'or, à une croix vidée, cléchée et pommetée de gueules, en souvenir des comtes de Forcalquier alliés aux de Sabran. Céreste a vu naître : le célèbre médecin Charles Barbeyrac, né en 1629, mort à Montpellier en 1699, et Sollier, professeur de philosophie au collège d'Apt, puis supérieur du grand séminaire d'Avignon, où il mourut le 2 décembre 1838 (1).

Parti de Céreste à 10 heures et demie pour Montjustin, à trois kilomètres au sud-est, on commence bientôt à gravir la colline dirigée ouest-est, à cheval entre les deux vallons de l'Encrême et d'AiguebelIe, à cette heure, il est pénible de grimper

Par un chemin montant, très pierreux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé.

Après cinquante minutes d'ascension, on parvient à Montjustin, ayant monté de 350 mètres à 609 mètres environ. Sur la crête même de la colline rocheuse, se groupent quelques masures à demi ruinées, dont les noires toitures sont exposées à la rage des vents, en revanche, la vue est fort étendue vers tous les points de l'horizon, surtout au nord, sur les hauteurs de Revest, de Banon, de la Lure. Voici, au couchant du village, l'humble chapelle romane, basse, obscure et fraîche : elle est dédiée à Notre-Dame des Neiges et a Saint-Laurent pour patron : on y achève en ce moment une messe de mariage, nous avions déjà vu dans la matinée, sur le boulevard de Céreste, défiler une autre joyeuse noce. Le modeste logis qui sert de mairie s'abrite au coin d'une petite place exposée au bon soleil du midi. Le territoire de cette commune, de 144 habi­tants, est assez fertile, on y récolte du blé, des légumes, assez de fruits.

(1) On a, aux archives des Bouches-du-Rhône, vingt lettres des consuls de Céreste-lès-Apt, dont l'une, du 15 février 1763, disant que la recherche des biens francs de taille serait trop coûteuse, car les titres à compulser « viennent de loin, sont en latin, et il faudrait faire venir un déchiffreur du dehors.... » une du mois d'avril 1790, demandant si les cabarets et auberges doivent être fermés pendant la grand'messe, ou si ce temps n'est pas compris pour le temps des offices .......... »

Un fait historique s'y passa au temps de la Ligue, en 1589 : « Le duc de la Valette se rendait avec son armée à Beaumont pour en faire le siège. Passant près de Mont­justin, il voulut y faire reposer sa troupe, les habitants, craignant d'être rançonnés, excités en outre par les discours d'un soldat natif de Rians, que le sieur de Biosc y avait mandé la veille, fermèrent leurs portes et se préparèrent à la défense. La Valette irrité commence aussitôt le siège du village et s'en rend maître le même jour, malgré les prodiges de valeur des assiégés. Le village fut détruit et rasé, l'église démolie, les habitants furent passés au fil de l'épée et trente pendus aux rem­parts pour inspirer plus de terreur aux survivants fugitifs. Les fruits de leur territoire furent vendus, et le produit de cette vente fut versé entre les mains du trésorier des guerres. Ce siège mémorable donna lieu au proverbe provençal : «  faou si rendre, Montjustin si rendet. » Montjustin porte : D'argent, à une bande de sinople, coupé de sinople, à un éléphant d'or.... (l). Nous descendons par un sentier rapide, nous dirigeant au nord-est vers Reillane, laissant à gauche le château du Pavillon, à M. J.-B. de Salve, est-ce un parent de M. Ernest de Salve, de Valensole, l'ancien recteur d'Alger? Reillane étant à un kilomètre de distance de la gare, il nous faut une heure et quinze minutes de marche pour traverser cette riche vallée, où l'œil se promène sur les terres labourables, plantées d'amandiers, de mûriers, de vignobles.... Sur la route nationale, on passe devant l'an­cienne auberge de «  la Garde-de-Dieu » chez Jean, auberge de sinistre mémoire comme le montre ce dicton connu dans les Basses-Alpes : « Diou te gardé de la Gardo de Diou. »

(1) En 1673, Montjustin relevait de la seule directe de messire Arnaud de Guillen, de Salle, seigneur dudit lieu, pour cinq parts, et, pour la sixième part restante, du sieur baron de Ceyreste.

A un pont, l'on tourne à gauche, la sonnerie d'une cloche signale le voisinage d'un couvent de Bernar­dines, qui dépendent aujourd'hui de l'abbaye de Sénanque, près de Gordes, il nous faut, de la gare au bourg de Reillane, gravir durant quinze minutes la route enso­leillée, il est une heure quand nous touchons aux premiè­res maisons : il faut encore grimper par d'étroites ruelles, parfois d'une propreté douteuse, une fois sur le Cours, rien de plus empressé que d'aller nous reposer et déjeuner au café hôtel du Cours....

Reillane (qui, pendant les trois derniers siècles, s'appela Rillane, en provençal «  Rayano », est bâti sur le penchant d'une petite colline, sur la ligne de partage des eaux de la Largue et du Caulon, à 610 mètres d'altitude, ce chef-lieu de canton possédait 1,500 habitants en 1844, le dernier recensement n'en relevait que 1,350, avec le hameau des Granons et les nombreuses bastides, le Vallon, l'Ou­vrière, etc.

A l'époque celto-ligure, ce fut le centre de quelques habi­tations, sous les Romains, «  Reillania » (Reliana, Radiana, Rilhonia) devint cité et marché, on a trouvé dans ses environs deux inscriptions tumulaires. Au moyen âge, le pays fut ravagé par les Sarrasins, les Lombards, les Saxons et autres barbares, ce qui explique la situation du bourg, plus facile à défendre sur une haute colline. Il est fait mention de Reillane dans une bulle du pape Grégoire VII, à la date de 1084, dans celles de Calixte II, de l'an 1125, et d'Innocent III, de l'an 1204, qui toutes sont relatives au monastère de Saint-Benoît, dépendant de l 'abbaye de Montmajour, établi au quartier de «  Carluec ». Au XIIIème siècle, les Templiers obtinrent de beaux domai­nes dans son territoire, ceux qu'ils avaient au quartier du é Riou-dou-Pas » furent érigés en chapellenie sous le titre de Saint-Suffren. » Une charte du 23 février 1259 nous apprend que l'écuyer Raymond de Reillane, procu­reur de la communauté, fit donation à Reynaud d'Erviac, vicaire du comté de Forcalquier, de tous les droits de cette communauté sur le consulat, cette charte, signée par un grand nombre de témoins, fut dressée à Reillane dans le cimetière de l'église de Notre-Dame. En 1324, hommage fut rendu au roi Robert par Rogier et Isnard de Reillane pour « l' affar » de Reilhane.... Dès lors, les comtes de Provence favorisèrent Reillane, la reine Jeanne l'érigea en vicomte, par lettres patentes données à Naples, le 28 mai 1378, en faveur du marquis de Corfou, plus connu sous le nom de Fouquet ou Foulques d'Agoult En 1536, messire François de Reillanne fit hommage pour ce vicomte, Isabeau de Reillanne, pour partie de Sainte-Croix de Lauze et du Bourguet

La transaction du 19 septembre 1671 régla définitivement les droits respectifs des habitants et des seigneurs de Reillane.

Reillanne

Pendant les troubles de la Ligue, cette ville fut prise et reprise par les protestants et les catholiques. Son château, situé dans l'endroit le plus élevé, était très fort, une vaste enceinte de murailles flanquées de plusieurs tours, dont une surtout d'une solidité à toute épreuve, en protégeait la défense, ce château et ses murailles furent détruits après la Ligue. On trouve aussi de ce côté les ruines d'un vaste édifice, depuis plusieurs siècles abandonné : c'était l'ancienne église paroissiale de Saint-Pierre.

La paroisse de Reillane est desservie par un curé et un vicaire : elle comprend les deux communes de Reillane et du Bourget. Son église, située vers le bas du cours, sous les titres de l'Assomption (fête le 15 août) et de Saint-Pierre, apôtre, remonte à l'an 1200, suivant un millésime placé dans la voûte du côté du couchant, large et pro­fonde, elle a trois nefs assez régulières, datant du début de l'ogive. Elle a aussi une autre fête, celle de saint Mittre d'Aix, pour la Pentecôte. Sur le haut d'un rocher, s'élève aussi la chapelle de Saint-Denis de Paris, patron du lieu, où l'on célèbre les offices du jour de sa fête, le dimanche après le 9 octobre, près la porte du Midi, est encore la vaste chapelle de Notre-Dame de Pitié, à l'usage de l'antique confrérie des pénitents blancs, qui de temps en temps sortent en procession pour implorer la pluie.

Les produits du pays consistent en blé, foin, vigne, pommes de terre, amandes, laines et bestiaux, et aussi quelques truffes : telle ferme des environs en vend annuel­lement pour 2,000 francs. L'air y est pur, les eaux sont salubres et abondantes, la température est assez douce, ce qui explique la présence de quelques oliviers sur la colline qui règne au midi de la vieille ville. Au pied de cette colline, s'abrite le joli château de Pinet, la partie nord du territoire produit du blé d'une qualité supérieure et l'un des plus fins de la Provence. Cette partie est terminée par un bois appelé «  lou Pati » (altitude : 727 mètres, signal), qui fut jadis une belle forêt.

Reillane, dans ses armoiries, porte : d'azur, à un soc de charrue d'argent, posé en pal et accosté en chef de deux fleurs de lis, du même. Reillane est la patrie de : Raimbaud de Reillane, nommé archevêque d'Arles en 1030, mort en 1067 dans le monastère de Saint-Victor de Mar­seille, Magnan Dominique, né en 1731, de l'Ordre des Minimes, qui professa avec succès la théologie à Avignon, puis à Marseille ; archéologue distingué, il s'était formé un beau cabinet de médailles et d'inscriptions, ce célèbre numismate mourut à Florence, en août 1796....

Rappelons quelques autres faits historiques relatifs aux localités visitées.

En 1323, le fouage à Reillane était de 337 feux, il y avait aussi des prestations en nature. En 1342, les revenus de la Cour, dans la viguerie de Forcalquier, étaient, à Reillane, de 13 sols et 6 deniers en argent, 4 setiers de seigle. En 1354, Bertrand Gras, de Reillane, fut clavaire d'Arles, sous la viguerie de Boniface de Reillane. En 1358, la Cour avait droit, à Reillane, « à la troisième partie des amendes et à une redevance de 1 setier d'avoine et 12 deniers coronats, payée par tous ceux qui ont leur domicile dans la localité....»

Les consuls, A. Rancé et Devoulx, déclarent, le 25 mars1691 , que « la communauté ne possède aucun droit de glandage, pâturage, chauffage, autre que le bois « deffens » du terroir appelé le «  Paty » avec chênes blancs de haute futaie et un autre moins important.

Le 18 janvier 1789, le conseil de Reillane assemblé dans la maison de ville, à la requête de M. Michel-Ferréol Martin, notaire, et du sieur Estienne Megi, maire et con­suls modernes, a député à Aix M Clément-Guès Isnard, notaire royal, maire en 1788.

Sous la révolution, Vial André, curé de Céreste, ayant refusé, avec ses vicaires, de prêter le serment constitu­tionnel, fut saisi près de Viens par les patriotes de Manosque, traîné aux prisons de cette ville et pendu dans la nuit du 5 août 1792, on nomma à cette cure Veyan, puis Clément, vicaire assermenté. Le curé de Montjustin, Antoine Estachon, prêta serment, se démit de ses fonctions, se retira à Reillane, où il fut, en l'an III , pensionné à 1,000 livres, il revint à Montjustin en l'an VII, où l'évêque le prit pour le nommer curé de Lincel. Pierre Bedos, curé de Reillane, et ses vicaires prêtèrent serment le 13 février 1792, dans la forme ordinaire, un de ses vicaires, Joseph Isnard, déposa ses lettres d'ordination le 10 germinal an II et resta à Reillane, où il était, en l'an III et en l'an VII, pensionné à 800 livres. Marsan Pierre-André, vicaire à Sainte-Tulle, fut nommé plus tard curé à Montjustin.

A 2 heures 50 minutes, nous redescendons cette riante vallée de l'Encrème, toute parfumée des fleurs d'acacia, de genêt, de thym et de cent fleurettes écloses en ce gentil mois de juin, qui est le vrai printemps dans ce pays semi- montagnard. Le train descendant nous ramenait à la halte d'Apt, avant 4 heures ......

Jacques DELMAS.

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