Tiré des Annales des Basses Alpes, tome 22.

Rosette de Reillanne

Quelle femme que celle-là ! Certes, on peut le dire ce n'était pas une de ces petites dames qui passent leur journée à se farder ni de ces bavardes qui n'ont jamais fini de dégoiser. Rosette était une de ces gaillardes, de ces infatigables qui mettent la main à tout. Elle était tout ce que vous voudrez : lessiveuse, garde-malade, jardi­nière, balayeuse de l'église, sonneuse de la grande cloche de Saint-Denis, appelée la « Sauve-terre », quand l'orage menaçait de tout saccager, mais surtout, disons le, ce qu'elle aimait, c'était de piocher les pommes de terre et les choux de Monsieur le curé et de biner ses épinards.

Aussi, chaque fois que, par suite de décès ou de changement, on déménageait au presbytère, Rosette, dont les narines n'étaient pas si délicates pour craindre la grande poussière, aidait à l'emballement de toutes choses et, en dédommagement de sa peine, elle pouvait choisir dans le petit mobilier ce qui lui plaisait : croix, tableaux, statues, bénitiers... que sais-je?...

Mais, durant quatre-vingts ans qu'elle vécut, il en passa des curés à Reillanne, tellement que dans sa maison de la Grand'rue, la chambre de Rosette était devenue une sorte de musée.

Quand elle était malade, du fond de son lit, elle prenait plaisir à faire le voyage autour de sa chambre, comme l'autre, et à tous ceux qui venaient la voir, elle ne manquait pas de leur raconter la provenance de tout le bazar amoncelé sur sa cheminée, éparpillé sur son bahut, ou suspendu au mur.

« Cette croix, disait Rosette, était du curé M. Amoureux qui parlait si bien le provençal, chaque dimanche, en chaire. Cette Sainte-Vierge était du vicaire, M. Fayet, qui jouait du violon comme un ange, un ange barbu d'Aubenas qui en a deux sur son maître-autel. Ce Saint- Joseph vient de M.Pioute, qui, il vous, en souvient, radoubait les membres cassés, sans causer aucun mal, même à la bourse. Ce bénitier, je le tiens de M. Coubet qui avait de si nombreux neveux et nièces, pêchère ! Ce saint Antoine, si joli, c'est le chanoine Saturnin qui me le donna, l'année où, sonnant à Saint-Denis pour écarter l'orage, la foudre, me renversa, elle aurait du m'écraser, et elle ne me fit que quelques égratignures!» Chaque objet, comme vous le voyez, avait chez elle son histoire et il fallait l'écouter, sinon Rosette vous, décochait une de ces apostro­phes qui vous rendaient attentifs...

- « Vous avez tous les Saints du Paradis dans votre maison ! Par exemple, vous êtes en bonne compagnie !» lui dit un jour sur un ton moqueur, Monsieur Jaume, médecin, à Manosque, qui était venu la voir malade .

« Si je n'avais pas mon coquin de mal, je ne serais pas à. plaindre dans ma petite maison », lui répliqua Rosette, non sans humour.

Mais le mal empirant, il fallut la transporter à. l'hôpital de Manosque. Or, il arriva que le docteur Jaume faisait précisément son mois de service dans cet établissement si bien ensoleillé et si bien tenu, par les bonnes sœurs de

Saint Charles. En passant devant son lit, voilà qu'il reconnut : - « Tiens! Vous voilà, Rosette ! s'écria. M. Jaume.
" Comment avez-vous pu vous décider à quitter Reillanne. Du Paradis vous êtes tombée en Purgatoire. Mais alors tous vos saints et vos saintes de la maison ne vous ont point guérie? » - .

« Vous avez deviné juste, Monsieur le Médecin, lui lança Rosette, piquée au vif. Aujourd'hui, me voici en Purgatoire ! C'est vrai, mes saints et mes saintes ne m'ont pas guérie ! Non, mes saints et mes saintes ne m'ont pas guérie ! Mais, Monsieur le Médecin, sachez du moins qu'ils ne m'ont rien fait payer! »

Le Félibre de Saint-Maxime

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