Robespierre Jeune dans les Basses-Alpes

Le 13 août1793, dans la soirée, la place du Champ de Mars, aujourd'hui place du Bourguet, présentait plus d'animation que de coutume. Le courrier de Paris venait d'arriver et avait apporté de graves nouvelles de la capitale. Aussi les promeneurs étaient nombreux de ce côte. L'enceinte de la ville s'arrêtait alors, sur ce point, au-dessous de l'emplacement actuel de la fontaine, en face la rue Mercière, et la place du

Champ-de-Mars était, en même temps qu'un lieu de promenade, l'une des principales entrées de l'enceinte fortifiée de Forcalquier.

Il était un peu plus de huit heures et demie la journée avait été chaude, et, après le dernier repas d'un jour d'été, tout bon Bas-Alpin se plait à respirer à pleins poumons la brise du soir. Le ban et l'arrière-ban des Forcalquiérois se trouvaient donc réunis et l'on causait, par groupes, des

événements politiques si passionnants à cette heure de tourmente révolutionnaire.

Dans un cercle composé de personnes dont les sympathies étaient acquises au parti de la Montagne , un membre du Conseil communal parlait avec animation de la fête qui avait eu lieu à Sisteron en Mai dernier, à l'occasion de la venue des représentants Barras et Fréron. Il expliquait la chasse fuite aux royalistes, aux feuillants, et donnait tous les détails d'une cérémonie importante dans laquelle le peuple de Sisteron, après avoir manifeste son horreur pour la tyrannie, avait jure de donner la mort à quiconque tenterait de porter atteinte à l'unité et à l'indivisibilité de la République. Ce serment, accompagne de cris de joie et d'acclamations, avait été prêté en présence des représentants

Barras et Fréron et au bruit du canon de la place.

Ce même personnage racontait encore que, dans cette même ville, les citoyens Barras et Fréron avaient fait lacérer et livrer aux flammes, devant la porte de leur logement, le drapeau du bataillon de Chasseurs N. 2, qui portait dans ses plis, écrit en gros caractères, le mot:CONSTITUTION. Un autre drapeau avec l'inscription: REPUBLIQUE FRANÇAISE, avait été remis solennellement à la garnison de Sisteron, et le narrateur ajoutait, avec le plus vif accent de sincérité, que tous, citoyens et soldats, avaient chanté ensemble et à genoux dans la rue, au milieu de l'enthousiasme général: AMOUR SACRÉ DE LA PATRIE. Ces faits étaient véridiques.

A côté de l'Eglise, dans un autre groupe où l'on remarquait François-Mari Reymond, boulanger ; Claude Viol cordonnier; Antoine Siméon, taillandier ; Elzéard Gouvan, broquier ; Jean-Honoré Arnoux, aubergiste; Joseph Lauthier, agriculteur; François Remy Sicard, chapelier ; Louis-Balthazar Nicolas, trompette ; Mari Monier, cordonnier: Alexandre Lucet, Jean Bonnefoy, agriculteurs, la question des subsistances qui était, au siècle dernier, le cauchemar des populations aussi bien que des gouvernements, était chaleureusement discutée à haute voix. L'un d'eux

constatait avec tristesse que dans les Alpes le pain mélangé avait atteint le prix de dix sous la livre et le pain blanc douze sols.

II n'y avait qu'une voix pour se répandre en injures contre les accapareurs qui obligeaient les malheureux campagnards à se nourrir de pommes de terre.

Enfin plus loin, à l'extrémité de la place, sur un point isolé, quelques partisans enflammes des Girondins, commentaient tout bas la révolte du bataillon de la Gironde en garnison à Gap, hostile à la Convention , de même que l'arrestation de l'abbé Mévolhon aumônier

de ce bataillon. Celui-ci, connu pour être le fils de Jean-Antoine-Pierre Mévolhon de Sisteron, ex constituant, chef de légion dans sa ville natale, était soupçonné de se livrer à des manoeuvres royalistes. Bref, de ci de là, on causait des actes de la Convention , des combats soutenus entre les Montagnards et les Girondins, de ce duel implacable dans lequel ces derniers étaient écrasés.

Ceci se passait au lendemain des journées des 31 mai, 2 juin 1793, qui avaient décidé la Convention à décréter l'arrestation des Girondins.

Ce Coup d'Etat populaire avait suscité des mouvements insurrectionnels à Bordeaux, à Lyon et à Marseille. Dans beaucoup de départements les Administrations dévouées aux Girondins s'étaient déclarées en état de révolte contre Paris et la Convention.

La Nation se trouvait environnée de périls. A l'intérieur elle était déchirée par les complots et les factions. A l'extérieur, par sa Révolution, par les principes nouveaux qu'elle apportait dans le monde, la France se trouvait en guerre avec tous les rois. Pleine de confiance dans la justice de sa cause et l'héroïsme de ses enfants, elle entra résolument en campagne contre l'Europe entière. C'était le temps où Carnot s'écriait « Qu'y a-t-il d'impossible à vingt cinq millions d'hommes libres, qui ont juré de ne plus redevenir esclaves! »

Aux menaces des puissances étrangères la Convention décrète une levée de 3oo.ooo hommes, et envoie dans les départements 41 Commissions de deux députés pour stimuler l'enthousiasme des populations et présider au recrutement.

Les représentants Robespierre jeune et Ricord sont nommés commissaires de la Convention près l'armée d'Italie. Ce furent ces deux représentants qui, plus tard, assistés de Barras et de Fréron, préparèrent toutes les opérations du fameux siège de Toulon et firent rentrer

Marseille dans la soumission.

Mais n'anticipons pas. Revenons auprès de ces paisibles habitants de Forcalquier que nous avons laissés discourant sur les affaires du tems , au milieu de la place du Champ-de-Mars qui, aujourd'hui encore, est le centre où se révèlent les sentiments populaires. A mesure que l'heure avançait davantage, les conversations devenaient moins vives, les groupes se disloquaient, et déjà plusieurs citoyens avaient regagné leur lit, quand, vers dix heures ,un cortège bizarre déboucha sur la place du Champ-de-Mars, pour s'engager dans la remise de l'hôtel de la Croix-d 'Or.

C'était un détachement de quelques cavaliers revêtus de l'uniforme des Dragons, qui escortait un carrosse dans lequel on remarquait deux hommes et deux femmes aussi élégantes que belles. Aussitôt arrivés, ces étrangers étaient aussitôt introduits et les portes de l'hôtel se fermaient brusquement sur eux, au grand désappointement des curieux accourus.

Quels étaient ces voyageurs? Nul ne le savait. L'étonnement s'accrut encore lorsqu'on vit pénétrer dans l'hôtel, le Maire et plusieurs officiers municipaux de la Commune , précédés de Pierre-Martin Gonord aîné et Louis Gonord jeune, Commissaires de l'Assemblée Nationale, venus à Forcalquier, pour concourir à la réquisition extraordinaire d'hommes dans les Basses-Alpes.

On crut tout d'abord à la fuite du général Brunet de Manosque, alors à l'armée d'Italie, que Barras et Fréron venaient de suspendre pour avoir refusa d'obéir à une de leurs réquisitions, par laquelle ils lui demandaient quatre bataillons pour aller renforcer, à Avignon, l'armée de Carteaux en marche sur Marseille.

Cette supposition était inadmissible, le général Brunet n'était pas un soldat à fuir devant la menace, et Manosque ne pouvait être pour lui un lieu de refuge sûr.

Il n'ignorait point que le représentant Dherbez-Latour, député de Barcelonnette, envoyé dans son département par le Comité de Salut public pour ramener les esprits de ses compatriotes dévoués aux Girondins, le surveillait activement de même que son fils habitant Manosque.

D'autre port, les fédéralistes Marseillais soupçonnés de lui être favorables, ava i ent ab a n donné cette commune après s'en être emparée.

Les deux hommes entrevus dans le carrosse n'étaient pas assurément le général Brunet et son aide de camp Dupuy commandant le 3' bataillon de la Haute-Garonne .

–Voulez.vous que je vous dise quels sont ces étrangers, s'exclama tout à coup un jeune muscadin, qui attendait l'occasion favorable d'intervenir dans la conversation ? – Oui ! Répondirent plusieurs voix.– Eh bien, ce sont tout simplement deux vulgaires inconnus, et il insinua malicieusement que l'hôtelier Antoine Vial, homme de ressources, avait des chambres de réserve pour certains clients et une cuisine universellement appréciée, qui faisaient que l'Hôtel de la Croix d'Or était un rendez-vous de prédilection pour les parties fines.

Ce n'est que deux heures plus tard que les habitants de Forcalquier purent satisfaire leur curiosité, connaître exactement les noms des hôtes nouvellement arrivés dans leur ville. Au milieu de la nuit une estafette de Manosque venait annoncer au Conseil communal qui siégeait en permanence : «  Que les rebelles marseillais se dirigeaient à marche forcée sur Forcalquier dans le but de s'emparer de la personne des deux représentants du peuple députés à l'armée d'Italie. »

Ces représentants, dont on demandait la tête, étaient Robespierre jeune et Ricord, les nouveaux venus a l'hôtel de la Croix .d'Or.

Chacun connait ces deux hommes politiques Robespierre jeune, ainsi dénomme pour le distinguer de son frère le célèbre conventionnel, s'appelait de ROBESPIERRE Augustin-Bon-Joseph, né à Arras en 1763, il fit ses études au collège Louis-le-Grand, où il obtint la survivance de la bourse de son frère auquel il demeura constamment attache. Comme lui il suivit la carrière du barreau dans sa ville natale, avec moins

d'éclat mais non sans succès. Lors de la Révolution il en embrassa les principes avec chaleur, fut nommé président de la Société des amis de la Constitution d'Arras, puis, en Mars 1791, administrateur du Pas de-Calais, enfin procureur-syndic après les journées du 10 août.

Il venait d'être installé en cette qualité, lorsqu'il fut nommé députe de Paris à la Convention Nationale. Son nom et sans doute l'influence de son illustre frère ne furent pas étrangers à cette élection.

Robespierre jeune était d'ailleurs un homme de quelque valeur. Il vint siéger à la Montagne défendit Marat aux Jacobins contre les attaques des Girondins, combattit Roland à la tribune de la Convention et prit une part active à la lutte contre les Girondins.

Au moment où nous le trouvons à Forcalquier, le 13 août 1793, Robespierre était à peine âgé de 30 ans. Son collègue Ricord un peu plus âgé que lui en comptait environ 33.

Ricord Jean-François, d'origine provençale, était avocat dans le Var lorsque les électeurs de ce département l'élurent représentant du peuple à la Convention Nationale , où il siégea au sommet de la Montagne. Ses biographes racontent que dès les premières séances de cette Assemblée, il pressa le jugement de Louis XVI et vota pour la peine de mort sans appel ni sursis. Ricord se prononça ensuite pour les Montagnards dans leur lutte avec les Girondins, se lia intimement avec les deux Robespierre.

Après la journée du 31 mai, il était nommé avec son ami Robespierre jeune, commissaire de la Convention à l'armée d'Italie. Ils recevaient encore la mission de réprimer dans le Midi l'insurrection fédéraliste qui menaçait de gagner toute la France. La première pensée de Robespierre et de Ricord, à la nouvelle de la venue d'un corps d'armée dirigé sur Forcalquier, fut de préparer la défense et d'appeler aux armes toute la population de la ville. Mais, au dernier moment, on opta pour la fuite vers la partie haute du district.

Un convoi de muletiers fut immédiatement organisé, les deux représentants se sauvèrent en toute hâte en compagnie des frères Gonord et de leur personnel, abandonnant, carrosse, malles et effets de voyage.

Ici nous cédons la parole à M. le Maire et à messieurs les officiers municipaux de Forcalquier, qui, plus laborieux que leurs successeurs, siégeaient en permanence à l'hôtel de ville où ils rédigèrent le VERBAL suivant, dont copie fut envoyée au représentant Dherbez-Latour. Nous reproduisons ce document avec fidélité, sans modification de l'orthographe. « Ce jourd'hui quatorze août mil sept cent quatre vingt-

treize, l'an II de la République Française , une, et indivisible, à l'heure de dix de relevée dans la maison commune de cette ville de Forcalquier, le

Conseil étant en permanence, il a été annonce à nous Maire et officiers municipaux de cette dite commune soussignés, que les citoyens Robespierre jeune et Ricord représentants du peuple français étaient arrives dans cette ville. Empressés d'aller les voir, nous aurions rencontre les citoyens Gonord frères, commissaires du Conseil exécutif, et nous serions allé de compagnie avec eux dans la maison qui était destiné

à les recevoir. Vers minuit est arrivé un porteur de Manosque annonçant qu'une force armée qu'il estimait être de quinze cents hommes, se disant armée Marseillaise, se portait sur notre ville, à l'instant les autorités constituées étant assembles, de concert avec les représentants du peuple, et les Commissaires, il a été arrêté que les portes de la ville seraient fermées, que la garde nationale serait mise en activité de service

que des nombreuses patrouilles parcouraient les différents quartiers de la ville, y maintiendraient le bon ordre, et veilleraient au salut de la chose publique. Ces différentes dispositions ayant été exécutées vers les quatre heures après minuit, une force armée inconnue se disant l'avant-garde d'une armée marseillaise très nombreuse a été annoncée au Conseil municipal en permanence. Il a été rapporté que cette soy-disante avant-garde se disposait à faire des visites domiciliaires, et répandait la crainte par ses menaces. Le Conseil indigné de ce que des soldats armés employaient la force dans le pays sans s'être présentés à la maison commune, et à l' insu des autorités constituées, avons mondé le citoyen Robert qu'on nous a dit être un des Commandants de la dite armée, ou de son avant-garde, et l'avons requis au nom de la loi, en vertu des quels ordres il agissait. Le Commandant armé de pied en cap, et accompagne de plusieurs officiers également armés, a montré un ordre par écrit émane d'un des chefs de l'armée départementale du midy par lequel il lui était enjoint à lui et à un de ses collègues de mettre

en état d'arrestation les représentants du peuple français députés près l'armée d'Italie, sur l'observation que nous lui avons faite que l'armée départementale n'était point une armée reconnue de la Convention , et n'était point par conséquent armée de la République , il a répondu qu'il agissait en vertu du pouvoir qu'il en avait. Nous avons demandé audit citoyen s'il mettrait par écrit la déclaration qu'il venait de faire, il a répondu qu'oui en effet il a pris du papier et a écrit la dite déclaration, comme il l'avait faite il est sorti en disant qu'il allait la renvoyer signée de

lui, et de son collègue, il nous a même demande un vallet de ville pour nous la rapporter, mais il n'a plus reparu, et a fait répondre par ledit vallet de ville qu'il avait assemblé son Conseil, lequel avait déclaré ne pouvoir rien laisser par écrit. Au même instant on nous a annoncé que la même force armée s'était emparée d'une voiture, d'une vache et de tous les autres effets appartenants aux dits représentons du peuple, et commissaires du Conseil exécutif qu'ils ont fait partir sur le champ. On nous a annoncé pareillement que cette troupe en se retirant avait publié à haute voix dans les rues que si quelqu'un avait recelé d'autres effets appartenants aux dits représentant, et commissaires, n'en faisaient pas la déclaration tout de suite il serait puni de mort, alors la terreur s'est emparé de toutes les âmes. L'effroi a précipite à la mais commune une foule de citoyens qui ont requis la municipalité d'obliger ceux qui avaient desdits effets à les livrer. La municipalité n'ayant pas à sa disposition une

force suffisante pour résister à la violence qu'on lui faisait, craignant d'ailleurs l'arrivée des nouvelles troupes très nombreuses qu'on se plaisait à annoncer, et dont l'arrivée paraissait très prochaine a fait tous ses efforts pour calmer les esprits par ses représentations, elle en est venue à bout avec peine, mais elle n'a jamais pu parvenir à dissiper la consternation répandue dans la ville. Elle était telle que chacun fuyait ou se cachait, néanmoins toujours fidèle à son devoir elle n'a point quitte son poste elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour s'opposer au désordre, elle a eu la douleur de voir qu'elle ne pouvait opposer aucune résistance à cette force armée qui ne se disait que l'avant-garde d'une troupe beaucoup plus nombreuse.

« De tout quoy nous avons dressé le présent procès-verbal audit Forcalquier, dans la maison commune, et nous nous sommes soussignés.

Berluc, maire,Essartel.,Sauton,

Attenous, Troutun; officiers municipaux ,

Berluc, greffier. »

Pendant que le Maire et les officiers municipaux protégeaient de leur mieux la fuite des représentants et de leur suite, ceux-ci gagnaient au plus vite la ville de Banon où ils séjournaient pour se diriger ensuite sur Sault. Nous ne savons rien de particulier sur ce voyage fortuit, qui s'effectua sous la conduite des nommés Chabus Joseph, Chemin Honoré, Gombert, Bicais Antoine, Roche Pierre, Sube François, Bonnefoy

Joseph-François, et Barthélemy Balthazar de Forcalquier, qui avaient été requis de fournir les mulets et les chevaux dont on avait besoin. Le dossier que nous avons sous les yeux est muet sur les incidents de cette pérégrination qui eut lieu, il est vrai, par une nuit d'été, sous notre beau ciel de Provence, mais, ne l'oublions pas, à une époque de troubles, à la veille de la terreur. Arrivé à Sault, Robespierre écrivit de sa main au Comité de Salut Public la lettre suivante qui nous fait connaître ses impressions personnelles.

« Les représentants à l'armée d'Italie au Comité de Salut public.

Sault, le 16 août 1793. (Reçu le 25 août). (1)

Nous ne sommes point encore parvenus à notre destination, malgré tous nos efforts pour y arriver. Les contre-révolutionnaires du Midi entravent la marche du Gouvernement, font souffrir l'Armée d'Italie, dont ils retardent ou arrêtent chaque convoi. Il est

urgent de prendre toutes les mesures qui sont en votre pouvoir pour débarrasser la Nation d'une poignée de brigands qui lui portent un préjudice énorme, par les obstacles qu'ils mettent à l'expédition des affaires. Nous sommes indignés de voir que quelques factieux suffisent pour tenir en échec une grande nation

 

(1)En marge de la main de Carnot  : « Accuser la réception de cette lettre répondre qu'on s'occupe des mesures rigoureuses à prendre contre les rebelles de Marseille, que la plainte contre Brunet sera examinée, leur recommander la plus grande sévérité envers les traîtres . L. Carnot .

 

dont les armes victorieuses ont fait disparaître les troupes de la tyrannie. La République serait déshonorée, si elle souffrait, plus longtemps, que trois ou quatre mille rebelles portassent la terreur et l'effroi dans le cœur des patriotes de ces contrées, et qu'ils subjuguassent

journellement, par la crainte, les petits hameaux et villages qu'ils envahissent par leurs détachements et qu'ils évacuent presque aussitôt, lorsqu'ils ont forcé les habitants à les nourrir et héberger pendant vingt quatre heures.

 Au nom de la République , citoyens collègues, ne perdez point de vue les rebelles de Marseille; occupez vous sérieusement de les réduire, si vous ne voulez voir s'allumer ici une guerre malheureuse. Il est encore très facile de les anéantir. Leur milice est sans discipline, sans courage ils ne savent que piller et fuir. Ils viennent d'être battus à Cadenet. Les patriotes des communes de Pertuis, de la Tour-d 'Aigues et quelques

autres se sont montrés avec énergie, et bien décides à seconder les troupes de la République. L'existence des rebelles compromet la fortune publique. Les assignats n'ont que très difficilement cours dans les endroits qui avoisinent ces séditieux. Nous avons été témoins des refus que l'on fait de les accepter pour les denrées de première nécessite. Les autorités constituées n'ont point la force de faire exécuter les lois sur cet objet. Enfin, citoyens nos collègues, le mal s'accroît chaque jour par l'état d'inaction dans lequel demeure l'armée de la République qui est en

présence des rebelles, et par l'impossibilité où elle est d'empêcher les incursions subites qu'ils font sur les patriotes qu'ils traînent dans les fers.

Nous venons d'échapper par la fuite aux mains de ces scélérats. Nous étions depuis deux jours à Manosque, où nous travaillions à réunir les esprits, à les désabuser et à rattacher les coeurs à !a Convention Nationale. Nous croyions avoir eu quelques succès. Nous nous disposions à passer la Durance , nous en avions déjà passé un bras, lorsque deux dragons, qui nous accompagnaient, vinrent nous dire qu'ils apercevaient

des gens armés sur notre passage, et qu'ils avaient été couchés en joue. Nous primes le parti de retourner et d'abattre les cordes de la barque. Cette précaution fut rendue inutile par la malveillance d'un détachement de Manosque, qui devait défendre le passage, et qui fit rétablir, à l'instant même et en notre présence, les cordes que nous avions fait abattre. Obligés de traverser Manosque, nous nous aperçûmes

que les ennemis de la liberté avaient des partisans dans cette ville et que nous n'y étions plus en sûreté. Pour épargner un crime aux Manosquins , nous ne nous arrêtâmes point. Nous fîmes route vers Forcalquier, chef-lieu de district, ou nous arrivâmes à dix heures du soir. Il était à peine minuit que nous reçûmes la nouvelle que des séditieux avaient été reçus dans Manosque, et que déjà un grand nombre venaient pour se saisir de nous et des citoyens Gonord, commissaires du Conseil exécutif ((1), qui ont fait un grand bien dans ces contrées qu'ils ont ramenées à l'unité de la République. Sur un nouvel avis que les rebelles étaient précèdes d'une quarantaine d'hommes à cheval qui accouraient pour nous enlever,

 

(1) Gonord Ainé et Gonord Pierre.

 

nous prîmes la fuite à travers les montagnes et nous laissâmes notre voiture, qui tomba au pouvoir des brigands avec tous les effets qui nous appartenaient. La ville de Forcalquier vit avec chagrin l'outrage fait aux représentants du peuple, mais elle n'était point en force pour résister, ayant fort peu d'armes et les brigands, suivant leur usage, se faisant toujours précéder par la terreur. Nous trouvâmes un asile à Banon, petit village dans les montagnes. Les Commissaires du pouvoir exécutif y avaient fait connaître les décrets bienfaisants de la Constitution , et l'acte constitutionnel y avait été accepté avec empressement. Nous trouvâmes les mêmes dispositions à Sault. Les Marseillais sont en horreur dans tous ces endroits. Ils ne trouvent d'asile que par la terreur qu'ils inspirent à ceux qui n'ont pas les moyens de leur résister. Ne tardez point, citoyens collègues, à venir au secours des républicains du Midi ils méritent, par leur énergie, qu'on ne les laisse point sous la domination

féroce des cannibales de Marseille.

Nous croyons que Brunet est l'âme de la contre révolution du Midi. Manosque, sa patrie, est peuplée de rebelles, à la tête desquels se trouve Brunet fils. On nous assure que les Marseillais protègent ce général qui leur a, dit-on, accordé des renforts. Nos observations nous prouvent que ce général trahit la République. Il parait qu'il désorganise l'armée d'Italie et qu'il la fait détruire inutilement et sans fruit.

Robespierre Jeune (1) »

 

(1) Recueil des actes du Comité de Salut public par Aulard. – Tome 6 page10.Arch. Nat. A. F. n. 184. De la main de Robespierre jeune

 

Le séjour de Robespierre à Sault ne fut pas de longue durée, renseigné par des émissaires sur la fuite des rebelles marseillais, il s'empressa de retourner à Manosque. Le 21 août, il écrivait au Comité de Salut Public la lettre qui suit :

Les représentants de l'armée d'Italie, au Comité de Salut Publique

Manosque, 21 août 1793

« Nous sommes une seconde fois à Manosque, citoyens collègues. Cette ville, rebelle qui n'exécute aucune loi, qui outrage la République dans la personne des représentants du peuple, nécessite les grandes mesures que nous allons prendre pour la réparation des outrages faits à la nation. Nous vous communiquerons incessamment nos délibérations et nos arrêtés, afin d'obtenir l'approbation de la Convention nationale.

La ville de Manosque est opulente, son territoire est le plus riche de la contrée cependant les contributions sont en retard. Les Manosquins, qui ont eu l'audace de prendre les armes pour s'opposer à l'entrée de quelques détachemens républicains dans leur ville, les prirent pour protéger les rebelles de Marseille, et firent tout ce qui était en eux pour nous livrer. Vous pressentez d'après cela quelle sera notre conduite à leur égard. Nos soupçons contre Brunet se confirment chaque jour. Vous vous en convaincrez par les dépêches de nos collègues Barras et Fréron. Ce traître a mis ces contrées à deux doigts de leur perte, et a compromis, par ses perfidies, l'existence de l'année du Var.

Nous avons appris avec douleur que l'on avait suspendu l'attaque de Lyon. Soyez convaincus que nous ne sauverons la République que par une grande fermeté, et qu'il ne faut garder aucun ménagement avec les assassins de la République. Leur acceptation astucieuse de la Constitution ne change point leurs sentiments, et ils n'ont pris ce parti que pour ralentir l'ardeur des républicains, et tromper les hommes peu éclairés qui se laissent amuser par des mots, qui n'aperçoivent plus les conspirateurs lorsque ces conspirateurs ont l'adresse de prononcer les mots de constitution, d'unité, d'indivisibilité de la République. Ce piège n'est pas le moins adroit qui ait été employé par les ennemis de la République. C'est à vous, citoyens collègues, à prendre les mesures qui sont en votre pouvoir pour déjouer cette conspiration dont le foyer est à Marseille, Toulon, Lyon et la bicoque de Manosque. Nous ne tarderons plus à nous rendre à l'armée d'Italie. Les mesures que nos collègues viennent de prendre vont nous ouvrir un passage et rendre les communications libres entre l'armée du Var et l'intérieur de la République.  »

Robespierre Jeune, Ricord (1)

On voit par cette lettre, que les représentants Robespierre et Ricord gardent la rancune la plus implacable contre la ville de Manosque qu'ils ne peuvent s'empêcher d'injurier. Manosque est déjà à cette époque un pays si agréable à habiter que Robespierre et Ricord s'y oublient,

malgré l'hostilité manifeste qu'ils y rencontrent.

 

(1) Recueil de textes du Comité de Salut public par Aulard, tome VI, page 56. (Arch. Nav. A. F. II 90).

 

C'est de cette ville qu'ils transmettent, au Comité de Salut public, cette lettre pleine de détails sur le mouvement fédéraliste de notre région.

 

Les représentants de l'armée d'Italie au Comité de Salut public

Manosque, 22 aout 1793

« Nous vous dépêchons, citoyens collègues, un courrier extraordinaire pour vous instruire des projets horribles des rebelles de Marseille. Leur dessein parricide est de livrer leur port aux Anglais et aux Espagnols. La flotte ennemie croise presque à la portée du canon, et déjà un vaisseau parlementaire a été envoyé à l'escadre anglaise, qui n'est qu'à trois lieues des côtes. Les rebelles du midi, toujours vaincus, et le 20 de ce mois mis en déroute par l'armée de la République , qui est entrée hier dans la ville d'Aix, appellent à leur secours des forces étrangères. Les sections

de Marseille, à l'exception de celle numéro 11 dont le consentement a été l'effet de la menace et de la violence, ont adhéré ce recours aux puissances ennemies sous l'apparence de demander, ou qu'il fût permis à un convoi de vivres chargé pour Marseille, et actuellement à Gènes. d'entrer dans le port en traversant la flotte, ou que la floue fournit elle-même des vivres à la ville. Nous sommes instruits, par une voie très sûre,

que ce n'est là qu'un prétexte, et que les conspirateurs veulent bien réellement livrer le Midi, soit pour démembrer la République , soit pour tout autre système également contraire à l'intérêt national, à la liberté et à l'égalité.

La ville de Toulon est soupçonnée d'avoir fait les mêmes démarches auprès de l'escadre ennemie. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'elle a dégarni les vaisseaux de la République pour accroître les forces des révoltés. Un détachement de 600 hommes est, à ce qu'on dit, arrivé à Brignoles pour s'opposer au passage des bataillons tirés de l'armée d'Italie, que nous avons été obligés de requérir, tant pour renforcer l'armée

qui se trouve actuellement à Aix, que pour rétablir les communications trop longtemps interceptées par les séditieux du Midi. On croit que la flotte ennemie a des troupes de débarquement, et qu'elle peut vomir sur les côtes méridionales 10.000 à 12.000 hommes, tant espagnols qu'Anglais. Ces forces ne peuvent pas en imposer au courage des troupes de la République Il faut néanmoins se hâter de prévenir cette descente. C'est à vous, citoyens collègues, à presser les mesures militaires, et à faire occuper les positions qui mettent Marseille et Toulon dans l'impossibilité de résister, si elles venaient à consommer leur crime.

Vous sentez, citoyens collègues, la nécessite de développer un grand caractère et de ne point arrêter ni modérer l'ardeur républicaine dans un moment aussi critique. Ce sont les trêves, les suspensions d'armes qui retardent le bonheur du peuple et prolongent le mouvement révolutionnaire qui pourrait à la fin briser les ressorts politiques. Que les traîtres n'aient plus le temps de rassembler leurs forces, que Lyon, Marseille et Toulon soient à l'instant soumises, et la famille française réunie retrouvera toutes ses forces pour dissiper les brigands couronnés.

Donnez-nous, au nom de la patrie, des nouvelles de toute la République et de notre situation, tant intérieure qu'extérieure, qu'elle qu'elle soit. Nous sommes au-dessus des événements et nous ferons respecter l'autorité nationale autour de nous.

Ricord, Robespierre Jeune

P. S. L'Armée des rebelles doit camper au Pin et à Septèmes, entre Marseille et Aix, où elle doit être renforcée.

Remis au courrier 1000 livres pour le voyage. » (i)

Quatre jours plus tard Robespierre et Ricord se trouvaient encore dans les murs de Manosque. Pour pacifier cette ville qui se dérobait à leur autorité, ils procèdent par intimidation, et décident de poursuivre tous les citoyens qui, de près ou de loin, ont pris part au mouvement de révolte des 13 et 14 août.

Le 25 août 1793 ils signaient tous deux le mandat d'arrêt que voici :

« Au nom de la République.

Les représentants du peuple députés par la Convention nationale :

Considérant que plusieurs citoyens de Manosque, sont complices des délits commis dans les journées des treize et quatorze du courant, qui ont eu pour objet: 1) de livrer le territoire de Manosque et de Forcalquier, à la férocité et au brigandage des rebelles de Marseille, Rians et Vinon.

2) d'arrêter les représentants du peuple députes à l'armée d'Italie.

 

(1) Recueil des actes du Comité de Salut Public par Aulard.-Tome 6, page 66. (Arch.nat. A. F. II, 184. De la main de Robespierre jeune.)

 

3) de faire couper les seules communications libres qui restaient entre cette armée et le reste de la République.

Considérant que plusieurs de ces mêmes citoyens de Manosque s'étant rendus, d'après la réquisition faite par les représentants du peuple aux citoyens remplissant provisoirement les fonctions municipales à Manosque, sur les bords de la Durance pour arrêter les déserteurs, gens suspects, de remettre les cordes du bateau que les représentants du peuple avaient fait enlever pour couper le passage aux révoltés de Marseille, qui se trouvaient sur l'autre rive.

Considérant que plusieurs des dits citoyens dudit Manosque se trouvaient à la tête des révoltes lors du passage de la Durance et qu'un plus grand nombre s'est joint à eux pour aller à Forcalquier y arrêter les représentants du peuple, qui n'avaient échappé à leur férocité qu'en prenant la fuite, et que leurs effets ainsi que la voiture et les mulets qui les avaient conduits furent volés par ces rebelles qui dirent en arrivant à Forcalquier : « Nous aimerions mieux leur tête que leurs effets. »

Considérant enfin qu'il importe à la République , qu'une justice, prompte et éclatante, s'appesantisse sur la tête des coupables. Nous ordonnons à tous officiers, civils et militaires, d'arrêter ou faire arrêter, et aux tribunaux de poursuivre criminellement, Louis Turier facturier,

Antoine Mirabeau, Arleau capitaine, Paul Esclangon, Barthélemy cadet tanneur, pour avoir été du nombre de ceux qui se trouvant au bateau en avaient fait remettre les codes, pour faciliter le passage de la Durance aux rebelles, et avoir et s'être joint à eux, lorsqu'ils ont été à Forcalquier pour y arrêter les représentants du peuple, les nommés Bicais fils avoué, et Chabran officier municipal, pour avoir été du nombre de ceux qui étaient à la tête des révoltés, lors du passage de la Durance , et les nommés Agnes Julien, demeurant au château, Jean Julien dit Jaquet, et Raubert officier de chasseurs pour avoir été avec les rebelles à Forcalquier. »

A Manosque, le 25 août1793, l'an 2 de la République Française.

Ricord, Robespierre Jeune.

Une information fut immédiatement ouverte, dans les communes de Manosque et de Forcalquier. Les juges de Paix, Officiers de police Paul-Augustin Magnan et Joseph Allemand de Manosque, entendirent tout d'abord, en vertu d'une réquisition du procureur de cette commune, vingt-deux personnes dont les noms figurent au procès.

Dans l'information ouverte à Forcalquier, par les soins de Berluc maire, et par les officiers municipaux, Troutin, Eysartel fils, Atenoux, Bonnard, procureur de la commune et Berluc secrétaire, dix-neuf témoins furent entendus du 25 au 28 août.

Ces enquêtes confirment ce que nous savons déjà : Robespierre et Ricord se rendaient à l'armée d'Italie par Brignoles, lorsqu'arrivés à Manosque, ils réquisitionnèrent, à l'hôtel Malachié, un carrosse qui, attelé de deux mulets et conduit par Joseph Rolland de Ste-

Tulle domestique de l'hôtel, transporta les représentants sur les bords de la Durance que l'on traversait alors au moyen de deux bateaux.

Ils avaient passé le premier bateau et se disposaient à s'embarquer sur le second, lorsque les Dragons de l'escorte signalèrent sur l'autre rive de la rivière des gens armés cachés dans les broussailles des iscles.

La présence des rebelles marseillais sur la rive gauche de la Durance , n'aurait pas étonne Robespierre et Ricord s'ils avaient gardé le souvenir du combat qui s'était livré cinq jours auparavant aux alentours de Cadenet.

Voici ce qui s'était passe. Le 9 août Un détachement de 1200 hommes avec six pièces de canons, entreprit de passer la rivière de la Durance et de s'emparer de la ville et du château de Cadenet. Les troupes de la République qui défendaient ce poste, composées seulement d'un détachement de chasseurs allobroges et du 59 ème régiment d'infanterie, ci-devant Bourgogne, durent se retirer; mais bientôt renforcées par 6000 hommes venus d'Apt, elles repoussèrent l'attaque et les rebelles Marseillais prirent alors la fuite et regagnèrent la rivière. La plupart des fédéralistes après avoir gagné l'autre rive de la Durance , avaient longé la rivière et s'étaient dirigés sur Manosque.

Quoiqu'il en soit, à la vue de ces hommes armés caches dans les Iscles de Rousset, la petite troupe rebroussa chemin, les cordages furent abattus, la retraite s'opéra sur Manosque, puis sur Volx et enfin sur Forcalquier par Saint-Maime.

Pendant que les représentants Robespierre et Ricord revenaient sur leurs pas, les rebelles Marseillais rétablissaient le passage des deux bateaux et se jetaient à la poursuite des fuyards.

A Manosque, les troupes font halte sur la place. Un témoin raconte que l'artillerie fit son entrée en ville avec des canons mèches allumées , puis, pendant que les chefs fédéralistes recrutent des officiers et des soldats de la garde nationale, un détachement prend la route de Forcalquier et pénètre dans les murs de cette ville, vers 4 heures du matin. Armés de pied en cap, disent les témoins, les soldats se livrent à des visites domiciliaires, ils pénètrent partout, mais principalement dans les hôtels, les auberges, scrutent toutes les chambres, plongent les sabres et les baïonnettes dans les paillasses, dans les fourrages des greniers à foin dans l'espoir de découvrir les fuyards.

Ne pouvant avoir ta tête des représentants du peuple, ils s'emparent de leurs malles de voyage, des effets de leur personnel, et Rolland, domestique de l'hôtel Malachié de Manosque, raconte que, sommé de retourner le carrosse dans cette localité, il fut ensuite contraint de suivre les rebelles à Vinon et à Marseille, où il prit le parti de déserter.

Humiliés de leur échec, les insurgés fédéralistes reprochent hautement à la municipalité de Forcalquier, d'avoir facilité la fuite des représentants, ils menacent de passer au fil de l'épée, tous les habitants et quittent la ville en déclarant qu'ils reviendront bientôt, mettre sans dessus dessous la tour du clocher.

Ces contre-révolutionnaires ne tardèrent pas à être dispersés par les troupes de la République. Forcalquier ne les revit plus, la plupart durent se réfugier soit dans les provinces voisines, soit à l'étranger, ainsi que l'établit un procès-verbal de perquisition dressé à Manosque à la date du 27 août1793.

Les rebelles disparus, on semblait les oublier. En ce moment Robespierre et Ricord se rapprochent de l'Armée d'Italie et paraissent s'être réconciliés avec Manosque qu'ils viennent de quitter.

Le 28 août ils écrivent d'Aix à la Convention la lettre suivante :

Les représentants à l'armée d'Italie à la Convention.

Aix, le28 août 1793.

« Nous avons fait réparer, citoyens collègues, les outrages faits à la République. Nous vous envoyons les différents arrêtés que nous avons pris. Nous espérons que la Convention Nationale les approuvera. La commune de Manosque était une des plus contre-révolutionnaires des départements méridionaux, parce qu'elle était une des plus aveugles sa situation intérieure était affligeante; il était difficile d'y produire

le bien parce qu'il était difficile de s'y faire écouter. Aussi avons-nous été méconnus la première fois que nous nous y sommes présentes, et des hommes égarés ou scélérats tentèrent un grand crime. Nous avons reparu dans ses murs. Un grand nombre de citoyens avaient pris la fuite la torpeur était dans toutes les âmes ; l'ignorance faisait croire aux choses les plus stupides ils craignaient tous les malheurs; on leur avait

persuadé qu'il ne devait plus rester pierre sur pierre à Manosque, qu'une armée de brigands devait dévaster, incendier, piller cette coupable cité. Nous n'avons eu besoin, pour dissiper cette terreur panique, que de faire connaître les principes de la Convention nationale, qui étaient parfaitement ignorés, malgré nos premiers efforts pour les faire entendre. Ceux qui avaient ajouté foi aux calomnies les plus atroces ne tardèrent pas à juger, par notre conduite, que des monstres avaient abusé de leur simplicité pour les tromper sur les vrais défenseurs de la liberté et sur

tous les événements de la Révolution. Ils reconnurent bientôt que nous n'étions point des anarchistes. Enfin, malgré les mesures de sévérité que la justice nationale a exigées de nous, les citoyens de Manosque voulaient nous retenir plus longtemps au milieu d'eux, pour extirper toutes les haines, maintenir la concorde et la paix en éclairant tous les partis pour n'en former qu'un. Nous pouvons espérer que cette cité est reconquise à la raison, à la liberté. Nous avons cru devoir nous rendre à Marseille pour y concerter, avec nos collègues, les moyens de soumettre Toulon, qui menace d'appeler les Anglais dans ses murs. Ils vous donneront les détails de cet horrible projet. Il ne parait pas que l'ennemi ose risquer la descente : les républicains de cette ville se montrent avec courage, et ces hommes magnanimes en imposent aux esclaves de la Grande-Bretagne . Les rebelles, resserrés dans un petit espace, nous laissent le passage libre nous sommes à notre poste.

Salut et fraternité. »

Ricord et Robespierre Jeune. (1)

On ne songeait plus aux événements des journées des 13 et 14 août, lorsque l'arrestation à Bourg en Bresse, d'Arlaud Etienne boulanger à Manosque,

 

(1) Recueil des actes du Comité de Salut Public par Aulard. Tome 6, page157.(Arch.nat. A. F. II, 184).

 

capitaine dans le 4e bataillon des Basses-Alpes, originaire de Vinon, vint les rappeler, conduit de brigade en brigade, ce dernier était interroge

par le juge de Manosque, le 1er germinal an II (21 mars 1794).

A la nouvelle de cette arrestation le représentant Dherbez-Latour, toujours vigilant, prenait à la date du 27 germinal an II(21 mars 1794) un arrêta ordonnant la reprise de l'information. Sept nouveaux témoins étaient entendus à Forcalquier, le 18 floréal suivant, (7 mai1794), par M. Santon Maire, en présence de Bonnard agent national. Ce supplément d'information eut pour résultat d'accroître encore le nombre déjà important des prévenus de Manosque. Enfin le 17 prairial, (5 juin 1794) un dernier mandat d'arrêt était lancé contre plusieurs Manosquins qui

s'empressaient de prendre la fuite, ainsi que l'indique un procès-verbal de perquisition dressé le 24 prairial (12 juin 1794). Le silence s'était fait de nouveau sur ce procès. Six mois s'étaient écoulés depuis cette dernière formalité de justice, lorsque, sur un ordre formel du représentant

du peuple Gauthier, les commissaires de surveillance Chossat et Reynault, sommèrent par deux fois, la municipalité de Forcalquier d'avoir à transmettre tout le dossier de l'affaire, ainsi que les registres des Comités de surveillance de Forcalquier et de Manosque, 1 er nivôse an 3 (21 décembre 1794) ; 12 nivôse suivant (1er janvier 1795). La municipalité de Forcalquier fit la sourde oreille et garda toutes les pièces de ce volumineux dossier. Au moment où ces sommations sont faites, nous sommes dans la période terrible à laquelle l'histoire a conservé le nom de Terreur. Bien des têtes déjà sont tombées sur l'échafaud au nom de la justice et de la Liberté , et tout nous autorise à penser qu'en ne déférant pas aux sommations réitérées des Comités de surveillance, la Municipalité de Forcalquier a voulu éviter à la Convention , de nouveaux crimes, et à la ville de Manosque, un deuil général.

Nous en aurions fini avec ce récit, s'il ne nous restait à ajouter quelques mots au sujet des divers personnages qui figurent dans notre notice historique. Faut-il l'avouer ? La présence de nos deux jolies inconnues dans le carrosse des représentants du peuple, a quelque peu surexcité notre curiosité et nous a amené à fouiller de nouveau toutes les pièces du dossier pour établir leur identité. La lumière n'est pas faite sur ce mystère. Peut-être ne se fera-t-elle jamais. Quelques personnes pensent que l'une de ces dames pouvait être Charlotte, soeur de Robespierre, accompagnée d'une amie. Cette supposition ne présente rien d'invraisemblable néanmoins nous croyons plutôt à la présence de deux dames galantes. Robespierre jeune avait la réputation d'être un homme de plaisir, et nous ne saurions oublier que l'enquête du procès, révèle que Robert, officier de chasseur, parlant des dames qui accompagnaient les représentants, disaient : « Ce sont deux bougresses. »

C'est sans doute à ces mondaines qu'il faut attribuer la propriété de cette vache très remarquée dans le cortège de Robespierre et de Ricord. Cet animal qui, assurément, était un préservatif infaillible contre la disette qui sévissait, disparut dans l'équipée de Forcalquier, en même temps que le carrosse et les malles des représentants du peuple. Nous serons plus affirmatif pour nos principaux acteurs : Ricord, de retour de l'armée d'Italie, n'eut pas à souffrir de la chute de Robespierre. Après la session conventionnelle, il rentre dans la vie privée. Pendant les Cent-Jours, il est élu par le département du Var à la chambre des représentants, où il ne siégea pas ayant été nommé Commissaire Général de Police à Bayonne. Le retour de Louis XVIII, lui fit perdre cet emploi et il se vit contraint de quitter la France par suite de la loi sur les régicides. Ricord termina ses jours dans la plus profonde obscurité. Robespierre jeune, que ses biographes placent au nombre de ces vaillants conventionnels qui ont tant contribué à sauver la patrie par leur énergie, leur constance et leur prodigieuse activité, partagea avec Barras et Fréron l'honneur de l'affaire si populaire de la reprise de Toulon avaient préparée. Il prit de concert avec collègues des mesures pour approvisionner l'armée, indiqua la puissante diversion d'une invasion de l'Italie, et donna ainsi la première idée des campagnes où devait s'immortaliser Bonaparte.

Robespierre jeune suit fidèlement la fortune de son aîné. Le 9 thermidor il siégea le soir à l'Hôtel de Ville, parmi la commune insurrectionnelle, et, dans la nuit, quand il vit que tout était perdu, pendant que les forces conventionnelles envahissaient l'Hôtel de Ville, il se jeta d'une fenêtre sur les marches du grand escalier. On le releva sanglant. Le lendemain, 10 Thermidor an II (28 Juillet 1794) il était porté mourant à l'échafaud Robespierre jeune avait 31 ans.

Martial Sicard

L'Athénée de Forcalquier, 1900.

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Texte numérisé par J. P. Audibert