SARTORIO: évocations Bas alpines

1-Sous le pont mirabeau....

Le défilé de Mirabeau est un lieu ou la Durance se rétrécit pour se faufiler entre deux falaises calcaires et poursuivre son chemin.
De ce fait, cette clue naturelle a été de tous temps un endroit privilégié de franchissement de la rivière.
De plus, nous sommes ici au carrefour de quatre départements : le Vaucluse, les bouches du Rhône, les Alpes de Haute Provence, et le Var.
Plusieurs projets se succédèrent pour remplacer bacs et barques primitives. Ainsi un premier pont suspendu fut construit en 1831. Deux portiques, en permettant la suspension, nous restent de cette époque et sont inscrits aux monuments historiques.
Mais un autre pont suspendu fut construit en 1935. Cette fois les pylônes vont être en béton armée et dus à la compagnie Fives-Lille.
Ils offrent alors pour nous un intérêt supplémentaire. En effet, quatre sculptures en bas relief représentant les quatre départements limitrophes vont être réalisées comme ornement par un artiste provençal : Antoine Sartorio.

2-La tradition classique d'Antoine Sartorio

a-La maitrise du sculpteur

Sartorio n'a sans doute effectué que peu de réalisations en Haute Provence. Il n’empêche. Il signe une œuvre qui annonce et symbolise les basses alpes, une
grande figure féminine de style classique qui reflète parfaitement les caractéristiques de son art.
Tout en étant située à un bel emplacement, elle voit sans doute passer plus de véhicules que de visiteurs ! Elle mérite pourtant toute notre attention.
Il s'agit donc d'une représentation allégorique, une femme à la sérénité hellénique, qui incarne le département.

De dimension imposante, elle est debout, vêtue d'une robe flottante à grands plis qui lui descend jusqu'aux pieds chaussés de sandales.
Ce vêtement léger et ample évoque le chiton ou le péplos de la Grèce antique.
Le visage dégage une impression de solidité avec un cou épais mais néanmoins féminin avec des lèvres fines et des yeux en amande.
La solidité du corps, la plénitude des courbes, le visage bien construit incarnent ainsi un art monumental dans un style épuré conforme à la beauté classique.
Mais le modèle, tout dans sa matérialité, va dégager aussi toute une spiritualité.
Ainsi cette femme ne se contente pas de nous présenter les ressources des basses alpes. Ses bras se croisent sur sa poitrine et elle encère dans un geste d'encorbellement une gerbe de blé (ou d’épeautre) et d'autres productions régionales.
Remarquons ce geste : il s'agit d'un geste d'amour, d'attachement à son terroir, d'un geste presque maternel.
Cette attitude d’étreinte, le sourire serein aux lèvres bien dessinées, le visage  grave, font ainsi naître une impression de calme tranquillité (ou de force tranquille)  et laissent apparaitre toute une sensibilité féminine.
Ainsi, Sartorio, grâce à son talent par un travail de sobriété et dans une expression épurée, arrive à représenter toute une symbolique au travers d'une forme bien présente et proche de la vie.
Les trois autres allégories sont aussi des effigies pleines de robustesse et traduisent tout l'art du sculpteur, mais nous laissons leur analyse détaillée aux spécialistes des départements concernés.
Soulignons néanmoins que nous sommes en présence de sculpture décorative qui apparait comme un complément de l'architecture . On se doit alors de citer l'architecte Gaston Castel qui développa l'idée d'une architecture complétée d'ornements sculpturaux la rendant plus belle et plus humaine  . Il entraina toute sa vie dans son sillage son ami Antoine Sartorio .

b-Les produits symboles

Attardons nous maintenant aux produits exposés à notre curiosité. Ce sont des produits qui traduisent  l'importance  primordiale de l'agriculture orientée vers les céréales, les fruits des vergers et cette spécificité qu'est l'élevage d’ovins et de caprins.
La gerbe de céréales rappelle la richesse de gout venant de la préservation de l’environnement. Citons, par exemple, le petit épeautre de Haute Provence, produit rustique, qui abandonné de toutes parts trouva ici son foyer de résistance jusque dans les coins les plus reculés et est perçu aujourd'hui comme une céréale à la saveur inchangé n'ayant subi aucune modification génétique.
La grappe de raisin annonce le territoire de Pierrevert. Jadis, avant le phylloxera, il s'étendait bien plus loin sur les rives de la Durance, jusqu'à Sisteron. A Manosque, on connait même un cépage spécifique : le Manosquin (tuilier noir).
Sont évoqués également les productions fruitières .On se rappelle que le philosophe Pierre Gassendi parlait avec suavité toutes ces productions arboricoles ...." De la vallée de la Bléone viennent ces poires, ces pommes, ces cerises, tous ces fruits délicieux, ces prunes perdrigones surtout...».
Giono n'est pas en reste .Il écrit à propos de Manosque " elle est lourde de blés, de melons, de raisins, de pommes d'amour " (in Manosque des plateaux).
Les ciseaux d'Antoine Sartorio ont bien choisis leurs symboles !
L'olivier, arbre millénaire des pays méditerranéens, constitue bien sûr un autre élément caractéristique de notre culture bas alpine.
Le long de la robe à plis apparait une tête de caprin. On sait que l'élevage de caprins a été un élément de l’élevage des régions pauvres de Haute Provence
pendant des siècles et sa fréquentation était tellement familière qu'elle entraina toute une relation affective à son égard.

3-Le parti-pris du monument aux morts de Manosque

On sait que le premier conflit mondial a entrainé plus d'un million de morts. Pour rendre hommage aux disparus des monuments commémoratifs, le plus souvent stéréotypés, vont apparaitre dans toute la France. Pourtant, dans les basses alpes, des communes vont faire appel à de véritables artistes de talent qui vont s'exprimer sur ce terrain.
Parmi eux, Botinelly va réaliser des monuments de grand caractère. De même Sartorio (qui plus tard travaillera d'ailleurs avec Botinelly sur le monument commémoratif du Roi Alexandre de Yougoslavie et Louis Barthou à Marseille, par exemple)  a commencé sa carrière avec l'élaboration de monuments aux morts.
Mais, le concernant, il y a un fait tout à fait particulier.
En effet, c'est en pleine guerre dans les Vosges, simple soldat, qu'il va songer et réaliser des monuments aux souvenirs, hanté en quelque sorte par cette représentation artistique dédié aux morts de la Patrie.
En plein conflit armé et meurtrier, il dénote une préoccupation artistique de témoignage et d'hommage à ses compagnons qui laisse pantois.
Et c'est non loin de Mirabeau, à Manosque, sur la place du Terreau, que nous allons retrouver une œuvre bas alpine de Sartorio : le monument aux morts.
Selon les archives départementales sa date d'inauguration est le 2 Novembre 1921.

Sur un haut obélisque tronqué, apparait une allégorie ailée de la victoire, taillée dans le calcaire.
Une femme habillée d'une draperie classique fouettée par le vent élève haut les bras, brandissant une couronne de lauriers et deux palmes.
Ses bras levés vers le ciel, elle semble portée par deux grandes ailes déployées qui l'ont guidé vers la victoire. Robuste, sûre d'elle même et bien plantée dans son corps la France est vraiment victorieuse !!
Occupant d'abord le centre de la place, elle fut ensuite déplacée sur un des cotés, avec pour décor la colline de Toutes Aures.
Remarquons de suite que certains monuments font appel à de nombreux symboles : poilus combattants, femme éplorée, etc...Certains arrivent à l'œuvre d’art, comme à Digne ou le sculpteur Botinelly représente la mère patrie qui soutient un des ses fils.
Rien de tel à Manosque .C'est que nous sommes en face d'un choix affiché par l'artiste : un véritable parti-pris artistique qui veut avant tout exprimer l'issue victorieuse du combat.
Dés lors, la seule allégorie victorieuse suffit à créer une émotion qui nait de la sobriété.
La petite fille de l'artiste, Violaine Menard Kiener, a fort à propos publié un interview de son grand père à ce sujet...." Nous sommes des victorieux, nous devons en avoir le sentiment profond.Notre victoire est un fait qui nous dépasse, auprés duquel nous nous sentons des acteurs négligeables.Parce que j'ai été un combattant il ne m'est pas venu à la pensée de composer une scène de guerre ou une personnification de soldat ou une image de pitié.."
Tout est dit et le monument de Manosque en est une illustration précise.

4-Un mouvement artistique

Ici, dans les basses alpes, nous sommes loin de Santos au brésil et du " monument des andradas " et même des oeuvres marseillaises, méditerranéennes ou nationales qui jalonnent la longue carrière de Sartorio (il est mort centenaire à Jouques, à deux pas du pont Mirabeau).
Mais le monument aux morts de la place du Terreau ou l'allégorie du pont Mirabeau sont deux œuvres entièrement symboliques de son art.
Au travers de modèles massifs et robustes, il creuse son thème fétiche : celui de la femme en victoire (Manosque) et plus généralement  la création de personnages féminins qui développent formes et sensibilité (Mirabeau).
S'il pérennise une tradition classique faite d'équilibre et d'harmonie, Sartorio, épris de sculpture monumentale, va pleinement participer au mouvement de sculpture décorative des années 3O .La sculpture est alors perçue comme un complément de l'architecture qui apparait ainsi plus proche et moderne. Cette idée de liaison entre les deux disciplines est révélateur d'un désir artistique profond.
Soulignons que par ses créations loin de la mièvrerie et tout en sobriété l'artiste exprime des qualités bien conformes au tempérament bas alpin.
L'intensité expressive de son art traduit alors toute une humanité et une spiritualité.

Bibliographie: Violaine Menard-Kiener, Sartorio, sculpteur des corps et des âmes.
1996.

Robert Sausse

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