L'apaisement alpin ou A l'ombre de la Pierre Ecrite :

Livia rajusta sa stola. Elle l'avait choisie avec de nombreux plis. Son ampleur cachait ses formes de jeune fille de 20 ans, c'est ce qui lui importait. C'est vrai, ici, dans le domaine de Dardanus , elle était tranquille Depuis qu'elle avait quitté Sisteron et la taverne de sa mère, il ne se passait pas un jour qu'elle se félicite d'avoir eu le courage de sentir pendant trois jours ses chevilles meurtries par les cailloux des chemins. Elle en avait pleuré : presque elle se serait jetée dans le Jabron qui courait au fond du ravin. Ce qui la sauva, ce fut ces grandes inscriptions dans la pierre. Elle avait retenu un seul nom que lui avait glissé Lydie, sa cousine de Thoard  : THEOPOLIS. Au coucher du soleil, elle avait escaladé la pente escarpée, derrière la pierre et s'était assoupie sous un rameau de buis, l'esprit au calme.

Théopolis, là haut dans les montagnes, si près des étoiles, ce serait son salut ?

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Tibérius, elle le connaissait depuis toujours. C'est sur le forum où ils jouaient ensemble qu'ils se l'étaient jurés : quand ils seraient grands, ils se marieraient. Mais Tibérius avait la passion des armes et de la politique. Il ne supportait pas de voir l'empire s'affaiblir et perdre ses repères.

Ce Jovin est un grand homme ! Il prendra le pouvoir ! Ce sera un empereur comme Auguste ou César ! Enflammé, il descendit sa troisième pinte de vin miellé, rejeta en arrière sa cape rouge et passa ses doigts poisseux dans sa chevelure bouclée.

La réunion était secrète. C'était le soir, après la fermeture, à la taverne du forum que tous soutenaient l'usurpateur. Mais à 20 ans, il n'y avait pas que la vie de la cité. Il y avait aussi … les sentiments.

Et si Rufius voulait renverser Honorius, l'empereur en place, il aimait aussi Livia et il ne recevait, depuis des années, que des regards de mépris. Du dépit, il passa à la haine. Sa vengeance, il la tenait : c'était tout simple et ce serait pour ce soir. Il serra sous sa tunique une lettre écrite la veille et il partit subrepticement. Il n'eut plus qu'à glisser sa main dans l'épaisse fente de la «  Bocca de la Verita  » à deux pas de la basilique en briques rouges.

Dès le lendemain soir, les légionnaires du consul déboulèrent dans l'estaminet. Tiberius fut le premier dans la lutte, un glaive lui coupa le cou.

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C'était il y a 4 ans déjà.

Livia avait continué à vivre avec sa mère mais la taverne était remplie de voyageurs et de soldats qui la reluquaient de haut en bas, tous les jours. Elle n'en pouvait plus. Sa vie, ça devait être le souvenir de Tiberius, rien d'autre.

- Mère, je ne suis pas Pénélope. Je n'ai pas d'ouvrage à faire et à défaire.

- Je ne veux pas de prétendants.

- Il faut que je trouve…il le faut…il le faut…

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C'est alors qu'elle grimpa vers Théopolis. Quelques kilomètres après la pierre gravée, en arrivant devant la ferme basse dont le toit semblait coller à la pente alpine, elle eut comme une révélation. Ce serait sur ces hauts plateaux qui respirent le silence qu'elle trouverait l'apaisement.

- Ici, enfant, nous ne posons pas de questions ; nous vivons plus près du ciel, c'est tout.

- Et puis, il y a toute cette vie que nous avons longtemps oublié pour la guerre, pour la politique, pour l'argent…

- Nous prions aussi, tu trouveras ta place.

Dardanus avait vu juste.

Livia reprit son ancien métier d'en bas en servant le repas de ses vingt compagnons. Mais les mêmes gestes amenaient d'autres regards. C'étaient des regards de compréhension et d'accueil non de concupiscence.

Dardanus avait pris Livia en affection : il s'entretenait souvent avec elle.

- Maître, lisez moi encore une des lettres envoyées par St Jérôme ou St Augustin.

Elle n'en croyait pas ses oreilles : écouter directement les paroles des grands docteurs de l'Eglise arrivées jusqu'ici à Théopolis à deux pas de Sisteron et sentir leur présence palpable au travers de l'écriture penchée du parchemin lui donnait le sentiment d'être en relation directe avec le ciel.

Une parole de l'évangile que lui avait glissé Neva Gallia , l'épouse attentive de l'ancien préfet des Gaules, la touchait particulièrement :

Venez à l'écart et reposez vous un peu ( 1 )

C'est ce qu'elle avait fait, en définitive.

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Les années passèrent. Livia était devenue vielle. Mais le visage de Tiberius imprégnait quotidiennement ses yeux, son esprit, ses gestes. Elle accueillait souvent les nouveaux venus avec compassion et bienveillance et ne manquait jamais de sortir de la poche intérieure de sa stola, une petite statuette de Saint Pancrace dont elle louait la protection. Il était habillé en légionnaire romain avec une belle cape rouge et des cheveux bouclés.

Robert Sausse

( 1 ) Note du rédacteur du site  : Citation tirée de l'évangile de St. Marc, 6, 30-34.

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