L'authentique Patricia :

  Après avoir enfilé ses lourds brodequins cloutés, le père Mathieu passa sa main droite sur les genoux, à l'endroit des rhumatismes.

Le plus dur était de se lever. Après ça repartait.

Tant qu'il pourrait il monterait la pente raide de Toutes-Aures.

C'était sa respiration, son habitude vitale.

Après, peu importe:la journée était gagnée.

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-Il repart encore, ce vieux plouc. A son age, il ferait mieux de rester couché!

-Tu as raison, chérie, et il est habillé comme au siècle dernier...en plus...

Patricia rejeta ses cheveux à l'arrière avec une négligence largement étudiée et rajusta son chemisier acheté la veille.

Elle n'avait plus rien à se mettre...et puis les grandes marques c'était toujours mieux coupé...

Si elle se trouvait à Manosque c'est parce que son mari avait un très bon salaire à I.t.e.r ....Sinon elle aurait préféré rester à Paris, bien sur...

Mais là, elle en rajoutait pour épater ses copines...

C'était son choix à elle, parce que elle le voulait, d'être venu dans cette ville de province pour la qualité de la vie, pour être plus prés de la nature....

-Oui, ma chérie, j'ai toujours été un peu bohême.

-Oh attends!je te reprends!on m'appelle sur mon E-phone.....

Patricia était comme beaucoup:elle vivait des apparences, du confort matériel et des modes.

Elle possédait pas plus.

Elle n'était pas bohême, elle était bourgeoise.

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C'est en partant se faire coacher pour son heure de fitness que Patricia croisa le père Mathieu qui redescendait de sa belle colline ronde.

Elle le connaissait.

De sa villa-hacienda aux multiples vérandas elle voyait chaque jour, juste en face, sa maison de pierres aux maigres ouvertures.

-Bonjour, madame Merchin.

En guide de réponse Patricia descendit ses lunettes de soleil en écaille sur son nez.

C'est que si pour ses copines elle ronronnait sur l'authenticité du pays ou la vertu des cafés bio de Costa-Rica et de ses paysans, elle n'avait pas remarqué l'épaisse peau craquelée des mains de Mathieu qui travaillait la terre depuis 70 ans.

Et puis, son petit troupeau de chèvres, là à deux pas de la ville, il sentait mauvais.

C'était d'un désagréable....

-Mais oui, Sylviane, je pars demain pou une semaine dans un pays authentique, à Djerba, chez l'habitant, comme j'aime, chez un ami à Patrick, un directeur commercial....

Bien sur, je ferai aussi de la remise en forme en Thalasso....et un raid en 4/4...Super!

-A bientôt, je t'enverrai des mails........

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Le père Mathieu ne comprenait pas trop ce qui lui arrivait.

C'est l'adjoint au maire en personne qui l'avait averti:la télé allait dés le lendemain venir chez lui. Il le valait bien. Ses fromages obtenaient régulièrement des médailles d'or aux concours paysans et il était bel et bien le dernier chevrier de Manosque.

Une belle image pour la ville! Mathieu fut tel qu'en lui même:simple et bienveillant.

En passant sur les ondes il devint en deux jours une vedette locale

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A son retour de Djerba Patricia fut assailli de coups de téléphone.

-Mais oui, on a reconnu ta maison, en face de celle du berger...Tu ne nous en avais pas parlé ! Comme ça doit être M-e-r-ve-i-l-l-e-u-x de fréquenter ce Mathieu...Tu as bien choisie ta Provence.....

Patricia n'en revenait pas. Elle était passée à coté d'une occasion de se mettre en vedette, d'épater ses relations; ce vieux....elle l'avait à peine regardé!

Mais en tirant le rideau son coeur vint doucement cogner son chemisier griffé. Elle venait d'apercevoir PPDA, son idole, venu interviewer le père Mathieu.

Elle dégringola aussitôt les escaliers sans même se tenir à la rampe en fer forgé achetée à la bastide Vendôme. Pour se précipiter sur les deux hommes.

Elle sauta littéralement au coup du vieil homme.

-Mon cher voisin? Quel plaisir!Il me tardait tant de vous voir. Et elle l'embrassa sur les deux joues.

Le vieux berger avait déjà une idée sur la densité humaine de sa voisine. Il prit un peu de recul et laissa Patricia s'approcher du journaliste.

Bien sur, PPDA ne put s'empêcher d'être aimable avec une personne du sexe féminin.

Le père Mathieu en profita pour grimper rapidement vers les Toutes Aures.

Dés le premier alignement de chênes, un geai au vol papillonnant coupa le ciel. Ces plumes tachetées de bleu clair le fascinèrent, comme toujours. Ca y est. Il avait franchi le miroir.

Il avait retrouvé la vraie vie. Enfin.

Robert Sausse

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