La Nymphe du Causse Noir

Joseph enfila sa chemise blanche, celle de la rue Grande. Un notaire, ce n'est pas tous les jours qu'on allait le voir. Et puis, le pli recommandé précisait bien : « Succession de Paulette Promen ».

Sa tante, elle l'avait toujours gâté : jamais elle ne manquait de lui faire plaisir et avait toujours pour lui une navette bénie à la Saint Pancrace. Sa tante ou plutôt…sa lointaine cousine. Que pouvait donc lui vouloir le notaire ? Tout avait été réglé depuis au moins deux ans au profit des proches parents.

 

- Vous comprenez, il s'agit d'un codicille dont vous êtes le codicillaire. Enfoncé dans son fauteuil cuir marron, le notaire se cachait derrière ses formules juridiques comme derrière un bouclier.

…Santon.

C'est que ce codicille, c'est René, son premier clerc, qui l'avait retrouvé. Il n'était pas bien à plat dans la chemise cartonnée mais il entourait une petite boite de 15 cm . qui avait été oubliée avec les titres au fond d'un coffre.

- En langage de profane, reprit maître Broustelle, fortifié par l'attitude respectueuse de Joseph, ce paquet qui est un meuble meublant (il en rajoutait une couche) est à vous. Signez là et emportez le !

 

Joseph rentra chez lui, dans son quartier de la Tuilière , à Oraison. De tout le trajet, il avait tenu l'objet dans la poche de sa veste, osant à peine le caresser du doigt pour essayer de deviner son contenu.

Ce ne fut que lorsqu'il eu fini la traite de ses chèvres qu'il ouvrit le carton de couleur jaune. Il renfermait…un couteau de poche.

Joseph resta stupéfait. Le couteau ne lui rappelait aucun souvenir lié à sa cousine et que représentait-il par rapport aux hectares de terrain de la succession ?

Le petit bois de l'Asse, avec sa forêt de chênes protégeant quelques arbustes de buis, il y avait un peu pensé mais un simple couteau ? Passé la surprise, il examina l'objet avec attention. C'était quand même gentil d'avoir pensé à lui, se dit-il avec émotion. Le manche était sculpté d'une tête de mouton aux cornes enroulées et au dessus d'une patte d'ovin. Le tout dans une couleur jaune d'or. Du buis poli ?

 

Mais, oui, comme convenu, je monte au 15 juin avant qu'il soit trop chaud.

- Enfin ! Tu te décides.

Roméo était ravi de recevoir son cousin.

-Eh ! Oui, j'ai trop envi de les revoir tes brebis lacaunes. Depuis le temps !

C'est plusieurs fois que Joseph les avait goutté ces tomes au lait cru du Larzac : elles avaient la douceur et l'âcreté des grands espaces caussenards. Il en avait gardé l'envie de les fréquenter. En fait, ce n'est pas dans le Larzac mais juste en face, dans le Causse noir, que Roméo élevait un troupeau de 150 brebis dont le lait allait régulièrement dans les caves de Roquefort.

 

- Alors, qu'en penses tu ?

Roméo, la mâchoire immobile de certitude, connaissait la réponse mais justement ça lui faisait plaisir de l'entendre.

- Elles sont trop belles et donnent tellement de lait.

- Sûrement, un jour ou l'autre, j'en aurai un troupeau.

Mais, Joseph ne s'arrêtait pas là. Il voulait tout connaître de ce beau pays aux grandes étendues. Il s'offrirait une après-midi à lui : il irait promener sous les pins sylvestres qui arrivaient jusqu'aux crêtes sommitales où paissaient les lacaunes. Protégé par les pins, le sous-bois était rempli d'arbustes aux feuilles vert crus : c'étaient des buis bien plus gros que ceux des bords de l'Asse. Il pensa aussitôt en ramener une bouture et essaya d'arracher un bosquet de toutes ses forces. Non, ça ne suffisait pas : la plante se défendait et restait attaché à son païs, telle une cardabelle.

Joseph fouilla alors dans la poche de son blouson, il en retira le couteau légué par Paulette Promen. Voilà qui ne pouvait mieux tomber.

Il engagea la belle lame guiochée vers les racines. Dès la première entame un arc en ciel apparu et de la couleur jaune surgit une forme gracile et mystérieuse.

La nymphe d'Eduardo Steinbrück, 1837.

C'était une nymphette. Elle était entièrement nue et ses longs cheveux noirs ne pouvaient cacher la cambrure de ses reins. Joseph n'en croyait pas ses yeux. Etait-il victime d'une hallucination ?

Aussitôt, il pointa la lame effilée sur la paume de sa main qui se mit à saigner : il ne rêvait pas…

- Je suis Linette la nymphette. Dryade ou naïade mon destin est le tien. De ton couteau magique, tu m'as délivrée de ma chrysalide de buis et je t'entraînerai de forêt en eau vive. A mon sauveur, pour toujours j'appartiens.

Puis son sourire changea. De mystérieux et mythique, il se fit plus doux. En fait, il devint joli, c'est-à-dire humain.

Joseph se laissa alors prendre par la main et sans plus attendre, ils traversèrent l'arc en ciel pour une éternité de bonheur.

Paulette Promen avait réservé à son cousin le plus beau des cadeaux : un couteau magique, celui qui donne à la vie des ailes d'oiseaux géants.

Robert Sausse

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