Le mûrier et son vers à soie : Un couple fusionnel.

Le long des chemins, aux abords des fermes ou en plein champ, l'écorce ridée des mûriers leur donne une apparence de vielle sentinelle solitaire. Le vert cru de leurs larges feuilles découpées est un signe de fraîcheur puis leur jaune d'or suffit à remplir l'espace. Mais pourquoi cet arbre égaye-t-il de sa présence les paysages de Haute Provence ? C'est qu'il a été l'élément indispensable d'un élevage : celui du ver à soie.

 

   

Devant un colombier de Fontienne, à l'automne. (2 ème photo)

L'histoire de la soie est vielle de plusieurs millénaires. Les écrits de Confucius attribuent à l'impératrice chinoise Hsi-Ling-Shi, en 2500 avant J.C., la première tentative d'élever des vers à soie. La Chine connaît aussi depuis la plus haute antiquité l'art de la sériciculture et elle conserva jalousement le secret de la fabrication de la soie. Ce sont les échanges commerciaux qui déterminèrent une « route de la soie » de l'Asie à l'Europe mais le secret de l'origine et de la nature du fil à soie ne fut pas percé par les occidentaux.

Cette route mènera en Haute Provence où l'introduction du mûrier et l'élevage du ver à soie furent des données tardives.

Au début du 17° siècle, Olivier de Serres et Henri IV vont entraîner le développement de la sériciculture dans le Midi de la France , avec un âge d'or de 1850 à 1914. Mais pour cela, il a fallu vers l'an 553 que le secret de la Chine fut découvert, à l'instigation de l'empereur Justinien. Le fil à soie provient d'un insecte : le bombyx du mûrier.

La soie est élaborée par une modeste chenille de la famille des lépidoptères : le bombyx du mûrier. A peine née, la chenille minuscule va partir rechercher quelque chose à manger. Mais elle est monophage, elle n'aime que le mûrier ! A force de manger des feuilles vertes en un mois la minuscule chenille va devenir un ver à soie de 8 cm de long qui a multiplié son poids par 10.000. C'est à cause de la soie fabriquée à l'intérieur de son corps. Cette soie, le ver va la ressortir pour constituer un cocon à l'intérieur duquel s'effectuera la métamorphose de la chenille en papillon. De ce cocon, don de la nature, naîtra un fil unique : la soie.

Ce sont sans doute des grands propriétaires, des châtelains, plus au courant des évolutions de l'agronomie qui firent planter des mûriers pour la culture de la soie. Mais ce qui est remarquable c'est que, à coté des magnaneries réclamant des locaux, de l'espace et du personnel (comme à Manosque, Forcalquier, Céreste, Ste. Tulle …) cette pratique agricole toucha les milieux familiaux les plus pauvres. Nous sommes ici au cœur de l'esprit rural. L'agriculture de Haute Provence est une économie de subsistance. La pauvreté de certaines régions a poussé les habitants à chercher des revenus complémentaires. Parmi eux, le plus visible est celui de l'élevage du pigeon ; le pigeon en liberté se nourrit seul et il suffit de le fixer par un pigeonnier pour avoir un apport non négligeable. De même, l'élevage du ver à soie ne demande qu'un minimum de terroir et de travail (40 jours par an et au printemps) et la valeur du produit est relativement élevée. De plus, toute la famille peut y participer : les hommes peuvent cueillir les feuilles, les femmes et les enfants nourrissent les vers (3 fois par jour, uniquement du mûrier). Les anciens rappellent que les femmes tenaient les œufs dans leur corsage, à température constante pour en permettre l'éclosion. On comprend mieux l'attachement à cette ressource ! Bien mieux, la ferme recèle toujours des coins de grenier, des pièces de rangement, des espaces oubliés pouvant abriter un élevage.

--- Magnanerie, 1874.

Jusque dans les plus petits villages de la montagne de Lure, la Rochegiron par exemple, les agriculteurs s'y essayèrent. Mais l'étude du ver à soie permit aussi à la médecine de progresser. En effet Louis Pasteur, créateur de la microbiologie est venu en Haute Provence, aux Mées, étudier les maladies du ver à soie et ses recherches ont influencé l'évolution de la médecine.

L'évolution de l'agriculture, sa mécanisation et l'invention de filières synthétiques ont fait disparaître les magnaneries de notre paysage provençal. Mais les mûriers que l'on voit aujourd'hui souvent alignés le long des champs pour ne pas entraver les autres récoltes sont les survivants de cet engouement pour la sériciculture. Ces arbres participent ainsi au paysage agraire de Haute Provence et à ses rythmes et ondulations harmonieuses. Surtout, ils témoignent de l'espace nourricier et traduisent tout le sens de l'invention rurale. Il s'agit en fait d'un apprivoisement par le travail (sériciculture) d'une économie de la nature au travers d'un de ses dons (la soie) : toute la sagesse de l'homme ancrée dans le pays. Loin d'une image passéiste et figée, la société rurale reflète ainsi un esprit d'initiative en créant une économie en symbiose avec la nature, exemple d'une impérieuse nécessité écologique.

 

 

Robert Sausse

   
   

A nostra nona Maria Pascottini qui a élevé les vers à soie à Maserade/Piave, à deux pas de Venise, avant de tremper ses bras de lavandière dans les eaux glacées de l'Ubaye.

 

 

A lire :

- Robert Cherubini, « Le Ver à Soie », Edit. de Vecchi, 1987.

- Janine Tabois, « De Feuilles en Fils », Edit. Tarradou, 1992.

- Pierre Martel, « L'invention rurale », Alpes de Lumières n° 69, 1980.

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