Tiré de : « Voyage Littéraire de Provence » par M. P. D. L. - 1780 - (Attribué à Jean Pierre Papon par la B.N .F.)

L'orthographe a été modernisée.

…Vous aurez quelquefois ce spectacle agréable en parcourant le diocèse de Riez, qui n'offre d'ailleurs rien d'intéressant en fait d'histoire naturelle. Les habitants qui l'occupaient anciennement s'appelaient Reii et vivaient vraisemblablement épars dans des chaumières, lorsque César envoya une colonie Romaine qui jeta les fondements de la ville, où ils vinrent ensuite se réunir. Ils furent surnommés A ppollinares, à cause du culte particulier que les Romains y décernèrent à Apollon. Auguste ayant ensuite rétabli ou augmenté la colonie, la ville s'agrandit considérablement, à en juger par les monuments qui restent, et devînt la capitale du canton. Parmi les Temples qui la décoraient, il y en avait un eu l'honneur de Rome et d'Auguste ; car, pour corriger ce que l'adulation avait de bas et de ridicule, ce Prince voulut qu'on lui associât la Divinité de Rome dans le culte qu'on lui rendait. Le temple était desservi par un collège de six prêtres qui avaient un pontife à leur tête.

Le sacrifice des Tauroboles, qu'on faisait à Cybèle dans la même ville, est également digne d'attention. On creusait une fosse profonde, couverte de planches trouées en plusieurs endroits, et sur lesquelles on égorgeait un tau­reau. Le prêtre destiné à faire l'expia­tion, se tenait sous les planches, vêtu d'une robe de soie, et portant sur sa tête une couronne entourée de bande­lettes. Il se tournait de toutes les ma­nières pour recevoir le sang sur son corps. Dès que la cérémonie était ache­vée, il sortait de la fosse, et tout le monde se prosternait devant lui, comme s'il eût représenté la divinité pont la­quelle on offrait le sacrifice. Ses habits ensanglantés étaient regardés comme des choses sacrées; on les conservait avec beaucoup de religion.

Cette cérémonie avait un autre objet ; nous serions portés à croire qu'elle fut uniquement inventée pour l'opposer au baptême, dont on lui attribuait les ef­fets : de là vient qu'on l'appelait régénération. Celui qui devait être régénéré de la sorte, recevait, de la manière que nous venons de dire, le sang de la vic­time sur toutes les parties de son corps, persuadé qu'il n'y avait point de souillure qui fut à l'épreuve de cette expiation.

Ces sortes de sacrifices ne furent avoués à Rome par le Gouvernement, que sous le règne d'Antonin-Pie, vers le milieu du deuxième siècle: ils passèrent un peu plus tard dans les Gaules ; et celui qui se fit à Riez n'est peut-être que du commencement du troisième siècle.

On voit encore dans cette ville un Panthéon soutenu par huit colonnes de granit qui ont vingt pieds de haut. Il y avait extérieurement à la naissance du dôme et tout autour trente-six colonnes de marbre d'un petit module , et en dedans douze niches où étaient les douze grands Dieux, M. de.Valavoire , évêque du Riez fit emporter les six co­lonnes dans les terres de sa famille. Les douze statues avaient été transportées longtemps auparavant dans la terre de Sorps, où l'on trouva, vers le milieu du dernier siècle, un Pégase de jaspe, un Apollon de corail, une Andromède, une Minerve assez grande, et d'autres restes d'antiquités, il fut un temps où l'on avait changé le Panthéon en baptistaire ; il est aujourd'hui converti en une église dédiée à S. Clair.

Je ne parlerai pas des douze colonnes qui soutiennent l'église du Séminaire : les quatre de granit qui sont hors de la ville, sont remarquables, il y en a peu dans la Province qui méritent de leur être comparées pour la grandeur. On assure qu'il y en avait autrefois huit autres à côté de celles-ci, et qu'elles sont ensevelies dans la terre. Il serait diffi­cile de dire à quel édifice elles servaient d'ornement, si c'était au Capitole ou au Temple d'Apollon, comme on le croit communément. Tous ces monuments et les autres, dont nous avons déjà parlé, nous donnent une idée bien avantageuse du goût des Romains pour les Arts, et de l'état florissant où était alors la Province. Ils n'auraient jamais embelli, comme ils firent, nos grandes villes, et n'y auraient pas élevé des mo­numents superbes, si l'aisance des habi­tants, les progrès des Sciences et des Arts n'avaient favorisé leur goût pour les embellissements et la magnificence. Ces monuments servent encore à faire connaître l'enceinte de la ville qui était anciennement fort grande, et qui a été considérablement resserrée par les ravages des Sarrasins, et par ceux que firent les ennemis durant les guerres ci­viles du quatorzième siècle.

Je ne puis finir cet article sans faire, sur l'état des chemins du temps des Romains, une réflexion qui se présente d'elle-même. Ils devaient être infiniment plus solides et plus beaux qu'ils ne sont aujourd'hui, puisque dans l'état actuel, on n'y pourrait jamais faire passer de masses énormes, comme sont les colonnes de granit dont je viens de parler, et qui n'ont pu être taillées sur les lieux, puisqu'on n'y trouve point de pierre de cette nature.

La ville de Riez n'offre aujourd'hui rien de remarquable que ces monu­ments de son ancienneté; mais ce qui vaut infiniment mieux, l'air y est très pur et le terrain fertile. Elle occupe le second rang sous la Métropole d'Aix, et quoiqu'il soit vraisemblable que son siège ait été fondé vers la fin du quatrième siècle, on ne connaît point d'évêque avant S. Maxime, Abbé de Lérins, qui commença son épiscopat en 433 ou en 434.

Le petit village d'Albiosc à deux lieues au Sud-Ouest de Riez, près du Verdon, parait avoir tiré son nom de l'ancienne Alebece; c'était la capitale des Albicoci dont le territoire occupait au moins tout ce qui forme aujourd'hui le diocèse de Riez. Ils vinrent au secours de Marseille, lorsque César voulut en entreprendre le siège, et dans les sorties comme dans le combat naval, ils montrèrent un courage qui étonna les Romains. César les dépeint comme vaillants, mais en même temps comme barbares : barbaros homines…

L'endroit où est Gréouls, était plus fameux; nous croyons qu'il y avait des habitations avant les Romains, à cause de la salubrité des eaux thermales, qui donnèrent le nom à l'endroit ; Gryselium vient du Celtique Grezum, qui signifie, douleur ou maladie, et de Lin, eau; comme si l'on disait eau pour les maladies. Quelqu'un apparemment, qui s'était bien trouvé de ces bains, en témoigna sa reconnaissance aux Nymphes, qui y présidaient par l'inscription, que voici :

NYMPHIS XI

GRISELICIS

Il y a toute apparence que dans le temps où elle fut faite, les eaux formaient onze sources, dont chacune avait sa Nymphe particulière, suivant l'opi­nion des Anciens, et que c'est ce qu'on voulut désigner par le nombre onze.

Ces eaux ont, ou peu s'en faut, les mêmes principes que celles de Digne, dont je parlerai assez au long. Leurs propriétés sont par conséquent à-peu-près les mêmes. La chaleur des eaux de Gréouls n'est que de 30 à 31 degrés, au thermomètre de Réaumur j c'est-à-dire, moins forte de sept degrés que les eaux de Digne.

Stoublon, Stablo, est nommé par Paul Diacre et Grégoire de Tours, par­mi les lieux que les Saxons et les Lom­bards dévastèrent vers la fin du sixième siècle.

Stablo vient de s tabulum , qui, dans le Bas-Empire, signifiait la même chose que hospitium, gîte pour les voya­geurs, poste ou relais: ce village devoir se trouver fur la route de Riez à Digne. Sous les Romains les chemins étaient autant multipliés qu'aujourd'hui, puisque la Province était au moins autant peuplée. De Riez à Fréjus, c'était une grande voie militaire, qui passait par Montpezat, Baudun, Verignon, Ampus et Draguignan. On a trouvé au ter­roir de Montpezat et de Baudun, des inscriptions.

On en a également trouvé à Moustiers, en latin, Monasterium, ainsi appelé à cause d'un couvent bâti par les Religieux de Lérins, vers la fin du onzième siècle: cependant, le terroir était plus anciennement habité ; il est certain que sous les Romains il y avait quelques villes, qui furent détruites dans le moyen âge ; les inscriptions sépulcrales qu'on y a trouvées en sont une preuve allez convaincante; je me dispense de les rapporter ; elles ne contiennent que les noms de quelques particuliers.

La fertilité du sol, et la bonté du climat, furent cause que cette ville se peupla, et qu'elle devint même assez, considérable pour être chef de Viguerie et siège d'un Bailliage ; distinctions qu'elle a perdues ensuite, avec une partie de sa population; car, avant l'an1386, les guerres et les maladies lui avaient enlevé la moitié de ses habitants.

Une chose digne d'attention à Moustiers, est la chapelle de Notre-Dame de Beauvézer, située entre deux montagnes fort hautes, fort escarpées et séparées par un espace d'environ deux cents cinquante pieds : elle est ancienne et fameuse par les pèlerinages qu'on y faisait dans les siècles passés, Bouche et Salomé prétendent que Sidonius Appollinaris, quand il vint voir l'autre, évêque de Riez, vers l'an 470, alla visiter cette chapelle, et que c'est ce qu'il a voulu dire par les vers suivants :

Omnibus attamen lis sat prestat, quod voluisti,

Ut fanctae matris sanctum quoque limen adirem ;

Obrigui, fateor, mihi conscius atque repente

Tinxit adorantem pavido reverentia vultum.

Ils n'ont pas fait attention qu'il ne s'agit ici que d'une visite faite à la mère de Fauste, qui était apparemment une femme respectable par son âge et sa vertu, Sidoine, crut voir Jacob, dit-il, le conduire chez sa mère Rébecca, ou Samuel chez sa mère Anne, et il fut saisi du même respect.

Nec secus intremul, quam si me forte Rebeccae,

Israël, aut Samuel ctinitus duceret Annae.

Voilà comme on accrédite des fables dans un pays, faute d'entendre les au­teurs qu'on cite. Cette erreur des historiens a été cause qu'on a fait graver sur la porte de la chapelle les vers de Sidoine, pour attester que cet évêque y était allé en pèlerinage.

Les deux montagnes, dont nous avons parlé ci-dessus, soutiennent une chaîne de fer, qui s'étend d'un sommet à l'autre ayant au milieu une grande étoile à cinq raies, au sujet de laquelle on a dé­bité beaucoup de fables. Le lecteur éclairé n'y verra qu'un de ces vœux ordinaires, dans les siècles de la chevalerie.

Nos preux chevaliers, qui faisaient des entreprises d'armes, se préparaient presque toujours à les exécuter, par des actes de piété, dans une église où ils se confessaient, et dans laquelle ils devaient envoyer, à leur retour, tantôt les armes qui les a voient fait triompher, et tan­tôt celles qu'ils avaient remportées sur les ennemis. Souvent ils promettaient des choses aussi bizarres que le caprice qui les dictait. Nous pourrions en citer plusieurs exemples, si notre intention n'était pas d'abréger. La promesse d'en­chaîner deux montagnes, peut elle-même servir de preuve de la dévotion étrange de nos bons aïeux; car, il n'y a pas de doute que ce ne soit ici un vœu, et fait par quelqu'ancien chevalier à Notre Dame de Beauvezer, au sujet de quelque entreprise d'ar­mes, soit courtoise, soit à outrance. L'étoile suspendue à la chaîne n'est autre chose que les armes du chevalier qui fit le vœu. Les uns ont cru qu'elle avait été mise par un chevalier de la maison de Blaccas, qui avait une partie de la Sei ­gneurie de Moustiers, et qui a pour armes une étoile à seize raies. Un manuscrit assez ancien l'attribue à Anne de Riquety, qui vivait, suivant toutes les apparences vers l'an 1390. Si c'est un Blaccas qui fit suspendre cette chaîne, je ferais porté à croire que c'est le même dont nous avons parlé dans l'Histoire, et qui se rendit célèbre par son courage, par les agréments de l'esprit, et les qua­lités du cœur. Il mourut en 1130 ou en­viron.

Il n'y a point eu d'ancienne abbaye dans ce diocèse; je ne parle pas de Sainte-Catherine de Sorps, ordre de S. Benoît, parce que son établissement est moderne, remontant tout au plus à l'an 1255. Il y avait cent religieuses dirigées par huit chanoines du même ordre, qui logeaient tout auprès. Les maladies firent abandonnées ces établissements dans le quinzième siècle.

Le Diocèse de Riez et celui de Sisteron dont je vais parler, sont très abondants en amandes : il y a de petites vil­les qui en recueillent pour environ qua­rante mille écus. Le défaut de l'aman­dier, c'est de fleurir trop tôt dans un pays où l'inégalité de la température occasionnée par le voisinage des hautes montagnes, fait quelquefois succéder la gelée aux chaleurs, et détruit les fleurs. On rendrait un grand service à la Pro ­vence, si l'on pouvait trouver un moyen de retarder la floraison de cet arbre.

La ville de Sisteron en latin, Segustero était connue anciennement : ce mot celtique, signifie lieu où la rivière est resserrée; il vient de Ceg , Gorge, et de Stoer, rivière: en effet, à Sisteron la Durance est resserrée entre deux ro­chers.

Cette ville n'a jamais été considérable dans aucun temps. C'est de leur position avantageuse, et non pas de la fertilité du terroir, que dépend le sort des villes. On en voit de très grandes dans des pays qui fournissent à peine de quoi nourrir le quart des habitants ; parce qu'elles deviennent, par leur situation, un lieu de communication entre des Pro­vinces et des Royaumes entiers : mais dans les lieux écartés de la mer, des grandes routes et des rivières navigables, l'industrie et la population languissent ; les villes sont à peu près toujours mêmes ; leur sort le plus heureux est de ne pas déchoir.

Sisteron dépendait anciennement des Avan tici , qui s'étendaient dans la partie méridionale du Diocèse de Gap, et avaient dans leur territoire, la petite rivière de Van çon, dont le nom parait dériver de celui de ce peuple. Elle se jette dans la Durance , un peu au-dessous de Sisteron, qui est situé sur le bord opposé.

On voit à Curbans, près de Sisteron, une mine de cuivre assez estimée. On avait commencé sous M. le Régent d'ex­ploiter, à ongles, un minéral d'argent répandu par couches, dans une pierre grise : mais comme ces couches sont rares, on l'abandonna. On trouve au quartier du plan, terroir d'Aubénas, dans un ravin près d'une chapelle, un filon de souffre assez pur : ce même mi­néral se voit sur des pyrites dans le terroir de S. Martin de Renaccas et du Revest. L'ocre, le vitriol et le plomb sont dans le terroir de Dromom, Diocèse de Gap, bailliage de Sisteron. Le plomb se voit encore à Pu ypin s ur la montagne du Luberon. Cette montagne contient beaucoup de bitume : il est li­quide en certains endroits. C'est ce minéral, qui donne au charbon de terre le phlogistique, sans lequel ce fossile ne tiendrait jamais un rang parmi les ma­tières combustibles les plus utiles.

Un naturaliste curieux des coquilla­ges fossiles, verra des bélemnites et des cornes d'ammon ferrugineuses, dont plusieurs sont striées, et d'autres lisses et ramifiées, dans des marnes nommées Roubines au terroir de S. Vincent , montagne de Lure, d'où l'on a tiré d'assez beaux cristaux de roche. Le genévrier commun, qui croît en ces endroits-là, acquiert, en vieillissant, une odeur aro­matique très agréable. Râpe sur des charbons, il parfume un appartement, et l'on assure même que pendant un temps on n'a pas brûlé d'autre encens à l'autel. Plus ce bois est vieux, plus il acquiert de parfum. Ce serait le meil­leur qu'on pût employer dans les

cham­bres des malades, parce que le genévrier est un des plus puissants antiseptiques. La pointe la plus élevée de la montagne de Lure est de neuf cents toises

au-dessus de la mer.

L'Itinéraire et la table font mention d'un endroit de ce diocèse nomme Alaunium, dont la position était dans le terroir de Lurs, au quartier de Notre - Dame des Anges, appelé Aulun dans les actes publics; la voie mili­taire qui allait d'Apt à Sisteron y passait.

Cet endroit est à une lieue de Forcalquier, connu du temps des Romains sous le nom de Forum Neronis. Le mot de Forum désignait les marches établis au voisinage des voies militaires, les lieux où les officiers des Empereurs allaient plusieurs fois l'année pour rendre la justice. Il faut que celui-ci ait été établi par l'Empereur Néron, ou plutôt par Claude-Tibere-Néron, que Jules César envoya dans la Narbonnaise pour y fon­der les colonies et y faire les autres établissements nécessaires pour la commo­dité et la tranquillité publiques.

Lorsque les descendants de Boson II se partagèrent la Provence , la portion qui échut à la branche cadette, et qui comprenait les Diocèses d'Apt, de Riez, de Sisteron, de Gap, et une grande par­tie de l'Embrunois, prit le nom de Com­té de Forcalquier, parce que cette ville en fut la capitale. Les Comtes y firent leur séjour ordinaire, et lui accordèrent plusieurs privilèges aussi utiles qu'hono­rables.

J'aime à citer comme une preuve de la simplicité des mœurs antiques, ce plaid que Raymond Bérenger IV e , tint à Forcalquier au commencement du treizième ficelé, et dans lequel ce Prince, dont les quatre filles épousèrent les quatre plus grands monarques de l'Eu­rope, nous est représenté assis au haut de l'escalier qui conduisait au clocher ; les principaux seigneurs de sa Cour occupaient une place bien moins commode encore: c'était l'usage alors que les grands vassaux rendissent la justice dans la cour de leur château, assis sur un perron ombragé, tantôt d'un orme ou d'un tilleul, tantôt d'un pin ou d'un autre arbre, et il y a des villages où l'on trouve encore un reste de cet ancien usage dans l'habitude rude où l'on est d'assembler en été , le conseil de ville sous un orme ou sous un chêne.

Comme le Comté de Forcalquier croit autrefois indépendant du Comté de Provence, les Rois de France, dans leurs Edits ou Déclarations qui concer­nent cette province, prennent le titre le titre de Comtes de Forcalquier.

Manosque, à trois lieues de cette ville, n'est point mentionnée dans les Géographes Romains. Ces auteurs, uniquement attachés à nommer les colonies et les principales villes bâties près des grandes routes ou sur les côtes, ne différent rien de celles qui étaient écartées dans les terres. Celle de Manosque, telle qu'elle est, ne remonte pas au-delà du neuvième siècle. Les Comtes de Forcalquier y firent bâtir un château qu'ils don­nèrent aux Hospitaliers de S. Jean de Jérusalem, avec le domaine temporel de la ville. On voit dans la Chapelle de ce château le buste de Gérard Tum, fondateur de l'Ordre de Malte. C'est un ouvrage du fameux Puger. On le regarde comme un de ses chefs-d'œuvre.

On a ouvert à Manosque plusieurs mines de charbon de terre. Le minéral qu'on tire se décompose, laisse voir du cristal de vitriol martial, d'alun et de sélénite. Il répand une odeur de soufre très marquée ; le soufre n'est point rare dans les monta­gnes du Luberon ; on le trouve même cristallisé dans les rochers voisins de Manosque, où l'on rencontre des sources sulfureuses, qui étaient fameuses autrefois pour les obstructions. Elles noircissent l'argent, et ne changent pas de couleur par le mélange de la noix de galle. Il y a dans la même ville des puits dont l'eau est bonne en la tirant, et qui devient amère en bouillant ; sans doute parce que l'action du feu atténue et développe les parties bitumeuses, qui, étant plus condensées dans l'eau froide, se précipitent au fond du vase. Enfin, on trouve dans le même terroir un banc de coquillages, qui a plus de trois lieues de long. La ville de Manosque est dans une contrée agréable, arrosée de plusieurs sources, fertile et couronnée de coteaux charmants.

Outre ces mines de charbon de terre, on en exploite d'autres à S. Martin de Rennaccas, à Dauphin, à Volx : celle de Mane n'est point attaqué, à cause de sa mauvaise qualité. Des veines qu'on ouvertes à Martin, il y en a 4 qui donnent le meilleur charbon de terre qu'il y ait eu Provence pour les forges.

Il coulait autrefois du haut d'un ro­cher voisin des mines de Dauphin, des eaux blanchâtres et gazeuses, qui s'échappent à présent par la galerie qu'on fit à l'ouverture d'une mine attaquée il y a quatre ans. Les ouvriers qui découvrirent la source, n'ayant pu résister aux exhalations fétides dont ils furent frappés, s'enfuirent précipitamment, sans pren­dre leurs outils. Ceux, qui vinrent les chercher le lendemain y périrent ; et personne depuis lors n'a eu le courage d'entrer dans la galerie.

Ces eaux, outre l'odeur de soufre qu'elles exhalent, ont une couleur blan­châtre et un goût de putridité exaltée. Elles déposent, à quelque distance de leur source, du soufre pur, comme la fontaine de Tivoli, ou mêle avec un peu de sélénite. Leur couleur blanchâtre se perd quand elles ont roulé sur le gra­vier; mais leur goût et leur odeur se conservent.

La ville de Manosque, dans le seizième siècle, a été témoin d'un trait de vertu qui mérite d'être rapporté. Fran­çois I er étant allé dans cette ville en 151 6, alla loger chez un particulier, dont la fille lui avait présenté les clefs de la ville : c'était une jeune personne d'une rare beauté, et d'une vertu plus rare en­core. S'étant aperçue qu'elle avait fait sur l'esprit du Roi une impression que ce Monarque n'avait pu cacher, elle alla mettre du soufre dans un réchaud, et en reçut la fumée au visage pour se défigu­rer ; ce qui lui réussit au point qu'elle devint méconnaissable. François l" fut d'autant plus frappé de ce traie de vertu, qu'ici la vanité de subjuguer un Roi était un piège dangereux dans un âge où l'en­vie de plaire est déjà si forte et si natu­relle. Le Monarque voulant lui donnée une marque de son estime, lui assura une somme considérable pour sa dot. Toutes les circonstances clé ce fait ne font point également vraies car, il me parait impossible de recevoir, la vapeur du soufre autant de temps qu'il le faut pour se défigurer.

Nous ne parlerons de Lurs, que pour rappeler un événement funeste, arrivé dans ce village le 17 Août 1770, sur les 6 h. et demie du matin. Une grande partie des Paroissiens s'étant retirée dans l'église, pendant un orage violent, le ton­nerre y tomba, tua le Curé qui allumait un cierge à la lampe, et renversa six autres personnes. L'église parut, un instant après, tout en feu, et l'on éprouva un autre coup de tonnerre qui renversa 80 personnes. Cet événement est remar­quable par les effets singuliers du ton­nerre. Un homme qui sonnait la cloche, et qui avait laissé son chapeau à dix pas de lui, le trouva entre ses bras ; un autre se vit enlever les souliers de ses pieds, qui étaient sans doute fort larges, comme le font les souliers des paysans ; ils fu­rent portés à une petite distance, sans avoir été brûlés, et sans que les boucles eussent reçu aucune altération. Un ri­deau, qui couvrait un retable, fut en­levé de la tringle qu'on trouva dans les pitons, comme si elle n'avait pas remué: il faut qu'elle y fut retombée après avoir été s oulevée par l'action du tonnerre, qui, dans le même instant, fit glisser les anneaux du rideau avec la force et la rapidité que tout le monde connaît à ce météore.

--- Lurs.

Ce village doit son existence, ainsi que tant d'autres que nous pourrions ci­ter, à l'établissement d'une Chapelle fondée par quelques paysans, qui ayant entrepris de défricher ce terrain alors inculte, voulurent avoir un Prêtre qui leur dit la Messe. Quelque temps après, il vint d'autres cultivateurs, et le vil­lage se forma à mesure que la terre com­mença de produire… Passons au Diocèse de Digne.

Cette ville, appelée Dinia en Latin, était capitale des Bodiontici , qui paraissent avoir eu des habitations près de l'en­droit où elle est bâtie. Son nom est cel­tique, et tiré du local même ; car din s ignifie eau, et ia chaude. Elle fut ainsi nommée, à cause des eaux thermales qui sont à une demi-lieue. Il n'y a aucun reste d'antiquité dans cette ville. Sous les empereurs romains elle ne fut distinguée de beaucoup d'autres, que parce qu'elle eut un siège épiscopale; preuve que cette ville était une des plus considérable des Alpes maritimes.

Le fameux Gassendi, à qui le Comte d'Alais écrivait : si les grands négligeaient un homme de votre mérite, il faudrait qu'ils eussent chasser les Muses de la France , naquît à Champtercier , à une lieue et demie de Digne en 1592. Le talent singulier avec lequel il rajeunit, en quelque manière, la vieille philosophie d'Epicure, le rendit, pendant quelque temps, le rival de Descartes, qui en créait une nouvelle beaucoup plus ap­prochante du vrai. Il eut l'honneur de partager, avec ce célèbre philosophe, les suffrages des Savants de l'Europe, dont la plupart ayant vieilli dans les opi­nions de l'école, se refusaient à la lumière qui leur en découvrait l'illusion. Gassendi était savant dans plus d'un genre; il était surtout fort versé dans les mathématiques et l'astronomie, et avoir contribué avec ses amis Peiresc et Gautier, Prieur de la Vallette , à répan­dre en Provence le goût de ces connaissances utiles, qui cependant n'empêchèrent pas qu'on ne traitât à Aix comme sorcier un artiste qui n'avait d'autre crime que d'être un trop habile mécanicien pour son siècle. Il avait inventé un automate qui jouait de la guitare. Les spectateurs étonnés de voir la machine, placée sur une table au milieu d'une chambre, la guitare au col, les doigts sur le man­che, jouer avec beaucoup de justesse les mêmes airs que le mécanicien jouait, ne purent s'imaginer que tant de mer­veilles s'opérassent sans quelque sortilège. Les esprits s'échauffèrent, la machine fut mise en pièces, et le malheureux, qui l'avoir inventée, sacrifié à la superstition du peuple. Les connaissances épargnent bien des crimes.

L'objet le plus intéressant en fait d'histoire naturelle, est la fontaine thermale, qui coule à une demi-lieue de cette ville. La chaleur des eaux est de 38 degrés au thermomètre de Réaumur ; mais elle varie suivant le degré de température qui règne dans l'atmosphère. Elles ont un goût un peu salé, sont très limpides, et répandent une odeur tant soit peu bitumineuse.

Trois livres d'eau évaporées au feu ; dans un vaisseau de terre vernissée, ont donné 62 à 63 grains d'un sel marin et commun, 18 grains de sélénite et 9 grains de terre absorbante.

L'esprit de sel de nitre, de vitriol et de soufre répandu sur l'eau refroidie ou sortant de la source, n'a donné aucune effervescence, du moins sensible, mais un précipité blanchâtre au fond du verre. L'urine nouvellement rendue n'a produit aucun changement ; le lait ne s'est point caillé. On n'a découvert dans ces eaux qu'un sel analogue à celui de la mer ; et il est probable que c'est à ce sel qu 'elles doivent leur vertu purgative. On le trouve incrusté sur les murailles, et nulle part on n'a découvert les moin­dres traces de soufre : on a donc tort de croire que ces eaux rafraîchissent, et qu'elles soulagent les maux de poitrine.

--- Etablissement thermal de Digne, vers les années1910 .

Ces bains sont salutaires pour les rhumatismes froids, pour les rhumatismes goûteux, pour la gale, les dartres, sciatiques, paralysies, vieilles blessures, coups de feu, ulcères, plaies faites avec l'arme blanche, coliques néphrétiques, ischuries, stranguries, surdités, bour­donnements, en un mot pour toutes les maladies où il faut diviser la lymphe et les humeurs épaissies, qui ne peuvent se dissiper par la transpiration insensible. Ainsi ces bains pourront être encore salutaires dans les apoplexies séreuses, lorsqu'il s'agit, pour dissiper l'engorge­ment des humeurs, de rendre aux vaisseaux et aux nerfs leurs oscillations na­turelles. Mais dans tous ces cas et dans plusieurs autres on ne doit rien faire sans l'avis des médecins.

La fontaine de Lambert n'est point thermale, mais l'eau n'est point salée ; et en la mettant dans un chaudron sur le feu, on en tirerait un sel assez bon. Celui que donne l'eau de la fontaine de Cluman quand on la fait bouillir, est sain, beau et abondant.

Il y a dans le terroir de Digne beaucoup de fossiles. La montagne de S. Vincent est couverte d'astroïtes, de peignes striés de cornes d'Ammon, de bélemnites, de pyrites et d'une grande quantité de trochiles. Il y a aussi des géodes remplies des cristaux mobiles. Le cuivre et le fer font répandus par mor­ceaux dans les pierres de la montagne de S. Benoît. Il y a une mine d'argent à Mariaud une de fer à Barles, ainsi que dans la vallée dite l' Ecluse, et près du château de S. Marc de Jaumegarde; une de cuivre à Verdache , et des cristaux sur la montagne de Champourcin. Mais toutes ces mines auraient besoin d'être éprouvées pour qu'on pût juger de la qualité du minéral.

Texte numérisé par Jean-Paul Audibert

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