LA CRYPTE DE SAINT-GENIEZ-DE-DROMON
1-Sur la route de Saint Geniez
A Sisteron, la Durance se faufile entre la vieille ville et un bout des alpes qui vient plonger en Provence.
Il suffit alors de franchir le pont, en direction de St Geniez, pour se diriger vers des sites d'altitude et de solitude.
On retrouve aussitôt ce qu'écrit Giono à propos des alentours de Manosque "Par delà les collines vivent d'étranges cantons déserts, des contrées ou le vent se parfume à de sombres essences".
Au bout d'une dizaine de kilomètres nous croisons la Pierre Ecrite, déjà étudiée, et qui en pleine montagne solitaire exalte Dardanus, grand personnage de l'empire romain, fondateur d'une mystérieuse Cité de Dieu.
Si l'esprit est justement hanté par cette évocation de Théopolis, il n'est pas au bout de ses surprises. En effet, quelques kilomètres après le petit village montagnard de Saint Geniez apparait un cirque cantonné de montagnes.
C'est au piémont du rocher du Dromon, que s'est installé, dans la solitude et le dénuement d'un relief tourmenté, une petite chapelle de style roman.
La situation de Saint Geniez de Dromon dans ce cirque montagneux provoque déjà l'étonnement quant à son implantation.....
2-Une chapelle rurale en montagne
Historiquement, la Haute Provence a vue sa population regroupée en de nombreux petits villages ou même les plus importants ressemblent à de simples bourgs.
Après des siècles de troubles et d'invasions dévastatrices le pays va, grâce au mouvement monastique, entrer dans le renouveau.
On verra alors apparaitre de nombreuses petites églises de campagne qui dans leur modestie sont à hauteur humaine.
Cette simplicité et ce dépouillement révèlent toute une sensibilité religieuse conforme aux bas alpins.
C'est pleinement à ce premier âge roman que se rattache la création de la petite église de Notre Dame du Dromon.
Ensuite, de nombreuses réfections vont survenir au 17 ème siècle, qui tout en modifiant fortement l'édifice d'origine, nous ont permis de conserver ce sanctuaire rural.
Ce qui surprend c'est bien sûr son implantation. Installé sur le flanc Nord du rocher du Dromon qui culmine à 1300m, le positionnement de la chapelle est époustouflant.
Au delà, la pente plonge dans un profond cirque collinaire ou l'on entend couler le Vancon. Robert Bailly parle justement de "reliefs wagnériens"...
Mais il existe ici une particularité supplémentaire porteuse de mystère.
C'est que dans le chœur s'ouvre un escalier tournant. En le descendant on arrive à une petite crypte sombre, en partie creusée dans le rocher. On est alors immédiatement saisi par ce lieu qui semble fait pour maintenir vivant les rites chrétiens.
3-La notion de crypte
La crypte (du latin crypta=grotte) est un emplacement souterrain servant généralement de sépulture ou recueillant des éléments évocateurs de pieux personnages vénérés par les premiers chrétiens.
Une étymologie grecque ( kriptos=caché) indique un second aspect : la grotte sacrée cache aux yeux des profanes les souvenirs des martyrs et les protège.
Les cryptes célèbres sont nombreuses en Provence, depuis l'église des Saintes Maries de la Mer qui abrite Sara à la crypte de Saint Victor à Marseille, par exemple.
Elles sont également présentes en Haute Provence. Citons la crypte du prieuré de Vilhosc à Entrepierre, de St Marc à Allemagne ou encore celle de Ste Tulle.
Avant la religion chrétienne nos ancêtres les gaulois attachaient déjà un caractère sacré à des divinités souterraines.
Comment se présente donc la crypte de Notre Dame du Dromon ?
De petite dimension (- de 6mètres de long), elle est concentrée sur elle même. On entre dans une nef à deux travées. On va aussi y trouver des voutes en berceau
suivant la méthode antique et des chapiteaux qui rappellent l'architecture romaine archaïque.
La crypte dans la pente de la montagne et dans un choc de rochers a un plan irrégulier accentué par les réparations successives.
Malgré l'étroitesse des lieux, le plan d'ensemble fait apparaitre une crypte double !! Il s'agit en fait de deux petites nefs rectangulaires se terminant par des absides, une sorte de double vaisseau disposé parallèlement à la pente. Elles sont réunies entre elles par un couloir (aujourd'hui obturé) et chacune est accessible par un escalier.
Simplement, la partie Nord est écroulée et nous ne pouvons aujourd'hui qu'accéder à la crypte sud par l'escalier se trouvant dans le chœur de l'église supérieure.
Ce plan de crypte double se retrouve dans le Sud. Guy Barruol, le si beau connaisseur de nos alpes du sud, cite pour un plan comparable la crypte double de San Ampelio de Bordighera, en Ligurie italienne, au bord de la mer. (Sant Ampelio était un ermite qui après avoir vécu en Thébaïde continua à vivre sa vie de prière dans une grotte rocheuse de la côte maritime).
Dans nos montagnes on va trouver, adossées aux murs de la crypte trois colonnettes dotées de beaux chapiteaux en albâtre prélevé sur place. Certains éléments de décoration après l'évocation de San Ampelio, vont nous maintenir dans une atmosphère orientale.
Le premier présente deux paons à longue queue, pleine de plumes ocellées. Le cou est plongé à l'arrière, ce qui permet au sculpteur roman de le caser dans ce petit espace.
Nous voila, en pleine montagne sisteronaise, face à un vieux répertoire iconographique chrétien qui se trouve notamment sur les chapiteaux reflétant l'art lombard, mérovingien, ou byzantin. N'oublions pas que les saintes maries sont venues de Palestine évangéliser la Provence...
Attardons nous donc sur le symbolisme du paon. Après avoir été dans la mythologie l'animal préféré de la déesse grecque Héra, il va être au Moyen-âge un symbole de résurrection. On croyait alors que sa chair était imputrescible et il est devenu ainsi un symbole d'éternité.
Il a donc sa juste place dans cette crypte, lieu de la foi chrétienne éternelle.
A ses cotés une tête de bélier réaliste, aux cornes enroulées. Dans la mythologie il est l'incarnation des forces de la nature. Ses cornes, enroulées en forme de spirale, symbolisent l'élan vers la vie, une sorte d'éternelle renaissance. Dans le symbolisme chrétien, il est aussi le conducteur du troupeau, le berger qui conduit les fidèles. (Il sera ensuite remplacé par l'agneau).
De plus, nous sommes ici dans les alpages, lieu traditionnel de transhumance des troupeaux.
Ces motifs, juxtaposées, font bien parti de répertoire symbolique liturgique de l'immortalité de l'âme.
Le deuxième chapiteau présente des gerbes de blé retenues dans des corbeilles entrelacées. Son symbolisme, plus connu, est celui d'une vie nouvelle fécondée par la nature nourricière, un symbole de résurrection.
Ces représentations de cultures dans une région agricole permet selon certains un rattachement au culte de la fécondité agraire de la nature.
En tout état de cause, nous sommes loin d'une sculpture académique (des romains par exemple) pour renouer avec la symbolique de l'esprit c.a.d de la création.
Le troisième chapiteau conservé est le seul de la partie nord mais il n'a pas de répertoire sculpté et présente un chapiteau en grés.
Elément constitutif de l'église chrétienne, porteuse du mystère de la foi et de ses martyrs, la crypte a de plus une vocation : permettre aux fidèles et aux pèlerins de s'approcher des restes d'un personnage sanctifié.
A cet égard il faut faciliter la circulation des pèlerins. On pénètre habituellement dans les cryptes par des escaliers qui débouchent des deux cotés du sanctuaire.
Nous sommes bien ici en présence d'un circuit de pèlerinage à deux escaliers, même si celui du nord est écroulé.
Mais, dès lors qui, dans ces espaces étendus et reculés, venait-on vénérer ?
4-Les fonctions de la crypte
Notre crypte est bien sur le territoire de Saint Geniez.
Le nom du village apparait pour la première fois en 1030 (ecclesia Béati Genesii) et il est ainsi nommé d'après St Genès d'Arles.
Genes (ou Geniez ou Genest) était greffier à Arles et devint martyr dans le cadre de son métier en refusant d'enregistrer les édits ordonnant de persécuter les chrétiens !
Il fut alors décapité dans le quartier de Trinquetaille. Différents villages portent son nom, comme Saint-Geniez(24) ou Saint Geniès de Fontedit (34).....
Mais comment la vénération pour ce saint arlésien vivant au bord du Rhône a-t-elle pu arriver jusque dans les basses alpes?
N'oublions pas que le renouveau en Haute Provence est le fait de l'action monastique....et que les reliques de St Genes étaient placées sous la protection des bénédictins de Saint Victor de Marseille qui possédaient dans notre village un important prieuré depuis les environs de l'an mil.
On connait la pratique de l'époque : celui du morcellement des reliques qui permet aux croyants une relation plus présente et plus directe avec le christ.
Comment imaginer que les bénédictins n'auraient pas appliqué à proximité immédiate de leur monastère la vénération de quelques reliques de St Genes dont ils avaient la garde?? La crypte de Notre Dame était alors le réceptacle privilégié.....
Malgré cette hypothèse on peut aussi penser à un ermite qui aurait mené une vie pieuse dans ces solitudes et dont on n’a pas conservé l'histoire de nos jours.
Tel est le cas, par exemple à Carluc, prés de Forcalquier, qui conserve tout un ensemble rupestre, avec une hypogée de 26 m creusée dans la pierre, et de nombreux sarcophages anthropoïdes.
Ainsi, même si rien ne permet de connaitre l'identité de l'occupant du site, tout atteste la spiritualisation de l'endroit qui a attiré les pèlerins désireux de rester prés du saint homme.
5-Un itinéraire spirituel en Haute Provence
Selon Giono " Les hommes su Sud ne chantent pas le soleil, ils chantent l'ombre " (Provence perdue).
Et c'est bien dans l'ombre, au cœur de la terre, dans des cavernes ou des grottes que se sont situés les tentatives d'itinéraires spirituels des premiers hommes.
La crypte, de nature chtonienne (Knthon=terre) prolonge notre mémoire archaïque et nos racines intimes.
Elle apparait comme sombre, secrète, cachée mystérieuse et donc sacrée.
La minuscule crypte de Saint Geniez, au cœur d'une nature solitaire et grandiose qui permet le retour sur soi même est bien le fruit de la Haute Provence, terre de rencontres et d'archaïsmes qui a su construire dans la beauté simple des édifices conformes à sa sensibilité religieuse.
Elle est un chainon d'un itinéraire spirituel, d'une religion de l'esprit.
Laissons la parole au poète Louis Brauquier :
"Connais-tu cette crypte ou une vierge noire
Maintient vivace un vieux mystère oriental?
C'est la que je voudrais, loin des feux de la terre
Me sentir emporté par d'anciennes prières "
Robert Sausse di Vénézia
Bibliographie: Voir article "La pierre écrite"