Elémir Bourges :
Pourquoi écrire une brève biographie de ce personnage ? Pour le faire connaître car il a laissé son nom à un boulevard de Manosque, pourquoi, qui était-il ?
C'est cette ville de Manosque qui l'a vue naître le 26 mars 1852, de même que Versailles l'a vue décéder le 13 novembre 1925. On a dit de lui que c'était un enfant surdoué, à ce propos un de ses professeurs raconta que lorsqu'il avait 5 minutes, il relisait l'Encyclopédie ce qui est une preuve de sa soif de connaissances.
Il monta bien vite, comme on dit, à Paris où il vécut de sa plume, il y fut journaliste et écrivain. Il fit parti des Rose- Croix esthétique, mouvement artistique de la fin du XIX ème siècle fondé par Joséphin Péladan et qui s'attachait au symbolisme ajouté à l'ésotérisme ; l'illustration la plus authentique de leurs idées se retrouve dans un de ses romans : « Les Oiseaux s'envolent et les Fleurs tombent ». Mais, en fait, c'était un solitaire qui va rapidement rejeter toute appartenance à une école littéraire.
De sa carrière journalistique, il faut surtout retenir qu'il a été chroniqueur au journal « Le Gaulois » (journal politique et littéraire fondé en 1868) et que pendant 5 ans, de 1881 à 1886, il a collaboré à la Revue des Chefs d'œuvres.
Ce fut un homme qui aima beaucoup la musique, en particulier, il fut un grand amateur de Wagner.
Il allait souvent à Pierrevert dont le curé Etienne Gaudemard, qui s'occupa de la paroisse de 1839 à 1885 se trouvait être son oncle, Jean Giono a écrit un article sur lui : « Elemir Bourges à Pierrevert » dans « Récits et essais ».
Il lui faudra attendre la trentaine pour se faire connaître. Si de nos jours, il est méconnu, il n'en fut pas de même dans les années 1890, il faisait partie du monde des lettres et fut l'ami de Stéphane Mallarmé. En 1900, il sera parmi ceux qui vont créer l'académie Goncourt. Ses écrits furent peu nombreux mais dégageaient une qualité certaine.
Œuvres:
+ Le Crépuscule des Dieux (1884) – Se passe en 1866 durant la guerre entre la Prusse et l'Autriche où elle oblige un prince, Charles d'Este, à se réfugier en France, il va se fondre dans sa société et le roman va être une étude des mœurs où règne en maîtresse la décadence.
+ Sous la hache (1883) Episode de la chouannerie qui va faire comparer cette œuvre au « Chevalier des Touches » de Barbey d'Aurevilly.
+ La Nef (1904 et 1922) Livre édité en deux parties. C'est une épopée métaphysique qui met en scène Prométhée.
+ Les Oiseaux s'envolent et les fleurs tombent (1893).
+ L'enfant qui revient (1905).
Un de ses romans : LE CREPUSCULE DES DIEUX ici.
--- Boulevard Elémir Bourges à Manosque, avec la place des Terreaux au centre de la carte postale (cpsm).
Un article d'Octave MIRBEAU
J'ai gardé M. Elémir Bourges pour la fin et, en quelque sorte, pour la bonne bouche. Il est bon de terminer une série de portraits d'hommes, pour la plupart sans valeur et sans conscience, par le portrait d'un homme de valeur et de conscience. Celui-ci console de ceux-là.
M, Elémir Bourges n'est point le critique ignorant et soumis tel que l'a fait la perversion du théâtre moderne ; c'est le critique savant et indigné, tel que le créent la solide éducation littéraire et le respect de soi. Je jurerais que M. Bourges n'a jamais mis les pieds dans les coulisses d'un théâtre, qu'il ne connaît ni un acteur, ni un secrétaire, ni un directeur, ni un librettiste, qu'il n'a fait la cour à aucune étoile, de drame ou de comédie, et qu'il dédaigne d'apparaître aux banquets de la critique, ces banquets que président l'honorable M. Vitu et où M. Stoullig veut bien émettre mensuellement quelques idées fortes sur la littérature dramatique de son temps, et sur la manière de composer un troisième acte en secret, même en voyage. J'imagine qu'il pousse l'ignorance de sa profession jusqu'à rester inconnu des ouvreuses et des contrôleurs, et qu'on ne le voit point mêlé aux groupes bien-pensants où trône M. Sarcey et au-dessus desquels flottent, comme un drapeau, les cheveux héroïques de M. de la Pommeray. Enfin , l'on m'a dit qu'il avait aux premières représentations une façon d'être et d'écouter tranquille et solitaire qui manquait du goût parisien le plus élémentaire et ne pouvait, par conséquent, le ranger au nombre des Tout-Paris.
M. Bourges a ce mérite rare et curieux de penser par lui-même, de penser juste et d'écrire ce qu'il pense en un style brillant, spirituel et élevé. Singulier temps où il semble que le premier mérite d'un écrivain soit d'avoir, non du talent, mais de la conscience, et qu'il faille davantage s'étonner de ce qu'on rencontre sur son chemin un homme de bonne foi plutôt qu'un homme de génie !
Je n'étonnerai donc personne en disant que M Elémir Bourges professe pour le théâtre d'aujourd'hui le plus souverain mépris. Il est sans pitié pour les imaginations aliénistes de M. Delpit, et les succès de commerce de M. Ohnet ne lui disent rien qui vaille. Nul ne montre mieux que lui le vide effrayant de ces œuvres applaudies, et leur incurable imbécillité. Il sait démonter, avec un art d'ouvrier habile, toutes ces pièces chétives, dont le mécanisme enfantin et rouillé grince horriblement sous ses doigts impitoyables. Des fétiches adorés par la foule, il fait un petit monceau de poussière, et il arrache de leur piédestal les statues glorieuses, élevées et mal élevées par la toute-puissance de la réclame à la toute-puissance de la bêtise.
Comme il ne se sert, pour son œuvre de saine démolition, que de bons et solides arguments ; comme les lettres mystérieuses, les avis discrets, les visites et les recommandations ne produisent sur lui nul effet, on a pris le parti de se dire pour se consoler : « il ne compte pas.». Et on ne l'invite plus aux soupers de centième.
C'est juste. Il ne compte pas, parce qu'il n'a jamais voulu galvauder son talent dans des complaisances et des camaraderies, parce qu'il travaille beaucoup et qu'il ignore l'intrigue, parce qu'il sait oublier M. Augier avec Shakespeare, M. About avec Voltaire, M. Albert Millaud avec Beaumarchais, parce qu'à cette époque où l'on aime plus rien que l'argent et les vanités qu'il procure à ses courtisans, M. Bourges aime la littérature et les délicates et intimes jouissances qu'elle donne à ses élus.
Stendhal montrant Julien Sorel au milieu des séminaristes, ses compagnons d'études dit : « il ne pouvait plaire, il était trop différent . » Puis, plus loin : « J'ai assez vécu pour savoir que différence engendre haine . » M. Elémir Bourges avec son savoir, son jugement robuste et subtil à la fois, avec sa passion d'idéal et de fierté, au milieu de ses confrères, est trop différent. Je ne sais si du haut de leur ignorance et de leur mauvaise foi, ses confrères le haïssent mais à coup sur ils le méprisent. Et c'est ce mépris surtout qui nous le fait aimer.
M. Elémir Bourges écrivait au Parlement le feuilleton dramatique. Il avait succédé en ce poste, à M. Paul Bourget, à qui ce genre de littérature ne plaisait que médiocrement et qui se trouvait, bien à contrecœur, forcé de perdre ses soirées dans une salle d'orchestre, l'oreille douloureusement écorchée par l'odieuse prose de théâtre, De plus, M. Bourget, qui tenait le talent de son ami en grande estime, n'était pas fâché de lui donner l'occasion de se révéler, Mais Le Parlement, lequel avait plus de tenue que de tirage, vient de disparaître. C'était le seul journal assez peu inféodé au monde du théâtre et assez peu gourmand de places gratuites pour assurer à son critique la pleine liberté de ses appréciations. II est peu probable qu'aucune feuille, parisienne ou non, politique ou littéraire, ait le courage, en s'attirant M. Bourges, de s'attirer en même temps la haine des directeurs et la mauvaise volonté des secrétaires généraux.
M, Elemir Bourges se consolera en donnant, chaque semaine au Gaulois une chronique charmante et en publiant son roman. Le Crépuscule des Dieux que tous ceux qui le connaissent affirment être un livre plein du plus étrange et du plus beau talent.
Les Grimaces, 12 janvier 1884
Jean-Paul Audibert