LES QUATRE PAROISSES URBAINES DE FORCALQUIER

et leur union en 1415

Un texte de Berluc Perussis, paru dans les "Annales des Basses Alpes", année 1887.

I

Un four à chaux devenu citadelle, un village improvisé capitale, telle est, en deux mots, l'histoire de Forcalquier à son origine.

Les comtes de la Haute-Provence, inquiétés à Avignon par le pariage de leurs remuants cousins de Toulouse, résolurent, dès avant 1110, de transporter leur résidence dans les montagnes et de s'y fortifier. Ils jetèrent leur dévolu sur le hardi mamelon de Forcalquier, merveilleusement campé sur l'arête qui sépare les deux bassins géographi­ques adossés au versant sud de Lure. Jamais plus favo­rable assiette de château fort. L'éminence voisine, qui devait plus tard prendre, en une douloureuse occasion, le nom tristement significatif de la Bombardière (1) , était, avant l'invention de la poudre, non seulement sans mena­ces contre la citadelle, mais très propre à l'établissement d'une vigie plongeant sur la vallée du Béveron.

(1) C'est de là que Giacomo Galeoti, commandant des troupes françaises, bombarda, en juillet 1481, la citadelle, que commandait, pour la reine Yolande, le capitaine Manaud de Guerre.

  Mais, si la position était singulièrement heureuse au point de vue militaire, elle l'était fort peu pour créer là une ville de quelque importance. Le territoire était maigre, l'eau rare, la population, par suite, clair éparpillée. Les comtes parvinrent, néanmoins, à triompher de ces condi­tions ingrates. Habiles et en même temps généreux, ils appelèrent les colons du dehors, à l'aide des deux grands moteurs que le régime féodal mettait en leurs mains : la liberté du sol et celle des personnes. Il n'en fallait pas davantage pour attirer d'innombrables transfuges des fiefs d'alentour, heureux d'échapper au pouvoir des tyran­neaux de campagne et de s'abriter sous l'autorité directe et légère du souverain.

Nous sommes dépourvus d'éléments pour établir, même par à peu près, le chiffre de la population forcalquérienne sous les comtes. Tout ce que nous savons, c'est qu'après l'effroyable peste de 1348, les incursions de Cervole et celles de Turenne, notre ville, amoindrie au point d'exciter, au siècle suivant, la commisération du roi René , comp­tait cependant encore plus de dix mille âmes , en 1600 (1).

(1) Délibération du conseil de ville, en date du 17 décembre 1600. Ce chiffre est au delà du triple de celui de 1847 et atteint presque le quadruple du chiffre actuel. Peut-être le conseil de ville y mit-il quelque exagération. On serait d'autant plus tenté de le croire, au moins à première vue, que le nombre des maisons de Forcalquier était, à peu de chose près, en 1600, ce qu'il est aujourd'hui. Mais, si l'on considère, sans parler de l'émi­gration des générations actuelles vers Marseille, que la moyenne des enfants dans chaque famille était jadis de six à huit, alors qu'elle n'est plus actuelle­ment que de deux ou trois, on est amené à reconnaître que la population de chaque maison était infiniment supérieure à ce qu'elle est aujourd'hui et que, par conséquent, à nombre égal de maisons, la population totale de la ville devait se rapprocher sensiblement du chiffre indiqué dans la délibération du 17 décembre.

Serait-il téméraire de hasarder qu'elle a pu en avoir le double au summum de sa prospérité ?

Ce qui est certain, quoique mal connu jusqu'à présent, c'est que Forcalquier, qui n'avait qu'une seule paroisse urbaine (l) avant l'arrivée des comtes, prit, une fois devenu la capitale d'un État indépendant, une importance telle, que trois autres églises paroissiales furent établies dans l'enceinte de ses remparts, savoir Notre-Dame, Saint-Jean (2) et Saint-Pierre, sans préjudice d'une église vicariale sise hors les murs et dédiée à saint Suffren.

Il sera intéressant de dire le rapide historique de chacune d'elles.

I. Et d'abord, l'église majeure, qui était en même temps la plus ancienne.

(1) Ajoutons-y une paroisse suburbaine, celle de Saint-Promace, bâtie ou plutôt rebâtie en 1030, dans le bourg de ce nom, à peu de distance de la ville. La paroissialité de cette église ressort canoniquement du fait qu'elle possédait un baptistère (Cartulaire de Saint-Victor, charte de 1035). Mais Saint-Promace, avant même la création des nouvelles paroisses « intra muros », cessa d'être paroissiale et devint un simple prieuré rural de Saint-Victor, sans charge d'âmes.

(2) Camille Arnaud, le seul de nos historiens alpins qui ait parlé de la pluralité des anciennes paroisses de Forcalquier, les réduit, au total, à trois, savoir Saint-Mary, Notre-Dame et Saint-Pierre. Voir l'Eglise de Saint-Mary à Forcalquier, par Camille Arnaud (Forcalquier, 1885), p. 7, il considère Saint Jean comme une simple église chargée de desservir le quartier de ce nom, qu'il appelle une bourgade (p, 11), mais qui, en réalité, s'avançait jusqu'à la place du Palais, au centre même de la ville. C'est avec raison, d'ailleurs, que Camille Arnaud hésite (p. 10) à identifier cette église avec la chapellenie dite de Saint-Jean, ou plutôt de Saint-Jean-Baptiste, dont les consuls de Forcalquier étaient juspatrons, La chapellenie en question avait été fondée, non en l'église de Saint-Jean, mais au maître-aute de la cathédrale, et c'est à cet autel que nous voyons, en 1782, le dernier recteur de la chapellenie Saint-Jean-Baptiste prendre possession de son bénéfice.

C'est celle dont les ruines, envahies par le lierre, se dressent encore à quelques pas du rocher de la citadelle et de la nouvelle église de Notre-Dame de Provence. Elle était primitivement dédiée à Notre-Dame, lorsque, en 925, au dire des hagiographes, l'évêque de Sisteron, Arnoul, y transporta les reliques de saint Mary, pour les soustraire aux Sarrasins. Depuis lors, le vocable de Saint-Mary s'ajouta et finit par se substituer au titre primitif.

C'est là que l'évêque Frondon établit le collège de cha­noines qu'il dota, en 1015, de la dîme de Salagon, tout en le subordonnant au chapitre de Sisteron. On sait qu'en 1061 Gérard Caprerius sépara les deux chapitres et donna à celui de Forcalquier un prévôt et des dignitaires distincts, ce qui constitua Saint-Mary en collégiale.

Quatre ans plus tard, en 1065, sous le règne et probable­ment à la demande de Guilhem et Geoffroy, premiers comtes de la Haute-Provence, un légat du Saint-Siège, Hugues Blanc, vint à Forcalquier, pour y procéder solen­nellement à l'érection de Saint-Mary en cathédrale (1), privilège singulier et presque sans exemple, qui donnait le caractère de la cathedra , c'est-à-dire du siège épiscopal, à une église sans évêque. Mais pouvait-on faire moins pour une ville où déjà sans doute les comtes souverains de la Provence supérieure s'apprêtaient à transférer le siège de leurs États? Nous avons raconté ailleurs (2) l'histoire de cette cathédralité et des luttes qu'elle amena entre Forcalquier et Sisteron. Bornons-nous à dire ici que le Concile provincial d'Aix la reconnut en 1112, deux ans après la première charte où Forcalquier nous apparaît comme capitale, et qu'Adrien IV la confirma par une bulle de 1155.

Un pareil honneur octroyé à la modeste église de 925 devait naturellement entraîner sa reconstruction, dans des proportions mieux en harmonie avec sa nouvelle dignité. Notre dernier comte, Guilhem III (1149-1209), y mit sans doute la main. Ce qu'il y a de sûr et ce que nous a récemment révélé l 'orbituaire de Saint-Mary , publié par M. J. Roman, sous les auspices de notre Société, c'est que le comte Raimond Béranger, petit-fils de Guilhem, fut chanoine de cette église et la dota multum bene (1). Le même recueil nous apprend que la construction de Saint-Mary fut parachevée, dans le courant du même siècle, par un prévôt du chapitre, mort cinquante ans après Raimond Bérenger, en 1296, et dont le nom, — Ispennel de Vemarcio, - mérite, si étrange qu'il soit, d'être retenu avec gratitude, car le bon prévôt consacra à cette œuvre, nous dit l'Obirtuaire, ses prières et ses biens (2). Le lundi 23 juillet 1386, la cathédrale de Forcalquier reçut une royale visite : la reine Marie de Blois y entendit la messe. La veille, l'évêque de Sisteron et le chapitre de Saint-Mary étaient allés, sur le chemin de Mane, à la ren­contre de cette princesse et du jeune roi Louis II, son fils, et leur avaient donné à baiser crucem et reliquias (3).

(1)  Société scientifique et littéraire des Basses-Alpes. — Obituaire du chapitre de Saint-Mary de Forcalquier (1074-1593), publié d'après le manuscrit original par J. Roman (Digne, 1887), p. 47.

(2)  Idem, pp. 55-56 — Entre la mort de Raimond Bérenger et celle d'Ispennel se place, dans les fastes de notre cathédrale, une grande assemblée qui y fut présidée, en 1255, par Philippe, archevêque d'Àix et métropolitain de Provence, pour mettre fin à la querelle du consulat entre les seigneurs, chevaliers et prozomes de Reillanne. (Voir Papon, Histoire de Provence, t. II.

(3)  Les détails du voyage de Marie de Blois à travers la Haute-Provence nous ont été conservés, grâce au journal de l'évêque Jean Lefèvre, chancelier de la reine, journal inédit, mails dont il existe diverses copies, dont deux à la Bibliothèque Méjanes, Nous avons recueilli, dans les Dates de l'Histoire de Forcalquier, tout ce qui, dans ce manuscrit, intéresse notre ville.

Cependant l'édifice achevé par Ispennel n'était pas consacré encore : c'est seulement le 21 avril 1408 que l'évêque de Sisteron, B., procéda à cette solennité . Cinq ans plus tard, Nicolas Costa, successeur de B. fut inhumé au chœur de Saint-Mary. Majorquin d'origine, ce prélat appartenait à l'ordre des Cordeliers ; il était, au dire de l'Obituaire, maître en théologie et fort versé tant dans l'astrologie que dans toutes les autres sciences .

Ici s'intercale un événement majeur clans l'histoire religieuse de Forcalquier. Depuis que cette ville avait cessé d'être capitale, depuis surtout les guerres et les pestes du XIV ème siècle, la population avait considérablement décru et les églises paroissiales, devenues trop nombreuses, avaient de la peine à sustenter les prêtres qui les desser­vaient. L'église majeure souffrait plus que les autres de cet état de choses, car la partie haute de la ville, où elle était située, tendait à se dépeupler de préférence. Aussi le chapitre résolut-il, en 1414, de demander à l'évêque la suppression des titres paroissiaux des trois églises mineu­res et la réunion des quatre églises en une seule. Ce fait, qui n'a été connu d'aucun de nos historiens, nous a été récemment révélé par la découverte des quatre documents. L'original de ces pièces a disparu, avec le reste des archives capitu­laires, soit pendant les guerres religieuses, soit pendant la Révolution. Par bonheur, les Minimes de Mane, inté­ressés, comme décimateurs de certains quartiers, à la conservation de ces actes, les avaient transcrits dans le cartulaire de leur couvent, et, par un bonheur plus rare encore, les archives des Minimes, sauvées au temps de la terreur par le fermier de leur moulin de Salagon, sont soigneusement conservées aujourd'hui par les Frères de Saint-Gabriel, dont le noviciat est établi dans l'ancien local des Minimes. C'est là et grâce à l'obligeance cour­toise des excellents Frères que nous avons pu découvrir et transcrire ces précieuses pages, qui nous donnent la plus nette idée de l'organisation ecclésiastique de Forcal­quier avant comme après l'union des quatre églises.

Il va sans dire que c'est au profit de « l'église-maîtresse » que l'union fut demandée par le chapitre et prononcée par l'ordinaire. Mais Saint-Mary n'en devait pas jouir longtemps. Outre les difficultés d'accès qui rendaient la cathédrale incommode et en éloignaient la population, un événement survint bientôt qui en éloigna les chanoines eux-mêmes.

Encore que nous ne possédions que des données fort vagues sur le siège de 1481 , nous savons cependant que l'artillerie de Galeoti, assise sur les hauteurs de la Bombardière, « ne put rien contre le château » ; mais, par là même que les projectiles n'atteignirent pas la plate­forme supérieure, il est vraisemblable qu'ils tombèrent en grande partie sur la cathédrale, qui s'étalait en avant et en contre-bas de la citadelle. Elle avait été tout juste­ ment dotée, l'année d'auparavant, d'un clocher neuf , qui fournissait à l'ennemi un point de mire à bonne portée. On imagine ce que devint ce pauvre clocher neuf. Ce qu'il y a de sûr, c'est que, moins de cinq ans après, l'église Saint-Mary dut être abandonnée.

C'est le 4 avril 1486 que le conseil communal délibéra que le service divin pourrait se faire « mieux, plus fran­ chement et avec plus de solennité » à Notre-Dame qu'à Saint-Mary et vota, avec le concours des chanoines, le transfert de ce service. Il fut toutefois convenu que le chapitre serait tenu, à perpétuité, de faire dire une messe dans l'ancienne cathédrale à chaque jour férié . Le 15 du même mois, les reliques du patron étaient solennel­lement transportées de la haute église dans la basse , à laquelle appartint désormais, en fait, sinon canoniquement, le double titre de concathédrale et de paroisse unique.

Pendant un siècle environ, le chapitre exécuta ponc­tuellement la clause qui l'astreignait à assurer un service dominical et festival dans la vieille église de Frondon et d'Ispennel. Mais la population n'en profitait guère ; c'est à peine si, le mardi de la Pentecôte, elle s'y rendait, à la suite de la fameuse procession annuelle du comte Béren­ger, qui visitait tour à tour les quatre anciennes paroisses. D'autre part, l'édifice tombait en ruines, et le conseil de ville ne songea pas un seul instant à l'empê­cher de crouler ; si bien que, les troubles religieux aidant, le service cessa de se faire, et la voûte, un beau matin, s'effondra.

Nos chanoines veillèrent-ils, au moins, à faire retirer des décombres les restes des vingt générations de prêtres et de fidèles qui dormaient là et à les transporter dans les tombes de Notre-Dame? Rien ne l'indique, tout même nous porte à croire qu'ils oublièrent, sous les pierres et les plâtras, et les chanoines leurs prédécesseurs, et l'évêque Costa lui-même, pourtant une des gloires de leur église. Ils allèrent plus loin, et, si douloureux qu'il soit de raconter un trait honteux pour leur mémoire, l'histoire ne peut le taire. Les registres du Parlement nous apprennent que, vers le milieu du XVIIe siècle, le chapitre eut la triste inspiration de vendre à un particulier les ruines de la vénérable cathédrale. L'acquéreur n'eut rien de plus pressé que d'en déblayer le sol et de le cultiver. Des monceaux d'ossements furent exhumés par la pioche, et, dans l'humus des caveaux, André Bandoly planta des oliviers. La ville s'émut de cette profanation ; elle actionna le chapitre en justice, pour lui demander de rétablir le sol de l'église en son premier état. Sur la plaidoirie de Boniface, le Parlement ordonna qu'à la diligence de l'économe du chapitre, Bandoly serait appelé, et que défense lui serait faite de cultiver le terrain de Saint-Mary, à peine de 500 livres d'amende (1).

 

(1) Arrêt du 11 février 1659. - Voir les Arrêts notables de Boniface, 11, p. 144. — Il est difficile de concilier ces faits indéniables avec la tradition dont parle Camille Arnaud et d'après laquelle on célébrait encore la messe à Saint-Mary à la veille de la Révolution. Tout au plus, pourrait-on admettre que la procession du comte Bérenger continuait à visiter, chaque année, cet emplacement.

Cet arrêt, s'il fut exécuté, ne le fut pas à toujours. Au dernier siècle, 1' « olivette » de Bandoly était redevenue olivette, et, sous l'action du temps, qui efface de la mémoire des hommes jusqu'aux plus chers souvenirs, nul ne songeait plus à protester contre la profanation de la sépul­ture des ancêtres. Aujourd'hui, remplacement de la cathédrale primitive est devenu le jardin du gardien de la chapelle de Notre-Dame de Provence. Quelques ossements s'y mêlent encore, comme un reproche, aux légumes et aux fleurs. Il serait à souhaiter qu'à titre de réparation d'une trop longue incurie, on recueillît ces débris dignes de respect et qu'on les déposât sous le pavé de la chapelle, avec une inscription à la mémoire de Costa et des nombreux fidèles à qui ces os ont appartenu. Ce serait consacrer en même temps le lien de filiation qui unit la jeune église de Notre-Dame de Provence à l'antique église écroulée à quelques pas de là et qui, elle aussi, à l'origine même de Forcalquier, avait été fondée sous le vocable de Notre-Dame.

II.

L'extension de Forcalquier sous ses comtes souverains fut à la fois très rapide et de courte durée. - II est vraisemblable que nos paroisses inférieures datent, toutes trois, de cette éclatante période d'un siècle (1110-1209) que suivit une décadence brusque. On ne peut guère l'affirmer, preuves en main, en ce qui concerne Saint-Pierre, qui n'existe plus et dont les titres ont également péri. Mais, pour Saint-Jean et Notre-Dame, leur seule vue les dénonce à l'archéologue comme deux créations du XII ème siècle, avec cette différence pourtant que le vaisseau de Saint-Jean, plus modeste de proportions, fut achevé d'un jet et remonte tout entier à cette époque, tandis que Notre-Dame, œuvre considérable et bâtie en plusieurs temps, n'appartient au XII ème siècle que par ses parties les plus anciennes.

Un mot donc tout d'abord de Saint-Jean, qui, de la première à la dernière pierre, nous vient intégralement de nos comtes ; legs précieux et absolument unique, puisque, d'une part, Saint-Promace, qu'ils achevèrent, avait été fondé par d'autres, et, d'autre part, Notre-Dame, leur œuvre principale, n'était pas construite à moitié au moment de leur extinction.

Pour qui sait lire les entre-lignes de l'architecture, la façade de Saint-Jean semble porter en toutes lettres le nom de notre libéral Guilhem III et celui des deux pieuses com­tesses qui présidèrent aux débuts de son long règne : Jausserande, sa mère, et Garsende d'Albon, son aïeule.

A nos yeux, Saint-Jean a encore un autre mérite. Ou nous nous trompons fort, ou cette église dédiée au précur­seur et assez voisine de l'église matrice, fut, à l'origine, le baptistère de Forcalquier. C'était là la destination de la plupart des édifices bâtis sous le titre de Saint-Jean-Baptiste. Sans aller chercher au loin des analogies, il nous suffira de constater que Manosque possédait, sous ce vocable, une paroisse qui fut longtemps le baptistère commun à toute la ville et l'était encore en 1155. Il serait invraisemblable que Forcalquier, doté d'une concathédrale, ne possédât pas son baptistère, quand Manosque, simple prieuré, avait le sien.

Les plus anciennes mentions de notre paroisse Saint-Jean nous sont fournies par l'inépuisable Obituaire de Saint-Mary. Elles sont relatives à trois vicaires de cette église, Guilhem Capharel, B. Bermond et Jacques Auvergne, qui moururent à peu d'années d'intervalle, en 1279, 1283 et 1284. Il est à peine besoin de rappeler que ce titre de vicaire avait alors un sens tout différent de celui d'aujour­d'hui. On le donnait au desservant principal d'une église paroissiale ou vicariale dont le bénéficier canonique était un prieur non curé, un monastère ou un chapitre curé primitif, un prébende, en un mot un titulaire dispensé de la résidence. Quant aux desservants adjoints, que nous nommons actuellement vicaires, ils étaient désignés sous la qualification de secondaires, que le peuple des campa­gnes leur donne encore de nos jours.

Une tradition très vivante, même aujourd'hui, à Forcal­quier, veut que la grande peste de 1347-1348, qui visita l'Europe entière et fut si meurtrière dans les deux Provences, ait particulièrement ravagé la partie méridionale du mamelon autour duquel s'étageait notre ville. Les rues les plus voisines de l'église Saint-Jean auraient été absolument dépeuplées, et c'est ainsi que, d'urbaine, cette église serait devenue rurale.

Malgré cela, comme sa circonscription s'étendait en ville jusqu'à la place du Palais, la paroisse de Saint-Jean conserva encore quelque importance. Elle garda son titre jusqu'à l'union de 1415, et, même après cette union, le chapitre continua à la faire desservir par un vicaire.

Deux curieuses délibérations municipales, relatées par Camille Arnaud , nous apprennent qu'en 1478 et 1479 la ville détenait le « livre de l'église de Saint-Jean, appelé missel », et ne le prêtait que sous caution aux prêtres qui voulaient dire la messe dans cette église. Le service de Saint-Jean ne se faisait donc plus, à cette époque, que par intermittences. Il est vrai que la peste sévissait alors fréquemment. Mais ce qui prouve que cette paroisse était dans un état voisin de l'abandon, c'est que le conseil de ville, qui ordonna, en 1485 et 1483, diverses réparations à Notre-Dame et à Saint-Pierre , ne se préoccupa de Saint-Jean en aucune façon.

On y rencontre néanmoins des vicaires jusques assez avant dans le XVII ème siècle, et notamment lors de la peste de 1630-1631.

Dans la seconde moitié de ce même Siècle, Saint-Jean devient la chapelle des Pénitents bleus (1). En 1687, le conseil de ville, voulant établir un service régulier, pour les écoliers du collège, dans l'église de la Congrégation (2), vote un subside à ces Pénitents, à la condition de se transférer de Saint-Jean dans ladite église.

(1) Les Pénitents blancs, ou de Notre-Dame de Pitié, avaient, à cette même époque, leur chapelle près de l'église des Cordeliers.

(2) Cette église, située au bas de la rue Saint-Jean et en face du collège (maison Madon), avait été bâtie pour les religieuses augustines, dont le monas­tère ne subsista que peu de temps. Elle fut utilisée, après leur départ, pour les congrégations ou catéchismes confiés aux régents du collège. En 1688, la ville, traitant avec le premier régent, l'obligea à faire dire, dans cette église, une messe quotidienne, à laquelle les écoliers assisteraient. L'hôpital de la Charité Saint-Louis ayant été plus tard établi dans l'ancien local des augustines, la chapelle de la congrégation devint la sienne. C'est là également que se réunissaient les dames de charité fondées au XVII e siècle et qui prirent dans les premières années du règne de Louis XV, le nom de Dames de la Miséricorde. Ces deux œuvres subsistèrent, jusqu'à la révolution, dans l'église des augustines, où chaque année, en vertu d'une fondation, la fête de Saint-Augustin était célébrée solennellement. Aujourd'hui cet édifice, témoin de tant de souvenirs, subsiste toujours, mais laïcisée .

Mais ce projet n'aboutit pas, et, deux ans plus tard, nous voyons la « Gazette » des bleus traiter avec les PP. Récollets pour assurer le service de l'église de Saint-Jean. Ces reli­gieux s'obligent à y célébrer la messe tous les jours de dimanche et de fête, à tenir un confesseur à la disposition des confrères et à fournir les cierges nécessaires à l'office divin. La Gazette leur comptera soixante-quinze livres par an et leur abandonnera les cierges des confrères décédés.

Les Pénitents bleus demeurèrent à Saint-Jean jusqu'à la révolution. En 1793, les meubles de leur chapelle furent vendus, en même temps que ceux de la Gazette blanche.

Saint-Jean est aujourd'hui le siège de cette dernière confrérie, la seule qui subsiste encore à Forcalquier. Il ne s'ouvre guère que deux fois l'an, le jeudi saint et le jour de saint Jean-Baptiste. Mais le vieil édifice comtal est soigneusement entretenu, et il conservera longtemps encore parmi nous le souvenir de nos temps de splendeur.

III.

En nous rendant de Saint-Jean à Notre-Dame, nous rencontrons, à mi-chemin, l'emplacement où s'élevait jadis Saint-Pierre, et nous nous y arrêtons quelques minutes.

Inutile de faire remarquer qu'à l'instar de bon nombre d'autres églises dédiées au prince des apôtres, celle-ci était située auprès de l'une des portes de la ville. Il y a là un symbolisme bien connu : le gardien des clefs du paradis l'était aussi de l'entrée des places fortes (1).

(1) Le bourg de Saint-Michel, en Forcalquérois, possédait lui aussi une église de Saint-Pierre, assise contre le portail principal de ses remparts. Par suite du dépeuplement de la partie haute de ce village et de l'extension moderne de la partie basse, cet édifice se trouve actuellement au centre même de l'agglomération ; mais les lices de l'ancien rempart, auquel elle était adossée, sont encore parfaitement reconnaissables le long de la grand' rue.

On ne connaît, relativement à Saint-Pierre, aucun titre antérieur à 1335 . A cette date meurt Raimond Achard, vicaire de cette paroisse . L'Orbituaire mentionne encore Saint-Pierre en 1346, à propos d'une fondation, et en 1430.

La vicairie de Saint-Pierre vaqua fort peu de temps après l'acte d'union des quatre églises ; que le prévôt Talon en investit le procureur du chapitre, et que l'évêque Robert, en confirmant cette investiture par la tradition de son anneau, le 12 août 1413, déclara donner pouvoir au chapitre pour qu'à l'avenir, en cas de vacance de l'une des autres églises, tout vicaire pût en prendre possession, les faire desservir suivant l'usage et y faire exercer le soin des âmes, sans avoir à recourir à l'autorité épiscopale.

Vers la fin du XV ème siècle, la vicairie Saint-Pierre était devenue, par suite de la décadence des églises de Saint-Mary et de Saint-Jean, la plus importante de la ville, après Notre-Dame. C'est au point que, le 15 septembre 1485, le conseil de ville obligea les vicaires de ces deux églises de s'adjoindre des secondaires et des clercs .

L'an d'après, nouvelle délibération, qui ordonne diverses réparations tant à Saint-Pierre qu'à Notre-Dame et décide qu'elles seront payées par les Charités de ces deux paroisses et par la confrérie du Saint-Esprit.

En 1561, la ville nomme deux commissaires, Jean Romany et Etienne Jourdan, chargés de faire faire à Saint-Pierre le service divin . Le culte était, à ce moment, en désarroi complet : bon nombre de prêtres avaient passé au protes­tantisme, et ce fut le conseil de ville, demeuré catholique, qui prit en mains le gouvernement des églises.

La crise passée, Saint-Pierre redevint une vicairie importante. Nous avons rencontré, sous la date de 1614, la preuve que le vicaire de cette église remplissait les fonctions curiales . Il semblerait pourtant que ses parois­siens pouvaient ad libitum s'adresser à lui ou au curé de la concathédrale, car des actes, indubitablement relatifs à des Sant-Peiren, sont couchés sur les registres de la « grande église ».

En 1637, s'accomplit à Saint-Pierre une révolution marquante. Sur le désir de l'évoque de Sisteron d'établir les Récollets à Forcalquier et de leur livrer l'église et la maison claustrale de Saint-Pierre, appartenant au chapitre, et sur le consentement du vicaire de cette église, le chapitre concathédral se réunit, le 31 décembre, pour en délibérer. Sont présents : Gaspar de Sébastiane, prévôt, Gaspar Gueidan (doyen et) sacristain, André Mirailhet, capiscol, J.-B. Fabry, Charles Parisy, Scipion de Brunet, Jean Blanc, Joseph de Pierrefeu et Estienne Leauthier, chanoines. Le chapitre déclare agréer ce projet, mais sans renoncer ni à la collation du bénéfice, ni à ses reve­nus, unis à la masse capitulaire par bulle expresse de Sa Sainteté. Il y appose, en outre, ces deux conditions, que le chapitre ne sera tenu ni de réparations, ni d'ornements, et que les Récollets entretiendront les sépultures de l'église, en payant au chapitre la quarte funéraire.

A son tour, le 3 mars suivant, messire André Pierre, bénéficier du chapitre et vicaire « en la paroisse de Saint-Pierre », cède à perpétuité aux Récollets l'église et la maison claustrale, sous cette clause expresse que lui et ses « successeurs audit bénéfice et viquerie » seront déchargés du service et entretien de l'église, comme aussi de l'entretien de la maison. Il se réserve, de plus, pour, lui et ses successeurs les titres d'iceux (bénéfice et vicairie) et les rentes, petit dîme des agneaux, directes et pensions appartenant à ladite vicairie. Et, moyennant le service qu'il offre de continuer à Saint-Mary, comme les autres bénéficiers lui et ses successeurs tiendront désormais leur bénéfice et vicairie sans charges d'âmes, sous le bon plaisir du pape ou du vice-légat.

La situation faite aux Récollets est nettement définie dans ces divers actes. Ils deviennent « Chapelains » de Saint- Pierre et sont chargés du service de cette église, tout en laissant au vicaire son titre et les revenus qui s'y trouvent attachés. Quant au vicaire, désormais nominal, il redevient bénéficier effectif du chapitre et reprend, au bas-chœur de la cathédrale, la stalle et les fonctions que ses prédé­cesseurs avaient abandonnées en 1415 (1).

Les Récollets étaient à peine installés, qu'une cruelle occasion s'offrit à eux de donner la mesure des services qu'ils pouvaient rendre. La peste de 1630-1631, qui fit deux mille victimes à Forcalquier, mit en fuite presque tout le clergé séculier. Seuls, les religieux se dévouèrent, et les Récollets donnèrent l'exemple du plus admirable dévoue­ment (2). Aussi furent-ils désormais très populaires.

Cependant, l'ancien presbytère vîcarial, devenu couvent, était trop exigu. Il put être agrandi par les seules lar­gesses des bonnes âmes. André de Beauchamps, syndic apostolique du monastère, et Hortense de Perier, sa femme, non contents de bâtir la chapelle de Saint-François pour leur sépulture, achetèrent diverses maisons contiguës à la maison claustrale, qui put s'élargir d'autant. L'évêque de Sisteron donna aux prédicateurs du couvent, dans tout son diocèse, des chaires dont les émoluments aidèrent à ces améliorations. De leur côté, les trésoriers généraux de France, gardiens du domaine royal, firent don aux Récol­lets d'une ruelle qui les confrontait et les autorisèrent à la fermer, à la seule charge de dire chaque jour un Exaudiat pour le roi (3).

(1) On n'a pas oublié que les revenus de cette stalle avaient été, à la mêmeépoque, annexés à la mense capitulaire. La place que messire André Pierre vint reprendre au chœur était donc sans émoluments. C'est pour cela qu'il
dut garder ceux qui étaient attachés au vicariat de Saint-Pierre. — Quant aux Récollets, leur vœu de pauvreté ne leur eût pas permis de posséder un bénéfice à rendement. C'est pourquoi ils ne reçurent que l'église et le presbytère et n'eurent d'autres moyens de subsistance que le casuel paroissial, les aumônes et les honoraires de prédications.

(2) Voir la très intéressante étude de notre ami Eug. Plauchud : Une
page de l'histoire de Forcalquier. - La peste de 1630-1631. (Forcalquier 1880.)

(3) Manuscrit précité du P. Cambin.

L'église Saint-Pierre fut successivement enrichie de deux cloches : la première fut bénite par l'évoque de Digne, Toussaint de Forbin-Janson, plus tard cardinal ; la deuxiè­ me par messire d'Arnaud, vicaire général.

Le 2 juin 1639 fut établi, dans cette église, le tiers ordre de Saint-François, dans lequel entrèrent les familles les plus marquantes de la ville. Marguerite de Ferre, femme du lieutenant criminel Joseph de Collongue, en était Mère en 1659 et fut remplacée en 1660 par Isabeau de Barbeyrac, femme de l'avocat du roi Louis du Teil.

Nous avons dit plus haut que les Récollets furent char­gés, en 1689, du service de l'église Saint-Jean. Ajoutons qu'ils étaient, à la fin du dernier siècle, les aumôniers du corps municipal et desservaient à ce titre la chapelle de l'hôtel de ville.

Lorsque la révolution réduisit le culte avant de le sup­primer, le conseil de ville demanda le maintien d'un service régulier dans l'église Saint-Pierre. Mais bientôt vinrent les mauvais jours. La vieille église fut vendue nationalement. Elle devint, au commencement de ce siècle, un établissement de bains ; puis, un beau jour, elle s'é­ croula, engloutissant sous ses décombres sept siècles de souvenirs.

Sur l'emplacement du sanctuaire et du couvent s'élèvent aujourd'hui les prisons et la gendarmerie. Et, par une pieuse ironie du destin, la chapelle des prisonniers est dédiée, elle aussi, à Saint-Pierre, mais à Saint-Pierre.... ès liens.

IV

Au premier coup d'œil jeté sur l'église Notre-Dame, le visiteur le moins archéologue comprend qu'elle a été construite en divers temps. On peut, avec toute vraisem­blance, affirmer que sa fondation remonte à Guillaume III. Le palais de ce prince était situé, au dire de la tradition, dans la partie basse de la ville. Ce quartier prit, par là même, une importance et une extension considérables. Il fallut le doter d'une paroisse.

La nouvelle église fut placée sous le vocable de Notre-Dame, comme pour ressusciter l'appellation primitive de l'église de là citadelle, qui petit à petit avait cédé la place, dans le langage courant, au vocable de Saint-Mary. Le peuple l'appela quelquefois Notre-Dame du Marché ou Notre-Dame du Puits, à ce qu'assure l'abbé Jean Germain, dans sa vie inédite de saint Mary.

Cette désignation provenait du double voisinage de la Place-Vieille, où se tenait le marché bi-hebdomadaire, et du puits connu de nos jours sous le nom de puits de Saint-Joseph. Mais elle n'avait rien de canonique, cela va sans dire. Le titulaire de l'édifice était et est encore l'Assomption.

La plus ancienne mention de l'église de Notre-Dame est sous la date de 1196. Colombi nous apprend qu'en avril de cette mémorable année Guilhem III, ayant appris la mort d'Alphonse, roi d'Aragon et comte de Provence, qui, dix-huit ans auparavant, l'avait contraint par les armes à lui prêter hommage, s'empressa de protester, aux portes de la paroisse Notre-Dame, en présence de tout le peuple de Forcalquier, contre le tort qu'on lui avait fait, et de déclarer qu'il n'était vassal que de l'empe­reur des Romains.

Quelque vingt ans après, Raymond-Bérenger, arrière petit-fils de Guilhem III, octroie aux habitants de Forcal­quier la célèbre charte qui confirme et amplifie les privi­lèges concédés en 1206 par son prédécesseur. Cet instru­ment est souscrit, comme celui de 1173, devant l'église Notre-Dame, et le scribe ajoute ce détail que « le comte était assis sur l'escalier par où l'on monte au clocher ». On a souvent cité ce trait de mœurs, qui caractérise la simplicité patriarcale du comte Bérenger, digne aïeul de René le Bon.

Ainsi les deux actes les plus solennels peut-être qui aient marqué pour nous le règne de Guilhem III et celui de Raymond-Bérenger furent passés devant les portes de la nouvelle église. On a le droit d'en conclure qu'à peine bâtie la paroisse du palais comtal prit le pas sur celle du château. Déjà il était permis de prévoir que, tôt ou tard, le titre cathédral serait transféré de la haute église dans la basse.

C'est seulement en 1323 que  l' Orbituaire du chapitre nous parle pour la première fois de Notre-Dame, à propos de la mort de Guilhem du Revest, vicaire de cette église, qui fonda un anniversaire à Saint-Mary (1). Le nom de ce premier curé connu de notre église, mérite d'être retenu au passage.

En décembre 1369, meurt à Sisteron l'évêque Gérald IV, qui « lègue son corps » à l'église Notre-Dame de Forcalquier. La translation de ses restes, de la cathédrale de Sisteron à Lurs, et de là dans notre basse église, eut lieu le 6 mai suivant. Les députés de Manosque et proba­blement ceux des autres communes de la région y assis­tèrent. Nous tenons du regretté doyen Terrasson qu'une pierre tumulaire, ornée des insignes de l'épiscopat, se trouve sous le dallage du chœur de Notre-Dame, derrière le maître-autel. C'est là, sans doute, la sépulture de Gérald IV. Il serait à souhaiter qu'on rendit à la lumière cette unique tombe épiscopale que nous possédions.

Ramnulphe de Montyrac, successeur de Gérald IV, affectionna comme lui la ville de Forcalquier. Non content d'exercer à Saint-Mary, en 1371, les diverses fonctions réservées aux cathédrales, il consacra, le 4 avril de l'année d'après, l'église Notre-Dame, accordant, au nom du pape, cent jours d'indulgence et, en son nom propre, quarante autres jours, à ceux qui la visiteraient à pareil jour ou dans l'octave de cet anniversaire.

(1) La vieille famille du Revest tirait son nom du Rovest-de-Brousse.

 

Il y fonda, en outre, un service annuel pour l'âme de son prédécesseur. Notons, en passant, que le prélat qui attacha ainsi son nom à l'histoire de Notre-Dame de Forcalquier devint cardinal en 1379, puis vice-chancelier de la curie romaine.

Au siècle suivant, un simple chanoine, Guilhem Malet, mu d'affection pour la basse église (il était natif de Forcalquier et sans doute de cette paroisse), y construit une chapelle dédiée à Sébastien et dans laquelle il devait être inhumé en 1449 (1).

(1) L'autel de Saint-Sébastien fut, comme tous les autels latéraux do Notre-Dame, déplacé, mais conservé, lors de la construction des bas-côtés de cette église. Son luminaire fut, à une époque que nous ignorons, réuni à celui des Ames du Purgatoire.

Nous voici parvenus au moment critique où le chapitre, voyant ses revenus grandement diminués par la dépopu­lation de Forcalquier, cherche un moyen de rétablir l'équilibre de son budget, sans porter atteinte au service des églises. C'est alors qu'il imagine, en 1414, et que l'auto­rité diocésaine sanctionne, en 1415, cet ingénieux acte d'union, vrai chef-d'œuvre à la fois de hardiesse et de sens pratique. Peut-être cette obscurité est-elle intentionnelle. Il est cependant possible de saisir l'ensemble de la réforme. Les vicaires (nous dirions aujourd'hui les curés) des diverses paroisses sont supprimés par voie d'ex­tinction. Les trois églises de Notre-Dame, Saint-Pierre et Saint-Jean, dépouillées de leur titre paroissial, sont annexées à la concathédrale, qui devient la paroisse unique de Forcalquier, et il semble à prime vue que le culte va disparaître des églises mineures. Mais il n'en est rien : sous le titre de vicairies, elles conservent en fait la même importance qu'au temps de leur paroissialité. Le chapitre délègue, dans chacune d'elles, un des bénéficiers de son bas-chœur, qui remplira, avec l'aide de prêtres secondaires, toutes les fonctions de l'ancien vicaire en titre inamovible et en aura les revenus. Quant aux émoluments que ces bénéficiers avaient jusqu'alors perçus sur les revenus du chapitre, ils seront acquis désormais à la masse, et les chanoines en bénéficieront. Si bien que, si l'on va au fond des choses, ce qui est supprimé, ce ne sont pas les paroisses, ni leurs vicaires, mais bien trois stalles de bénéflciers dans le chœur de l'église majeure. On peut donc dire, en toute vérité, que l'acte d'union augmenta les revenus du chapitre sans diminuer ceux des paroisses inférieures et que le service du culte, demeuré intact dans ces paroisses, ne fut amoindri qu'à la cathédrale.

Cette église, d'ailleurs, perdait de jour en jour de son importance, à mesure que la ville, se restreignant, sem­blait se concentrer dans la partie basse. Nous avons dit déjà comment le bombardement de 1481 lui porta le dernier coup ; comment, le 4 avril 1486, le transfert du service capitulaire de Saint-Mary à Notre-Dame fut voté et comment enfin, le 15 du même mois, la châsse de saint Mary fut installée dans la cathédrale nouvelle. Une double et singulière conséquence résulta de cet événement : c'est qu'à peine le transport des reliques effectué, l'usage imposa à l'église Notre-Dame le nom de Saint-Mary, en même temps que la haute église reprenait, après plusieurs siècles d'abandon, son vocable primitif de Notre-Dame. Ce chassé-croisé curieux nous est attesté par deux docu­ments irrécusables : d'une part, eu effet, une délibération de 1486, postérieure de quelques mois à peine à la translation, porte que l'on réparera, aux frais de la commune, l'église paroissiale nouvellement appelée Saint-Mary , tandis que, d'autre part, un compte municipal nous apprend que la procession annuelle en mémoire du comte Bérenger s'est rendue « en cascuno gleyso, so es à la gleyso de N.-D. del Castel, à Sant-Johan, à Sant-Peyre et à Sant-Mary » .

La délibération de 1480 présente une particularité à noter. Le conse 1 ne s'engage à réparer la nouvelle conca-thédrale que dans la partie qui est à la charge de la ville, et il invite les syndics à se concerter à ce sujet avec le chapitre. L'historien de Saint-Mary se demande « pourquoi cette distinction entre les diverses parties d'un tout indivisible ». La réponse nous est donnée par la tradition. Si indivisible que fût la cathédrale, elle ne l'était pas tellement que le service capitulaire et le service paroissial ne fussent absolument séparés. Le sanctuaire et le chœur étaient exclusivement réservés au chapitre : évêque, prévôt et chanoines officiaient au maître-autel. Quant au vicaire et à ses secondaires, ils célébraient plus spécialement à un autel latéral, qui portait le nom d'autel du peuple. C'est là qu'était dite, chaque jour de dimanche et de fête, la messe d'obligation. Il est de notoriété qu'au siècle dernier l'autel paroissial était celui qui est dédié aujourd'hui aux Ames du Purgatoire, au bas de la nef de droite. C'est entre cet autel et l'angle actuellement occupé par les fonts baptismaux que se tenaient les assistants, ayant le portail de l'église à leur droite et le maître-autel à leur gauche. Cela étant, et la paroisse occupant dans la cathédrale une place si nettement distincte de celle du chapitre, on comprend à merveille que l'obligation d'entre­tien qui incombait à la ville fût également limitée. Elle fut fixée, croyons-nous, par abonnement, au tiers de la dépense totale.

Le diocèse de Sisteron avait depuis dix ans pour évêque, lors du transfert de la concathédralité, un « prélat exem­plaire », Jean Esquenard, connu par la libéralité avec laquelle il restaura, à Lurs, à Sisteron et à Cruis, les rési­dences épiscopales. Sa générosité s'étendit sur notre église et aida à sa transformation. Dès cette même année 1480, il construisit et dota une chapelle derrière le grand autel, et le conseil de ville, en approuvant son œuvre, la déclara « noblement faite ».

Nous passons, sans nous y arrêter, sur deux délibérations de 1488 et 1491, par lesquelles la ville aide le chapitre à rebarder l'église et à refondre une cloche, et nous arrivons au XVI ème siècle. A cette date, Charles VIII ayant refusé de ratifier l'exemption d'impôts promise par Louis XI, la misère est grande à Forcalquier. Le pinacle, la maison claustrale, la chapelle de la tribune ou du Saint-Sépulcre, attenant tous trois à la cathédrale du côté du midi, menacent ruine. Le chapitre, au lieu de les relever, n'entreprend que des dépenses de luxe : il demande à la ville, en 1527 et 1528, d'abord une modique contribution de quatre écus pour le retable de Notre-Dame du Rosaire, puis cent florins pour les peintures du grand retable. La ville conteste ce chiffre inquiétant pour ses finances. C'est de meilleur cœur qu'elle contribue, sous cette même date de 1528, à quelques réparations effectuées au pinacle mais ce travail tardif est insuffisant, et, trois ans plus tard, pinacle, maison claustrale, tribune gisent écroulés dans le cimetière. Tout ce que la ville peut faire, c'est de déblayer le terrain. Il en reste, dans le cœur des conseil­lers de ville, un levain de rancune contre le chapitre, qui néglige les dépenses nécessaires pour celles de superfétation. Aussi, l'an d'après, le chœur des chanoines, jus­qu'alors situé à l'entrée de l'église, sur la voûte de la grande porte, ayant été transféré vers le milieu de la nef, contre la chapelle Saint-Jean, le conseil proteste contre ce changement.

Le souvenir de ces griefs contribua, croyons-nous, trente ans plus tard, à envenimer, à Forcalquier, la lutte religieuse. Il est hors de doute qu'après le triomphe des protestants, en juin 1562, leur chef mit de sa main le feu aux malheureux retables de 1528. Le fait est attesté par nos archives municipales mais il se limite à cela.

''L'Obituaire obéit donc, lui aussi, à un sentiment vindicatif, quand il charge les huguenots forcalquériens de l'entière responsabilité du sac de la cathédrale, dans lequel furent détruits autels, tableaux, tabernacle, fonts baptismaux, pupitre, livres et divers vêtements sacerdotaux. Cette dévastation fut, avant tout, l'œuvre des onze cents soldats étrangers qui, sous le commandement de Beaujeu, occupèrent Forcalquier du 6 au 23 juin. Il est juste, quoique pénible, d'ajouter qu'elle fut singulièrement facilitée par la défection d'une partie du clergé paroissial, qui, à l'exemple de l'archevêque d'Aix et des évêques d'Apt et de Riez, avait passé au protestantisme.

En revanche, et comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire, le conseil de ville demeura toujours catholique. Nous le voyons, en 1573, reconstruire le campanile et, deux ans plus tard, doter l'horloge d'une cloche. De 1601 à 1605, il fait bâtir le clocher central, où l'on hisse, en 1609, le magnifique bourdon qui est, aujourd'hui encore, l'orgueil de la grande tour . C'était l'époque où, grâce à Henri IV et à son œuvre de pacification intérieure, une prospérité relative succédait à la misère (1) .

(1) Malgré cette pacification, une alerte eut lieu en 1621, et le conseil de ville ordonna, le 7 mars, que la cathédrale serait fortifiée du côté de la chapelle de Saint-Jean. H est bon d'expliquer, pour l'intelligence de ce fait, que l'église Notre-Dame était située sur la ligne même des remparts, de telle sorte que sa façade du midi était intra muros, tandis que sa façade nord et, par suite, la chapelle Saint-Jean étaient extra muros.

Le milieu de ce même siècle fut marqué par l'agrandis­sement de la cathédrale. L'église de la citadelle étant détruite, celle de Saint-Jean convertie en chapelle de pénitents, celle de Saint-Pierre transformée, elle aussi, en 1628, en simple sanctuaire de religieux et de tertiaires, Notre-Dame devint, en fait, ce qu'elle était en droit depuis 1486, la paroisse unique de la ville. Les habitants de Saint-Jean et de Saint-Pierre vinrent s'y joindre à ceux de la basse ville. Il fallut donc songer à élargir le vaisseau de Notre-Dame, devenu trop étroit. On ajouta deux nefs latérales à la vieille croix latine des comtes de Forcalquier et de Provence. La première, dite de Saint-Joseph, fut bâtie du côté de l'évangile, c'est-à-dire le long du Bourguet. Sa construction, commencée en 1643, fut terminée très lentement, si bien qu'en 1700 les héritiers de l'entre­preneur réclamaient encore de la ville un solde que la confrérie de Saint-Joseph était hors d'état de régler. La seconde, dite de Notre-Dame du Rosaire, établie du côté de l'épître ou du cimetière, ne devait consister d'abord (1661) qu'en une chapelle de la Vierge, prise partie dans l'église, sur remplacement de l'autel de Sainte Anne, partie dans la « vieille clastre » ; mais la ville, en subven­tionnant cette construction, y apposa cette condition que l'on édifierait une nef « du côté de la chapelle Saint-Charles jusqu'à l'autel des Cinq-Plaies, à l'endroit qui serait avisé ». La première pierre en fut posée en 1662. Trois ans après, l'entrepreneur, Charles Eyriès, avait terminé son œuvre et en recevait le paiement.

Ces deux nefs furent construites en ogive et avec quel­que préoccupation, de la part de l'architecte, de les mettre en harmonie avec la nef centrale. La chose est rare pour le temps et mérite d'être signalée. Malheureusement, tandis que le collatéral de Saint-Joseph était établi en remblai, celui du Rosaire l'était en déblai, dans le terrain du cimetière, et, pour ne pas déchausser trop profondé­ment ce terrain, on jugea à propos d'asseoir le sol de la nouvelle nef en contre-haut du sol de l'ancienne église. L'idée était jusqu'à un certain point acceptable. Ce qui l'était moins, c'est la malheureuse inspiration que l'on eut d'exhausser le dallage de la vieille nef au niveau des dalles du collatéral. On diminua ainsi de deux mètres environ la hauteur de notre admirable voûte, la plus élancée de Provence, et on enterra d'autant la base des pilastres et celle de la grande porte. Mieux valait cent fois accéder par des gradins à la nef du Rosaire. Espérons qu'un jour ou l'autre cette faute pourra être réparée et qu'il sera donné à Notre-Dame de Forcalquier de retrouver sa grandiose élévation primitive.

Une autre dégradation doit être mise au passif du chapitre. La chapelle qui, aujourd'hui, sous le titre du Sacré-Cœur, commande la nef de droite et qui, de l'aveu de tous, était jadis la perle du transept méridional fut sottement retranchée de l'église par un mur de sépara­tion et devint la sacristie du bas-chœur. Les travaux d'aménagement nécessités par cette transformation ame­nèrent plus d'une dégradation aux sculptures qui déco­raient le pourtour de cette élégante absidiole.

Il était réservé à notre siècle et à l'initiative zélée de M. le doyen Terrasson de réparer, dans la mesure du possible, les outrages du temps et des chanoines. Grâce à cet homme de dévouement, dont le nom demeurera impérissablement attaché à l'histoire religieuse de Forcal­quier, la chapelle du Sacré-Cœur a été non seulement restaurée, mais enrichie de belles peintures dues au pinceau d'an compatriote éminent, le frère Samuel Vial.

C'est également à M. l'abbé Terrasson, aidé du secours pécuniaire de Mlle Jaricot, que notre concathédrale doit l'autel magistral qui orne son sanctuaire et qui est l'œuvre d'un sculpteur bien connu, Joseph Berriat. Les reliques de saint Mary et de saint Thyrse (1) ont là un tombeau digne d'elles (2).

Malgré tout ce que notre regretté doyen a fait en faveur de son église, il reste encore beaucoup à faire pour lui rendre le lustre d'autrefois.

(1) La tradition nous raconte que les reliques de saint Thyrse, vulgo saint Thiers, martyr, auraient été apportées d'Espagne à Sisteron, d'où, plus tard, on les aurait transférées à Forcalquier, en vue de les soustraire, comme celles de saint Mary, aux profanations des infidèles. Louvet veut même, dans sa rarissime Vie de saint Thyrse (1677), que ce transport ait été antérieur à celui du corps de saint Mary, si bien que, d'après lui, notre église primitive de Notre-Dame aurait emprunté le nom de Saint-Thyrse, avant d'être connue sous celui de Saint-Mary. (Voir pp. 74 et 113.) Cette assertion est démentie par celle de l'évêque Bertrand, lequel nous apprend que Gérard Caprerius légua son corps à Notre-Dame, Saint-Mary et Saint-Thyrse : l'ordre dans lequel il mentionne ces trois patrons de notre concathédrale marque évidemment que le patronage de Saint-Mary avait précédé celui de Saint-Thyrse. (Voir les Officia divina, de Lafitau, 1750, p. 43.) - N'était que le diocèse tout entier fêtait saint Thyrse comme son patron et que la tradition fait remonter ce culte au delà de Charlemagne (Laplane, II, 362), nous serions grandement tenté de croire que les reliques de ce martyr auraient été directement apportées d'Espagne à Forcalquier par Ermengaud d'Urgel, lors de son mariage avec l'héritière de nos comtes. Lafitau a vaguement soupçonné, dans son propre, cette solution. (Loc. cit., p. 43.)

(21) M. Terrasson a fait, en outre, habilement restaurer la grande rose et les orgues. Il a, par une inspiration moins heureuse, enlevé les vieux fonts baptismaux de la niche qu'ils occupaient dans le collatéral du midi, auprès de la porte latérale, pour les remplacer, au bas de la nef du nord, par un édicule d'assez mauvais goût. L'ensemble de son œuvre n'en est pas moins très méritoire, et c'est à bon droit qu'en 1857 la Société française d'Archéologie lui décerna une médaille d'honneur. Pour nous, un de nos plus chers souvenirs est d'avoir été chargé par Arcide de Caumont de remettre officiellement cette médaille à notre excellent doyen et de lui avoir causé cette douce surprise, le 10 novembre 1858, au Plan-de-Porchères, dans une réunion d'archéologues et d'amis.

La pauvreté des finances locales a grand besoin d'être suppléée par les subventions officielles. En 1846, sur l'initiative d'un groupe de bons forcalquériens, M. de Laplane, notre député, demanda le classement de Notre-Dame au nombre des monuments historiques (1). Ce fut sans succès. Cette idée, récemment reprise par M. le maire Camille Arnaud et le conseil muni­cipal, vient enfin d'aboutir. Les éminents architectes envoyés à Forcalquier pour instruire ce classement ont été émerveillés du grandiose aspect et des intéressants détails que présente l'église de Guilhem III, et nous appre­nons avec une patriotique satisfaction qu'ils ont proposé au Ministre des Beaux-Arts de commencer immédiatement l'œuvre de restauration de ce legs vénérable de l'art provençal.

(1) L'arrêté ministériel de classement est en date de février 1888. Par une singulière méprise, ce document désignait notre cathédrale sous le nom de Notre-Dame de la Merci. C'était là, sans doute, une lecture fautive de quelqu'un des rares documents où elle a pu être appelée Notre-Dame du Marché, Nous avons cru devoir adresser à ce sujet une réclamation au direc­teur des Beaux-Arts, et nous sommes heureux d'ajouter que, sur le vu de notre mémoire, appuyé de citations probantes (voir la Semaine religieux de Digne, 1888, pp. 238-241), le comité des monuments historiques a rectifié son erreur.

BERLUC-PERUSSIS.

--- Ajout de l'auteur du site.

En cette fin d'article, il convient de citer une église qui a totalement disparue de nos jours. Il s'agit de celle du St. Sépulcre. On la connait grâce à un texte de 1065 mais elle n'est plus nommée en 1274. Son emplacement serait, suivant les historiens locaux, près de l'église du Bourguet (thèse de Jean-Yves Royer), d'autres la voit à l'emplacement du couvent des Cordeliers.

L'auteur du site : Jean-Paul Audibert

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