Maximilien Vox et Lurs :

Si Samuel Monod avait réalisé son œuvre sous son nom de famille, il serait, sans doute, plus connu du grand public. C'est le cas pour Théodore Monod, son frère, dont le nom vient à l'esprit lorsque d'une manière ou d'une autre, on s'intéresse au désert.

Ce patronyme est aussi rapidement évoqué lorsqu'il est question de protestantisme car Wilfred Monod, son père, a été un pasteur de premier plan. Mais Samuel a choisi un pseudonyme : Maximilien Vox. De plus son travail s'est notamment développé dans une sphère précise : l'imprimerie. Et c'est dans ce domaine qu'il va devenir un spécialiste mondial en créant un principe de classification typographique. Et c'est chez nous, à Lurs, que Maximilien a longtemps vécu.

I – Domaine d'activité de Maximilien Vox

Samuel a commencé sa carrière avec l'envie de dessiner. Il va publier des caricatures politiques dans le journal « l'Humanité ». Dès 1914, il choisit donc sa voie : celle du journalisme, du dessin, de l'art. Ce premier choix va en entraîner un autre, celui d'un pseudonyme. C'est que nous sommes dans une famille établie, bourgeoise, conservatrice de valeurs. Et le domaine de l'art apparaît sûrement subversif. C'est donc ses parents qui demandent à Samuel de choisir un autre patronyme surtout pour participer à une contestation sociale dans le journal de Jaures ! Ce sera Maximilien Vox.

Sa carrière va aller dans de nombreux domaines qui tournent autour de l'écriture artistique. Il travaille, par exemple, chez les maisons d'éditions Grasset, Plon ou Denoël où il aura sa propre collection, la « collection Vox ».

Après le dessin des lettrines du Grand Larousse, c'est au PLM, à la SNCF qu'il réalisera tout un travail de rationalisation typographique (imprimés administratifs, publicité). Il eut bien d'autres centres d'intérêt : il fut professeur, historien (notamment de Napoléon I sur lequel il possédait 1500 livres ).

Mais c'est bien dans la technique de la typographie qu'il va être internationellement reconnu. Rappelons que selon le dictionnaire, la typographie (du grec typos = caractère et graphein = écrire) se définie comme un procédé de composition et d'impression en relief et comme la présentation graphique d'un texte imprimé.

Et c'est dès 1936 que Maximilien Vox va créer un standard typographique (appelé aussi déclinaison) qui permet de distinguer et de regrouper certains caractères d'imprimerie. De plus, il va créer, en 1952, un projet qui sera entériné en 1962 par l'association Typographique Internationale. C'est la classification VOX – ATYPI. C'est celle qui est la plus utilisé aujourd'hui.

Au-delà de la pure technique (que nous laissons à des spécialistes) et de ses divisions en neuf familles fondamentales (humanes, didones, sciptes etc.) puis en polices, retenons que le plus extraordinaire est que cette division prend en compte et est inspirée par des critères historiques et esthétiques. En définitive, elle s'inspire des grandes tendances typiques d'une époque. Par exemple, la famille de caractères des humanes est inspirée des imprimeurs vénitiens avec des polices rondes, des empattements courts et un faible contraste entre plein et délié. La typographie de Maximilien Vox rejoint l'histoire, la sociologie, l'art.

II – L'attirance méditerranéenne et les Basses Alpes

1) L'amitié pour Jean Giono

Après la guerre, Jean Giono avait été inscrit sur une liste noire qui équivalait à une interdiction de publier, une véritable censure. Pourtant, certains éditeurs passèrent outre. Parmi eux, Jean Paulhan et Maximilien Vox. De différentes rencontres naquit une amitié. C'est bien ce que nous rapporte son fils, Sylvère Monod. « Beaucoup de nos attaches avec les pays méditerranéens ont pour origine des raisons professionnelles mais plus encore des amitiés » ou bien « Une chaude amitié pour Giono rapproche Vox de la Provence  ». Jean Giono, lui, évoque avant tout les qualités de l'homme. Dans un texte intitulé « De même pas », il écrit à propos de Maximilien : « C'est une vivacité d'esprit qui lui fait tout comprendre à l'instant même où il aborde quelque chose de nouveau pour lui. »

Vox, incorrigible, utilise son langage de typographe comparant les œuvres de l'écrivain au trait du peintre japonais HOKUSAI. « Il trace des chemins mais ne les suis pas ; ainsi le dessin de Giono est il comparable à celui HOKUSAI ou d'OUTAMARO, disciplinés à tracer un personnage sans lever le pinceau, en commençant indifféremment par l'œil ou par l'orteil. » Les relations et les admirations vont ainsi être multiples et réciproques.

Dès lors, Maximilien Vox devait nécessairement se rapprocher des tropiques provençaux, de ses artistes, de ses mythes.

2) Le choix de Lurs

Notons d'abord que le Sud et les rivages de la Méditerranée ne sont pas étrangers à Maximilien Vox. Son épouse, Eliane Poulain, avait vécu une enfance algérienne. Puis le couple vécu notamment à Grasse et à Magagnosc, sur la côte d'azur. Mais ici, en Haute Provence, on est loin de tout rivage.

Au début du siècle, une vue de hauteur fait apparaître Lurs comme un village abandonné et en ruines. De nombreuses maisons effondrées lui donne un aspect d'entassement de pierres. (La route du Serre n'existait pas encore).

Est-ce l'un de ces villages fantômes présent dans les Basses Alpes et qui inspirèrent tant l'imaginaire de Giono ? « J'avais toujours envie d'écrire quelque chose sur les villages déserts » disait-il. Bien sur, Colline parle déjà de cette terre rude et désertique. En tous cas Lurs est selon son cœur et il y amène ses amis. Pour l'y conduire en voiture (il n'en a pas et les laisse volontiers aux autres), il sollicite Maximilien. Et Maximilien va lui aussi tomber immédiatement amoureux de Lurs jusqu'à acheter plusieurs maisons. Mais c'est à l'entée du village qu'il s'installera. Ce sera «  La Monodière  ».

Aujourd'hui, un cadran solaire est apposé sur cette maison où il vécut de 1950 à 1974. Sa devise est belle : « J'abonde dans l'instant ». Passionné par son métier M. Vox va créer des rencontres pour promouvoir la culture graphique. L'association des compagnons de Lure créée par M. Vox et Jean Garcia (typographes) et Robert Ranc (directeur d'école) va devenir les Rencontres Internationales de Lure. Tenues d'abord chez Vox, elles occupent ensuite la « Chancellerie ». Il s'agit de sessions annuelles d'études sur l'imprimerie. En fait, un carrefour, un lieu ouvert à l'échange, à la communication et cela en dehors de toute pression commerciales ! Chaque fin d'été depuis plus de 50 ans. Bien sûr, le président d'honneur fut Jean Giono.

Jean-Louis Carribou, dans ses ballades littéraires, présente à juste raison Lurs comme le chemin de l'écriture. Et il nous rappelle une anecdote suave : Vox devant cette montagne de Lure secrète et imposante parlait de « coup de bleu » insufflé par les reflets bleutés de la montagne.

--- Essai graphique sur le thème du pays bleu, Yolande Sausse

  Et pour célébrer l'ouverture des Rencontres, il portait un toast à la montagne de Lure avec un verre d'eau coloré de bleu. Le pays bleu est bien celui que l'on aime, celui de nos richesses partagées. Après quelques années de repos, le village de Lurs a remis le souvenir de Maximilien Vox au premier plan en créant un parcours destiné à découvrir l'histoire de l'écriture. La table de Vox, notamment, montre que le caractère d'imprimerie prend des formes multiples et aide à les distinguer ou à les unir. Elle offre aussi une traduction visuelle et rend la compréhension plus aisée. Sur une placette, en contrebas du village, l'hommage est à l'endroit qu'il convient. Rappelons nous que c'est ici même, à Lurs, que Maximilien a crée sa classification de caractères.

Il repose ici, tout près, face au ciel de Lure dont il disait qu'il était une grande leçon de topographie.

 

Nota : L'ensemble des textes de référence (Sylvère Monod, Maurice Darmon, Giono, Vox) sont repris sur l'excellent site consacré à M. Vox = ici

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Robert Sausse

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