LA PISTOLE : une friandise royale

1- L'utilisation du soleil

En qualifiant la société rurale de Haute Provence, Pierre Martel parle de « société de non gaspillage ». Cette sagesse, née de la nécessité, répond aux soucis de l'homme de pouvoir : se nourrir en toute période. Pour cela, il va constituer des réserves lui permettant de surmonter les saisons et les caprices de la nature. La conservation des aliments va trouver des alliés variés, le sel, la graisse, l'huile, le froid etc. Mais, ici, en Haute Provence, nous sommes dans le royaume du soleil. Il suffit de l'utiliser gratuitement pour obtenir le séchage. Le développement des microbes est alors stoppé par privation d'eau. On peut alors conserver les provisions. De la Méditerranée à la Provence, à la Haute Provence, cette technique va être largement utilisé.

Un fruit va particulièrement s'illustrer : la prune séchée. Il sera notamment présent autour de Digne et dans la vallée de l'Asse. Sous le nom de « PISTOLE », la prune séchée va alors être commercialisée dans toute l'Europe jusqu'à être considérée comme un produit de luxe, gagnant les différentes cours, jusqu'à la reine Victoria.

2 – La prune, fruit d'un terroir

Du prunier sauvage au prunier domestique, il existe de très nombreuses espèces. Pour certains, cet arbre fruitier à noyaux aurait suivi le même chemin que le vers à soie : il viendrait de Chine. Mais c'est avec la civilisation grecque et l'extension de l'empire romain que la culture du prunier (et avec sa technique du séchage) va se développer. De nombreux auteurs anciens (Hypocrate, Hérodote, Gatien) en font état. Dans son histoire naturelle, Pline l'Ancien cite, par exemple, la prune de Damas. C'est, d'ailleurs, les croisés qui, après avoir assiégé Damas, sans succès ramenèrent dans leurs bagages… des prunes de Damas. Ils y allèrent donc « pour des prunes ». En Gaule, ce sera dans la première province romaine « la Narbonnaise », notre future Provence, que se développa la culture du prunier. Dans les Basses Alpes, les vergers sont nombreux et notamment pour la prune dans le pays dignois (Mezel, Castellane) et dans la belle vallée de l'Asse (Estoublon).

Cette prune violette de table transformée par le soleil, le vent et tout un savoir faire va donner naissance à une fameuse friandise : la PISTOLE.

3 – De la prune à la pistole : un long travail

a) bref historique

En parallèle avec le monde méditerranéen, la technique du séchage va concerner dans le monde rural provençal aussi bien des céréales, des pois chiches, des plantes etc.que tout une variété de fruits : poires, raisins, tomates, etc. Par exemple, au dessus de Nice, à Breil sur Roya s'est développé une importante production de figues sèches. Tout un ensemble de séchoirs à figues (des «crotas » en pierre) occupe l'éperon rocheux au dessus du village. Pour les prunes, c'est d' abord Brignoles dans le Var qui va créer la tradition.

Mais pourquoi parle-t-on de pistole ? C'est que le fruit une fois séché, pelé et dénoyauté est aplati. Il prend alors l'aspect d'une pièce de monnaie espagnole à l'effigie de Charles Quint. Voila l'origine de l'appellation Soulignons que c'est François I er (qui a laissé sa trace à Manosque) qui va faire diffuser la production de la pistole. En effet, se rendant à Nice en 1538 pour rencontrer Charles Quint, il s'arrête à Brignoles. On lui offre des pistoles. Il en redemendera. On la retrouvera alors dans toutes les cours royales d'Europe.

Mais avant d'en arriver là ?

Redescendons chez nous, dans les terres agricoles des Basses Alpes.

b) le travail de transformation

La perdigrone est donc une petite prune de couleur bleu-violet, à peau un peu épaisse, qui, mure, peut dégager un peu d'amertume. Sa chair est jaune et ferme ; son goût sucré et parfumé éclate surtout dans les usages culinaires. Selon Alexandre Dumas, qui appréciait les fruits, elle est bonne en compote et ne craint pas les vers. Selon le philosophe dignois, Pierre Gassendi  ; « De la vallée de la Bléone viennent ces poires, ces pommes, ces cerises, tous ces fruits délicieux, ces prunes perdrigones surtout ». Mais, elles vont être transformées, en plusieurs étapes.

- les fruits sont ramassés fin août début septembre (Notons que dès leur plantation, les pruniers aiment le soleil. En effet, on leur réserve les coteaux les mieux exposés, les expositions moins bonnes venant aux fruits à pépins.)

- ensuite, ils sont ébouillantés (généralement dans panier métallique mais le musée de Salagon a présenté lors d'une exposition un panier tressé.)

- les prunes sont alors pelées (contrairement aux fameux pruneaux d'Agen.)

 

SECHAGE DES PISTOLES

----- Image venant du site sur Trescleoux

- elles sont alors mises au séchage quelques jours (de 3 à 8).Dans les Basses Alpes, il se faisait sur des « buissons ». Il s'agissait d'une perche (une branche de bois) recouverte d'une enveloppe de paille de seigle.

- les prunes étaient alors enfilées sur de petites baguettes de roseaux ou de cannes de Provence dépassant du fourreau de paille.

- arrive ensuite le dénoyautage.

- puis on reprend le séchage, généralement sur des claies.

- les fruits sont enfin aplatis (avec quelques coups de doigts ou avec un marteau en bois, le « tabassou »)

Elles sont belles, rondes, rousses, et ors, ressemblent à un écu bien sonnant, ce sont les PISTOLES !

4 – Un exemple de l'invention rurale

Nous savons que l'économie rurale recherche toujours des ressources d'appoint.

La simple présence d'un pigeonnier fixe le pigeon qui se nourrit tout seul à peu de frais en est un exemple. De même, l'élevage du vers à soie a concerné les milieux familiaux les plus pauvres. Toute la famille pouvait y participer (femmes, enfants) et il y avait toujours un coin de grange permettant l'élevage. Il en est sans doute de même pour la préparation des pistoles. On peut y retrouver toute la famille, surtout pour le dénoyautage réservé aux doigts agiles des femmes. En tous cas, la main d'œuvre doit être nombreuse.

A Trescleoux, petit village de la vallée du Buëch, dans le département voisin des Hautes Alpes, une association fait revivre le souvenir de la production de pistoles dans les Alpes du Sud. Elle a d'ailleurs été l'invitée de la Maison de la Biodiversité de la Thomassine à Manosque, en décembre 2010, à l'occasion de la journée des fruits et des saveurs d'autrefois

Des témoignages nous apportent ainsi des détails vivants (ici celui de Louis Bonnet) :

« un dur labeur, un travail pénible, répétitif durant une quinzaine de jours où, toute la journée, du lever au coucher du soleil, il fallait rester assis devant sa canisse, saisir les prunes bouillantes, collantes, attirant guêpes et abeilles, les déshabiller de leur peau et les ranger précautionneusement sur la canisse. Au bout de la première journée, les mains étaient ratatinées, rêche… » Au-delà du souvenir, la simple évocation de ce travail pourrait entraîner d'autres études. Par exemple dans la vallée de l'Asse, l'apparition de séchoirs à fruits est une expression de l'invention rurale devant la nécessité.

Il s'agit bien de nouveaux bâtiments agricoles crées pour permettre la conservation et l'écoulement des fruits. Mais n'oublions pas l'essentiel : le goût sucré et doux de la perdrigone-pistole.

Petite bibliographie : Pierre Martel : « l'invention rurale », Alpes de Lumière, 1980.

Catalogue ……… les saisons, Salagon, 2007.

Marie Tarbouriech, « bulletin des croqueurs de pommes », Sept. 2010. 

Robert Sausse

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