ESSAI HISTORIQUE SUR LE COMINALAT dans la ville de DIGNE

INSTITUTION MUNICIPALE PROVENÇALE DES XIII ET XIVe SIÈCLES.

Par

Firmin GUICHARD
Membre correspondant du Ministère de l'Instruction publique pour les Travaux historiques.

Introduction

La ville de Digne, comme un très grand nombre de villes du midi, remonte à une très haute antiquité, et il est absolument impossible d'en préciser l'origine. On a bien essayé de chercher dans l'idiome celtique l'origine et l'étymologie de son nom. Un savant, que l'auteur des Antiquités des Basses-Alpes ne prend pas la peine de nommer, a trouvé dans le mot latin Dinia, deux racines celtiques Din et ia, qui signifieraient, d'après lui, Eau chaude, et comme la ville de Digne possède des sources d'eau thermale d'une température fort élevée, il a voulu voir dans ces deux mots une explication rationnelle de son nom.
Mais une fois l'étymologie trouvée, on est allé plus loin , et comme sur le sol actuel de la ville de Digne on n'a jamais découvert aucuns vestiges qui démontrassent la présence des Romains, on a voulu en conclure que l'antique Dinia était située dans la vallée des Bains. L'absence de monuments Romains ne devrait pas nous étonner. Nous en avons à nos portes l'explication la plus naturelle. La colonie Romaine établie à Riez , dans la ville des Albieci, n'était-elle pas là pour contenir les anciens habitants de notre cité, vieux Ligures, qui ne supportaient qu'à regret la domination romaine? Sans doute, la ville de Digne se soumit à la suite des temps ; mais elle dût être une des dernières, puisque la civilisation romaine ne s'y introduisit pas d'une manière aussi complète que dans les autres villes. Mais faudra-t-il conclure de là qu'elle était située dans la vallée des Bains, dans cette gorge étroite et resserrée, où il serait difficile, même par la pensée, de voir s'étendre une ville, de quelque minime importance qu'elle fût. II est bien plus raisonnable de la placer au Bourg, dans ce lieu où se voient encore tant de restes de constructions anciennes, où les derniers vestiges d'une porte attestent l'action des siècles, et où tout nous rappelle la présence de nos plus antiques institutions. Le nom de Bourg lui-même, qu'a conservé ce quartier n'a-t-il pas une origine toute romaine, et lorsque nous parlerons des Consuls, qui y fonctionnaient au XIIIe siècle, pourra-t-il rester encore le moindre doute sur ce point ?
Admettons donc, sans hésiter, que la ville de Digne occupait, dès la plus haute antiquité, la position du Bourg, où l'on admire encore aujourd'hui l'imposante basilique de Notre- Dame, que la tradition fait remonter jusqu'à Charlemagne, quoique le caractère de son architecture démente complètement cette croyance populaire. Le plus ancien peuple dont la ville de Digne a dû faire partie, c'est le peuple Gaulois, avec ses Druides et ses coutumes si singulières, si étranges , décrites, beaucoup mieux que nous ne pourrions le faire, par M. Amédée Thierry.
Plus tard, on le sait , le midi des Gaules fut envahi par une population Ibérienne, venue du fond des Espagnes. Les Ligures s'étaient emparés d'une partie des côtes de la Méditerranée et avaient pénétré dans nos montagnes, qui dûrent leur plaire par leur sauvagerie, et leur offrir un abri qui convenait admirablement à leur caractère.
Nous ne répéterons pas ici tout ce qu'ont dit les auteurs Grecs ou Romains sur la nature énergique de ces peuples. Nous ne devons ici parler d'eux qu'en passant, pour mentionner seulement autant que possible les développements successifs de la ville de Digne depuis les temps les plus reculés. Car il ne faut pas perdre de vue que tous ces peuples divers, qui ont foulé notre pays, y ont laissé des traces ineffaçables de leur passage. La domination des Ligures eux-mêmes n'est pas restée
sans influence, sinon à Digne même, du moins dans des pays qui sont presque à ses portes. Ainsi , le fait que rapportent Diodore de Sicile et Strabon, et qui excitait leur étonnement, que les femmes des Ligures partageaient non-seulement avec les hommes les travaux pénibles et les tâches les plus rudes, mais qu'elles en étaient presque exclusivement chargées ; eh bien , ce fait qui étonnait tant les anciens, étonne encore aujourd'hui la plupart des voyageurs qui parcourent les Alpes. Dans nos montagnes ce sont, comme du temps des Ligures, les femmes qui se livrent aux occupations d'agriculture, qui remplissent les fonctions les plus pénibles, les plus difficiles, et qui acquièrent ainsi un développement de force et de vigueur qui les rend souvent, sous ce rapport, supérieures aux hommes.
C'est pendant la domination des Ligures que le grand capitaine de Carthage, Annibal, traversa les Alpes pour venir attaquer le colosse romain au coeur même de son empire. Quand on veut étudier d'une manière sérieuse, et dans les auteurs les plus anciens, les points par lesquels son armée entra en Italie, on éprouve toute espèce de difficultés, qui ont jeté tous les historiens modernes dans des dissertations contradictoires, qui prouvent jusqu'à l'évidence l'incertitude d'une question qui a cependant occupé tant de savants. Nous ne tenterons pas, nous, de la résoudre : elle l'a été, d'ailleurs, par le savant et consciencieux historien qui a publié un livre aussi remarquable que l' Histoire des Gaules. Nous ne ferons qu'une seule observation. C'est que si le récit de Tite-Live était exact ; s'il était vrai qu'après avoir traversé le Rhône, Annibal fût venu, ainsi qu'il le dit, traverser la Durance ; s'il était vrai qu'il se fût de là dirigé vers les Alpes en suivant un pays cultivé et de plaine pendant quatre jours ; s'il était vrai qu'en partant ainsi des bords de la Durance , il eut franchi les Alpes en quinze jours et fût arrivé en aussi peu de temps dans le pays des Tauriniens , nous n'hésiterions pas à affirmer qu' Annibal a passé par la ville de Digne, qu'il a traversé le mont Lictius, aujourdlhui le Col de la Madeleine, et qu'il est arrivé à Taurinum par la vallée de la Stura. Il ne faut pas oublier, du reste, qu'à cette époque reculée ce devait être une des voies les moins difficiles à suivre, et que quelques siècles plus tard les Saxons et les Lombards la préférèrent dans leurs tentatives d'invasion en Provence. En 1310, lorsque le Comte Robert fut appelé en Italie, c'est encore cette route qu'il suivit, et c'est en faisant ce voyage qu'il traversa notre ville de Digne. Ànnibal trouva d'ailleurs appui et aide chez les peuplades qu'il traversa, après son passage de la Durance : ce ne fut que dans les montagnes qu'il eut à lutter contre les Barbares, que leur isolement n'avait pas encore modifiés.
Or, on sait toutes les luttes que soutinrent les Ligures contre les soldats Romains on sait toutes les exécutions sanglantes auxquelles ils furent en butte, lorsqu'on les poursuivait, au dire de Florus, jusques dans les grottes et les cavernes qui leur servaient de refuge, et dans lesquelles on les faisait périr par le feu. Les Ligures de Digne ont dû prendre part à toutes ces luttes : leur territoire n'était pas assez fertile pour leur faire aimer les travaux agricoles, et ils devaient se joindre aux peuplades voisines pour résister aux armes romaines qui menaçaient leur esprit d'indépendance et de liberté un peu sauvage. Ils durent également se joindre aux habitants de Riez, que César, dans ses commentaires, désigne sous le nom d'Albieci, et qui firent une si rude guerre à la colonie Phocéenne de Marseille. Nul doute que la position plus tard choisie par les Romains, à Riez ou Albèce, pour centre d'une de leurs colonies, n'eut surtout pour but de contenir les peuplades dont Digne était la capitale, par sa position centrale, qui lui a de tous les temps valu une importance qu'elle n'aurait pu avoir elle-même.
C'est sous l'Empereur Auguste qaue les peuplades Alpines passèrent sous la puissance Romaine, ainsi que l'atteste le trophée des Alpes, dont Pline nous a conservé l'inscription. Les historiens ne sont d'accord ni sur l'époque de ce trophée , ni sur le lieu où il fut placé. Nous ne suivrons pas les historiens sur ce terrain, qui exigerait une longue discussion, nous ne voulons nous occuper ici que des points qui intéressent spécialement notre cité. Parmi les peuplades citées dans ce trophée, il en est deux, les Sentiuntii et les Ebrodiuntii, auxquelles divers auteurs ont donné la ville de Digne pour capitale. C'est ainsi que dans les Sentiuntii on a voulu voir les Sentit, auxquels Ptolémée assigne Digne pour ville centrale. D'autres, au contraire, ont fait du mot Ebrodiuntii celui de Bodiontici, peuple auquel ils assignent encore, d'après Pline, la ville de Digne pour capitale. Et à cet égard, Gassendi disait, avec beaucoup de raison, que puisque au lieu de Ebrodiuntii on voulait lire Bodiontici, il vaudrait bien mieux lire Bledonici, qui s'accorderait avec le nom de Bledona, aujourd'hui Bléonne, rivière qui arrose les murs de Digne et qui expliquerait l'origine de ce nom.
Il n'y a donc rien de bien certain dans toutes ces versions différentes, et toutes les dissertations de nos historiens et de nos géographes n'ont pas jeté un jour bien clair sur ces questions, fort difficiles, il est vrai, et dans lesquelles nous nous garderions bien de nous jeter ici. Tout ce que nous pouvons et voulons induire de ce trophée des Alpes, c'est que les contrées des Alpes furent, à cette époque, réduites sous la domination Romaine, et que c'est depuis lors que les moeurs de nos ancêtres ont commencé à se modifier sous l'influence de la civilisation de Rome.
La peuplade dont la ville de Digne était la capitale fut classée d'abord par les vainqueurs dans la province des Alpes Maritimes : elle figurait déjà avec le titre de cité, sous lequel on comprenait alors les villes les plus importantes, dans la célèbre Notice des Provinces et des Cités des Gaules, que quelques historiens rapportent à l'époque de l'Empereur Honorius Auguste, vers la fin du IVe siècle ; que d'autres, et notamment les savants auteurs de la Gallia Christiana font, avec raison, remonter à une époque bien antérieure. La ville de Digne y est désignée sous le nom de Civitas Diniensium.
S'il faut en croire Pline, l'Empereur Galba la fit entrer, en l'année 68 ou 69 de notre ère chrétienne, dans une des Narbonnaises. La civilisation romaine dût apporter dans notre ville de profondes modifications, et l'existence de Consuls au XIIe siècle, quoique Gassendi affirme qu'ils n'y furent institués au Bourg qu'en 1297, sans appuyer cette assertion d'aucun titre, nous paraît une preuve incontestable de l'influence qu'elle dût y exercer, influence qui persista à travers les diverses invasions des barbares qu'elle eut à subir. L'administration municipale dût y pénétrer peu à peu, et lorsque Antonin Caracalla, par sa constitution si célèbre, donna le titre de citoyen Romain à tous les sujets de l'Empire, notre cité ne dût pas tarder à se constituer en municipe et à vivre de cette vie commune à un si grand nombre de villes.
L'étude des municipes serait intéressante à aborder, mais pourquoi traiterions-nous ici cette question, sur laquelle notre ville ne fournit de documents d'aucune espèce et qui a été traitée avec tant de supériorité par d'illustres auteurs, et notamment par M. Guizot dans ses Essais sur l'Histoire de France. Pour aborder un pareil sujet, il faudrait aborder l'histoire de la Provence toute entière, et nous ne devons pas oublier que nous n'avons entrepris qu'un travail tout spécial sur le Cominalat . C'est pendant la domination Romaine que le Christianisme vint opérer une nouvelle transformation à Digne.
Deux jeunes inspirés Africains, qui avaient suivi à Embrun l'Évêque Marcellin, vinrent prêcher à Digne la foi du Christ. Domnin fut son premier Évêque, et fut remplacé par son compagnon Vincent, prédicateur puissant, dont la parole ardente fit de nombreux prosélytes, et qui toute sa vie fit une guerre impitoyable aux Ariens, dont il faillit devenir la victime. La tradition nous a conservé des récits touchants sur ces deux infatigables Apôtres, auxquels nous renvoyons nos lecteurs. Saint Vincent fut-il remplacé comme Évêque ? C'est ce que nous ne pouvons pas affirmer, mais nous le croirions sans peine. Vers la fin du IVe siècle, les Empereurs Romains favorisaient le catholicisme, et dans plusieurs villes de Provence, les Évêques étaient investis d'une partie du pouvoir administratif. A cette époque, les idées chrétiennes étaient puissantes, et ces faits de conversion spontanée que nous racontent les traditions comme miraculeux et tenant du prodige n'étaient souvent que l'effet des besoins et des aspirations des peuples.
C'est la tradition qui nous apprend que saint Domnin fit élever à Digne une église en l'honneur de la Mère du Sauveur des hommes, Virgini Deipare : pour parvenir à un pareil résultat, il dût usurper une partie de l'autorité municipale, ce que toléraient si volontiers les Empereurs Romains. Après saint Vincent, jusqu'à la domination romaine, l'histoire ne nous a conservé les noms que de deux Évêques, celui de Nectaire, qui, en 439, assista au Concile de Riez, dans lequel on déposa Armentaire, Prélat de la métropole d'Embrun, qui. contre les règles de l'Église, n'avait été élu que par deux Eveques ; et celui de Mémorial, dont la souscription se lit au bas d'une lettre adressée, en 463, par quelques Prélats des Gaules, au Pape Hilaire, sur la consécration de l'Évêque de Die par l'Évêque de Vienne. Il serait intéressant d'étudier l'état de notre ville, sous le rapport de la propriété, de l'administration politique et de l'administration municipale ; mais nous y renonçons, car
un pareil travail n'aurait un véritable intérêt que s'il était fait pour la Provence toute entière .
Nous arrivons à l'époque où la domination romaine va faire place à celle d'un peuple germanique, connu sous le nom de Wisigoths, ou Goths de l'Ouest. C'est en 480 qu'Euric, un des chefs de cette nation, après avoir assassiné son frère Théodoric, pour le remplacer dans son commandement, pénétra en Provence et s'empara de tous les pays situés entre les Alpes, la Durance et la mer. Euric tracassa, tant que dura son règne, les Évêques catholiques, désirant faire triompher, comme il le disait hautement, l'Arianisme dans tous les pays où s'étendait sa puissance. II mourut en 481, à Arles, ne laissant qu'un fils, Alaric II, encore en bas âge. Dès qu'il prit les rênes du gouvernement, il s'efforça de faire oublier au clergé catholique les terreurs que son père leur avait causées ; mais le mal était déjà fait, et les Évêques de Provence n'entrevoyaient plus qu'un espoir. Cet espoir, c'était l'invasion des Francks, dont la barbarie leur paraissait préférable à celle des Wisigoths qui soutenaient l'Arianisme. C'est vers cette époque que ces dispositions favorables, partagées par la généralité des Évèques de France, décidèrent Clovis, Roi des Francks, à tenter l'envahissement de la Gaule toute entière.
Après avoir battu Syagrius, représentant de la puissance Romaine, à Soissons, et avoir soumis la Thuringe, il épousa Clotilde, fille de Chilpéric, qui se trouvait auprès de Gondebaud, Roi de Bourgogne. Son mariage fut célébré en 491 . En 496 , il livra la bataille de Tolbiac à de nouvelles races germaniques qui s'avançaient pour envahir à leur tour la partie des Gaules qu'il occupait ; il les battit, en invoquant le Dieu de Clotilde, et se fit baptiser. Il songea dès ce moment à la réalisation de ses projets, et trompant tour à tour Godegisile et Gondebaud, il soumit le Roi de Bourgogne à lui payer un tribut annuel.
Le royaume des Wisigoths, dont le Roi Alaric II régnait à Toulouse, tentait bien sa convoitise. Il était sur le point de lui déclarer la guerre, mais Théodoric, Roi des Ostrogoths, en Italie, qui avait donné une de ses filles à Alaric, et qui avait épousé une soeur de Clovis, s'interposa entr'eux. Mais le clergé s'agitait et conspirait sourement. Vainement Alaric II le ménageait-il autant qu'il le pouvait. En 506, il autorisa même un Concile qui se tint à Agde, où les 35 Évêques du royaume Wisigoth assistèrent. Pentadius, Évêque de Digne, s'y trouvait comme tous les autres. Et là on prit ostensiblement des mesures sur la discipline un peu relâchée de l'Église ; mais on croit généralement, et avec raison, que ces Prélats s'occupèrent secrètement du grand intérêt qui les préoccupait tous, de l'invasion des Francks.
De tous les diocèses on adressait des reproches à Alaric sur les mesures sévères par lui prises contre quelques Évêques qui avaient conspiré ouvertement contre lui et qu'il avait déposés. C'est en l'état de cette disposition des esprits que Clovis, qui déjà avait embrassé la religion du Christ, se décida à envahir le pays des Wisigoths. Il convoqua son armée à Paris et engagea ses Leudes à venir avec lui chasser ces Ariens de Goths , qui occupaient la meilleure partie de la Gaule. Alaric, prévenu de son intention, s'empressa de se porter au-devant de lui pour lui résister : ils se rencontrèrent dans les plaines de Vouglé, à dix milles en dessous de Poitiers . Les Goths furent battus, et Alaric fut tué de la main de Clovis lui-même. De là, l'armée Franke s'avança vers le Rhône, avec l'armée des Burgondes, qui s'était jointe à elle. Ces deux armées ravagèrent toutes les villes qui se trouvèrent sur leur route, s'emparèrent de toutes celles qu'elles rencontrèrent le long de la Durance, et mirent une garnison dans les villes d'Apt, d'Aix et de Carpentras. De là, elles se dirigèrent sur Arles, dont il leur fallut faire le siège. Mais c'était le point qui devait leur assurer la soumission de toute la Provence.
Théodoric, Roi des Ostrogoths, qui commandait en Italie, n'eut pas plutôt connaissance des tristes résultats de la bataille de Vouglé qu'il intervint hardiment. Il avait un petit-fils issu d'Alaric II et de sa fille, et qu'on nommait Amalaric. Il assembla en toute hâte une armée, dont il confia le commandement à Ibbas, un de ses plus habiles généraux. Ibbas traversa les Alpes et marcha droit sur la ville d'Arles, assiégée par les troupes Frankes et Burgondes. Il y eut une sanglante bataille dans les environs d'Arles, où les Francks furent battus. Les historiens varient sur le nombre de morts, que Jornandès fixe à trente mille ; mais cette bataille eut un grand résultat : les Francks furent obligés d'évacuer la Provence, et Théodoric rétablit le royaume des Wisigoths sur la tête de son petit-fils, et en fixa le centre à Narbonne.
Quant à la Provence, ou du moins à la partie du royaume des Wisigoths située entre les Alpes, la Durance et la mer, au lieu de la réunir au royaume de son petit-fils, il se l'appropria et la joignit à son royaume d'Italie. Pendant le peu de temps qu'il fut maître de la Provence, il fit refleurir les institutions Romaines, il exempta d'impôts la nouvelle province et les villes d'Arles et de Marseille furent l'objet de faveurs spéciales. Théodoric mourut en 526, laissant l'Italie et la Provence à son fils Athalaric, sous la tutelle d' Amalasonthe, sa mère. Clovis , Roi des Francks , était mort, lui aussi, et son royaume avait été partagé entre ses enfants. En 531, Childebert, l'un d'eux, sous le prétexte de soustraire sa soeur Clotilde aux mauvais traitements d' Athalaric, envahit la Septimanie et voulut entrer en Provence : il tenta un coup de main sur la ville d'Arles, mais il fut repoussé. Athalaric ne vécut pas longtemps et laissa son royaume à Amalasonthe sa mère. Celle-ci convola à de nouvelles noces avec Théodat le Vandale.
C'est à cette époque que Justinien venait, grâces à la valeur de Bélisaire, de reconquérir l'Afrique avec une promptitude qui avait causé partout un profond étonnement. Il se décida à tenter de reprendre l'Italie sur lesOstrogoths. Les Francks étaient dans ce moment le seul peuple qui pût fournir des hommes et faire pencher la victoire du côté pour lequel ils se prononceraient. Bélisaire leur fit faire des propositions. Théodat, de son côté, leur envoya des commissaires pour leur offrir, outre 2,000 pièces d'or, tout ce que les Ostrogoths possédaient au-delà des Alpes. Mais un soulèvement de son peuple contre lui, lui coûta la vie en 536. Vitigès , proclamé Roi des Ostrogoths, s'empressa de satisfaire à toutes les conditions du traité consenti par son prédécesseur, avec les Francks, et dès ce jour, à la grande satisfaction des Évêques Provençaux, la Provence passa sous la domination d'un nouveau maître.
Nous ne pouvons pas songer à entrer dans les détails pour parler des deux divisions successives qui furent faites des Gaules, et par suite de la Provence, entre les quatre fils de Clovis et postérieurement, en 562, entre les quatre fils de Clotaire. Nous ne parlerons pas davantage des bouleversements que subit à cette époque la Provence. Dans le cadre que nous nous sommes tracé, nous ne devons rappeler ici que le peu de faits de cette époque qui peuvent intéresser notre ville, car, à moins de traiter l'histoire entière de la Provence, ce qui se rapporte à ces siècles ne peut pas être présenté d'une manière convenable à propos d'un Essai historique tout spécial comme celui que nous faisons. Nous trouvons, à la fin du VIe siècle, un de nos Évêques, Hilaire, qui devait être mêlé aux agitations de cette époque, Prélat Franck d'origine, qui assista, en 549, au Ve Concile d'Orléans, convoqué par le Roi Franck Childebert ; en 554 au Ve Concile d'Arles, et en 573, au IVe Concile de Paris, sous le règne de Chilpéric et de ses frères.
En 570 , la Provence dût souffrir de l'invasion des Lombards, qui revinrent, en 572 , se faire battre par Mummole, près d'Embrun . En 573, les Saxons voulurent tenter à leur tour la fortune, et firent invasion en Provence. Grégoire de Tours semble croire qu'ils franchirent les Alpes par le Mont-Genèvre , et cependant c'est à Estoublon, diocèse de Riez , que d'après lui ils seraient arrivés. Il serait bien plus rationnel, alors, d'admettre qu'ils avaient remonté par la vallée de la Stura jusqu'à Larche ou l'Argentière, et qu'en descendant la vallée de l'Ubaye, ils étaient venus par Seyne et Digne déboucher dans la plaine d'Estoublon, petit village, à trois lieues de Digne.
Les Saxons étaient au nombre de vingt-cinq ou vingt-six mille hommes. Ils s'étaient établis sur les bords de la rivière d'Asse, et de là, se répandaient dans les campagnes voisines, enlevant tout ce qui leur paraissait utile, brillant et détruisant tout le reste. Mumihole vint les surprendre, au moment où ils s'y attendaient le moins, et les battit complètement avant la nuit. Mais pendant la nuit, les Saxons se remirent de leur trouble, et le matin leur armée était en ordre de bataille, prête à disputer chèrement la victoire. Mummole traita alors avec eux, et ils dûrent retourner en Italie, sans rien emporter du butin qu'ils avaient fait en Provence. Ils dûrent probablement suivre, en s'en retournant, le chemin par lequel ils étaient venus .
En 650, le Concile de Châlons nous fait connaître un fait assez singulier qui intéresse la ville et le diocèse de Digne. Les Évèques assemblés déposent deux Évêques, Agape et Bobon, qui se disputaient le siège de Digne. C'étaient probablement les représentants des deux partis qui, à cette époque, divisaient la Provence : le parti des Gallo-Romains et le parti des Francks. Depuis la mort de Dagobert, en 633, le royaume des Francks fut encore divisé jusqu'en 670, où Childeric II le posséda seul en entier. Il fut ensuite encore partagé entre Thierry III et Dagobert II, jusqu'en 688, époque à laquelle commence la série des Roi Francks, que l'histoire a flétris du nom de Fainéants, sous lesquels la Provence jouit d'un calme qui dura jusqu'au moment où les Maures vinrent l'envahir et la plongèrent dans une nouvelle désolation.
C'est dans les premières années du VIIIsiècle, en 710 que Moussa fit sa première invasion dans le pays des Goths, qui étaient alors maîtres de toute l'Espagne.
L'année suivante (711 ) Moussa envoya une nouvelle expédition, sous le commandement de Tharec, son affranchi, qui se composait de 12,000 hommes, presque tous Berbers. L'armée de Tharec battit celle des Goths, et en moins d'un an, le général Maure s'empara de la plus grande partie de l'Espagne. Moussa accourut du fond de l'Afrique pour partager le triomphe de Tharec, avec une armée composée d'Arabes et de Berbers, et s'empara du royaume des Goths tout entier. Suivant les auteurs Arabes, d'après le savant M. Reinaud, Moussa porta ses armes jusqu'à Narbonne et Carcassonne, villes du pays des Francks, et s'empara de toute la Septimanie, nom sous lequel était alors désigné le Languedoc. Heureusement pour cette contrée et pour la Provence sa voisine, qui se trouvait alors sous la domination des Rois Fainéants, que des divisions éclatèrent entre les vainqueurs Maures, qui cessèrent leurs invasions jusqu'en 721.
En cette année, une nouvelle invasion des Maures eut lieu dans le Languedoc. Alsamah y avait été envoyé par Omar, Khalife de Damas. Il s'empara de Narbonne, dont il fit un centre pour les Musulmans, et de là marcha sur Toulouse. Mais Eudes, qui régnait alors en Aquitaine, rassembla une armée et accourut au secours de sa capitale. Un combat terrible fut livré, dans lequel Alsamah, percé d'une lance, perdit la vie ; son armée fut mise en déroute, et le commandement en fut pris par Abd- Alrahman, plus connu sous le nom d'Abdérame, qui la ramena en Espagne.
En 724 , 725 et 726 , les invasions recommencèrent, et les Sarrasins vinrent envahir le Dauphiné et poussèrent leur course jusqu'à Lyon. En 732 eut lieu la fameuse invasion d'Abd- Alrahman, qui vint attaquer la ville de Tours, où se trouvaient les immenses richesses de l'abbaye de St -Martin. Mais là, le général Musulman se trouva arrêté par Charles-Martel, qui, après deux jours d'une lutte acharnée, mit son armée en déroute et la poursuivit jusques sous les murs de Narbonne. Après cette défaite, un nouveau gouverneur fut envoyé d'Afrique, Abd-Almalek, qui dirigea ses premiers efforts contre la Catalogne, l'Aragon et la Navarre, et de là pénétra dans le Languedoc. Le patrice Mauronte avait été établi, par Charles-Martel, Gouverneur de la Provence. C'est pendant ce temps-là qu'il dépouilla l'abbaye de St-Victor d'une partie de ses richesses. Mauronte était rempli d'ambition : il excita quelques Seigneurs Provençaux, et ils se rendirent indépendants du gouvernement des Francks. Charles-Martel, irrité d'une pareille révolte vint en Provence et les réduisit à l'obéissance. Mais alors Mauronte se tourna, par esprit de vengeance, d'un autre côté. Il fit un traité avec les Sarrasins, qui occupaient le Languedoc, et , pour s'assurer leur appui contre le Prince qu'il trahissait, leur livra la ville d'Avignon .
La Provence redevint alors la proie des Maures, et la ville de Digne dût être une des villes qui en souffrirent le plus. Charles-Martel accourut en Provence et les battit de nouveau. Il les poursuivit, l'épée dans les reins, jusqu'aux Alpes, dans les recoins desquelles ils se cachèrent. Digne dût à cette époque subir successivement l'invasion des Musulmans et celle des troupes Franckes qui les poursuivaient. Les Francks, sous les ordres de Charles-Martel, qui venaient en Provence pour expulser les Maures, n'y commirent pas moins de dévastations que ces autres barbares. Mais dès que Charles-Martel eut de nouveau quitté la Provence, Mauronte et les Arabes y revinrent et s'y livrèrent à toutes sortes d'excès que nos pères durent encore ressentir. Charles-Martel envoya sur-le-champ son frère Childebrand, qui, aidé par Luitprand, Roi de Lombardie, parvint à les expulser complètement de la Provence.
En 752, un Concile tenu à Boissons déposa Childéric II, le dernier des Rois Mérovingiens, et élut Pepin, surnommé le Bref . Après la mort de Pepin , la Provence passa successivement des mains de Carloman dans celles de Charlemagne. Sous le règne de ce grand Prince, des Missi Dominiti envoyes par lui, tinrent un plaids dans la ville de Digne, l'année 780, la douzième de son règne. Ils s'appelaient Viernarius et Arimodus : ils étaient assistés des Rachimbourgs royaux, ou Échevins de la cité de Digne, au nombre de cinq, Marcellin, Jérôme, Gedeon, Regnaric et Corbin, assistés de plusieurs Prud'hommes de la ville qui s'étaient réunis pour assister au plaids qui devait être tenu. Mauronte, Évêque de Marseille, était le plaignant et se présentait au nom de l'abbaye de St-Victor, monastère célèbre de sa cité épiscopale. Il exposa à ses Juges que la villa de Chaudol, située en dessus de Beaujeu, appartenait jadis à la veuve Nemfidius, Adaltrude, femme pieuse, qui en avait par acte public, fait don au monastère de St-Victor de Marseille.
Lorsque Antener fut Patrice en Provence, poussé par un esprit inique et méchant, il fit enlever du monastère de St-Victor les actes de donation dont cette sainte maison s'enorgueillissait, et ordonna de les brûler. Magnus était alors l'Abbé de ce monastère. Lorsque, suivant l'ordre d' Antener, il eut placé sur l'autel les parchemins qui devaient être soumis aux flammes, Adaltrude s'en approcha, et suivant une heureuse et sainte inspiration, se saisit d'une partie des parchemins et les cacha dans une de ses manches. Magnus, qui n'avait pas vu l'acte d' Adaltrude, jura que toutes les chartes appartenant au monastère de St-Victor se trouvaient sur l'autel. Antener ordonna qu'on y mit le feu. Toutes celles qui y étaient restées furent tout aussitôt consumées. Mais Adaltrude s'empressa de restituer au monastère de St-Victor celles qu'elle était parvenue à sauver. Une sentence rendue par le Majordome du Roi Charles fît quelque temps après rentrer le monastère dans la possession de ce domaine. Mais plus tard, au milieu des troubles qui s'élevèrent en Provence, l'abbaye de St-Victor fut encore dépouillée. La villa de Chaudol fut donnée, à titre de bénéfice, au Patrice Métranus. Elle passa plus tard au Patrice Abbon, un de ses successeurs, qui la restitua au monastère de Marseille, et, pour en prévenir une nouvelle tentative de destruction, en fit faire une transcription publique en présence de Prêtres recommandables et d'illustres personnes. Mais Antener parvint, à cette époque, profitant des dissensions qui régnaient en Provence à s'emparer de nouveau de cette villa et de plusieurs autres fiefs appartenant au Roi Charles.
Sur cet exposé, les Missi Dominici, et les Juges assistants, examinent attentivement les titres produits, procèdent à l'audition de témoins, et ordonnent enfin la restitution de la villa de Chaudol au monastère de St-Victor.
La Provence resta quarante ans sous la puissance de Charlemagne, ce grand Roi qui, par sa bravoure, son intelligence supérieure, mérita l'épithète que la postérité a attachée a son nom. Dans les dernières années de sa vie, il se préoccupa beaucoup du partage de son empire entre ses trois fils ; mais en 810 et 811, il en perdit deux, et Louis, dit le Débonnaire, le seul qui lui restait, recueillit tous ses états.
Les troubles qui eurent lieu sous son règne ne s'étendirent pas à la Provence, qui, jusqu'en 838, jouit d'un calme qui était devenu nécessaire. Mais cette année les Sarrasins débarquèrent aux environs de Marseille et se bornèrent à parcourir les bords de la mer, dans lequel ils firent un butin considérable. En 850, ils revinrent, pendant que Lothaire dominait en Provence, et s'avancèrent jusqu'à Arles. Gérard de Roussillon, qui était à cette époque le représentant de Lothaire, dans notre province, leur livra bataille et les força de regagner leurs vaisseaux, qu'un orage fit échouer, et tous ceux qui échappèrent au naufrage trouvèrent la mort sur le rivage.
Lothaire étant mort en 855, ses États furent partagés entre ses trois fils, Louis, Lothaire et Charles. Ce dernier eut dans son lot la Provence. Il résida à Lyon , et prit le titre de Roi de Provence. Il mourut en 863, sans enfants, laissant son royaume comme une proie à partager entre ses deux frères et un oncle qui la convoitaient également. La guerre allait être déclarée entre Lothaire et Louis, lorsque, par l'entremise des Seigneurs du pays, ils consentirent un partage. La Provence fut réduite à l'espace compris entre le Rhône, les Alpes, l'Isère et la mer.
Gérard de Roussillon était le Gouverneur de l'ancien royaume. Il paraît certain qu'après cette division il conserva, dans les deux parties, l'influence et l'autorité qu'il avait exercée sur l'ensemble. En 860 Gérard repoussa glorieusement du Delta de la Camargue les Normands qui, à cette époque, dévastaient la Provence et y avaient fait une descente. Ce n'est qu'en 870 que Charles-le -Chauve songea à envahir la Provence. Il passa le Rhône et vint attaquer Vienne, dans laquelle Berthe, femme de Gérard de Roussillon , fit une résistance héroïque. Cependant Charles-le-Chauve s'empara de Vienne et devint ainsi maître de tout le duché, et y mit pour Gouverneur Bozon , son beau-frère, que nous allons voir jouer un rôle important. Bozon, qui se trouvait maître absolu des comtés de Vienne et d'Arles , c'est-à-dire , de tous les pays entre les Alpes et le Rhône, ne songeait à rien moins qu'à se faire Roi de ces contrées. Cependant , tant que Charles-le-Chauve vécut, il lui resta soumis et dissimula ses projets. Lorsque Charles, en 875 alla à Rome , pour se faire couronner Empereur , il donna le gouvernement d'Italie à Bozon qui, après son dépar , empoisonna sa femme et épousa en secondes noces Hermengarde, fille unique de l'Empereur Louis II. Charles-le-Chauve mourut en 877, empoisonné par un médecin Juif nommé Sédécias, revenant du plaids de Kiersi , qui a donné lieu à tant de discussions, et où l'on croit que fut décidée et admise comme loi l'hérédité des dignités, des offices publics, ou de ce qui fut depuis nommé les fiefs. Il laissa ses états à Louis-le-Bègue , depuis longtemps infirme et languissant , qui mourut le 10 avril de l'an 879 laissant pour héritiers ses deux fils, dont l'aîné fut nommé Louis III et l'autre Karloman.
Des discussions surgirent entre les deux frères qui se terminèrent cependant par un partage. Mais Bozon profita de cette division pour réaliser les projets qu'il nourissait depuis longtemps. Poussé par sa femme Hermengarde et par sa soeur Richilde, veuve de Charles-le-Chauve, il était de sa nature assez ambitieux pour n'avoir pas besoin d'être excité. Il n'y avait qu'une puissance à gagner en Provence , pour être sûr du succès , le clergé, qu'il n'eut pas beaucoup de peine à ce qu'il paraît , de mettre dans ses intérêts. Le 15 octobre 879 une assemblée d'Évêques et de Seigneurs se réunit à Mantailles , château situé sur le Rhône , entre Vienne et Valence, et il fut élu par l'assemblée Roi de Provence. L'audace de Bozon eut l'assentiment des populations méridionales. Son royaume comprenait, outre la Provence proprement dite, les comtés de Lyon et de Vienne, ceux de Maçon et de Châlons, les pays qui formèrent depuis la Franche-Comté et la Savoie, et enfin deux diocèses de la rive occidentale du Rhône, celui de Viviers et celui d'Uzès. Cet acte avait une grande importance : il complétait la dislocation du Midi de la Gaule en petits états indépendants.
Bozon eut à lutter contre les deux fils de Louis-le-Bègue. Il eut à lutter plus tard contre Charles-le-Gros, qui ne lui fit pas la guerre directement, mais qui en chargea Bernard III. Ce dernier obtint des succès contre Bozon et le réduisit à une pénible défensive. Mais il fut tué en 886, et Bozon reprit alors l'offensive contre Charles le-Gros et eut bientôt recouvré tout ce qu'il avait perdu, et notamment la ville de Vienne, dont il avait fait sa capitale, et où il mourut en 887, Roi de Provence. A sa mort son royaume disparut un moment avec lui, mais il fut rétabli trois ans après, en 890 , dans un nouveau Concile, tenu à Valence, plus solennel que celui où il avait été crée, et ce fut son jeune fils, Louis, qui en fut investi par le voeu unanime des Évêques et des Seigneurs du pays. Hermengarde vivait encore. Elle poussa son fils à faire deux tentatives en Italie. A la suite de la dernière, il fut surpris dans Vérone par Béranger, qui lui fit crever les yeux. Le malheureux Louis revint en Provence, où il mourut en 922, complètement oublié. Après sa mort Hugues, fils du Comte d'Arles, s'empara du pouvoir au préjudice de Charles Constantin, fils de Louis. Cependant la colonie Sarrasine, qui s'était établie au Fraxinet, étendait tous les jours ses ravages et désolait la contrée. C'est à cette époque surtout que Digne dût souffrir de ses invasions. Hugues voulut l'exterminer ; il força les retranchements du Fraxinet et refoula les barbares vers les montagnes. Mais il ne profita pas de sa victoire et conclut avec eux une transaction qui lui attira la haine et le mépris de ses sujets : plus tard, il fut obligé d'aller finir ses jours dans un cloître.
L'obscurité la plus complète règne sur l'époque de l'érection de la Provence en comté héréditaire. Le royaume de ce nom finit proprement en 926, lorsque Hugues passa en Italie ; car ce fut alors que ce Prince céda la Provence à Bozon , frère de Raoul , Roi de France, qui prit le titre de Comte d'Arles. Hugues, qui s'était pourtant réservé les droits de suzeraineté, fit en 930 un traité avec Rodolphe, Roi de la Bourgogne Transjurane, et Bozon continua à gouverner la Provence en qualité de Seigneur feudataire. Il mourut sous le règne de Conrad le Pacifique, successeur de Rodolphe, qui donna le Comté de Provence à un autre Bozon , fils de Rotbold, qu'on croit être un des Seigneurs les plus puissants de sa cour, et qui devint la tige de la première maison des Comtes de Provence.
Cette maison a fourni huit Princes et a duré 164 ans, depuis 948, époque probable de l'avènement de Bozon , jusqu'en 1112, où le Comté de Provence passa dans la maison de Barcelonne . Cette époque nous fournit sur Digne quelques actes intéressants que nous passerons en revue.
Bozon le premier Comte de Provence, mourut en 966. Sa femme s'appelait Constance, et il laissa deux fils, Guillaume et Rotbold. Guillaume succéda à son père et ne porta d'abord que le titre de Comte d'Arles. A son avènement, les Sarrasins, qui par suite de la concession de Hugues, en 942, par laquelle il leur avait abandonné les montagnes qui séparent la Suisse de l'Italie, revinrent peu à peu en Provence et reprirent leurs anciennes positions. Ils se fortifièrent insensiblement dans des lieux élevés, d'où ils portaient leurs ravages dans tous les châteaux qui les avoisinaient. Ils occupèrent ainsi successivement une partie du littoral de la Méditerranée et les Alpes Provençales. Ils avaient fini par établir plusieurs centres principaux qui étaient désignés sous le nom de Fraxinet. Le Comte Guillaume, indigné de voir les les barbares semer la désolation dans son comté, fit un appel à la population qui se leva en masse, à sa voix, et marcha contr'eux en 972. Après une lutte sanglante et obstinée, il les défit complètement, s'empara de la place forte dans laquelle ils s'étaient fortifiés près du golfe de Grimaud, en passa toute la garnison au fil de l'épée et rasa jusqu'au niveau du sol leur redoutable forteresse.
A cette même époque un pareil fait d'armes eut lieu dans nos contrées et couvrit de gloire un gentilhomme Provençal , du comté de Sisteron, originaire de Noyers, appelé St.-Bevons. M. de Laplane l'a raconté dans son Histoire de Sisteron d'une manière fort remarquable. Nous voudrions bien croire avec lui que le Fraxinet , de si triste mémoire, pouvait être dans le Comté de Sisteron ; mais l'unanimité des historiens sur le lieu où le Comte Guillaume se signala, nous force, à regret, à n'admettre le haut fait d'armes du Frayssinet de l'arrondissement de Sisteron que comme un épisode intéressant des luttes qui durent, pendant la fin de ce siècle, se déclarer sur un grand nombre de points de la Provence.
Rotbold, frère de Guillaume Ier, lui succéda, en 992 , et fut remplacé par Guillaume II, son fils, qui mourut en 1018 et fut enseveli dans le monastère de Montmajour. Guillaume III et Geoffroy Ier, ses deux fils, lui succédèrent , mais leur état de minorité nécessita l'établissement d'une régence. C'est sous ces deux Princes que nous trouvons quelques actes qui intéressent notre ville.
En 1025, le diocèse de Digne avait pour Évêque Éminus, qui assista comme témoin à une donation faite par Radon, Archevêque d'Embrun, à une église dédiée à la Vierge Marie.
En 1035 , un Prêtre de Digne , du nom Donation d'Almerald, fit élever sur la montagne de Cousson , où la population de Digne et celle de de plusieurs villages voisins se rendent processionnellement chaque année, une chapelle qui se trouve placée aujourd'hui sous l'invocation de saint Michel. Almerald y avait fait construire cinq autels, dont l'un , qui occupait toute une face de la chapelle, était dédié à la bienheureuse Vierge Marie, et les quatre autres, placés sur les faces latérales, consacrés à saint Michel-Archange, à saint Pierre, le Prince des Apôtres, à saint Benoit, le père et le fondateur de l'ordre des religieux Bénédictins. L'acte, en exprimant que cette chapelle contenait cinq autels , n'en désigne que quatre ; mais comme celui qui l'avait fait bâtir en faisait donation. à l'abbaye de St -Victor, il est probable que le cinquième autel fut consacré à ce saint. Il fit en même temps, à cette abbaye , donation du domaine des Sueilles, qu'on appelait alors fief d'Airamon et qui en était une dépendance, sous la condition que l'Abbé dudit monastère y enverrait des religieux de son ordre pour y desservir la chapelle. Cet acte de donation fut fait en présence d'Isarn, Abbé dudit monastère, de Bernard, Évêque de Digne, inconnu à Gassendi, et de Jaudad, Évêque de Toulon . On y établit alors quelques religieux, qui devaient résider dans le domaine des Sueilles ; mais déjà , dans le xve siècle, cette chapelle et le domaine en dépendant avaient été transformés en chapellenie, dont le Chapelain était nommé par l'Évêque de Digne, sur la présentation de l'Abbé du monastère de St -Victor. Un acte trouvé dans un cartulaire du Notaire Bertrand Hesmivy nous en a fourni la preuve. En 1038, une autre donation fut faite à la même abbaye, par un autre de nos Evêques, Hugo, successeur de Bernard , le même qui assista, en 1040, à la consécration de la nouvelle église de St -Victor, de Marseille. Voici une traduction aussi exacte que possible de cet acte intéressant :
« Nous , connu sous le nom de Hugo, élevé par la grâce de Dieu à la dignité de l'épiscopat, sur le siège de Digne, et le Seigneur Guigo , notre père , sous le pouvoir duquel notre épiscopat paraît être placé , qui a cédé à nos instances, faisons donation, à titre d'aumône, au monastère de St.-Victor de Marseille, de la part de la dîme qui nous revient , à raison de notre épiscopat, sur l'alleu de Chaudol , qui , d'après des titres anciens, appartient a ce monastère. Nous dit Évêque sus-nommé, et notre père, Seigneur Guigo confirmons cette donation, en l'année 1038, le 3 des calendes de janvier, 6e indiction . »
Or , les expressions de cet acte démontrent d'une manière évidente que ce n'était alors pas l Évêque qui jouissait des droits féodaux sur les biens de l'Évêché de Digne. C'était un Seigneur puissant, du nom de Guigo, qui devait être le descendant de quelque Leude Frank, qui , sous la domination Franke, avait dû être gratifié par le Prince qu'il suivait, des biens de l'Évêché de Digne, en récompense de ses services militaires. Les Rois Franks se permettaient souvent ces spoliations des églises, et favorisaient ainsi l'établissement de la féodalité. Hugo , fils de Guigo , ayant embrassé l'état ecclésiastique , dût arriver sans peine à l'Évêché de Digne, qui lui assurait pendant son épiscopat , les avantages de la puissance seigneuriale. Hugo dût ensuite naturellement en hériter, car, à cette époque, l'hérédité des fiefs n'était plus contestée. Or, Hugo devait être un Prélat dévoué à son église , Prélat pieux, que nous voyons, en 1038, faire un sacrifice de ses revenus pour assurer le rétablissement de l'abbaye de St -Victor, saccagée par les Sarrasins, et qui, à cette époque, se relevait de ses ruines ; nous le trouvons, deux ans plus tard, assistant à Marseille, avec de nombreux Évêques du Midi , à la consécration de la nouvelle église de St -Victor, par le Pape Benoit IX. Il ne dût donc pas hésiter à assurer après lui , à ses successeurs, le pouvoir que son père lui avait transmis, et à leur donner ainsi un droit de seigneurie qui assurait pour l'avenir aux Évêques de Digne une influence puissante contre les Seigneurs temporels. Cette explication, à défaut de toute autre, car l'origine du pouvoir seigneurial de nos Évêques a toujours été une énigme, nous a paru assez rationnelle pour trouver place dans notre travail. Nous ne la donnons cependant à nos lecteurs que sous toutes réserves, pour le cas où de plus amples documents viendraient enfin jeter une plus vive lumière sur ce point si obscur et cependant si intéressant de notre histoire.
En 1051 , Geoffroy Ier resta seul, par suite de la mort de son frère, et mourut en 1063, laissant pour son successeur son fils Bertrand. Bertrand défendit chaudement les intérêts du Saint-Siège, dans sa lutte contre l'Empereur Henri IV, ensuite de laquelle Aycard, Archevêque d'Arles, fut déposé par le Pape Grégoire. En 1080, un Provençal, Gérard Tenque, jeta les fondements de l'ordre des hospitaliers, qui d'abord prirent le nom de Chevaliers de Rhodes, et plus tard , sous le nom de Chevaliers de Malte, acquirent en Provence d'immenses possessions. Bertrand mourut en 1093. Étiennette, sa mère, s'empara de la régence et la conserva jusqu'à sa mort, en 1095. Ensuite régnèrent Gilbert et Gerberge; soeur de Bertrand. La première croisade agitait alors les esprits, qu'elle enflammait d'un saint enthousiasme. Gilbert se croisa. Il n'eut que deux filles, dont l'une fut mariée avec le Seigneur des Baux, d'origine Gothique, et qui prétendait descendre d'Euric. On lui donna une très grande quantité de domaines, connus en Provence sous le nom de terres Baussenques. Douce, la seconde fille de Gilbert , épousa Raimond , Comte de Barcelonne. Déjà une branche de la maison de Barcelonne était en possession de la Provence occi dentale. Gilbert mourut en 1109. Gerberge régna seule pendant trois ans, et , en 11 12, elle céda la Provence à Douce, qui en investit son époux, et Raimond devint ainsi la tige des Comtes de Provence, de la maison de Barcelonne. C'est par un acte en date du 13 janvier 1113, "'que Douce, fille de Gilbert, fit donation à Raimond Béranger,son époux , de son Comté de Provence. Ce prince régnait depuis trente deux ans sur le Comté de Barcelonne, lorsqu'il réunit la Provence à ses états. Il fut accueilli avec enthousiasme par les Provençaux, se ligua, dès son arrivée, avec les Pisans et les Génois, contre les Sarrasins, et leur enleva l'île de Majorque et plusieurs places dont ils s'étaient emparés en Espagne. Il eut ensuite à lutter contre Alphonse, Comte de Toulouse, qui était maître du Comté Venaissin. La lutte fut très vive, mais elle se termina , en 1125 , par un acte de partage , qui fut conclu le 1 1 septembre de cette année. Il mourut à Barcelonne , en 1 1 30 , dans une maison du Temple, dont il était Chevalier , et laissa deux fils , dont l'aîné succéda à son Comté de Barcelonne, et Raimond Béranger II, son fils cadet à son Comté de Provence. Ce jeune Prince épousa , en 1 135, Béatrix, Comtesse de Melgueil , qui lui apporta en dot des terres considérables dans le Languedoc. Il eut à lutter vivement contre Raimond de Baux, qui , mari d'Étiennette, deuxième fille de Gilbert et de Gerberge, prétendait avoir des droits sur la moitié de la Provence. Raimond de Baux était soutenu par l'Empereur Conrad III, qui lui donna l'investiture du Comté de Provence ; il eut l'appui d'Alphonse, Comte de Toulouse, et du Comte de Forcalquier, tous envieux de la puissance de la maison de Barcelone La lutte fut vive et sanglante, et la Provence eut à souffrir beaucoup de ces divisions intestines. Raimond Béranger mourut dans le cours de cette guerre, dans un combat livré, dans le port de Melgueil , contre les Génois qui soutenaient le parti des Baux (1144). Il ne laissa que son fils , âgé de sept ans. Mais son oncle , Raimond Béranger, dit le vieux, Comte de Barcelonne, s'empressa de venir en Provence, et se fit inféoder l'administration de son fief. Il continua ensuite la guerre contre la maison des Baux. Dans le courant du mois de février 1146, de nombreux Seigneurs Provençaux prêtèrent serment de foi et hommage au jeune Comte de Provence.
Il reste dans le registre Pergamenorum de la Cour des Comptes le serment qui fut prêté par les Seigneurs dans les trois villes de Tarascon, de Seyne et de Digne .
A Seyne, vingt Seigneurs lui prêtèrent hommage, et nous trouvons là des membres d'antiques familles qui se sont perpétuées en Provence jusqu'à nos jours; ainsi les familles des Merendol, des Beauvoir, des Montclar, des Valernes, des Turriers , des Pontis et des Faucon. A Digne, vingt-cinq Seigneurs prêtèrent le même hommage. A part les Seigneurs de Roquebrune et de Lauzière, nous ne trouvons pas de noms qui puissent se rapporter à nos ancêtres ; mais cela ne doit pas nous étonner, car les Seigneurs de Digne étaient auprès du jeune Comte de Provence , pour le défendre et lui prêter leur dévouement, et ce qui nous le fait penser ainsi, c'est que parmi ceux qui prêtèrent serment à Tarascon , nous trouvons plus d'un nom qui devait appartenir aux familles du bailliage de Digne. Ainsi : Rambaud de Beaujeu , Feraud et Isnard de Thoard , Guillaume de Courbons , Pierre de Gaubert , et tous les Porcellets , étaient évidemment les ancêtres de nos pères. En cette même année 1146, Digne avait pour Evêque Guido, qui assista, avec Guil laume, Archevêque d'Embrun , à une transaction entre l'Abbé de St-Victor de Marseille et Isoard Nothus.
Vers cette même époque, Raimond des Baux reçut de l'Empereur l'investiture du Comté de Provence : mais ce fut là un acte qui redoubla le zèle de Raimond Béranger, Comte de Barcelonne, qui avait pris sous sa protection son jeune neveu. II déploya la plus grande activité et reprit bientôt le dessus, au point que Raimond des Baux se vit réduit à traiter pour éviter de plus grandes dévastations à ses terres Baussenques , et qu'en 1148, il fut obligé de consentir à une renonciation authentique, non-seulement aux droits qu'il prétendait avoir sur la Provence , du chef de sa femme , mais encore aux droits qu'il avait reçus de l'Empereur Conrad III.
L'année suivante Raimond des Baux mourut en allant renouveler son hommage au Comte de Barcelonne. Hugues, son fils, resta calme et tranquille tant qu'il ne vit pas surgir d'occasion favorable pour reprendre les hostilités. Mais, en 1155, il obtint de l'Empereur Frédéric une nouvelle investiture du Comté de Provence.
Ramond Béranger, Comte de Barcelonne , en l'apprenant, eut hâte de revenir en Provence, et fit à Hugues de Baux une nouvelle guerre qui fut pour sa maison plus fatale que la première. Trente de ses châteaux furent rasés ; ceux de Baux et de Trinquetailles opposèrent une vive résistance, mais Raymond Béranger parvint à s'en rendre le maître et les fit également raser. Il ne voulut consentir à la paix qu'à des conditions très dures, et exigea des otages, qui pussent lui garantir la paix. Il profita de ce succès sur la maison des Baux, qui se trouvait en ce moment dans un état d'affaissement complet, pour se rapprocher de l'Empereur, et comme il craignait toujours l'effet des investitures consenties en faveur des membres de la maison des Baux, par Conrad et Fréderic, il essaya de demander la main de Richilde, fille de ce dernier, pour son neveu, le jeune Raymond Béranger. Fréderic y consentit, et l'oncle et le neveu partirent ensemble pour Turin. Mais en route, Raimond de Barcelonne fut frappé d'une mort subite, et son neveu, Raimond Béranger III, Comte de Provence , fut obligé de continuer seul son voyage. Il n'en fut pas moins bien accueilli de l'Empereur, qui lui donna la main de sa fille qu'il épousa le 15 septembre 1162. Fréderic rétracta en même temps les deux précédentes investitures faites par Conrad III et par lui, envers Raimond des Baux , et investit le jeune Comte de Provence, non-seulement de la Provence, mais encore du Comté de Forcalquier, qui fut déclaré fief de la Provence, de la ville d'Arles et de beaucoup d'autres villes. Le jeune Comte, de son côté, se reconnut vassal de l'Empereur et s'obligea à lui payer une cense annuelle de 15 marcs en or.
En 1165 , Laugier était Évêque de Digne. Il consentit une donation à l'église de Ste-Cécile, dans le Comté d'Embrun, avec Guiramand, Archevêque, et quatre Chanoines de cette métropole.
En 1166, la ville de Nice s'était révoltée contre l'autorité du Comte de Provence et s'était érigée en république. Raimond Béranger III voulut la ramener à l'obéissance : il vint y mettre le siège et fut tué sous ses murs. Il ne laissait qu'une fille, Douce II , qui avait été promise au fils de Raimond, Comte de Toulouse. Raimond épousa Richilde, mère de Douce. Alphonse, Comte de Barcelonne, voulut alors réclamer l'héritage de son cousin germain, et une lutte de dix années vint encore désoler la Provence. Raimond de Toulouse censentit enfin à abandonner, moyennant la cession du Gevaudan , et le paiement d'une somme de 300,000 marcs d'argent, ses prétentions sur la Provence. Douce mourut peu de temps après, et la branche Aragonaise succéda à la branche Provençale des Bérangers et réunit à l'Aragon les Comtés de Barcelonne et de Provence .
Le nouveau Comte, avant de quitter la Provence, soumit la ville de Nice , qui était encore révoltée, et força Guillaume III, Comte de Forcalquier, à se reconnaître son feudataire. Puis, obligé de rentrer en Espagne, il confia à son frère Béranger d'Aragon l'administration du Comté de Provence. Le Comte de Toulouse rompit alors les traités qui le liaient à Alphonse d'Aragon , et déclara la guerre tout à la fois à Guillaume des Baux et à Raimond Béranger, administrateur du Comté de Provence. Guillaume des Baux périt de la main d'un assassin, et Raimond Béranger fut tué, le 5 avril 1181, dans le cours de cette guerre qui bouleversa de nouveau la Provence.
Alphonse s'empressa de lui substituer son frère Sanche, qui continua la guerre contre le Comte de Toulouse. Cette lutte finit enfin par les soins de Guillaume de Sabran et de Raimond d'Agoult. Nous avons de cette époque deux bulles, l'une du Pape Alexandre III , du mois de novembre 1180, et une de Luce III, du mois de mai 1184, toutes les deux adressées au Prévôt et au Chapitre de l'église de Digne, et contenant l'énumération des biens du Chapitre et leur confirmation. Ces deux bulles, qui sont presque identiques, fixent à douze le nombre des Chanoines et prescrivent l'élection de l'Évêque par le Chapitre en cas de vacance du siège.
Alphonse Ier jugea prudent de retirer à Sanche l'administration de la Provence, et lui donna en échange la Cerdagne et le Roussillon.
Il revint en Provence, où il fit des efforts pour assurer son autorité. Il dût lutter partout où il trouva de l'opposition , et vint jusque dans le bailliage de Digne, où son armée assiégea le bourg de Thoard, qui fut presque totalement détruit. Le Château de Digne dût lui rendre alors des services, car au mois d'avril 1191, il fit donation à ses habitants d'un droit de dépaissance sur le territoire de Courbons.
Le siège de Thoard est attesté par un acte de l'abbaye de Boscaudon, cité par la Gallia Christiania, qui contient la vente du domaine de Paillerals, fait à cette abbaye, par un ancien Prévôt de l'église de Digne, Rainier de Thoard, inconnu à Gassendi. Ce domaine appartenait àRainier de Thoard, par indivis avec ses neveux, et provenait de la succession de sa mère Benicase, de la famille des Seigneurs de Gaubert. Rainier de Thoard expose dans cet acte que cette vente est faite pour servir à la rançon de ses neveux et de lui-même, faits prisonniers par les troupes Aragonaises, lors du siège de Thoard. Le prix de vente fut fixé à 1,500 sols Valentinois. L'acte fut passé à Digne, in Castro, in domo Episcopi, dans le château de l'Évéque, qui, à cette époque, était déjà construit. La vente fut consentie en présence de l'Évêque de Digne, Bertrand, et de Guillaume de Turrirs, Abbé de Boscaudon. Alphonse Ier, avant sa mort, soumit Boniface de Castellane, qui s'était révolté contre son autorité souveraine, et s'assura le Comté de Forcalquier, par le mariage d'Alphonse II , son fils, avec Garsende de Sabran , héritière de ce Comté . Il mourut peu de temps après, le 25 avril 1196, laissant deux fils, Pierre, qui continua à posséder l' Aragon , et Alphonse, qui entra en possession du Comté de Provence.
Alphonse II faillit compromettre le Comté de Forcalquier, mais Pierre, Comte d'Aragon, son frère, intervint, et le Comte de Forcalquier, qui voulait annuler la donation faite à sa fille, la confirma de nouveau. Le dernier Comte de Forcalquier, Guillaume, mourut à Manosque , en 1208, et depuis lors son Comté fut réuni à la Provence. Alphonse II ne lui survécut pas longtemps, il mourut l'année suivante (1209).
C'est sous ce Prince qu'eurent lieu les premières apparitions de l'hérésie Albigeoise ; mais il fit tous ses efforts pour qu'elle ne pénétrât pas dans ses Comtés. Il laissa un fils , Raimond Béranger IV, encore mineur, dont la tutelle fut confiée à Pierre d'Aragon , frère aîné du Prince qui venait d'expirer. Pierre exigea, des feudataires du Comté, le serment d'hommage et de fidélité dû à son neveu, et l'emmena dans ses états, où il le confia à des maîtres habiles. Pendant l'absence du jeune Raimond Béranger, la Provence fut encore livrée à des dissensions politiques, suscitées par la maison de Forcalquier, et à des dissensions religieuses, soulevées par la secte des Albigeois. Pierre, Roi d'Aragon, tuteur du jeune Comte, fut tué dans ces guerres de religion.
Sa mort fit revenir en Provence Raimond Béranger. Il avait alors 17 ans, et il était las de la tutelle qu'on lui avait imposée. A son arrivée dans son Comté, il y trouva des désordres épouvantables. Les passions religieuses étaient poussées jusqu'à leur dernière limite : la violenee régnait partout ; toutes les principales communes, Marseille, Avignon, Arles, étaient en pleine révolte. Raimond Béranger se prononça pour le Pape et se croisa contre les Albigeois. En 1317, il se fit un appui de Thomas, Comte de Savoie, en épousant sa fille Béatrix. En 1221 , il parcourait le bailliage de Digne, et nous le trouvons, le 6 des ides de mars, au Bourg de Digne, confirmant, au Prévôt Antoine, les privilèges et les immunités qui lui avaient été accordées par ses prédécesseurs. Lorsque, en 1226 , Louis VIII , Roi de France, vint assiéger Avignon, il assista ce prince et l'aida à reprendre cette ville, qui fut obligée de se soumettre, le 12 septembre de cette année. Il tourna ensuite ses efforts contre Nice, qui dût céder. La ville de Marseille résista plus longtemps : elle appela à son secours le Comte de Toulouse, son Seigneur viager, et Raimond Béranger soutint inutilement un siège de trois mois. Le Comte de Toulouse, investi du Comté de Forcalquier par l'Empereur, reçut à Marseille, des habitants, le serment de fidélité.
Tout semblait perdu , lorsque le Comte de Provence parvint à regagner l'amitié de l'Empereur. Le Comte de Toulouse, après avoir été sommé de renoncer à ses entreprises , fut excommunié par le Pape. L'Empereur Fréderic, de son côté, rendit un décret qui privait de leurs fiefs les vassaux insurgés contre le Comte de Provence, et envoya en Provence un commissaire chargé de pacifier la Provence et de rétablir l'autorité du Comte. Raimond Béranger profita de la trêve que ce commissaire fit accepter par toutes les parties. Il fixa sa résidence à Aix et y attira toute la noblesse de Provence. Béatrix , Comtessse pleine d'esprit et d'amabilité, faisait les charmes de cette cour, qui devint une des plus brillantes de l'Europe. Les Provençaux entourèrent bientôt ce Prince de leur affection, et les semences de division disparurent. En 1231, Raimond Béranger fonda la ville de Barcelonnette.
En 1234, sa fille aînée, nommée Marguerite, épousa Louis IX , Roi de France ; Éléonore, la seconde , fut donnée, l'année suivante, à Henri III , Roi d'Angleterre.
En 1237, Raimond Béranger vint parcourir les bailliages de Sisteron, de Digne et de Castellane, et proposa aux Seigneurs de ces divers bailliages des Statuts qui réglèrent leurs droits de juridiction et les divers services féodaux des cavalcades, des Albergues et des quistes.
En 1238, il réclama l'hommage des divers ordres du Comté de Provence. Un de nos Evèques, Hugues de Laudun, lui prêta son hommage à Aix , avec les Archevêques d'Arles, d'Aix, et les Ëvéques de Fréjus, de Toulon , d' Antibes , de Vence , de Glandeves, de Riez , avec l'Abbé de St.-Victor et un envoyé de l'Abbé de Lerins. Cet hommage fut prêté dans l'église de St.-Jean, dite de t'Hôpital, probablement parce qu'elle appartenait à l'ordre de Malte. En 1244, Raimond Béranger maria Sancie, sa troisième fille, avec Richard, frère du Roi d'Angleterre, qui devint ensuite Roi des Romains.
Il ne lui restait plus que Béatrix, sa dernière fille, qui était demandée par de nombreux prétendants, tels que Conrad, fils de l'Empereur Fréderic, Raimond , Comte de Toulouse, et autres, lorsque Raimond Béranger mourut à Aix , le 19 août 1245. Raimond Bérauger IV fut le dernier des Comtes de la maison de Barcelonne et fut remplacé par Charles Ier d'Anjou, qui obtint la main de Béatrix, quatrième fille du dernier Comte, qu'il avait instituée, dans son testament, héritière de ses Comtés de Provence et de Forcalquier.
Ici doit finir notre Introduction, car nous arrivons à l'époque où fut institué le Cominalat. Nous ferons connaître dans nos Prolégomenes, l'état du Château de Digne au moment de sa création ; puis , nous suivrons son développement pendant les trois époques que nous avons dû établir, pour montrer ses modifications successives, époques qui concordent avec les règnes des Comtes de Provence de la première maison d'Anjou.

FIN DE L INTRODUCTION

PROLÉGOMÈNES.

SITUATION DU CHATEAU DE DIGNE, A L'ÉPOQUE DE L'INSTITUTION DU COMINALAT.

CHARLES I D'ANJOU.
1246-1260.

Nous avons rapidement esquissé dans notre Introduction tous les faits qui se rattachent à l'histoire de Digne, depuis les temps les plus reculés jusqu'à la fin des Comtes de la Maison de Barcelonne.
Nous arrivons maintenant aux Comtes de la première Maison d'Anjou, et c'est le premier de ces princes, Charles 1er d'Anjou, frère de St.Louis, roi de France, qui a institué, dans le château de Digne, comme on l'appelait alors, le Cominalat, qui fait l'objet principal de nos travaux. Avant d'aborder l'histoire duCominalat, il est indispensable de faire connaître d'une manière un peu complète la situation du Château de Digne, à l'époque de cette institution et la position de ses habitants auprès du Comte de Provence et de l'Évêque de Digne, qui avaient sur eux, l'un le pouvoir souverain , et l'autre le pouvoir féodal; car nous aurons à suivre les Cominaux dans leurs relations et dans leurs luttes avec ces deux hautes puissances.
La ville de Digne, nous l'avons déjà dit, était, vers le milieu du XIII° siècle, divisée en deux parties distinctes : le Bourg, Burgum, et le Château, Castrum. Le Bourg était évidemment la ville antique, la ville libre, la ville où se trouvaient encore les restes de l'organisation municipale romaine, et nous n'en citons d'autre preuve que l'existence des Consuls que nous y trouvons vers la fin du XIII° siècle et pendant la plus grande partie du XIV°. Gassendi dit que c'est en 1297 que les Consuls y furent institués. Malheureusement Gassendi n'indique ni l'acte de leur institution, ni le Prince qui les aurait créés. Peut-être ne les a-t-il trouvés mentionnés que dans un acte de 1297 et n'a-t-il voulu constater leur existence que depuis cette époque.
Nous aimons mieux croire que les Consuls du Bourg y étaient établis depuis plus longtemps ; nous avons la conviction que, comme dans d'autres communes Provençales, ils n'ont fait que continuer les Consuls qui existaient sous les municipes Romains. Que s'ils ont pu disparaître quelque temps pendant les siècles de barbarie, leur seule apparition au XIII° siècle est, à nos yeux, une preuve que l'ancienne organisation municipale avait conservé la plus grande partie de sa puissance, puisque après tant de luttes, au milieu de la féodalité si envahissante, cette institution des Consuls était parvenue à se reconstituer. Le Château de Digne, Caslrum, au contraire, a une origine toute féodale. Au lieu où sont situées aujourd'hui les prisons départementales, il y avait, avant 89, les restes d'un antique château épiscopal, castrum episcopale. Ce château ou forteresse, car on le nommait encore fortalitium episcopale, avait été bâti par un des premiers Évêques, investis de la puissance féodale, qui pesa si longtemps sur la cité de Digne. Ce dût être vers la fin du XI° ou au commencement du XII° aiècle.
Dès que le Château fut construit, l'Évêque dût promettre des libertés aux habitants qui viendraient s'établir à son entour, et effectivement des habitations s'y groupèrent bientôt : les guerres incessantes de cette malheureuse époque poussèrent la plus grande partie des habitants du Bourg, à venir y chercher un refuge et un abri.
Puis, lorsque la cité fut suffisamment nombreuse, elle songea à se fortifier, et c'est de cette époque que datent les remparts et les fortifications dont nous voyons encore aujourd'hui les traces, mais qui disparaissent de jour en jour.
Ce que nous affirmons ici pourra peut-être paraître un peu hasardé au premier abord; mais il nous suffira de citer un passage d'une requête adressée au Roi René, en 1437, consignée dans une lettre de ce prince, du 16 août de la même année, pour prouver que nous n'avançons ici qu'un fait vrai. Les habitants de Digne demandaient au Roi René l'autorisation de transporter dans le Château, les foires de la Toussaint et de la St.-Jullien, qui s'étaient tenues jusqu'alors au Bourg. Les motifs sur lesquels ils se fondaient, étaient très justes. Lorsque ces foires avaient été autorisées, elles avaient été établies au Bourg, parce que tous ceux qui les avaient demandées, y avaient alors leur demeure. « Mais depuis lors, ajoutaient-ils, la fréquence des guerres qui ont eu lieu dans la suite des temps, a forcé les habitants du Bourg, à transporter leur demeure dans le lieu où se trouve aujourd'hui la cité et la maison ou forteresse épiscopale, et là, pour la défense de leurs personnes et de leurs biens, à la ceindre de remparts et de fortifications. » Voilà bien l'origine du Château de Digne. Mais quel était son état, quelle était son organisation, au moment de l'institution du Cominalat?
On nous demandera peut-être, si nous abordons cette question, sur quelles preuves nous pourrons nous appuyer. Qu'on se rassure : les matériaux qui nous ont été conservés, sont plus riches qu'on ne pense, et on sera étonné , comme nous l'avons été nous-mêmes, de la richesse de la mine que nous avons découverte. Quelques mots d'abord sur Charles 1er. Ce Prince, Français d'origine, avait, grâces à l'activité de la Reine Blanche, sa mère, grâces aux bonnes dispositions du Pape Innocent IV , et au dévouement sans bornes de Romée de Villeneuve, fidèle et loyal ministre du dernier Comte de la maison de Barcelonne, épousé Béatrix, quatrième fille de Raymond Béranger, et son héritière par testament des Comtés de Provence et de Forcalquier. Il avait évincé ses nombreux rivaux, et arrivait triomphant en Provence, à la tête d'une armée française, après avoir épousé à Lyon, le 30 janvier 1246, sa belle fiancée.
La Provence se trouvait, lorsqu'il en prit possession, dans un état de discorde et de confusion politiques, dont il est fort difficile aujourd'hui de se faire une idée exacte. Nous avons fait connaître tous les maîtres divers sous le joug desquels elle avait été obligée de courber la tête, et c'était au milieu de luttes sans cesse renaissantes, que, malgré son énergie, malgré son amour pour ses antiques institutions, malgré son esprit d'indépendance, elle avait reçu l'étreinte de la puissance féodale, qui, pour avoir été moins forte dans le midi que dans le nord des Gaules, n'en avait pas moins jeté dans son sein, comme partout, de profondes racines. Les efforts des premiers Comtes de Provence avaient été souvent impuissants, et leur pouvoir souverain avait été plus d'une fois contesté et avait couru de graves dangers. D'un autre côté, beaucoup de villes, les plus importantes notamment, avaient conservé l'esprit de liberté de leurs ancêtres et tentaient souvent de reconquérir leur indépendance.
Charles 1er d'Anjou se trouva donc, en arrivant en Provence, dans une position difficile : il avait à la fois à combattre et la noblesse ambitieuse et le peuple des cités : les uns voulaient le pouvoir, les autres la liberté. Le Comte de Provence comprit tout de suite quels puissants intérêts il avait à débattre; il ne s'agissait de rien moins, pour lui, que de consolider son pouvoir souverain, et de s'assurer une puissance plus réelle que celle de ses prédécesseurs. Charles se mit tout aussitôt à l'oeuvre. Il envoya sur tous les points de son Comté des commissaires, chargés de faire un recensement exact de ses droits, et voulut avoir des notions précises sur tout ce qui intéressait sa souveraineté.
La plupart des historiens de Provence se taisent sur ce fait; mais il n'en est pas moins certain, et ce n'est qu'en l'admettant qu'on peut comprendre le nombre infini d'actes, que ce Prince, malgré sa participation aux grands événements de son siècle, a laissés après lui : actes par lesquels il est habilement parvenu à recouvrer successivement la presque généralité des droits que ses prédécesseurs s'étaient laissé usurper.
D'ailleurs ces enquêtes auxquelles il fit procéder, émurent l'opinion publique, et les troubadours eux-mêmes, ces interprêtes si gracieux de la société de leur époque, ne purent contenir leur mécontentement, sur le brusque changement qui venait de s'opérer à la cour de Provence, naguères la plus brillante de l'Europe , et les traits satyriques de leurs canzones n'épargnèrent pas la nuée d'avocats que Charles 1 d'Anjou avait répandue sur toute la Provence. Un fait certain, attesté par les Archives de la Cour des Comptes, c'est que dès l'année 1246 (1), vers le mois de décembre, un des commissaires de Charles vint visiter le bailliage de Digne, et dressa un état détaillé de tous les droits du Comte de Provence sur les divers Châteaux de son ressort.

(1) Cette enquête se trouve ainsi cotée dans un arrêt du Conseil d'état du Roy, du 12 février 1732 : Extrait collationné sur autre extrait tiré des archives de la Chambre des Comptes de Provence, d'un procès-verbal de vérification et examen des droits qui apartenoint, dans la ville de Digne, tant au Comte de Provence, qu'à l'Evêque de ladite ville, fait le 25 décembre 1246, par lequel il paroit qu'il s'y percevoit au profit du Comte de Provence des droits de gabelle et de péage, conformément au tarif inséré audit procè-sverbal.

C'est le 25 décembre qu'il se trouvait à Digne et qu'il interrogeait les habitants notables, pour fixer le Comte de Provence sur les empiétements que l'Évêque de Digne, seigneur féodal de ce Château, s'était déjà permis. Cette enquête jette un jour très vif sur la position du Château de Digne. Elle nous apprend que l'Evêque n'était qu'un Seigneur féodal ordinaire, sous la souveraineté du Comte de Provence; qu'il n'avait même pas la directe universelle sur le Château de Digne, car il y avait d'autres Seigneurs qui partageaient son pouvoir et ses priviléges.
Le droit de souveraineté, le majus domînium, appartenait tout entier au Comte de Provence, et lui attribuait exclusivement la haute justice et la perception de tous les impôts réservés à la souveraineté, tels que les Quistes, l'Albergue et les Cavalcades. Le droit de basse justice seul se partageait entre le Comte et l'Evêque, et il y avait à Digne deux Curies ou Cours de justice, la Curie du Comte, qui prenait le titre de Curie royale, et celle de l'Evêque, désignée sous le nom de Curie épiscopale. L'une, la Curie royale, était dirigée par le Bailli, homme investi de la confiance du Comte, qui cumulait à la fois sur sa tête , les pouvoirs administratifs, les pouvoirs judiciaires, et la surveillance des finances. L'autre, la Curie épiscopale, était dirigée par l'Official, qui exerçait à cette époque une double juridiction, tout à la fois spirituelle et temporelle. La compétence de ces deux curies, était fixée par les plaignants eux-mêmes. Le demandeur, sur des faits de basse justice, portait sa plainte soit devant le Bailli, soit devant l'Official, à son gré, et la compétence du juge choisi ne pouvait pas être déclinée par le défendeur.
L'Evêque n'avait que le droit, comme seigneur féodal, de décider seul les questions de possessions qui l'intéressaient spécialement. Les bans et les leydes appartenaient soit à l'Évêque, soit à d'autres seigneurs, ayant comme l'Évêque une directe partielle. Mais la gabelle du sel et le péage étaient la propriété exclusive du Comte de Provence, qui les affermait pour un certain nombre d'années, tantôt aux enchères publiques, en présence du Bailli et du Clavaire, et tantôt par des marchés particuliers consentis par le Clavaire; aussi ceux qui se trouvaient ainsi chargés de la vente du sel étaient non pas des fonctionnaires publics, mais de simples spéculateurs, placés sous la surveillance des officiers royaux, et ne cherchant qu'à rendre leur spéculation aussi productive que possible. Aussi l'enquête reproduit-elle avec une naïveté charmante la déposition des témoins : Salinum emitur ut melius polest et venditur : Le sel s'achète et se vend aux meilleures conditions possibles.
Le droit de péage était un droit perçu par le Comte de Provence, qui frappait toutes les marchandises introduites dans la ville de Digne: c'était l'octroi d'aujourd'hui; seulement il n'était pas établi dans l'intérêt de la communauté elle-même. Il n'y avait que fort peu d'objets qui entraient en franchise : on n'exceptait guères que les choses les plus nécessaires à la vie, telles que le bois, le blé, les fruits, les bêtes d'average et l'argent monnayé. Ce droit était perçu par charge : il y avait la grosse et la petite charge, et c'était la nature de l'animal porteur qui la différenciait. Ainsi la grosse charge était celle du cheval, et la petite, celle de l'âne. Il n'y avait qu'un seul prix par petite charge, qu'on doublait pour la grosse charge. Ces prix étaient basés d'après l'importance des objets. Ainsi les draps, les étoffes précieuses, les productions étrangères, les objets travaillés en or et en argent étaient taxés à un sol par petite charge et à deux sols par grosse charge. Les matières moins précieuses, telles que le fer, là laine, l'huile, les peaux, les fromages eux-mêmes, ne payaient que la moitié de ce droit.
Enfin pour le sel, il y avait encore une diminution : il ne payait qu'un droit de quatre ou de six deniers suivant la charge. A cette époque, s'il faut en croire les renseignements contenus dans l'enquête, le péage et la gabelle ensemble ne produisaient qu'une somme annuelle de 90 à 100 livres Provençales, qui, à la vérité, avaient une valeur beaucoup plus considérable que celle des siècles postérieurs. Nous verrons d'ailleurs ces produits augmenter avec le temps.
Les droits du Comte sur le Bourg étaient à peu près les mêmes. Seulement le Prévôt, qui avail reçu la directe d'un certain nombre de propriétés, de la générosité des Comtes de Barcekmne, commettait peut-être moins d'empiétements que l'Evêque de Digne.
Charles d'Anjou ne put pas s'occuper immédiatement de la réalisation de ses projets. Pendant qu'il recueillait ou du moins faisait recueillir, avec un soin minutieux, les renseignements dont il avait besoin, il fut prévenu par St.-Louis, Roi de France, son frère, de la croisade qu'il méditait, et Charles voulut le suivre. Il fit un appel aux Seigneurs Provençaux, dont un grand nombre s'empressa de s'associer à cette grande entreprise, qui alors excitait tant d'enthousiasme, et il accompagna jusqu'à Damiette le Roi de France, qui devait y subir une si rude captivité.
Charles 1er d'Anjou fut un des premiers à revenir dans son Comté de Provence, et lorsque Louis IX put enfin sortir de sa captivité, il le reçut avec des fêtes dans lesquelles la vivacité Provençale fit éclater sa joie. En passant à Hyères , St -Louis fut harangué par un religieux Cordelier, du couvent de St - François de Digne, le frère Hugo, qui par son éloquence et son âpre franchise, fit sur le Roi et sur sa cour une si profonde impression, que Joinville lui consacre une page de ses mémoires. (1)

(1) Voici ce qu'en dit le sire de Joinville : « Un Cordelier vint à li au Chastel de Yeres , là ou nous descendîmes de mer ; et pour enseigner le Roi , dit en son sermon que il avait leu la bible et les livres qui parlent des princes mescréans, que onques reaume se perdict, ne chanjast de seigneurie a autre , mez que par defaute de droit. Or se preingne garde, fist-il, le Roy qui s'en va en France, que il face bon droit et hastif a son peuple, par quoi nostrc Sire li souffre son royaume à tenir en paix tout le cours de sa vie. En dit que ce enseignoit le Roy, gist a Marseille, la ou nostre Seigneur fait pour li maint bel miracle ; et ne voult onques demeurer avec le Roy, pour priere que il li sceut faire , que une seule journée. Mém, de Joinville, 1" part. 8. 30.

Lorsque Charles était devenu Souverain de la Provence, par son mariage avec Béatrix, c'était l'Evêque Amblar qui occupait le siége de Digne, Prélat d'un mysticisme élevé, avec lequel Charles 1er d'Anjou n'eut pas le temps de s'entendre, car en 1247, il renonça aux douceurs et aux priviléges de son épiscopat, pour aller s'enfoncer dans un couvent de Chartreux et terminer sa carrière dans la retraite et le recueillement de la prière. Ce fut Boniface, alors Archidiacre de l'Eglise de Digne, qui fut élu à sa place par le Chapitre dont il faisait partie. Il se trouvait à Paris, au moment de son élection, où avec une tête ardente et un coeur ambitieux, il se livrait à des assauts de théologie. Il reçut la nouvelle de son élection et s'empressa de venir prendre possession de son siége, qui satisfaisait ses rêves de pouvoir et d'ambition.
Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir quelles furent les relations de Charles 1 et de Boniface ; mais il nous paraît certain que Charles ne voulut pas engager une lutte avec lui, et qu'il fit des efforts pour l'amener amiablement à consentir ce qu'il désirait. Ce qui nous semble le prouver, c'est qu'en 1252, nous trouvons Boniface à Marseille, auprès du Comte de Provence, où il signe le premier traité conclu entre Charles et cette dernière ville.
Cependant peu à peu le zèle outré de leurs officiers respectifs fit surgir des procès sur des questions de juridiction, dans lesquelles Boniface avait usurpé les droits du Comte, que Charles était bien décidé à défendre, car toutes ses pensées se reportaient sur la nécessité de relever son pouvoir royal et souverain. Pourtant il ne voulut pas de lutte. Il était convaincu que, sa souveraineté une fois bien reconnue, quelques concessions insignifiantes ne la compromettraient pas. Il fit proposer à Boniface de terminer leurs contestations par un compromis, et de faire fixer leurs droits respectifs par des arbitres aimablement choisis. Boniface dût de son côté préférer cette voie à celle des procès; les cours de justice du Comte de Provence devaient lui inspirer de la méfiance, et le 30 septembre 1257, le lendemain de la fête de la St.-Michel, le compromis fut signé , et les parties jurèrent de s'en rapporter à la décision de trois arbitres, qui furent Me Baxian, professeur de droit civil, Guillaume Berardin, prévôt de l'Eglise de Fréjus, et Hugues de Marcoux, Archidiacre de l'Eglise de Digne. Ce compromis fut signé le dimanche, et le mercredi suivant, trois jours après, les arbitres rendirent leur sentence, qui fixait désormais les droits du Comte et ceux de l'Évêque. Dans cette sentence, les arbitres déclarent que la souveraineté, le majus dominium, appartient exclusivement au Comte de Provence ; qu'il doit par conséquent percevoir seul les droits qui lui sont inhérents, parmi lesquels se trouvent en première ligne les droits d'albergue, de contalage (1), de fouage, de quiste, et de cavalcade.

(1) Le contalage, d'après Du Cange, était un droit perçu sur chaque mesure de froment vendu.

Relativement à la juridiction , la haute et la moyenne justice sont encore attribuées au Comte de Provence, et on fait une réserve expresse, en sa faveur, des cas d'homicide, d'adultère, et de tous les faits et crimes qui entraîneraient l'effusion de sang, lors même qu'elle ne proviendrait que d'une lutte ou même d'une simple rixe.
Mais les arbitres décident, pour prévenir le retour de nouvelles contestations, qu'en cas de confiscation de biens, en suite de condamnations portées, dans les cas réservés au Comte, et dans les cas communs aux deux parties, le produit sera partagé par moitié entre le Comte et l'Evèque, ainsi que le produit de toutes les condamnations pécuniaires. Seulement, pour les confiscations que l'Évêque peut exercer personnellement en vertu de sa directe, le produit devra lui revenir tout entier. D'autre part, lorsque dans les cas réservés au Comte une peine corporelle sera prononcée, si par suite d'une grâce ou autrement la peine est convertie en une peine pécuniaire, le montant de la condamnation devra appartenir exclusivement au Comte.
La sentence arbitrale attribue à l'Évêque seul, le revenu des dîmes et des prémisses, censes, services et prestations provenant de sa directe, sur toutes les propriétés tant rurales qu'urbaines qui y sont soumises, en vertu des concessions faites, soit anciennement, soit depuis peu de temps, et de plus les confiscations fondées sur le défaut de prestation des services féodaux. L'Évêque est, en outre, autorisé à percevoir gratuitement, sur les salines royales de Digne, tout le sel nécessaire à sa consommation et à celle de sa maison, privilége dont il jouit depuis l'antiquité la plus reculée.
Les arbitres décident ensuite la grande question de foi et hommage. L'Évêque et ses successeurs seront tenus de prêter au Comte et à la Comtesse de Provence, ainsi qu'à leurs enfants et à leurs successeurs, le serment d'hommage et de fidélité, toutes les fois qu'ils en seront requis, pour leurs domaines dans le Château et le Diocèse de Digne. Mais, pour le prendre par son côté faible, on reconnaît à l'Évêque le droit d'exiger de tous et chacun des nobles et habitants du Château de Digne, qui auront reçu de lui ou de ses prédécesseurs des concessions féodales, un pareil serment d'hommage et de fidélité, hommage auquel la ville de Digne ne se soumit qu'à contre-coeur, contre lequel elle protesta aussi énergiquement qu'elle put, et dont elle ne se trouva dispensée que lorsque les principes du droit féodal furent mieux précisés, et que ce droit, véritable usurpation de l'Évêque, fut réduit, à l'époque du Syndicat, à une simple reconnaissance, inviduellement faite par chaque possesseur d'un bien soumis à la directe épiscopale.
Les arbitres, après avoir décidé ces points importants, arrivent à la désignation des droits qui doivent rester indivis et communs entre les deux parties contractantes.
Mais d'abord ils vident une question délicate, à laquelle Charles d'Anjou attachait la plus grande importance.
Les criées et proclamations publiques ne devront plus être faites qu'au nom du Comte de Provence, lorsqu'il s'agira de droits à lui réservés. Elles seront faites au nom du Comte et de l'Évêque dans tous les cas déclarés communs. Mais dans ces cas, l'autorité du Comte devra toujours être invoquée avant celle de l'Évêque.
Dans ces mêmes cas, le crieur public sera porteur d'une bannière, sur laquelle se trouveront les armoiries du Comte et de l'Évêque. Celles du Comte seront placées au-dessus, pour constater sa prééminence. Dans les publications faites au nom seul du Comte de Provence, le ciïeur aura une bannière sur laquelle il n'y aura que les armes royales.
Après cette décision, les arbitres déclarent que les deux parties contractantes devront approuver l'une et l'autre, les statuts et règlements faits dans le Château de Digne, sur les arts et métiers et en matière de commerce ; les règlements de grande et de petite voirie, relatifs notamment aux fossés, baies ou clôtures, aux remparts du Château, aux rues ou voies publiques. Disposition étrange, arrêtée sans avoir entendu la cité, non audita civitate, comme dit une protestation écrite en marge de cette sentence, dans notre Livre Doré, et qui devait embarrasser nos pères, par cette double obligation, qui leur était imposée, d'obtenir, pour leurs moindres résolutions, l'assentiment de deux puissances destinées à vivre dans une lutte continuelle.
Les arbitres déclarent encore que les deux parties auront en commun la garde du Château et de ses portes, et qu'ils la confieront de concert aux chefs de famille, aux probi homines, sur la fidélité desquels il leur sera permis de compter. La police des foires et marchés, la donation des tutelles et des curatelles; la perception des bans, du droit de pacage, et la propriété des iscles et graviers des rivières, leur sont également attribués en commun, sans respect pour les droits antiques des habitants du Château et du Bourg. Il en est de même des biens provenant de successions vacantes et de ceux tombés, par une cause autre que celle du non paiement des services au Seigneur féodal, en état de commisse (1) ; de la dîme sur les fours et les moulins; des droits de lods et de trezain (2), sauf les cas où ils seraient dûs par une des parties contractantes; des condamnations pécuniaires prononcées pour contraventions au règlement des poids et mesures, pour ravages faits aux champs, de jour et de nuit, sauf le cas d'incendie, réservé exclusivement au Comte de Provence; du droit de latte (3), et enfin de tous les frais de poursuite faits dans les cas communs aux deux parties et ressortant de la basse justice.

(1) Le droit de commisse ou de commis était le droit de confiscation du Seigneur féodal.

(2) Le droit de lods est un droit du treizième, que l'acquéreur d'une propriété, soumise à une directe seigneuriale, était tenu de payer au Seigneur. En Provence, le lods et le trezain étaient synonimes. Le trezain était le lods ordinaire. Le lods pouvait quelquefois être moins du treizième. Pour le fixer, on recourait aux titres s'ils en faisaient mention ; et dans le cas où la quotité n'y était pas fixée, c'était la coutume que l'on prenait pour règle.

(3) Le droit de latte était une peine introduite pour punir la demeure et la chicane des débiteurs obligés par des actes soumissionnés. La latte avait pris son origine dans la coutume, et le droit dépendait de la coutume des lieux. II y avait la latte simple, et la latte triple. La latte simple était due par le seul fait de la demande devant le Juge. La latte triple était due, lorsque, devant le Juge , la demande était niée par le débiteur. Le droit de latte était payé à raison de la somme portée par la demande. Il était de neuf deniers par florin pour la latte simple, et par conséquent de 27 deniers, pour la latte triple.

Cette sentence se termine enfin par une disposition toute favorable au Comte de Provence et à laquelle l'Evêque Boniface ne dût consentir qu'à son corps défendant.
La curie devra s'appeler désormais la curie commune, mais les officiers royaux seront nommés par le Comte de Provence, sous la seule condition que les hommes par lui choisis ne seront pas suspects à l'Evêque. Et ce dernier s'obligera à payer annuellement une somme de vingt livres pour leurs appointements. Ces officiers royaux devront rendre annuellement le compte de leur gestion aux parties contractantes. Tel est ce jugement arbitral, qui nous fait connaître d'une manière assez exacte l'étendue des pouvoirs du Comte de Provence et de l'Évêque sur le Château de Digne à cette époque reculée.
Charles et Boniface, après en avoir entendu la lecture, jurèrent sur les Saints Évangiles, de l'exécuter fidèlement, et le Comte de Provence s'empressa de faire à l'Évêque de Digne la promesse solennelle de le défendre comme tout bon Seigneur le doit à son vassal. Charles 1er comprenait toute l'importance de l'acte qui venait de fixer d'une manière précise les droits d'un vassal qu'il craignait.
Les habitants du Château de Digne, n'avaient pas pu se faire entendre dans ce partage de droits, qui pourtant les touchaient de si près; aucun de leurs représentants n'y avait été appelé, et leurs plus chers intérêts y avaient été impitoyablement sacrifiés. Mais avant de dire l'effet produit sur le château par cette sentence, il est nécessaire de nous arrêter un instant pour étudier son organisation à cette époque. Dès que nous aurons fait comprendre la vie réelle de nos pères, au milieu des luttes qu'ils eurent à soutenir, notre tâche deviendra plus facile. La ville de Digne, ou pour mieux dire, le Château de Digne, le Castrum , dont le nom seul rappelait ainsi l'origine féodale, ne s'était formé, ainsi que nous l'avons déjà dit, qu'à la suite de la construction du palais ou château épiscopal.
Quelques familles vinrent d'abord se grouper autour de la forteresse batie par le Seigneur puissant, qui , pour se procurer des vassaux, faisait à ceux qui se soumettaient à ses conditions des concessions qui, dans ces temps de misère, pouvaient sembler avantageuses. Une grande partie des habitants pauvres du Bourg dût trouver là un moyen de s'établir et d'acquérir des terres, que , probablement à cette époque, on ne pouvait se procurer qu'à grande peine. Seulement les concessionnaires étaient obligés de se soumettre à toutes les exigences du Seigneur, et de s'obliger à servir toutes les censes, tous les services, toutes les prestations qu'il plaisait au maître de leur imposer.
Une chose donc bien certaine, c'est que presque tous les premiers habitants du Château ne tinrent leurs terres que sous la directe de l'Évêque, et qu'ils se trouvèrent ainsi placés sous le joug d'une véritable constitution féodale. Sans doute les colons de cette nouvelle terre n'avaient pas entendu, en acceptant cette autorité, abjurer toutes leurs antiques libertés ; mais il n'en est pas moins vrai qu'en acceptant les concessions de terres qui leur étaient faites par le Seigneur, ils s'étaient soumis à toutes les rigueurs de la législation féodale. Il y avait bien encore à Digne quelques habitants qui possédaient des terres restées libres, qu'ils pouvaient eux aussi donner à cense, à nouveau bail ou à emphytéose en conservant la directe, mais ils étaient peu nombreux, et en présence du pouvoir colossal de l'Evêque, ils étaient à peu près complètement annihilés.
Nul doute donc que le Château de Digne ne fût dans le principe essentiellement féodal : tous ceux qui n'avaient pas consenti à courber la tête sous le joug du Seigneur, devaient être restés au Bourg, où on avait les Consuls, et la plus grande partie des institutions de l'antique municipalité romaine, qui avaient résisté à tous les orages causés par les dominations diverses sous lesquelles leur ville avait dû passer. Par suite de cette origine féodale, le Château n'avait point encore de constitution municipale. Tandis que le Bourg avait des Consuls annuellement renouvelés, le Château n'avait pas de représentants légaux, ses habitants étaient pour ainsi dire à la merci de leur Seigneur et du Comte de Provence, et ne pouvaient invoquer que les droits résultants pour eux de la loi naturelle et du droit commun.
Tous les chefs de famille, tous ceux que l'on désignait alors sous le nom de probi homines, exerçaient bien en commun tous les droits qui leur appartenaient, mais ils n'avaient personne à la tête de l'université qui fût spécialement chargé de les représenter, et qui pût, en leur nom, les défendre et les faire respecter. Il leur fallait pour cela nommer des Syndics, et cette nomination était entourée de toute espèce d'embarras et de difficultés. Ils avaient bien le droit de se réunir pour discuter l'intérêt commun, mais il leur fallait avant tout obtenir l'autorisation du Bailli, qui, suivant l'importance de l'affaire, permettait la réunion d'un plus ou moins grand nombre d'entr'eux, nombre toujours limité; mais personne n'était spécialement chargé de prévoquer ces réunions : il fallait trouver un chef de famille, intéressé ou excité par un esprit de patriotisme, fort rare dans ces époques où l'autorité comprimait les intelligences, qui le fit de son propre mouvement et en sa qualité de probus homo. Les affaires qui avaient nécessité une semblable convocation, étaient ensuite poursuivies par la partie intéressée, ou par un des membres de la réunion porté de bonne volonté, mais qui n'était revêtu d'aucun caractère public.
Lorsqu'il s'agissait d'un intérêt communal, qui regardait la généralité des habitants, l'autorisation du Bailli ne suffisait plus, il fallait une autorisation spéciale du grand Sénéchal de Provence. En vertu de cette autorisation, on assemblait un parlamentum publicum, auquel était appelée l'universalité des probi homines ou chefs de famille. Ces assemblées étaient convoquées, par le crieur public, à son de trompe. Le Bailli et le Juge y assistaient. Elles se tenaient dans les lieux les plus commodes, en plein air, mais le plus ordinairement sur la grande place, devant la porte de la Curie royale. Quelques-unes de ces assemblées se tenaient dans le jardin de l'Évêque qui formait l'extrémité ouest du Pré de foire actuel. La délibération qui avait lieu était consignée dans un acte dressé par un notaire appelé à cet effet : c'était ordinairement le notaire attaché à la Curie royale.
Ces parlements publics n'avaient en général lieu que pour la nomination de Syndics chargés de représenter la Commune dans des affaires spécialement déterminées. Leurs fonctions étaient indispensables pour que l'universalité des citoyens pût être représentée, et agir comme un être collectif, car il n'existait pas de magistrats municipaux proprement dits; ces Syndics ne pouvaient même stipuler pour la communauté, dont ils étaient les mandataires, que dans la limite des pouvoirs qu'elle leur avait conférés et qui étaient relatés, avec le plus grand soin, dans le procès-verbal qui constatait la tenue du parlement public et renfermait leur nomination. Il faut reconnaître cependant que cette institution des Syndics, quelque limitée qu'elle fût, était déjà un germe du pouvoir municipal. Car les Syndics n'en sont pas moins , dans les affaires dont ils sont chargés, les représentants de l'universalité des citoyens. Ils ne réunissent pas encore toute la plénitude de l'autorité municipale, mais plus tard, avec les progrès du temps, leur puissance, leur autorité grandira, et nous pourrons assister à cette formation lente et intéressante de ce pouvoir municipal des communes, dont nos pères étaient si fiers et si jaloux.
Ce qui caractérisait cette époque, c'était le défaut d'unité, de direction dans la Commune. Les habitants étaient obligés de subir l'autorité royale et l'autorité seigneuriale , mais ils n'a vaient personne qui pût concentrer leurs forces et leurs intelligences, pour la défense de leurs droits et de leurs intérêts. Mais nos pères sentaient instinctivement ce besoin, et pour suppléer à ce défaut d'unité et de direction, ils avaient formé entr'eux des associations par quartier, qui prenaient le nom de Confréries, et centuplaient leurs forces. Là se réunissaient tous les chefs de famille, tant nobles que plébéiens, et ceux d'entr'eux qui avaient le plus d'intelligence et d'activité, prenaient la direction de la Confrérie sous le nom de Prieurs. Ces confréries se réunissaient fréquemment, et c'était là que se discutaient le mieux les intérêts et les affaires de la cité ; lorsqu'il devait y avoir un parlement public, on venait s'y concerter d'avance, et puis c'était là surtout que les plus malheureux étaient sûrs de trouver un appui et des sympathies qui faisaient rarement défaut, car on prêtait en entrant dans ces confréries, le serment solennel de se secourir les uns les autres, et de se prêter mutuellement assistance et secours contre tous les ennemis de quelque côté qu'ils pussent venir.
Ces confréries avaient un rapport évident avec les ghildes germaines, que le savant M. Augustin Thierry, dans sa magnifique introduction de ses récits Mérovingiens nous a révélées. Pourtant nous ne croyons pas que ces sociétés aient jamais été importées dans nos contrées par les races germaniques. Ces associations s'étaient naturellement formées dans la Gaule méridionale, dont les populations, d'une intelligence développée au contact de la civilisation romaine, avaient d'inspiration, au milieu des invasions des Barbares, des dévastations des Sarrasins, alors que les anciennes institutions s'étaient écroulées, songé à protéger ainsi leur indépendance. Sans doute les races germaines purent modifier ces associations en se les appropriant, mais l'idée était née dans nos contrées, avec une sorte de spontanéité, dans un sentiment de défense instinctif. Il y a une foule de communes en Provence où l'on retrouve les mêmes confréries, et partout pour la désignation des chefs, elles avaient adopté, non pas les noms germaniques, mais des noms choisis dans la hiérarchie chrétienne. Ainsi les chefs des confréries s'appelaient Prieurs, et quelque fois Abbés ; et c'est à notre avis une preuve que ces créations avaient dû éclore toutes seules dans nos régions méridionales par une tendance toute naturelle du caractère et de l'esprit de ses habitants.
Nous croirions plutôt que c'est dans le midi des Gaules que les races germaniques puisèrent l'idée de leurs ghildes. Toutes ces nations barbares n'avaient dans le principe qu'une vie errante et vagabonde : elles avaient établi parmi elles le compagnonnage, qui se formait de toutes les natures qui préféraient les hasards de la guerre, aux faveurs des alleux ou des bénéfices, produit de la conquête, qui les forçaient à un repos complètement antipathique avec leur organisation. Ce n'est que lorsque leurs bandes commencèrent à se fixer, que les ghildes dûrent se former, sous l'impression des exemples qu'elles avaient trouvés dans leurs courses.
Nous désirons vivement que des recherches sérieuses se fassent sur cette question. Peut-être sommes-nous aveuglés par notre esprit de patriotisme, car en présence de l'assertion de M. Augustin Thierry, nous avons longtemps hésité à formuler toute notre pensée. Leur existence à Digne n'est pas douteuse. On verra que dans les commencements du Cominalat, les Cominaux se croyaient obligés, avant de prendre une détermination intéressant la Commune, de consulter les confréries.
L'acte important qui nous révèle ces faits, nous fait connaître en même temps leur organisation à Digne. Elles formaient trois confréries distinctes, composées chacune de cent chefs de famille environ, à la tête de chacune desquelles étaient placés cinq Prieurs, qui étaient les chefs, les directeurs de ces associations si utiles.
Il y avait la confrérie du St.Esprit, qui se réunissait au pied de ville, en dehors de la porte de Gaubert, dans un hôpital des pauvres, qui était en exercice pendant les XIII°. et XIV°siècles et qui a été détruit dans le courant du XV° siècle.
Il y avait ensuite la confrérie de la Traverse, qui tenait ses réunions près de la porte des Durands, dans la maison d'un médecin nommé Guillaume.
Il y avait enfui la confrérie de Solleilhe-boeufs, qui s'assemblait, comme la première, dans un hôpital bâti dans ce quartier, contigu à la chapelle de N. D. de Consolation (1), et destinée à abri ter les malades qui venaient prendre nos bains d'eau minérale.

(1) La chapelle de Notre-Dame-de-ConsoIation occupait autrefois l'emplacement de la chapelle actuelle des Pénitents et les deux maisons portées sous les nos 17 et 19 du Cours du Tribunal.

Les actes que nous pouvons invoquer ne sont pas nombreux, car nous devons l'avouer, les archives de Digne ne possèdent que onze parchemins du XIII° siècle ; d'ailleurs les confréries n'écrivaient pas, mais se bornaient à discuter. Au reste, nous trouvons une autre preuve de leur existence, dans les Statuts de notre Église de Digne. M. Augustin Thierry cite une foule de Conciles du midi qui ont défendu ces associations; nous avons une décision semblable dans le VII°Statut de notre Église, art. 37, fait en 1326, à Avignon , dans un Concile Provincial où se trouvaient réunis les Archevêques d'Avignon, d'Aix et d'Embrun, avec leurs sufragants. Ce statut nous fait connaître parfaitement le caractère de ces Confréries. Ce n'était pas seulement les hommes du peuple, les chefs de famille, les probi homines, qui en faisaient partie. Il y avait aussi des nobles, car, ainsi que nous l'avons déjà dit, outre l'Évêque, on comptait dans notre cité plusieurs nobles, qui jouissaient comme lui de terres libres, sur lesquelles ils avaient la directe. Leur pouvoir cependant n'était pas aussi grand que celui de l'Évêque, et leur autorité était de si peu d'importance, qu'il était de leur intérêt bien entendu de s'unir et de marcher de concert avec les autres habitants.
Le but de ces sociétés est encore indiqué dans ce Statut : il mentionne le serment que chaque membre prêtait en entrant d'aider et de secourir tous ses frères contre tous leurs ennemis, quels qu'ils pussent être.
Les titres des chefs s'y trouvent aussi rapportés sous le nom de Prieurs. Ainsi, il est évident pour nous que nos pères s'étaient ainsi réunis pour suppléer à l'absence de toute organisation municipale; c'est là qu'ils vivaient de la vie publique, que chaque famille se trouvait représentée par son chef, et que tous les intérêts de la commune étaient préalablement discutés. Nous verrons ces sociétés perdre leur influence, à mesure que le Cominalat fera des progrès, et que la vie municipale acquerra plus d'activité et d'élan. C'est ce que nous nous réservons d'examiner en suivant les développements successifs du Cominalat. Nous nous sommes occupés jusqu'ici de l'état de la ville de Digne sous le rapport de la constitution de sa propriété et sous celui de son organisation politique et intérieure. Pour compléter notre tableau, il nous reste à faire connaître les charges qui pesaient sur les habitants, les officiers royaux et épiscopaux qui les administraient, et nous le finirons par un aperçu sur l'état de l'Église et du Clergé à cette époque.
Les tailles ou impôts qui grevaient les habitants du Château, étaient de diverses natures. Il y avait à Digne, les tailles royales, perçues par le Comte de Provence ; les tailles féodales, perçues par l'Évèque et les Seigneurs ; les tailles du Clergé et de l'Église; les tailles communes perçues à la fois par le Comte de Provence et
l'Évêque , en exécution de la sentence arbitrale de 1257 ; enfin, les tailles communales perçues dans l'intérêt de la communauté des habitants.
Nous les passerons successivement en revue, et d'abord nous commencerons par les tailles royales.
Les tailles les plus importantes perçues par le Comte de Provence, étaient d'anciens droits féodaux, pour quelques-uns desquels, ensuite de transactions qui n'existent plus, on avait fait une espèce d'abonnement. Ainsi l'Albergue, ce droit essentiellement féodal, qui consistait dans l'obligation d'héberger, c'est-à-dire de loger et de nourrir le souverain et sa suite, et de plus un certain nombre de soldats et de bêtes de somme, avait été fixé pour la communauté de Digne à une somme annuelle de 12 deniers par feu.
Le droit de cavalcade n'était autre que le service militaire, ou la fixation du nombre d'hommes, cavaliers ou fantassins que chaque Seigneur ou chaque communauté devait fournir au Souverain, et cela pendant les jours fixés.
A Digne, s'il faut en croire quelques anciens titres, ces droits auraient été fixés à la somme de 60 florins par an. Mais les Comtes de la Maison d'Anjou, prétendirent que c'était à eux à fixer la somme, ad arbitrium , et cette question donna matière à de nombreux procès, que nous verrons trancher sous la Reine Jeanne.
Le Comte percevait en outre un droit de péage, dont nous avons déjà parlé, en nous occupant de l'enquête de 1246. Ajoutons maintenant les droits de quiste ou queste, qui étaient perçus dans des occasions solennelles, désignées sous le nom de cas impériaux. Ces cinq cas impériaux donnaient lieu à la perception d'une quiste, lorsque le Comte de Provence était appelé pour se rendre en armes auprès de l'Empereur, lorsqu'il allait outre mer, lorsque lui ou ses fils étaient armés Chevaliers ou étaient faits prisonniers, enfin lorsqu'il mariait ses filles. Cet impôt n'était perçu que dans les cas déterminés, de laquelle il résulte que dans un espace de 22 ans, les Comtes n'avaient perçu que deux fois ce droit de quiste, qui était fixé pour la ville de Digne à cent livres Provençales coronats. La première imposition de ce droit avait eu lieu , lorsque Charles II , fils de Charles 1er d'Anjou, avait été armé chevalier, et la seconde fois, lorsque devenu Roi, il était resté prisonnier en Sicile, et que le produit de la quiste imposée dût servir au paiement de sa rançon.
Charles d'Anjou percevait encore l'impôt sur le sel, dont nous avons déjà parlé à propos de l'enquête de 1246. C'était un monopole, comme il l'est encore aujourd'hui, et qui était désigné sous le nom de gabelle. Tels étaient les différents impôts qui frappaient alors les habitants du Château de Digne, mais du chef du Comte de Provence seulement. Il faut ajouter ici toutes les redevances féodales que les possesseurs de terres étaient obligés de payer aux Seigneurs et notamment à l'Évêque.
Or, ces redevances s'élevaient à une somme bien plus élevée que tous les droits perçus par le Comte de Provence.
La taille du Clergé était une des charges les plus importantes : c'était la dîme, qui ne pesait pas seulement sur les habitants du Château de Digne, mais sur tous les peuples de la chrétienté. Personne n'était exempt de cet impôt? le plus riche, comme le plus pauvre, devait y contribuer. Et pour effectuer la perception de cet impôt, les officiers de l'Évêque n'avaient pas seulement les moyens ordinaires du droit commun, telles que la confiscation et la vente des biens, mais encore le moyen si puissant et si redouté de l'excommunication.
Les tailles communes étaient celles qui étaient perçues par moitié, par le Comte de Provence et l'Évêque de Digne. Elles consistaient dans la perception des droits de ban, ou soit des condamnations prononcées par le Juge royal , pour les divers délits commis par les habitants, et de plus, dans les droits de pacage, dans le dixième imposé sur les moulins et.les fours, et enfin dans tous les frais de justice faits dans les cas déclarés communs.
Ces derniers frais étaient très productifs, et pour les assurer, on en était venu à défendre aux habitants de consentir des compromis ou des transactions dans les procès qu'ils avaient entr'eux. Aberration étrange, en contradiction manifeste avec le plus simple droit des gens.
Nous nous arrêtons dans cette longue énumération des charges que la cite subissait de l'autorité de ceux qui avaient sur elle une puissance illimitée. Finissons par celles que les habitants s'imposaient dans leur intérêt commun et pour l'utilité de tous, les charges communales, imposées pour faire face à toutes les dépenses qui intéressaient l'université.
Ces charges ne devaient pas être nombreuses, par la seule cause du défaut d'unité et de direction municipale. Mais elles ne devaient pas moins se présenter de loin en loin. Et ne fussent que les travaux de fortification, les planches que l'on était obligé d'entretenir sur les rivières de Bléone et d'Eaux-Chaudes, qui n'avaient
pas de ponts, et beaucoup d'autres services que les confréries devaient avoir organisés, tout cela venait encore surcharger les habitants du Château.
Relativement à la répartition de ces tailles et a leur recouvrement, celles qui regardaient les dépenses communales devaient être réparties et exigées, d'un consentement réciproque, dans les confréries, et ne devaient pas donner lieu souvent à des difficultés. Mais les tailles royales et les tailles communes, étaient réparties arbitrairement par les officiers royaux et devaient fréquemment donner lieu à des protestations de la part des habitants.
Les tailles féodales et celles du clergé devaient en général être retirées par l'official et les agents subalternes de l'Évêque, et ne devaient pas moins exciter de réclamations. Ce qu'il y avait de déplorable, c'est que les habitants du Château se trouvaient ainsi livrés à la merci d'officiers royaux, qui cherchaient à grossir autant que possible les revenus de la Curie, et à la merci de l'Évêque, qui, à cette époque, devait être pour le moins aussi exigeant.
Aussi, faut-il attribuer autant à leurs énergiques protestations, qu'à la politique du Comte de Provence, l'institution du Cominalat, qui vint mettre un terme à la confusion qui régnait en ces temps malheureux.
Mais en voilà assez sur ce point, nous aurons plus d'une fois à y revenir : il était indispensable de donner d'abord une idée générale des charges qui grevaient la ville de Digne, vers le milieu du XIII° siècle et sur la manière dont elles étaient perçues.
Il nous reste à dire quelques mots sur l'organisation de l'autorité après la sentence de 1257, qui avait porté, sous ce rapport, un rude coup à l'autorité épiscopale. Il y avait alors à Digne deux sortes d'officiers, les officiers royaux et les officiers épiscopaux, comme avant la sentence arbitrale. Seulement l'Évêque, qui avait
eu jusque-là des prétentions à la souveraineté, s'était vu réduit à son Official, dont la juridiction temporelle ne s'étendait plus qu'aux faits de basse justice, et aux questions qui regardaient spécialement l'Evêque comme Seigneur, en ce qu'elles se rapportaient aux possessions dépendantes de sa directe.
Il avait bien un clavaire, mais c'était un homme qui était plutôt son caissier qu'un officier public. Les officiers royaux étaient investis du droit de percevoir les revenus non-seulement dans les cas réservés au Comte, mais encore dans les cas communs au Comte et à l'Évêque. Ils n'étaient tenus qu'à rendre annuellement leurs comptes aux deux hautes puissances entre lesquelles le pouvoir était partagé. Il y avait ensuite une foule d'agents subalternes occupés soit à percevoir les dîmes, soit à d'autres fonctions, qui tracassaient les malheureux habitants, probi hommes, de Digne, tenus envers l'Évêque par un lien de vassalité. L'official ne jugeait plus que les causes de basse juridiction qui étaient portées par le plaignant devant lui.
Le Comte, au contraire, eut dès ce moment trois officiers royaux, qui le représentaient plus spécialement et faisaient respecter ses droits de souverain. C'était à lui seul qu'en était réservée la nomination, sous la condition de ne pas faire porter son choix sur des hommes suspects à l'Évêque.
D'abord c'était le Bailli, qui était le personsonnage le plus haut placé, et qui était, dans le Château de Digne, le véritable et le seul représentant de la puissance royale. Tout rentrait dans ses attributions; c'était lui qui surveillait la manière dont la justice était rendue, qui veillait à l'exacte et régulière perception des revenus du Comte, et qui administrait la commune de Digne, dont il autorisait les assemblées, tant générales que particulières, et sanctionnait les ordonnances proposées par les probi homines du Château, dans l'intérêt de la communauté.
Les lettres adressées par les Comtes de Provence ou par leurs grands Sénéchaux aux Officiers royaux de l'Université de Digne, sont souvent adressées aux trois principaux représentants de la puissance comtale, au Bailli d'abord, puis au Juge, puis au Clavaire; mais lorsqu'il s'agit d'un intérêt de justice, ce n'est plus qu'au Bailli et au Juge qu'elles sont adressées, et quand il s'agit d'un intérêt pécuniaire, c'est toujours au Bailli, et au lieu du Juge, au Clavaire, qu'elles le sont alors.
Les Baillis existaient au Château de Digne, bien avant la transaction de 1257, mais nos archives sont complètement insuffisantes pour nous faire remonter à l'époque de leur institution. Nous ne pourrions pas davantage affirmer qu'avant la transaction de 1257 l'Évêque eût un Bailli à Digne, quoiqu'il en eût dans d'au tres châteaux dépendants, comme Digne , de sa directe, et quoique les seigneurs voisins, ceux de Mezel, des Sièyes, de Courbons et de Gaubert, en eussent également pour les représenter.
Au reste, le Bailli de Digne n'était pas seulement le Bailli de Digne; à l'époque de la constitution des bailliages, il avait été institué à Digne, par le Comte de Provence, pour le représenter dans toute l'étendue du bailliage de cette ville, et nous le trouvons, en 1270, lors qu'il s'agit de faire prêter à tous les habitants des divers châteaux du bailliage le serment de fidélité et d'hommage, requis par le Comte de Provence, nous le trouvons dans presque tous les châteaux du bailliage, recevant ledit acte en sa qualité de Bailli.
C'était au nom du Comte de Provence, quelquefois au nom de ce Prince et de l'Évêque, mais toujours de l'autorité du Bailli, ou de celui qui le remplaçait en son absence , et qu'on appelait le Vice-Bailli, que se faisaient les criées et proclamations publiques. Dans les affaires de moindre importance, le Bailli était ainsi remplacé quelquefois par le Juge , tantôt par le Clavaire, et, au besoin , par un des notaires attachés à la curie royale.
Le Bailli était tenu, en entrant en charge, de prêter serment, comme tous les autres officiers royaux, de bien et fidèlement remplir sa charge et ses fonctions, et de respecter à la fois les droits du Comte de Provence, ceux de l'Évêque de Digne, et les priviléges et franchises de la ville de Digne. Le second Officier royal était le Juge de la curie de Digne, qui exerçait, au nom du Comte, ses droits de haute et basse juridiction. Toutes les fois que le Bailli était absent, c'était lui qui le suppléait, et il pouvait, à sou tour, se faire suppléer par le Clavaire.
Le Juge de Digne tenait quatre sessions ou parlements par an, un par trimestre, et jugeait toutes les affaires qui s'étaient accumulées pendant cet intervalle. Le Juge, comme le Bailli , était renouvelé tous les ans.
Le Clavaire, enfin, était le troisième représentant du Prince. C'était lui qui percevait tous les revenus, de quelque nature qu'ils fussent. Il percevait aussi dans tous les cas communs les revenus de l'Évêque. Il était tenu, à la fin de chaque année, de rendre le compte de ses recettes et de ses dépenses. Il reste à Marseille, dans les archives de la cour des comptes, quelques pendants, ainsi qu'on les appelait, des Clavaires de Digne, qui sont du plus haut intérêt. Nous aurons à nous occuper, en traitant du Cominalat, de leur gestion et de leurs actes.
Au-dessous de ces Officiers royaux , il y avait les agents chargés de la vente du sel, ceux chargés de la perception des droits de péage, les notaires attachés à la curie commune, le crieur public et une foule d'agents inférieurs sur lesquels il serait inutile d'insister. Quelques mots maintenant sur l'état de l'Église et du clergé, et nous aurons complété, autant qu'il nous aura été possible de le faire, le tableau de la situation du Château de Digne, à l'époque où nous nous sommes placés. Nous avons, dans notre Introduction, passé en revue tous les actes qui pouvaient nous donner quelques éclaircissements sur les progrès successifs de notre clergé : nous n'y reviendrons pas ici. Nous ne rappellerons le passé que pour donner l'intelligence complète de ce qu'était l'Église au milieu du XIII°siècle.
Le diocèse de Digne comprenait dans son ressort cinquante-quatre communes, dont nous avons trouvé la liste dans les archives de la cour des comptes de Marseille.
L'Évêque de Digne était à la tête de tous les Prêtres disséminés dans l'étendue de son diocèse. A la tête de chaque église il y avait un Prêtre ; mais suivant l'importance de l'église, ce Prêtre prenait un titre différent. Ainsi, il y avait les Prébendes, qui étaient réservées exclusivement aux Chanoines. Mais comme les Chanoines étaient obligés de résider près de l'Évèque, dont ils formaient le conseil, ils se faisaient remplacer par des Clercs qui prenaient le titre de Vicaires. Il y avait des Prieurés, qui étaient également donnés quelquefois aux Chanoines et gérés alors par des Vicaires. Mais lorsque le titulaire n'était pas revêtu de cette dignité , il l'occupait lui-même en qualité de Prieur.
Il y avait de plus des chapellenies fondées en général par la piété des fidèles, qui étaient données à des Prêtres désignés sous le nom de Chapelains. Enfin, les Bénéficiers étaient ceux qui étaient investis d'un bénéfice, charge particulière à laquelle étaient affectés certains revenus de l'Église. Ils étaient nommés et investis de ce bénéfice, par le chapitre à qui était attribué le droit de les élire.
Au-dessous , se trouvaient les Clercs, qui étaient au dernier degré de la hiérarchie et qui aspiraient à s'élever à l'une des dignités que nous venons d'énumérer. Telle était l'organisation générale du Diocèse, mais nous ne devons pas oublier que nous avons surtout à nous occuper de ce qui intéresse d'une manière spéciale la ville de Digne, et nous allons le faire.
L'Évèque occupait son château épiscopal, situé au milieu du Château , et avait auprès de lui son Officiai. Mais ses fonctions épiscopales, sous le rapport spirituel, s'exerçaient plus spécialement au Bourg. C'est là qu'était sa cathédrale, antique basilique que la tradition fait remonter jusqu'à l'époque de Charlemagne, quoique son architecture porte les preuves évidentes d'une date postérieure ; édifice immense, d'une majesté imposante, que le vandalisme religieux du XVI° siècle, le vandalisme politique du XVII° , et le vandalisme non moins dangereux, par son ignorance, du XIX°e, ont successivement fait disparaître.
Cette tradition vénérable, qui fait remonter la construction de cette église jusqu'à Charlemagne, quoique démentie par le style de l'édifice, pourrait cependant avoir quelque chose de vrai. Nous ne soutiendrons pas que l'église toute entière remonte à une époque aussi éloignée : les caractères de la grande voûte sont trop marqués, pour ne pas rapporter leur construction aux premiers essais du style ogival, vers le XII° siècle. Mais à l'angle Est de l'église, on trouve une tour quadrangulaire, construite en tuf et adossée à l'édifice, où les caractères du style romano-bysantin primordial n'échappent pas à un oeil exercé. Or, il est évident que cette tour remonte à une époque bien antérieure à celle de la construction de l'église, et il est permis d'affirmer qu'elle est le reste d'une ancienne basilique que celle qui subsiste aujourd'hui a remplacée. Ne serait-ce pas une explication admissible de cette tradition ? D'ailleurs, une église a dû exister à Digne depuis le IV° siècle, car c'est à cette époque que commence la série de ses Évêques.
D'un autre côté, Gassendi, dans sa Notice sur l'Église de Digne, reproduit des croix dont il a vu encore les traces sur une table de marbre, qui avaient dû appartenir à un autel de l'église construite par nos premiers Évêques.
C'était à côté de cette basilique que se trouvait la demeure du Prévôt, et les membres de son chapitre résidaient tous dans les environs. Le chapitre de l'église de Digne était composé de 12 membres, parmi lesquels se faisaient distinguer le Prévôt, dignitaire le plus éminent, l'Archidiacre et le Sacristain. Nous ne devons pas oublier l'Official, qui avait une des fonctions les plus importantes, occupée par un homme qui avait toute la confiance de l'Évêque.
Dans les premiers siècles de l'Eglise, les Chanoines, comme les clercs inférieurs, vivaient en commun avec les Évêques; tous les biens de l'Église étaient réunis, et, après le prélèvement des frais nécessaires pour les besoins du culte, et la partie destinée aux pauvres, les revenus se partageaient entre tous les serviteurs de l'Église.
Plus tard, lorsque l'intrigue, dit Gassendi, vint se mêler à l'élection des Évêques, ils ne voulurent plus vivre d'une vie commune avec les Chanoines, et ils préférèrent avoir des revenus particuliers, ce qu'on appela la mense épiscopale, et dès ce moment on fit une division entre la mense épiscopale et la mense capitulaire. A Digne, cette division dût s'opérer à l'époque où l'Évêché de Digne fut donné à quelque guerrier Franc ou Gallo-Romain, à titre de bénéfice.
Plus tard, les Chanoines voulurent aussi faire cesser entr'eux la vie commune qu'ils avaient continuée quelque temps après leur séparation de l'Évêque, et la mense capitulaire fut divisée en douze parties égales qui prirent le nom de Prébendes.
A l'époque où nous sommes arrivés, chaque chanoine avait sa prébende, et elle était alors d'un revenu très-confortable. Il faut entendre Gassendi, au milieu du XVI°siècle, exprimer ses regrets sur la diminution des revenus des anciennes prébendes. Celle notamment du Prévôt1 était, vers l'époque du Cominalat, la prébende la plus riche, la plus grasse, suivant l'expression caractéristique des derniers siècles. Celle de Roquebrune avait aussi bien plus d'importance.
Ces prébendes donnaient aux Chanoines une position enviée des clercs inférieurs et devenaient souvent la cause de malheureuses intrigues qui mettaient le désordre au sein de l'Église.
C'était le Chapitre qui, à cette époque, faisait l'élection des Évêques. Nous n'avons pas de procès-verbal d'élection , ni du XIII° ni du XIV° siècles, mais nous en avons trouvé un de 1466, cité par Gassendi, dans sa Notice sur l'Église de Digne, qui nous donne une idée de ces assemblées délibérantes. Nous l'avons trouvé dans un registre du notaire Hesmivy, accompagné d'une note indicative de la main de Gassendi.
Le Chapitre se réunissait dans l'Église de Notre-Dame, dans la chapelle de St.-Elzéard. Lors de l'élection de l'Évêque Conrad de la Croix, ce prélat y assistait lui-même en sa qualité de Prévôt, et il avait le privilége, en cette qualité, de donner deux suffrages; mais comme il sollicitait pour lui-même les voix de ses collègues, il ne voulut pas voter personnellement, et chargea un de ses Chanoines, Guillaume Pons, de disposer de ses deux voix. Un Chanoine , Pierre Martin , était malade :
ce fut encore Guillaume Pons qui vota pour lui. Enfin, Guillaume Pons eut à voter pour lui-même, et il disposa ainsi de quatre suffrages qui furent pour le Prévôt Conrad de la Croix. Il y avait de plus présents à l'élection, six autres chanoines qui disposaient chacun de leur voix. C'étaient Jean Pelluchon, Antoine Amalric, Louis Audemar, Pierre Rauquet, Jacques Lance, et Louis Henri, ce qui faisait dix voix en tout. La majorité était de six voix. Deux chanoines auraient bien voulu faire de l'opposition à Conrad de la Croix; c'étaient Jean Pelluchon et Antoine Amalric ; mais en voyant Guillaume Pons, chargé déjà de donner quatre voix bien certaines; étant sûrs que la Prévôté avait été promise à Louis Audemar, qui avait usé de toute son influence pour assurer l'élection de Conrad de la Croix, ils ne voulurent pas s'engager dans une lutte trop inégale, et Conrad obtint l'unanimité des suffrages.
Mais lorsqu'ensuite , immédiatement après, on procéda à l'élection du Prévôt, et qu'on voulut porter Louis Audemar, Jean Pelluchon et Antoine Amalric firent une protestation contre cette élection , et sortirent du Chapitre sans vouloir voter.
Le Prévôt ainsi nommé déclara accepter les fonctions qui lui étaient confiées. On nous pardonnera de ne rapporter ici qu'un acte d'élection d'une époque postérieure à celle dont nous avons à parler; mais en 1257, les formes de l'élection étaient les mêmes que celles du xive et du xve siècles, et nous avons cru devoir en donner une idée à nos lecteurs.
Il nous reste, après avoir parlé de l'Évêque et des Chanoines, à dire quelques mots du Clergé inférieur. Au dessous des Chanoines, il y avait les chapelains, dont deux appelés Chapelains ordinaires, étaient placés à la tête du bas clergé , et chargés plus spécialement du service du culte de l'Église cathédrale. Les simples Chapelains desservaient les autres chapelles de la ville.
Venaient ensuite les Bénéficiers , qui avaient des revenus fixes, ensuite des fondations faites dans les églises par des personnes charitables. Les Bénéficiers avaient rang après les Chanoines, qui les élisaient.
Il y avait ensuite les Vicaires, chargés de suppléer quelquefois les titulaires, tant Chanoines que Bénéficiers ou Chapelains, et quelquefois adjoints à eux lorsque leurs fonctions ne pouvaient pas être remplies par eux seuls. Leur nombre, à cette époque, n'était pas déterminé, et ne le fut qu'en 1278 , à la suite de troubles que Jacques Serêne, Archevêque d'Embrun, vint pacifier.
Enfin restaient les Clercs inférieurs qui n'avaient part qu'aux distributions générales faites à tous les membres du Clergé.
Ces distributions se faisaient en nature, et suivant que les membres du Clergé assistaient plus ou moins assiduement aux offices de l'Église. Ces distributions étaient désignées sous le nom de Livre du Clergé. Il y avait la livre du Chapitre et la livre des Desservants. Celle des Chanoines devait être double de celle des desservants. Ainsi celui qui assistait à Matines ou à l'Office du matin, recevait une certaine quantité de pain et de vin; celui qui assistait à la Messe, avait droit à une nouvelle distribution; enfin, ceux qui assistaient aux Vêpres, ou à l'Office du soir, avaient droit à une troisième distribution, toujours graduée suivant la dignité ou l'importance de l'emploi de celui qui la recevait.
On comprendra sans peine combien une pareille organisation devait donner souvent lieu à des sujets de mécontentement. Au reste, nous suivrons attentivement, pendant la durée du Cominalat, les changements qui survinrent, par suite des plaintes soulevées par la partie inférieure du Clergé, qui se trouvait la plus mal traitée.
Et maintenant que nous avons donné une idée du Château de Digne, à l'époque de l'institution du Cominalat, nous terminerons nos Prolégomènes, par quelques détails sur les causes qui amenèrent la transaction de 1260 contenant cette heureuse création, qui devint l'origine du pouvoir municipal dans notre cité.
Les habitants du Château de Digne n'avaient connu qu'après coup la sentence arbitrale de 1257, dans laquelle les hautes parties contractantes avaient songé, avant tout, à leurs intétérêts personnels, mais n'avaient pas regardé au dessous, et s'étaient fort peu préoccupées des droits de leur Château de Digne qu'elles considéraient comme chose leur appartenant de droit divin.
La ville avait été complètement oubliée et ses droits impitoyablement sacrifiés. Ce qui avait jeté nos pères dans un état d'exaltation toujours dangereux, mais parfois excusable. Et en effet, cette transaction tranchait beaucoup de questions qui touchaient aux intérêts les plus chers des habitants du Château, et dans lesquelles leur intervention aurait été nécessaire. Ainsi le Comte et l'Évêque s'attribuaient un pouvoir exhorbitant sur les places publiques et les rues de la ville , sur les remparts, les fortifications. Il n'était pas d'article en un mot dont le Château ne pût légitimement se plaindre, et pour la modification desquels il éleva la voix.
A ces premiers motifs d'irritation, vinrent bientôt se joindre d'autres griefs. Les officiers royaux devinrent plus tracassiers, et poursuivirent les habitants pour les moindres motifs.
Les officiers épiscopaux surtout poussèrent les exagérations jusqu'à l'excès. Ils ne voyaient plus que cas de commisse, moyen par lequel les Seigneurs féodaux accroissaient incessamment leur domaine et leurs richesses. C'est vers cette époque que quelques procès plus importants mirent en émoi tous les habitants du Château de Digne.
Un citoyen nommé Ranulphe, qui, se fondant sur nous ne pouvons savoir quels droits, avait refusé le paiement de services pour certaines possessions que l'Évêque prétendait relever de lui, avait été poursuivi et ses biens déclarés en état de commisse. Ranulphe était un homme influent de la cité, et toute la population avait dû prendre chaudement son parti.
Un autre procès qui avait également fait sensation dans la ville, était celui dirigé contre Salvaire de Burgondie, probus homo du Château de Digne, qui s'était mis en possession d'un héritage qui lui était obvenu dans la succession de Pierre de Burgondie de Marie et de Jean de Bromaïs, probablement ses parents collatéraux. Les officiers royaux lui disputaient cet héritage, qu'ils prétendaient revenir au Comte de Provence et à l'Évêque de Digne, ensuite des droits féodaux qui leur appartenaient et qu'ils étendaient au gré de leur cupidité. Une sentence prononçant la confiscation des biens dépendants de cet héritage avait même été prononcée par Raimond Chabaud, Bailli de Digue. Salvaire de Burgondie résista vivement, et présenta au Comte de Provence un écrit, qui serait aujourd'hui bien précieux, s'il nous avait été conservé, écrit dans lequel il établissait et discutait les anciennes libertés du Château. Sa cause aurait été probablement perdue, sans l'intervention du Comte de Provence, qui devait voir avec peine que des procès qui ne l'intéressaient que très subsidiairement, lui aliénaient l'affection d'une ville, sur le courage et le dévouement de laquelle ses prédécesseurs avaient appris à compter. Il dût chercher à calmer et apaiser l'Évêque, et l'amener à consentir la transaction, dont nous allons avoir à nous occuper. Ces procès ne furent pas les seuls que les habitants eurent à soutenir. Les officiers épiscopaux soulevaient à tout propos, à l'occasion des services dûs à leur maître , des cas de commisse qui l'enrichissaient et rendaient de plus en plus lourdes les charges qui pesaient sur les habitants du Château.
Toute la communauté se leva en masse et fit entendre ses plaintes. Quelques hommes aisés et influents se mirent à la tête de ce mouvement, et on obtint du Comte de Provence l'autorisation de nommer un Syndic pour soutenir les procès contre l'Évêque et mettre fin à une lutte qui désolait la ville.
Le Comte leur accorda cette autorisation , et une assemblée générale nomma pour Syndic Pierre Mercadier, un de ceux qui devaient être le plus intéressés à mettre fin à ces contestations. Celui-ci se rendit auprès du Comte de Provance et dût lui dépeindre si vivement la dure position du Château de Digne, que le Comte fit un dernier effort auprès de l'Évêque, et le fit acquiescer à une transaction qui devait tout terminer.
Cette transaction fut signée en l'année 1260, le mercredi après l'Assomption. Elle est d'une haute importance pour la ville de Digne, et mériterait d'être analysée en entier Elle n'a pas été connue de Gassendi; elle nous fait apprécier, mieux encore que tous les actes que nous avons jusqu'ici mentionnés, les droits et la situation des habitants du Château de Digne, vers le milieu du XIII° siècle , et puis elle contient l'institution des Cominaux, ces fonctionnaires municipaux dont nous entreprenons l'histoire , et nous donne les détails les plus précis sur la nature de leurs fonctions, qui prirent à Digne un développement tel qu'on en suivra avec intérêt les progrès successifs.
Ce sera par cette disposition sur le Cominalat que commencera notre essai historique, car c'est dans cette transaction que nous avons trouvé la création et l'origine à Digne de cette institution municipale, si peu connue de nos historiens Provençaux.

FIN DES PROLÉGOMÈNES.

PREMIÈRE ÉPOQUE.

CHARLES I, CHARLES II D'ANJOU.
1260-1285-1309.

Institution du Cominalat. — Fonctions des Cominaux. — Effets du Cominalat. — Charles 1er d'Anjou. — Concile de Seyne. — Nouvelle lutte contre i'Évéque. — Sentence de 1268. — Reconnaissance de 1270. — Interdit prononcé par I'Évéque. — Recours à Charles 1er d'Anjou. — Recours à l'Archevêque d'Embrun. — Appel de Boniface. — Lettre de Jacques Serène au Pape. — Concile d'Embrun de 1278. — Dissensions du Clergé de Digne. — Lutte contre les Seigneurs des châteaux voisins. — Mort de Charles 1 er d'Anjou. —Avènement de CharlesII. — Sentence du Juge de Digne. — Quotité des quistes pour le Château. — Autorisation du Bailli de convoquer un conseil, — Parlement public de 1290. -— Syndics élus. — Confirmation de la transaction de 1260. — Pouvoir de compromettre et de transiger. — Lettre de Charles II. — Contrainte par corps contre les débiteurs de la curie. — Privilège du vin. — Conseillers de la communauté. — Statut pour le privilège du vin. — III° Statut de l'Église de Digne. — Consultation des Confréries par les Cominaux. — Lettre de Charles II. — Séjour de Charles II à Digne. — IV°. Statut de l'Eglise de Digne. — Donation de Charles II au couvent des Cordehers. — Guillaume de St.-Dompnin, médecin du Comte. — Nouvelle lutte contre les Seigneurs des Sièyes et de Courbons. — Privilège du vin. — Approbation de I'Évéque. — Approbation du Prévôt et du Chapitre. — Sentence arbitrale pour le paiement des frais. — Nouvelles faveurs de Charles II à Guillaume de St.-Dompnin. — Lutte contre les Seigneurs de Gaubert. — Réclamations auprès du grand Sénéchal. — Les Clavaires — Nouvelle donation de Charles II à Guill. de St.- Dompnin. — Réforme des monnaies.—Réforme des poids à Digne.—Emprunt fait au nom de la Communauté de Digne. — Robert, Duc de Calabrc, Viguier général en Provence. — Plaintes de la Communauté. — Lettre de Robert. — Abolition de l'ordre dos Templiers. — Testament de Charles II et sa mort. — Division administrative. — Organisation judiciaire. — Résumé des progrès du Cominalat pendant celte première époque.

. C'est dans le courant du mois d'août de l'année 1260, le mercredi après l'Assomption, que le Comte de Provence, en son nom et au nom de Béatrix son épouse, et l'Évêque de Digne, Boniface, consentirent à une transaction avec les habitants du Château de Digne, représentés par Pierre Mercadier, leur Syndic. Cette transaction fut faite pour terminer les procès que la Sentence arbitrale de 1257 avait soulevés. Les questions qui s'y trouvent décidées sont nombreuses et d'une très haute importance ; mais nous ne devons pas les aborder ici, car elles nous éloigneraient du sujet qui nous intéresse le plus, qui fait l'objet principal de nos travaux, elles nous empêcheraient d'aborder tout de suite l'institution du Cominalat, que nous trouvons dans cet acte, et qui doit spécialement fixer notre attention. La clause qui l'institue est d'une précision, d'une netteté qui ne laisse rien à désirer, et qui explique complètement la nature et le caractère des fonctions dont les Cominaux furent investis. Voici en effet les termes de l'acte, que nous prenons dans une traduction trouvée dans les archives de la Commune de Digne, et faite pour les besoins d'un procès duXVII°siècle :
» Item , y est-il dit, que trois des habitants et un gentilhomme soyent esleus et choisis toutes les annees pour Cominaux, qui ayent pouvoir de diviser et parquer les tailhes, icelles exiger, et de limiter les terres, et de decider les procès et difficultes des murailhes, rues, endrones et chemins publics, canaux des eaux et arrosages, et que lesdits trois prudhommes et un gentilhomme soyent esleus et establis pour faire tout ce que dessus, a la requizicion et volonte libre des hommes et habitantz du-
dict chasteau et cite de Digne, au mandement » du Baille. »
Aucun historien de Provence n'a compris le véritable caractère de cette institution ; aucun d'eux n'a soupçonné le rôle important des Cominaux, dans les communes où ils furent établis par les Comtes de Provence. C'était une institution toute Provençale qu'on ne retrouve pas ailleurs.
Chose assez singulière ! elle est pour ainsi dire perdue, isolée, dans la transaction de 1260, au milieu d'une foule de clauses d'une bien moindre importance. Des deux hautes parties contractantes, l'une peut-être n'en voyait pas toute la portée ; mais Charles d'Anjou, politique habile et prudent, qui avait à lutter contre l'un des Seigneurs féodaux , n'était pas fâché de donner de la force et de l'ensemble aux communautés, placées sous le joug féodal. Quoiqu'il en soit, cette institution, dans tous les pays envahis par la féodalité raviva l'organisation municipale, complètement brisée par les Seigneurs, qu'elle suppléa, sinon de droit, du moins en fait , et c'est un bienfait que nous devons incontestablement aux Comtes de Provence. Ce ne fut peut-être pas un sentiment de justice ou de générosité qui le leur inspira, mais ce fut du moins un acte de bonne politique.
Quand on connaît l'organisation du Château de Digne à cette époque, cette organisation qui laissait les habitants abandonnés à eux-mêmes, sans aucune direction supérieure, que celle toutefois qu'ils trouvaient dans leurs confréries, on comprend sans peine combien cette institution a dû produire de bons résultats. Lorsqu'il se percevait une taille, soit royale, soit communale, elle se faisait sur des renseignements fort incertains, car les mutations de propriété devaient être très fréquentes, et à cette époque on n'avait pas encore songé aux livres terriers des siècles postérieurs. Aussi les répartitions des tailles devaient-elles faire surgir beaucoup de réclamations, car elles n'étaient jamais faites qu'approximativement et d'une manière à peu près arbitraire.
Souvent même on devait être obligé de recourir au Bailli pour la désignation des répartiteurs, qui dès lors, ne pouvaient plus inspirer aucune confiance, et devaient donner lieu à de nombreuses résistances de la part des habitants. Les officiers royaux étaient là, il est vrai, pour les contraindre à exécuter les obligations qui leur étaient imposées ; mais ces luttes, quelque productives qu'elles fussent pour la Curie, par les condamnations qu'elles entraînaient, n'en étaient pas moins déplorables, en ce qu'elles aigrissaient ceux qui s'y trouvaient soumis.
D'ailleurs , il faut l'avouer , ces fonctions de répartiteurs devaient être délicates et difficiles, dans un temps d'ignorance où l'étendue des terres et leur valeur ne pouvait pas être évaluée exactement. Et alors que les officiers royaux, qui s'occupaient fort peu des intérêts des habitants, pourvu que les revenus de la Curie furent assurés, confiaient ces opérations à des mercenaires, qui les faisaient à la hâte, sans s'inquiéter de la justesse de leurs calculs, la répartition qui en résultait, devait souvent consacrer beaucoup d'injustices. En donnant aux hommes chargés de ce travail une mission légale et des fonctions nettement déterminées, en sanctionnant leurs actes et les faisant exécuter par le ministère des officiers royaux, on opérait au profit de la ville, un changement d'une très grande importance.
Et puis, en faisant faire l'élection de ceux qui en étaient chargés par les chefs de famille eux-mêmes, on assurait à ces nouveaux fonctionnaires une influence et une autorité morale d'autant plus sûre, qu'elle était désormais fondée sur les sympathies du plus grand nombre. Aussi, la ville put elle, dès ce moment, espérer pour l'avenir une répartition plus juste, plus équitable, plus intelligente, entre tous ses habitants, des charges qu'ils étaient obligés de supporter en commun, et proportionnellement à leur fortune.
D'un autre côté, les nombreux procès de voisinage que les habitants étaient obligés de poursuivre à grands frais devant les officiers royaux, se trouvaient ainsi réduits à des formalités bien moins coûteuses ; d'ailleurs leurs juges étaient choisis parmi leurs concitoyens : c'étaient des hommes connus d'eux et essentiellement acessibles, car ils vivaient de la même vie , ils avaient leurs usages, leurs habitudes, leurs besoins, et ils entretenaient avec eux des relations de tous les jours : ils pouvaient avoir en eux la plus entière confiance.
Ce fut donc un premier progrès qui satisfit nos pères, quoiqu'ils ne comprissent pas encore tout le bien que cette institution devait, à la suite des temps et par la force des choses, naturellement amener.
A l'époque de leur institution, les Cominaux ne furent crees que pour remedier à cet état de choses, qu'il était indispensable de faire cesser, et ne furent investis que de fonctions spéciales et limitées , qui ne ressemblaient encore en rien à celles des Syndics et des Consuls, qui, plus tard, furent saisis de la plénitude de l'autorité municipale.
Les Cominaux n'étaient en aucune manière les représentants de la cité ; ils ne pouvaient jamais intervenir pour elle ; ils n'avaient, dans ce cas, pas d'autres pouvoirs que les autres habitants, et ce n'était pas parce qu'ils étaient Cominaux qu'ils pouvaient requérir, du Bailli, une assemblée d'un certain nombre de probi domines,
pour discuter une question qui pouvait intéresser la cité, mais par cela seul qu'ils étaient habitants, chefs de famille, en un mot probi homines du Château. Leur mission se bornait à faire la délimitation et l'estimation de toutes les propriétés appartenant aux citoyens de Digne, à répartir sur chacun d'eux les tailles dont il fallait assurer le paiement, puis à retirer ces tailles et à en faire compte à tous les autres chefs de famille, qui y étaient aussi intéressés. Ils avaient de plus une juridiction particulière, qui leur donnait, dans certains cas, l'autorité du Juge, mais c'était une sorte de juridiction gracieuse, non pas dans le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot, mais dans son sens le plus naturel.
A part ces fonctions, ils restaient simples probi homines, et n'avaient d'autres droits que ceux qu'avaient les autres habitants. Toutes les fois qu'il s'agissait de l'intérêt du Château et d'une mesure à prendre ou à provoquer en son nom, il fallait demander au Sénéchal de Provence l'autorisation de s'assembler pour la nomination de Syndics, qui avaient besoin d'un pouvoir spécial, pour agir au nom de la communauté. Cette existence simultanée des Cominaux et des Syndics, quand on a bien compris leurs attributions spéciales, rend l'étude de cette époque excessivement attrayante, et donne la clef de l'organisation municipale alors existante.
Le Syndic est le représentant de l'université toute entière ; mais il ne l'est que pour une ou plusieurs affaires spéciales, pour lesquelles il reçoit ses pouvoirs dans un parlement public, spécialement autorisé par des lettres des grands officiers du Comté.
Le Cominal n'est rien, rien qu'un simple citoyen, en dehors des fonctions que la transaction de 1260 lui assure. A la vérité, quoique déjà Cominal, il peut encore devenir Syndic, et cumuler ces deux fonctions, et c'est ce qui arriva très fréquemment; comme aussi un Syndic pouvait, au moment où il poursuivait une affaire
qui regardait l'université, être élu Cominal. Nous trouvons de nombreux exemples de semblables nominations.
On comprend tout de suite que c'était la nature même des choses qui amenait ce résultat. Les Cominaux étant les élus des habitants de la ville, le choix de ces derniers devait en général se porter sur les hommes les plus intelligents, les plus capables, sur ceux dont la réputation de probité, de bonté, était la mieux établie. Et quand ils s'acquittaient bien de leurs fonctions, lorsque sur les réclamations de ceux qui avaient été jusqu'alors surchargés, ils faisaient droit à des demandes dont ils reconnaissaient la justice ; lorsque dans un procès de leur compétence, ils cherchaient à faire entendre raison aux parties, et que par leurs efforts ils parvenaient à les concilier et à les mettre d'accord; lorsqu'ils employaient ainsi, d'une façon toute paternelle, l'autorité qui avait été mise entre leurs mains; lorsqu 'ensuite, pour retirer les tailles dues , ils n'employaient pas la brutale sévérité des officiers royaux , mais qu'ils prenaient la peine de voir les retardataires, de s'accommoder à leurs besoins, de leur accorder du temps pour satisfaire à leurs obligations, on doit comprendre quelle immense influence des hommes pareils dûrent exercer dans leur ville, sur leurs concitoyens. Et dès qu'ils furent ainsi signalés à l'opinion publique, il est évident que si la commune avait besoin de Syndics pour la représenter et prendre ses intérêts, tous les habitants, qui les avaient vus à l'oeuvre, devaient songer à eux pour cette nouvelle charge. C'est même ainsi que peu à peu leur influence s'accrut. Plus tard , quelques hommes de coeur, d'intelligence et de dévouement, comprirent tout le parti qu'ils pouvaient tirer de leurs fonctions si modestes, en se consacrant pendant une année au service de leur commune. Ils se firent alors un devoir de veiller aux intérêts de la cité, et de prendre sa défense toutes les fois qu'ils pouvaient le faire, en leur seule qualité d'habitants.
Dès ce moment, la ville toute entière se groupa autour d'eux, et leur parole fut aussi respectée que celle des officiers royaux, elle acquit même une puissance plus grande. Les Comtes de Provence eux-mêmes encouragèrent cette tendance, et leur accordèrent successivement des droits qui auraient pu leur être contestés.
C'est ainsi que peu à peu cette institution, d'abord excessivement limitée, restreinte à des fonctions spéciales, prit bientôt un développement tel qu'elle put être considérée comme une véritable représentation du pouvoir municipal, que les Comtes de Provence eux-mêmes furent obligés, en 1385, de sanctionner, par la transformation du Cominalat en Syndicat, qui, en donnant aux Syndics un pouvoir annuel, il est vrai, mais qui embrassait la généralité des affaires de la cité, en fit de véritables représentants de l'universalité des habitants.
Nous suivrons pas à pas les progrès du Cominalat, et nous montrerons ses développements successifs jusques au moment où il fut remplacé par le Syndicat. La transaction de 1260, sur laquelle nous reviendrons, est un des actes les plus intéressants de l'histoire de notre cité. Elle nous fait connaître la nouvelle position des habitants, vis-à-vis du Comte de Provence, son Seigneur souverain, et vis-à-vis de l'Évêque, son Seigneur féodal; elle nous fait assister à la résurrection de l'autorité municipale, brisée pendant l'époque de la féodalité. Avant de parler des nouvelles luttes qui s'élevèrent entre la communauté et l'Évêque Boniface, disons quelques mots du Comte Charles 1er d'Anjou.
Charles d'Anjou, pendant le peu de temps qu'il était resté en Provence, n'avait pas seulement raffermi son pouvoir à Digne. Il avait passé divers traités avec trois villes puissantes qu'il avait soumises à son pouvoir, Arles, Avignon et Marseille. Il avait obtenu du Seigneur d'Orange, de la maison des Baux, le titre de Roi de Bourgogne, ou plutôt de Roi d'Arles ou de Vienne. Le Comte de Grignan, les Dauphins du Viennois, le Comte de Vintimille s'étaient soumis de leur côté, et avaient prêté hommage entre ses mains. La commune d'Apt lui avait cédé sa juridiction consulaire, et il avait recouvré le Château et l'île d'Hyères. En 1265, Charles reçut du Pape Clément IV la couronne du royaume des Deux-Siciles. Il s'empressa de partir de Marseille, le 15 mai de cette année, avec mille hommes de cavalerie, et une nombreuse escorte de la noblesse Provençale, à laquelle il avait fait un appel, pour aller prendre possession de son nouveau royaume.
Nous ne suivrons pas ce Prince, dans les guerres qu'il eut à soutenir en Italie, nous n'avons à nous occuper que des événements qui peuvent intéresser l'histoire de notre cité.
Et si nous avons fait cette digression, on nous pardonnera, car nos archives restent complètement muettes pour l'époque qui s'étend du jour de la transaction dans laquelle fut institué le Cominalat, jusqu'en 1267.
Pendant cette année, le 3 novembre, un Concile provincial s'assembla à Seyne, sous la présidence de l'Archevêque d'Embrun, Henry de Suze, devenu célèbre sous le nom de Cardinal d'Ostie, qui y avait rassemblé tous ses suffragants.
On y fit douze canons, qui forment le 1er Statut de notre Église de Digne. On recommande, avant toutes choses, la poursuite des hérétiques, et l'exécution sévère des sentences d'excommunication, si souvent employées à cette époque. A cet effet , les Statuts arrêtés dans les Conciles devront être soigneusement conservés dans chaque Église. Le quatrième canon de ce Concile prouve que plusieurs membres du Clergé d'alors avaient conservé les habitudes guerrières, prises et contractées pendant l'invasion des Barbares. Aussi, contient-il, pour les Clercs, la défense expresse de se servir de couteaux-poignards et de toutes autres armes quelconques. Suivent des règlements sur la résidence des Chanoines, et la défense aux Clercs inférieurs de s'introduire dans les assemblées du Chapitre.
L'assemblée des Prélats fulmine ensuite la peine terrible de l'excommunication contre tous ceux qui attenteraient à la juridiction épiscopale, ou qui auraient l'audace de s'immiscer dans la perception des dîmes, ou d'usurper les droits des Églises ou des membres du Clergé. Le dernier canon est une défense contre les Clercs d'entrer en possession d'un bénéfice sans l'autorisation de l'Évêque.
La conservation et l'augmentation des revenus temporels était un objet qui préoccupait vivement les Prélats de cette époque, et d'un autre côté, ce qu'ils redoutaient par-dessus toutes choses, c'était une atteinte quelconque portée à leur juridiction à laquelle ils tenaient comme à un de leurs priviléges les plus précieux.
C'est pendant cette même année 1267, que dûrent recommencer les luttes, que la transaction de 1260 aurait dû faire cesser. L'Évêque Boniface comprenait l'énormité de la faute qu'il avait commise. Il ne pouvait se pardonner de s'être placé dans un état d'infériorité. Il lui restait, il est vrai, tous les priviléges pécuniaires résultant pour lui de sa directe, qui s'étendaient sur la presque totalité du territoire de Digne, et sur de nombreuses propriétés disséminées dans son diocèse ; mais il supportait avec regret la perte de la moitié des revenus de sa juridiction, et il voulut essayer de s'en ressaisir. Il nous reste fort peu de documents de cette époque, mais il en reste encore quelques-uns, remplis de détails du plus vif intérêt, qui nous font connaître le caractère de la lutte qui alors s'engagea.
L'Évêque voulait notamment, contrairement aux conditions stipulées dans la convention, soumettre les habitants de Digne à des peines arbitraires qu'il lui plairait d'imaginer ; il vou lait augmenter le chiffre des bans établis par les Officiers royaux, et faire prononcer des peines par ses officiers personnels, tant contre les habitants individuellement que contre la communauté prise collectivement. Il voulait de plus obliger la communauté et chacun de ses habitants à faire entre ses mains, tant collectivement qu'individuellement, ce qu'on appelait alors des fiîrmances, c'est-à-dire la dation d'une caution , ou de sûretés pour l'avenir, comme s'exprime la sentence elle-même.
Les habitants de la ville de Digne s'opposèrent avec force à de semblables prétentions. Ils trouvèrent un appui dans les Officiers royaux, qu'on voulait dépouiller d'une prérogative qui leur était assurée par les actes de 1257 et de 1260.
Un procès s'ensuivit, procès dont nous n'avons qlue le dernier acte, mais l'acte le plus important. C'est la décision du Conseil royal présidé par le Sénéchal de Provence, qui, se trouvant à Naples, fut remplacé par Truand de Flayosc, son lieutenant.
Les parties en cause étaient : d'un côté , l'Évêque Boniface représenté par Hugues de Thoard, chanoine, qui plus tard fut prévôt de l'Église de Digne; et de l'autre, Philippe de Lavène, Bailli de Digne, chargé de représenter à la fois la curie et la communauté.
Le Conseil royal condamna l'Évêque Boniface et déclara que les Officiers royaux seuls pouvaient imposer des peines et recevoir desfîrmances, tant dans les causes exclusivement réservées au Comte de Provence par la transaction de 1260, que dans les causes déclarées communes. Les Cominaux de la ville de Digne, de cette époque, Barth. des Ferrats, Guill. Raymond, Barth. de Marcoux, Et. Cavalier, Simon Giraud et Guill. Jordani, poursuivirent avec vigueur ce procès qui intéressait les habitants ; ils étaient présents lorsque la sentence fut rendue et ils réclamèrent un acte public pour pouvoir en assurer l'exécution. Ils se mêlaient donc déjà à cette époque des affaires de la ville, quoique leurs fonctions ne les y obligeassent pas. Cette sentence blessa profondément l'Évêque de Digne, et il médita dès lors des projets de vengeance. Cependant un assez long espace de temps s'écoula sans qu'il déchainat tous les trésors de sa colère.
Dans le courant de l'année 1270, Charles d'Anfjou exigea que tous les nobles et tous les habitants des communautés de son Comté de Provence qui lui devaient le serment de fidélité et d'hommage remplissent ce devoir. Les Officiers royaux de chaque localité furent délégués, pour recevoir ce serment en son nom.. C'est entre les mains de Philippe de Lavène, Bailli, que ces serments furent prêtés. Ce Bailli était le même qui avait soutenu, tant au nom de la Curie qu'en celui du Château, le dernier procès dans lequel l'Évêque Boniface avait perdu sa cause.
Philippe de Lavène parcourut successivement Champtercier, Beaujeu, Barles et Barrême, et exigea le serment qu'il avait déjà reçu à Digne. Le Clavaire, Pierre Bodoch , de son côté , également délégué, fut chargé d'une semblable mission, et parcourut à son tour Mariaud, La Javie, Mezel et Estoublon.(1)

(1) Toutes ces reconnaissances ne se trouvent pas dans les archives de Digne, mais à Marseille, dans les archives de la Cour des Comptes.

Cependant l'Évêque de Digne trépignait. Ne pouvant pas se venger contre Charles d'Anjou, Comte de Provence, il voulut faire expier aux habitants de Digne sa colère et sa haine. Nous ne savons pas précisément l'époque à laquelle recommencèrent ses hostilités, mais ce qu'il y a de certain, c'est que l'orage éclata dans les premiers mois de l'année 1271.
Profondément irrité de la résistance des habitants, Boniface se jeta dans une résolution extrême, et sans songer aux mauvais effets qu'un pareil acte allait produire, il prononça une sentence d'excommunication contre tous les habitants du Château, et les mit en état d'interdit. On se figure sans peine quelle consternation dût jeter une semblable condamnation, dans ces siècles de simplicité et de foi religieuse. Mais les principaux des habitants, les probi homines étaient depuis longtemps habitués aux luttes de la vie; ils avaient vécu, depuis bien des années, dans les agitations de la guerre et dans les tempètes de leur époque; ce n'était pas la première
fois qu'ils avaient lutté contre l'Évêque : ceux qui avaient énergiquement résisté avant la sentence de 1260, devaient encore se trouver au milieu d'eux : ils continrent leurs familles éplorées, s'efforcèrent de les rassurer, proclamèrent leur bon droit, et restèrent énergiquement résolus à patienter et à soutenir la lutte.
Ils s'adressèrent d'abord au Comte de Provence, vence. Ils se réunirent ensuite en assemblée générale et députèrent les Syndics nommés en parlement public, vers le Grand-Sénéchal de Provence et vers le Comte Charles Ier d'Anjou, qui se trouvait en ce moment dans son royaume de Sicile.
Lorsque la cité prit cette détermination, elle devait être déjà, depuis quelques mois, sous le coup de l'interdiction, car il lui fallut avant solliciter du Sénéchal l'autorisation de nommer des Syndics en parlement public. On dût faire aussi des démarches pour apaiser l'Évêque, mais Boniface resta inébranlable, et ne voulut que d'une soumission absolue. Les Syndics se rendirent à Aix et de là s'embarquèrent pour Naples, où ils devaient trouver le Roi Charles 1 " d'Anjou.Ils lui exposèrent les misères de leur malheureuse cité. Charles s'empressa d'écrire à son Sénéchal de Provence et au Bailli de Digne une lettre en date du 2 novembre 1272. «Les droits de tous, leur disait-il, doivent être respectés autant que ceux qui nous sont personnels. Empêchez que l'Évêque de Digne tracasse et moleste les habitants de ce château, et veuillez les défendre et les protéger par toutes les voies de droit. »
Cette lettre ranima le courage des habitants de la cité de Digne, mais ne fit aucun effet sur Boniface, qui savait bien qu'il n'avait rien à attendre des Officiers royaux et de leur Souverain, mais qui, par ce motif là même, n'hésitait pas à recourir au pouvoir qu'il avait à sa disposition, ce pouvoir spirituel contre lequel le Comte de Provence ne pouvait rien, mais qu'il aurait dû, lui, Prélat chrétien, respecter, en ne pas le faisant servir à assouvir sa haine et sa colère personnelle.
Le 10 décembre suivant, Charles, prévenu que l'Évêque ne renonçait pas à ses prétentions, écrivit deux nouvelles lettres à son Sénéchal de Provence dans lesquelles il lui renouvelait ses recommandations en faveur des habitants de Digne. Mais ces lettres ne produisirent pas plus d'effet que la première, pas plus que n'en produisit une quatrième écrite par ce Prince le 22 décembre suivant.
L'Évêque ne poursuivait plus ses droits : il savait qu'il ne pouvait pas aller se briser contre le Comte de Provence; mais il se dédommageait en exerçant contre les habitants du Château de Digne, une vengeance qui, seule, avait le pouvoir de calmer son coeur offensé ; il resta impassible, et maintint avec une sévérité impitoyable
l'interdit qu'il avait lancé contr'eux. La ville était désolée : cet état d'excommunication durait depuis près d'un an , et il ne fallait rien moins que la noble et touchante énergie de nos pères pour résister à une épreuve pareille, en présence des larmes de leurs femmes, et en face des menaces que devaient faire des hommes plus faibles et fascinés peut-être par leurs croyances religieuses qui, à cette époque, avaient tant d'empire.
Recours Quand ils virent leurs efforts auprès du Comte de Provence complètement impuissants, ils songèrent à s'adresser au chef immédiat de l'Évêque de Digne. Comme Évêque, et dans tout ce qui touchait à son pouvoir spirituel, Boniface était indépendant du Comte de Provence, et toute la bonne volonté de celui-ci restait sans résultat; mais, en s'adressant à son chef spirituel, on pourrait peut-être être entendu et obtenir un soulagement à tant de maux. La ville nomma de nouveaux Syndics et les envoya à Embrun, à Jacques Serène, Archevêque de cette métropole, et chef spirituel de Boniface, un de ses Évêques suffragants. Jacques Serène reçut les Syndics de la ville de Digne avec bienveillance. Cependant il ne voulut pas tout de suite prendre sur lui-même de lever l'interdit prononcé par l'Évêque. Il voulut d'abord lui écrire, et l'amener à l'indulgence et au pardon. Les Syndics s'étaient plaints à lui de n'avoir jamais pu obtenir communication de la sentence rendue contr'eux. Il invita Boniface à la leur communiquer et à faire quelques concessions pour ramener la paix et la concorde au milieu de son troupeau.
Boniface était si impérieux et en même temps si irrité, qu'il ne daigna pas répondre à son Evêque métropolitain, son supérieur dans la hiérarchie catholique: il n'en tint aucun compte, persista à refuser toute communication de la sentence qu'on lui demandait, et maintint, avec plus d'entêtement que jamais, sa sentence d'excommunication.
Les Syndics eurent hâte de retourner vers Jacques Serène, et lui exposèrent la conduite de Boniface. Alors Jacques Serène n'hésita plus : il assigna l'Évêque de Digne par-devant lui. Boniface, au lieu de s'y rendre en personne, envoya deux députés, qui ne purent donner aucune explication sur les motifs pour lesquels leur mandant avait refusé communication de la sentence d'interdiction, et sur les causes qui, à ses yeux, rendaient nécessaire sa prolongation.
Jacques Serène reçut des Syndics de Digne, qui la lui offraient au nom de leurs concitoyens, une caution qu'ils affirmèrent par serment, puis il cassa la sentence d'interdiction prononcée contre eux, et les renvoya absous.
Boniface entra en fureur à cette nouvelle, et sans aucuns égards pour les conseils paternels que lui avait adressés le Prélat d'Embrun, il émit un brusque appel de sa décision. C'était le Pape Grégoire X, qui occupait alors le siége Pontifical et qui devait en connaître. Jacques Serène en fut navré. Il s'empressa d'écrire au chef suprême de l'Eglise une lettre dans laquelle il expose les faits avec une touchante simplicité, et il déduit les motifs qui l'ont déterminé à donner aux habitants de Digne une absolution pleine et complète. Cette lettre est remarquable par son empreinte de bonté affectueuse. La première raison qu'il en donne, c'est que, quoique la sentence d'excommunication eût été publiquement annoncée dans les Églises, quoi qu'elle pesât sur la ville depuis plus d'un an, on n'avait jamais pu en obtenir une simple copie ; aucune monition légale ne l'avait précédée ; il n'existait aucune preuve écrite , aucun acte revêtu du sceau de l'Évêque, ou de celui d'un notaire, et rien ne pouvait, à bon droit, faire croire à sa réalité.
La deuxième raison , c'est qu'alors même que cette sentence eût été juste et bien fondée, il était difficile de refuser l'absolution à des coupables qui la sollicitaient humblement et offraient une caution suffisante. J'ai été ému, écrit le saint Prélat, et vous ne le serez pas moins que moi, très saint Père, lorsque vous songerez, que pendant toute la durée de l'interdit, les derniers sacrements ont été refusés à tous les habitants ; quelques-uns même en ont été privés à l'instant suprême de leur vie.
Enfin, la dernière raison qui l'avait décidé, c'est que les envoyés de l'Évêque n'avaient jamais voulu affirmer par serment que le motif qui avait déterminé l'Evêque n'était pas un motif de malice ou de subterfuge.
Tel est l'exposé des faits présenté par Jacques Serène lui-même, sans détours et sans restrictions. Quel fut le sort de cet appel , c'est ce qu'il nous est impossible de dire. Mais la conduite de Boniface, dans cette longue lutte, prouve combien il était ambitieux, bautain et emporté.
De 1272 jusqu'en 1278, nos archives redeviennent muettes. Mais, pendant cette dernière année, nous trouvons un nouveau Concile provincial, qui se réunit à Embrun, sous la présidence de Jacques Serène, l'Archevêque d'Embrun, entouré de tous ses suffragants. Boniface y assistait-il? c'est ce que le IIe Statut de l'Église, qui se compose des canons de cette assemblée, ne nous apprend pas.
Quoiqu'il en soit, les Prélats ainsi réunis firent quatre nouveaux Canons. Le premier proclame la nécessité, pour les fidèles, de se confesser une fois l'année, sous peine de privation de la sépulture ecclésiastique, à moins toutefois que les héritiers ne consentent à s'imposer une légitime satisfaction. Celui qui frappe un clerc a besoin de la permission de l'Evêque pour être absous. L'excommunié absous en danger de mort, et qui, revenu à la santé, ne voudrait pas donner la satisfaction imposée, sera excommunié de nouveau.
Enfin, nouvelle fulmination d'excommunication contre ceux qui détournent quelqu'un du paiement des dîmes. On dirait que la conservation des revenus temporels était à cette époque l'idée fixe du Clergé. Aussi, cette même année, des troubles éclatèrent parmi les serviteurs de l'Église. Comme le nombre des Clercs et des Vicaires n'était pas limité, il y eut un instant confusion, et des réclamations partirent des plus bas degrés de la hiérarchie. D'un autre côté, comme il n'y avait que douze prébendes, et que le St.Siége dépassait quelque fois le nombre des prébendes, en nommant des Chanoines, qui se trouvaient munis de lettres dites d'expectative, les prétentions de ces aspirants au Canonicat, soulevaient de nombreux procès.
Jacques Serène, Archevêque d'Embrun, fut obligé, dit Gassendi, de venir à Digne pour mettre fin à ces dissensions intestines. Il assista, le 12 des kalendes de juillet, à une assemblée du Chapitre, et reçut là tous les pouvoirs nécessaires pour mettre un terme à ces désordres.
Quant aux réclamations des Desservants, il fit à Sisteron, le 4 des ides de janvier, dans la ville de Sisteron , où il se trouvait, le Statut suivant : « Or, pour que l'Église ne soit pas en butte à des obsessions continuelles, nous ordonnons qu'il soit créé six Clercs perpétuels, pour desservir constamment l'Église, et ce, soit par l'Évêque et le Chapitre, soit par le Chapitre seul, quand le siége sera vacant. De même, le Prévôt et le Chapitre, ou soit tous les Chanoines présents, sans qu'il soit nécessaire de citer les absents, nommeront douze Vicaires, chargés de subvenir aussi pour toujours au service divin; sans préjudice des deux Chapelains ordinaires, sur lesquels doit reposer le soin de la paroisse. De ces dix-huit Desservants, six doivent avoir la Prêtrise, six seront pris parmi les Diacres, et six parmi les Sous-diacres, et ce ne sera qu'après un an de leur promotion dans ces divers ordres, qu'ils pourront être choisis. »


Ainsi le Clergé, qui avait à Digne la toute puissance, se trouvait lui-même divisé dans ces temps de lutte où tant d'intérêts étaient en souffrance. Mais revenons au Château.
Les habitants de Digne n'avaient pas seulement à lutter contre le Clergé, contre l'Évêque surtout, qui était leur Seigneur, ils avaient encore à repousser les prétentions et les tracasseries des voisins. Seigneurs qui exerçaient leur puissance sur les châteaux voisins. Ainsi, à Gaubert, aux Sièyes et à Courbons, où ils avaient la plus grande partie de leurs propriétés, par suite de l'exiguité du territoire de Digne, ils avaient des intérêts à débattre et à soutenir contre les Seigneurs de ces Châteaux. Leurs acquisitions dans ces Châteaux remontaient à la plus haute antiquité. Lorsque la féodalité s'établit, les Seigneurs, qui avaient fort peu de tenants, dûrent se prêter à ces acquisitions qui se faisaient moyennant une cense annuelle. Dans le principe, les Seigneurs dûrent se montrer faciles, mais à la suite des temps, beaucoup d'usages, qui d'abord s'étaient établis sans contradiction, devinrent le sujet de fréquentes contestations.
Ainsi, quoique simples possesseurs dépendants de la directe du Seigneur, les habitants de Digne, pour faire respecter leurs possessions et notamment leurs vignes, dont la culture donnait lieu alors à des soins tout particuliers, ils s'étaient adressés au Bailli de Digne, leur juge naturel, et ils avaient fait nommer des gardes chargés de veiller à la conservation de leurs récoltes, et avaient provoqué l'établissement d'un ban de 10 sols contre tous ceux qui se permettraient d'introduire des troupeaux gros ou menus dans les vignes leur appartenant, sises sur les territoires des Châteaux voisins, et de s'emparer des raisins desdites vigne».
En 1281 , les Seigneurs des Sièyes et de Courbons voulurent contester ce droit. Ils prétendirent que le Bailli de Digne ne pouvait pas intervenir dans les questions de police qui concernaient leurs Châteaux, Le procès fut porté devant Guillaume de Reynier, alors Bailli de Digne, qui maintint les actes de ses prédécesseurs, débouta les Seigneurs de leur opposition, et n'en condamna pas moins les nouveaux délinquants aux peines portées par le ban.
En 1282, le successeur de Guillaume de Reynier, Jacques Brun, Bailli de Digne, fit faire, le 15 juillet, une nouvelle criée, consacrant le droit des habitants de Digne, et portant défense aux Seigneurs des Sièyes et de Courbons, ainsi qu'aux habitants de leurs Châteaux, de quelque condition et qualité qu'ils pussent être, d'introduire leurs troupeaux gros ou menus dans les vignes appartenant aux habitants de Digne, et ce, sous la même peine de 40 sols pour chaque infraction Nous verrons cette lutte se renouveler plus d'une fois, et les habitants de Digne résister avec la même énergie.
C'est en cette année 1282, qu'eurent lieu en Sicile les fameuses Vêpres Siciliennes, dans lesquelles périrent huit mille Provençaux. L'histoire nous apprend que Guillaume Porcellet; seul , fut épargné. Ce Seigneur Provençal était parent des deux Évêques qui , sur la fin du XIII° siècle et au commencement du XIV°, occupèrent l'Évêché de Digne. Le premier de ces deux Prélats, qui siégeait en 1290, et dont nous aurons bientôt à parler, portait le même prénom de Guillaume.
Charles 1er d'Anjou aurait voulu faire expier aux Siciliens les outrages dont ils venaient de se rendre coupables, mais il fut arrêté par la mort, qui le frappa, le 7 janvier 1285, à Foggia, dans la Pouille , où il mourut accablé de chagrins. A sa mort, Charles II, son fils, surnommé le Boiteux, se trouvait prisonnier en Sicile. Les Etats généraux du Comté uni de Provence et de Forcalquier, s'assemblèrent à Sisteron, et députèrent vers le Roi d'Angleterre Isnard d'Agoult et Faucher de Sabran Forcalquier, pour hâter sa délivrance, qui ne lui fut accordée cependant, après beaucoup d'efforts, qu'en 1289, et sous des conditions excessivement onéreuses.
II reste de cette dernière année une sentence rendue par le Juge de la Curie royale, Mathieu du Fort, à la requête de deux Syndics de la communauté, Pons Melve et Ranulphe Albéric, contre un habitant qui refusait le paiement des tailles. Les Cominaux n'y paraissent pas encore, car nous ne sommes jusques ici qu'à la première époque du Cominalat, pendant laquelle ces fonctionnaires croyaient devoir se renfermer dans la spécialité de leurs fonctions.
Cette sentence nous apprend que, depuis 1267, les Comtes de Provence n'avaient perçu que deux quistes, l'une, lorsque Charles II, fils de Charles 1", avait été armé Chevalier, et la seconde, qui avait été imposée naguères pour la rançon du même Charles II, détenu prisonnier en Sicile, au moment où le Comté de Provence venait de lui écheoir.
La communauté de Digne était imposée pour chaque quiste à la somme de cent livres Provençales coronats , qui devait être répartie par les Cominaux sur tous les habitants. Nous arrivons à l'année 1290, qui nous offre quelques documents intéressants. Il en est un surtout extrêmement précieux, c'est l'autorisation accordée par le Bailli de Digne, ou son suppéeant, pendant cette année, pour la convocation d'un certain nombre de chefs de famille, de probi homines , appelés à délibérer sur les intérêts de la ville. Cet acte prouve d'abord, d'une manière convaincante, qu'il n'y avait pas de conseil de la communauté, tel qu'il fut organisé plus tard, lorsque le pouvoir municipal prit des développements. Lorsqu'il s'agit de délibérer sur les intérêts de la communauté, suivant l'importance des cas, le Bailli autorise la réunion d'un nombre indéterminé de chefs de famille. D'un autre côté, cet acte prouve encore que tous les habitants avaient le droit de convoquer ces sortes de réunions : pourtant on remarque dans cet acte que déjà, à cette époque, les Cominaux se mettent plus souvent en avant que les autres prud'hommes, et c'est une preuve que leur influence s'accroît et que nous les verrons bientôt prendre en mains la conduite et l'administration du Château.
Il ne sera pas inutile de suivre les diverses convocations qui furent faites en cette année. Le 27 février, ce sont deux simples prud'hommes qui requièrent du Bailli Raymond de Bolbon, l'autorisation de réunir quinze habitants, qui leur est accordée. Le 27 avril, au contraire, ce sont deux Cominaux qui requièrent cette autorisation , Pierre Cavalier et Guillaume Pellangrin. Pierre Cavalier est désigné sous le nom de Communis Digne, Cominal de Digne; Guillaume Pellangrin ne l'est que sous son titre de notaire, mais nous le retrouvons, le 9 juin, avec la désignation de Comunalis, Cominal. L'autorisation n'est donnée que pour une réunion de douze habitants, et il ne s'agit de rien moins cependant que de contraindre ceux qui ont retiré les tailles depuis dix ans, c'est-à-dire les Cominaux qui se sont succédés pendant cet intervalle de temps, à rendre leurs comptes. Cet acte, de la part de deux Cominaux en exercice, prouve qu'ils comprenaient leurs fonctions mieux que leurs prédécesseurs. Blessés d'une pareille conduite, comme simples habitants, ils profitèrent de leurs fonctions de Cominaux pour rappeler à leur devoir ceux qui l'avaient complètement oublié.
Au reste, Pierre Cavalier était un des hommes les plus intelligents et les plus dévoués à son pays de cette époque : il était animé d'un zèle tout patriotique, qui fit faire au Cominalat, jusqu'à lui resté sans influence, de très notables progrès. Nous le verrons souvent à l'oeuvre. D'ailleurs il luttait pour son propre compte: convaincu d'une injustice , il voulait appeler le secours et l'appui de ses concitoyens dans un procès du Trésorier royal , qui l'avait fait condamner au payement d'une latte de soixante sols. Ce droit de latte était invoqué contre lui parce qu'il refusait le paiement d'une somme qu'il croyait ne pas devoir, et qui était considérée par les Officiers royaux comme obligatoire. Le 23 mai, c'est encore Pierre Cavalier et Pons Melve, que nous trouvons pour la troisième fois s'occupant des intérêts de la communauté, qui obtiennent l'autorisation de rassembler 15 prud'hommes.
Le 9 juin , Guillaume Celat, avocat, et Guillaume Pellangrin , Cominal , obtiennent une nouvelle autorisation de convoquer jusqu'à 25 habitants. Enfin, le 20 juin, ce sont plusieurs habitants, prud'hommes, parmi lesquels se trouve encore le Cominal Pellangrin , Guido Aperiocculos, qui possédait des biens affranchis de la directe de l'Évêque, Pierre Bergend et Pierre Gilet, qui obtiennent d'Etienne Caire Juge de Digne, substituant le Bailli, d'assembler un aussi grand nombre de chefs de famille qu'ils pourront en réunir, pour délibérer sur un incendie qui venait de consumer la maison de Ranulphe Alberic. Le Juge, en leur accordant cette autorisation, leur permit même de convoquer les Juifs et les habitants du Bourg.
Il paraît que c'était une question qui inté ressait l'universalité des habitants, et que ce fut la communauté qui décida spontanément que Ranulphe Alberic serait indemnisé par elle, car, deux jours après, le 22 juin, les deux Cominaux, Pierre Cavalier et Guillaume Pellangrin, demandaient au Bailli une nouvelle autorisation pour pouvoir appeler tous les chefs de famille et imposer une taille dont le produit serait appliqué, soit au payement du prix de la maison brûlée, à titre d'indemnité, soit pour sa réédification. Ce parchemin est d'un haut intérêt pour nous, car il nous révèle le commencement de l'action que prirent les Cominaux, jusques-là complètement apathiques, et comment, en prenant en mains la cause de tous leurs concitoyens, ils finirent par devenir de véritables représentants de la communauté.
Un autre acte non moins important de cette année, est un parlement public qui dût être provoqué, quoiqu'il n'en reste aucune preuve, par les Cominaux Pierre Cavalier et Guillaume Pellangrin. Ce parlement avait pour but de nommer des Syndics, chargés de poursuivre légalement et d'obtenir du Comte de Provence diverses mesures qui intéressaient la communauté.
Quoique le procès-verbal ne le constate pas, l'assentiment du Sénéchal de l'époque dût être sollicité, et ce ne fut que sur des lettres par lui adressées au Bailli que ce parlement put se réunir. Ce fut le Bailli Raymond de Bolbon qui le convoqua, en la forme ordinaire, à son de trompe, pour le 4 juin 1290. Il y assistait, ainsi que le Juge Mathieu du Fort. Les trois quarts des habitants s'y étaient rendus : l'assemblée avait lieu dans le pré de l'Évêque Guillaume Porcellet, qui se trouvait au bas du Pré de Foire actuel. Les habitants, à l'unanimité, désignèrent pour Syndics de la communauté Ranulphe Alberic, Pierre Paria et Raymond Boison. Une pareille unanimité avait été évidemment arrêtée, la veille, dans les trois confréries qui se partageaient la ville.
Ces Syndics, dont la nomination avait donné lieu à un si grand concours, étaient chargés de s'occuper des intérêts du moment qui préoccupaient le plus toute la communauté. Les luttes contre l'Évêque avaient fait comprendre aux hommes les plus intelligents de quelle importance était pour la communauté la transaction de 1260. Aussi, pour en assurer l'exécution, jugea-t-on nécessaire d'en demander la confirmation au nouveau Comte de Provence, et on en chargea d'une manière spéciale les Syndics. Les habitants se trouvaient depuis quelque temps obligés de lutter contre une prétention des officiers royaux et episcopaux, contraire aux plus simples règles du droit commun, et qui n'était motivée que par un désir d'exploitation des malheureux citadins. Ils soutenaient que les habitants du Château, qui avaient des procès, ne pouvaient ni compromettre, ni transiger sur les contestations qui s'élevaient. On voulait ainsi grossir les émoluments de la curie, car à cette époque les frais de procès, dont plus tard nous donnerons une idée, étaient trois fois au moins plus considérables que ceux qu'ils occasionnent aujourd'hui, et, certes, beaucoup conviendront que ce n'est pas peu dire.
En présence de prétentions aussi exoibitantes, les chefs de famille chargèrent les Syndics de solliciter le Comte de Provence et d'insister auprès de lui, pour qu'au moins le Château de Digne pût jouir d'un droit dont les hommes ne peuvent pas être raisonnablement privés.
Nous devons dire ici tout de suite, à la louange de Charles II, qui était juste, bon pour les hommes des communautés, et qui était enchanté lorsqu'il pouvait les favoriser, ne se fit pas prier beaucoup, et que, dès le 25 janvier suivant, il adressa une lettre aux Baillis, Juges et Clavaires présents et futurs de la cité de Digne, par laquelle il leur déclarait, qu'une supplication de ses fidèles, devotornm, habitants de Digne, avait porté à sa connaissance que quelques Officiers royaux avaient commis une énormité, enorme edictum, excessivement préjudiciable à leurs intérêts. Ils assuraient dans leur demande qu'on leur défendait de compromettre et de transiger pour les procès qui s'engageaient soit entre eux, soit contre des étrangers, et que cette mesure n'avait d'autre but que d'exiger le montant de frais considérables.
Par tous ces motifs, Charles II, qui rend justice à l'antique fidélité et au dévouement constant et affectueux des habitants de Digne, s'empresse de leur assurer le libre exercice d'un droit qui est dans la nature, et défend à ses Officiers royaux de ne percevoir, ni amende, ni latte, pour un semblable motif, faisant sans doute allusion à la condamnation de Pierre Cavalier, qui avait dû intéresser tous ses concitoyens à sa cause et réclamer énergiquement. C'est pour quoi il leur ordonne très expressément de ne jamais poursuivre et tracasser les habitants du Château de Digne pour une semblable cause. Ces lettres sont datées de Tarascon.
Les Juges royaux étaient, d'un autre côté, d'une sévérité outrée, et toutes les fois qu'il s'agissait d'une dette contractée envers la curie , ils exerçaient avec la plus grande rigueur la contrainte par corps, qui était à cette époque une peine horriblement dure et qui effrayait nos pères car ils étaient non seulement exploités par les Officiers royaux, mais encore par le geôlier de la prison contre lequel nous les verrons plus tard se plaindre. Ils chargèrent donc les Syndics de la mission de demander au Comte de Provence l'abolition de cette peine, dont on faisait un si grand abus. Nous n'avons rien trouvé dans nos archives qui fût une réponse à cette demande, à laquelle Charles II ne dût probablement pas accéder; mais il était trop bien disposé pour les habitants du Château de Digne, pour ne pas faire faire des observations aux officiers royaux sur l'emploi trop fréquent d'une pareille peine.
Enfin les Syndics furent chargés de poursuivreauprès de l'Évêque, en sa qualité de Seigneur, soit auprès du Comte de Provence, en sa qualité de Prince souverain , un privilége auquel la ville tenait beaucoup, parce qu'il devait favoriser la culture des vignes, qui avait pris une grande extension dans tout le territoire, et qu'on appelait le privilége du vin. Ce privilége consistait en une défense expresse faite aux étrangers, de quelque condition qu'ils fussent, d'introduire dans la ville des vins étrangers, pour les vendre concurremment avec les vins du terroir, et à ce qu'ils ne pussent introduire que des raisins achetés par les habitants. Les habitants du château devaient avoir au contraire la faculté d'acheter du vin étranger, de l'introduire et de le vendre le mieux qu'ils pourraient. Comme ils se méfiaient des dispositions de l'Évêque à l'égard des habitants, ils recommandèrent aux Syndics de s'assurer, avant de s'adresser au Comte de Provence, de l'assentiment de l'Évêque, du Prévôt et du Chapitre. Cette obligation renvoya l'obtention de ce privilége jusqu'en 1298, ainsi que nous le verrons bientôt. Il paraît qu'on ne put rien obtenir de Guillaume Porcellet qui siégeait à cette époque. Ce ne fut que sous Hugues V, Évêque inconnu de Gassendi , qu'ils l'obtinrent. Mais n'anticipons pas sur les événements, et achevons l'examen de l'acte qui rapporte notre parlement public.
Les chefs de famille s'engagent à approuver tout ce qui aura été fait par les Syndics et à les relever et garantir des engagements qu'ils auront pris au nom de la communauté. Ici se trouve une révélation intéressante, c'est que les habitants prennent l'engagement de payer la somme qui sera taxée par ce qu'on appelle les conseillers de la commune, portés ici au nombre de sept, avec la désignation de leurs noms. Les conseillers d'alors étaient : Noble Perceval Aperiocculos, Noble Guido Aperiocculos, Étienne Cavalier, Pierre Cavalier, Raymond Boyson, Simon Giraud et Pierre Gilet. Maintenant qu'était-ce que ce Conseil , en présence de ces convocations d'un nombre indéterminé d'habitants que nous avons fait connaître, et qui ont encore lieu, à une époque postérieure à celle de ce parlement public?
Il parait certain, et les termes de cet acte dont nous nous occupons semblent le prouver, que toutes les fois qu'on nommait des Syndics, ou des Cominaux, les hommes les plus intelligents de la commune, ceux qui étaient investis de la confiance des habitants, étaient chargés de les conseiller et de les diriger. Mais nous croyons que cette bonne inspiration ne leur vint qu'en cette année 1290, et sur le conseil d'une partie des hommes qui y furent appelés. Car, en admettant que ce conseil eût existé depuis longtemps, on ne comprendrait pas comment les Cominaux nommés auraient pu se renouveler pendant dix ans sans rendre aucun compte.
C'est sans doute cette négligence, portée à l'excès, qui décida les hommes de coeur et de tête à pousser leurs concitoyens à ces mesures qui devaient leur être d'une utilité si réelle et produire de si féconds résultats.
Après le parlement public dont nous venons de parler, les membres qui l'avaient composé en formèrent un autre le même jour, et avec l'assentiment du Bailli , et là on arrêta le statut portant défense aux étrangers d'introduire du vin étranger et de le vendre dans la cité, statut qui devait recevoir l'approbation du Comte et de l'Évêque, pour pouvoir obtenir la force d'un privilége, et être obligatoire pour toutes les personnes étrangères à la ville qu'on voulait surtout atteindre, contre le droit commun, ce qui justi fiait le titre de privilége qu'on lui donnait alors. En cette même année, il v eut encore à Embrun un Concile Provincial, convoqué, le 7 août, par Raymond de Meuillion , Archevêque de cette métropole, qui y appela tous ses suffragants. Le premier Canon décide que les aspirants à la prêtrise ne seront tonsurés que tout autant qu'ils justifieront qu'ils sont nés d'un légitime mariage. Les deux autres Canons ont pour but de faire cesser des persécutions dirigées contre les Églises, au moment de la tenue du Concile; en appelant l'assistance divine, par des prières spéciales ordonnées dans toutes les églises, et par les prières des fidèles auxquels on promet des indulgences.
Quelles étaient ces persécutions ? Aucun historien de Provence n'en parle, mais nous croyons que les mesures prises contre le Clergé par Philippe le Bel, alors Roi de France, et proche parent de Charles, Comte de Provence, qui subissait un peu son influence, furent la cause des prières ordonnées par ce Concile.
Les Prélats du midi devaient craindre que Charles II ne suivit l'exemple du Roi de France, qui venait d'exclure les prêtres de l'administration de la justice, et qui songeait à porter à trois, quatre, six fois la rente, ce que devait payer l'ecclésiastique en acquérant, en compensation des droits sur mutation que l'état perdait, quand les propriétés acquises par un membre du Clergé tombaient, suivant l'usage établi, en main morte.
Les documents historiques sur toute cette époque sont excessivement rares, et pour l'année 1291, nous n'avons qu'un acte, qui, à la vérité, rachète par l'intérêt qu'il présente la rareté que nous avons à déplorer. Cet acte est une consultation des trois confréries de Digne, par les Cominaux. Chaque confrérie est consultée sur le mode de taille qu'elle préfère, pour que les Cominaux puissent l'effectuer avec l'assentiment de tous leurs concitoyens.
Une taille devait être imposée sur tous les habitants qui devaient y contribuer proportionnellement à leur état de fortune. Les Cominaux voulaient savoir ce que la communauté préférait, soit de la taille en gros, c'est-à-dire payable en un seul terme, tallia grossa , soit de la taille en détail , c'est-à-dire payable en plusieurs termes, tallia minuta.
Cette démarche des Cominaux prouve quelle était l'influence des confréries, sans l'avis desquelles rien ne se faisait dans l'intérêt de la communauté. Nous n'avons que cet acte à invoquer pour l'établir; mais puisqu'il donne la certitude de l'existence des confréries, il est évident qu'il devait en être ainsi, en l'absence de toute organisation municipale.
En 1292, le Bailli de Digne fit effectuer des saisies contre quelques habitants de Courbons, qui avaient été soumis à un ban pour diverses contraventions. Les Seigneurs de Courbons prétendirent qu'ils avaient toujours eux-mêmes retiré ces bans. Le Bailli leur répondit qu'il l'avait fait ensuite d'une criée de l'un de ses prédécesseurs. Jacques de Salis, un des Seigneurs de Courbons, se pourvut auprès du Comte Charles II, qui par ses lettres au Bailli de Digne 1 , le charge de confier la cause de la Curie à un homme capable et dévoué, et de décider la question sans débats, après un mûr examen. Quelle fut la sentence du Bailli ? Rien ne nous l'indique ; mais à cette époque , le Comte de Provence contestait à tous les Seigneurs les droits de ban dont ils s'étaient induement emparés, et il est à peu près certain que les Seigneurs de Courbons perdirent leur procès comme tous les autres Seigneurs.
Papon parle des règlements que Charles II aurait fait pour la ville de Digne, pendant un sejour qu'il fit en cette ville au mois de septembre 1294. Nous avons vainement cherché ces règlements dans les Archives de la Cour des Comptes, où nous espérions les trouver. Nous devons nous borner à citer le passage de Papon à cet égard: " Les règlements que fit Charles II , à Digne, au mois de septembre de l'année 1294, pour réprimer la licence des moeurs, l'impiété des blasphèmes, et d'autres scandales, font beaucoup d'honneur à sa piété. Mais il faut que le relâchement fut bien grand, puisque ce prince, tout religieux qu'il était, exigea seulement qu'il y eut une personne de chaque famille, qui, les dimanches et les fêtes, assistât à la messe et aux instructions. Peut-être aussi cette condescendance venait-elle de ce que les églises étaient peu nombreuses et éloignées de la plupart des habitants."
Le 24 novembre de la même année, Guillaume de Digne, Porcellet, publia un Statut pour l'église de Digne. C'est un long règlement pour sa cathédrale, composé de quarante-deux articles. Il y règle l'ordre de célébration des messes, dans l'intérêt des fidèles, ordonne aux Prêtres de la célébrer tous les jours, et aux Chapelains, l'âme des fondateurs de leurs ehapellenies.
Il passe ensuite à la célébration des divers offices ; prescrit l'assistance à ces offices des Chanoines, des Bénéficiers et de tous les Clercs inférieurs; dit qu'à défaut, ils seront notés comme absents par celui que le Chapitre chargera de ce soin, opération qui s'appelait faillie ou ponctuation, pour laquelle le Chapitre désignait deux Clercs; il punit ensuite l'absence par la privation de la livre ou des distributions, qui représentaient à cette époque les traitements d'aujourd'hui. Il fixe le moment où les Prêtres doivent être rendus au choeur , pour n'être pas déclarés absents, et s'étend avec beaucoup de détails sur l'ordre des cérémonies dans les grandes solennités et sur le rôle que chaque dignitaire de l'Église doit y remplir. Il fixe même les places que chacun doit y occuper, et les vêtements ou ornements que chacun doit revêtir. Il recommande, dans le choeur, le plus profond silence, sous peine d'une amende de douze deniers, applicable à l'achat d'ornements pour le service du Culte. Il précise avec le plus grand soin les fonctions des divers dignitaires, depuis les Curés, jusqu'aux enfants de choeur, et au sonneur de cloches Il consacre un article au Grand -Chantre, qu'on appelait alors le Cabiscol. Il prescrit ensuite diverses règles pour tous les actes du Culte, pour les processions, dans lesquelles il recommande la plus grande modestie, pour les anniversaires, pour la communion des infirmes. Il impose des peines à ceux qui ne rempliront pas leur devoir : au sonneur, s'il n'a pas soin des cloches; au sacristain, s'il n'a pas soin des ornements ; aux chapelains, s'ils ne sont pas exacts à s'acquitter de leur charge. Ces peines consistent en des retenues sur le montant de leurs revenus, soit qu'ils possèdent des bénéfices, soit qu'ils n'aient part qu'à la livre. Il charge les deux Chanoines, les plus discrets et les plus capables, de faire l'exaction des anniversaires légués à TÉglise. Il fait défense à tous les serviteurs de l'Église, quelle que soit leur condition, quelle que soit leur dignité, de sortir de la ville ou de son territoire, sans la permission de l'Évêque, du Prévôt ou de l'Archidiacre. Si les Bénéficiers ou Clercs s'avisaient de frauder la gabelle du Prévôt, ils seraient condamnés à deux sols d'amende en faveur de l'Eveque, et leur vin , ainsi que les vases le contenant, seraient confisqués au profit du Prévôt. Le Statut finit par un 42" article, qui n'est qu'une défense déjà faite, de ne pas commencer les offices avant que les bougies ne soient allumées.
Le 13 février suivant, Charles II accorda aux ouvent des frères Mineurs de Digne, qui avait été fondé dans le courant du xii° siècle, et dont la fondation, s'il faut en croire la tradition, remonterait au passage de saint François en Provence, qui l'aurait lui-même institué, lui accorda, disons-nous, une rente de quatre salins de sel, qui faisaient quatre septiers, et qui devaient leur être remis annuellement par le receveur de la gabelle royale.
A cette époque, Charles II avait pour médecin Guillaume de St -Dompnin, originaire de Digne qui avait su gagner sa confiance, et qu'il aimait beaucoup. Il paraît que ce médecin l'avait soigné avec le plus grand zèle, car il existe dans les archives de la Cour des comptes cinq lettres de ce Prince, par lesquelles il le comble de faveurs. (1)

(1) Ces cinq lettres de Charles II se trouvent à Marseille, dans les archives de la cour des comptes, Armoire F. Reg. viii.

La première de ces lettres est à la date du 16 décembre 1294 , et Charles déclare que pour les bons services que Guillaume de St.Dompnin lui a déjà rendus, pour ceux qu'il lui rend chaque jour, et ceux qu'il continuera à lui rendre, il lui fait une donation annuelle et viagère de 20 livres coronats, à prendre sur les revenus de l'établissement des bains de Digne, sur les revenus du four de la même ville et sur ceux du moulin et du four du château d'Oise, dépendants de son domaine. Les bains de Digne étaient à cette époque un fief qui, d'après cette lettre, se trouvait encore entre les mains du Comte de Provence. Il paraît que les revenus du moulin et du four d'Oise suffisaient au-delà pour servir cette pension. Aussi, par une seconde lettre de Charles II, en date du 16 juin 1297, adressée au Bailli et au Clavaire de Digne, il leur est ordonné de laisser jouir Guillaume de St.Dompnin de tous les revenus d'Oise, alors même qu'ils dépasseraient la pension de 20 livres coronats qui lui a été concédée.
Cette même année, les Seigneurs des Sièyes et de Courbons firent une nouvelle opposition aux prétentions des habitants de Digne, d'obtenir, du Bailli, des gardes pour leurs vignes des Sièyes et de Courbons, et d'exiger, au profit de la curie, le droit de ban pour les contraventions qui s'y commettaient. L'affaire fut portée devant le grand Sénéchal de Provence noble Hugues de Vins, qui adressa à Alphonse de St Amans, Bailli de Digue , des lettres qui maintenaient les habitants et la curie dans les usages dont ils étaient en possession depuis les temps anciens. Alphonse de St -Amans, en exécution de ces lettres, fit faire une nouvelle criée portant que tout habitant de Courbons ou des Sièyes, qui introduirait ses troupeaux dans les vignes des habitants de Digne, serait frappé d'un ban de dix sols. Les Seigneurs de ces deux châteaux furent forcés de céder, mais ils n'en furent pas moins aigris de ce qu'on les dépouillait de droits qu'ils croyaient pouvoir revendiquer; et nous verrons cette aigreur s'accroître de jour en jour, et fomenter une foule de procès, qui étaient une source de dépenses pour la communauté.
C'est à peu près vers cette époque que la cité de Digne obtint , de l'Évêque Hugues V, la promesse qu'il approuverait le privilége du vin que les habitants sollicitaient, et pour l'obtention duquel des Syndics avaient été nommés. Le Prévôt, Hugues de Thoard, et le Chapitre leur donnèrent la même assurance. Sur cette promesse, les Syndics dûrent agir auprès de Charles II, qui, au reste, comme tous ses ancêtres, n'était pas difficile pour une concession qui ordinairement se faisait payer cher, et qui était pour les Comtes de Provence une source de revenus. Peu leur importait que le droit des gens fût quelquefois violé par ces singulières institutions : ces Princes, qui faisaient d'énormes dépenses, étaient peu difficiles sur les moyens de se procurer de l'argent et ne reculaient pas devant des mesures qui donnaient à certains châteaux de leurs Comtés une position toute exceptionnelle. Les Syndics de la communauté ayant donc présenté à Charles II la demande qu'ils avaient à lui faire, celui-ci s'empressa d'écrire au Bailli, le 8 mars 1298, pour qu'il lui transmit des renseignements sur ce que désiraient les habitants de Digne. La réponse du Bailli fut-elle ou ne fut-elle pas favorable? Nous l'ignorons complètement. Ce que nous savons , c'est que vers le milieu du mois d'avril de 1298 le privilége fut accordé. La lettre par laquelle Charles II fait cette concession aux habitants de Digne est à la date du 14 avril 1298, deux jours après la date des deux lettres par lesquelles ce Prince annonce à ses Officiers royaux la concession qu'il vient de faire. La seconde de ces deux lettres, adressée au Bailli et au Clavaire de Digne, leur recommande expressément de faire rentrer au plutôt la somme de cent vingt livres due par la communauté pour cette concession.
Le 23 avril suivant, il annonce cette concession à ses deux Sénéchaux de Provence et de Forcalquier, qu'il avait depuis peu créés, pour qu'ils veillent à ce que le droit en résultant soit respecté. Le même jour, il écrit de nouveau à ses Officiers de la Curie de Digne de poursuivre contre tous les habitants le paiement de la somme due pour ce privilége. Cette concession du Comte de Provence était un premier pas fait vers la réalisation des désirs de la communauté de Digne; mais il fallait encore l'approbation de l'Évêque, du Prévôt et du Chapitre, qui, en vertu de leurs droits féodaux, auraient pu en empêcher l'exercice. Cette approbation fut donnée par l'Évêque Hugues V, le 23 mars de l'année 1298, s'il faut en croire le parchemin de nos archives, qui, daté du 23 mars 1298, contient des lettres du 14 avril de la même année ; ce qui s'explique très bien , quand on sait que Charles II, suivant les habitudes de la Chancellerie de Naples, commençait l'année au 1 janvier, tandis que l'Évêque de Digne la faisait partir de l'Incarnation, c'est-à-dire du 25 mars.
Le Prévôt donna son approbation le lendemain 24 mars. Le Chapitre la donna, lui aussi le 10 août suivant dans une de ses assemblées capitulaires. Cette approbation fut accordée sur les instances des Cominaux Guigues d'Auribeau, Olivier Bocher et Tassil Melve. C'étaient les Syndics qui avaient agi auprès du Comte de Provence. C'étaient les Cominaux qui avaient été chargés de solliciter le consentement du Clergé. Preuve nouvelle de l'influence qu'acquéraient de jour en jour les Cominaux en s'occupant davantage des intérêts de la commune. Sans doute auprès du Comte de Provence, il fallait, pour traiter cette affaire, des représentants légaux de la communauté, et les Cominaux n'auraient pas encore osé se présenter à leur Souverain , comme représentants de l'Université. Mais auprès de l'Évêque, c'étaient eux qui, investis de la confiance de toute la population, avaient le plus de chances de réussir.
Lorsque le privilége fut assuré par l'accomplissement de toutes les formalités nécessaires, il fallut songer au paiement des frais qui avaient été faits. Les Officiers royaux pressaient la communauté de s'exécuter envers la Curie royale. Les habitants du Château soutenaient que les habitants du Bourg, qui allaient profiter comme eux de ce privilége, devaient également contribuer aux charges. Ces derniers refusaient. Un procès était imminent. Cependant on parvint à s'entendre. Les Consuls du Bourg et les Cominaux du Château, agissant tous comme représentants de leur communauté, passèrent un compromis, et s'obligèrent à l'exécution de la sentence qui serait portée par deux arbitres amiablement choisis. Ces deux arbitres furent Hugues de Thoard, Prévôt, que Gassendi place vers l'année 1220, et qui n'exerçait ses fonctions que pendant les dernières années du xiii siècle. Il fut désigné par les Consuls du Bourg. L'arbitre du Château fut Honoré Guiramand, homme de loi. Les arbitres furent d'avis que le Bourg retirait des avantages de l'obtention du privilége dont les frais faisaient l'objet de la contestation , et condamnèrent les Consuls du Bourg à y contribuer pour la somme de vingt livres , dont moitié payable à la Toussaint prochaine, et l'autre moitié un an après, à la même époque.
Ici encore , nous voyons les Cominaux traiter au nom de la communauté, dont ils se considèrent comme les représentants , quoiqu'ils n'y soient nullement autorisés par leur institution. Pendant l'année 1298 , nous trouvons encore deux actes par lesquels Charles II témoigne son affection et sa reconnaissance à Guillaume de St.-Dompnin, son médecin.
Par le premier , en date du 13 mai 1298 , il étend la donation précédemment faite en sa faveur d'une pension annuelle de vingt livres coronats , à ses trois filles, qui devront en jouir après la mort de leur père, in subsidium maritagii. Par le second , en date du 9 mars de la même année, il lui fait donation de la moitié des censes en blé perçues par la Curie royale dans le château d'Oise. Nous avons déjà parlé des contestations des habitants de Digne avec les seigneurs des Sièyes et de Coubons. Nous allons voir maintenant une lutte semblable contre les Seigneurs de Gaubert.
Les Seigneurs de ce château jouissaient d'un droit de péage sur toutes les marchandises qui étaient importées à Digne, et qui traversaient le territoire de Gaubert , en allant de Mezel à Digne. Les habitants de quelques villages des environs, et même les habitants de Digne, qui allaient faire des achats ou des ventes dans la Basse - Provence, et qui désiraient se soustraire à un droit toujours pesant, au lieu de prendre la direction de Mezel, prenaient celle du Chaffaut, qui leur offrait, le long de la rive gauche de la Bléone , un chemin plus facile , et en outre l'avantage immense de l'affranchissement de ce droit de péage établi en faveur des Seigneurs de Gaubert. Le péager, Raymond Charviol , qui cumulait cette charge avec la fonction de Bailli des Seigneurs , prétendit que ce n'était que par suite de fraude que les marchands prenaient cette nouvelle voie ; il fit saisir les marchandises de quelques habitants de Digne, dès qu'ils en furent avertis, ils protestèrent contre cette voie de fait, s'adressèrent au Sénéchal de Provence, et lui firent reconnaître que le péage établi sur le territoire de Gaubert , en faveur des Seigneurs dudit lieu, ne pouvait pas être perçu sur le territoire d'un château autre que le leur , et que les saisies faites au château du Chaffaut devaient être annulées.
Le grand Sénéchal s'empressa d'adresser des letttres au Juge de Digne, François Belhomme, pour qu'il informât sur cette atteinte aux droits des habitants. Le Juge entendit des témoins et reconnut que c'était sans fraude aucune que les habitants de Digne suivaient la route du Chaffaut et non celle de Mezel, que notamment Guillaume Jannon, saisi, avait suivi la route qui était pour lui la plus directe et la plus facile. Ensuite de cette enquête, François Belhomme adressa, au péager et Bailli de Mezel, des lettres par lesquelles il lui enjoignait de restituer immédiatement les gages dont il s'était emparé au préjudice dudit Guillaume et lui défendait de renouveler de pareilles saisies à moins qu'il ne prouvât clairement l'intention de fraude.
Cette lettre, en date du 9 mars, fut présentée audit Juge de Digne, à Estoublon , où il s'était rendu, le lendemain du jour de sa date. Cette présentation fut faite par un simple probus homo, Jean Literius, qui déclarait agir au nom de la communauté de Digne.
Le péager fut obligé de renoncer à ses prétentions , qui cessèrent à la suite de cette sentence, pour recommencer plus tard.
La communauté du Château, depuis que quelques hommes, dévoués à leur pays et d'une capacité suffisante, s'étaient mis à la tête des affaires, défendait ses droits avec énergie et ne négligeait plus ses intérêts. Après avoir obtenu justice contre les seigneurs du château voisins, après avoir réussi dans la demande d'un privilége qui avait été longtemps désiré, elle n'hésita plus, quand elle avait des réclamations à faire entendre, à recourir soit au Comte de Provence, soit au grand Sénéchal, pour obtenir satisfaction.
En 1300, le prix du sel, dans la ville de Digne, était si élevé que les habitants en souffraient. Des sollicitations furent adressées au Sénéchal de Provence , Reynaud de Lecto, et le 29 octobre 1299, ce haut dignitaire, qui remplaçait le Comte pendant ses voyages en Italie , s'empresa d'adresser une lettre au Bailli et au Juge de Digne , pour que le prix du sel qui , à cause de sa rareté, avait été augmenté, fût réduit à son ancien prix, et qu'on ordonnât au gabelier de s'y confirmer.
La même année, ils se plaignirent encore de ce que les serviteurs, les familiers de l'Évêque, refusaient de contribuer au paiement du fouage, impôt que les Comtes de Provence demandaient aux Communautés, quand leurs affaires le rendaient nécessaire, et surtout quand ils avaient des guerres à soutenir. Les fouages n'étaient pas, comme les quistes, accordés dans des cas particuliers, ils l'étaient comme un don gratuit. Ces fouages furent très souvent demandés en Provence, et sous la première maison d'Anjou, et sous la seconde, par suite des guerres d'Italie. Comme il s'agissait ici d'une taille royale, faite dans des circonstances d'urgente nécessité, personne ne devait en être exempt. Aussi les habitants de Digne firent-ils parvenir des plaintes au grand Sénéchal de Provence , contre ces récalcitrants, et Reynaud de Lecto adressa, le 1er mai, une lettre au Bailli et au Clavaire, leur enjoignant de forcer tous les Clercs et les serviteurs de l'Évêque à contribuer aux fouages.
C'est vers cette époque que nous trouvons le premier compte d'un Clavaire, cet agent qui était dans le bailliage de Digne, le trésorier du Comte de Provence. Ce compte, ou plutôt, ce pendant, est celui du Clavaire Chambayron. Le Clavaire était en général nommé pour deux ans. Des lettres du grand Sénéchal étaient adressées au postulant, qui, pour se faire reconnaître, venait les présenter à son prédécesseur, en pré sence du Bailli. Tout Clavaire sortant était obligé de dresser ce qu'on appelait son pendant. C'était un relevé des droits à percevoir au nom de la Curie, avec un inventaire complet des biens tant mobiliers qu'immobiliers lui appartenant. Ce pendant devait être dressé à double original, dont l'un restait en sa possession, pour les justifications qu'il pourrait être appelé à faire en cas de réclamation, et l'autre, muni de son sceau, était laissé entre les mains du Clavaire qui lui succédait, pour qu'il pût connaître la situation de la Curie vis à-vis de ses débiteurs. Il devait y mentionner les sommes dues à la Curie , les causes pour lesquelles elles étaient dues, et la désignation exacte de ceux qui les avaient contractées. Ce pendant devait également contenir la mention des à-comptes payés, avec toutes les pièces justificatives du paiement, et indiquer les sommes restant à payer. Le Clavaire donnait ensuite les noms de tous les individus soumis à une cense féodale , et le montant de chaque cense. Lorsqu'un droit de la Curie avait été affermé , aux enchères ou autrement , il devait en mentionner le prix convenu. Il terminait enfin par une liste détaillée des cartulaires de la Curie.
Toutes ces indications étaient obligatoires pour tous les Châteaux du Bailliage, qui se trouvaient compris dans le ressort du Clavaire de Digne. Le Clavaire devait en outre, toutes les années, dresser un compte de ses recettes et de ses dépenses, qui était soumis aux Maîtres Rationaux résidant à Aix, qui formaient la Cour des Comptes. Ses fonctions, par conséquent, étaient celles de trésorier de la Curie. C'était lui qui veillait à la rentrée des droits et des revenus du Comte de Provence. C'était lui qui poursuivait les débiteurs en retard. Mais ses fonctions les plus importantes, consistaient surtout à assurer, par une bonne administration, l'augmentation progressive des revenus de la Curie. Pour cela, il était obligé, soit de vendre, soit d'affermer, aux meilleures conditions possibles, les divers droits attribués à la Curie. Il devait exiger de bons fidéjusseurs, des cautions solides, pour n'être pas exposé à des pertes. Pour la vente, ou la location de ces droits, il devait, autant que possible, recourir aux enchères publiques. C'était lui qui affermait les terres, les bâtiments qui appartenaient au Comte de Provence, et qui les donnait soit à cense annuelle, soit en emphytéose.
Le crédit du Clavaire augmentait avec le chiffre de ses revenus. Aussi, les comptes et les pendants qui subsistent encore ont-ils le soin de faire ressortir les augmentations obtenues par les mesures intelligentes de leurs auteurs.
Le Comte était devenu propriétaire d'un moulin situé en dehors de la porte de Gaubert, qu'il avait donné à Isnard Lancelin , moyennant une censé annuelle de six deniers. Le péage et la gabelle, qui appartenaient exclusivement au Comte de Provence, et qui en 1246 ne produisaient que 90 à 100 livres , sont affermés à l'époque où nous sommes arrivés à 216 livres.
Les bans, dont le produit fixé à une cense annuelle de deux sols, se partageaient entre le Comte et l'Évêque. Ce pendant nous fait connaître l'exception qui existait pour le quartier des Camargues et celui de Richelme, revenant exclusivement à l'Évêque. Ce même pendant nous fait connaître une saisie opérée ensuite d'une condamnation rendue contre les frères Jacques et Hugues de Marcoux , qui avait amené la confiscation de tous les biens que ces derniers possédaient à Digne , à Courbons , à Malijai et à Villeneuve. Les biens saisis à Digne consistaient en une maison , en un verger et en un pré. Cependant Reynaud de Lecto, le grand Sénéchal , fit remise de cette condamnation moyennant la somme de 100 livres, que les deux frères s'engagèrent à verser à la Curie.
Giraud Chambayron nous fait également connaître les habitants du Château de Digne qui tenaient des propriétés soumises, ensuite des confiscations opérées depuis la transaction de 1260, à la directe du Comte de Provence, qui cumulai ainsi les droits de souveraineté et ceux de Seigneurie; ces biens avaient été cédés moyennant une cense du cinquième du revenu. Il est malheureux qu'un si petit nombre de ces comptes ou pendants nous ait été conservé, mais le peu qui nous en reste suffit pour faire apprécier l'importance du Clavariat, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir à mesure que nous examinerons les autres comptes de l'époque du Cominalat qui sont parvenus jusqu'à nous.
Nous trouvons encore, en cette année 1300. une nouvelle donation accordée par le Comte Charles II à son médecin Guillaume de St.Dompnin , qui paraît avoir exercé une grande influence sur ce Prince. Par ses lettres du 17 septembre de cette année, le Comte le dispense du paiement de tous les droits dont il serait débiteur pour les animaux attachés à ses domaines. Plus tard, en 1306, Guillaume de St.-Dompnin fit faire par Bertrand d'Entrages, son fondé de pouvoirs, la présentation de ses cinq donations au Bailli de Digne, qui était alors Raymond de Soliers.
Les historiens de Provence sont complètement muets sur ce médecin, devenu le favori de Charles II, qui le comblait de faveurs.
La monnaie, à cette époque, avait été tellement multipliée, per les différents types qui avaient été frappés soit par les Souverains , soit par les Seigneurs féodaux qui s'attribuaient ce droit, qu'une réforme générale était devenue nécessaire.
Charles II en avait compris l'importance, et il résolut de faire assembler les États de Provence pour délibérer sur cette grande question.
Des lettres du grand Sénéchal Ricard de Gambateza furent adressées à tous les officiers royaux, elles leur enjoignaient de provoquer, dans les communautés de leurs bailliages, la réunion de parlements publics, pour la nomination de Syndics, et leur faisaient connaître que l'assemblée des Etats était convoquée à St.-Rémy, pour le jour de l'Octave de la Pentecôte.
Les officiers royaux de Digne en reçurent une, datée d'Aix, du 7 mai 1302, et, en l'absence du Bailli, le Juge de Digne, Jacques de Vastalla, fit convoquer par le crieur public, à son de trompe et en la manière accoutumée, tous les habitants du Château de Digne, pour qu'ils se réunissent en parlement public, et exécutassent les ordres du grand Sénéchal. La réunion fut nombreuse : le procès-verbal de ce parlement constate la présence de 162 chefs de famille, qui tous, à l'unanimité, désignèrent pour leurs Syndics Ranulphe Albéric et Guigues d'Auribeau , qui étaient en ce moment deux des hommes les plus influents du pays, et les plus dévoués aux intérêts du Château. Comme pour les précédents Syndics, leur élection devait avoir été arrêtée la veille dans les confréries.
On les choisit, parce qu'ils affirmèrent s'être occupés de cette question délicate, et, avec les solennités ordinaires, on les investit du pouvoir de représenter l'universalité des habitants. Aucun historien de Provence n'a parlé de cette assemblée des États. Il paraît même que les archives de la Cour des Comptes ne contiennent rien à cet égard. Quelques recherches dans les archives de St.-Rémy pourraient peut-être amener quelque heureuse découverte; car l'état des monnaies à cette époque est fort incertain et fort obscur, et quelques renseignements sur une pareille matière auraient beaucoup d'importance.
Si l'état des monnaies était désastreux, l'état des poids et mesures dont on se servait, à Digne, dans le commerce et dans les usages de la vie, n'était pas meilleur. Tous les marchands se servaient de poids différents, et ce défaut d'uniformité entraînait une confusion déplorable. Nos pères le comprirent, et ils résolurent d'y porter remède. Ils songèrent à se procurer une livre Marseillaise, pour en faire fabriquer à Digne sur le même modèle, et on rendit une ordonnance pour forcer tous les marchands du Château à l'adopter. Le Bailli de Digne fit alors un voyage à Marseille, et on le pria d'expédier de cette ville une livre Marseillaise. Le Bailli Kaolin remplit la commission dont il avait été chargé , et remit à Raymond Blegier, habitant de Digne, une livre Marseillaise, que celui-ci apporta aux Cominaux de Digne.
Le jour de son arrivée, les Cominaux Guigues d'Auribeau et Pierre Raymond convoquèrent les habitants du Château dans la boutique de Raymond Motet , apothicaire , pour s'occuper de la réforme des poids et mesures. C'était le 3 mars 1303.
Lorsque la réunion fut assez nombreuse, ils exposèrent que les poids, dont on se servait à Digne, n'avaient pas une pesanteur uniforme, et n'offraient aucune espèce de garantie, ce qui causait des pertes et des lésions à tous ceux qui faisaient des achats ; que , pour éviter les dangers et les inconvénients qui en résultaient, les prud'hommes du Château de Digne avaient précédemment ordonné d'apporter une livre marseillaise, qui servirait de type aux poids qui se fabriqueraient à l'avenir à Digne ; que ces poids seraient en fer, et marqués du sceau de la Curie. Cet exposé ainsi fait, Raymond Blegier leur présenta la livre Marseillaise, qu'il avait reçue à Marseille, du Bailli Raolin , enfermée dans une bourse de cuir blanc, parfaitement fermée, et sur laquelle était le sceau dudit Seigneur Bailli, qui représentait une tête d'homme avec son cou, et avait pour exergue : Sceau de Raolin Raolin. Le notaire Michel Gautier , secrétaire de l'assemblée, sortit la livre de la bourse. Elle était en cuivre, du poids légal, et obtint l'approbation de tout le monde. Les Cominaux firent immédiatement appeler Pierre Monnier, serrurier de la ville, pour lui confier la fabrication des nouveaux poids qu'on voulait faire adopter par tous les marchands dans la ville de Digne. Le choix du Conseil s'arrêta sur lui, parce qu'il était le serrurier de Digne le plus consciencieux et le plus habile. Pierre Monnier s'empressa d'accepter la mission dont on le favorisait.
Le prix fut convenu, pour la livre, faite en fer, au lieu de cuivre, dont le prix eût été trop cher, à treize deniers Provençaux refforciats. Il devrait fabriquer aussi les poids inférieurs de la demie-livre, du quarteron, du demi-quarteron, et n'en demander que le prix le plus juste. Pierre Monnier promit ensuite de bien et fidèlement remplir sa tâche, engagea tous ses biens présents et à venir, et prêta le serment d'usage sur le livre des Évangiles.
Les Cominaux déclarèrent ensuite que l'ordonnance rendue par le Conseil serait observée et maintenue tant que l'université des habitants ne la modifierait pas. Pour la sanction de cette ordonnance , ils en requirent du notaire un instrument public, sous réserve de pouvoir le faire refaire en en conservant la substance intacte. Cet acte nous atteste un nouveau progrès du Cominalat fort remarquable. Les Cominaux revêtent, dès ce moment, leur véritable caractère.
Sans être les représentants légaux de l'université, ils prennent en mains les intérêts de la Cité, nese prévalant que de leurs droits de simples probi homines, et ils n'en deviennent pas moins les représentants réels. Désormais , ils vont apporter du zèle dans leurs fonctions et non seulement ils s'occuperont de leur charge spéciale, mais tout ce qui intéressera la communauté deviendra l'objet de leur sollicitude et de leur activité.
C'est le commencement d'une organisation communale véritable, que nous verrons progresser de jour en jour. En 1304, un acte de quittance, fait par le notaire Mercadier, nous apprend que quelques prud'hommes du Château, N. Guido Aperiocculos Ranulphe Alberic, Jean Merend, notaire, Pierre Cavalier, Berard Carton et Guillaume Chapelle, s'étaient obligés , au nom de la communauté , au paiement d'une somme de neuf livres refforciats, en faveur de Durand Bollygue, boucher de Digne. Cette somme fut payée, le 29 novembre de cette année, par le Cominal Guigues d'Auribeau , que nous avons vu occuper ces fonctions en 1299, dans l'acte de confirmation par l'Évêque du privilége du vin; dans la délibération des probi homines de 1303, et qui avait été nommé Syndic en 1302 , pour aller représenter la communauté à l'assemblée des États convoquée à Saint-Remy, homme actif et dévoué à son pays, dont l'influence sur ses concitoyens devait être la récompense de son patriotisme. Nous arrivons à la fin du règne de Charles II d'Anjou. C'était l'époque à laquelle il avait établi son fils Robert, avec les fonctions de Viguier général, Robert, Duc de Calabre , qui devait après lui hériter de son Comté de Provence et de son royaume de Sicile.
Robert était encore mieux disposé pour les hommes des Communes que Charles son père. Les habitants de Digne, qui, en ce moment, se trouvaient sous la direction d'hommes actifs et pleins d'intelligence, dont quelques-uns possédaient des terres libres, et étaient peut-être bien aises de lutter contre l'Évêque qui les dédaignait, firent de nombreuses et d'instantes démarches auprès de ce Prince.
Avant de dire les faveurs que Robert leur accorda, il nous faut jeter un coup d'oeil rapide sur les plaintes du Château de Digne, à cette époque.
Depuis l'avènement de Charles II, les Juifs qui avant ne pouvaient pas entrer en Provence, avaient reçu l'autorisation de s'y fixer. Plusieurs familles s'étaient établies à Digne, et malgré les instances des Cominaux, refusaient de contribuer aux charges communales, comme les autres habitants, se fondant sur un prétendu privilége, qu'ils soutenaient leur avoir été accordé par le Comte de Provence, ensuite du paiement d'une taille annuelle qu'ils avaient consenti à verser à la Curie. Les Cominaux insistaient vainement; vainement s'adressaient-ils aux officiers royaux ; ceux-ci s'en rapportaient aux moyens allégués par les Juifs, Il ne restait qu'une voie pour obtenir justice, c'était de s'adresser au Comte de Provence ou à son Viguier général, Robert, Duc de Calabre.
Quelques familles nobles, qui tenaient dans le Château des biens libres, refusaient également de contribuer aux mêmes charges. Ils invoquaient leurs titres qui, prétendaient-ils, les en dispensaient. Les Cominaux soutenaient, de leur côté, que pour les terres dont ils avaient la directe , ils pouvaient avoir peut-être le droit d'en être dispensés, mais que pour les terres sur lesquelles ils n'avaient aucun titre de directe, ils devaient y être soumis. Ils refusaient également de contribuer aux frais qu'entraînait le droit de cavalcade convenu avec le Comte par la communauté de Digne. Ils se trouvaient ainsi, malgré leur qualité de Vassaux, dispensés personnellement de ce service, et pour tant ils résistaient. Là encore les officiers royaux refusaient satisfaction. Il fallait également se pourvoir contre ces prétendus Nobles, comme contre les Juifs, auprès du Comte de Provence. D'un autre côté, les officiers royaux tracassaient les habitants. Les travaux d'un pont sur la Bléone, sur laquelle il n'en avait jamais existé jusqu'alors, avaient été commencés , et lorsque la communauté s'y était décidée, elle avait rendu un Statut en assemblée publique par lequel il avait été ordonné que le tiers des amendes et confiscations du pain pour vente avec fausses mesures ou mesures non scellées du sceau de la Curie, ledit tiers revenant à la Curie, serait appliqué aux travaux du pont de la Bléone.
L'assentiment du Comte de Provence avait été obtenu tacitement, et ses officiers royaux d'alors ne s'y étaient pas opposés.
Mais les officiers royaux actuels contestaient ces droits aux habitants, et force était encore, pour faire consacrer cette disposition, de recourir au Comte. Mais il y avait plus : le geôlier des prisons royales exploitait indignement les prisonniers qui, coupables ou non, étaient taxés par lui au paiement arbitraire de 12 deniers. Les Cominaux prétendaient que cette somme ne pouvait leur être imposée qu'alors qu'une condamnation contre eux avait été prononcée. Mais on n'avait aucun égard à leur réclamation. Enfin, les habitants avaient non seulement à se plaindre des mauvaises dispositions des officiers royaux et des Nobles du Château, mais ils éprouvaient encore toutes sortes de tracasseries de la part des Seigneurs des Châteaux voisins, qui, jaloux de la prospérité de la cité de Digne, défendaient, sous de sévères peines aux hommes de leurs Châteaux , de venir y commercer, défense qui portait un énorme préjudice, non seulement aux habitants de Digne, mais encore à la Curie royale.
En présence de ces contestations diverses, on se pourvut auprès du Sénéchal de Provence, pour obtenir l'autorisation d'assembler un parlement public et de nommer des Syndics chargés de poursuivre auprès du Comte de Provence, les intérêts de la cité.
Cette autorisation dût être accordée , car des lettres de Robert, Duc de Calabre, en date du 19 mars 1306, font droit à toutes les réclamations des habitants à lui présentées par leurs Syndics, per Syndicos universitatis hominum Digne. Ces lettres sont adressées aux officiers royaux de la Curie de Digne, et contiennent les décisions suivantes : Relativement au refus des Juifs de contribuer au paiement des charges communales, ils devront y être tenus, comme tous les autres habitants, au marc le franc de leurs biens, et ce, nonobstant l'invocation d'un prétendu privilége qui ne les dispense que du paiement des tailles royales.
Relativement à la même demande formée contre les Nobles, Robert est moins explicite. Il recommande seulement aux officiers royaux d'examiner attentivement les titres et d'agir conformément au droit. Sur le refus des mêmes Nobles de contribuer aux irais du droit de cavalcade, les officiers royaux devront les obliger à servir personnellement cette prestation que le vassal doit à son Suzerain, s'ils ne veulent pas se soumettre à la transaction consentie par le Comte de Provence, et l'observer scrupuleusement.
Quant au tiers des amendes, pour vente frauduleuse de pain, qui revenait autrefois à la Curie, Robert enjoint aux officiers royaux de respecter à l'avenir cette ordonnance rendue par les habitants de Digne, du consentement et en présence du Bailli qui siégait alors qu'elle avait été rendue.
Il défend également au geôlier de molester les prisonniers et de leur imposer le paiement des 42 deniers qu'il réclame, avant qu'une condamnation ait été encourue par eux. Il recommande enfin à ses officiers de réprimer sévèrement les injustes défenses faites par les Seigneurs voisins de Digne, aux habitants de leurs Châteaux, et de punir rigoureusement ceux qui se le permettront. Les Cominaux en fonctions, qui se trouvaient, cette année là, au nombre de cinq, parmi lesquels devaient se trouver un ou deux habitants qui prenaient ce titre, sans l'avoir, Guigues d'Auribeau, Jean Mayend, Raymond Salvagne, Raymond Austruge, notaire, et Pierre Alberic, se présentèrent le 6 mai 1306, devant le Bailli Isnard de Dauphin , en présence du Juge Jacques de Vastalla, demandèrent acte de cette présentation, et en requirent l'exécution. L'acte de présentation donne la description suivante des lettres royales :
"Scellée du grand sceau rouge rond de Sérénissime Seigneur Robert , premier-né du Roi Très Illustre de Jérusalem et de Sicile, son Viguier général dans son royaume de Jérusalem et de Sicile, et dans ses Comtés de Provence et de Forcalquier; d'un côté dudit sceau était l'image d'un Noble armé, assis sur un cheval couvert d'un tapis parsemé de lys, ayant son casque sur la tête, son épée dans sa main, » et à son bras gauche une espèce de bouclier ; on y lisait aussi : sigillum roberti primo GEN1TI 1LLUSTRISSIMI JERUSALEM ET SICILIE REGIS.
De l'autre côté était un drapeau Provençal, dans lequel était représenté un bouclier semé de fleurs de lys, et ensuite on lisait les mots suivants : sigillum parvum roberti ducis CALABRIE." Cet acte de présentation nous monlre tous les Cominaux de 1306 en action, remplaçant les Syndics qui avaient obtenu de Robert des lettres si importantes pour la communauté. Nous y trouvons encore Guigues d'Auribeau qui est présent partout et qui devait exercer les fonctions de premier Cominal.
Voilà donc les Cominaux qui remplissent les fonctions de Syndics toutes les fois que la qualité de Syndic ne devient pas obligatoire. Il en résulte la preuve certaine que c'étaient eux qui dès lors prenaient en mains la haute direction des affaires, et cet heureux résultat était dû au zèle et à l'intelligence des habitants qui, pendant cette époque, avaient été chargés du Cominalat.
L'année suivante, Charles II, obéissant en cela aux inspirations de Philippe-le-Bel, et du Pape Clément V, qui avait été couronné Pape, le 1 2 novembre 1305, et n'était pas encore venu cependant s'installer à Avignon, où il devait transporter la chaire de S t. Pierre, et peut-être aussi un peu par le désir d'accroître son domaine, fit arrêter tous les Chevaliers de l'ordre du Temple, qui se trouvaient en Provence, et les fit conduire dans les Châteaux de Meyrargues et de Pertuis. Parmi les Chevaliers détenus à Meyrargues, nous avons remarqué le nom de Fr. Hugues de St. -Jean, chapelain du bailliage de Digne. Où étaient, dans le bailliage de Digne, les possessions des Chevaliers du Temple? c'est ce que jusqu'ici il nous a été impossible de découvrir.
Le 16 mars 1308, Charles II fit son testament à Marseille, dans lequel il institua Robert, son secon fils, héritier de tous ses Etats. Il mourut le 5 mai 1309. Dans les dernières années de son règne, Charles II avait fait quelques changements dans l'administration de son Comté de Provence. Il avait créé deux Sénéchaux, dont l'un avait son siége à Forcalquier, et comprenait dans son ressort, la vallée de Cornillon, les bailliages de Sisteron et de Digne, la viguerie de Forcalquier, la ville d'Avignon, les bailliages d'Apt et de Pertuis, la viguerie de Tarascon, la ville d'Arles, le bailliage de Notre-Dame de la mer, près d'Arles; et l'autre, dont le siége était à Aix, et comprenait dans son ressort la viguerie d'Aix, la ville de Marseille; les vigueries d'Hyères, de Draguignan et de Grasse, la ville de Nice, et les bailliages de Toulon, de St-Maximin, de Brignoles , de Vintimille, du Puget le Théniers, de Castellane et de Moustiers. Division presque complètement calquée sur l'ancienne division romaine, sauf quelques changements introduits par la féodalité. Avant de finir, nous devons dire quelques mots de l'organisation administrative et judiciaire sous Charles II.
Pour l'administration, il y avait les deux Sénechaux dont nous venons de parler. Ensuite il y avait à Aix un procureur et un avocat investis des titres de procureur royal et avocat royal , et assistés d'officiers royaux chargés de la vérification des comptes de tous les comptables, qui étaient désignés sous le nom de Maîtres Rationnaux. Il y avait de plus un trésorier royal, chargé de la perception des droits du Roi sur toute la Provence.
Sous le rapport judiciaire, il y avait le Juge organisation des premières appellations, chargé de juger en appel les sentences rendues par les Juges des divers bailliages de Provence. Il y avait encore un autre degré d'appel, c'était celui qui se portait devant le Juge Mage. II y avait en outre le Conseil royal, composé du grand Sénéchal, et de Conseillers éminents qui avaient le titre de Conseillers royaux. Nous avons dans nos archives un exemple d'une décision rendue par ce Conseil royal, en 1268, composé du Grand-Sénéchal, des Êvêques d'Aix et d'Arles, Vice-Dominis et Bertrand, d'Alain, Évêque de Sisteron, de Robert de Lavène , professeur de droit civil, et de Guillaume de Villeneuve, jurisconsulte.
Nous aurons, d'ailleurs, dans notre seconde époqu e, à suivre les diverses phases d'un long procès intéressant la communauté de Digne, qui épuisa tous les degrés de juridiction, et se termina cependant par une sentence arbitrale. Nous voilà parvenus à la fin de notre première époque. Il ne nous reste qu'à résumer, aussi rapidement que possible, les progrès du Cominalat depuis son institution.
Le Cominalat a été établi dans la ville de Digne en 1260, et l'acte contenant son institution nous a fait connaitre d' une manière assez precise, la spécialité de leurs fonctions. De 1260 jusqu'en 1268, il ne nous reste aucune trace de leur existence, nos archives à cet égard sont muettes. En 1268, nous trouvons les Cominaux, qui assistent à la sentence du grand Sénéchal de Provence, rendue par le Conseil royal, à Marseille ; mais leur nombre de six prouve que les Cominaux n'avaient suivi ce procès que comme simples habitants de la cité de Digne, et parce que, peut-être, la question qui s'agitait les intéressait plus particulièrement.
Mais pendant toute cette époque , et jusqu'en 1290, nous ne trouvons dans tous les actes de nos archives que des Syndics, qui agissent au nom de la communauté, dont ils sont les représentants, dans les cas où ils ont reçu pour cela les pouvoirs nécessaires. Nous ne pouvons donc rien dire du Cominalat, pendant cette première période , mais nous n'en voyons pas moins dans la seconde période de notre première époque, toute l'importance qu'acquit peu à peu cette institution, qui se trouvait dans un si grand nombre de communes Provençales, et qui partout suivit à peu près la même marche, et se développa insensiblement comme dans notre cité.
L'acte des autorisations données par le Bailli en 1290, nous en donne l'explication. Depuis dix ans, l'apathie des Cominaux nommés avait été si grande, leur insouciance si extraordinaire, que tous ces fonctionnaires, qui avaient été chargés de retirer les tailles de la cité de Digne, n'avaient pas encore pu se décider à rendre leurs comptes, de telle sorte qu'on n'était pas plus avancé qu'avant l'institution du Cominalat, et cette négligence dût alors exciter des plaintes qui éclatèrent vivement au sein des confréries. Quelques hommes intelligents et patriotes dûrent faire comprendre à leurs concitoyens, dans ces assemblées intimes où ils pouvaient parler librement, combien le Cominalat pourrait faire de bien, si les Cominaux élus se consacraient à leurs fonctions et prenaient en même temps la direction des affaires de la cité. Leur voix trouva de l'écho, et c'est depuis cette année que nous voyons le Cominalat s'organiser sérieusement.
Les promoteurs de ces idées dûrent être élus Cominaux par acclamation, et on dût s'en rapporter à eux, pour régulariser l'administration de la cité. Ils s'adjoignirent eux-mêmes pour conseillers les principaux chefs de famille, avec lesquels ils devaient examiner de concert les affaires de la communauté. On limita d'abord à sept, le nombre de ces Conseillers, mais à mesure que les besoins seront mieux compris ce nombre s'accroîtra progressivement. On conviendra sans peine que ce fut une idée lumineuse, et qu'elle dût empêcher pour l'avenir ce qui s'était passé à Digne pendant les trente premières années de l'institution du Cominalat. Aussi, dès ce moment, l'activité des Cominaux se manifeste de jour en jour davantage, et vers la fin du xiii siècle, il devient, évident, à leur présence continuelle dans tous les actes qui intéressent la cité , qu'ils ont compris la mission dont ils sont investis, et qu'ils acceptent la charge qui leur est imposée pour le bien de la communauté.
Ainsi, en 1298 et 1299, nous voyons les Cominaux se donner autant de mouvement et faire tout autant de démarches que les Syndics chargés d'un pouvoir légal pour représenter la cité.
A peine les Syndics ont-ils amené une affaire au point où leur intervention n'est plus nécessaire, que les Cominaux s'en emparent et la mènent à bonnes fins. C'est ce que nous voyons se réaliser pour l'obtention du privilége du vin : lorsqu'il ne s'agit plus que de solliciter l'Évêque, le Prévôt, le Chapitre; lorsqu'il faut régler avec les Consuls du Bourg, ce sont eux qui sont chargés de ces soins, parce qu'en 1290, on avait senti la nécessité de les choisir exclusivement pour diriger les affaires de la cité. Plus tard, lorsqu'il s'agit de la réforme des poids employés dans le commerce, qui donnent lieu aux plaintes des habitants, ce sont encore les Cominaux qui l'exécutent. Enfin en 1306, après que les Syndics de la communauté ont obtenu de la justice et de la bienveillance de Robert, Duc de Calabre, fils du Comte Charles II, institué par lui son Viguier général en Provence, ces lettres du 19 mars si favorables à la cité, ce sont les Cominaux qui en font la présentation au Bailli, pour en assurer et en poursuivre l'exécution.
Un grand pas a donc été fait pendant cette première époque, et si le Cominalat a langui pendant les trente premières années de sa création, si les hommes qui en avaient été chargés, n'avaient pas compris l'importance des fonctions qui leur étaient confiées, n'en avaient tiré aucun parti, et n'avaient fait que le triste métier d'exaeteurs, le sentiment patriotique qui s'était réveillé, qui avait fait battre le coeur des hommes intelligents de la cité, avait à la fin de cette première époque noblement et fructueusement réparé le mal. La seconde époque, nous le promettons, sera plus intéressante que la première; car nous aurons au Cominalat des hommes pénétrés de leurs devoirs, et agissant avec une énergie et une activité vraiment prodigieuses.

ROBERT D'ANJOU.

1309 - l343.

Avènement de Robert. — Hommage de l'Évêque Raynauld Hommage des Syndics des communautés. — Hommage des Nobles. — Le Roi Robert à Digne. — Les Juifs. — Auditeurs des comptes des Cominaux. —Gardes de nuit.— Privilège de ne contribuer qu'à Digne.— Couvent des Cordeliers. — Subside volontaire. — Chemin de Digne à Marcoux. — Statut de
l'Église de Digne.—Emprunt de la communauté.—Lutte contre les Nobles. — Lutte contre les Seigneurs des Sièyes et de Courbons. — Lutte contre le péager de Mezel. — Lettres de Robert. — Protestation contre une cavalcade requise par le Bailli. — Hommage prêté à Charles, fils de Robert.— Lettres de Robert. — Lutte contre les Nobles. — Élection de Cominaux. — Procès de Bérard Carton. — Lettre de Robert. — Règlement de Robert pour la Curie. — Procès Carton. — Lettre de Robert. — Sentence contre les habitants de Courbons. — L'Évêque Guillaume de Sabran. — Vie Statut de l'Église.— Hommage requis par G. de Sabran. — Pont de Bléone. — Lettres de Robert.— Fin du procès Carton.—Sentence arbitrale entre les Seigneurs des Sièyes et leurs tenants. — Délibération des chefs de famille. — Concile Provincial d'Avignon. — Franchise de péage au temps des foires. — Nouvelle lutte contre les Nobles. — Procès contre les Seigneurs de Gaubert. — Visite à Digne du Sénéchal d'Aigucs-Blanches. — Hommage de Jacques Aperioculos.
— Jean Bayssan , Clavaire. — Hommage aux princesses Jeanne et Marie. — Enquête de Léopard de Fulginet. — Raimond Niel , Clavaire. — Lettre du Sénéchal Phil. do Sanguinet, — Nouvelle lutte contre les Seigneurs des Sièyes. — Lettre du Sénéchal du Philippe de Sanguiuet. — Le Prévôt. - Seigneur du Bourg Philippe de Sanguinct à Digne. — Quatre lettres de
lui Robert revient d'Italie en Provence. — Sentence du Juge de Digne dans un procès pour le privilège du vin. — Procès contre le Receveur des cosses et de
s leydes. — L'Évèque Elzéard de Villeneuve. — . Statut de l'Église. .— Parlement public. — Divers actes d'administration intérieure du Château. — Autre parlement public provoqué par la communauté. — Le Bailliage de Digne rctréci dans sa circonscription Procès Sur le ban des vignes des Sièyes et de Courbons. — Le Château d'Oise obligé à contribuer au pont de Bléone. — Hommage requis par l'Évèque. — Nouveau procès contre les Seigneurs des Sièyes et de Courbons. — Mort de Robert. — Résumé des progrès du Cominalat pendant cette deuxième époque.

Dès que Robert connut la mort de son père, le Comte Charles II, il s'empressa de se rendre à Avignon, pour combattre, auprès du Pape Clément V, les tentatives de Carobert, Roi de Hongrie, qui réclamait la succession des Deux Siciles et des Comtés de Provence et de Forcalquier. Il trouva le Souverain Pontife parfaitement disposé à son égard, il reçut de lui le royaume de Naples, et fut couronné à Avignon, le premier dimanche du mois d'août 1309. Clément V lui fit, en outre, remise de la somme énorme de trois cents mille onces d'or que Charles II lui devait.
Une fois assuré de son pouvoir, il songea à obtenir dans toute l'étendue de ses Comtés de Provence et de Forcalquier, l'hommage des Nobles et des communautés. Son Sénéchal Reynaud de Lecto écrivit à tous les Seigneurs de Provence, et donna l'ordre à tous les Officiers royaux des divers bailliages, de faire élire des Syndics par les communautés, pour être représentées et pouvoir prêter l'hommage dû au Roi Robert. Il fut considérable le nombre des Nobles du bailliage de Digne, qui prêtèrent cet hommage.
Il ne sera pas inutile de passer rapidement en revue les actes qui nous en sont restés, et qui se trouvent consignés dans les archives de la Cour des Comptes, à Marseille.
Le premier hommage prêté, le 3 décembre Hommtge 1309, à Aix, entre les mains du Roi Robert, lui-même, fut celui de notre Évêque, Raynauld Porcellet, le plus riche Seigneur du bailliage de Digne. L'acte qui renferme cet hommage contient une particularité qu'il est bon de signaler. Raynauld Porcellet est d'abord mentionné comme présent en tête de l'acte, avec l'Évêque et le Prévôt de Toulon, l'abbé du monastère de Mont-Majour, et l'Évêque de Marseille, et il est là, placé le premier, comme s'il était considéré par le Prince, comme le Seigneur le plus puissant parmi ses collègues. Mais ensuite, dans la mention des hommages, prêtés par les Prélats qui comparaissent, celui de Raynaud Porcellet est complètement passé sous silence. Ce n'est que par un autre acte , ajouté à la suite du premier, en date du même jour, que l'Évêque de Digne prête enfin son hommage, avec l'abbé du Thoronet.
Notre Prélat prêté serment d'hommage et de fidélité au Roi Robert, pour toute la terre qu'il possède dans l'étendue des Comtés de Provence et de Forcalquier, sous la réserve expresse de tous les pactes et de toutes les conventions que ses prédécesseurs ont passées avec les prédécesseurs dudit Roi Robert, n'entendant y renoncer, ni tacitement, ni expressément.
Cette omission du notaire est-elle simplement une inattention ou une faute de sa part, ou l'Évêque de Digne ne consentit-il à prêter hommage que lorsqu'on fut d'accord sur la formule? C'est une question qu'il est à peu près impossible de résoudre d'une manière certaine, et nous croyons devoir nous abstenir de toute interprétation hasardée.
Le 18 décembre, l'hommage fut prêté par les Syndics des divers lieux du bailliage de Digne, parmi lesquels figurent , pour la communauté de Digne, Pierre Cavalier et Guigues d'Auribeau, que nous avons vus déjà Cominaux du Château, et qui sont ici investis de la qualité de Syndics, preuve certaine de l'influence qu'ils exerçaient sur leurs concitoyens, de leur zèle et de leur dévouement aux intérêts de leur pays.
Les Syndics des autres châteaux étaient : G. Rigot et G. Isnard de Mezel; M. Rostang et Isn. Gros des Mées; G. Roman de Lambruisse; Isn. Raimbaud de Prads; G. Mouton de Mariaud; R. Ripert de la Javie et de Ste-Colombe; P. Bertrand et Et. Gavarron d'Oise; A. Rostang des Dourbes; P.Tardivi et Et. Michel du Chaftaut, B. Pernoze de Lambert; plus les Syndics de Beauvczer, de Villefranche , de Barrême et de Colmars.
Cet hommage fut prêté entre les mains du Sénéchal Reynaud de Lecto, fondé de pouvoirs du Roi Robert. Il existe encore, outre ces deux hommages, quatre autres actes semblables, en date du 19 décembre, dont trois contiennent des hommages prêtés entre les mains du même Sénéchal Rey naud de Lecto, dans lesquels on trouve toute la noblesse du bailliage de Digne, à cette époque. Il n'y a guères d'inléressant pour notre sujet que les noms des Seigneurs qui habitaient la ville de Digne ou ses environs , et qui pouvaient ainsi se trouver en contact ou en relations avec nos pères , et ce sera sur ceux-là seulement que nous appellerons l'attention.
En première ligne , nous trouvons la famille Aperioculos (1), qui se composait, en 1309, de quatre membres, tous frères, désignés sous les noms de Jacomin , Perceval, Guido et Boniface, possédant en commun la Seigneurie de Sparron, et de nombreux domaines dans les Châteaux de Volonne, des Dourbes, d'Entrages, de Trevans, de la Robine et d'Ainac, tous Châteaux voisins

(1) Le nom de l'ancienne famille de Dubreuil est composé de ces deux mots dubre ou duébre et ueil, qui sont deux mots en langue Provençale qui signifient : ouvre l'oeil. De là vient que cette famille est nommée dans les contrats latins Aperioculos
Robert, Nob. de Provence.

Boniface devait être l'aîné, car nous le voyons seul Seigneur de Verdaches, et il possédait des domaines particuliers, à la Robine et à Ainac. La famille des Aperioculos était puissante à Digne , nous la verrons lutter quelque temps contre la communauté ; mais peu d'années se passeront, sans que ses membres ne se rallient à elle, et ne s'en déclarent les plus ardents défenseurs. Un Aperioculos se trouve compris au nombre de nos derniers Cominaux, et il a été, sans doute, un de ceux qui ont sollicité et obtenu de Marie de Blois, femme de Charles 1er, de la seconde maison d'Anjou, et mère de Charles II, la concession du Syndicat , en 1385, et la transformation complète du Cominalat, en un véritable pouvoir municipal.
Rostang, Seigneur d'Entrages, devait être aussi un habitant de Digne. Il possédait des domaines non seulement à Entrages, mais encore aux Dourbes et à Aiglun, et il prêtait aussi hommage, comme tuteur de Béatrifeste, fille de Noble Bertrand de St.-Dompnin , un des frères sans doute du médecin de Charles II , qui avait pour domaine, à Digne, la bastide des Bains. Les deux frères Malsang, Isnard et Bertrand, avaient également une Seigneurie à Entrages. Ils durent finir par habiter Digne, car leur nom, comme celui des Rostang se trouve souvent cité dans les actes de la communauté. Nous mentionnerons encore Boniface Mercadier, qui avait des terres seigneuriales, à Digne, à Chaudon, à Lauzière et à la Javie, et devait être un descendant de Pierre Mercadier, qui avait terminé, avec le Comte de Provence et l'Évêque de Digne, la transaction de 1260. Nous devons encore citer Raymond de Sparron, qui avait un domaine dans le territoire de Digne, les deux tiers du Château du Poil, et des domaines à Estoublon, Bellegarde, Esparron, Chaudon et Creisset.
Nous retrouverons d'ailleurs presque toutes ces familles dans la suite des faits que nous aurons à exposer, et il nous suffira de dire que le premier acte seul contient un très grand nombre de Seigneurs des Châteaux avoisinant la cité de Digne, tels que : les Sièyes, Gaubert, Courbons, le Chaffaut, Aiglun, les Dourbes, Chaudon, Thoard, Bedejun, et autres lieux ; et lorsque, après avoir parcouru les chartes du xive siècle, on lit dans cet hommage, les noms de Raymond de Barras, de Barras d'Auribeau, de Dosol de Gaubert , de François de Marcoux , de Bertrand Salvage, jurisconsulte, de Guillaume et Olivier des Dourbes, on est tout porté à les comprendre parmi les habitants de notre cité.
Le Prévôt et les Chanoines de Digne, prêtèrent eux aussi leur hommage ; le Prévôt pour son domaine du Bourg, et les Chanoines de Digne , au nombre de huit, pour leurs prébendes de Lauzière, de St. André, de la Roche, des Dourbes, de Roquebrune, d'Archail et de Barles. Le Prieur de Faille-Feu prêta son hommage , tout seul, entre les mains du Roi Robert. Lorsque Robert eut obtenu les hommages de Robert à oigne, tous les Seigneurs et de toutes les communautés de son Comté de Provence, il fit ses préparatifs de départ pour l'Italie où de graves intérêts l'appelaient. Il partit dans les premiers jours du mois de juin 1310, dit Papon, et il dût y descendre, par la vallée de la Stura , route la plus courte et alors très fréquentée, à cause des nombreuses relations de la Provence avec le Piémont. Et ce qui le prouve et l'établit d'une manière à peu près certaine, c'est une lettre de lui, datée de Digne, du 28 mai 1310, et adressée au Viguier et aux Juges de la ville d'Aix.
Le passage de Robert à Digne dût ranimer encore le zèle des Cominaux, car ce Prince dût leur faire beaucoup de promesses , et plus d'une concession verbale. Il dût approuver le parti qu'ils avaient pris de diriger l'administration du Château, et les assurer qu'il leur prêterait , dans toutes les circonstances difficiles, son assistance et son appui. Aussi verrons-nous bientôt les Cominaux se charger exclusivement de l'administration du Château. Ainsi, dès l'année 1311, le 8 novembre, nous trouvons deux Cominaux, Guillaume de Miramont, notaire, et Bertrand d'Entrages, qui, pour assurer l'exécution de la transaction de 1260, viennent en faire une présentation au Bailli Audibert de Barras, assisté des deux autres Officiers royaux, le Juge, Compagnon Ruffi, et le Clavaire, Giraud Chambayron. A peu près vers cette époque , un grand procès se préparait de la part de la communauté de Digne, contre les Juifs qui, sous le règne de Charles II, qui les avait protégés et favorisés, avaient envahi la ville. Leurs prétentions allaient toujours croissant , et , d'un autre côté, ils n'étaient pas fort aimés des habitants du Château. Depuis leur arrivée à Digne, ils refusaient à contribuer aux tailles royales et communales, proportionnellement à la valeur de leurs biens, comme les autres habitants de la communauté. Ils invoquaient pour cela leur traité avec le Comte de Provence, moyennant lequel, par le paiement d'une taille annuelle qu'ils s'étaient engagés à payer à la Curie, ils entendaient être dispensés de toute contribution aux tailles du Château. Cette même année (1311), les Juifs avaient établi des tables pour la vente de la viande qui leur était destinée, dans le marché des Chrétiens, et les habitants étaient indignés d'être obligés de se trouver en contact, tous les jours, avec cette race maudite. Les Juifs leur répondaient qu'ils y avaient été autorisés par les Magistrats de 1311, qui étaient alors Audibert de Barras, Bailli, Compagnon Ruffi, juge, et Giraud Chambayron, Clavaire.
Les habitants se plaignaient aussi de ce que les Juifs se permettaient d'aller avec les Chrétiens se baigner aux bains des eaux minérales. A quoi les Juifs répondaient qu'ils avaient de ce droit une possession constante depuis qu'ils habitaient le Château. Le procès était sur le point d'éclater ; mais il y avait aux fonctions de Cominaux des hommes intelligents, Guillaume d'Auribeau , Bompard Archail et Guillaume Paria, notaire, qui savaient combien les procès entraînent, pour une communauté surtout, de frais et d'embarras. Ils s'efforcèrent d'empêcher que toutes ces questions, qui agitaient la commune, fussent portées devant la justice, et firent proposer à la communauté des Juifs de choisir la voie plus économique d'une sentence arbitrale, au moyen de laquelle chaque partie choisirait un arbitre pour la représenter, et les deux arbitres ainsi nommés pourraient en désigner, eux-mêmes, un troisième, en cas de partage.
Les Juifs acceptèrent ces conditions, et le compromis fut consenti le 10 avril 1312. Jacques Folopmi, et Pierre de Marcoux, l'un et l'autre hommes de loi, furent chargés de cette mission. Le 2 mai, la sentence n'était pas encore prête : ils assemblèrent les parties, et firent prolonger le délai du compromis. Enfin, le 11 mai, ils prononcèrent leur sentence, en présence des habitants de Digne et des principaux Juifs qui étaient intervenus au nom de leur communauté. Les arbitres rendirent une sentence fort sage, de la plus grande équité, qui mit, pour le moment, fin à ces contestations. Nous ne croyons pas devoir ici faire connaître en détail les diverses dispositions de la sentence arbitrale, qui nous arrêteraient trop longtemps, et nous feraient perdre de vue les Cominaux que nous voulons suivre pas à pas. Mais nous devons faire observer qu'ici encore ce furent les Cominaux qui empêchèrent le proces, qui firent consentir un compromis, et qui agirent dans tous les actes qui intervinrent, en leur qualité de représentants de la communauté, quoiqu'ils ne le fussent pas légalement.
Au reste, les Cominaux d'alors étaient des hommes qui comprenaient très bien la sainteté et l'importance des fonctions qu'ils n'acceptaient que par un sentiment de patriotisme et de dévouement. Aussi, après les avoir vus, pendant cette année, occupés à pacifier la ville, et à y ramener l'ordre, nous les trouvons, le 13 du mois de mars, alors que leur charge a fini, rassemblés devant le Bailli et le notaire de la Curie, dans la chapelle de Saint-Michel. Là, devant un certain nombre de chefs de famille, ils requièrent la nomination d'auditeurs de comptes, auxquels ils puissent rendre leurs comptes de gestion, et qui soient investis du pouvoir de les déclarer libres et quittes de la charge qu'ils ont remplie et des sommes qu'ils ont retirées dans l'intérêt de la communauté.
Le Bailli Beraud Vesian, fit droit à leur réquisition, et. les habitants présents élurent pour auditeurs desdits comptes quatre d'entr'eux, Etienne Imbert, Pierre Meynier, Nicholas des Ferrats et François Bocher , ce dernier quoique
absent, pour ouïr et vérifier, de concert avec les Cominaux récemment élus, les comptes des Cominaux sortants, et leur en concéder bonne et valable quittance.
Les Cominaux qui leur succédèrent, dans le courant du mois de mars, qui finissait l'année 1313, furent Pierre Cavalier, Pierre Albéric et André Melve, trois hommes dévoués comme leurs prédécesseurs.
On était dans l'usage, à Digne, de nommer des gardes de nuit, pour veiller à la sûreté publique. C'étaient les Cominaux qui les choisissaient, qui les présentaient au Bailli, qui, de son côté, les autorisait, leur rappelait leurs fonctions et leur faisait prêter serment, sur les saints Évangiles, de bien et fidèlement s'acquitter de leur devoir. Tout simple habitant pouvait en faire autant, mais, depuis que les Cominaux s'étaient chargés des affaires de la cité, c'était toujours eux qui s'occupaient de ces soins. Aussi , le 20 mai 1313, ce sont les deux Cominaux, Pierre Cavalier et Jean Albéric, qui viennent soumettre au Bailli, Beraud Vesian, le choix par eux fait de huit gardes de nuit c'étaient, pour cette année, Hugues Asalguis, Guillaume Aymin, Pierre Pelanque, Guillaume Trébie, Raimond Guirandi, Guillaume Borrelli, Jean Veran, et Isnard Monnet. La circulation sans lumière, la nuit, dans les rues, après le signal donné par la cloche, était sévèrement défendue; nos pères tenaient beaucoup à ce que le repos public ne fût pas troublé pendant la nuit, et les gardes devaient saisir tous ceux qu'ils rencontraient ainsi errants dans les ténèbres, et devaient les arrêter et les conduire immédiatement à la Curie royale.
Nous avons vu, pendant la première époque, priviiége les habitants du Château de Digne , obtenir du Comte Charles II le privilége du vin. Mais il en était un autre, dont ils prétendaient être en possession, depuis un temps immémorial, ce que nous admettons, mais qui commençait à leur être contesté par les Seigneurs des Châteaux voisins. Ce privilége était le droit de ne contribuer, qu'à Digne, au paiement des tailles royales, perçues dans les Châteaux voisins de leur cité, où les habitants possédaient des propriétés.
Cet usage avait dû s'établir au commencement de l'institution des Clavaires. Le Clavaire de Digne était chargé de percevoir tous les revenus royaux du bailliage de Digne. Et comme il lui était plus facile de retirer à Digne, que dans les autres châteaux, les tailles imposées sur ses habitants, ils avaient dû laisser introduire cet usage qui les facilitait dans Taccomplissement de leur charge. D'un autre côté, comme les communautés n'étaient pas encore organisées, les habitants n'avaient jamais compris dans leurs tailles communales, qui étaient à cette époque d'une très minime importance, les habitants de Digne, qui avaient dans leur territoire quelques propriétés.
Mais lorsque ces communautés commencèrent à s'organiser, elles réclamèrent tout naturellement, que les habitants de Digne, propriétaires dans leur territoire, contribuassent proportionnellement à la valeur de leurs biens, aux charges communales. Les habitants du Château de Digne résistèrent et invoquèrent leur possession immémoriale.
C'est vers cette époque qu'ils s'adressèrent au Sénéchal de Provence, Thomas de Marsan, Comte de Squillace, pour faire sanctionner ce privilége dont ils étaient en possession. Thomas de Marsan fit droit à leur demande, et par une lettre datée du 4 juin 1313, il recommanda expressément au Bailli et au Juge de Digne de maintenir les habitants du Château dans la jouissance de ce privilége.
Ce titre, qui sanctionnait les prétentions de nos pères, était le premier qu'ils eussent obtenu de la Cour des Comtes de Provence, et ceux qui l'avaient sollicité en comprenaient toute l'importance. Nous soupçonnons très fort Pierre Cavalier d'avoir fait le voyage d'Aix pour l'obtenir, car nous le trouvons le 12 juin, peu de jours après la date de la lettre, la présentant au Juge de Digne, Guillaume de Montfridi, et en requérant l'exécution.
Maintenant, à quelles conditions ce privilége fut-il ainsi, contre tous les principes du droit naturel, accordé à la cité de Digne? Nos archives nous le disent clairement. Un acte postérieur, du 30 juillet 1315, nous apprend que quelques années auparavant la cité de Digne, sur la demande du Sénéchal Thomas de Marsan, avait fait un don gracieux au Comte de Provence, d'une somme assez importante. Il est évident que ce don gracieux n'était autre chose que le prix de la concession faite par le Sénéchal, car les Comtes de Provence ne se faisaient aucun scrupule d'accorder à prix d'argent ces priviléges des communautés, qui leur créaient des positions toutes exceptionnelles.
Vers la fin de cette même année, Robert confirme la donation faite en 1294, par Charles II, au couvent des Frères-Mineurs ou Cordeliers de Digne, de quatre septiers de sel, à prendre dans les salines royales. En 1315, Raymond de Baux, Comte d'Avelin, e que Papon place seulement en 1285, était Sénéchli de Provence. L'était-il pour la première fois ou pour la seconde, comme Reynaud de Lecto, qui l'était en 1300, et qui le fut de nouveau en 1309? Papon ne le fixe à cette première époque que sur la foi d'un auteur Napolitain, Philibert Campanile, mais il n'établit d'aucune manière certaine l'opinion qu'il avance. Nous , au contraire, nous invoquons une charte de nos archives, dans laquelle nous trouvons des Officiers royaux déjà nommés dans des actes de la même année, et cette charte prouve la certitude de notre assertion (1).

(1) La date de cette charte se trouve confirmée par celle qui la suit. En effet, dans cet acte, qui contient l'enquête à laquelle il fut procédé pour le changement de la route de Marcoux, effectné par Guillaume Imbert, qui est extrait du Livre Dore des archives de Digne, et porte aussi 1a date de 1316, nous retrouvons François de Tnbia, Juge, et si nous n'y voyons pas figurer Guillaume Imbert , comme Bailli, c'est qu'il venait à peine d'être révoqué, et que son successeur, Pierre Amie d'Ayragues, était arrivé à Digne depuis peu de jours, pour rectifier ce qui avait été fait par son prédécesseur, contre le gré des habitants.

Il écrivit aux Officiers royaux de la Curie de Digne, Guillaume Imbert, Bailli, et François de Tabia, Juge, de faire une demande aux habitants du Château de Digne, d'une subvention gracieuse semblable à celle qu'ils avaient accordée quelques années avant, sur la demande du Sénéchal Thomas de Marsan, et ce, pour subvenir aux dépenses extraordinaires auxquelles le Roi Robert avait à pourvoir dans le Piémont.
Sur cette réquisition, les Cominaux de Digne, Pierre Durand, Jacques Boison et François Bocher se présentèrent devant le Bailli et le Juge , dans la Curie royale, et demandèrent acte de la présentation d'une réponse écrite qu'ils étaient chargés, par les habitants du Château, de faire à la demande du Sénéchal. Ils exposent dans cette cédule que des pertes de toute espèce qu'ils ont subies depuis une année, soit par l'intempérie du temps, soit par les incendies qui ont dévoré plusieurs maisons, les ont mis dans l'impossibilité de s'imposer un subside volontaire aussi fort que celui qu'ils avaient consenti antérieurement, et qu'ils ne pourront faire une donation que de cinquante livres, sous les conditions expresses que pareille donation devra être faite par les autres communautés de Provence, et que celle de Digne sera déchargée cette année par le Comte d'Avelin du droit de cavalcade.
Les principaux habitants de Digne, Jacques Aperioculos, Bertrand Salvage, Jacques Folopmi, Guigues d' Auribeau, et Nicholas des Ferrats, assistaient les Cominaux. Le Bailli, Guillaume Imbert, qui depuis quelque temps fatiguait les habitants de ses tracas series, insista vainement, il ne put rien obtenir. Quelques jours après, il fut remplacé dans ses fonctions par Pierre Amie d'Ayragues, sur les plaintes déjà portées contre lui par les Cominaux, pour une mesure qu'il avait ordonnée, malgré toutes les représentations des habitants, et qui avait soulevé contre lui toute la population du Château.
Depuis son entrée en fonctions, il s'était plu.à tracasser les habitants du Château soumis à son administration, par des ordonnances qui n'indiquaient chez lui qu'un esprit étroit et malveillant.
Les habitants avaient eu jusqu'alors l'habitude de suivre, pour monter jusqu'à Seyne, un chemin qui passait à côté de Marcoux, petit village à deux lieues de poste, au nord de Digne, et son emplacement convenait à la fois aux habitants de Marcoux et à ceux de Digne. Il était d'ailleurs plus sec, plus facile et plus court, et on ne comprend pas par quel caprice Guillaume Imbert voulait , contre le gré des populations des deux Châteaux les plus intéressés à la question, en changer l'emplacement. Il avait même poursuivi plusieurs habitants qui avaient résisté, et avait prononcé contr'eux des peines arbitraires. Les Cominaux de Digne crièrent fort contre lui auprès du Sénéchal ; peut-être même dirent-ils à ce puissant magistrat, que leur refus du subside volontaire, le 30 juillet dernier, n'avait été fait qu'en considération des tracasseries du Bailli. Aussi, le Sénéchal, dans les premiers jours du mois d'août, s'empressa-t-il de le révoquer. C'était Pierre Audibert d'Aix, le trésorier royal, qui, dans ce moment-là, était investi des fonctions de Vice-Sénéchal.
Le 20 août, il écrivit à Pierre Amie d'Ayragues, Bailli récemment nommé, et à François de Tabia, Juge de la Curie de Digne, que, sur la plainte qui lui avait été adressée de la part des habitants du Château de Digne, il leur enjoignait de procéder sans retard à une enquête, pour constater si c'était avec justice que Guillaume Imbert eût fait, au chemin de Marcoux, le changement contre lequel les habitants de Digne protestaient, ou si la plainte du Château était fondée, et dans le cas où il résulterait de l'enquête et d'un examen consciencieux des lieux que la réclamation fût fondée, de supprimer le chemin nouvellement fait et de rétablir l'ancien. Dès que cette lettre eut été remise à l'envoyé de la communauté, il s'empressa de revenir à Digne, et dès le lendemain de sa date, le 21 août, les Cominaux Jacques Boison, notaire, Pierre Durand et François Bocher, la présentaient dans la Curie aux Officiers royaux pour en requérir l'exécution. Le Bailli reçut la lettre avec les solennités ordinaires, et donna mission aux Cominaux de faire appeler les témoins qu'ils auraient à faire entendre, pour le 26 août suivant, sur les lieux mêmes.
Les Cominaux s'acquittèrent de leur mission , et on entendit, au jour indiqué, cinquante-huit témoins, qui vinrent affirmer que l'ancien chemin était plus commode, plus sûr et plus court que le nouveau. Sur ces cinquante-huit témoins, il y en avait vingt-sept de Digne, cinq de Marcoux, parmi lesquels se trouvait le Bailli de l'Évêque, sept de Lauzière, trois de Seyne, trois de Draix, le Seigneur de La Roche, quatre de la Javie, sept de Beaujeu et un du Vernet. Le greffier ou plutôt le notaire du Bailli répète deux fois la même déposition sous deux noms différents. Quelquefois il se borne à dire : Dixit ut testis supra, et ne fait qu'ajouter des interrogats spécialement adressés au témoin entendu. D'autres fois enfin , il se borne à dire que les témoins entendus ont fait la même déposition que le précédent. Ainsi, pour Digne, il n'y a que la déposition de Jacques Folopmi qui soit transcrite. Les vingt-six autres témoins entendus après lui sont censés avoir fait la même déposition.
Aussi, le notaire, embarrassé dans ses longues phrases, dit-il quelquefois des choses fort plaisantes, telles que celle-ci , par exemple, que nous ne pouvons nous empêcher de reproduire dans le cours de notre récit, quoique peut-être elle eut été mieux placée dans une note, au bas de la page.
" Noble Lucas de la Roche est interrogé.
" Il répond que pendant l'hiver ce nouveau chemin présente de très grands dangers, et qu'il l'a éprouvé, pendant qu'il exerçait dans le Château de Marcoux les fonctions de Bailli de l'Évê que de Digne." Immédiatement après cette déposition, le notaire reproduit très gravement les dépositions de trois témoins de Draix, en ces termes :
Ils ont dit en tout ce qu'a dit le précédent témoin sur le fait lui-même, cependant ils n'ont pas déclaré qu'ils eussent jamais été dans le Château de Marcoux, Baillis de l'Évêque de Digne. On nous pardonnera, nous l'espérons, cette digression , mais elle servira à faire connaître les notaires de cette époque, et ce sera un trait qui en vaudra bien un autre.
Après avoir entendu cinquante-huit dépositions parfaitement concordantes, la décision du Bailli et du Juge ne pouvait pas être douteuse ; aussi ces deux Magistrats ordonnèrent-ils la destruction des haies qui obstruaient l'ancien chemin, et les réparations nécessaires pour le rendre à son premier état, et décidèrent-ils que tous les voyageurs seraient libres désormais de prendre ce chemin, quand il leur conviendrait. Ils annulent ensuite les peines prononcées par le précédent Bailli contre ceux qui avaient contrevenu à l'ordonnance par lui rendue et leur remettent les peines prononcées contr'eux. Jacques Boison, cominal, s'empresse de réclamer un instrument public, que le notaire lui délivre.
Nous venons de raconter une lutte soutenue par les habitants du Château de Digne, contre un officier royal, contre leur Bailli , lutte dans laquelle ils avaient obtenu une satisfaction complète, de la part même du Sénéchal de Provence. Nous allons examiner maintenant un acte d'un de nos Évêques de cette même année : c'est le Ve Statut de l'Église de Digne, fait par l'Évêque Raynauld Porcellet et son Chapitre, le 22 mars.
Ce Statut contient cinquante-un articles , et présente dans tout son contenu le caractère du siècle où il a été rendu. Pourra-t-on nous croire, lorsque nous dirons que sur cinquante un articles, vingt six sont consacrés à faire prononcer des excommunications contre vingt six sortes de fautes ou plutôt de crimes.
Ainsi, ce Statut inflige l'excommunication à tous les usuriers; à tous les augures, devins ou faux prophètes; aux adultères et à ceux qui contractent un mariage secret ; aux détenteurs des dîmes; à ceux qui s'emparent de bénéfices ou de droits ecclésiastiques ; aux ennemis des libertés de l'Église ; aux avocats des usuriers; 8° à ceux qui maltraitent les serviteurs de l'Évêque ou les personnes attachées à sa maison; à tous les faux témoins ; à ceux qui donnent le conseil de ne pas payer les dîmes; aux enfants qui portent les mains sur leur père ou leur mère; aux tyrans des droits de l'Église; aux persécuteurs de l'Église, auxquels deux articles sont consacrés; à ceux qui protègent les excommuniés; aux Officiers épiscopaux chargés des intérêts de l'Église, et qui permet traient qu'elle fût injuriée ; aux incendiaires ; aux voleurs de grand chemin; à ceux qui reçoivent chez eux des ornements d'Église volés ; aux incestes jusqu'au quatrième degré; aux coupables de sodomie et de bestialité; à ceux qui mangent gras le lundi et le mardi pendant le carême ( le même article contient une défense, pour les bouchers, d'en vendre pendant ces deux jours, durant tout le carême); à celui qui prétendrait exiger des tailles du Clergé; à ceux qui enlèveraient les dîmes ou les transporteraient hors du lieu où elles doivent être payées; aux prêtres qui garderaient chez eux des concubines; à ceux enfin qui n'exécuteraient pas les legs d'un mourant destinés à des fondations ou à toutes autres oeuvres pies.
Les Statuts 19, 20 et 21 sont consacrés à la confession. Tous les prêtres doivent noter ceux qui se confessent, et si le Vendredi-Saint, ceux qui ne se seraient pas confessés dans l'année, se présentaient à l'Église pour le baisement de la Croix, le leur refuser. Tous ceux qui mourront, sans s'être confessés dans l'année, seront privés de la sépulture religieuse. On devra également refuser la communion à tous ceux qui ne seront pas notés. Pour être toujours mieux au courant, on devra faire une note à part de tous ceux qui sont en retard d'une année pour la confession. Le 22e Statut revient sur la défense déjà contenue dans un précédent Statut, défense à tous les Clercs et à tous les Prêtres de porter des armes et de s'en servir. Viennent ensuite divers Statuts, au nombre de dix, contenant divers règlements pour le Clergé. Ainsi, il est défendu aux Clercs de jouer aux dés, de jurer par le nom de Dieu, de la Sainte-Vierge ou des Saints; d'avoir des commères. Il est également défendu aux Prêtres de faire l'usure, de porter un habit emprunté, de porter des vêtements sales, de manquer le Synode, sous peine d'une amende de trois sols.
On recommande aux Clercs d'avoir un sceau ou cachet particulier; aux Prêtres de ne porter que des robes longues, ou soutanes, et aux Chapelains-Curés, de recommander aux fidèles la célébration des dimanches et fêtes, et le paiement des dîmes. Le Statut 37 déclare les Clercs exempts de tailles, quelles qu'elles soient; et c'est après ce statut que vient l'article prononçant l'excommunication contre ceux qui voudraient les y soumettre, article déjà mentionné. L'Évêque et le Chapitre portent cependant la déférence vis-à-vis le Comte de Provence, sa famille et ses grands Sénéchaux, jusqu'à prononcer que cette excommunication ne leur sera pas applicable. Ces trois articles sont une protestation contre les ordres des Comtes de Provence ou des Sénéchaux, qui quelquefois ordonnaient aux Officiers royaux de contraindre les Clercs dans certaines occasions à contribuer aux tailles, et notamment contre la lettre du Sénéchal Reynaud de Lecto, du 1 er mai 1300, qui devait, de loin en loin, être mise à exécution.
Heureusement, pour les habitants, que lorsque c'étaient les Officiers royaux qui contraignaient les Clercs ou les serviteurs de l'Évêque à cette contribution, les foudres de l'excommunication se trouvaient arrêtées, par l'article 39 du présent Statut. Suivent encore quelques Statuts renfermant des règlements pour le Clergé. Les bénéfîciers ne doivent pas prêter de serment , ni bailler à ferme leurs bénéfices sans une permission spéciale de leur Évêque. Chaque Prêtre doit se procurer les Statuts de l'Église. Les Curés doivent prier pour leur l'Évêque. Ils doivent tous avoir une chasuble. Ils ne doivent jamais exiger personnellement les dîmes.
Le 45e Statut accorde dix jours d'indulgences à tous les fidèles qui, à l'instant où les cloches de leur Église sonneront, après les Complies, diront trois Pater et trois Ave. Enfin, les 49e et 50e Statuts sont relatifs aux testaments. Le Statut 49 dit que les testaments qui ne seront pas faits devant un Curé ou un Ecclésiastique ne seront pas valables. L'article 50 dit que si les Notaires ne remplissent pas les formes solennelles dans les testaments qu'ils feront, leurs testaments seront nuls.
Nous ne ferons aucune observation sur ce Statut, mais il offre une peinture trop vraie de l'époque que nous avons à faire connaître, pour ne pas l'avoir reproduit scrupuleusement. Mais nous n'en déplorons pas moins très sincèrement les écarts involontaires, que les passions et les luttes de cette époque faisaient commettre quelquefois à des hommes, qui n'auraient dû laisser sortir de leur bouche que des paroles de grâce et de misé ricorde, dont le retentissement eût eu le même éclat, dans ces temps malheureux, que celles de l'Évangile.
En 1317, les Cominaux furent obligés de recourir à un emprunt. Jean Auger, Olivier Boison, et Durand Autric investis de ces fonctions, n'hésitèrent pas : ils s'adjoignirent quelques-uns des membres de leur Conseil, François Bocher, Hugues de Courbons, Raimond Turrel, Guillaume Mens et Jean Alberic, et par acte public, ils se firent prêter, d'un habitant de la ville, et au nom de la communauté, une somme de 162 gillats d'argent et demi, qu'ils s'obligèrent à rembourser, soumettant à l'exécution de cette obligation leurs biens et leurs personnes, ainsi que les biens de l'université. Cet acte est à la date du 24 juillet. Le parchemin qui contient cet acte est sillonné, comme presque tous les actes d'obligation de cette époque, de nombreuses coupures. C'était l'usage, pendant ce siècle, et tant qu'a duré l'emploi des parchemins : quoique le paiement fût attesté par une quittance écrite ordinairement de la main du Notaire, au dos des actes d'obligation, on recourait toujours à cette solennité symbolique qui donnait une force plus grande à la libération de celui qui était obligé. La quittance de cet acte d'obligation est à la date du 2 février 1320, et faite en Provençal du temps.
Depuis que les Cominaux s'étaient dévoués à l'administration de la communauté, toutes les questions qui l'intéressaient étaient scrupuleusement examinées et soigneusement discutées. Et c'est alors qu'on se demanda pourquoi certains habitants de la ville de Digne qui, dans l'origine avaient bien une terre noble en leur possession, mais qui postérieurement avaient augmenté leur fortune par des acquisitions de terres non privilégiées, pouvaient, sous le prétexte d'une directe insignifiante, invoquer le privilége de la noblesse et se dispenser de contribuer avec les autres habitants au paiement des tailles tant royales que communales ? Si on ne s'opposait pas à un pareil abus, il devait infailliblement arriver que les personnes riches, ayant le bonheur de posséder quelques terres privilégiées sur leur tête, absorberaient peu à peu une très grande partie des terres, qui alors contribuaient à toutes les tailles, et qui s'en trouveraient ainsi dispensées, en passant entre les mains de ces prétendus nobles. Dès qu'on fut bien convaincu de l'absurdité de pareilles prétentions, il fut décidé qu'on poursuivrait les Nobles qui se montreraient récalcitrants.
Les Cominaux, alors en fonctions, dûrent dès lors exposer leurs griefs au grand Sénéchal , et obtenir de lui l'autorisation de nommer des Syndics qui pussent poursuivre la cause de la communauté, car, le 17 novembre de cette année, nous trouvons mentionné l'acte de constitution de Syndics chargés d'exécuter ces poursuites. Ce fut le notaire Guillaume Ripert qui le rédigea. On nomma dix Syndics : Jacques Folopmi, Jean Albéric, Nicholas des Ferrats, Guillaume Jordani, Pierre Durand, André Jordani, Jacques Boison et Pierre Cavalier, Jean Ranulphe et Raimond Salvage (1)

(1) Ces deux derniers Syndics, qui ne sont pas nommés dans l'acte de soumission de Noble Pierre de Marcoux, le sont dans celui du 8 décembre 1317.

Les Syndics dûrent immédiatement agir. Aussi, dès le 8 décembre suivant, trouvons-nous deux des Nobles par eux attaqués, qui reconnaissent la justice des réclamations de la communauté, et s'obligent à contribuer aux tailles, au prorata de leurs biens, avec les autres habitants.
Ces Nobles étaient Pierre Grani , fils de Guigues, et Valence Gautier, fils de Bertrand Gautier d'Entrevennes. Ils s'engagèrent à en passer par l'évaluation, qui serait faite par quatre des Syndics de la communauté, que l'on désigna dans l'acte de soumission. C'étaient Jacques Folopmi, Jean Ranulphe, Nicholas des Ferrats et Guillaume Jordani. Un autre Noble qui avait été également attaqué ne se décida pas aussi promptement. Il voulait résister, et des poursuites dûrent être commencées contre lui. C'était Pierre de Marcoux , fils de Noble Anfosse de Marcoux. Mais il fut effrayé des résultats d'une condamnation qui pourrait être prononcée contre lui, parce que les propriétés privilégiées, dont il comptait exciper, appartenaient à son père, et il aima mieux se soumettre. Sa soumission eut lieu le 6 avril 1318. Pierre Gavalier, Pierre Durand, Nicholas des Ferrais, Jacques Boison et Jacques Folopmi furent investis par lui du pouvoir de faire l'évaluation de ses biens.
Ces soumissions volontaires dûrent ranimer le courage des habitants, et comme les Nobles les plus opulents et les plus riches ne voulaient pas se soumettre, les Syndics ou peut-être les Cominaux s'adressèrent au Comte de Provence pour se plaindre de cette résistance. Le Roi Robert, ensuite de leur demande, adressa d'Avignon, le 11 juillet de la même année, aux Officiers royaux de Digne , une lettre par laquelle, sur la plainte des habitants]de Digne, de ce que beaucoup de leurs concitoyens, possédant des biens meubles ou immeubles dans le territoire de Digne, ne voulaient pas contribuer comme les autres au paiement des tailles, soit royales, soit communales, et que comme il est de toute justice, dans une communauté, que chacun supporte sa part des charges imposées, il leur ordonne de forcer les récalcitrants à contribuer auxdites tailles, à moins que leurs fonds ne fussent des fiefs privilégiés. Il renouvela cette défense, le 15 novembre suivant, en confirmant
cette lettre du 11 juillet précédent. Il paraît, par une seconde lettre du Roi Robert, du 19 novembre suivant4, adressée aux habitants de la cité de Digne, que l'acte fait en 1317, pour la nomination des Syndics, n'était pas régulier, et que les Officiers royaux refusaient dans une affaire aussi grave de prononcer sans la présence de Syndics munis de pouvoirs suffisants pour représenter la communauté.
Les Cominaux s'adressèrent de nouveau au Roi Robert qui, par la lettre dont nous venons de parler les autorisa à nommer des Syndics pour les procès que la communauté avait à poursuivre contre ceux qui refusaient de contribuer aux tailles.
On dût se hâter à Digne de nommer les Syndics nécessaires et de porter la cause devant le Comte de Provence, car 1e 10 décembre de la même année, nous trouvons une dernière lettre du Roi Robert, adressée à son grand Sénéchal, et à tous ses Officiers-Majeurs, dans laquelle, il leur ordonne, ensuite de la plainte portée devant lui au nom des habitants de Digne, contre la famille Aperioculos et d'autres Nobles qui refusaient de contribuer aux tailles imposées sur le Château, et ce, sous le prétexte de leur noblesse, alors qu'ils étaient en possession de biens rôturiers, achetés des hommes du peuple, de les contraindre à contribuer auxdites tailles, comme les autres habitants, à moins qu'ils ne pussent exciper d'un privilége spécial et d'une cause légitime. Cette lettre soumettait la décision à la sentence du Sénéchal et du Juge mage. Nous verrons cette lutte se prolonger encore fort longtemps. Nous en ferons connaître les divers incidents.
Nous n'avons pas voulu suspendre le récit de les tous les faits qui s'étaient passés pendant l'année 1318, dans la lutte contre les Nobles, et nous nous trouvons obligés de revenir un instant sur nos pas, pour ne pas omettre des détails intéressants sur une autre lutte de la communauté contre les Seigneurs de Courbons et des Sièyes.
Le 5 septembre de cette même année, François Bocher et Pierre Cavalier, tout à la fois Cominaux et Syndics de la cité de Digne, s'étaient présentés devant le Juge de la Curie royale, Albert d'Affinel, comme remplissant les fonctions de Bailli, pour requérir de lui la nomination de gardes des vignes des Sièyes et de Courbons, droit dont ils étaient en possession depuis un temps immémorial.
Le Juge était, en ce moment, fort occupé à ses affaires personnelles de Juge, il délégua le Clavaire Guillaume Maurin, pour le suppléer en qualité de vice-Bailli. Les Cominaux Syndics, après avoir demandé un instrument public de cette délégation , se rendent devant le Clavaire, qui, faisant droit à leur réquisition, nomme gardes des vignes des Sièyes et de Courbons, Guillaume de Raban, Guillaume Mataron, Guillaume Aymin et Raimond Guinaud, tous de Digne.
Les gardes prêtent serment et promettent de dénoncer à la Curie tous les contrevenants qu'ils trouveront dans lesdites vignes. Ils durent commencer leur garde, immédiatement après leur nomination, car le moment de la vendage approchait, et les propriétaires devaient être intéressés à ce qu'ils n'y missent pas de retard. Ces gardes n'étaient en fonctions que depuis quinze à vingt jours , lorsque les Seigneurs des Sièyes ameutèrent contr'eux les habitants de leur Château, et une grande partie de la population munie de diverses armes, vint se ruer sur eux et les obligea à fuir. Raimond Guinaud, l'un des gardes, fut saisi et traîné en prison, et on le dépouilla des armes qu'il était autorisé à porter. Dès que les Cominaux eurent appris cette violence, ils se rendirent devant le Juge , Alberic d'Affinel , et là , Boniface Salvan et François Bocher, agissant tant en leur qualité de Cominaux, qu'en celle de Syndics de la communauté de Digne, présentèrent à ce magistrat une cédule dans laquelle ils exposaient leurs griefs. Ils mentionnent dans cette cédule les motifs pour lesquels, en 1281, le Bailli Guillaume de Reynier les autorisa à établir des gardes pour leurs vignes, qui étaient constamment dévastées par les habitants du Château des Sièyes , que le Bailli du Seigneur ménageait.
Ils rappellent les diverses circonstances dans lesquelles ces Seigneurs, après s'être opposés à l'établissement de ces gardes, ont été condamnés à respecter les droits des habitants de Digne. Ils invoquent leur possession qui remonte d'après des titres authentiques au moins à trente-huit ans, et observent respectueusement que c'est autant dans l'intérêt de la Curie royale, qui perçoit les bans en résultant, que pour leur propre intérêt, qu'ils demandent justice et une punition exemplaire contre les auteurs d'un pareil méfait, la mise en liberté du garde emprisonné, et la restitution des armes qui lui ont été enlevées.
Le Juge de Digne leur concéda acte de la présentation de leur cédule. Le procès fut ensuite porté devant le Sénéchal de Provence. Jean Baude, qui était alors Sénéchal, accueillit favorablement la réclamation des habitants de Digne, et le 24 janvier, il écrivit aux Officiers royaux du Château qu'il leur enjoignait de maintenir les habitants de Digne dans les droits que leur assurait une légitime possession, de prononcer des peines contre les auteurs des violences dont les Syndics de la communauté s'étaient plaints, et que s'ils croyaient que les Seigneurs fussent les instigateurs de ces violences, ils procédassent à une enquête pour leur imposer une peine que la justice réclamait. Ce ne fut que le huit mars suivant que Pierre Cavalier et François Bocher présentèrent cette lettre au Juge de Digne.
Cette année 1318 nous montre la communauté de Digne luttant énergiquement contre tous ceux qui attaquent ses priviléges. Ainsi, pendant qu'elle poursuivait les Nobles de son intérieur qui ne voulaient pas contribuer au paiement des tailles, pendant qu'elle résistait aux violences des Seigneurs voisins, elle poursuivait encore ses droits contre le péager du Seigneur de Mezel, qui, malgré la sentence du Juge de Digne rendue en 1299, à laquelle il avait promis de se conformer, était revenu à ses anciennes prétentions, et faisait saisir les marchandises de quelques habitants de Digne, qui, revenant de Malijai, n'avaient pas traversé le territoire de Gaubert.
Les Cominaux s'adressèrent de nouveau au Sénéchal Jean Baude, qui, deux jours après la date de la lettre que nous avons mentionnée ci-dessus, le 26 janvier 1318, écrivit de nouveau aux Officiers de la Curie de Digne, pour leur recommander de ne jamais tolérer qu'un droit appartenant légitimement aux habitants, et sanctionné par une longue possession, fût attaqué par personne. En présence de tant de tracasseries, et quand le calme fut un peu rétabli, dans les premiers mois de 1319, les Cominaux, toujours en garde contre les rivaux de la communauté, craignirent qu'on ne leur soulevât de nouvelles difficultés, pour l'exercice du privilége, si avantageux pour les habitants, de ne contribuer qu'à Digne, aux tailles imposées pour leurs propriétés, sises dans les Châteaux du voisinage.
Ils avaient bien obtenu déjà un titre du Sénéchal Thomas de Marsan; mais une confirmation de leur Roi Robert, aurait eu à leurs yeux une bien plus grande force. Ils n'hésitèrent pas à recourir au Comte de Provence, qui déjà leur avait donné plus d'une fois des témoignages de bienveillance, et Robert leur accorda cette confirmation, par lettres du 26 juillet 1319. Les Cominaux ne voulurent cependant pas les rendre publiques immédiatement. Ils préférèrent attendre qu'elles pussent leur être utiles dans un procès, et elles ne furent présentées au Juge Rostang de Meyronnes, que le 8 juillet 1322, pour le succès du procès Carton, dont il sera bientôt question.
La même année, les habitants s'adressèrent encore au Roi Robert, pour se plaindre des Officiers royaux, qui abusaient de l'application d'un ban qui punissait les habitants jetant dans les rues des ordures ou de l'eau corrompue, en condamnant à la même peine ceux qui se bornaient à jeter de l'eau propre pour répandre de la fraîcheur dans la rue. Robert fit encore droit à cette requête, et par une lettre du 20 novembre 1319, il enjoignit aux Sous-Viguiers de Digne de ne plus faire une pareille application du ban.
Robert était parvenu en ce moment à son plus haut degre de puissance en Italie. Le successeur du Pape Clement V, Jean XXII, Français d'origine et résidant à Avignon, le soutenait de toutes ses forces. Aussi, le pouvoir de Robert s'étendait sur le royaume de Naples, sur Rome et son territoire, sur la Lombardie, le Piémont, la Toscane et jusque sur la Ligurie, dont la ville de Gênes, dominée par les Guelphes, s'était livrée à lui pour dix ans.
Les Gibelins à la vérité s'émurent à cette nouvelle. Frédéric, Roi de Sicile, et Visconti, Comte de Milan, vinrent assiéger Robert dans sa nouvelle ville de Gênes, siége qui ne dura pas moins de cinq ans. Robert soutint lui-même le siége, pendant la première année, mais ses intérêts l'appelant en Provence, il confia sa défense à ses grands Officiers, et repassa les monts vers le commencement de l'année 1318, pour revoir le Souverain Pontife, avec lequel il avait à s'entendre sur des points importants (1).

(1) Nous avons trouvé dans les archives de Digne une lettre, sans nom, et sans autre date, que celle du 15 mars et de l'indiction, qui annonce que l'armée royale doit venir séjourner à Digne, et recommande aux habitants de faire tous les approvisionnements nécessaires. Les historiens de Provence ne disent rien qui ait pu nous fixer là-dessus. A cette époque des guerres d'Italie, notre modeste cité avait peut-être beaucoup plus d'importance qu'aujourd'hui.

Sa première lettre de cette année, écrite aux Officiers royaux de la Curie de Digne, est à la date du 11 juillet, et c'est d'Avignon qu'elle leur fut adressée. Vers cette même époque, Jean XXII l'éleva à la dignité de Vicaire-Général en Italie. Mais, pour soutenir cette haute position, il était obligé de doubler la force de ses armées, et la Provence se vit écrasée à cette époque par les levées d'hommes qu'il y fit.
A Digne, le 27 février 1319, le Bailli avait fait faire une criée, au nom du Comte de Provence, portant que tous les Nobles et toutes les communautés du Bailliage de Digne tenues envers le Roi au service des Cavalcades, devaient, dès le lendemain, exécuter leurs obligations et faire la montre, devant le Bailli, facere monstram, c'est-à-dire fournir le nombre d'hommes et de chevaux auquel chacun était tenu, sous peine d'une très forte amende. Le nombre d'hommes fixé pour Digne l'avait été arbitrairement. Les Cominaux de la ville de Digne, Jean Albéric, Bertrand Celat et André Melve, et les Consuls du Bourg, Jean Arnaud et David Isnard, furent surpris d'une pareille criée : après en avoir délibéré avec les habitants les plus influents, ils se rendirent tous à la Curie , et là, entre les mains du Juge Jean de Quincia, et du Clavaire Niel Riqui, suppléant le Bailli, les Cominaux et les Consuls réunis déclarèrent, que le Château et le Bourg de Digne n'étaient tenus de faire montre, pour le service des Cavalcades, que jusqu'à un nombre déterminé d'hommes, et dans des cas spécialement déterminés par les anciens priviléges du Château et du Bourg, qu'en conséquence ils protestaient contre ladite criée, déclarant être prêts à faire la montre, telle qu'elle était établie dans leurs anciens priviléges : que si les Officiers royaux veulent l'accepter à cette condition , ils s'exécuteront au jour fixé par la criée ; demandant acte, si les Officiers royaux refusent, de ce qu'on ne pourra pas leur reprocher de n'avoir pas obéi aux ordres de la Curie , parce que le Château et le Bourg se trouveraient lésés dans leurs droits et leurs priviléges, s'ils se conformaient à la criée des Officiers royaux , criée
contre laquelle ils entendent émettre appel, soit devant le Juge des premières appellations, soit devant le Roi Robert lui-même ou tel Juge qu'il lui plaira commettre, requérant le Juge de la Curie, de leur délivrer des lettres dimissoires, avec protestation solennelle que, s'il ne veut pas les leur délivrer, ils n'en poursuivront pas moins leur appel. Les Officiers ne voulurent pas prononcer , et les Consuls du Bourg demandèrent un acte public de cet appel. Les Cominaux du Château et les Consuls du Bourg s'adressèrent au Roi Robert lui-même, protestèrent de leur dévouement dont les habitants de leur cité lui avaient déjà donné tant de preuves, et lui offrirent un don volontaire en argent, pour être dispensés de ce service personnel. Robert, qui avait autant besoin d'argent que d'hommes, y consentit volontiers, et par sa lettre du 16 décembre 1320 , se félicitant de la générosité gracieuse des habitants de Digne, il écrit à ses Officiers royaux, qu'il a fait remise auxdits habitants du service de la cavalcade pour la présente année.
Nous devons faire observer aussi, que quoique la cavalcade eût été réclamée le 27 février 1319, la remise de Robert, faite le 16 décembre 1320, avait lieu pour cette cavalcade, car il y a moins d'une année entre les deux époques. Cet appel de la part des Cominaux du Château et des Consuls du Bourg, prouve que les deux parties de la ville commençaient à se rapprocher, et à défendre , en commun , leurs intérêts respectifs. Cette observation n'est pas sans importance, car nous verrons, en 1385, lors de la création du Syndicat , que les deux parties de la ville, se trouvèrent à cette époque réunies en une seule, et que les Syndics nommés remplacèrent les Cominaux du Château et les Consuls du Bourg. Pendant que Robert était en Provence, Charles, Duc de Calabre, son fils, marié depuis quelques années à Catherine d'Autriche, se trouvait en Italie. Robert, pour lui assurer la succession de ses Etats, voulut, de son vivant, lui faire prêter foi et hommage par la Noblesse et les communautés de ses Comtés de Provence et Forcalquier. Les historiens de Provence ne parlent pas de ce fait, dont nous avons trouvé les preuves dans les archives de Digne.
Charles se trouvait à Naples, et il était en Italie chargé des fonctions de Viguier-Général. Il ne pouvait pas se déplacer, et il donna ses pouvoirs à trois de ses plus fidèles serviteurs, par uu acte du premier mars 1320.
Ces fondés de pouvoirs étaient N. Bertrand de Vicecomitibus, et Alfieri d'Ysernie, Maîtres rationaux, et Loffred Filmarin , son Majordome. Ces trois mandataires arrivèrent à Âix, vers le commencement du mois d'avril , et le Roi Robert écrivit d'Avignon à tous les Baillis des deux Comtés de Provence et de Forcalquier, pour faire rassembler les universités, et procéder à la nomination de Syndics qui devraient venir prêter hommage entre les mains de Charles, Duc de Calabre, son fils et son successeur légitime. La lettre de ce Prince adressée au Bailli de Digne, est à la date du 5 avril, à Avignon.
Jean de Quincia, Juge de Digne, qui remplacail le Bailli en ce moment, fit assembler un parlement public , le 16 du mois d'avril.
Dans ce parlement public, les Cominaux André Melve, Bertrand Celat, et Jean Ranulphe, se présentent devant le Juge pour lui déclarer qu'ils sont prêts à exécuter les ordres du Roi Robert. Il dût être fait deux actes ce jour-là, car celui qui constate la présentation des Cominaux ne contient pas la nomination du Syndic, qui cependant, dans sa comparution , affirme que son pouvoir a été reçu le 16 avril par Pierre Boison, le même notaire qui avait dressé le premier acte.
Quoiqu'il en soit, Jacques Boison, Syndic de la communauté de Digne et notaire, se rendit à Aix, et prêta, le 2 mai, entre les mains de Bertrand de Vicecomitibus et de Loffred Filmarin , l'hommage requis par le Roi Robert pour Charles, Duc de Calabre, son fils, sous la réserve que, lorsque Charles prendra l'administration des Comtés de Provence, la communauté de Digne ne sera pas soumise à de plus fortes obligations que celles qui lui ont été imposées jusqu'alors.
Les mandataires de Charles promettent au nom de leur mandant que les priviléges, immunités et coutumes du Château de Digue seront toujours respectés. Inutile de dire que l'hommage fut accompagné de toutes les formes solennelles alors en usage.
Pendant le mois d'avril, sur la demande de la communaute, le Roi Robert avait adressé deux nouvelles lettres à ses Officiers royaux. Dans la première, il leur défendait d'employer le produit des bans, qu'ils retiraient en faisant transiger les parties sans prononcer de jugement, à des réparations à la Curie faites dans leur seul intérêt personnel, fait grave, dont la communauté de Digne s'était plainte à lui. Cette lettre est du 18 avril. Le 21 du même mois, il leur écrivait encore que les notaires de la Curie, lorsqu'ils dressaient un acte denomination de Syndics, souvent dans l'intérêt de la Curie royale qui la provoquait, voulaient obliger la communauté à leur en payer les frais, ce qui était contraire à la justice et à l'équité. C'est pourquoi il leur recommande de veiller à ce que cet abus ne se renouvelle plus. La première de ces lettres fut présentée, le 2 août, au Bailli Galés Gentil, par deux des Cominaux de cette époque, Pierre Albéric et Paul Delmas.
Une lettre du Sénéchal Léon de Riez (de Reggio), nous apprend que les procès contre les Nobles et tous ceux qui refusaient de contribuer aux tailles duraient toujours, car la communauté avait formé une demande de Syndics pour poursuivre les droits de la communauté, et c'est pour leur accorder l'autorisation de se réunir en parlement public que le Sénéchal leur écrit, à la date du 21 mai.
Enfin, nous trouvons sous la date du 21 septembre un acte d'élection des Cominaux, acte important, qui va nous révéler la cause des développements progressifs du Cominalat, et qui fera comprendre que, lorsque les Officiers royaux fermaient les yeux sur les changements faits par les habitants à leur institution, c'est que les Comtes de Provence n'étaient pas fâchés de cette activité des habitants et de l'impulsion que recevait de là leur organisation municipale. Il nous faut d'abord exposer succinctement le mode d'élection adopté à cette époque, et pour cela, il nous suffira de présenter une analyse exacte de cette pièce pleine d'intérêt.
Le 21 septembre 1320, Jean Ranulphe, Berard Celat et André Melve, notaire, autrefois Cominaux de la cité de Digne, comparaissent en présence du Bailli, noble et puissant Boniface d'Allemagne, et de Jacques Folopmi, avocat, faisant fonctions de Juge siégeant, more majorum, devant leur tribunal, et déclarent devant eux que, pendant l'année qui vient de s'écouler, ils avaient tous les trois, et chacun d'eux en particulier, été élus et constitués Cominaux par leurs prédécesseurs, de l'avis et du consentement d'un certain nombre de prud'hommes de la cité, et qu'ils avaient exercé les fonctions qui leur avaient été confiées légalement et fidèlement, suivant le serment qu'ils en avaient prêté.
Or, le délai fixé pour la durée de leurs fonctions étant actuellement expiré, ils déclarent, que de l'avis et du consentement de quelques prud'hommes de la cité de Digne, ils ont choisi et constitué pour Cominaux, trois de leurs concitoyens, prud'hommes comme eux : Hugues de Courbons, Jean Mayenet André Jordani notaire, qui devront remplir la charge qui leur est confiée suivant les usages établis, et exercer les mêmes pouvoirs et la même action que les Cominaux qui les ont précédés. Et c'est pourquoi ils requièrent les Seigneurs Bailli et Vice-Juge, de faire comparaître en la Curie et devant leur tribunal, ces Cominaux ainsi élus par eux, de l'avis et du consentement de quelques prud'hommes de la cité, pour qu'en leur présence, et sur le livre des Évangiles, ils jurent d'exercer bien et fidèlement, pour la plus grande gloire du Roi Robert, et la plus grande utilité et prospérité de la ville, les fonctions du Cominalat, pendant une année comptable de ce jour.
Le Bailli et le Juge déclarent admettre, comme conforme à la raison, la demande et la réquisition desdits Jean Ranulphe, Bertrand Celat, et André Melve, jadis Cominaux de la cité de Digne, et font comparaître devant eux lesdits Hugues de Courbons, Jean Mayen, et André Jordani, notaire, Cominaux nouvellement élus et constitués par leurs prédécesseurs, ainsi qu'il a été dit. Les trois Cominaux sont introduits, et prêtent, suivant l'usage et la formule prescrite, le serment qui leur est déféré.
Immédiatement après la prestation du serment, le Bailli et le Juge, déclarent, en vertu du pouvoir dont ils sont revêtus, qu'ils pourront exercer les fonctions de Cominaux, avec toutes leurs attributions, et ce, tant dans l'intérieur de la cité de Digne, que dans l'étendue de son territoire, en se conformant aux usages anciens, et en s'appuyant des avis et des lumières des conseillers qui seront choisis par les Cominaux sortants. Les Officiers royaux ordonnent encore aux habitants du Château d'obéir auxdits Cominaux dans tout ce qu'ils ordonnent en vertu de leurs fonctions. Et comme c'est un usage établi dans la cité de Digne que les Cominaux aient des conseillers, sur l'avis desquels ils doivent se diriger dans les affaires délicates et qui peuvent présenter des doutes, lesdits Jean Ranulphe, Bertrand Celât et André Melve ont désigné , comme conseillers des Cominaux élus , à l'avis desquels ils devront recourir : Guigues d'Auribeau, Pierre Cavalier, N. Pierre de Marcoux, Pierre Alberic, et François Bocher, prud'hommes de la cité de Digne, qui, eux aussi, ont prêté serment sur les Livres Saints de donner leur avis aux Cominaux, tant que dureront leurs fonctions et toutes les fois qu'ils en seront requis par eux, et cela pour la gloire du Roi Robert, et dans l'intérêt et pour la prospérité de ladite cité.
Les conseillers désignés par les Cominaux récemment nommés, sont : Jacques Boison, Guigues d'Auribeau , qui obtient un double suffrage, Bertrand d'Entrages, Nicholas des Ferrais, Pierre Durand, Guillaume Jourdan , JeanAuger, Guillaume de Miramont , Barthélemi Chalendon , Pierre Turrel, Raymond Turrel, Mathieu Albert et Martin Bertrand. Le Bailli et le Juge confirment ensuite ces diverses nominations.
Les Cominaux récemment nommés en demandent un instrument public, pour leur servir de titre. Cette élection fut faite dans la grande salle de la Curie, en présence du Clavaire, Niel Riqui, du notaire de la Curie , Guillaume Gautier, de Guillaume Passerai, et de Raimond Motet, apothicaire, et de Raimond Paria, notaire. Pierre Boison, notaire, fut le rédacteur de cet acte.
Lorsque cet acte vint à notre connaissance, alors que nous n'avions encore trouvé que les actes d'élection de 1344 et de 1363, nous fumes étrangement surpris. Nous ne pouvions pas nous expliquer alors, comment les formes de ces élections avaient pu varier d'une manière aussi extraordinaire, et nous n'avons eu l'intelligence de ces modifications successives qu'en voyant l'ensemble des faits qui nous montraient la marche du Cominalat.
Mais aujourd'hui, ces variations ne nous étonnent plus, et dans une cité comme Digne, ce n'est qu'à cette condition, que le Cominalat, qui avait à lutter contre un Seigneur tout puissant, a pu se soutenir et acquérir de l'influence. Nous avons vu le Cominalat en action, pendant la première époque. Les Cominaux ne s'occupaient pas des affaires de la cité, ils s'en tenaient à leurs fonctions spéciales, et bien plus, dix années avaient pu s'écouler, sans qu'aucun d'eux songeât à rendre les comptes de ses recettes et de ses dépenses, et sans qu'aucun habitant de Digne songeât à les y forcer.
Mais en 1290, nous avons vu les hommes intelligents se charger de ces fonctions, nous avons vu établir le conseil, qui était formé quelquefois pour les Cominaux , et quelquefois pour les Syndics.
Eh bien, c'est depuis cette époque que la forme des élections dût être changée. On ne voulut plus la confier à la généralité des habitants, dont la plus grande partie restait apathique, et les hommes de patriotisme et de dévouement, crurent qu'en se désignant entr'eux , avec l'assentiment d'un nombre d'habitants suffisant, ils assureraient pour l'avenir le choix d'hommes intelligents et dévoués à leur pays. Ce système produisit les plus heureux résultats, et nous croyons fermement qu'il fut maintenu pendant toute la seconde époque, qui finit à la mort du Roi Robert; car nos archives, jusqu'en 1344, ne nous donnent plus d'acte d'élection different. Cet acte d'élection nous indique d'une manière très précise l'état de l'organisation municipale du Château de Digne, pendant la seconde époque.
Ce sont bien les Cominaux qui ont la direction de l'administration de la cité. Ils sont assistés d'un conseil dont ils doivent prendre l'avis, toutes les fois que des questions ardues doivent être examinées ou discutées. Ce sont les Cominaux eux-mêmes qui choisissent leurs successeurs et qui proposent leur adoption aux membres composant leur conseil, dérogeant en cela aux formes prescrites dans l'acte de 1260, qui voulait que cette élection fût faite par tous les Probi homines du Château. Ce sont encore les Cominaux qui nomment leurs conseillers. Les Cominaux sortants, qui ont eu le temps de connaître et d'apprécier les hommes dont ils étaient entourés, et qui peuvent ainsi choisir les plus capables, en désignent une partie. Les Cominaux nouvellement élus chosissent le nombre de conseillers qu'ils jugent nécessaire, et s'adressent à ceux dont ils connaissent le patriotisme et qui sympathisent avec leurs idées.
Pourtant la position des Cominaux n'est pas changée. Ils ont été autorisés par les Comtes de Provence, et par suite de cet assentiment par les Officiers royaux, à se charger de la direction des affaires de la ville; mais toutes les fois que la communauté doit être légalement représentée, c'est encore, comme dans les temps anciens, aux Syndics qu'elle doit recourir. Seulement, ces Syndics sont désormais assistés, comme les Cominaux, de quelques probi homines qui leur servent de conseillers.
Ces faits ainsi établis, continuons l'examen et l'appréciation de leurs actes, procès C'est en cette même année 1320 que commença un grand procès entre la communauté de Digne et celle de Courbons , sur la grande question du privilége des habitants de Digne, qui prétendaient ne devoir contribuer qu'à leur Château au paiement des tailles, pour leurs propriétés sises à Courbons et dans tous les châteaux voisins. Les habitants de Courbons protestaient contre un pareil abus, et c'est vers cette époque qu'ils se décidèrent à combattre les prétentions du Château de Digne.
Bérard Carton, citoyen de Digne, possédait à Courbons une propriété sise dans le territoire de ce château, au quartier de la Colle, confrontant autre propriété de Jacques Reybaud et chemin public.
Une taille royale qui se percevait annuellement dans cette communauté, pour le paiement des droits d'albergue et de cavalcade, avait été répartie par les Cominaux de Courbons sur tous les possédants biens de cette communauté, et on avait compris dans la répartition les propriétaires habitants du Château de Digne. Bérard Carton , fort de son droit, refusa l'acquittement de cette taille, et invoqua le privilége accordé aux habitants de Digne. Sur le refus fait par Bérard Carton , les Cominaux de Courbons se transportèrent sur sa propriété, au moment où Pierre Carton, fils de Bérard, était venu ramasser un sac de fèves, et lesdits Cominaux le saisirent, malgré ses protestations. Pierre Carton s'empressa de retourner à Digne et d'avertir son père, qui courut aussitôt chez le Juge de Digne, Jean de Quincia, pour se plaindre de la voie de fait dont il venait d'être la victime. Sur cette plainte, le Juge écrivit , le 17 juillet, au Bailli de Courbons , et lui enjoignit d'ordonner aux Cominaux de restituer à Bérard Carton les fèves qu'on lui avait induement saisies. La lettre du Juge ne produisit aucun effet, et Bérard Carton se vit forcé de requérir une assignation contre les Cominaux de Courbons, ce qu'il obtint, le 21 juillet, de Niel Riqui, Clavaire, suppléant le Juge de la Curie.
L'assignation fut donnée pour le 24 juillet. Au jour fixé, les Cominaux de Courbons, Pierre Chauvin et Pierre Hélie comparurent devant le Juge de Digne, suppléé par le Clavaire, et déclarèrent émettre appel de l'ordonnance par lui
rendue, le 17 juillet précédent, comme nulle et de nul effet. Ils refusèrent de se soumettre à sa sentence, et se bornèrent à protester, et à demander un instrument public de la déclaration de leur appel, Bérard Carton, propriétaire intéressé, fut seul en cause dans ce procès, qui ne se termina qu'en 1325; il mourut même dans l'intervalle, et son fils Pierre Carton le continua; mais ce procès était celui de la communauté de Digne, qui le poursuivait elle-même et en payait tous les frais.
C'est une cause curieuse et intéressante, dont nous mentionnerons dans notre Essai les divers jugements qui furent rendus, et que nous ferons connaître, à part , dans tous ses détails.
La lutte contre les Nobles n'était pas encore finie. Mais, comme le Château de Digne avait de nouveau voté généreusement un subside volontaire, sur la demande du Comte de Provence, ses habitants obtinrent une lettre de ce Prince qui forçait les Nobles, malgré leurs priviléges, à contribuer au paiement de ce subside, avec recommandation aux Officiers royaux, de les y obliger par toutes les voies de droit. Mais dans le cas où ils ne pourraient pas les y forcer, par suite de priviléges exprès, le montant dû par les Nobles qui en seraient ainsi dispensés, ne serait pas exigé des habitants, et devrait être porté au compte de la Curie. Cette letttre est datée du 22 décembre 1320, et signée à Aix.
Dans le cours de l'année suivante, à part le 1321. procès de Bérard Carton , qui occupe la cité d'une manière à peu près exclusive et pendant laquelle elle vit prononcer une sentence qui la condamnait vis-à-vis de la commune de Courbon, pour son privilége de ne contribuer qu'à Digne, auquel elle attachait un si grand prix, cette sentence prononcée, le 17 octobre, par François de Gros, juge délégué par le juge des secondes appellations, il ne reste qu'une lettre de Robert , du 5 janvier 1321, qui contient un règlement pour la Curie de Digne. Robert dit que l'affection qu'il porte à ses fidèles habitants du Château de Digne, le décide à transmettre aux Officiers royaux de la Curie de leur cité quelques Statuts, qui seront utiles à la chose publique et qui feront disparaître plusieurs charges onéreuses pour les habitants. En conséquence, il ordonne qu'aucun paiement de somme due à la Curie ne soit fait entre les mains du Clavaire, sans la présence du Bailli ou Viguier, du Juge et d'un notaire de la Curie, et que les paiements soient consignés dans deux quaternes ou registres semblables, dont l'un restera entre les mains du Clavaire, et l'autre en la possession des Officiers royaux. Que personne ne paie au Clavaire, pour ses quittances, au-delà de deux deniers, et défense au Clavaire et à son lieutenant de les recevoir ou de les exiger. Que nul ne transige et ne paie une amende ou un ban au Viguier ou Bailli, ou à son lieutenant, ou à un officier royal quelconque, sans qu'une condamnation judiciaire à cette peine ou à ce ban n'ait été prononcée par le Juge dans un de ses parlements publics. Que personne ne réponde à un notaire sur des faits qui doivent faire l'objet d'une enquête, sinon dans la Curie royale, et que le notaire attaché à la Curie n'emporte jamais chez lui le cartulaire destiné aux actes de la Curie, qui ne doit jamais en sortir. Qu'aucun Clavaire ne puisse faire saisir et incarcérer un débiteur de la Curie, sans en avoir prévenu le Bailli et avoir obtenu son autorisation. Que tous ceux qui dénonceront à la cour royale une des infractions prévues ci-dessus, reçoivent la moitié de la peine infligée. Il ordonne enfin à tous ses Officiers royaux la stricte exécution de toutes les mesures ainsi prèscrites, sous peine d'une amende de cent livres applicables à la Curie royale, pour chaque infraction , et pour chaque fois qu'elle sera renouvelée. Enfin, le Prince ordonne la transcription de sa lettre sur les cartulaires de la Curie, après que lecture en aura été faite par les Officiers royaux, et recommande leur conservation.
Ces lettres ne furent apportées à Digne que le \ 4 février 1323, par un porteur d'Aix , du nom de Étienne Bertrand. Il les présenta ce jour-là au Bailli Jean de Longueville, en présence d'un Cominal, Paul Bondenier, notaire. Jamais Prince ne se montra mieux disposé que Robert pour les habitants des châteaux, qui se montraient faciles avec lui. Digne était du nombre, car toutes ses lettres contiennent des expressions dans lesquelles le Comte de Provence aime à dire combien la conduite des habitants de ce Château lui est agréable.
En 1322, la ville fut encore occupée du procès de Bérard Carton, et le seul acte qui nous reste de cette année, est un acte de présentation de la lettre de Robert, du 26 juillet 1319, qui confirmait le privilége des habitants de ne contribuer qu'à Digne pour les tailles des propriétés par eux possédées dans les châteaux voisins. Cette présentation fut faite au Juge Bertrand de Meyronnes par le Cominal, Salvaire de Burgondie. Ce sont toujours les Cominaux qui font ces présentations, et qui veillent sans relâche à tout ce qui peut intéresser la communauté.
L'année 1323 fut encore marquée par un état d'agitation continuelle des habitants du Château. Bérard Carton décéda , et Pierre Carton fut obligé de prendre la suite de ce procès, et de renouveler ses mandataires. Il conserva ceux de son père et approuva, en leur confirmant leurs pouvoirs, tout ce qu'ils avaient fait jusques là.
Le 12 septembre, son fondé de pouvoirs , Jean Jordani fut obligé d'émettre un nouvel appel contre une deuxième sentence portée par Guillaume de Sparron, autre Juge délégué par le Juge Mage de la cour du Comte, et qui avait encore sanctionné les droits de la communauté de Courbons, contrairement aux priviléges du Châ teau de Digne.
Dans le cours de cette année, deux inspecteurs de Robert, le R. P. Troyan et Nicolas de Verticille, de Naples, vinrent visiter le Château de Digne, ensuite de la mission qu'ils avaient reçue du Comte de Provence. Leur but était de veiller à l'état de défense des châteaux de Provence, et surtout à leurs fortifications, pour qu'en cas d'attaque par les bandes indisciplinées qui souvent alors parcouraient la Provence, et la dévastaient, les châteaux pussent résister et se défendre.
A Digne, ils ordonnèrent que tous les habitants, qui avaient des maisons sur les remparts ou dans les fossés , eussent à les détruire dans un délai excessivement court, qu'ils fixèrent.
Ils firent procéder à une criée, pour assurer l'exécution de leur ordonnance, avec déclaration que, faute par lesdits habitants d'obéir à leur mandement, la Curie ferait exécuter à leurs frais les travaux nécessaires, et que les récalcitrants n'en subiraient pas moins une peine qui serait prononcée contr'eux.
Ils ordonnèrent de plus l'enlèvement des tables, des bancs, de tout ce qui pouvait faire saillie, soit par une prolongation de muraille, soit de toute autre manière, enfin de tout ce qui pourrait gêner la circulation dans les rues, et ce, dans le délai de trois jours, sous peine d'une amende de dix livres, et sans préjudice des conséquences de la précédente ordonnance.
Les habitants furent effrayés de la portée de pareilles ordonnances, et s'empressèrent de recourir au Roi Robert. Ce Prince, heureusement pour eux, se trouvait, en ce moment, à Avignon, et il écrivit aussitôt à ses inspecteurs, une lettre datée du
7 mai 1323, dans laquelle il leur disait, qu'il avait décidé, pour obéir au sentiment qu'avait fait naître en lui le dévouement dont les habitants du Château de Digne lui avaient donné tant de preuves, de retenir, par devers lui, la solution des questions par eux soulevées, et leur recommande de ne donner aucune suite à la criée à laquelle ils avaient fait procéder.
Le 2 août suivant, les Cominaux Pierre Albéric et Paul Daumas, présentèrent au Bailli Galés Gentil les lettres de 1320 du Roi Robert, contre les Officiers royaux qui s'attribuaient personnellement une partie des bans. Pendant que les habitants de Courbons obtenaientt des succès contre les habitants de Digne, de Courbons. .
les Juges de cette cite n en restaient pas inoins fidèles aux antiques traditions, et respectaient les lettres des Comtes de Provence et de leurs Sénéchaux.
Les habitants de Courbons crurent qu'après avoir gagné deux procès sur la question qui s'agitait, les habitants de Digne se soumettraient, et ne leur feraient plus d'opposition C'était de leur part une erreur , car les habitants du Château étaient bien déterminés à lutter jusqu'à la dernière extrémité : il s'agissait, pour eux, du maintien d'un de leurs priviléges les plus précieux.
Dans les premiers jours d'octobre , un des Cominaux de Courbons, Hugues Maynier, assisté de son crieur public, Hugues Chauvin, vinrent surprendre dans sa propriété, sise dans la commune de Courbons, au quartier de Mayronnes, Guillelmette, épouse d'Auger Ruffi ou Roux, marchand pelletier, à Digne, et sur son refus de payer une taille qu'on lui réclamait, ils lui saisirent un septier de blé.
Jean Mayen, probablement Cominal, s'empressa de porter plainte à Raimond Turrel, Juge de Digne. Le lendemain 3 octobre, celui-ci, en présence du Bailli , Galès Gentil et du Clavaire Guillaume Maurin, les condamna à une amende
de 20 sols chacun et à la restitution du blé.
Guillaume de Sabran occupait alors le siége de Digne. Élu abbé du monastère de St.-Victor de Marseille, il l'avait administré pendant 22 ans, et fut, après cet espace de temps, promu à l'Évêché de Digne. Gassendi rapporte , d'après Peyresc, que lorsqu'il était à Marseille, Charles II l'appelait : son cousin l'abbé Guillaume. Gassendi, Rivière, et d'après eux les auteurs de la Gallia Christiana, ont cru qu'il était mort vers la fin de l'année 1324, et créent un second Évêque du même nom de Guillaume, qui aurait assisté au concile Provincial d'Avignon du mois de juin, et qui ne serait pas le même que Guillaume de Sabran. Nous croyons que c'est une erreur de tous ces auteurs. La preuve, nous la puisons dans les archives de notre commune, qui nous fournissent de lui une sentence arbitrale, du 10 mai 13251, qui termina le procès de Bérard Carton , et fit cesser, entre les deux communautés de Digne et de Courbons, le procès qui durait depuis le mois de juillet 1320.
Il n'était donc pas mort en 1324, puisqu'il s'occupait de la communauté de Digne, le 10 mai 1325, et il aurait pu très bien assister en personne au concile d'Avignon en 1326; mais il résulte du procès-verbal de cette assemblée qu'il y fut représenté par un fondé de pouvoirs. La présomption tirée de la demande faite par le monastère de St.Victor de Marseille, de laisser transporter son corps à Marseille, tombe par ce seul fait.
Il nous reste des années 1324 et 1325 des actes assez nombreux. Guillaume de Sabran figure dans les plus importants. Le 3 août de l'année 1324, il fit, avec son Chapitre, le IVe Statut de l'Église de Digne. Il nous a été impossible de le reproduire en latin, mais nous l'analyserons d'après la traduction du chanoine Taxil.
Ce Statut n'est guères qu'un règlement pour l'Église, et contient vingt-un Statuts ou Canons. Le premier donne la formule du serment que les chanoines élus à l'avenir, devront prêter à leur entrée en fonctions. Ils devront jurer d'observer les Statuts de l'Église, les louables coutumes jusqu'alors en vigueur ; de veiller à la conservation des droits de l'Évêque, du Chapitre et de l'Église; de défendre vivement les biens et les droits de la prébende, qui leur sera obvenue, en recherchant avec attention tout ce qui doit y être compris, en donnant tous leurs soins à tout ce qui en fait partie au moment présent, et en n'enaliénant jamais la moindre parcelle; et enfin de garder prudemment les secrets du Chapitre et de l'Église. Ce serment devra être prêté sur les saints Évangiles, devant le grand autel de la cathédrale.
Le deuxième applique la première année des fruits d'une prébende à la fabrique de l'Église.
Le troisième établit le droit de chappe, antique droit qui obligeait chaque chanoine élu à payer six livres reforciat, pour l'achat d'une chappe qui devenait la propriété de l'Église. Le droit du Prévôt, en ce cas, était de vingt florins d'or; celui de l'archidiacre, de quinze; et celui du Sacristain, de douze.
Le quatrième règle le droit de bonnet, par lequel chaque chanoine, à son élection, devra donner à chacun de ses collègues une barrette neuve.
Le cinquième ordonne que la première année des fruits de la Prévôté et des autres dignitaires du Chapitre seront consacrés aux distributions canonicales.
Le sixième applique le droit de chappe au Cabiscol ou Précenteur, aux Curés, aux Bénéficiers et aux Vicaires. Seulement la somme à payer par le Cabiscol est réduite à soixante sols refforciats, celle des Bcnéficiers à quarante sols, et celle des Vicaires à trente sols.
Le septième défend l'aliénation des biens du Chapitre pour la fondation d'un bénéfice. Le huitième autorise les Chanoines à disposer à leur décès des fruits pendants dans leurs prébendes. Par le neuvième, cette autorisation est également donnée au Prévôt et aux autres dignitaires.
Le dixième prononce une peine de vingt sols refforciats, contre les Chanoines qui ne paieraient pas la rente annuelle qu'ils doivent pour les serviteurs inférieurs, et pour le service du culte.
Le onzième consacre l'ancien usage de l'option des prébendes par les Chanoines les plus anciens.
Le douzième permet aux Chanoines de s'absenter quelquefois, pourvu que ce soit sans abus.
Le treizième défend aux bénéficiers d'avoir deux bénéfices à la fois.
Le quatorzième dispense les Prêtres et Clercs malades, infirmes, et ceux occupés au service de l'Evêque, d'assister aux offices. Le quinzième impose aux Chanoines l'obligation de rester à Digne, auprès de leur cathédrale, au moins trois mois, sous peine de perdre leurs droits aux distributions canonicales.
Les quatre suivants fixent l'heure d'entrée des offices, la célébration des solennités consacrées au culte des Saints les plus vénérés, la manière dont les leçons doivent être lues au choeur, et les formes de la cérémonie des Antiennes vulgairement appelées les 0.
Le vingtième m dispose crue les Chanoines qui, après leur entrée en fonctions, ne feront pas au moins six mois de résidence, seront privés des fruits de leurs prébendes, qui seront attribués au Chapitre.
Le dernier enfin fixe la manière dont devront être célébrés les services funéraires.
Depuis que Guillaume de Sabran était Évêque de Digne, il désirait obtenir de la communauté l'hommage qui avait été stipulé en faveur de TÉvêque, dans la transaction de 1257. Il paraît certain que les habitants du Château, dirigés en ce moment par des Cominaux capables, et notamment par Guillaume Jordani, qui étaient convaincus que cette prétention de l'Évêque était préjudiciable à la cité, qui ne devait un semblable hommage qu'à son Seigneur souverain, tandis que l'Évêque n'avait qu'un droit de directe, ne voulurent pas se prêter à ce désir. Il dût y avoir même un procès à cette occasion, et la question fut portée devant le conseil royal, car nous trouvons une lettre de Raynaud Scaleta, Grand-Sénéchal de Provence, datée du 25 septembre 1324, qui ordonne aux Bailli et Juge de Digne, de faire ordonner, à son de trompe, à tous les Nobles et à tous les habitants du Château de Digne, tenant des terres et des possessions sous la directe de l'Évêque, de lui prêter le serment d'hommage et de fidélité, et ce, sous toutes dues peines, réserves faites néanmoins des droits de la communauté du Roi et de ses successeurs.
Guillaume de Sabran, fit faire sans retard une criée de la lettre du Sénéchal, et le 30 septembre, il parvint à réunir dans la grande salle de l'Évêché quelques habitants du Château, non nulli hommes dicte civiratis.
Une lecture de cette lettre fut faite devant eux, et l'Évêque Guillaume fit aux Nobles et aux citoyens présents à cette assemblée la réquisition de lui prêter le serment d'hommage et de fidélité prescrit dans la sentence arbitrale de 1257.
Tout aussitôt Guillaume Jordani, Cominal du Château de Digne, s'avance devant lui et déclare au nom de l'université que, tout en étant disposés à prêter, suivant le sens de la convention de 1257, le serment d'hommage et de fidélité dont ils sont requis, ils n'entendent en aucune manière renoncer aux transactions du passé, à leurs immunités et à leurs libertés; et en prêtant ce serment ils ne veulent pas que leur communauté puisse éprouver le moindre préjudice. Ils déclarent de plus qu'ils ne prêteront ce serment que suivant l'usage établi jusqu'à eux, les droits royaux restant toujours sauvegardés.
Sur cette protestation, l'Évêque répond qu'il est tout disposé à examiner dans son conseil les libertés dont se prévaut le Château de Digne, promettant de suivre l'exemple de ses prédécesseurs, pourvu qu'elles ne portent aucun préjudice aux droits de l'Eglise et de l'Évêché de Digne. Et l'assemblée se sépare, sur ces déclarations, après que Guillaume Jordani a requis la délivrance d'un acte public du procès-verbal dressé par le notaire, qui lui est accordé.
Il ne reste de cette grande question d'hommage, qui agitait tant les esprits à cette époque, que l'acte que nous venons de rapporter. Sans doute, Guillaume de Sabran renonça à ses prétentions et comprit que sa position de simple Seigneur ne lui permettait pas d'exiger un acte qui n'était dû qu'au Seigneur souverain.de Bléonue.
Il paraît que les travaux du pont sur la Bléonne se poursuivaient toujours, car le Sénéchal Reynaud Scaleta fit droit, par une lettre du 19 novembre 1324, à une plainte qui lui avait été portée par les habitants, contre le Clavaire de Digne, qui prétendait percevoir le tiers des amendes du pain, appliquée aux travaux de ce pont, par une ordonnance déjà confirmée par le Roi Robert lui-même.
Dès la réception de cette lettre, le 7 décembre, les Cominaux Jean Albéric, Olivier Boison, et Raymond Canevier, la présentèrent au Bailli, N. Jean de Gros, en présence du Clavaire Guillaume Maurin, qui avait élevé des prétentions
contraires.
A la fin de cette année, qui expirait, comme retires nous n'avons pas besoin de le répéter, au 25 mars de l'année suivante, les habitants de Digne votèrent encore au Roi Robert un subside volontaire , dont ce Prince les récompensa par six concessions, qui donnèrent lieu à cinq lettres de ce Prince, en date du 10 mars 1324, et à une sixième du lendemain de ce jour. Dans une de ces lettres, Robert, en les assurant que ce subside volontaire ne portera aucune espèce de préjudice à leurs libertés, à leurs priviléges et à leurs coutumes, témoigne aux habitants toute sa gratitude pour leur fidélité et le dévouement dont ils ont fait preuve envers lui. Aussi ne leur refuse-t-il rien de ce qu'ils lui demandent. Ils veulent une nouvelle confirmation du privilége de ne contribuer qu'à Digne, il leur accorde pour cela de nouvelles lettres signées de lui.
Ils désirent qu'au moins, pour ce subside, tous les Nobles et les habitants du Bourg soient appelés à y contribuer. Robert, cette fois, ne trouva rien de plus juste, et il écrivit des lettres à ses Officiers royaux, pour les y contraindre.
Les Inspecteurs qu'il avait envoyés dans son Comté et qui se trouvaient à Digne, pour poursuivre sévèrement tous ceux qui se rendaient coupables d'usure, avaient poursuivi des habitants honnêtes qui ne la faisaient pas ou du moins qui agissaient de bonne foi. Or les habitants se plaignaient de cette sévérité. Et Robert s'empressa d'écrire à ses Inspecteurs de ne poursuivre à Digne que les usuriers publics, ceux contre les quels l'opinion publique s'était déjà prononcée. Enfin, Thomas de Francheville, son délégué, pour la perception du fouage dernièrement imposé, tracasse et poursuit avec sévérité les malheureux habitants du Château de Digne qui , réduits à une extrême misère, ne peuvent pas s'acquitter. Robert s'empresse d'écrire à son délégué, pour qu'il dispense du fouage les habitants de Digne réduits à la mendicité.
Une dernière demande est faite au Roi Robert, par les envoyés du Château de Digne, c'est que les habitants des châteaux voisins de cette cité, qui doivent profiter, comme ceux de Digne, de la commodité et de l'utilité du pont qui est en construction sur la Bléonne soient tenus de contribuer aux dépenses qui s'y font. Robert le leur accorde encore, seulement à la date du 11 mars , et il écrit à ses Officiers royaux de contraindre les habitants de tous les châteaux qui profiteront de la construction de ce pont à y contribuer proportionnellement à l'avantage qu'ils en retireront.
Quand nous voyons Robert accéder aux demandes qui lui sont faites, avec tant d'empressement et de facilité, nous nous demandons avec anxiété, quelle est la cause qui a pu le porter à tant de condescendance. Il est vrai qu'on ne doit pas oublier les immenses charges que les habitants de la Provence furent obligés de supporter pour aider leurs Comtes à soutenir et à défendre leurs droits au-delà des Alpes, et lorsqu'ils trouvaient des populations portées au dévouement et ne refusant rien de ce qu'on leur demandait, il était bien juste de leur donner de légitimes compensations. Et s'il faut en juger par les termes
dont Robert se sert dans presque toutes ses lettres, et par une foule d'indications contenues dans divers actes, que nous aurons le soin de faire ressortir, le Château de Digne, par sa position, sur la route la plus directe de la Provence au Priémont, et par le dévouement de ses habitants, dût rendre, au milieu de ces guerres continuelles, de grands services aux Comtes de Provence.
A cette époque, la communauté de Digne touchait à la fin du procès, qu'elle soutenait depuis le mois de juillet 1320, contre la communauté de Courbons, procès dans lequel elle avait été condamnée deux fois, ce qui la faisait craindre pour l'avenir du privilége, auquel elle tenait tant, et dont elle avait cependant obtenu du Roi Robert deux confirmations.
Ce procès, quoique intéressant toute l'universalité des habitants, était soutenu par un seul d'entr'eux, Pierre Carton, fils de Bérard, décédé pendant la luttte, et Pierre Carton avait pour principal mandataire Jean Jordan, notaire de Digne, qui avait les pouvoirs les plus étendus et était, ainsi qu'on le désignait dans l'acte de procuration qui lui avait été consenti, Dominus litis.
Or, nous ne savons par quelle cause, le représentant de Pierre Carton, qui n'était et ne pouvait être que le représentant de la communauté, fut, dans le courant de l'année 1324, frappé d'une sentence d'excommunication ; l'acte qui nous l'apprend dit même d'une excommunication majeure , et , dès ce moment , Pierre Carton, ou plutôt, la communauté fut obligée de se choisir un autre mandataire. C'est ce qui fut fait par acte du 11 décembre 1324. Pierre Carton expose que Guillaume Jordani
avait été constitué son mandataire, et que pendant qu'il poursuivait en appel l'annullation des jugements rendus dans son procès, il a été frappé d'une sentence d'excommunication, de telle sorte que cette sentence l'empêche de poursuivre l'appel par lui émis, car tant lui, Pierre Carton, que quelques autres prud'hommes de la ville qui l'assistaient de leurs avis, de leurs conseils, de leur influence, ont été avertis, moniti, sous peine de semblable excommunication, de n'avoir plus aucune espèce de rapports, soit de vive voix, soit par écrit, avec ledit Jordani, et comme cette crainte de l'excommunication retient tous ceux qui étaient disposés à l'aider, il rétracte le pouvoir dudit Jean Jordani, et de tous les autres mandataires qu'il s'était substitués, et il choisit, pour les remplacer, Jean Albéric, Jacques Austruge et Raimond Caminier, et en outre, comme mandataires substitués : François Bocher, Olivier Boison , Jean Bremond , Jacques Massapal , et François Geniez.
Cette excommunication n'eut d'autre but que d'enlever la direction du procès à Jean Jordani, car, dès ce moment là, Guillaume de Sabran s'efforça de faire transiger cette affaire, et amena les habitants de Courbons et ceux de Digne, à
signer un compromis, qui le fut le 11 avril 1325, dans lequel il fut nommé seul arbitre, et ensuite duquel, il rendit, le 10 mai suivant, une sentence, qui est un modèle de justice et d'équité, dans laquelle il maintient les habitants de Digne actuellement en possession, dans la jouissance de leur droit, ne soumettant à la contribution ordinaire, payable à Courbons même, que ceux qui pourraient y faire des acquisitions à l'avenir.
Nous avons dû, dans notre Essai sur le Cominalat, parler de ce procès, qui tint la communauté dans un état d'agitation continuelle pendant près de cinq ans.

Les Seigneurs des Sièyes percevaient à cette même époque sur les propriétés des habitants de Digne, propriétaires aux Sièyes, un droit du 20e des fruits, qui devait leur être payé annuellement, à titre de cense.
Quelques habitants de Digne, et notamment Raimond Turrel leur contestaient ce droit. Un procès allait surgir, lorsque les deux parties, entourées par des amis communs, consentirent à passer un compromis et à nommer des arbitres chargés de vider leur contestation.
Pierre d' Au ribeau, François Bocher et Guillaume Celat, de Digne, furent choisis par leurs concitoyens; les Co-seigneurs des Sièyes, alors N. Barras de St. Etienne et Nobles Jacques et Raymond et Aperioculos, choisirent pour les leurs : Guillaume Gaubert, de Courbons, Mancel Sauvaire et Pierre Alresand, des Sièyes. La sentence des arbitres fut favorable aux Co-seigneurs des Sièyes. Aussi, Raimond Turrel s'empressa-t-il de l'exécuter par deux actes, dont l'un en date du 28 août 1325, contient la quittance du fondé de pouvoirs de Noble de Barras de St.Etienne, et l'autre du 4 septembre suivant, contient celle des deux frères Aperioculos. Le 2 avril 1326, un Conseil des probi hommes du Château fut assemblé. Les trois Cominaux Pierre Durand, Jean Ranulphe etlsnard Aymes, étaient présents. Les deux premiers y prennent en même temps le titre de Procureurs, ou fondés de pouvoir ce qui équivaut au titre de Syndic. Le Conseil est composé des hommes les plus notables du Château, et il est assemblé pour ordonner un ban contre tous ceux qui causent des dommages aux champs avec des bêtes d'average, des chèvres ou des porcs, ou se permettent de les faire dépaître dans les propriétés d'autrui, et ils fixent ce ban à douze deniers de la monnaie courante, payable, par le maître des animaux, à la Curie royale.
L'assemblée se fait cependant la réserve de révoquer cette ordonnance, d'ici à la Toussaint prochaine, si son inutilité, ou sa sévérité en fai saient sentir la nécessité. C'est pendant cette même année 1326 que fut assemble à Avignon, un Concile Provincial, auquel furent appelés, sous le Pape Jean XXII, les trois Archevêques d'Arles, d'Aix et d'Embrun, avec tous leurs suffragants. La plupart des Évêques n'y assistèrent que par des fondés de pouvoirs; celui de Digne fut de ce nombre. Il n'est désigné dans ce Concile que sous le nom de Guillaume, mais ce devait être notre Guillaume de Sabran. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons déjà dit, en combattant l'opinion des auteurs, qui placent sa mort vers la fin de l'année 1324; les actes de nos archives parlent assez haut sur ce point controversé, pour qu'il soit nécessaire d'insister plus longtemps.
Les Prélats assemblés à Avignon firent soixante canons, parmi lesquels, suivant l'usage de ces siècles, trente-un sont consacrés à fulminer des sentences d'excommunication. Nous ne les énumèrerons pas ici, ils reproduisent en grande partie les canons du Statut de 1315, que nous avons analysés. C'est dans ce Concile que fut prononcée l'excommunication contre les Confréries dont nous avons déjà parlé. L'on verra quelle était la haine que ces Confréries, qui avaient suppléé, à cette époque, au défaut d'organisation municipale, inspiraient au Clergé, qui avait alors la toute-puissance, et qui voulait briser tout ce qui pouvait lui faire la moindre opposition.
On avait tellement abusé de ce moyen si terrible de l'excommunication, que beaucoup de ceux qui en avaient été frappés, ne voulaient plus faire aucunes démarches, pour s'en faire décharger, et restaient dans la plus complète indifférence sur ses résultats. D'autres, au contraire, avaient pris le parti de les tourner en ridicule, quelques-uns même en venaient jusqu'à parader sur les places publiques, à contrefaire d'une manière bouffonne les excommunicateurs, pour leur prouver que leur sentence ne les émouvait pas.
Ce Concile contient trois canons sur ces faits excessivement graves, qui ordonnent des poursuites contre les excommuniés, qui se révoltent et se mutinent ainsi contre les sentences par eux encourues. Un quatrième canon prescrit que dans ces cas l'autorité seigneuriale dans les châteaux devra intervenir, pour empêcher de pareils désordres, sous peine, pour les communes et les châteaux, où l'autorité publique refuserait d'agir, d'être mis par ce seul fait en interdit. Le respect de la juridiction des Évêques occupe encore dans ce Concile une large place, ainsi que les dispositions conservatrices prises pour assurer l'inviolabilité des biens de l'Église et du Clergé.
Au reste, Gassendi a publié ce Statut à la suite de la première édition de sa Notice sur l'Église de Digne. Tous ceux qui aimenl à s'éclairer sur les anciens usages pourront y recourir avec fruit. En cette même année 1326, des contestations nouvelles s'étaient élevées de la part du péager de Gaubert, qui agissait comme adjudicataire des Seigneurs dudit château. Les habitants de Digne jouissaient, depuis un temps immémorial, d'un droit de franchise de ce péage, pendant les huit jours qui précédaient et qui suivaient leurs deux antiques foires de la St.Jullien et de la Toussaint.
Cette année là, pour la foire de la St.Jullien, le péager de Gaubert leur avait contesté ce droit. Les Seigneurs du Château furent immédiatement appelés devant le Juge, mais comme c'était une affaire qui n'intéressait que l'adjudicataire d'un droit qu'ils n'exerçaient pas eux-mêmes, ils consentirent à en passer par la décision d'arbitres amiables.
Noble Raymond Flotte, Noble Guigues de Gaubert et Noble Bertrand de Dozol , étaient à cette époque Co-seigneurs de Gaubert. Le premier se fit représenter par un fondé de pouvoir; les deux autres comparurent en personne, et passèrent un compromis avec Jean Alibert et Pierre Durand, représentants de la communauté de Digne. Jacques Aperioculos et Pierre de Marcoux furent nommés arbitres , et rendirent leur sentence, le 5 septembre suivant. Après avoir entendu les parties, et faisant droit aux prétentions des habitants de Digne, qui prouvaient qu'ils avaient depuis un temps immémorial la franchise de ce droit, les arbitres déclarèrent qu'il résultait, des preuves produites, que les habitants de Digne n'avaient jamais payé ces droits réclamés aujourd'hui par les Seigneurs de Gaubert, pendant les huit jours qui précèdent et les huit jours qui suivent les deux foires du Château, et ils décident que les habitants devront continuer à jouir de cette immunité.
Jean Ranulphe , représentant de la commu nauté, s'empressa de demander un instrument public, pour pouvoir assurer à l'avenir l'exercice d'un droit si gratuitement attaqué par les Sei gneurs de Gaubert, jaloux de la prospérité du Château de Digne.
Singulière époque , pendant laquelle nos pères eurent à lutter constamment, non seulement contre l'autorité souveraine, mais encore contre une foule de maîtres particuliers, qui surgissaient de tous les côtés.
Nous allons, dans l'intérieur du Château, retrouver aux prises avec les Nobles de Digne, ies Nobles. qui étaient leurs concitoyens et qui ne se montraient cependant pas plus faciles, lorsque leur intérêt était froissé.
C'est dans le courant de l'année 1325 ou 1326, que les procès contre les Nobles dûrent recommencer. On dût s'adresser de nouveau au grand Sénéchal, pour être autorisé à nommer des Syndics; et un parlement public eut lieu ensuite duquel six nouveaux Syndics furent nommés : Pierre Durand, Jean Albéric, François Bocher, Pierre d'Auribeau , Francois Ayme et Etienne Audibert , qui, présents à l'assemblée, acceptèrent le mandat. Suivant l'usage établi, on leur nomma des conseillers, pour les assister, et discuter avec eux les questions qui pourraient surgir. Ce furent : Jacques Folopmi, homme de loi, Guillaume Jordani, Baptiste Marin, Isnard Ayme, Vincent Marin , Lions Gronhi , Raimond Alquier et Arnoux Guiramand. Ils étaient au nombre de huit.
Le parlement public fut dressé par Me Pierre Pautrier, notaire. Ces renseignements sont tous extraits des actes de transaction postérieurement consentis, car malheureusement le parchemin, qui contenait ce parlement public, n'existe plus et nous n'avons pas pu en retrouver la date.
Les Syndics dûrent se charger chacun d'une partie de la tâche, et nous trouvons, sans que nous puissions davantage en faire connaître la date, sur un premier feuillet du Livre Doré, qui est là isolé et sans suite, et tellement altéré par le temps, qu'un grand nombre de passages sont presque illisibles, nous trouvons deux des Syndics ainsi nommés comparaissant devant le Juge Hugues Blanc, avec Noble Jacques Aperioculos, qu'ils ont probablement appelé devant lui. Ce sont Francois Bocher et Pierre d'Auribeau.
Devant ce magistrat, ils exposent, en leur qualité de fondés de pouvoirs de l'université de la cité de Digne, que Noble Jacques Aperioculos, originaire de Digne, qui y a son domicile et ses pénates, qui y célèbre ses jours de fête, comme les autres habitants, doit être tenu à contribuer, comme tous les chefs de famille laïques, suivant la proportion de sa fortune et de ses biens, alors surtout qu'il est citoyen de Digne, et qu'il possède des biens de certains habitants, qui les lui ont vendus et qui autrefois contribuaient eux-mêmes. Ils font connaître ensuite au Juge ce qu'ils ont payé depuis neuf ans à la Curie royale, sans que N. Jacques Aperioculos y ait jamais contribué. Et d'abord, cent livres pour le fouage, imposé par la Curie au château, pour l'achat du château de Valernes. Cent autres livres, pour un autre fouage, imposé pour l'achat du château de Geniers. Vingt-cinq livres pour payer au Clavaire de Marseille le prix des divers domaines achetés pour le Comte d'O... Une semblable somme pour un autre fouage imposé pour l'achat du château de Lambesc. Outre deux cents livres refforciats antérieurement payées à la Curie pour un autre fouage, et pour le droit dû, lorsque fut fait chevalier le Duc de Calabre, fils du Comte Robert, Roi de Jérusalem et de Sicile. Et les dépenses faites par les habitants du Châ teau , à tant par feu, pour les travaux de construction du pont de la Bléonne.
Ici ils s'arrêtent : ce ne sont pas les Syndics qui s'arrêtent, car nous sommes convaincus que leurs réclamations ne devaient pas s'arrêter là; mais c'est la feuille de notre Livre Doré qui finit, et la seconde feuille qui suit, est encore une feuille perdue attachée là après coup.
Quoiqu'il en soit, et quelqu'incomplète que soit cette pièce, elle n'en prouve pas moins que les procès avaient été commencés, et si, en 1327, nous trouvons la soumission de Noble Jacques Aperioculos, nous devons être convaincus que ce ne fut que par force qu'il se soumit, et encore des trois soumissions qui nous restent, la sienne est-elle la dernière en date.
Enfin, vers la fin de 1327, les Nobles qui avaient jusqu'alors résisté, se décidèrent à faire leur soumission , et le 24 novembre, deux d'entr'eux, Pierre Aperioculos, dit Bon, un des membres de cette riche famille, et Noble Rodolphe Ferréol de Barles, s'obligèrent, par acte public, à contribuer comme les autres habitants, et proportionnellement à la valeur de leurs propriétés, aux tailles qui seraient à l'avenir, imposées aux habitants du Château. Les six Syndics traitèrent et terminèrent avec N. Rodolphe Ferréol, et il fut convenu quils procéderaient eux-mêmes à l'évaluation de ses biens, en s'adjoignant toutefois Jacques Folopmi.
Les Syndics procédèrent à l'examen de ses propriétés, et il fut arrêté que Rodolphe Ferreoli, ne paierait, pendant toute sa vie, qu'à raison d'une somme de cent livres, à laquelle on les évalua approximativement, et qu'il ne paierait les tailles et charges imposées à la communauté, que proportionnellement à ce taux, comme les autres habitants; mais qu'après lui, les biens obvenus à chacun de ses successeurs, seraient évalués à leur véritable valeur, et allivrés comme les autres biens.
L'acte de soumission et l'acte d'évaluation furent faits le même jour.
Il en fut de même de celui de Noble Pierre Aperioculos dit Bon. Les conditions furent les mêmes. L'arrangement fut également limité à la vie, de celui qui faisait cette soumission. Seulement, on évalua ses biens à une somme de
trois cents livres. Noble Jacques Aperioculos fut plus difficile. On ne put terminer avec lui que le 18 décembre
suivant. Mais on parvint à se mettre d'accord, et il signa sa soumission, le jour que nous venons d'indiquer. C'étaient toujours les mêmes Syndics. On évalua ses biens à quatre cents livres, et il dût payer, lui aussi, pendant toute sa vie,
à raison de cette somme. Cependant on lui accorda quelques faveurs, on régla quelques difficultés qui s'étaient élevées, et qui furent consignées dans l'acte de soumission.
Il sera obligé de contribuer pour toutes les acquisitions nouvelles qu'il fera, mais on le dispense de toute contribution aux quistes du passé, à la seule condition qu'il contribuera aux dépenses de la construction du pont de Bléonne et des digues qui y ont été faites.
Si par hasard la Curie imposait un fouage extraordinaire et qui obligeât les habitants à payer au-delà du taux ordinaire de cent livres, qui, répartie entre les habitants, se réduisait à cinq sols, il sera obligé d'y contribuer comme les autres, sauf à exercer son recours contre la Curie. De même, pour l'albergue, il s'entendra, s'il le peut, avec les Officiers royaux.
Quoique, pour les propriétés de Courbons et des Sièyes, il ne soit pas imposé au-dessus de quatre cents livres, évaluation de ses biens de Digne, et qu'il ne puisse l'être pendant sa vie, après lui ses enfants seront imposés sur ces biens comme les autres habitants.
Il sera dispensé de tout paiement pour son droit de juridiction aux Sièyes, mais il y aura toujours exception pour les acquisitions qu'il fera des habitants de Digne. Toutes les autres conditions sont les mêmes que celles de Jacques Aperioculos et de N. Rodolphe Ferréol.
Ainsi finit cette lutte. Les maisons puissantes de Digne finirent par comprendre qu'il valait mieux dans une petite ville, au milieu d'hommes avec lesquels ils avaient des relations de tous les jours, ne pas rester toujours hors de la règle commune. Ce fut un grand pas de fait. Nous croyons cependant que toutes les branches des Aperioculos ne suivirent pas l'exemple de Nobles Pierre et Jacques, membres de leur famille. Mais le temps dût faire, ce qui ne put pas être fait en cette année ; et si quelques Nobles se montrent encore récalcitrants, ce n'est que de loin en loin. Ce ne sont plus que des prétentions isolées qui se terminent par un procès.
Ce grand procès était à peine fini, qu'un autre procès surgit contre les Seigneurs de Gauber , les seigneurs qui, malgré l'usage immémorial des habitants de Digne, de ne contribuer aux tailles, pour leurs propriétés de Gaubert, que dans leur château, voulurent leur contester ce droit. Ils signifièrent aux propriétaires du château qu'ils étaient décidés à procéder à des saisies : ce qui fut effectué.
Les Cominaux Jean Ranulphe, Jacques Boison et Etienne Audibert, s'empressèrent d'appeler les Seigneurs de Gaubert devant le Juge de Digne, Bertrand Laugier, assisté du Bailli Jacques Roux. (1) Ils invoquèrent leur possession immémoriale, exhibèrent les lettres qu'ils avaient obtenues des Sénéchaux et du Roi Robert. Mais le Juge ne voulut pas se prononcer sur une question aussi grave, et se borna à renvoyerles parties devant le Sénéchal.

(1) Nous connaissons cet incident par une note qui se trouve sur les enquêtes du grand procès entre la communauté de Digne et celle de Gaubert, qui se prolongea pendant une partie du XVème siècle, et se termina par une sentence favorable à la ville de Digne, rendue par le Sénéchal Tanneguy du Châtel, le 24 mai 1443.

Cette question qui déjà avait occupé nos pères, pendant cinq ans, surgissait sur un autre point. Elle était destinée à les faire plaider, pendant près de deux siècles, et nos pères ont eu le bonheur de triompher de leurs adversaires, tant que le Comté de Provence n'est pas venu s'absorber dans le royaume de France.
Nous trouvons à Digne, pendant l'année 1328, 1e Grand-Sénéchal de Provence, Jean d'Aigue- Blanche. Il nous est difficile de dire , d'une manière certaine, les motifs qui avaient pu l'y amener. Mais c'était le 9 août, et très probablement, il parcourait en ce moment la Provence, pour pouvoir, conformément à l'ordre qui lui en avait été transmis par le Roi Robert, lui faire passer en Italie mille soldats Provençaux, qui aidèrent si puissamment ce Prince à expulser de l'Italie l'Empereur Louis de Bavière.
Nous n'avons pas non plus de preuve directe que beaucoup d'habitants de Digne se soient enrôlés dans cette milice, mais la venue du Sénéchal à Digne, nous prouve qu'on comptait sur cette communauté, qui avait donné au Roi Robert tant de témoignages de dévouement, que toutes les lettres de ce Prince expriment la gratitude qu'il en a ressentie. Et puis, nous devons dire l'impression que nous a laissée la lecture de la charte publiée par Papon , sur ce départ des Provençaux.
Après avoir parcouru toutes nos anciennes chartes communales, nous avons rencontré, avec une émotion qui ne pouvait pas nous tromper, les noms des Cavalier, des Stacca , des Bondenier et des Feraud, dans la liste des guerriers qui marchèrent à la voix de Robert.
Quoiqu'il en soit, le Sénéchal d'Aigue-Blanche, soit qu'il voulut reconnaître la bonne volonté des habitants du Château de Digne, soit par un simple motif de justice, laissa des traces de son passage dans notre communauté, en accordant, à la demande des Cominaux, deux lettres contre les Officiers royaux, pour les empêcher de tracasser les habitants. Nos archives ont conservé ces deux lettres, toutes les deux du 9 août, et totîtes les deux datées de Digne même.
Les habitants du Château avaient l'habitude de faire leurs ventes et leurs achats en menue monnaie courante, et ne stipulaient guères dans leurs contrats qu'un paiement en petits refîorciats.
Les droits de lods devaient dès lors, suivant les usages du Comté, être payés en la même monnaie. Or, le Clavaire le refusait en cette monnaie, et il était difficile aux débiteurs de s'en procurer d'autre. Jean d'Aigue-Blanche écrivit tout aussitôt au Clavaire qu'il eût à recevoir les lods en la monnaie stipulée aux contrats. Il existait un aulre abus, non plus de la part du Ciavaire, mais de la part du geôlier de la prison , abus contre lequel on avait déjà réclamé, et pour lequel les habitants avaient reçu satisfaction. Le geôlier prétendait retirer un droit de douze deniers de tous les prisonniers, indistinctement, qu'ils fussent frappés d'une condamnation, ou qu'ils fussent mis hors de cause et de procès. Les habitants renouvelèrent leurs plaintes au Sénéchal, et Jean d'Aigue-Blanche recommanda au geôlier de ne percevoir ces droits que sur les prisonniers frappés d'une condamnation.
Vers cette époque, Guido, un des membres de la famille Aperioculos mourut à Digne et laissa Noble Jacques Aperiocuios, que nous avons vu se soumettre au paiement des tailles, pour son héritier. Il alla, le 2 novembre 1329, prêter foi et hommage, en sa qualité d'héritier, entre les mains du Sénéchal d'Aigue-Blanche. Jean Bayssan était alors Clavaire à Digne. Il fut remplacé, vers la fin de 1330, par Giraud Chambayron, qui avait, à trois reprises différentes, rempli les mêmes fonctions dans le même Château, en 1300, en 1311 et en 1316. Il fut par conséquent obligé de lui laisser son pendant, que les Archives des comptes ont conservé.
Ce pendant nous fait connaître les acquisitions de la Curie, depuis l'année 1300, époque où nous trouvons le pendant de Chambayron, que nous avons déjà examiné.
La Curie ne possédait dans l'intérieur du Château de Digne que la moitié de la maison, dite la Curie, possédée par indivis entre le Comte et l'Évêque.
En 1330, la Curie possédait, de plus, une maison qui confrontait la Curie, et une seconde maison en dessous de la première , donnée , à nouveau bail, à Jean Lagier, au prix de 60 sols par année.
Le produit des bans, qui n'était affermé, en 1300, qu'à cinquante sols six deniers, l'a été tout récemment à Guillaume Rodolphe, de Digne, au prix de quatre livres. Les droits perçus sur le marché de Digne, et pour les criées qui s'y font, ont été affermés au prix de sept livres.
La Curie a, de plus, une maison ayant appartenu à Michel Gauthier, dont le possesseur lui sert une cense annuelle d'une obole; elle perçoit aussi sur la maison du juif Dieulosal, appartenant jadis à Joseph Bayons, et située dans la rue Juiverie, une cense annuelle de deux deniers. La Confrérie du Bourg lui paie une obole. Les Juifs lui paient pour leurs tables dans le marché chrétien, un florin par an. Et pour le droit, par eux acquis d'établir un cimetière, ils paient annuellement deux livres tournois à la Curie et deux livres tournois à l'Évêque. C'est Jean Bayssan, lui-même, qui a fait cette vente à d'aussi belles conditions.
La perception des droits de péage et de la gabelle qui, en 1246, ne produisait que de quatre-vingt-dix à cent livres, et en 1300, deux cent seize livres, a été affermée, au mois d'octobre dernier, au prix de deux cent soixante-douze
livres, pour trois années, payables annuellement à la Toussaint.
Ce Clavaire nous fait connaître le traitement des Officiers royaux. Le Bailli recevait cent livres par an. Le Juge ne recevait que soixante-dix livres par an, et le Clavaire vingt. Le notaire de la Curie recevait cinquante sous, et les crieurs ou facteurs de la Curie ont été réduits à six livres de neuf qu'ils en recevaient. Tous ces détails ne sont pas sans intérêt; aussi n'hésitons-nous pas à les donner ici.
Robert venait de forcer l'Empereur Louis de Bavière, qui s'était emparé de Rome, à sortir de cette capitale du monde chrétien , et sa puissance était en ce moment formidable, lorsqu'un malheur affreux vint l'affliger. Charles, Duc de Calabre, son fils unique, avait été frappé d'une fièvre qu'il avait prise à la chasse. Il était mort le 14 novembre 1328. Marié deux fois, d'abord à Catherine d'Autriche, dont il n'avait pas eu d'enfants, puis à Marie de Valois, fille de Charles de Valois, il ne lui restait que deux filles Jeanne et Marie.
C'est à la mort de ce fils, qui était l'objet de toutes ses espérances, que le bon Roi Robert s'écria avec le prophète : La couronne est tombée de ma téle; malheur à moi! malheur à vous! Triste pressentiment que l'avenir ne réalisa que trop.
Cette mort dût lui rappeler un objet important. Suivant les règles établies par Charles II , son père, en faveur des descendants mâles, sa succession aurait passé au Prince de Tarente , ou au Duc de Duras, parce que le Duc de Calabre ne laissait que deux filles. Robert dérogea à ces règles, et nomma ses deux petites-filles, héritières, tant de son royaume des Deux-Siciles, que de ses Comtés de Provence , de Forcalquier et de Piémont. Jeanne l'aînée devait succéder la première, et ce n'était qu'en cas où elle mourrait la première sans postérité que Marie devait entrer
en possession de ses états.
Pour assurer l'exécution de ces dispositions, il provoqua l'hommage de ses vassaux et des communautés à ces deux princesses. La lettre de ce Prince transmise à l'université de Digne, par l'intermédiaire du Sénéchal Philippe de Sanguinet, est datée du 8 mars 1330, et l'hommage fut prêté au nom de la ville par deux de ses Syndics, Jean Albéric et François Bocher, le 13 avril 1331 . Cet hommage fut reçu à Avignon par le Grand-Sénéchal, avec toutes les solennités d'usage.
Les Syndics de Digne, comme toujours, après avoir prêté foi et hommage, à genoux, les mains jointes, sur les saints Evangiles, et avoir reçu le baiser de paix, firent consigner dans l'acte leurs protestations relatives à la conservation de leurs priviléges, libertés, immunités, franchises, coutumes et de tous leurs droits quelconques. Non content de cette précaution et pour affermir encore cet arrangement , Robert proposa au Roi de Hongrie, qui pouvait avoir aussi des prétentions sur sa succession, de marier la princesse Jeanne avec André son second fils, et Marie avec Louis qui devait être son successeur en Hongrie. Cette proposition fut acceptée, et leur mariage fut célébré à Naples d'une manière brillante, quoique les deux époux fussent encore bien jeunes. André avait seize ans, et Jeanne à peine neuf.
C'est cette année que Léopard de Fulginet, inspecteur envoyé par le Roi Robert, dans presque tous les bailliages de son Comté de Provence, pour faire un relevé exact de ses droits et de ses richesses, soit en biens immeubles, soit en meubles, vint à Digne, où il fit un assez long séjour, parcourant de là les quatre-vingt-trois châteaux qui ressortaient alors du bailliage de Digne, dans lesquels il fut obligé de faire une enquête particulière. Le registre dans lequel il
a consigné les renseignements qu'il recueillit forme un fort volume grand in-4° de près de 600 pages. Il refait le travail des Clavaires, le rectifie au besoin et le complète. Il nous donne des renseignements nouveaux qu'il ne sera pas inutile de constater, en passant en revue l'enquête qu'il fit à Digne. La somme que paient les Juifs pour leur cimetière n'est pas de deux livres tournois, mais de deux deniers d'argent. Les deux deniers que paie le juif Dieulosal ne sont pas dûs par une maison, mais par un simple cloaque de la rue Juiverie.
On remarquera dans l'inventaire un article qui nous a quelque temps embarrassé, mais dont nous avons enfin trouvé une explication que nous croyons très rationnelle. Cet article est celui-ci : Item quasdam ceps factas de novo pro Gibelinis. Il faut remarquer que cet article vient après un article à peu près semblable qui le précède, et conçu en ces termes : Item quasdam ceps .
Il faut d'abord savoir ce que Léopard de Fulginet entend par le mot ceps. Le ceps était un instrument dont on se servait beaucoup à cette époque, et aujourd'hui encore en Italie, destiné à retenir les prisonniers par les pieds. Nous nous servons, en France, d'une chaîne que nous rivons. En Italie, et probablement au Spielberg, on est plus difficile et plus méfiant. Au lieu d'une chaîne, on dispose trois planches, reliées entr'elles par des vis en fer, que l'on rapproche au moyen de ces vis à volonté. On fait passer la planche du milieu entre les deux jambes du patient, les deux autres lui serrent les jambes par les côtés extériéurs , et lorsque les jambes sont convenablement serrées dans ce double étau, le geôlier de la prison peut dormir tranquille, en toute sûreté de conscience.
La prison de Digne possédait bien quelques ceps, depuis que les Comtes et leurs armées avaient pénétré en Italie ; ces ceps étaient réservés aux grands criminels. Mais lorsque Robert fut obligé de se mettre, en Italie, à la tête du parti des Guelphes qui lui avaient livré pour dix ans la ville de Gênes, il se vit dans la nécessité de faire une rude guerre au parti des Gibelins, et un grand nombre de leurs prisonniers fut envoyé en Provence. La route de Digne, par les vallées de la Stura et de l'Ubaye, était la plus courte, la plus facile et alors la plus fréquentée, et les prisons de Digne furent obligées d'abriter plus d'un prisonnier Gibelin transféré en Provence. Or, comme les Gibelins étaient des hommes agités de passions politiques, prompts à s'agiter et difficiles à garder on fit faire à Digne une certaine quantité de ceps qui leur furent exclusivement consacrés. Ce qui explique parfaitement cet article de l'enquête de Léopard de Fulginet, qui nous avait arrêté quelque temps.
A part ces curieux détails, l'enquête de Léopard de Fulginet ne nous apprend, pour Digne, pas d'autres faits que ceux que nous avons déjà trouvés dans les pendants de nos Clavaires. Le Registre Pergamenorum de la cour des comptes, contient un acte, excessivement long, du 12 octobre de cette année. C'est un inventaire des biens meubles et immeubles, appartenant à un notaire de Digne, Jacques Astruge, qui avaient été saisis et confisqués, en suite d'une condamnation prononcée contre lui , de quarante florins d'or, pour un faux dont il s'était rendu coupable dans un acte, fait à la demande du juif nommé Sompnin. Puisque nous avons commencé à parler des Clavaires, achevons ce qui nous reste à dire d'eux pour notre seconde époque, d'autant plus que ce que nous en dirons se rapporte à l'année 1332, pendant laquelle nous ne rencontrons, dans nos archives, que deux actes de si minime importance que nous pourrons, sans remords, les reprendre, en revenant un instant sur nos pas.
Le successeur de Jean Bayssan, comme Clavaire, fut, nous l'avons déjà dit, en parlant de son pendant, Giraud Chambayron, Ce Clavaire, qui venait exercer, pour la quatrième fois, ses fonctions dans un pays qui le connaissait depuis longtemps, et qui le voyait revenir avec plaisir, tomba sérieusement malade dans le courant de l'année 1332, et mourut, pendant qu'il était en exercice, vers la fin du mois d'août ou dans les premiers jours du mois de septembre.
Le Sénéchal Philippe de Sanguinet en fut bientôt informé, et des le 10 septembre, il nomma pour son successeur Raimond Niel, auquel il écrivit une longue lettre, fort intéressante, parce qu'elle expose avec beaucoup de détails les devoirs du Clavaire.
Il ne sera pas hors de propos de l'analyser rapidement. La mort de Chambayron, nécessitant son remplacement, et plein de confiance en sa fidélité et sa droiture, le Sénéchal annonce à Raimond Niel, qu'il le nomme Clavaire de Digne pour deux ans, à compter du jour de son entrée en fonctions, avec vingt livres coronats pour son traitement d'une année.
Il lui recommande expressément de se rendre immédiatement à Digne, après avoir prêté à Aix, en la Cour royale, entre les mains du Juge Mage du Comté de Provence, Jean de Juvénac, et sur les saints Évangiles, le serment de bien et fidèlement remplir ses fonctions. Et pour qu'il ne puisse prétexter cause d'ignorance des règlements faits sur les fonctions du Clavaire, il va les lui faire connaître.
D'abord, dès son entrée en fonctions, il devra rechercher et consigner par écrit , les terres, les châteaux, les propriétés, les droits et les revenus, ainsi que les choses mobilières, qui se trouvaient entre les mains de son prédécesseur, et de plus les créances et les dettes à retirer ou à acquitter, que son prédécesseur n'a pas pu réaliser pendant son Clavariat. Il devra en dresser deux quaternes absolument conformes, contenant la désignation des terres, des droits, des revenus et des choses ci-dessus énoncées, avec toutes les distinctions nécessaires, des dettes restantes, des noms de ceux qui les doivent et de leurs causes, ainsi que des sommes restant à payer, et dont l'acquittement n'aurait pas été fait, lui déclarant que cette charge le regardera personnellement. Un de ces deux quaternes muni de son sceau, devra être déposé à la Curie royale de Digne , et l'autre restera en sa possession, pour que, dans l'examen des comptes, chacun puisse le produire à volonté. Quant à tout ce qui reste dû, il devra le faire rentrer au plutôt, ainsi que tout l'argent et toutes les choses restant dues et provenant soit des gabelles royales, soit de tous autres droits ou revenus royaux, soit enfin de transactions, de condamnations, soit de lattes, et autres causes quelconques, dont il devra faire un quaterne, pour chaque lieu, en y mentionnant d'une manière spéciale, les jours, mois et an de la réception et du paiement , les noms et prénoms de ceux qui paient ou de ceux qu'il paiera , et les causes pour lesquelles le paiement aura été fait, soit de la part des débiteurs, soit aux créanciers de la Curie ; en spécifiant la somme due, celle reçue et celle restant à exiger, et distinguant soigneusement les sommes provenant des droits de trezain, de lods ou d'acapit, et désignant avec soin les noms des vendeurs et des acquéreurs , la qualité et le montant des choses vendues, les cas de quiste, de fouage, de cavalcade et d'albergue , et de toutes autres impositions faites au nom de la Curie royale, et le montant exact des dites impositions, pour lesquelles sommes, il devra dans son compte, rapporter les noms de ceux qui y auront contribué dans chaque lieu.
Il devra apporter le plus grand soin et toute la diligence possible, à veiller à la conservation des droits et des biens de la Curie, en affermant aux meilleures conditions possibles tout ce qui pourra l'être avec avantage. Mais, dans tous les actes de sa gestion, soit lorsqu'il affermera, soit lors qu'il recevra, ou fera un paiement, il doit le faire de l'avis et du conseil du Bailli et du Juge, qui devront, pour plus de garantie, apposer leurs sceaux aux comptes d'entrée et de sortie qu'il rendra.
Il lui est expressément recommandé de reproduire dans son quaterne, mot-à-mot, toutes les quittances qu'il délivrera en sa qualité de Clavaire, et toutes les conventions qu'il pourra consentir. Relativement aux quittances, pour les sommes excédant vingt sols, il devra faire des quittances publiques et notariées : quant à celles d'une somme inférieure, il pourra se borner à demander au Bailli et au Juge d'apposer leur sceau sur son quaterne, ainsi qu'il a été dit, sauf aux Maîtres Rationaux à examiner les causes et les circonstances d'un pareil paiement, et à le réduire, s'ils y trouvaient quelque erreur ou quelque irrégularité. . .
Le Sénéchal lui recommande de faire dans son pendant, à son entrée en fonctions, un inventaire exact des blés, vins et autres denrées mobilières, qui se trouvaient entre les mains de son prédécesseur, en indiquant la quantité, la qualité, l'état, et le lieu où ils se trouvent, et d'en faire, dans l'intérêt de la Curie, l'emploi le plus avantageux. Il devra également rapporter, dans son quaterne, toutes les conventions qu'il passera, avec les quittances à l'appui, les titres en vertu desquels il aura agi, et dans le cas où les quittances auront été faites par acte public, il en fera la transcription.
Moyennant la stricte exécution de toutes ces obligations, il pourra retenir sur les recettes qu'il fera la somme de vingt livres, montant de son traitement. Mais , lorsque le terme de ses fonctions de Clavaire sera arrivé, il ne pourra, dans aucun cas, abandonner son poste, avant l'arrivée de son successeur, et sans lui avoir dressé dans la quinzaine qui suivra son arrivée, un quaterne scellé de son sceau indiquant tout ce qui reste encore dû sur les droits de la Curie.
Dans le mois qui suivra ces quinze jours, destinés à faire son pendant, il devra comparaître, à Aix, devant la Cour des Maîtres Rationaux, pour rendre ses comptes définitifs, et obtenir un acte public, qui l'affranchisse définitivement de toutes les obligations auxquelles il pourrait être tenu envers son successeur, pendant le temps du Sindicat auquel tous les Clavaires ont été soumis par un édit tout récemment rendu.
Un compte annuel devra également être par lui rendu, tant que dureront ses fonctions de Clavaire, devant la Cour des Maîtres Rationaux, chaque année, pendant les quinze jours qui suivront la solennité de la Toussaint. Il ne devra jamais oublier que s'il négligeait de remplir une seule des obligations qui lui sont imposées, il perdrait la moitié de ses gages d'une année.
Le Sénéchal finit en ordonnant à tous les habitants des communautés du Bailliage dans lequel le Clavaire nommé va exercer ses fonctions, lui obéissent en tout ce qui se rapporte aux actes de son administration.
Raimond Niel devra, dans les quinze jours de son entrée en fonctions, faire connaître, à ses frais, à Noble Jean de Juvénac, Juge Mage des Comtés de Provence et de Forcalquier, le jour précis auquel il aura commencé à exercer.
Ces lettres sont datées de la ville d'Apt, du 10 septembre 1332. Elles donnent les renseignements les plus circonstanciés sur le Clavariat; elles font connaître cette institution de nos Comtés de Provence et de Forcalquier de la manière la plus complète, et nous ne croyons pas nécessaire d'ajouter d'autres développements à l'analyse que
nous en avons faite avec la fidélité la plus scrupuleuse. Au mois de mai, de nouvelles contestations s'élevèntt entre les Seigneurs des Sièyes et les habitants de la communauté de Digne. La question qui les divisait, était celle du paiement des services dûs au Seigneur. Les parties n'étaient d'accord, ni sur le lieu où devait être effectué ce paiement ni sur la monnaie en laquelle il devait être fait.
Les habitants du Château de Digne, soutenaient que ce paiement devait être fait à Digne ; les Coseigneurs des Sièyes, au contraire, prétendaient que c'était aux Sièyes que ce paiement devait avoir lieu.
D'autre part, comme les variations dans la valeur des monnaies étaient fréquentes, et qu'une monnaie d'une valeur donnée à une certaine époque, tombait souvent à une valeur inférieure, les Co-seigneurs des Sièyes, voulaient que leurs tenants de Digne les payassent en bons refforciats, tandis que les habitants leur répondaient qu'ils n'étaient tenus à les payer qu'en la monnaie courante, celle qui leur servait dans tous les usages de la vie, et avec laquelle ils achetaient journellement le pain et le vin nécessaires à leurs familles.
Ces questions étaient soutenues et débattues de chaque côté, avec la même énergie, et les Seigneurs des Sièyes, pour contrarier les habitants du Château, et leur rendre difficile l'exploitation de leurs propriétés, firent, vers le milieu du mois, une criée, par laquelle il était expressément défendu à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu'elles fussent, d'entrer dans les vignes des habitants de Digne, sous peine d'un ban de dix sols, pour chaque fois, et pour chaque animal introduit, et contre toute personne qui, n'étant pas propriétaire, s'y introduirait. Les Seigneurs des Sièyes voulaient ainsi empêcher les habitants de faire faire leurs travaux de culture, par des ouvriers et des cultivateurs étrangers, les empêcher même de venir prendre leur récolte avec des bêtes de somme pour les transporter à Digne, au lieu de leur domicile. Dès que les Cominaux eurent avis de cette criée, le 20 mai 1332, ils se présentèrent devant le Vice-Bailli, Jean de Caneries, et le Juge Jean de Quincia, et demandèrent acte de la lecture
d'une plainte qu'ils leur adressaient contre cette criée illégale des Seigneurs des Sièyes. C'étaient Lions Gronhi, Guillaume Durand et Pierre Mercadier, qui se présentaient en leur qualité de Cominaux, déclarant agir, tant en leur nom personnel, qu'au nom de l'université des habitants du Château de Digne. Cette plainte faisait connaître aux Officiers royaux quel préjudice immense serait causé aux habitants du Château , en même temps qu'à la Curie. Le Clavaire, Jean Bayssan, intervint au nom de la Curie, et fit la réquisition qu'il fût procédé à une enquête pour obtenir la vérité sur l'acte récent des Baillis des Châteaux voisins, pour qu'il pût connaître les faits, et prendre la défense des droits de la Curie , ainsi que c'était son devoir.
Les Bailli et Juge, étant d'avis qu'il y avait lieu d'informer, ordonnèrent qu'il fût adressé des lettres aux Seigneurs desdits Châteaux de Courbons et des Sièyes, pour que, dans les deux jours de la réception desdites lettres, ils eussent à faire parvenir à la Curie royale, sous peine d'une amende de cinquante livres, une copie exacte et en forme
des criées par eux ordonnées. Les Cominaux et le Clavaire demandèrent un instrument public de cette présentation et de la sentence des Officiers royaux, ce qui leur fut accordé.
Nous ne trouvons plus, dans nos archives, aucun acte relatif à ces criées, ce qui nous prouve que les Seigneurs des Sièyes et Courbons renoncèrent à leurs prétentions exagérées et firent connaître les véritables questions sur lesquelles ils étaient en désaccord avec les habitants de Digne, relatives au lieu dans lequel devait être fait le
paiement des services, et la monnaie en laquelle ce même paiement devait s'effectuer.
Toute l'année 1333 dût se passer en procès, dont il ne reste aucune trace, si ce nest cependant une lettre du Sénéchal Philippe de Sanguinet, qui dût être provoquée par les habitants de Digne, pour leur servir de titre dans leurs
contestations avec les Seigneurs des Sièyes, car elle décide, pour les Officiers royaux, la question qui précisément s'agitait entre les Seigneurs des Châteaux voisins et les habitants de la communauté de Digne, savoir en quelle monnaie les droits perçus par la Curie devaient être exigés.
Philippe de Sanguinet dit aux Officiers de la Curie qu'ils doivent s'en référer aux titres; mais que, lorsque les titres ne disent rien, ils doivent approuver les paiements faits en monnaie de cours.
Cette lettre, datée du 9 novembre 1333, fut présentée, le 20 décembre suivant, à Pierre Bon, remplissant les fonctions de Bailli, et à Bulgarin deTibald, Juge, par les Cominaux Jean Ranulphe et Nicholas Imbert.
Le 22 décembre, deux jours après, Jean Ranulphe et François Bocher, Cominaux, font une nouvelle présentation de cette lettre, au même Juge, et en requièrent l'exécution. Bulgarin de Tibald, ne sachant pas les noms de tous ceux qui étaient tenus d'un paiement de services, fit faire une criée, par laquelle, il ordonna à tous ceux qui percevaient des services, dans la cité, de les recevoir en la monnaie alors de cours; que si cependant ils avaient des réclamations à faire ou des oppositions à former, ils n'auraient qu'à comparaître devant la Curie royale, en présence du Juge et du Bailli, qui les décideraient.
Il ne restait plus , dès lors , dans les questions qui divisaient les Seigneurs des Sièyes et leurs tenants du Château de Digne, que celle relative au lieu où devait avoir lieu le paiement. Devait-il être effectué dans le lieu où était le Seigneur, ou dans le Château de Digne ?
Cette question était vivement débattue par les deux parties, on dût cependant s'interposer en tr 'elles; car pendant l'année 1334, à deux reprises différentes, la première fois le 18 juin, et la seconde fois, le 21 mars , il intervint entre
les parties deux compromis par lesquels elles s'engageaient réciproquement à en passer par la décision de Jacques Ardoin, homme de loi de la ville de Digne.
Les Seigneurs des Sièyes étaient toujours Nobles Barras de Barras de St. -Etienne, et un membre de la famille Aperioculos.
A Digne , il y avait tant d'habitants intéressés que c'étaient les Cominaux Vincent Marin, Guigues Gronhi et Pierre Raba, associés à quelques habitants intéressés à la question, qui avaient pris en mains ce procès. Le compromis du 18 juin 1334, fut consenti entr'eux. On exigea que N. Barras de Barras, qui n'avait été que représenté au compromis par son fils Guillaume de Barras, l'approuvât et donnât sa ratification , ce qu'il fit , deux jours après , le 20 juin suivant.
Il paraît cependant que ce compromis ne produisit aucun effet, car le 3 décembre de la même année, jour de samedi, Vincent Marin et Pierre Raba, deux des Cominaux de cette année, après avoir duement fait assigner les Co-seigneurs des Sièyes à être présents devant la Curie royale au jour indiqué, comparurent en leur nom personnel comme intéressés à la question , et comme Cominaux, avec quelques autres probi homines également engagés dans la lutte, et firent une consignation, entre les mains du Bailli et du Vice-Juge, d'un sac de cuir contenant douze
livres, somme par eux due à Noble Barras de Barras, qui ne se présentait pas sur l'assignation qui lui avait été donnée.
Les noms de tous les tenants du Seigneur des Sièyes, sont mentionnés dans l'acte qui fut dressé de cette consignation. C'était N. Jacomin Aperioculos, qui, parent d'un des Co-seigneurs, n'en défendait pas moins les intérêts du Château qu'il habitait; Jean Ranulphe , François Bocher, Bertrand de Marcoux, Léon Gronhi, Guido Aperioculos, Raimond Turrel, en son nom et au nom de sa mère, Ardequin Aperioculos, Isnard Ayme, tant en son nom , qu'au nom de François Ayme , Etienne Audibert, en son nom et comme tuteur d'Hugues de Courbons , Pierre Guigues , les hoirs
et héritiers de feu Martin Bertrand , Durand Autrat, ou peut-être Autric, Guillaume Grassi, Bertrand Celat, Manchon de l'Étang, Pierre de Marcoux, François Mercadier, François Ayme, Jean Marro , Pons Gronhi , Nycolas Chapelle ,
Étienne Lambert, Laurent Saunier, Pierre Salaucon , en son propre et au nom de Jean son frère, Jean Raimond, fils, Guillaume Barbier, Jean Monnier, Lantelme Lantelme, Hugues Juglar, Pierre Baudon, et Boniface Mercadier.
Quelques instants plus tard, Guillaume Cordel, Procureur fondé de Noble de Barras, se présenta, et déclara qu'il était prêt à recevoir , mais dans le Château des Sièyes , les services que les tenants du Seigneur dudit Château offraient de payer.
Les Cominaux déclarent alors que si le sieur Guillaume est muni d'un pouvoir suffisant, ils sont prêts à se défendre , à se soumettre à la décision des magistrats de la Curie ; puis s'adresssant à eux, ils leur demandent de faire un sérieux examen de la question soulevée, et ils ne doutent pas qu'ils ne décident que ce paiement doit être fait à Digne, comme il l'a été depuis l'antiquité la plus reculée, et qu'il doit être fait en la monnaie courante. Le Bailli et le Juge , après avoir entendu les parties, se réservent de prononcer alors que les unes et les autres, tant les Cominaux que le sieur Guillaume , comparaîtront devant eux munies de pouvoirs réguliers et suffisants. Cependant en attendant, ils ordonnent le dépôt, entre les mains de Bertrand d'Ayrols, notaire de la Curie, du sac de cuir déposé par les Cominaux, et contenant douze livres, chaque gilat d'argent compté pour 25 deniers.
Les Cominaux présents réclament, ainsi que Guillaume, un instrument public. Ce procès dût être arrêté, car le 21 mars suivant, il y eut un nouveau compromis passé, qui n'amena pas plus de sentence arbitrale que le premier.
Le 19 août 1335, il en fut passé un troisième, et aucun de ces compromis ne fut suivi d'une sentence qui mit fin à ce procès. Il paraît que les Seigneurs des Sièyes ne le poursuivirent pas, et se résignèrent à recevoir le paiement de leurs services dans le Château de Digne.
Le 4 juillet 13361, le Sénéchal Philippe de Sanmiinet adressa au Juge de Digne des lettres, reproduisant celles du 14 avril 1298 du Roi, Charles II, qui autorisaient le privilége du vin, pour lui en recommander l'exécution. Ces lettres doivent être le dernier acte d'un procès que la communauté dût avoir à soutenir pour cette grande question qui devait soulever les réclamations des habitants des Châteaux avoisinant la ville de Digne. Mais il n'en reste malheureusement aucunes traces. Gassendi publie de cette année un mandement du Bourg, du Juge du Prévôt, Seigneur du Bourg. Ce Magistrat, Rostang Guiramand, avait fait emprisonner un habitant du Bourg, Raimond Borrelli, qui s'était rendu coupable des griefs très graves contre la juridiction du Prévôt, et qui était parvenu à s'échapper de sa prison et à rompre son ban. Le Juge fait faire une criée, pour que ce prisonnier évadé ait à comparaître , dans les dix jours, devant la Curie prévôtale, sous peine d'une amende de vingt livres, qui, faute par lui de comparaître, serait exécutée sur ses biens.
Le Prévôt, à cette époque, était le Seigneur du Bourg, et il paraît qu'il vivait en bonne harmonie avec les Consuls qui avaient l'administration de la communauté, car l'autorité des Consuls se trouve invoquée dans ce mandement avec celle du Prévôt.
Il possédait des revenus considérables, et était, après l'Évêque, le dignitaire le plus puissant de l'Église. Il avait un droit de juridiction sur le Bourg et son territoire, de basse juridiction , sans aucun doute.
L'inventaire, publié par Gassendi1, nous fait connaître tous ses revenus. Il percevait un droit de leyde, droit qui se levait sur les marchandises débitées au Bourg, et lui rendait communément par an vingt-cinq livres viennoises. Il percevait environ quatre septiers de blé, légumes, noix et autres choses semblables : les revenus des fours, du
moulin, dit l'hôpital, des lods, et des menus services s'élevaient annuellement à sept livres viennoises : il avait droit, en outre, à des perdreaux et des poules qu'on lui payait à titre de cense ; il prélevait un certain nombre de charges sur le foin que l'on récoltait au Bourg; il récoltait, en outre, les produits des prés et des vignes de la Prévôté; il avait encore des droits sur les bois qui entouraient la Prévôté. Il percevait un droit sur la chasse. Il avait la dîme du blé qui se récoltait au Bourg, et qui valait, année commune, 80 septiers, celle du vin, qui lui donnait 400 coupes de vin; celle des divers jardinages, tels que choux, porreaux, etc. Le Prévôt percevait encore 50 coupes de vin dans l'Église de Gaubert; 20 septiers d'avoine et 4 septiers de blé froment qu'il prélevait sur le bénéfice du Vicaire perpétuel de l'Église des Dourbes. Il avait, en outre, une carterée de sel à prendre, tous les samedis, dans les salines du Bourg.
Les Leçons pour les morts, et tous les salaires spirituels lui appartenaient, comme aussi les droits de pacage, de ban et de pulvérage.
Il avait le droit, chaque semaine, dans les temps de maturité, de prendre des figues et des raisins, dans les vignes du Pré des Plantais, pour l'usage de sa table. De même, il avait le droit du quart sur les jardinages et les autres fruits du quartier des Eaux-Chaudes. Tout cela produisait annuellement huit livres viennoises.
Il percevait, à Marcoux, des services en blé à titre de cense, sur quelques vignes, prés et autres terres, d'une valeur annuelle de 60 septiers. Les services de minime valeur ne s'élevaient qu'à 15 deniers par an.
Il jouissait audit Marcoux de divers droits de lods et d'une cense d'une poule. La dîme de Courbons lui produisait 30 septiers d'orge ou de froment, et environ trente coupes de vin.
Le Château de la Roque lui servait une cense annuelle d'une once de gérofle. Le Prévôt jouissait encore au Bourg de l'enclos des Arnaud, dont il recueillait les fruits, à la charge par lui de tenir un Prêtre, qui desservît l'Église comme les autres serviteurs.
Le Prévôt devait conserver par écrit la liste de toutes les maisons et de toutes les propriétés rurales et de leurs dépendances, sur lesquelles il percevait de menus services pécuniaires, et à la conservation desquelles il devait veiller, pour ne pas perdre son droit de lods.
Le Prévôt payait , pour la dîme de la Prévôté, soixante-quinze livres Provençales refforciats. Le Prévôt, on le voit, avait une prébende excessivement grasse, pour nous servir de l'expression consacrée; il avait des revenus qui convenaient à sa haute dignité; car, placé à côté de son Evêque, il était le Seigneur du Bourg, comme l'Évêque était le Seigneur du Château.
Comme lui, il avait sur le Bourg la basse juridiction, les priviléges d'une directe moins étendue que celle de l'Evêque, mais qui avait encore une certaine importance.
Cependant les habitants du Bourg, comme ceux du Château , pour les causes de haute et moyenne juridiction, ressortaient de la Curie royale, qui avait son siége à Digne. C'était le Clavaire de Digne, qui y percevait
les tailles royales, et c'était le Bailli qui approuvait les actes des Consuls, et sanctionnait les choix d'agents communaux subalternes qu'ils choisissaient.
Mais les Consuls du Bourg étaient de véritables représentants de la communauté, et devaient être orgueilleux de leur pouvoir, en présence du pouvoir si restreint des Cominaux du Château. Cependant, tandis que le Château prospérait,
tandis que son commerce prenait de l'extension, tandis que la vie publique y prenait de la force, celle du Bourg s'affaiblissait. Les habitants du Bourg se trouvaient réduits à quelques familles : de jour en jour des émigrations avaient lieu, et l'effet que produisent aujourd'hui les grandes villes sur nos hameaux et sur nos villages, se
faisait sentir en petit, sur le Bourg, en présence du Château.
Ceux qui ne pouvaient pas, par suite de leur nature et de leur organisation, se plier aux rudes travaux de la campagne, venaient dans le Château apprendre un état, ou se livrer au commerce. Il y avait plus d'activité au Château, et on s'y sentait attiré par une force inconnue qui entraînait souvent sans qu'on pût s'en rendre raison.
Le Consulat lui-même était décrépit. Le Prévôt avait une influence telle que les Consuls n'étaient plus que ses humbles serviteurs. Rien ne se faisait que de l'autorité du Prévôt; aussi les hommes chez lesquels restait un levain d'indépendance, jetaient-ils un regard d'envie sur le Château, où les libertés publiques trouvaient des défenseurs.
Cet affaiblissement du Bourg devait, un jour, amener la réunion des deux communautés en une seule, et, en effet, ce fut ce qui arriva en 1385, lors de la création du Syndicat. Dans le courant de l'année 1337, et le 17 octobre , la ville de Digne reçut la visite du Sénéchal Philippe de Sangumet. Quels motifs attirerent ce représentant des Comtes de Provence dans notre modeste cité? C'est ce qu'il est fort difficile de dire d'une manière sûre.
Robert était encore en Italie. Pour étouffer les prétentions, sur la Sicile et sur le Comté de Provence, du Roi de Hongrie, il avait donné à André, son fils, la main de Jeanne, l'aînée de ses petites-filles, jeune Princesse pleine de grâces, d'une nature toute méridionale, qui eut quatre maris, et qui expia, par une mort atroce, toute une brillante vie de désordres.
Le Pape Jean XXII était mort à Avignon, le 4 décembre 1334, et fut remplacé, le 20 décembre de cette même année par Benoit XII, son successeur. Robert avait perdu en lui l'instrument le plus puissant de sa politique. Il lui fut ravi, au moment où par son secours, il aurait pu rentrer en possession de la Sicile. Il en entreprit de nouveau la conquête, et ce fut peut-être pour lui envoyer des troupes que Philippe de Sanguinet vint à Digne.
Ce grand Sénéchal laissa trois lettres en souvenir de son passage, qu'il accorda aux sollicitations des habitants, probablement représentés par leurs Cominaux.
Par la première , il recommande aux Officiers royaux la sévère exécution du privilége du vin, qui préoccupait beaucoup nos pères à cette époque, et il les autorise à frapper les contrevenants d'une peine de cinquante livres.
La seconde est une satisfaction nouvelle donnée aux réclamations incessantes des habitants du Château, qui se voyaient forcés à payer le montant de condamnations prononcées contre eux, en une monnaie différente et probablement d'une plus haute valeur que celle courante, au moment où les condamnations avaient été portées.
Philippe de Sanguinet écrit au Clavaire, pour qu'il n'exige jamais les sommes dues à la Curie qu'en la monnaie de cours, au moment où le droit s'était ouvert.
Enfin, il paraît que les notaires de ce siècle pressuraient un peu les habitants du Château qui étaient obligés de recourir à leur ministère. Philippe de Sanguinet presse les Baillis et les Juges d'examiner attentivement les comptes de frais des notaires, et de ne jamais leur permettre de réclamer des droits trop forts. Quelque temps avant sa venue à Digne, le 30 juin , Philippe de Sanguinet avait adressé au Bailli et au Juge de la Curie, une lettre qui leur ordonnait de faire une enquête sur un fait scandaleux qui s'était passé dans l'établissement des Bains.
Quelques individus, jeunes encore sans doute, et qui peut-être avaient fait, en arrivant, de copieuses libations, ainsi que l'usage s'en est fidèlement conservé jusqu'à nos jours, voulurent aller se baigner. On leur dit que des femmes occupaient les salles des bains. Ce fut, de leur part, une raison pour insister. Ils enfoncèrent les portes et firent à ces pauvres femmes, malgré les efforts des gardiens, des outrages qui méritaient une juste répression. Le Sénéchal en fut informé, et il écrivit immédiatement au Bailli et au Juge, de procéder sans retard à une enquête sur les faits qui lui avaient été dénoncés, avec ordre de les poursuivre et de les punir avec rigueur.
Robert Robert revint en Provence dans le courant de l'année 1338, toujours préoccupé, de la pensée de transmettre son héritage à sa petite-fille, Jeanne.
Il s'occupa beaucoup de l'administration de son Comté de Provence, et y réforma beaucoup d'abus. Il ne nous reste, de cette année , qu'un procès fait, pour le maintien du privilége du vin, qu'il ne sera pas inutile de faire connaître, pour que l'on puisse comprendre jusqu'à quel point nos pères portaient l'exagération, sur l'exécution d'un privilége.
C'est Pierre Dufour qui est Juge de la Curie de Digne et qui siége devant son tribunal, suivant la forme antique. Il cite d'abord une lettre du Sénéchal, Philippe de Sanguinet, du 4 juillet 1337, la même que celle du 4 juillet 1336, dont nous avons parlé, qui n'a une date différente que par suite d'une erreur de l'un des copistes. En exécution de cette lettre, il avait été procédé à une enquête, et le notaire rédacteur rapporte les dépositions de nombreux témoins qui attestent la contravention.
Le Juge fait ensuite transcrire deux criées, l'une faite, le 31 août 1336, de l'autorité du Bailli, Charles Gentil, et du Juge, Pons de Rigaud, à la réquisition de François Baudoin, notaire et Cominal de la cité de Digne. La sentence contient tout le procès-verbal de la criée.
Vient ensuite une seconde criée faite le 25 août 1337, de l'autorité du Bailli Élion de Malauselh et du Juge Jean de Tabia, sur la réquisition de deux Cominaux dela ville de Digne, Arnoux Guiramand et Simon Giraud. Tous ces titres ayant été ainsi scrupuleusement reproduits , le Juge fait approcher le prévenu, et lui reproche l'outrage qu'il a fait au privilége de la ville de Digne, en introduisant frauduleusement du vin étranger.
Le prévenu, Paul Boère, expose alors dans quelles circonstances il a fait cette introduction de vin. Son frère Isnard Boère et lui, avaient une soeur, qu'ils ont mariée avec un habitant des Mées. Or, il est vrai que, le jour des noces, ils firent apporter des Mées neuf coupes de vin, que le prétendu avait lui-même fournies, et tous les invités à la noce le burent pour la célébration du mariage ; mais ils n'ont jamais entendu faire entrer du vin pour le vendre. Le Juge fut désarmé par une pareille défense, et prononça l'acquittement du prévenu. Une des particularités les plus intéressantes de ce procès, c'est que le coupable était assisté d'un avocat, Pierre Bon Aperioculos, qui se borna à
réclamer, au nom de son client, un instrument public, qui lui fut accordé.
procès Les Comtes de Provence, que leurs guerres d'Italie entraînaient à d'immenses dépenses, employaient toute espèce de moyens pour se procurer des ressources. Un de leurs moyens les plus ordinaires, c'était l'aliénation de quelques-uns de leurs droits dans les diverses communautés de leurs Comtés.
A Digne, ils percevaient un droit de cosse (1), pour le mesurage du blé, et un droit de leyde (2), pour le pesage des marchandises qui se vendaient sur les marchés publics.

(1) La Cosse, cocia, était la mesure qui servait pour le blé. Le droit perçu pour le mesurage du blé avait pris son nom.

(2) La Leyde était un droit perçu sur les grains et autres mar chandises, exposés en vente aux foires et marchés. De leuda, vieux mot latin, qui signifiait prestation ou tribut de toute sorte. La leyde se payait en argent ou en denrées.
Il y avait la grande Leyde, qui ne s'appliquait qu'aux grains, et la petite, qui portail sur toutes les marchandises étalées au marché.

Le Clavaire affermait ces droits, et la Curie en retirait un revenu annuel. Mais à Digne, ce droit de cosse et de leyde avait été aliéné, et c'était Noble Sparron d'Esparron, Seigneur de Bellegarde, qui en était devenu le possesseur, et qui avait, à Digne, un agent pour l'exploiter.
Cet agent , était en 1339, Pierre Gronhi, marchand, de Digne, qui agissait au nom de Noble d'Esparron. Pour accroître ses revenus et ceux de son cédant, Pierre Gronhi, se fondant sur son titre, avait requis le Juge de Digne Guirand de Viens, de faire faire une criée, qui, à ce qu'il paraît, imposait des droits plus forts que ceux que les habitants étaient habitués à payer, et portait que des peines seraient prononcées contre les contrevenants. Cette criée fut faite, dans le courant du mois de février, et dès le 22, les Cominaux de Digne se présentèrent devant un notaire, Raimond Malsang, et demandèrent acte de leur déclaration d'appel qu'ils émettaient contre la criée qui avait eu lieu.
Cette criée avait ému toute la ville ; les Cominaux, qui étaient depuis quelque temps chargés de poursuivre les procès de la communauté, et qui le faisaient déjà sans qu'on leur contestât leur titre de représentants de la communauté, les Cominaux de cette année, Isnard Aymes et Jean Marro, ne pouvant, à cause des affaires du Château quitter Digne, et aller soutenir ce procès, se substituèrent deux prud'hommes de Digne, Jean Bermond et Raimond de Lambert, ainsi que deux avocats d'Aix, Isnard Hugolin, et Andorin d'Andora.
Le six mars suivant1, ils se présentèrent de nouveau devant un notaire, Etienne Audibert, et donnèrent pouvoir à ces deux prud'hommes de Digne, et aux deux avocats d'Aix, de poursuivre l'appel émis contre la criée, faite au nom de Noble D'Esparron. Ils déclarèrent agir, comme administrateurs, tant en général, qu'en particulier, des affaires de la communauté de Digne, dont les nécessités du moment les empêchaient d'abandonner leurs fonctions.
Prévoyant le cas où les Cours pourraient contester leur défaut de pouvoir légal et régulier, ils leur donnèrent subsidiairement pouvoir de solliciter, du Grand-Sénéchal, l'autorisation de nommer des Syndics pour poursuivre ce procès. Ils leur transmirent enfin tous les pouvoirs dont ils seraient eux-mêmes revêtus en leur qualité de Cominaux. Il est fâcheux qu'il ne nous reste pas plus de rnseignements sur ce procès; mais l'acte qui nous le fait connaître, est le seul de nos archives des années 1339 et 1340. Et cependant cet acte nous apprend que la cité luttait plus que
jamais, car si les Cominaux ne poursuivaient pas eux-mêmes, c'est qu'ils étaient retenus à leur poste par l'importance et les difficultés des affaires de la communauté, aliïs ardttis negociis dicte universitalis obpressi.
Elzéard de Villeneuve était alors Évêque de Digne. C'était lui qui avait succédé à Guillaume de Sabran. Gassendi nous apprend qu'il avait été d'abord Chanoine à Fréjus et à Marseille, et qu'en suite devenu Évêque, il prêta hommage en 1334.
Le pendant du Clavaire Audibert de Montpezat cite un fait que nous ne connaissions pas, c'est que pendant qu'il siégeait à Digne, deux frères, habitants de cette ville, François et Thomas de Varades, accusés de la mort de Jean
Ranulphe , autre habitant de la même cité, avaient été poursuivis par les Officiers royaux, et tous leurs biens avaient été confisqués.
Ensuite de cette confiscation, un partage intervint entre Philippe de Sanguinet, au nom de la Curie et Elzéard, Évêque de Digne. Cet acte de partage fut passé devant le notaire Guillaume de Lauris.
Le Clavaire ne dit pas la date de cet acte de partage, mais il mentionne la présence simultanée de Philippe de Sanguinet et de l'Évêque Elzéard de Villeneuve. C'était un notaire de Digne qui en était le rédacteur. Il est à peu près certain que cet acte fut fait, lors du passage à Digne, de Philippe de Sanguinet, vers la fin d'octobre 1337.
Le 22 mai 1341, Elzéard de Villeneuve fit avec son Chapitre, le viii eme statut de l'Église de Digne. Il ne contient que quatre Canons, mais quelques-uns offrent un intérêt tout particulier.
Le premier défend la célébration et la participation à un mariage secret, et punit tous ceux qui le faciliteraient d'une amende de dix livres applicable en oeuvres pies.
Le troisième défend expressément aux Clercs et autres serviteurs de l'Eglise, de s'absenter de leur église ou du diocèse, sans une permission expresse de l'Evêque ou de son Vicaire général, et ce sous peine d'une amende de 30 sols. Le quatrième consacre l'usage qui s'était établi de frapper d'un demi-lods, de dix en dix ans, tous les biens acquis par l'Église ou par des communautés religieuses qui tombaient en mains mortes.
Enfin, nous avons réservé le second pour le dernier, car il contient un des actes de ce siècle les plus curieux. C'est le serment que l'on imposait à tout Juif qui plaidait contre un Chrétien. Ce serment, qui parait aujourd'hui fort extraordinaire, était alors accepté, et les Juifs s'y soumettaient , parce qu'à cette époque ils étaient tombés dans un tel état d'abrutissement qu'ils avaient perdu la conscience et le sentiment de toute dignité humaine. Ce serment est connu ; nous croyons devoir en donner une traduction (1).

(1) Nous ordonnons que si un Juif a quelque affaire avec un Chrétien ou contre lui , ou qu'il porte témoignage contre lui , il soit tenu de jurer en cette forme :
Jures-tu par Dieu le Père Adonaï? R. Je jure.
Jures-tu par le Dieu Tout-Puissant des armées ? R. Je jure.
Jures-tu par le Dieu d'Elohi? R. Je jure.
Jures- tu par le Dieu qui apparut à Moyse dans le buisson ardent ? R. Je jure.
Jures-tu par les dix noms de Dieu? R. Je jure.
Jures-tu par toute la loi que Dieu n donnée à Moyse son serviteur? R. Je jure. Si tu es coupable de cette chose, tu deviens parjure des noms de Dieu et de sa loi. Que Dieu envoie sur toi une tourmente, uue fièvre quotidienne, tierce et quarte ; que Dieu envoie sur toi et mette dans tes yeux toutes les angoisses de ton âme.
Le Juif répond : Ainsi -soit-il.
Que tes ennemis dévorent le fruit de ton travail; que Dieu t'envoie le souffle de sa colère, et que tu tombes anéanti devant tes ennemis. Qu'ils aient sur toi une puissance souveraine ; et que tu prennes la fuite sans que personne te poursuive ?
R. Ainsi-soit- il.
Si tu es parjure des sacrements de Dieu, que Dieu brise tes forces et ta puissance ; qu'il porte dans ta maison la dévastation et la ruine ; que Dieu déchaîne sur toi les bétcs fauves, et qu'il t'impose tes cruels ennemis. R. Ainsi-soit-il.
Que Dieu te fasse sentir son glaive vengeur ; qu'il t'accable de la peste ; qu'il t'enlève le pain qui te substante pour que tu manges, et que tu ne puisses jamais te rassasier. R. Ainsi soit- il.
Si tu parjures ton serment, mange la chair de tes enfants; que Dieu fasse périr ton corps , et qu'il déchaîne une mort
affreuse sur le corps de tes enfants. R. Ainsi-soit-il.
Que Dieu rende la maison déserte ; qu'il détruise ton foyer ; qu'il t'efface de la terre ; que tes ennemis habitent dans ta maison ; qu'ils souillent ton épouse ; que Dieu te rende vagabond sur la terre, et que personne ne jette un seul regard sur loi. II. Ainsi-soit-il.
Que le glaive de la mort te suive partout ; que Dieu remplisse ton coeur d'angoisses et de craintes ; que le bruit des feuilles des arbres t'épouvante comme un glaive menaçant. R. Ainsi soit- il.
Sois errant parmi les nations, et meurs au milieu de tes ennemis; que la terre t'engloutisse comme autrefois Datan «t
Abiron et qu'elle te dévore. R. Ainsi-soit-il.
Si tu parjures ce serment : que Dieu repousse ton coeur inique et méchant ; que tous tes crimes, que ceux de tes parents retombent sur ta tête ; que toutes les malédictions portées dans les livres de Moyse et des Prophètes retombent sur toi. R. Ainsi soit- il , ainsi-soit-il , ainsi-soit-il , soit , soit , soit.

Le 7 mars de la même année, un Parlement public fut tenu à Digne, en suite d'une lettre du Sénéchal Philippe de Sanguinet du 25 février précédent.
Les historiens de Provence sont si avares de faits sur les dernières années du Roi Robert, que nous sommes heureux d'en trouver quelques-uns dans nos archives , relatifs à son histoire , et qu'ils n'ont pas connus.
Quoique revenu en Provence , Robert n'avait pas renoncé à reconquérir la Sicile ; en 1341, il voulait confier cette entreprise à André, le mari de Jeanne, sa petite-fille. Mais pour mener à bien une pareille tentative, il fallait recourir aux États de Provence pour obtenir un fouage qui permit d'organiser et une armée de terre et une armée de mer. Tel fut l'objet de la lettre de Philippe de Sanguinet, du 25 février, qui annonçait aux habitants de la communauté de Digne, que d'après les désirs et les ordres du Roi Robert , approuvés par son Conseil Royal, André, Duc de Calabre et Prince de Salerne, devait au printemps prochain, se transporter en Sicile avec une armée de terre et de mer, pour s'emparer de cette île, en expulser les rebelles et la ramener à l'obéissance et à la fidélité qu'elle lui avait vouée, avant qu'elle n'en eût été détournée par des agitateurs. Mais pour exécuter ce projet , il était obligé de demander à ses états un don gracieux.
Le parlement public fut annoncé à Digne, le 6 mars, dans les formes ordinaires, par le Juge Jacques Dalmas, qui remplissait les fonctions de Bailli. Le Clavaire Guigues de Mauvans lui présenta les lettres du Grand Sénéchal. Le lendemain 7, à la troisième heure du jour, les trois quarts des chefs de famille de la cité se réunirent dans la curie, et nommèrent pour syndics François Bocher et Etienne Audibert, qui, d'après les ordres du Sénéchal, dûrent se rendre
à Aix, pour assister à l'assemblée qui y était convoquée pour le 15 mars.
Quelle est la somme qui fut votée par les Etats? Les historiens de Provence se taisent sur ce point, et nos archives ne nous ont conservé aucun renseignement qui puisse nous la faire connaître.
Cette année 1341 et l'année 1342 nous fournissent quelques actes interessants, en ce qu ils nous font voir les Cominaux s'occupant de l'administration intérieure de la cité. C'est ainsi que le 2 juillet 1341, un des Cominaux, qui n'est désigné dans l'acte que sous le nom de Pierre, et qui devait être Pierre d'Auribeau, fit renouveler par le Juge une criée, qui avait été faite en 1332, sur la réquisition de Pierre Mercadier et de Guillaume Durand, alors Cominaux , et de l'autorité de Jacques de Gap, Juge de Digne.
Les querelles continuelles suscitées par les Seigneurs des Sièyes et de Courbons, les obligeaient à veiller constamment à ce que leurs droits fussent respectés. Cette criée portait défense d'introduire , de jour ou de nuit, des bêtes d'average, dans les vignes appartenant à des habitants du Château de Digne, sous peine d'encourir un ban de dix sols par homme et par bête d'average.
Ce fut en l'absence du Juge que se fit cette criée; il était du moins remplacé par un notaire de la Curie, Raimond Trirnond.
Le 21 mars suivant, des plaintes s'étaient élevées sur ce que les femmes et les enfants de quelques agents subalternes de la Curie, allaient dans les jardins et les prés des habitants les plus rapprochés de la ville, y mangeaient et y enlevaient des fruits, et y faisaient beaucoup de dégâts.
La plainte fut adressée à Philippe de Sanguinet, qui écrivit au Juge de Digne d'empêcher et de punir de pareils écarts.
Le 7 juillet de l'année 1342, une assemblée des principaux prudhommes du Château se réunit dans le réfectoire du couvent des Frères Mineurs, plus connus sous le nom de Pères Cordeliers.
Le Bailli , Etienne de St. Paul , et le Juge, Pierre Delmas, étaient présents. Tous ces bons habitants, qui étaient propriétaires, qui étaient tous pénétrés de ce sentiment si vif de la propriété, qui fait porter les plus grands soins à la conservation de sa chose, voulurent garantir leurs récoltes des dégâts que faisaient les années précédentes les chasseurs, et ils rendirent un statut, par lequel il était défendu, jusqu'à la Toussaint prochaine, de chasser avec un furet ou avec un chien, et ce sous peine d'une amende de 60 sols.
Le Bailli et le Juge comprenaient trop bien leurs désirs, pour les contrarier, et ils approuvèrent leur ordonnance , sous la seule condition, devenue presque bannale, qu'elle ne porterait aucun préjudice aux droits de la Curie
commune.
Le 13 août suivant', il s'était élevé quelques plaintes contre les taverniers, qui, disait-on, vendaient leur vin à faux poids, pour en retirer plus de bénéfices. Les Cominaux, pour prévenir ces plaintes, décidèrent de créer un surveillant des tavernes; mais une chose assez singulière, c'est qu'un des Cominaux de cette année se fit nommer lui-même à cette place. Il se rendit devant le Juge, comme pour présenter un surveillant par lui nommé, Lions Gronhi, homme capable et suffisant.
Mais celui-ci déclara alors au Bailli qu'il ne pourrait pas faire lui-même une pareille surveillance, et qu'il voudrait s'adjoindre un homme, qui offrit toutes les garanties désirables, pour le remplacer, et aussitôt il propose Nicholas Imbert, le Cominal qui l'avait choisi et qui venait soumettre son choix au Bailli.
Le Bailli et le Juge approuvèrent leur demande. Lions Gronhi, fut le surveillant titulaire, et Nicholas Imbert, Cominal, le surveillant réel. Ils prêtèrent l'un et l'autre serment, sur les Saints Évangiles, de bien et fidèlement remplir leur charge, et promirent de conduire à la Curie tous ceux qu'ils trouveraient en faute.
Quel était le but de Nicholas Imbert ? La fraude était-elle poussée si loin, qu'il voulût lui-même la saisir sur le fait, pour la faire plutôt disparaître? C'est ce que nous n'oserions pas affirmer, quoiqu'il soit bien difficile d'expliquer la conduite de Nicholas Imbert, qui était à la fois Cominal et Notaire.
Le 29 avril précédent, ce même Nicholas Imbert avait présenté au Juge de la Curie un extrait des lettres de Robert, du 19 mars 1306, relatif à l'application du tiers des amendes du pain aux travaux du pont de la Bléone. Ce pont venait d'être achevé, et comme ce tiers des amendes pouvait être nécessaire pour les réparations dont ce pont aurait annuellement besoin, il crut prudent de faire cette présentation.
Les Cominaux de cette année étaient actifs, et plein de zèle, et s occupaient avec ardeur des interets de la cite. Or, des plaintes s'élevant de ous les cotés, il y avait beaucoup de questions à faire décider par les tribunaux, et on se décida à solliciter du Sénéchal de Provence l'assemblée d'un Parlement public pour pouvoir faire nommer des Syndics chargés de poursuivre la solution des contestations qui préoccupaient les habitants du Château.
La lettre du Sénéchal Philippe de Sanguinet, en date,à Aix, du 17 octobre, nous fait connaître les motifs des réclamations des habitants de Digne.
Et d'abord, malgré l'antique possession dont ils jouissaient du droit de nommer des gardes pour la conservation de leurs propriétés des Sièyes et de Courbons; quoique la Curie eut toujours, d'après un usage établi depuis la plus haute antiquité, perçu les bans provenant des délits constatés par ces gardes, et mis aux enchères, cette année, la perception de ces bans, les Seigneurs de ces deux châteaux se révoltaient, et voulaient, à force de violences et de procès, anéantir un usage aussi ancien.
Il était un autre abus, contre lequel ils s'élevaient avec la même force. Plusieurs habitants du Château, tant Chrétiens que Juifs, avaient acheté des propriétés possédées par des propriétaires qui se trouvaient soumis au paiement proportionnel des tailles communales et royales que la communauté avait de temps en temps à payer, et cependant quelques-uns refusaient, malgré les lettres royales que la communauté avait obtenues contr'eux.
D'un autre côté, un pont sur la Bléone avait été construit, source de dépenses considérables pour la communauté. Le Souverain , Comte de Provence , avait ordonné que tous les châteaux voisins qui en faisaient un usage de tous les jours contribuassent aux frais faits pour sa construction, dans la proportion de l'avantage qu'ils en retiraient, et cependant, malgré les lettres royales, malgré les droits si bien établis du Château, ils persistaient à refuser toute contribution. Des tentatives avaient été faites pour éluder la défense portée par Charles II , d'heureuse mémoire, dans le privilége du vin qu'il avait accordé à la ville, privilége respecté jusqu'à ce jour; aussi, la population toute entière, qui comprenait combien était favorable aux habitants, cette défense d'introduction de vin étranger pour le revendre, désirait-elle qu'on poursuivit les habitants qui, spéculateurs habiles, cherchaient à éluder cette défense.
En présence de toutes ces plaintes, les Cominaux s'adressèrent à Philippe de Sanguinet, et celui-ci leur adressa, sans retard, le 17 octobre de cette année, des lettres qui autorisaient les Officiers royaux à convoquer les habitants de Digne pour un Parlement public, dans lequel ils pourraient élire les Syndics dont ils avaient besoin. Le 9 novembre, le Cominal Nicholas Imbert présenta au Juge de Digne, N. Ant. de la droix, remplissant les fonctions de Bailli, les lettres qu'il avait obtenues du Sénéchal. Le Juge les reçut avec le respect ordinaire, et ordonna immédiatement au crieur public de faire une criée, dans tous les lieux accoutumés, portant que tous les chefs de famille, au-dessus de quatorze ans, eussent à se réunir le mardi suivant, sur la place devant la Curie, pour élire des Syndics chargés de représenter la communauté, ainsi que le prescrivaient les lettres du Grand Sénéchal.
Le crieur, par une coïncidence fort remarquable, s'appelait Guillaume Caravasii ; il remplit immédiatement sa mission.
Le mardi suivant, cent soixante-deux habitants, dont les noms ont été scrupuleusement consignés par le Notaire, se rassemblèrent sur la place de la Curie, aujourd'hui celle de la Mairie, et là, d'une seule et même voix, nommèrent pour Syndics treize habitants connus par leur intelligence et leur dévouement aux intérêts publics. C'étaient les sages et discrets Bertrand d'AyroIs et Raimond Durand, hommes de loi, M. Jean Jordani , Notaire, François Bocher, Pierre Bon, gentilhomme, Bertrand de Marcoux, Lions Gronhi , M. Etienne Audibert, Notaire, Jean Marro, Guillaume Durand , M. Pierre Mercadier, Notaire, Isnard Ayme et François Baudoin.
Nous n'avons pas besoin de dire que l'acte est revêtu de toutes ses formes solennelles. Cette manifestation suffit pour rassurer les esprits et leur donner l'espérance d'une heureuse et prochaine solution des questions qui les avaient agités quelque temps.
Le 1er septembre de cette année, Robert , depuis longtemps sollicité, avait pris une grave determination : il avait modifié la circonscription administrative des bailliages de Digne et de Castellane.
Le bailliage de Digne comprenait un très-grand nombre de châteaux; celui de Castellane, au contraire, était excessivement restreint, et il avait besoin, pour prendre un peu plus de vie et d'activité, de voir ses limites s'élargir.
Quoique cette mesure répugnât à Robert, qui avait, pendant tout son règne, scrupuleusement conservé l'ancienne division administrative, il attribua au bailliage de Castellane les neuf châteaux ci-après, qui avaient été jusqu'alors dans le ressort du bailliage de Digne : Lambruisse, les Pennes, Tartonne, Labaut, Clumanc, St. Honnorat , Barrème St. -Jacques , Chaudon , Norante et le Poil. Cette décision du Comte de Provence, consignée dans des lettres de ce Prince , du 1er septembre 1342, ne fut exécutée que le 24 janvier suivant. Elle fut adressée avec des lettres de
Raimond d'Agoult et de Philippe de Sanguinet, Grand Sénéchal, au Bailli de Caslellane, pour qu'il les mît à exécution.
Les habitants de Digne ne se doutaient pas du coup qui allait les frapper. Le 5 février, arriva un envoyé du Bailli de Castellane, alors Symon de Gironne, qui présenta au Bailli et au Juge de Digne, en présence de Nicholas Imbert et de Pierre d'Auribeau, Cominaux, qui déclaraient comparaître tant en leur nom propre qu'au nom de la communauté, la lettre dont il était chargé, et qui demanda l'exécution des lettres royales, accompagnées de lettres de Raimond d'Agoult et de Philippe de Sanguinet, Sénéchal, qui en ordonnaient la prompte exécution.
Les Cominaux de Digne déclarèrent s'opposer à cette exécution, par le motif que le Roi avait dû être trompé, qu'il n'avait pas pu être informé de la vérité des faits et apprécier toutes les circonstances qui l'auraient empêché de prendre une pareille mesure, si préjudiciable à la communauté de Digne. Ils demandèrent ensuite la fixation d'un jour pour comparaître devant le Sénéchal de Provence.
Pour avoir une copie des lettres, ils en requirent la lecture et publication, ce qui leur fut accordé. Si Robert n'avait fait ce changement que pour réaliser une grande amélioration dans la circonscription administrative de la haute Provence, nous l'aurions compris, et quoique cette mesure eût porté un très grand préjudice à la cité de Digne, nous n'aurions pu nous empêcher de la défendre. Mais quand nous voyons cette dislocation du bailliage de Digne, accolée, dans le même acte, à des concessions de foire, nous ne pouvons guères la considérer que comme un de ces nombreux actes des Comtes de Provence, qui, sous une apparence de générosité et de munificence royale, n'étaient qu'un moyen détourné de rançonner leurs pauvres Provençaux.
Procès A cette époque , le Clavaire avait mis aux enchères la perception des bans prononcés pour dégâts aux vignes des habitants de Digne dans les territoires des Sièyes et de Courbons. C'était un habitant de Digne, Arnoux Guiramand, qui en avait rapporté l'adjudication.
Aussi le trouvons-nous, le 17 janvier de cette année, assisté de Nicholas Imbert, Cominal, présentant au Clavaire les gardes qu'il a choisis, avec l'approbation du Cominal, et qui sont au nombre de trois : Raimond Chandelier, Hugues Mayen et Pierre Piol, de Digne.
Ces gardes prêtèrent serment, sur le livre des Évangiles, entre les mains dudit Clavaire, de bien et fidèlement remplir la mission dont ils étaient chargés.
Cette mise aux enchères, des bans des vignes des Sièyes et de Courbons, excita de nouveau la colère des Seigneurs de ces châteaux, et ils firent un procès à Arnoux Guiramand, qui s'en était chargé. Condamnés par le Juge de Digne, les Seigneurs des Sièyes et de Courbons émirent appel de sa sentence. Sur cet appel des Seigneurs des Sièyes et de Courbons, Pierre des Vignes, Juge des premières appellations, à Aix, déclara nulle la criée faite de l'autorité des Officiers royaux de Digne, et leur enjoignit de ne plus faire faire de criée contraire à sa sentence. Ce jugement du Juge des premières appellations est à la date du 16 octobre 1342.
Le 30 octobre du même mois, Jacques Aperioculos, tant en son nom, comme Co-seigneur des Sièyes, qu'au nom de Noble François de Barras, également Co-seigneur dudit lieu, se présenta devant Guigues de Mauvans, Clavaire de Digne, pour requérir l'exécution de ladite sentence d'appel.
Arnoux Guiramand, enchérisseur des bans, se présenta de son côté et déclara émettre appel de ladite sentence du Juge des premières appellations, comme portant grief non seulement aux habitants du Château de Digne, mais encore à la Curie royale, et comme viciée par erreur.
Il requit ensuite le Clavaire d'insérer dans son procès-verbal une sentence précédemment prononcée par le Juge de la Curie de Digne, Antoine de la Croix, contre Antoine Kuffî de Courbons, du 19 octobre. Le Clavaire renvoya l'audience au lundi 8 novembre. Il voulut avoir le temps de réfléchir et très probablement de consulter, dans une affaire aussi grave, le Bailli et le Juge. Le lundi 8 novembre, le Clavaire déclara admettre l'appel, dont nous ne connaissons pas le résultat.
Les Syndics récemment nommés ne tardèrent pas a se mettre à l'oeuvre. Parmi les objets recommandes à leur diligence, la poursuite des châteaux voisins qui refusaient de contribuer aux dépenses du pont de la Bléonne était un des objets qui intéressaient le plus les habitants, et dont quelques-uns dûrent se charger spécialement.
Aussi, le 12 mars de cette même année 1342, trouvons-nous des lettres du Sénéchal Philippe de Sanguinet, adressées au Juge de Digne, pour qu'il contraigne, par toutes les voies de justice, les habitants d'Oise à contribuer aux travaux du pont de la Bléonne, dont ils retiraient presque autant d'avantages que les habitants de Digne.
Jean Piscis était alors Évêque de Digne, depuis 1341 . mais il n'habitait pas Digne, où n'était venu probablement que pour se faire installer. Il était retenu à Avignon auprès du Pape Clément VI , et l'aidait, au milieu des graves affaires qui l'occupaient en ce moment, ainsi qu'il le dit dans sa lettre à son OfIicial de Digne, que nous avons retrouvée, Nos arduis Domini Pape negociis occupati.
Jean Piscis était un Prélat influent, que sa position auprès du Souverain Pontife faisait ménager par le Comte de Provence, qui, pour ses intérêts d'Italie, comptait tant sur le Pape et était obligé de s'assurer son appui. Élevé à l'Évêché de Digne, depuis deux ans, il avait vainement sollicité les habitants du Château à lui prêter le serment d'hommage et de fidélité auquel, comme tous ses prédécesseurs, il croyait avoir droit, en vertu de la sentence arbitrale de 1257.
Les habitants de la ville de Digne étaient toujours convaincus que c'était une usurpation, et ils différaient de jour en jour de se rendre aux sollicitations de l'Official du Prélat. Des peines avaient même été prononcées contre ceux qui avaient manifesté une opposition trop vive.
Mais, le 26 mai de l'année 13431, Jean Piscis écrivit à son représentant, Dozol Ayme, d'exiger des habitants de Dign , ce serment, sinon de les y forcer par toutes les voies du droit ecclésiastique et séculier. Cette menace intimida nos pères ; ils savaient le pouvoir de Jean Piscis sur le Comte de Provence, et ils se résignèrent à prêter ce serment, contre lequel ils avaient toujours protesté. Il fut seulement convenu que les Cominaux feraient toutes les réserves qu'il était nécessaire de faire dans l'intérêt de la communauté.
Ce fut le 6 mai que Dozol Ayme, Official du Prélat, et bachelier en Droit sacré, fit convoquer les habitants du Château, de l'autorité du Bailli Raimond d'Affinel et du Juge Antoine de la Croix. Les principaux habitants s'y trouvèrent : Pierre Bon avait été nommé Syndic de la communauté, et devait, en son nom, faire toutes les protestations qu'on avait jugées nécessaires.
Lorsque Dozol Ayme fit la réquisition aux habitants présents de prêter leur hommage, Pierre Bon, au nom de l'université de Digne, demanda qu'il produisît d'abord le titre en vertu duquel il agissait comme fondé de pouvoirs de l'Évêque. Dozol Ayme le présenta tout aussitôt aux Officiers royaux, présents à cette solennité, et aux habitants qui étaient venus, sur la réquisition qui leur avait été faite. C'était un parchemin scellé du sceau de l'Évêque, qui lui donnait plein pouvoir de recevoir, des habitants du Château de Digne, le serment de foi et d'hommage dont ilsétaient tenus aux termes de la sentence arbitrale de 1257, rendue entre le Comte de Provence et l'Évêque Boniface, dont la clause se rapportant à cet hommage était reproduite toute entière, et dont il fut donné lecture.
Or, après avoir présenté ce pouvoir, l'Offîcial renouvela sa réquisition, menaçant, en cas de refus, les habitants, de toutes les peines qu'ils auraient encourues, et il fixa un délai, après lequel tous ceux qui n'auraient pas prêté le serment de foi et d'hommage seraient poursuivis.
A cette nouvelle réquisition, les trois Cominaux de la communauté, Étienne Audibert , Jean Marro et Albert Berard, se levèrent et déclarèrent qu'ils étaient prêts à prêter le serment de foi et d'hommage requis, mais à la condition expresse que M. l'Official déclarera que toutes les peines déjà prononcées contre quelques-uns des habitants, et toutes celles qui pourraient l'être par la suite, seront considérées, par le seul fait de cet hommage qu'ils prêteront au nom de toute la communauté, déclarées nulles, de nul effet, et de plein droit révoquées.
L'Official, enchanté d'obtenir ainsi un acte d'hommage prêté collectivement par les Cominaux de l'université, en son nom, ce que n'avaient pu obtenir aucun des prédécesseurs de l'Évêque actuel, fit consigner par écrit, par un Notaire présent, que toutes les peines jusqu'ici prononcées contre les habitants seraient révoquées, et qu'il n'en serait point prononcé après que l'hommage aurait été prêté.
On fit donner alors une nouvelle lecture de la clause contenue dans la sentence de 1257, on proposa la formule du serment à prêter, et ces formalités remplies, ainsi que l'accolade sacramentelle échangée, les Cominaux et plusieurs
des habitants présents déclarèrent prêter le serment de foi et d'hommage entre les mains de l'Official à cet effet commis par le Révérend Évêque de Digne, sous la protestation solennelle par eux déjà faite qu'ils n'entendaient pas, par l'hommage qu'ils prêtaient, s'engager au-delà des termes de la sentence dont il a été donné lecture, que les droits du Comte de Provence et de ses héritiers seraient toujours respectés, et qu'il ne serait dérogé en rien à leurs coutumes et à leurs droits.
Les Cominaux exigèrent que les termes même dont ils s'étaient servis dans leur hommage et dans leurs protestations fussent consignés dans le procès-verbal.
Tout cela se passa dans la salle du Palais épiscopal, consacré aux audiences de l 'Official, et les Cominaux se retirèrent, ainsi que les autres habitants, après avoir obtenu un instrument public de l'acte qu'ils venaient de consentir, pour éviter des tracasseries aux habitants, en veillant avec le plus grand soin à ce que les intérêts de la communauté ne fussent pas compromis. Cet acte est un des plus remarquables de nos archives, et fait comprendre combien nos pères avaient alors le sentiment de leur dignité et de leurs droits.
Les Syndics de la communauté, qui avaient déjà fait des poursuites contre les habitants d'Oise, et les avaient obligés à contribuer aux dépenses occasionnées par la construction du pont de la Bléonne, ne se bornèrent pas à ce premier procès. Conformément au voeu formulé par les habitants de Digne, ils saisirent la première occasion favorable pour attaquer les Seigneurs des Sièyes. L'occasion s'en présenta dans le courant du mois d'août 1343, et c'est à cette époque que la lutte recommença plus vive, plus énergique qu'elle n'avait jamais été.
Les Cominaux apprirent que les Seigneurs des Sièyes avaient encore fait faire une criée contraire aux droits de leur cité et à ceux de la Curie, qui prononçait en leur faveur des bans exorbitants contre ceux qui s'introduiraient de nuit dans les propriétés des habitants de Digne, étrangers à leur Château, et qui y couperaient du bois mort ou non.
Le 23 août , Jean Marro , agissant en sa double qualité de Cominal et de Syndic de la communauté, se présenta devant le Juge Antoine de la Croix, muni de lettres du Bailli, Albert d'Affinel, adressées aux Seigneurs des Sièyes et de Courbons, et à leurs Baillis, lettres par lesquelles on leur enjoignait de donner une copie en forme des criées par eux ordonnées et de faire connaître les noms des crieurs qui les avaient faites. Il expose que ces lettres leur ont été signifiées par Raymond, porteur, à cet effet envoyé dans lesdits Châteaux, et il requiert le Juge de consigner lesdites lettres et le rapport du porteur Raymond Feraud. Lecture est donnée de la lettre du Bailli de Digne, ainsi que du rapport du porteur qui déclare que les Seigneurs et Baillis de Courbons ont affirmé n'avoir point fait faire de criée ; qu'un des Co-seigneurs des Sièyes, N. Jacques Aperioculos et son Bailli, ainsi que le Bailli de N. François de Barras, lui ont répondu qu'ils avaient fait faire une criée, mais qu'ils n'ont pas pu en faire dresser acte, parce qu'ils n'avaient pas de notaire.
Après cette présentation, Jean Marro demande que lesdits Seigneurs des Sièyes et leurs Baillis, soient assignés devant la Curie pour entendre déclarer nulle et de nul effet la criée par eux ordonnée.
Le Juge ordonne de les citer pour le 26 août courant. Le 26, le Juge fait donner lecture de l'acte du 23; N. Jacques Aperioculos, Co-seigneur des Sièyes, son Bailli, Pierre Rouquet , et Auger Cordelh, Bailli de N. François de Barras, comparaissent. Jacques Aperioculos dit qu'il est prêt à se défendre.
Le Juge ordonne que le Bailli de Jacques Aperioculos et son crieur public resteront en cause, et renvoie les débats à l'après-midi, post vesperas. Cette heure arrivée , Jean Marro et Étienne Audibert, Cominaux et Syndics de la communauté de Digne, comparaissent devant le Juge ; mais Pierre Rouquet, Bailli de N. Jacques Aperioculos, fait défaut.
Le Juge interroge alors le crieur qui est présent et qui déclare s'appeler Jean Nicolas. Il avance qu'il est le crieur public de N. Jacques Aperioculos, et qu'il a fait, il y eu dimanche dernier huit jours, une criée dans le Château des Sièyes, portant défense à toute personne, de quelque qualité et condition qu'elle fût, de s'introduire de nuit dans les vignes appartenant aux propriétaires étrangers au Château des Sièyes, et ce sous peine d'un ban de 25 livres, et en outre de couper du bois mort ou non dans tout le territoire de ladite communauté, sous peine d'une amende de cinq sols.
Interrogé s'il a déclaré cette criée à un notaire, suivant la forme ordinaire et légale, il répond qu'il ne l'a déclarée qu'à son Seigneur N. Jacques Aperioculos.
Sur cette déposition, les Cominaux Syndics du Château de Digne, requièrent l'annulation de la criée faite de l'autorité de N. Jacques Aperioculos et d'Auger Cordelh, Bailli de N. François de Barras, criée faite un jour férié, ce qui seul suffirait pour en faire prononcer la nullité, mais nulle surtout parce qu'elle porte un grave préjudice à la Curie royale et aux habitants du Château de Digne, et que jamais les Seigneurs des Sièyes n'ont eu le droit de faire de semblables criées.
N. Jacques Aperioculos répond qu'il n'a pas entendu, en faisant faire cette criée, porter préjudice, ni à la Curie royale, ni aux habitants de Digne, mais qu'il a voulu seulement assurer la conservation de ses droits et éloigner les maraudeurs tant des propriétés des habitants de Digne que de celles des habitants de son Château des Sièyes. Et il atteste par serment la vérité des paroles qu'il avance. Il ajoute, en finissant, qu'au reste, si le Juge trouve la peine excessive, il peut la réduire, mais qu'il est de son devoir de ne pas renoncer à défendre le territoire de son Château , par l'imposition de peines raisonnables, pour que ses tenants ne puissent pas lui adresser le reproche de ne pas les protéger. Les Cominaux Syndics protestent de nouveau contre de pareilles prétentions. Le Juge renvoie son jugement au lendemain.
Le 27, les parties comparaissent de nouveau devant le Juge de la Curie. Les Syndics de Digne déclarent persister dans leur demande. N. Jacques Aperioculos, sachant que les deux représentants de la communauté de Digne sont Cominaux, croit échapper à une condamnation en excipant de ce qu'ils ne justifient pas de leur qualité de Syndics de l'université qu'ils représentent, et il insiste, dans le cas où ils en justifieraient, pour qu'il lui soit accordé un délai pour se défendre.
Les Syndics persistent à demander une sentence, et produisent leur acte de constitution de Syndics, en date du 24 mars 1342.
Le Juge de Digne, Antoine de la Croix, fait droit aux réquisitions des Syndics de Digne, et attendu que la criée dont s'agil a été faite un jour de dimanche, pendant lequel l'horrible voix du crieur public aurait dû se taire ; attendu que la peine imposée est excessive; attendu d'ailleurs qu'il n'en reste aucun acte écrit; que de plus, aucun acte judiciaire fait le dimanche, ne peut être valable; par tous ces motifs et autres, tant de droit que d'équité, il annule les criées faites dans le château des Sièyes, sauf, toutefois, toute réserve du droit que prétend avoir le noble Seigneur qui a comparu.
Robert était retourné en Sicile. Il était arrivé à l'âge de quatre-vingts ans, et comptait plus de trente-trois ans de règne. Lorsqu'il sentit approcher sa fin, il était à Naples, et voulut donner à ses dernières volontés la plus grande solennité possible ; car, ce qui préoccupait le plus son esprit, c'était la transmission de ses Etats. Il appela autour de lui tous les Seigneurs de sa Cour, et le 16 janvier 1 343, en leur présence, il dicta son testament, qui déclarait la Princesse Jeanne, sa petite-fille, son héritière. Il lui substitua, pour le cas de décès sans postérité, la Princesse Marie, soeur de Jeanne. Et comme ses deux petites-filles étaient encore mineures, il leur forma un conseil, sans l'avis duquel, son héritière elle-même ne pourrait pas administrer ses états, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Ce conseil était composé de Philippe de Cabassoles, Évêque de Cavaillon, et Vice-Chancelier du royaume de Sicile ; de Philippe de Sanguinet, Comte du Fleuve-Haut et Grand-Sénéchal de Provence, de Geoffroy de Marsan, Comte de Squillace, Grand-Amiral du royaume de Sicile, et de Charles Artus.
Son testament contenait de plus la recommandation à son héritière, et aux membres du conseil qu'il avait formé, d'instituer dans toutes les villes des Comtés de Provence et de Forcalquier, siége d'un Évêché ou d'un Archevêché, une chapellenie, pour que tous les jours un Prêtre célébrât une messe pour le repos de son âme, et de veiller à ce que le Chapelain , chargé de ce service, reçut un salaire suffisant.
Aussi, tous les pendants de nos Clavaires , postérieurs à la mort du Roi Robert, portent-ils la mention d'un paiement annuel de trois onces d'or, à l'échéance du 25 mars, pour l'exécution du legs fait par le Roi Robert.
Robert mourut à Naples, le 19 janvier, trois jours après avoir fait son testament, pendant lequel il était malade corporellement, mais sain d'esprit, parlant avec facilité et avec la plus grande précision.
Le Roi Robert a été diversement jugé par les historiens ; cependant tous les historiens de Provence lui ont rendu justice. Le Château de Digne n'a eu qu'à se louer de ce Prince, qui se faisait un plaisir de lui accorder tout ce que ses habitants lui demandaient. Il est vrai que cette communauté lui était toute dévouée, et que pendant ses guerres d'Italie, elle lui avait rendu plus d'un service. C'était une place fortifiée, sur la frontière du Piémont, sur la route par laquelle les communications étaient le plus faciles; et puis ses habitants étaient toujours prêts à se sacrifier pour lui, et nous ne doutons pas, quoique nos archives restent muettes sur ce point, que notre cité n'ait beaucoup souffert, des suites de la guerre, pendant le règne de ce Prince. Aussi toutes ses lettres et celles de ses successeurs, sont-elles pleines de témoignages de reconnaissance pour cette communauté.
Nous voilà parvenu à la fin de notre seconde Epoque. Il nous reste a jeter un coup d'oeil sur toute cette période, et à résumer les progrès du Cominalat, qui se trouvaient liés alors à ceux de l'organisation municipale.
Ce n'est que vers les dernières années de la première époque, que nous avons vu les Cominaux s'occuper de loin en loin des affaires et des intérêts de la commune. Mais, pendant tout le règne de Robert, nous les voyons se mêler activement à l'administration du Château, et ce qui caractérise bien la nouvelle position qu'ils ont prise, ce sont les titres dont ils se qualifient dans quelques actes, où ils disent agir comme chargés de toutes les affaires de l'université et de chacune d'elles (omnium et singulorum negociorum).
C'étaient eux qui prenaient ordinairement l'initiative de toutes les améliorations, et qui avaient la direction de toutes les affaires intéressant la commune. Ce droit d'initiative appartenait à tous les habitants du Château, à tous les prud'hommes, et ce n'était précisément qu'en vertu de ce droit commun à tous les citoyens, qu'ils avaient pu s'emparer ainsi qu'ils l'avaient fait des rênes de l'administration.
Ils ne pouvaient pas agir , au nom de la communauté, sans un mandat spécial, donné en parlement public, par l'universalité des habitants , qui ne pouvaient transmettre que des pouvoirs spéciaux. Mais ce n'était là qu'une formalité légale, qu'il fallait remplir pour valider les actes faits au nom de la communauté; mais le Syndicat ne leur était pas plus interdit qu'aux autres habitants. Au contraire, comme les Cominaux étaient ordinairement choisis parmi les hommes les plus influents et les plus capables, dans toutes les affaires délicates, ils étaient le plus souvent choisis pour Syndics ; seulement ils pouvaient, lorsqu'une pareille charge aurait pu les détourner de leur mission la plus importante, celle de l'administration, faire nommer un autre habitant, qui pouvait aussi bien qu'eux traiter une affaire spéciale.
Pendant cette seconde époque, ce sont eux qui choisissent tous les agents subalternes de la communauté, et qui soumettent leur nomination à l'approbation du Bailli.
Nos archives fournissent plusieurs actes qui constatent ce droit, qui, avec le temps, prit de l'extension, et ne leur fut jamais contesté. Ainsi nous les voyons choisir, dans l'intérêt de la sécurité des habitants, des gardes de nuit, nous les voyons nommer les surveillants des tavernes; ils nomment également les gardes des vignes de Courbons et des Sièyes, et ce droit ne leur fut pas enlevé, lorsque la Curie eût affermé son droit de ban sur ces mêmes vignes, car le choix des gardes fut toujours réservé aux Cominaux.
Ils furent même autorisés à représenter la commune dans certains procès, lorsque la Curie seule était attaquée, et nous les voyons transmettre leurs pouvoirs dans divers appels, contre des criées du Bailli, sous la réserve, il est vrai, que si on contestait ces pouvoirs, ceux qui en étaient ainsi chargés solliciteraient la nomination de Syndics.
Les Comtes de Provence les favorisaient autant qu'ils le pouvaient, et n'étaient pas fâchés de leur voir acquérir de l'influence.
Mais lorsqu'il s'agissait d'un procès contre un tiers, contre les Nobles, par exemple, ou les Seigneurs des Sièyes ou de Courbons, la nomination d'un Syndic était indispensable, et souvent un procès était arrêté pour avoir le temps de
poursuivre les autorisations nécessaires pour faire cette nomination.
Dans le principe, les Cominaux n'intervenaient jamais dans un Parlement public. Lorsqu'un Parlement public était nécessaire, c'était par l'intermédiaire du Bailli qu'on en demandait l'autorisation, et c'était le Bailli qui seul faisait faire l'assemblée. Mais pendant la deuxième époque, lorsque les Cominaux se trouvèrent en relation avec le Grand Sénéchal, et les diverses Cours des Comtes de Provence, toutes les fois qu'une autorisation d'assembler un Parlement public était nécessitée par un intérêt communal, c'étaient les Cominaux qui la sollicitaient, et c'était à eux que le Sénéchal adressait les lettres qui contenaient cette autorisation, dont ensuite ils faisaient une présentation
au Bailli ou à son lieutenant. C'est ce qui eut lieu en 1342, pour le Parlement public convoqué dans l'intérêt de la communauté.
Les Cominaux, d'un autre côté, par la nature même de leurs fonctions, étaient les trésoriers de la communauté : aussi pendant cette seconde époque, était-on dans l'usage de leur nommer, chaque année, à l'époque de leur renouvellement, des auditeurs des comptes, devant lesquels ils devaient établir l'état de leurs recettes et de leurs dépenses.
Tant qu'a duré le Cominalat, il n'y a pas eu de trésorier proprement dit de la communauté : c'étaient les Cominaux, tous ensemble, qui en étaient chargés. Ce ne fut qu'après l'institution du Syndicat qu'on songea à en créer un.
Les Syndics continuèrent même, pendant plusieurs années, après leur institution, les fonctions des Cominaux, relativement aux comptes qui intéressaient la communauté, car ce n'est que le 4 avril 1397, qu'on songea à nommer un trésorier. Maintenant., si nous jetons un regard sur le mode d'élection adopté, pendant cette seconde époque et une partie de la première, il est évident que l'institution du Cominalat, avait été complètement détournée de la voie naturelle qui lui avait été tracée par son fondateur. Mais l'acte de 1320 est très positif.
C'était dans une assemblée, non pas de tous les habitants, mais des plus notables, que cette élection se faisait, sur la proposition des Cominaux sortants. Et comme, à Digne, d'après un usage très ancien, lorsque des Syndics étaient élus, on leur nommait quelques habitants, les plus notables, pour les aider de leurs avis et de leurs conseils, et qui , par le but même de leur institution, prenaient le nom de Conseillers, on adopta la même mesure, vis-à-vis des Cominaux, et comme, depuis 1290, ils avaient pris en main l'administration du Château, et que par suite de cette détermination, ils avaient à s'occuper d'affaires plus nombreuses, et souvent plus délicates et plus difficiles que quelques-unes de celles spécialement confiées aux Syndics, l'assistance de conseillers parut aussi nécessaire pour eux que pour les Syndics.
Mais la nomination de ces conseillers, se faisait, on le sait déjà, d'une manière très singulière. Une partie des conseillers était désignée par les Cominaux sortants, et une autre partie, par les Cominaux nouvellement élus.
Mais ces conseillers n'étaient jamais convoqués que par les Syndics ou les Cominaux, lorsqu'ils se trouvaient embarrassés, ou lorsqu'une effaire, qu'ils avaient à traiter, présentait des difficultés.
Sans cela, tant les Syndics que les Cominaux étaient autorisés à traiter personnellement les affaires qui rentraient dans leurs fonctions. Toutes les délibérations de ces conseils ne devaient pas être écrites. Les Syndics, comme les
Cominaux, devaient rassembler, tantôt chez eux, tantôt chez un des conseillers, tantôt dans la chapelle St. Michel, tantôt dans une salle du couvent des Cordeliers, tantôt dans un lieu exposé au soleil, pendant l'hiver, comme une terrasse du quartier de Soleilhe-Boeuf, ou dans un jardin exposé au midi, et là, ils devaient exposer les questions qui les arrêtaient, et leur demander leur avis pour s'y conformer. Mais il ne restait aucune trace de ces délibérations souvent improvisées, et qui se bornaient à l'échange de quelques observations. Mais, lorsqu'il s'agissait d'une question qui intéressait la communauté, comme l'établissement d'un ban, ou toute autre mesure d'utilité, on assemblait un plus grand nombre d'habitants; c'étaient ordinairement les Cominaux qui le faisaient; car, dans les deux seules assemblées qui nous restent des probi homines du Château, pendant les deux premières époques, nous trouvons toujours les Cominaux provoquant la mesure, pour laquelle les habitants sont réunis. Toutefois, il pouvait arriver, que quelques chefs de famille, intéressés à une mesure d'ordre ou de police, se présentassent devant les Officiers royaux, assistés d'un certain nombre d'habitants, et là vinssent requérir le Bailli de rendre une ordonnance, que ce Magistrat avait le droit d'apprécier et d'en ordonner l'exécution, de son autorité d'Officier royal.
Quoique dans ces formes administratives adoptées par les habitants du Château, il n'y eut encore rien de bien précis et de bien arrêté; quoique les Cominaux eussent usurpé des fonctions qui ne leur avaient pas été attribuées dans leur institution; quoique les formes prescrites, pour l'élection des Cominaux, eussent été complètement modifiées, le dévouement des Cominaux fit impression sur les esprits, tous les chefs de famille se rallièrent autour d'eux, les aidèrent de toutes leurs forces, et cherchèrent à les imiter. Le sentiment patriotique se développa dans tous les coeurs : toute la population eut l'espérance, en réunissant les efforts de tous les enfants de la cité, d'arriver au développement et à l'accroissement de sa prospérité. La vie publique devint un besoin impérieux : on abandonna les confréries, où l'on était obligé de se cacher, pour éviter les regards des Officiers royaux et des Officiers ecclésiastiques, et on aborda courageusement et ouvertement la défense de tous les intérêts de la communauté.
Les faits, que nous ferons connaître dans notre troisième époque, seront la justification de ce que nous avançons ici.

FIN DE LA DEUXIÈME ÉPOQUE.

A la mort de Robert, ce fut Jeanne, l'aînée des deux filles laissées par Charles, Duc de Calabre, qui, en vertu du testament du Roi Robert, lui succéda, tant dans ses Etats d'Italie, que dans ses Comtés de Provence et de Forcalquier.
Jeanne avait alors 18 ans : elle avait été fiancée, en 1333, à André, fils de Carobert, Roi de Hongrie. Aussi belle que jeune, avec un caractère qui avait toute la vivacité Provençale, elle ne pouvait malheureusement pas sympathiser avec son mari, qui, Hongrois d'origine, avait le caractère froid et flegmatique des hommes du Nord.
Jeanne a été l'objet de vives attaques de la part des historiens Napolitains; mais elle a laissé en Provence les meilleurs souvenirs. A Digne même, un vieux château, bâti en face des bains et dont il ne reste aujourd'hui que quelques insignifiants vestiges, rappelle encore son nom.
D'ailleurs, nous ne devons pas oublier l'éloge qu'en fait Boccace, qui vivait de son temps, et avait écrit pour Marie, soeur de notre Princesse, Flaminelle et Philoccope : « An demeurant, dit-il, elle est de fort belle apparence, et d'une physionomie douce et piquante à la fois; sa parole est gracieuse et facile, et elle joint à cet air de grandeur qui rappelle sa Majesté royale, ce tact esquis qui distingue quelques femmes privilégiées ; femme bonne, douce, aimable, elle ne traite jamais ceux qui l'entourent en Reine, mais en amie. Il serait trop long de dire toutes les qualités de son âme. Mais je l'estime comme la plus excellente de toutes les femmes, et la répute comme un trésor pour l'Italie, plus heureuse en cela que les autres nations. »
Jeanne avait à endurer les prétentions de son mari, qui, fils de Carobert, petit-fils de Charles Martel et arrière petit-fils de Charles II , prétendait être l'héritier légitime du trône, dont son père avait été supplanté par Robert.
Jeanne, au contraire, et ses partisans, qui se composaient surtout des enfants de Philippe de Tarente et de Louis de Duras, deux autres frères de Robert, soutenaient que la succession de Robert avait été légitimée par l'approbation du Pape Clément V, en 1309, et par une possession paisible et constante pendant plus de trente-trois ans.
A Digne , on dût apprendre avec plaisir l'avenement de Jeanne, à laquelle déjà on s'était lié par le serment d'hommage et de fidélité prêté en 1331 . D'ailleurs, la communauté n'avait eu qu'à se louer de ses relations avec le Roi Robert, et elle espérait que la Reine Jeanne ne serait pas moins facile et moins bonne pour elle.
Pendant le règne de Robert, le Château de Digne avait accru sa population : son commerce avait pris de l'extension ; excessivement restreint dans son territoire, il s'était livré à l'industrie. Des chartes du xive siècle nous révèlent déjà
beaucoup de commerçants et d'industriels : elle faisait le commerce des peaux, auquel le quartier de Soleilhe-Boeuf était plus spécialement réservé. D'ailleurs, la réputation qu'avaient encore, avant la révolution, les gants de Digne, en Italie, prouve que, dès cette époque, elle devait y en importer d'assez grandes quantités. Les fruits et surtout les prunes étaient une branche de commerce alors fort productive.
D'ailleurs, à une époque où les communications étaient fort difficiles, la position de Digne au pied des Alpes, la rendait un centre fort important. C'était à Digne que venaient s'approvisionner les habitants des Châteaux voisins, et ses foires attiraient toujours un grand concours d'é trangers.
D'un autre côté, la vie publique avait pénétré dans toutes les classes de la population : les intérêts de la communauté étaient alors compris de tout le monde, et chacun voulait payer de sa personne et défendre les intérêts publics.
C'est ce qui nous explique le changement notable qui s'était fait à cette époque dans les élections des Cominaux, qui, pendant le règne de Charles II et celui du Roi Robert, n'avaient été faites que par un très petit nombre d'habitants,
alors que leur institution voulait qu'elles fussent faites avec le concours de tous les chefs de famille du Château.
Le premier acte d'élection de nos archives sous le règne de Jeanne d'Anjou, nous révèle une véritable révolution dans les moeurs publiques de la cité.
Le modedes élections est complètement changé. Ce ne sont plus les Cominaux, qui, assistés de quelques prud'hommes, désignent leurs successeurs, ce ne sont plus les Cominaux qui désignent les conseillers qui doivent les assister; c'est la communauté tout entière, qui s'assemble en parlement public, et qui fait désormais les choix qui lui conviennent.
Les formes tracées dans la transaction de 1260 avaient été complètement oubliées. On y revient, et on les consigne dans le procès-verbal d'élection. Le renouvellement des Cominaux ne se faisait presque jamais à une époque déterminée. Sous le règne de Robert, les élections se faisaient vers la fin de septembre, au moment où l'approche des vendanges nécessitait quelques mesures de police intérieure. Aujourd'hui, on revient aux anciennes traditions de la Provence; on suit l'exemple des communautés mieux organisées, et on fixe ce renouvellement au dimanche de la Passion, qui précède le dimanche des Rameaux, jour exclusivement consacré en Provence, dans prssque toutes les cemmunes, à la réorganisation de l'administration communale.
Au reste , pour connaître les changements qui furent faits, nous n'avons qu'à analyser fidèlement cet acte d'élection, qui eut lieu à Digne, le 20 mars 1344, le dimanche qui précédait celui des Rameaux, die Dominica ante Ramis-palmarum.
C'était toujours de l'autorité du Bailli ou du Juge, lorsque le Bailli était absent, que la convocation avait lieu. Elle se faisait, à son de trompe, par le crieur de la Curie, comme pour les parlements publics.
L'acte d'élection, qui nous occupe, contient d'abord, en tête, et avant aucune autre mention, un résumé de la transaction de 1260. Que tous présents et à venir sachent que dans les conventions et traités passés entre Charles, d'illustre mémoire, fils du Roi de France, Comte d'Anjou, de Provence et de Forcalquier, et marquis de Provence, agissant tant en son nom qu'en celui de son illustre épouse, la Comtesse Béatrix, et le révérend Boniface, par la grace de Dieu, Évêque de Digne, agissant en son nom et en celui de l'Église, entre encore l'université du Château ou de la cité de Digne, ou ses habitants, entr' autres règlements, il fut accordé à l'université de Digne ou soit à ses habitants par les illustres Comte et Évêque, de nommer annuellement quatre Cominaux, dont un Noble et trois choisis parmi les hommes du peuple, qui auraient pouvoir de faire la répartition des tailles et quistes, de les retirer et exiger, de limiter les terres, de décider les questions de murs, ruelles, voies publiques et cours d'eau, ainsi que tout est ordonné par les conventions ainsi passées.
C'est ensuite de cette concession faite aux habitants, que Jacques Muncius, Juge de la Curie de Digne, et Hugues Bertrand, Sous-Viguier, remplaçant le Bailli, Noble Geoffroy de Crotes, absent, font convoquer tous les chefs de famille en parlement public.
Les Cominaux sortants, qui, cette année-là, étaient Guillaume Grassi, notaire, Laurent Savin et Ranulphe Albéric, exposent qu'ils ont exercé, pendant une année les fonctions du Cominalat, et qu'aux termes des conventions passées, il y a lieu de les renouveler. Et tout aussitôt, tous les chefs de famille présents, à l'unanimité, choisissent et nomment pour Cominaux pendant un an, Noble Pierre de Marcoux, et les prud'hommes Pierre Canter et Jean Salamon, notaires, et Jacques Segond, pour faire, traiter, administrer et ordonner les affaires et les intérêts de l'université, suivant les formes suivies et prescrites dans les conventions ci-dessus énoncées.
L'assemblée leur transmet tous les pouvoirs résultant des conventions, et promettent d'approuver et de tenir pour agréable tout ce que les Cominaux ainsi nommés auront fait dans l'exercice de leurs fonctions. Et attendu qu'il est difficile, quelquefois même dangereux, de convoquer la cité toute entière, l'assemblée nomme ensuite et désigne les con seillers, dont les Cominaux devront prendre l'avis pour les affaires de la communauté.
Les Cominaux nommés se font alors la réserve de pouvoir toujours s'occuper de leurs affaires personnelles, pendant l'exercice du Cominalat, et prêtent serment, sur les saints Évangiles, de faire consciencieusement, pour bien remplir leurs fonctions, tout ce que leurs forces leur permettront. Les Conseillers élus prêtent également serment de donner des avis, en leur âme et conscience, aux Cominaux élus, toutes les fois qu'ils seront appelés par eux. Voici les noms des douze prud'hommes qui fuient nommés conseillers : Raimond Durand, homme de loi, Pierre Bon, Francois Bocher, Pierre d'Auribeau , Guillaume Durand, Jean Marro, Isnard Aymes, Pierre Gronhi, Guigues Gronhi, Etienne Audibert, François Baudoin et Pierre Mercadier, notaire.
Les Officiers royaux déclarent alors qu'ils protesteraient contre cette élection, si elle pouvait préjudicier en rien aux droits de la Curie. L'assemblée toute entière se lève pour protester qu'elle entend, avant tout, respecter les droits
de la Reine et de ses successeurs, et ne rien faire jamais contre sa juridiction.
Lorsque les habitants du Château prirent cette détermination d'appeler tous les chefs de famille à participer à l'élection des Cominaux, c'est que la vie communale avait fait d'immenses progrès. L'activité du commerce et de l'industrie avait accru le bien-être ; l'intelligence s'était développée, à ce contact des hommes de coeur et de tète, qui se dévouaient aux intérêts de la cité. Et bientôt tous les citoyens éprouvèrent le besoin de s'en occuper autant que de leurs affaires personnelles.
Ce changement dût se faire sans produire au cune secousse, et sans être précédé de luttes toujours déplorables. C'étaient les hommes les plus capables qui s'étaient mis à la tête de l'administration communale. Lorsqu'ils virent toute la population mieux disposée, moins apathique et plus intelligente, ils dûrent eux-mêmes proposer ces modifications devenues nécessaires et les faire accepter.
On pouvait dès ce moment espérer plus d'ensemble, plus d'accord, et les intérêts de la communauté toute entière ne pouvaient qu'y gagner. Nous n'avons, pendant cette troisième époque, qu'un très petit nombre d'actes à notre disposition, cependant ils suffiront pour nous faire apprécier les développements de l'organisation municipale au milieu des luttes de cette malheureuse époque, jusqu'au moment où nos Pères, obtinrent par leur dévouement aux Comtes de Provence, la transformation du Cominalat en Syndicat.
La première année du règne de Jeanne nous offre notamment quelques actes intéressants. Au moment du renouvellement des Cominaux, plusieurs habitants, qui probablement avaient exercé eux-mêmes ces fonctions et avaient fait des recouvrements de fonds communaux dont ils devaient justifier l'emploi, n'avaient pas encore rempli ce devoir, imitant en cela les Cominaux de 1290, et on fut obligé alors de leur rappeler qu'ils avaient à rendre leurs comptes.
Les Cominaux récemment nommés, qui étaient encore alors Guillaume Grassi, notaire, Laurent Savin et Ranulphe Albéric, convoquèrent un conseil, auquel furent appelés environ quarante prud'hommes.
Ce conseil se réunit dans le réfectoire du couvent des Frères Mineurs ou Cordeliers, en présence du Bailli Raimond d'Affinel, et du Clavaire, Guigues de Mauvans, qui remplissait les fonctions de Juge. Les Cominaux exposèrent le fait que nous avons déjà fait connaître, que des habitants, chargés de retirer des fonds appartenant à la communauté, n'avaient pas encore rendu leurs comptes, quoi que souvent invités à le faire, et ils firent comprendre qu'il y avait urgence à nommer des auditeurs des comptes, qui fussent investis d'un pouvoir suffisant pour forcer les comptables retardataires à rendre leurs comptes et à justifier de l'emploi des deniers de la communauté, et ensuite, une fois cette justification faite, à donner quittance et bonne et valable décharge à ceux dont ils auraient ainsi vérifié les états de compte. Sur cette réquisition, les prud'hommes présents élisent, après une courte délibération, pour auditeurs de comptes : François Bocher, Guillaume Durand et Pierre d'Auribeau, qui, assistant à la délibération, déclarent accepter la mission dont ils sont ainsi chargés , et on leur donne l'ordre de forcer tous les comptables en retard à présenter l'état de leur situation, d'en faire une vérification, de concert avec les Cominaux en fonctions, et de leur en donner bonne et valable quittance, si, après leur examen, ils jugent qu'elle doive être concédée. Pour faciliter leurs opérations, on décide que, dans le cas où ils ne pourront se trouver que deux, avec deux des Cominaux, ils pourront agir et régler les comptes comme s'ils étaient tous ensemble. Ils leur transmettent ensuite tous les pouvoirs que chacun d'eux pouvait exercer en sa qualité de citoyen, en pareille matière.
Les auditeurs de compte ainsi nommés prêtent serment, sur les Livres saints, de bien et fidèlement remplir leur charge, et engagent tous leurs biens présents et à venir pour garantie de leur promesse. Ils promettent de se rendre assiduement à toutes les convocations qui leur seront faites par les Cominaux, qui requièrent acte. Les Cominaux de cette époque veillaient avec la plus scrupuleuse attention à ce que les intérêts de la cité ne souffrissent pas.
Hugues de Baux, Comte d'Avelin, était alors Sénéchal de Provence, et il fut chargé de lever sur la Provence un fouage qui était nécessaire pour assurer la dot de la princesse Marie, soeur de Jeanne et la plus jeune des petites-filles du Roi Robert, qui lui avait été assurée par son aïeul, dans son testament.
Dès que les lettres du Sénéchal de Provence furent connues, des plaintes s'élevèrent dans l'intérieur du Château; les Cominaux se mirent en relation avec les Bailliages voisins, on se concerta, et on se donna rendez-vous à Aix, pour
que tous les représentants des Bailliages et des communes décidés à protester contre la perception de ce fouage, pussent se présenter ensemble devant le grand Sénéchal.
En effet, le 5 juin, les représentants des Bailliages de Digne, de Sisteron, de la Viguerie de Forcalquier, et des communes d'Apt, de Riez, de Reillane et d'Oraison, se présentent devant le Grand-Sénéchal, Hugues de Baux, Comte d'Avelin, qui se trouvait à Avignon, et lui exposent avec respect, que leurs priviléges sanctionnés par tous les prédécesseurs de la Reine Jeanne, les dispensent de ce fouage, et ils le supplient d'examiner leurs droits respectifs, et dans le cas où la décision à intervenir pourrait traîner en longueur, ils demandent qu'il fasse suspendre par les Clavaires la perception de ce fouage.
La cause fut renvoyée deux fois : d'abord, au samedi suivant, puis au lundi. Ce jour-là, le Sénéchal leur fit la réponse suivante.
Ce fouage ayant été ordonné par le Roi Robert lui-même, alors qu'il vivait encore, on ne peut pas aujourd'hui le refuser à Marie, petite-tille de ce Prince, son aïeul. Or, comme il est obligé, en sa qualité de Grand-Sénéchal, de faire exécuter les ordonnances de Sa Majesté Royale, il ne peut pas consentir à supprimer un fouage, justement imposé. D'ailleurs, ajoute-t-il, les comparants se prévalent des droits de communautés et de bailliages, dont ils ne rapportent aucun pouvoir régulier.
Le représentant du Bailliage de Digne était en cette occasion, Guillaume Grassi, Cominal. Il requit, avec les autres fondés de pouvoirs, un instrument public, qui fut accordé à chacun d'eux.
Le fouage fut bien et duement payé, et pour mettre leur responsabilité à l'abri vis-à-vis des autres habitants, les Cominaux de Digne, firent faire, le 13 septembre suivant, par Guillaume Grassi lui-même, une présentation de cette sentence du Grand Sénéchal, au Juge Etienne Caire. Guillaume Grassi se présentait comme représentant le Bailliage de Digne, et il était simplement Cominal. Pour représenter légalement la communauté, il aurait été obligé d'être investi de la qualité de Syndic, nommé en un parlement public duement autorisé, ce qui eut été fort difficile à obtenir.
Mais il ne pouvait en aucune manière se dire représentant du Bailliage de Digne, car, à cette époque, les assemblées de Bailliage et de Viguerie n'étaient pas encore autorisées.
Vers la fin du mois de juillet, le Bailli de Digne, Geoffroy des Crottes, fit faire une criée, portant défense aux habitants du Château, de quelque condition et qualité qu'ils fussent, d'exposer en vente, les jours de dimanche et de fête, des marchandises quelconques, et de faire aucunes ventes, soit publiquement, soit secrètement, sous peine d'une amende de cinq sous, tant contre le vendeur, que contre l'acheteur, et pour chaque vente, et de la confiscation des objets vendus.
Cette criée souleva les habitants du Château, qui depuis quelque temps s'adonnaient autant au commerce qu'à l'agriculture, par suite des avantages réels qu'ils en retiraient. Deux desCominaux, Guillaume Grassi, notaire, et Laurent Savin, se présentèrent, le 1 er août 1344, devant le Bailli, et déclarèrent protester contre la criée faite, d'après ses ordres, au mépris de tout droit, et sans aucun ménagement pour les besoins du commerce, car il y a souvent nécessité de vendre les jours de fête et de Dimanche, et la nécessité fait loi.
Or, cette criée étant injuste, inique, et blessant les intérêts des habitants, les deux Cominaux déclarent au besoin appeler de ladite criée devant le Juge des premières appellations, Pierre Des Vignes, réclamant instamment des lettres dimissoires, sous due protestation s'il les leur refusait. Le Bailli renvoya au lendemain pour consulter le Juge sur la question de l'admissibilité de l'appel ; mais le lendemain, jour par lui fixé, il ne se rendit pas à la Curie, et se dispensa ainsi de rendre une réponse qui l'embarrassait sans doute.
Les Cominaux demandèrent au notaire de la Curie un instrument public contenant leur appel et l'absence du Bailli.
L'année 1345 ne nous fournit qu'un seul acte, à la date du 9 juin. C'est le serment prêté entre les mains du Bailli, Jean de Novi, et du Juge, Jacques Muncius, par quatre habitants choisis par les Cominaux, pour la surveillance des ventes
du pain et du vin. Guillaume Grassi, notaire, et Bertrand Guigues sont choisis et sont chargés de veiller à la vente du pain, et Sparron Geoffroy et Jacques Franc, à celle du vin.
Les Officiers royaux font droit à la réquisition des Cominaux, et les agents ainsi nommés jurent sur les Saints Évangiles, de bien et fidèlement remplir leur devoir, pour l'avantage réciproque de la Curie et du Château. Les Cominaux, comme de coutume, requièrent un instrument public.
Cette année, 1345, fut marquée par un événement, qui fit retomber sur Jeanne d'épouvantables accusations. S'il faut en croire les historiens de Naples, elle aurait été la complice de l'assassinat d'André de Hongrie, son mari.
Les caractères de Jeanne et d'André étaient trop dissemblables, pour qu'une tendre sympathie pût s'établir entr'eux. Jeanne aimait passionément les fêtes et les plaisirs; André, au contraire, était sombre et taciturne, et ne pouvait souffrir le trop facile abandon de la Reine. Et puis, André était irrité de ce que Robert, dans son testament, avait ordonné que son couronnement fût différé jusqu'à ce qu'il eût atteint sa vingt-deuxième année. Jeanne voulait régner en son propre nom, André voulait en faire autant, et il s'indignait de ne porter que le titre de Duc de Calabre, de n'être Roi que pour ceux qui le flattaient, et de ne pouvoir jamais parler en maître. Aussi, l'entendit-on souvent menacer la Reine, et annoncer contr'elle de sinistres projets.
Les partisans de Jeanne exploitaient, auprès d'elle, ces emportements d'André, et cherchaient à lui inspirer de l'éloignement pour lui, en grossissant encore ses torts. Ils désiraient d'ailleurs se défaire de ce Prince, parce qu'ils redoutaient le moment où son couronnement lui donnerait la puissance après laquelle il soupirait, et ils savaient qu'ils n'avaient rien à en attendre.
Aussi , se forma-t-il parmi les plus dévoués à Jeanne une conspiration, à laquelle les historiens prétendent que Jeanne consentit, mais qui dut se constituer sans son assentiment.
Le Comte d'Arlusio, et Philippine la Catanoise, qui malheureusement avait toute la confiance de Jeanne, se mirent à la tête de cette conspiration. La Cour quitta Naples, pendant le mois de septembre 1345 , pour aller passer la fin de l'été à Averse.
La nuit du 18 septembre, André était au lit auprès de la Reine, lorsqu'on vint lui annoncer que des nouvelles de la plus haute importance étaient arrivées de Naples, et que son Conseil l'attendait pour en délibérer. André sortit, sans se douter de rien ; les conjurés l'attendaient dans un corridor voisin : la porte de sa chambre fut refermée, et on se précipita sur lui, pour lui passer au cou un cordon avec lequel on voulait l'étrangler. André se défendit vivement et fit couler le sang de quelques-uns de ceux qui l'attaquaient : on parvint à le pousser hors d'une fenêtre, et des conjurés, postés dans le jardin, le tirèrent par les pieds pour l'achever plutôt.
La nourrice d'André, nommée I solda, qui, du fond de la Hongrie, l'avait suivi à Naples et lui avait voué une affection de mère, fut éveillée en sursaut, et descendit dans sa chambre où elle ne trouva que Jeanne, accablée et sa tête appuyée sur le bord du lit nuptial. Ne voyant pas André, elle prit un flambeau, parut à une fenêtre et vit sur le gazon le cadavre d'André que les coupables s'empressèrent d'abandonner.
Jeanne, accablée de douleurs, retourna immédiatement à Naples, conduisant le cadavre de son époux, qui fut enterré dans l'Église de St-Louis. Cet événement souleva une indignation générale. Jeanne fut l'objet de beaucoup de soupçons.
Sa conduite, peut-être un peu légère, leur avait donné naissance. Clément VI, qui depuis le 7 mai 1342, avait succédé à Benoit XI, mort le 25 avril, voulut faire rechercher les coupables d'un aussi grand attentat, et envoya l'Archevêque d'Embrun, pour procéder à une information.
Mais ce Prélat, ayant éprouvé de grandes diffi cultés, de la part de la Reine et de ses ministres, le Pontife chargea Bertrand de Baux, grand Justicier du Royaume, d'instruire une procédure sur le crime dont le Roi André avait été la victime, et de poursuivre les auteurs, sans exception de personnes et sans aucun égard pour les dignités dont elles seraient revêtues.
Le grand Justicier fit arrêter Philippine la Catanoise, son fils Robert, qui exerçait les fonctions de Grand-Sénéchal, sa fille Sancie et plusieurs autres grands personnages, et les soumit à la torture, sur la place de Naples, avec un baillon dans la bouche; une palissade, gardée par les soldats, les dérobait au peuple et empêchait que d'autres que les Juges entendissent leurs aveux. La Catanoise périt dans les horreurs de la question; les autres furent livrés à un supplice révoltant, ils furent tenaillés, écorchés avec des rasoirs, et jetés dans un bûcher, avec un hameçon dans la bouche, et mis en pièces par le peuple.
Le 20 août de l'année 1346, Jeanne épousa son cousin, le Prince de Tarente. Nous n'avons dans nos archives qu'un seul de cette année 1346 : c'est une délibération des prud'hommes, qui nous fait connaître toute la simplicité de nos pères à cette époque. Cette assemblée avait été convoquée par deux des Cominaux, François Baudoin et Guillaume Durand, qui prennent, dans cet acte, le titre de Syndics. Elle fut tenue dans le couvent des Frères mineurs, en présence du Juge Montanier Reynier. Les plus notables habitants du Château y assistaient : François Bocher, Pierre Bon, M Etienne Audibert, Pierre Gronhi, marchand-drapier, Isnard Ayme, M Pierre Mercadier, Jean Marro, tous Syndics de l'université, et chargés probablement de diverses affaires sur lesquelles il ne nous reste aucune espèce de renseignements. Il y avait, de plus, Pierre Durand, Ranulphe Albéric, M Jean Jordani, notaire, Lions Gronhi, Jacques Second, Simon Giraud, M Albert Bérard, Simeon Turin, Me Nicholas Imbert, notaire, M Jean Salamon, Pierre Baba, Guillaume Bellon,
Raimond Boison, Pierre Monnier, Pierre Raphael, Paul Bondenier, notaire, et Noble Guillaume de Marcoux, fils de Noble Pierre, formant tous la meilleure et la plus saine partie de la communauté.
Ils exposèrent, au Juge, qu'il était indispensable, dans l'intérêt de l'universalité des habitants, de faire quelques règlements, pour lesquels ils avaient besoin de sa sanction. Et après une mûre délibération, ils prirent les mesures suivantes :
On avait l'habitude, à Digne, toutes les fois que l'on faisait baptiser l'enfant d'un ami, dont on devenait ainsi le compère, de faire d'énormes dépenses en cadeaux, soit de joujous, soit de vêtements, ce qui avait eu pour effet de dégoûter ceux qui étaient priés d'accepter cette charge, à tel point qu'on ne pouvait plus trouver de parrains, pour faire baptiser les enfants.
Pour remédier à un pareil abus, le conseil ordonne qu'aucun de ceux qui seront choisis pour tenir un enfant sur les fonts baptismaux, et qui jouiront d'un revenu, en biens, de plus de vingt-cinq livres, devront s'abstenir d'offrir à leur commère des joyaux, et ne pourront plus donner à l'enfant, en vêtements, qu'une simple camisole. Ils ne devront également inviter que deux personnes pour assister au baptême et les accompagner. Après la cérémonie, si le parrain désire faire une politesse à sa commère, il ne devra pas lui donner des objets d'une valeur supérieure à un dizain.
Quant à ceux, qui jouissent d'un revenu de vingt-cinq livres, ils auront la faculté de donner ce qu'ils voudront. Seulement ils ne devront pas plus que les autres inviter au-delà de deux personnes. Tous ceux qui contreviendront à la défense ainsi faite, encourront de plein droit une amende de dix livres, applicable, moitié à la Curie royale, et moitié aux dépenses du pont de Bléonne. On était encore dans l'usage, à Digne, toutes les fois qu'on célébrait un mariage, de faire, le soir, des farandoles, avec des torches allumées, ce qui amenait des réunions nombreuses, qui entraînaient de fortes dépenses, en frais de torches; mais ce qui était plus grave, elles faisaient naître presque toujours des rixes, qui donnaient lieu à des scènes scandaleuses, d'où résultaient des haines et quelquefois des querelles qui exposaient à de graves dangers et à des scènes de tumulte, toujours déplorables.
Pour faire cesser de pareils inconvénients, le conseil prononce la défense expresse, pour tous les mariages, qui se célébreront dans le Château, entre familles de la communauté, de faire de ces farandoles, le soir, avec des torches allumées. On pourra se réunir dans la maison des nouveaux épousés, mais on ne devra pas s'y rendre avec des torches.
Si, cependant, une nouvelle mariée, étrangère au Château de Digne, faisait son entrée dans la cité, après la nuit venue, il sera permis à tous ceux qui auront donné l'hospitalité à des étrangers, de les accompagner à la maison des nouveaux mariés, avec un flambeau ordinaire, pour éclairer leur marche, mais on ne devra pas se permettre de faire des farandoles pour ces mariages, pas plus que pour ceux contractés entre habitants de la communauté. Ceux qui contreviendront à cette défense, encourront également une peine de dix livres d'amende, dont moitié pour la Curie, et moitié pour les dépenses du pont de Bléone.
Il arrivait souvent, à Digne, que les marchands de vin, tant taverniers que simples propriétaires, vendaient du vin auquel ils mélangeaient une plus ou moins grande quantité d'eau. L'assemblée permit aux habitants de faire ce mélange pour leur usage personnel et celui de leur famille. Elle le permit encore, pour l'usage des gens de service, et pour celui que l'on donnait aux pauvres, à titre d'aumône; mais elle défendit expressément toute vente d'un pareil vin. Et tous ceux qui enfreindraient cette défense seraient punis d'une amende de vingt-cinq livres, dont moitié applicable à la Curie, et moitié aux dépenses du pont de Bléone.
Enfin , à l'époque des vendanges, il venait à Digne beaucoup de vendangeurs étrangers, qui rentraient tard, le soir, pour souper, et qui, en traversant les rues sans lumière, étaient exposés à être arrêtés par les agents de la Curie, et à être conduits dans les prisons royales. En outre, l'obligation de préparer leur souper, la nuit, de la part de ceux qui les occupaient à leurs vignes, était une charge onéreuse.
Pour y remédier, l'assemblée défend à tous les habitants de la cité, occupant des ouvriers étrangers, soit pour les travaux de la vendange, soit pour le transport des raisins sur des bêtes de somme, de leur donner du pain, de la viande, ni même de l'argent, pour leur souper, et de ne leur faire faire que le repas du matin et celui de midi.
Celui qui, publiquement ou en secret, ou par une personne interposée, contreviendra à cette ordonnance, sera puni d'une amende de dix livres, dont moitié pour la Curie, et moitié pour le pont de Btéonne.
Tous les membres présents promettent d'exécuter les ordonnances qui viennent d'être rendues, tant qu'elles n'auront pas été supprimées ou modifiées par les Cominaux actuels, ou ceux qui les remplaceront.
Le Juge donne à ces ordonnances la sanction de son autorité, sous la seule réserve qu'elles ne porteront aucun préjudice aux droits de la Curie.
Nous trouvons encore en cette année 1346, le pendant du Clavaire Audibert de Montpezat, qui ne nous fait connaître que fort peu d'acquisitions nouvelles faites par la Curie jusqu'à cette année.
La Curie avait donné, à titre d'accapit (1), à Jean Albert, les deux maisons, qui se trouvaient en dessous de la Curie, et en retirait un service an nuel de trois florins payables fin octobre.

(1) L'accapit n'était autre chose que l'emphytéose, qui alors pouvait être perpétuelle ou à terme, sous réserve toujours du droit de reconnaissance.

Elle retirait également des frères Gronhi une cense annuelle de dix florins et six deniers coronats, de l'antique Curie également donnée en accapit.
Les droits de ban qui, en 1330, ne produisaient que quatre livres, produisent maintenant six livres dix sous. Mais, en 1330, le Comte et l'Évêque se les partageaient par moitié, tandis que le Clavaire constate qu'un tiers de ces revenus a été aliéné en faveur de certains nobles qui en jouissent.
Les droits d'enchère et de criée s'afferment toujours à sept livres par an.
Ceux du péage et de gabelle qui s'élevaient à 270 livres, ne sont plus affermés qu'à deux cent vingt livres.
Nous avons déjà parlé, à propos de l'Évêque Elzéard de Villeneuve, des biens confisqués contre les frères François et Thomas de Varades, ainsi que le paiement de trois onces d'or au chapelain institué dans notre cathédrale, ensuite du testament du Roi Robert. Nous n'y reviendrons pas.
Les actes de l'année 1347, nous font connaître un proces assez singulier, et qui prouve combien les habitants de Digne veillaient, à cette époque, aux intérêts de la communauté.
On soupçonnait les familiers de l'Évêque de commettre la fraude, et quelques prud'hommes au Château résolurent d'exercer un active surveillance, pour les surprendre en flagrant délit.
Un jour, le 22 du mois de mai de cette année, ils virent venir sur le pont des Eaux-Chaudes, un des familiers de l'Évêque, Jean Alberger, porteur d'une grande corbeille, qui suivant eux, devait contenir du vin, qu'il était défendu d'introduire.
Ils étaient là réunis en assez grand nombre. Il y avait notamment François Bocher, Etienne Audibert, Pierre Mercadier, Isnard Ayme, Guillaume Durand , Guigues Gronhi et François Turrel, tous notables du Château. Ils voulurent savoir ce que contenait la corbeille ; mais Jean Alberger ne voulut pas le leur montrer. Quelques-uns d'entr'eux se précipitèrent alors sur lui, et voulurent le voir par force. Mais le porteur leur résista, se débattit jusques vers le milieu du pont, ils parvinrent cependant à s'emparer de la corbeille, mais n'y trouvèrent pas ce qu'ils croyaient qu'elle contenait. Il paraît que dans la lutte Jean Alberger avait reçu quelques légères blessures, et qu'il y avait eu effusion de sang.
Il s'empressa d'aller porter plainte à l'official de l'Évêque Jean Piscis, qui administrait, pendant son absence, et celui-ci crut devoir prendre en mains la cause du plaignant, et chargea un prêtre nommé Raimond, de poursuivre l'affaire devant la Curie royale; car, elle n'était pas de son ressort, puisqu'il y avait eu effusion de sang. Le fondé de pouvoir de l'Evêque se présenta, le 23 mai, devant le Juge de Digne, Noble Jean de Vicedominis, et vint déposer sa plainte contre les habitants du Château, qui, poussés par un mauvais esprit, comme des bandits, avaien t arrêté sur la voie publique, avec des bâtons et des armes prohibées, Jean Alberger, de Draix, familier de l'Evêque, qui portait un panier rempli d'herbes destinées à l'usage de la maison de l'Evêque, en tête du pont des Eaux-Cnaudes, et l'avaient traîné jusqu'au milieu du pont, faisant des efforts pour le précipiter dans l'eau. Ils lui avaient enlevé brutalement le panier dont il était porteur. Depuis lors Jean est malade, couché dans son lit, et plus près de la mort que de la vie.
Sur cet exposé, le Juge crut qu'il s'agissait d'une affaire très sérieuse et qui pouvait entraîner de sévères condamnations. Il ordonna une en quête.
L'enquête eut lieu. L'official fit citer Pierre Gronhi, boucher, Bertrand Porcel, Guillaume Grimaud, Jacques Etienne et Hugues Guigues, prêtres, Guillaume Drulhe, Clerc, et Auger Isnard. Le Juge de la Curie fit entendre quelques
autres témoins.
Lorsque l'enquête eut été achevée, toutes les parties en obtinrent une copie, puis le plaignant et les accusés purent présenter leur défense. Il ne restait plus que la sentence du Juge à connaître.
Elle fut rendue, le 21 janvier suivant, et ce fut une sentence qui renvoya de la plainte tous les prévenus. Ce qui décida le Juge, c'est qu'après avoir bien examiné toutes les dépositions, il avait reconnu que les prévenus, dans le fait qui leur était reproché, avaient seulement voulu assurer la conservation d'un droit, et n'avaient pas songé à faire une offense à l'official. D'ailleurs, les faits qui, dans le principe, avaient été exposés comme très graves, avaient été par le résultat de l'enquête, réduits à leur juste valeur; et par suite les parties avaient transigé sur ce procès. Il était
donc convenable d'en finir au plutôt , et de ne pas faire plus de bruit et de scandale.
Le 16 juillet de cette même année 1347 , un parlement public fut assemblé dans le Château de Digne. Des lettres du Sénéchal Philippe de Sanguinet, adressées aux Officiers royaux, leur ordonnaient de convoquer au plutôt un parlement public pour faire nommer des Syndics, qui vinssent représenter la communauté de Digne, à l'assemblée
des états qui était convoquée, à Aix, pour le 30 juillet. Ces lettres étaient datées d'Aix, du 1° de ce mois.
Le Juge de Digne, Jean de Vicedominis, donna immédiatement connaissance de cette lettre aux Cominaux de la cité, François Bocher, Etienne Audibert, notaire, et Pierre Mercadier.
Une criée fut faite : l'assemblée se réunit dans le couvent des Frères-Mineurs, et on nomma pour Syndics, Pierre Gronhi, marchand-drapier, et Etienne Audibert, notaire, et un des Cominaux de cette année. S'il faut en croire la lettre du Sénéchal, il s'agissait de discuter de très graves intérêts des Comtés de Provence et de Forcalquier. Mais les historiens de ces Comtés sont encore complètement muets sur cette assemblée. C'est en cette même année que la Reine Jeanne, qui venait de donner sa main au Prince de Tarente, vit paraître sur les frontières du royaume de Naples, une puissante armée du Roi de Hongrie, qui avait parcouru l'Italie avec un drapeau noir sur lequel était représenté le cadavre d'André, étranglé.
Un grand nombre de villes s'étaient soumises: une défection générale était à craindre. Jeanne se décida à passer en Provence. Pourtant avant son départ, elle assembla les Barons et les Députés des villes, qui lui étaient restés fidèles, et avec cette éloquence du coeur, qu'elle possédait au suprême degré, elle leur dit :" J'aurois cru qu'abandonnée dans ma plus tendre jeunesse aux caprices de la fortune; exposée, sans l'avoir mérité, aux plus grands malheurs, j'intéresserois le coeur de tous mes sujets. Cependant, il en est parmi eux qui osent m'accuser de la mort tragique de mon époux. Jalouse de détruire cette horrible calomnie, je pars pour faire connaître mon innocence au Vicaire de Dieu sur la terre, comme Dieu, lui-même, la connaît dans le ciel. "
Elle finit , en engageant ses sujets à se soumettre au Roi de Hongrie, pour désarmer sa fureur par une obéissance volontaire.
Ce discours, prononcé par une femme jeune et belle, émut tous les assistants. Tous lui jurèrent de la défendre jusqu'à la mort, l'engageant à rester; mais elle persista dans sa résolution, et s'embarqua, le 15 janvier 1348, pour se rendre en Provence. A son arrivée à Aix, le Comte d'Avelin, Seigneur des Baux, le Seigneur de Saulx, et plusieurs autres Barons de Provence, croyant qu'elle venait pour échanger le Comté, contre quelque province de France, avec Jean , Duc de Normandie, fils de Philippe de Valois, qui était venu à Avignon, pour demander au Pape de lui ménager cette affaire , s'assurèrent de sa personne , et la retinrent prisonnière à Château-Arnaud.
Elle n'obtint sa liberté , que lorsqu'on eut obtenu d'elle, le 17 février, l'engagement solennel qu'elle ne nommerait aux emplois, tant civils que militaires, que des personnes Provençales, et le 19 du même mois, l'engagement formel de ne jamais aliéner le Comté de Provence , ni en tout, ni en partie, quelle que fut la qualité et la dignité de l'acquéreur.
Elle s'empressa de partir pour Avignon , où elle arriva le 15 mars. Louis de Tarente, qui n'était pas entré avec elle en Provence, vint l'y trouver, et le Pape confirma leur union. Le Souverain Pontife nomma , quelques jours après, trois Cardinaux, pour prendre connaissance des faits reprochés à Jeanne. Elle se justifia complètement devant eux; mais désirant une justification plus complète , elle voulut se défendre en plein consistoire. Elle le fit avec un rare bonheur. Cependant le Pape ne voulut pas encore prononcer son jugement.
Nos archives ont un acte de cette époque assez remarquable, c'est un appel émis par les Cominaux de Digne, Isnard Ayme et Jean Marro, marchand drapier, contre une criée faite de l'autorité du Bailli, Jacques de Château-Neuf, en
vertu de lettres du Sénéchal Du Val de Sault ( Dom. Vallis Saltus) du 13 avril. Les lettres de ce Sénéchal, inconnu à Papon, annonçaient que le Château de Vinadio, le premier qu'on trouve en descendant dans le Piémont, par la vallée de la Stura , était menacé d'une irruption, et enjoignaient au Bailli, de s'y porter sans retard, avec toutes les forces réunies de son Bailliage, pour le secourir.
Le 15 avril , le Bailli prévint les Cominaux et quelques notables habitants de l'ordre qu'il avait reçu, et le même jour, fit faire une criée portant que tous les hommes sains du Château, de 14 à 60 ans, se rendissent le lendemain matin, munis de leurs armes, sur la place pu inaux décidèrent, après avoir pris l'avis de leur conseil, d'émettre appel de cette criée. Le 16 ils se présentèrent devant le Bailli et le Juge Antoine de Tabia, et déclarèrent émettre
appel contre cette criée , attendu que les lettres du Grand Sénéchal ne disaient pas d'une manière expresse que tous les citoyens de la communauté dussent prendre les armes, que ce n'était pas l'intention du Sénéchal, que d'ailleurs l'université de Digne n'était pas tenue d'une semblable obligation, car les lettres produites n'étaient même pas revêtues du grand sceau de la Sénéchaussée, comme elles l'étaient ordinairement. Ils protestent contre l'interprétation forcée donnée par les Officiers royaux à ces lettres, qui n'auraient dû être mises à exécution , qu'après avoir entendu les Cominaux et les membres du conseil , pour examiner quel nombre d'hommes le Château pouvait fournir. Au reste , ils déclarent que si leur appel an Sénéchal n'est pas admis, ils se réservent leur recours à la Reine Jeanne, qui fera droit à leur réclamation.
Les Officiers royaux refusent d'admettre un appel contre un ordre dont ils sont chargés d'assurer l'exécution. De cette année 1348 à 1356 , nous ne trouvons plus dans nos archives qu'un acte de peu d'importance. C'est une criée du Bailli, Raimond d'Usés, du 21 octobre 1350, qui, sur la réquisition des Cominaux, Pierre Bertrand, Louis Giraud, et Audibert Aribert, notaire, défend la vente du vin mélangé d'eau.
Le pendant de Bertrand Feuchère, n'est que la reproduction de celui d'Audibert de Montpezat. Nous nous bornerons, pour cette époque, à passer en revue les principaux événements qui agitèrent la Provence. Pendant l'année 1348 , la peste fit des ravages épouvantables en Provence. La ville de Digne ne dût pas être à l'abri de ce fléau : ses rues tortueuses et étroites ont toujours rendu terribles les maladies épidémiques qui se sont abattues sur elle. La peste de 1629 est là pour l'attester. Cependant nous n'avons rien trouvé dans nos archives qui ait pu nous en donner la certitude.
Le Roi de Hongrie mécontenta, par sa conduite et ses rigueurs, les Barons et les communes d'Italie. La vengeance qu'il tira du Duc de Duras, qui avait épousé Marie, soeur de Jeanne, la plus jeune des filles de Charles, Duc de Calabre, fils de Robert, qui venait à lui en ami, et qu'il assassina froidement, fit un effet extraordinaire.
Les Barons Napolitains regrettaient Jeanne et sa cour si brillante, et lui envoyèrent, en Provence, une ambassade, pour l'engager à revenir prendre possession de son royaume.
Le ciel de Naples convenait trop bien à la nature de Jeanne, pour ne pas se laisser séduire par ces propositions. Mais, pour une semblable expédition, il fallait réunir des troupes et se procurer des ressources. Elle n'hésita pas. Le 12 juin, elle vendit au Pape Clément VI ses droits sur la ville et le territoire d'Avignon au prix de quatre-vingt mille florins; elle fit à la Provence un appel qui lui procura plus de ressources qu'elle n'espérait; elle poussa l'héroïsme jusqu'à vendre ses bijoux, et ne recula pas devant un emprunt. Elle se procura ensuite, à prix d'argent, dix galères Génoises, et partit de Marseille vers la fin du mois d'août.
Dès que Louis de Hongrie sut qu'elle était arrivée à Naples, il dirigea, vers cette ville, une puissante armée, bien résolue à tirer une éclatante vengeance de la mort de son frère, qu'il persistait à reprocher à la Reine Jeanne. Il fut arrêté à Averse, par un siége qui le retint longtemps. Jeanne commençait à craindre de se trouver face à face avec cet ennemi implacable, lorsqu'un peu d'espoir lui revint, en voyant retourner de Provence, Raynaud des Baux, grand
Amiral du royaume, qui était allé y chercher des secours.
Mais les hommes sur lesquels les Rois comptent le plus, sont souvent ceux qui les trahissent avec le plus d'impudeur. Raynaud des Baux, qui descendait d'une branche de la maison de Barcelonne, et qui osait aspirer au Comté de Provence, trompa tout à la fois et Jeanne et le Roi de Hongrie. Il obtint, du Roi de Hongrie, la main de la Duchesse de Duras pour son fils Robert, et dès lors, il se crut maître des Comtés de Provence et de Forcalquier, où il possédait des terres considérables.
Pour exécuter son projet, il envoya, à Naples, deux galères, pour conduire Louis et Jeanne à Gayette, sous le prétexte de les soustraire à la vengeance du Roi de Hongrie, mais en réalité avec l'intention de s'assurer de leurs personnes.
Dès que Louis et Jeanne en furent sortis, il continua à bloquer le port de Naples, avec huit galères qui lui restaient. Il savait que la Duchesse de Duras était dans le Château de l'Oeuf ; il s'y rendit, et la força à épouser son fils Robert des Baux. Mais la Providence lui ménageait une punition exemplaire, pour l'infâme trahison dont il s'était ainsi rendu coupable.
Arrivé à la hauteur de Gayette avec ses huit galères, pour rallier les deux qui y avaient amené Louis et Jeanne, il commit l'imprudence de laisser entrer dans le port toutes les galères qui l'accompagnaient, à l'exception de la sienne, et de permettre aux équipages de descendre à terre.
Louis de Tarente qui connaissait déjà sa conduite, et qui trépignait d'avoir été joué par lui, fit arrêter tous les équipages qui se trouvaient à terre, en retint les principaux pour otages, et gagna les autres pour qu'ils décidassent Raynaud à entrer dans le port.
Comme il s'en défendait, Louis, outré de colère, se jeta dans une chaloupe, accompagné de quelques amis dévoués, aborda la galère de l'amiral, lui reprocha amèrement sa trahison, et lui plongea un poignard dans le sein. Il s'assura ensuite de ses deux fils, et fit conduire la Duchesse de Duras dans le Château de Gayette. Robert fut mis en prison, où il fut bientôt assassiné par des hommes que la Duchesse de Duras, irritée de la violence dont elle avait été l'objet, paya elle-même.
Elle épousa, plus tard, Philippe de Tarente, frère de Louis. Le Roi de Hongrie était en possession de Naples; mais ses exigences soulevèrent les habitants contre lui, et il se vit obligé d'évacuer cette ville et de se retirer dans la Pouille avec son armée.
Louis de Tarente et Jeanne purent rentrer dans Naples, et, soutenus par la population, ils reprirent le dessus. Clément VI ayant appris cet échec du Roi de Hongrie, crut le moment favorable pour proposer un arrangement. Il amena les deux parties à conclure un traité, par lequel une trêve était convenue jusqu'au 1er avril de l'année 1352, les deux parties restant en possession des places qu'elles occupaient alors. D'un autre côté, le procès de Jeanne devant le Sacré Collége serait achevé. Si Jeanne était déclarée coupable, ses états passeraient au Roi de Hongrie; si, au contraire, elle était déclarée innocente, elle rentrerait en possession de tous ses Etats; seulement, elle paierait en ce cas au Roi de Hongrie une indemnité de guerre de 300,000 florins.
Pendant que tous ces événements se passaient en Italie, des divisions avaient éclaté en Provence. Malgré la promesse, faite par Jeanne, de ne nommer en Provence que des administrateurs du pays, elle avait élevé à la dignité de Grand-Sénéchal, un gentilhomme Italien, Aimeric Rollandi. La généralité des communes Provençales refusa de le reconnaître: Marseille seule obéit aux ordres de la Cour. Cette question aurait pu amener la guerre; mais on finit par s'entendre; les États furent convoqués à Aix, et on convint qu'on enverrait des Députés à la Reine, pour savoir d'elle de quelle manière elle interprétait les priviléges de la Provence, et qu'on en enverrait en même temps au Pape, pour obtenir sa médiation.
Jeanne fut assez sage, en voyant cette résistance, pour révoquer Aimeric Rollandi, et appeler à sa place Raymond d'AgouIt, qui avait déjà exercé ces hautes fonctions.
Cependant les ambassadeurs du Roi de Hongrie, qui se trouvaient à Avignon, insistaient auprès de Clément VI, pour qu'il fût procédé au jugement de Jeanne; et l'instruction de cette grande affaire fut reprise.
Après de longues discussions, le Souverain Pontife prononça son jugement, et déclara Jeanne innocente de toute participation à l'assassinat d'André.
Aux termes des clauses du traité passé entr'elle et le Roi de Hongrie, elle se mit immédiatement en possession de toutes les places occupées par les forces hongroises, qui abandonnèrent l'Italie.
Mais lorsqu'elle voulut payer l'indemnité de 300,000 florins qui avait été stipulé, le Roi de Hongrie ne voulut pas la recevoir, parce qu'il n'entendait pas, dit-il, vendre le sang de son frère. Cette évacuation de l'Italie, par les troupes du Roi de Hongrie, ramena la tranquillité dans le royaume de Jeanne. Sa cour reprit son aspect accoutumé, et elle ne tarda pas à faire couronner Roi son mari Louis de Tarente.
Mais une haine sourde et violente s'éleva entre les membres des maisons de Duras et de Tarente. Les Princes de la maison de Tarente approchaient le trône et en recevaient des faveurs, dont ceux de la maison de Duras étaient excessivement jaloux.
Louis de Duras, Comte de Gravines, resta à Naples, dans l'espoir d'y fomenter des troubles. Robert, son frère, vint en Provence pour y former un centre autour duquel il voulait rallier tous les partisans de l'indépendance Provençale. Son but était de monter les esprits contre Jeanne et de préparer pour l'avenir son accès au Comté de Provence, qu'il ambitionnait.
Philippe de Tarente fut envoyé par la cour en qualité de Viguier général de la Provence, et tenta de s'opposer aux efforts de Robert.
Nous avons trouvé dans nos archives un acte de lui, de l'année 1356, qui fut présenté au Bailli de Digne, N. Rostang de Durfort, et au Juge, Louis Isnard, par Isnard Ayme, de Digne, agissant tant en son nom qu'au nom de l'université de Digne. Cet acte contient une remise générale des condamnations prononcées depuis le couronnement de Louis de Tarente, par tous les Officiers royaux des divers bailliages du Comté de Provence. Cette mesure dût faire grand plaisir aux habitants des communautés de Provence.
Nous avons, de la même année , un Statut de l'Église de Digne, fait par l'Évêque Jean Piscis et son chapitre, le 12 avril. Ce Statut ne se compose que de trois Canons, qui apportent quelques modifications aux usages du Chapitre.
Le premier applique aux distributions canonicales la moitié seulement, au lieu de la totalité des prébendes du Prévôt, de l'Archidiacre et du Sacristain. Il les dispense en même temps du droit de chape, qui était de six livres. Ce Canon est tout favorable aux dignitaires du Chapitre, et s'accorde assez bien avec le caractère de Jean Piscis, que nous connaissons déjà par l'hommage qu'il exigea de la communauté. Le second Canon ordonne aux Chanoines désignés pour chanter à une grand'messe l'Épitre ou l'Évangile, d'assister le célébrant ; il leur ordonne de se prêter ensuite entr'eux une mutuelle assistance, et prononce contre ceux qui s'y refuseraient une amende de deux deniers. Enfin, le troisième Canon ordonne que les Chanoines s'assemblent une fois par semaine, le samedi; tous ceux qui y assisteront recevront une distribution de douze deniers, et partageront entr'eux la moitié du produit de l'amende de deux sols, prononcée contre ceux qui ne s'y rendraient pas, l'autre moitié devant être appliquée à l'entretien de deux lampes qui brûlent devant les images de saint Chrysostôme et de Magdeleine.
C'est deux ans après , en 1358, que Jean Piscis fut élevé à l'Archevêché d'Aix. Les divisions qui agitaient alors la Provence furent la source de dévastations incessantes qui mirent la Provence dans un état de désolation.
Les membres de la maison de Duras appelèrent à cette époque, en Provence, le trop fameux Arnauld de Cervoles, dit l'Archiprêtre, qui, après la bataille de Poitiers, où le Roi de France, Jean, fut fait prisonnier par les Anglais, se mit à la tête d'une bande de soldats, et parcourut la France, se livrant au brigandage et au pillage. Froissard nous les peint en ces ter mes : « Si ne savoient où gagner en France. Si bien allèrent premièrement en Provence, et y prirent et échelèrent plusieurs fortes villes et forts châteaux ; et dérobèrent tout le pays jusques en Avignon. »
La ville de Digne dût recevoir sa visite, car nous verrons bientôt, par les actes qui nous restent, les précautions qu'elle prit pour se garantir de pareilles invasions.
La communauté fut obligée, en cette année, pour faire face a ses dépenses, d'emprunter une somme de 170 florins d'or, ce qu'elle fit par acte du 11 septembre 1358, notaire Feraud Audibert d'Allos, attaché à la Curie.
Les principaux habitants de la cité n'hésitèrent pas à contracter cette obligation, qui, du reste, fut remboursée le 27 janvier 1360.
La troupe de Cervoles fut bientôt suivie d'une autre. En 1360, on vit arriver d'autres brigands, les Tard-Venus. C'étaient des soldats des armées anglaises, qui venaient d'évacuer les places fortes occupées par l'Angleterre, après le traité de Brétigny, où Jean obtint sa liberté, moyennant la rançon qui y fut fixée.
Leur chef se faisait appeler l'ami de Dieu et l'ennemi de tout le monde. Digne dût encore avoir à lutter contre cette
bande, car le Sénéchal de Provence crut devoir ordonner des travaux de fortification, devenus indispensables dans ces temps de désordres.
Avant de dire comment la ville put se procurer des ressources pour ces travaux de fortification, nous devons parler d'un acte de dévouement d'un citoyen de la cité, qui se trouve constaté par un parchemin de nos archives, et qui, probablement, fut inspiré par l'état de détresse dans lequel le Château de Digne se trouvait après l'invasion dont elle venait d'être l'objet.
Une partie du droit de péage, nous l'avons déjà dit, appartenant au Comte de Provence avait été aliéné, et c'était Noble Sparron d'Esparron, Seigneur de Bellegarde, qui en était investi.
En 1361, et par acte du 12 novembre, son fils, qui avait succédé aux droits de son père, et qui, jeune encore, car il était à peine âgé de quatorze ans, avait reçu des administrateurs de la cité divers services dont il était reconnaissant,
mais qui malheureusement ne sont exprimés dans cet acte, que par des termes généraux, qui ne nous en indiquent pas la nature, voulut faire un don à la communauté, et , sous l'assistance et du consentement du Seigneur d'Oraison, Elzéard d'Oraison, son parent, et de deux oncles, Jean et Merreaud d'Oraison, il voulut que la ville perçut pendant une année, à partir de la fête de saint Jean-Baptiste prochaine, le revenu de son droit de péage qu'il affermait annuellement. Cette donation fut solennellement faite aux Cominaux de cette année, Isnard Aymes, Jean de Rochas et Pierre Georges, et aux membres de leur Conseil, qui assistèrent à cet acte, Nobles Louis Giraud, Isnard Gautier et Louis Durand, et Mes Pierre de Saint-Martin, Audibert Aubert et Etienne Lantelme.
L'acte fut passé dans la maison de Louis Giraud, habitant de Digne, et un des Conseillers présents, par le Notaire Pierre Roche, de Mariaud.
Cette somme dût aider la commune dans les dépenses extraordinaires qu'elle avait à faire. Mais elle n'était pas suffisante, et la communauté fut obligée de recourir au Sénéchal de Provence, pour obtenir l'imposition d'une rêve. L'usage s'était établi, dans quelques communes de Provence, d'établir des rêves, qui étaient une source de revenus pour les communautés. Les rêves étaient une imposition qui frappait spécialement les fruits, les denrées ou les marchandises qui se consommaient dans la communauté. Ainsi on vit s'établir successivement la rêve du pain, celle du vin et celle de la viande.
Les Cominaux voulurent suivre l'exemple donné par les autres communes, et demandèrent au Sénéchal, Roger de St Séverin, l'autorisation d'imposer une rêve, qui donnât des ressources pour les travaux de fortification. Le Sénéchal fit droit à leur demande, et, par ses lettres du 3 janvier 1361, il autorisa les habitants du Château de Digne à s'imposer, pendant quatre ans, une rêve sur le vin, qui consistait à faire payer, soit en nature, soit en argent, suivant l'estimation, le huitième de chaque coupe de vin vendue.
La perception de cette rêve devait être mise aux enchères, et devenait ainsi pour quatre ans une source nouvelle de revenus pour la communauté. Les Cominaux de Digne, Isnard Aymes et Pierre Georges, dès la réception des lettres du Sénéchal, s'empressèrent de se présenter devant le Bailli, Jean Trenaque de Faucon, et en requirent l'exécution.
Le Bailli les autorisa à procéder à la mise aux enchères de ladite rêve; mais nous n'avons pas retrouvé l'acte d'adjudication ; pourtant nous soupçonnons fort les habitants de n'avoir pas profité de cette concession du Sénéchal, parce qu'elle n'était pas suffisante pour leurs besoins, car, l'année suivante, nous trouvons une autre lettre du même Sénéchal , en date du 13 septembre 1362 , qui leur accorde, cette fois, une rêve d'un denier sur chaque coupe de vin vendue, en gros ou en détail, et une rêve de deux deniers sur chaque septier de blé que les habitants feraient moudre pour leur consommation.
Cette rêve leur fut encore accordée pour les travaux de fortification dont la ville avait un pressant besoin, et peut-être est-ce une invasion des Tard-Venus qui empêcha l'enchère de la rêve accordée en 1361 .
Quoiqu'il en soit, cette lettre du Sénéchal Roger de St.Séverin, Comte de Milet, fut présentée, le 9 octobre, par un des Cominaux de la cité, Fralin Marant,au Juge de la Curie, Guillaume Piolle, qui en ordonna immédiatement l'exécution , et fit faire une criée pour annoncer que le lendemain, 10 octobre, les enchères seraient ouvertes.
L'adjudication des rêves, à cette époque, ne se faisait pas comme nos enchères aujourd'hui, et il ne sera pas inutile de faire connaître la manière dont nos pères procédaient à cette opération. Le 10 octobre, le Cominal comparut devant le Clavaire, Martin Champsaur, qui remplaçait ce jour-là le Juge de la Curie, et une nouvelle criée fut faite pour annoncer que l'enchère n'aurait lieu que le lendemain, 11 octobre, à l'heure de tierce, sur la place de la Curie. Le 11 octobre, tous les Cominaux sont présents : Fralin Marant , Audibert Aubert et Lions Gronhi. Sur leur réquisition, le Clavaire interpelle le crieur public , et lui ordonne de commencer les enchères. L'acte porte l'indication des conditions auxquelles l'enchère aura lieu, et fait connaître la mise à prix auquel elle a été baptisée. Les Cominaux l'avaient fixée à 100 livres. Le crieur public annonce alors l'ouverture des enchères, et tous les habitants solvables, et pouvant fournir des fidéjusseurs suffisants, purent dès lors faire leurs offres.
Mais on employait alors, pour exciter les habitants à surenchérir, un singulier moyen. On offrait une prime de tant de sols par livre à tous ceux qui surenchérissaient, et ils acquéraient, en surenchérissant, un droit proportionnel au chiffre des livres dont ils élevaient l'enchère. Ainsi on commençait par offrir un ou deux sols par livre sur la première mise à prix. Si l'enchère s'élevait à vingt livres en sus, et que la prime fut d'un sol, celui qui l'avait élevée de cinq livres recevait cinq sols, et celui qui l'avait élevée de quinze livres recevait quinze sols.
Mais on ne se bornait pas à cette première épreuve. Lorsqu'on ne trouvait plus de surenchérisseur à un sol ou deux sols de prime, on montait graduellement jusqu'à dix sols, et quelquefois l'appât d'un bénéfice insignifiant décidait des habitants à faire des enchères, qui produisaient un bon effet, en faisant monter le prix de la rêve.
La rêve adjugée, le 14 octobre 1362, s'éleva à cent quatre-vingt-quatre livres Provençales, et ce fut Pierre Georges qui fut déclaré adjudicataire. Il présenta deux fidéjusseurs, Guido Aperioculos et Boniface Damien. L'acte d'adjudication est accompagné de toutes les formules dont les Notaires d'alors surchargeaient leurs actes d'obligation.
Une seconde lettre du Sénéchal Roger de St. Séverin, Comte de Milet, du 14 septembre de cette annee, nous donne plus d'explications que la première, sur la nature des dépenses que la ville de Digne eut à supporter à cette époque.
D'abord, elle nous révèle un fait important : c'est que pour veiller aux travaux de fortification nécessités par les invasions successives qui avaient eu lieu , le Sénéchal avait envoyé à Digne, pour les activer, le Seigneur d'Oraison,
qui avait pris le titre de Capitaine du bailliage de Digne, et qui devait, lorsque le Château avait à se défendre contre une de ces bandes dévastatrices, servir de chef militaire.
Or, l'entretien de ce Capitaine était à la charge de la ville de Digne, et elle était obligée de lui payer le traitement mensuel qui devait lui être assuré.
Outre cette dépense^ extraordinaire, les Etats assemblés à Draguignan avaient voté un fouage qui se trouvait réparti à un florin par feu. La cité de Digne avait été exacte à s'acquitter de la part qui lui était imposée ; mais il paraît qu'elle en avait elle-même fait l'avance pour tout le bailliage, et quelques châteaux refusaient d'y contribuer. Elle dût s'adresser au Sénéchal de Provence, qui par ses lettres, qui nous apprennent tous ces faits, recommanda aux Officiers royaux de contraindre les châteaux retardataires à rembourser les avances faites par le Château de Digne. Louis de Tarente, époux de la Reine Jeanne, était mort, le 16 mai de cette année, usé, dit-on, par 1 excès de son amour pour Jeanne.
Le Pape Innocent VI , qui avait remplacé, en 1352 , Clément VI , son prédécesseur, mourut aussi en cette année, le 12 septembre. Il fut remplacé par le Pape Urbain V.
Le Roi de France, Jean, fit prier le nouveau Pape de proposer à la Reine Jeanne son quatrième fils, alors Duc de Tourraine, depuis Duc de Bourgogne, surnommé le Hardi ; mais Jeanne, qui craignait de se donner un maître, en épousant un fils de France, jeta les yeux sur Jacques d'Aragon, Roi titulaire deMayorque, Comte de Roussillon et de Cerdagne. Il était sans patrie et sans fortune, lorsque Jeanne lui proposa de l'épouser, le 14 décembre de l'année 1363, un an après la mort de Louis de Tarente. Mais elle exigea de lui qu'il resterait content de son titre de Roi de Mayorque, et qu'il ne se mêlerait en aucune manière de l'administration du royaume, ni du Comté de Provence, qu'elle voulut se réserver.
Nos archives nous offrent , pendant l'année 1363, quelques actes qui ne sont pas dépourvus d'intérêt.
D'abord l'élection des Cominaux, qui eut lieu le 26 mars, devant le Bailli, Bertrand, Prieur de Nice, et le Juge, Guillaume Piolle. Cet acte d'élection est semblable à celui de 1344. Ce sont les Cominaux sortants qui requièrent
la réélection.
Les habitants de Digne choisirent, pour leurs Cominaux de cette année, Noble Guido Flotte, Co-seigneur de Gaubert, et les Prud'hommes Guillaume de Courbons, Pierre de St. Martin et Raimond Bertrand , Notaire. Le 19 septembre, les Cominaux de la communauté nomment des fonds de pouvoirs pour poursuivre un appel émis par Rainaud Bertrand, l'un d'eux, contre une criée du Bailli, faite, sans l'assentiment de la communauté, défendant la vente du vin mélangé d'eau.
Cet acte est passé devant un notaire, et semble prouver que les habitants n'étaient pas satisfaits de l'administration du Bailli de cette époque. Un autre acte fort curieux de cette année est la réception d un etranger, comme citoyen de
comme citoyen de Digne.
La cité de Digne jouissait alors de priviléges tels, que les habitants des Châteaux voisins enviaient le sort de ses habitants.
Raimond Bertrand, d'Aiglun, sollicita la faveur d'être reçu citoyen du Château de Digne. Les Cominaux et le Conseil y consentirent, et sa réception eut lieu , le 19 décembre , en présence du Bailli Bertrand, Prieur de Nice, et du Juge Guillaume Piolle. Cet acte se fit en présence de deux des Cominaux et de tout le Conseil, composé de dix membres.
Rainaud Bertrand se présenta devant eux et forma sa demande. Le Conseil l'accepta à l'unanimité, et pour attirer au Château le plus grand nombre d'habitants possible, n'évalua les biens dudit Rainaud Bertrand qu'à la somme de quarante livres, taux fixé pour toute sa vie, ses héritiers seuls devant être soumis à la règle commune.
Le 17 mars suivant1, eut lieu l'élection des Cominaux qui devaient exercer leurs fonctions pendant l'année 1364. Comme le dimanche de la Passion se trouvait fixé au 17 mars, et que l'année ne commençait qu'au vingt-cinq, on
pourrait croire au premier abord qu'en 1363, il y avait eu deux élections dans le même mois. Nous aurions pu peut-être nous dispenser de cette observation, mais nous avons cru devoir la faire.
L'acte est conforme à celui de l'année précédente; les Cominaux élus sont : Noble Seigneur Elzéard d'Aurayson, et les prud'hommes Isnard Aymes, Jean Botin et Pierre Second.
Mais cet acte contient, une singulière erreur du notaire, que nous nous gardons bien d'imputer aux Cominaux. Le notaire, en parlant de l'institution du Cominalat, parle d'une convention faite avec un des Raimond Béranger consignée dans le Registre Catene. L'élection de 1365, du 23 mars, contient la même erreur. Nous regrettons que deux notaires aient pu dire de semblables absurdités; mais nous avons déjà fait connaître les notaires de cette
époque, et on leur pardonnera une erreur involontaire de leur part.
Nous n'avons rien, dans nos archives des l'année 1364, mais en 1365, nous avons deux la lettres de la Reine Jeanne, les seules qui nous aient été conservées.
La question du droit de cavalcade se présentait souvent à Digne. Les obligations du Château, dans lequel les anciens Comtes de Provence étaient toujours assurés de trouver des hommes dévoués, qui s'enrôlaient volontiers dans leur armée, n'avaient d'abord pas été fixées, pour Digne, quant au droit de cavalcade.
Les Statuts du Bailliage de Digne, faits en 1237 par Raimond Béranger, indiquent les obligations de tous les Châteaux du Bailliage, mais le Château de Digne y est complètement omis.
Plus tard, lorsqu'on fit à la Cour des comptes le registre Lilii Digne, destiné à contenir t ous les actes qui intéressaient la communauté de Digne, le copiste de ce registre intercala, dans la liste des Châteaux, soumis à la cavalcade, celui de Digne, qui ne se trouvait pas porté dans le registre Pergamenorum, où se trouvaient transcrits les Statuts de Raimond Béranger, et comme le nombre d'hommes et de chevaux n'était pas indiqué, le copiste se contenta d'écrire sur la marge, à côté de la désignation du Château de Digne, les deux mots ad arbitrium.
Cependant les Officiers royaux, sous les règnes des premiers Comtes de la maison d'Anjou , n'avaient jamais exigé du Château ce droit de cavalcade, parce qu'ils savaient que dans les moments de besoin, lorsque le Comte de Provence leur faisait un appel, ils envoyaient plus d'hommes et s'imposaient plus de sacrifices, qu'ils n'en auraient fait, s'ils avaient été, comme les autres Châteaux, soumis à un nombre déterminé.
Lorsqu'une levée d'hommes était demandée, les Officiers royaux convoquaient les Cominaux et le Conseil, et le nombre d'hommes était fixé à l'amiable.
Mais toutes les fois que les Officiers royaux, voulaient exiger une montre, sans consulter le conseil, nos pères protestaient, s'adressaient directement au Comte de Provence, et obtenaient justice.
Cette question fut encore soulevée sous la Reine Jeanne, et les habitants de Digne défendirent vivement leur cause.
Le Conseil royal de Jeanne accueillit le moyens qu'ils firent valoir, et les lettres de cette princesse, du 22 septembre 13651, les dispensent formellement de ce droit annuel de cavalcade
La communauté de Digne lui avait exposé que dans le registre, conservé dans les archives d'Aix, dans lequel étaient désignées toutes les communautés de Provence tenues de servir la cavalcade, il était évident, à l'aspect de l'écriture, que c'était une autre main que celle qui avait écrit l'ancien registre, qui avait ajouté que, lorsqu'une cavalcade était ordonnée dans l'étendue du Comté de Provence, la ville de Digne était imposée arbitrairement, c'est-à-dire, au gré du Sénéchal ou du Bailli. Or, jamais ladite cité de Digne n'avait été forcée de servir une semblable cavalcade, qu'une fois sous le second Sénéchalat du magnifique Fouques d'Agoult, son fidèle et bien-aimé conseiller dans les fonctions de Sénéchal, quoiqu'elle n'y fut pas tenue, si ce n'est par une interprétation forcée de ces mots ajoutés après coup à l'ancien registre, mots suspects et préjudiciables aux habitants de Digne. Aussi Jeanne, faisant droit à la supplique de la communauté de Digne, qui demande les mêmes faveurs que celles qui lui étaient accordées sous le Roi Robert et ses prédécesseurs, ordonne à son Sénéchal de maintenir les habitants dans les coutumes observées sous le Roi Robert, et lui recommande de ne pas les tracasser et aggraver leur position, pour qu'ils ne renouvellent plus leurs plaintes, et qu'elle ne soit pas forcée de réitérer les ordres qu'elle leur donne.
Le même jour, Jeanne accordait aux mêmes habitants la confirmation de leur privilége de ne contribuer aux tailles qu'à Digne, privilége qui leur était contesté de temps en temps, et contre lequel les habitants de Gaubert commençaient à s'élever.
Ces deux lettres dûrent faire sensation à Digne, et assurer à Jeanne un dévouement qui, du reste, se manifesta vivement au milieu des divisions qui troublèrent la fin de son règne, car le Château ne recula ni devant des sacrifices d'hommes, ni devant des sacrifices d'argent, pour conserver la ville sous la domination de celle qu'ils regardaient comme leur seule Souveraine légitime.
Les habitants de Digne défendaient, on le voit, leurs intérêts auprès des Comtes de Provence, mais dans leur intérieur ils ne donnaient pas moins de soins à leurs affaires. Une délibération des prud'hommes du Château,
du 16 décembre de cette année, en donnera la preuve.
Vingt-trois d'entr'eux et les trois Cominaux Isnard Gautier, Pierre de St. Martin et Giraud Laugier, se réunirent, sur la réquisition de ces derniers, dans la chapelle St.Louis du couvent des Frères-Mineurs, en présence du Bailli Jacques Sirian, et firent les Statuts que nous allons faire connaître.
Ils défendirent d'abord à toute personne, de quelque condition et qualité qu'elle fût, de faire dépaître son bétail , gros ou menu, dans les propriétés d'autrui, prés, vignes ou terres labourables, sous peine d'un ban double de celui alors établi, ordonnant expressément que ce ban fût exigé des propriétaires du bétail trouvé en fraude. Ils prononcèrent ensuite une peine de cinq sols contre le garde ou le berger qui aurait été le conducteur du bétail.
Ces amendes devaient ensuite être partagées en trois parties : l'une, attribuée à la Curie, l'autre à la communauté et la troisième au dénonciateur. Elles devaient être exigées par ceux à qui elles étaient accordées. Ces ordonnances devront être exécutées pendant trois ans.
Mais ils ne s'en tinrent pas là. Le pont de Bléone qui avait été construit n'était pas d'une solidité à toute épreuve, il paraît même que ses dégradations avaient été tellement fortes, qu'on ne pouvait pas y passer dessus sans compromettre sa vie.
Aussi, les prud'hommes ainsi réunis, ordonnent-ils, à l'unanimité, que le pont de Bléone devra être réparé et remis en tel état que les hommes et les animaux puissent le traverser sans danger. Ces dépenses seront faites par l'université, et supportées aussi par tous ceux qui possèdent des propriétés entre le pont des Eaux- Chaudes et la rivière de Bléonne. Des digues solides et devenues indispensables seront construites aux frais de la commune comme les travaux du pont, tant sur les rives des Eaux-Chaudes que sur celles de la Bléonne, dans l'intérêt de la consolidation du pont.
L'assemblée désigne ensuite les habitants qui seront chargés de faire exécuter ces travaux : N. Louis Aperioculos, Seigneur de Verdaches; Isnard Gautier, M. Jean de Rochas, Audibert Aribert, Guillaume de Courbons et Etienne Lantelme. Tous ensemble, ils pourront taxer et allivrer les habitants qui possèdent des propriétés en dessous du pont des Eaux-Chaudes, proportionnellement à la valeur de leurs biens. Ce sera à eux à retirer les sommes ainsi taxées,
et à poursuivre ceux qui se refuseraient à y contribuer. Ils seront également chargés de faire rentrer tous les fonds nécessaires pour ces travaux de réparation du pont, et cette construction de digues. Ils y procéderont pour le mieux, ainsi qu'ils le régleront.
On le voit, nos pères ne reculaient pas devant les dépenses, lorsqu'il s'agissait d'une chose nécessaire. Ils étaient unanimes à s'imposer des sacrifices, dont les résultats finissaient par leur procurer un bien-être qui devenait de jour en jour plus précieux pour eux.
Le 23 mars suivant, on renouvela les Cominaux, devant le Juge de la Curie, Pierre Clair, Vice-Bailli. Les Cominaux élus furent : N. Guignes Flote, Co-Seigneur de Gaubert , Isnard Gautier, Pierre de St.Martin et Giraud de Verdaches.
Cet acte d'élection reproduit, ainsi que nous l'avons déjà dit, l'erreur du notaire de 1363, qui attribue à Raimond Béranger l'institution du Cominalat. Pendant les années 1366, 1367 et 1368, nos archives sont encore muettes, mais il ne sera pas inutile de jeter un coup d'oeil sur ce qui se passait, à cette époque, en Provence.
Jeanne était toujours à Naples. L'Empereur Charles IV, successeur de Louis, vint à Avignon pour conférer avec le Pape Urbain V, des affaires d'Italie. Il profita de son passage en Provence pour se faire couronner Roi à Arles, et reçut les hommages de divers Evêques et du Sénéchal de Provence. La ville d'Arles célébra en son honneur la fête des fous.
Dom Vaissete dit qu'en cette même année l'Empereur Charles IV céda ses droits sur le royaume d'Arles, à Louis, Duc d'Anjou, frère du Roi de France, Charles V, en ce moment gouverneur du Languedoc; d'autres historiens
assurent que ce fut le prix d'un repas, qu'il en avait reçu. Mais Louis d'Anjou prit, dès ce moment, la résolution de profiter de l'absence de Jeanne pour faire valoir ses droits , et employa deux ans à s'assurer des ressources et des forces suffisantes pour la réalisation de ses projets.
Il employa à cette expédition le fameux Bertrand Du Guesclin, qui venait de sortir de prison. Le 4 mars 1368, le Duc d'Anjou et Bertrand Du Guesclin, après avoir passé le Rhône, vinrent assiéger Tarascon, dont ils s'emparèrent, ainsi que de Beaucaire, où le Duc d'Anjou convoqua une assemblée des communautés du Languedoc.
De Beaucaire, il marcha sur Arles, et en commença le siége, qu'il fut obligé d'abandonner, pour rentrer dans le Languedoc, laissant à Du Guesclin le soin de le poursuivre.
Mais le Pape Urbain V intervint, fit conclure une trêve, et le Duc d'Anjou abandonna Tarascon au mois d'octobre suivant.
C'est ce Duc d'Anjou, que plus tard Jeanne institua son héritier, et qui fut la souche des Comtes de Provence de la deuxième maison d'Anjou.
Nos pères assistaient ou plutôt suivaient attentivement toutes ces luttes, mais il résulte de toutes les lettres des Comtes de Provence, que la ville de Digne leur était complètement dévouée,
Nous aurons bientôt à parler de celles de Marie de Blois, et on verra que la ville de Digne dût prendre une part très active aux luttes qui signalèrent en Provence l'avènement de la deuxième maison d'Anjou.
Pour subvenir aux besoins de la communauté, le conseil avait, à cette époque, établi un impôt d'un vingtième sur toutes les ventes du vin et du blé, qui se faisaient dans le Château, et qui devaient remplacer les rêves. La perception de ce vingtième était mise aux enchères, et cette année, Guillaume Bastier avait été l'adjudicataire, et l'avait ensuite revendu à Guillaume et à Guigues Geniez, aussi de Digne, au prix de 406 florins, de seize sols chaque.
Guillaume Durand mourut après cette vente, laissant un mineur Louis Durand, sous la tutelle de Noble Louis Durand, archiviste à Aix.
Louis Durand et Guigues Geniez , ne pouvant plus procéder à l'exaction de ce vingtième, dont Guillaume Durand était spécialement chargé, s'adressèrent aux Cominaux et au Conseil de la cité, pour être déchargés de ce vingtième et s'en faire déclarer quittes envers Guillaume Bastier, qui le leur avait vendu.
Le Conseil fut assemblé le 11 mars 1369, en présence du Bailli Guillaume Chabaud. Louis Giraud, Co-seigneur des Sièyes et Audibert Aribert, notaire, deux des Cominaux étaient présents.
Le Conseil, pour se rendre agréable audit Louis Durand, déclare, à l'unanimité, que la communauté se chargera du vingtième, et décharge les enfants dudit Guillaume Durand et Guigues Geniez, des obligations par eux contractées pour l'achat de ce vingtième; s'obligeant, eux et leurs biens, et ceux de l'université, au paiement à Guillaume Bastier, de la somme de 306 florins, de 16 sols chaque, qui lui était encore due.
Le Conseil accorde, de plus, aux postulants une somme de 20 florins d'or, de 16 sols chaque, pour les peines et soins pris par défunt Guillaume Durand, et déclare, franc de tout paiement du vingtième, le vin des enfants de Guillaume Durand.
Tous les membres présents s'obligent ensuite, vis-à-vis de Guillaume Bastier, au paiement de la somme de 306 florins encore due, payable savoir : cent florins d'or, dans 15 jours ; cent autres florins, le jour dela Pentecôte prochaine, et cent six florins pour solde, à la fête de Ste. Madeleine. Suit la formule ordinaire des actes d'obligation. Au dos se trouve la quittance totale de Guillaume Bastier, faite, le 23 avril 1 373, aux Cominaux
Guillaume de Courbons, Audibert Aribert, et Antoine Laugier.
En 1370, le Chapitre de l'Église de Digne, seul, sans l'assistance de l'Évêque fit le Xe Statut de notre Église. Ce Statut ne contient guère que quelques dispositions sur l'administration des revenus de l'Église et du Chapitre, et sur des objets de détail, tels que la propreté des vêtements, le silence au choeur, les soins à donner aux vêtements sacerdotaux. Nous n'avons pas besoin d'en donner une plus longue analyse.
En 1371, les Etats de Provence, assemblés à Draguignan, accordèrent à la Reine Jeanne un don gracieux, qui gêna la cité de Digne, déjà surchargée de dépenses pour ses travaux de fortification et la réparation de ses ponts.
Elle s'adressa au Sénéchal de Provence, pour être autorisée à adjuger la rêve de l'année suivante, autorisée par son prédécesseur, pour les travaux de fortification, et à prendre sur son produit la somme nécessaire pour acquitter le
fouage demandé, qui ne serait ainsi imposé sur les habitants que l'année suivante.
Le Sénéchal de Provence écrivit aux Officiers royaux une lettre par laquelle il donnait son consentement. Elle se trouve dans le procès-verbal d'adjudication, qui eut lieu le 13 novembre de cette année. On obligea l'adjudicataire de cette rêve, à payer, le jour de la St. Michel, la somme de deux cents florins, destinée à acquitter le montant du
fouage. Le surplus ne devait être par lui payé, que pendant l'année de son adjudication, dont le commencement n'était fixé qu'au 4 janvier suivant, par trimestre, conformément à l'usage établi.
Pierre Segond fut adjudicataire de cette rêve, moyennant la somme de 600 florins, dont il paya 200, le jour même de son adjudication, car la St. Michel était déjà passée.
Dans le courant de l'année 1372, les Cominaux de Digne apprirent que le Grand-Sénéchal avait convoqué à Aix tous les Cominaux ou les représentants des communautés du Bailliage de Barrême, pour s'occuper d'une taxe que la charte appelle taxacionem glaniorum, et fixer ce qui reviendrait audit Bailliage de Barrême et à celui de Castellane. Or, le Bailliage de Digne était intéressé dans la question , et il était nécessaire de députer à Aix des Syndics de la communauté de Digne, qui pussent dans l'assemblée qui allait avoir lieu, présenter des observations au nom dudit Bailliage de Digne.
Aussi, le 13 septembre, un des Cominaux, Pierre Menuel se rend dans la salle de la Curie royale, et là, en présence de M Pierre Arnaud, notaire de la Curie, lieutenant de N. Barthélemy de Cène, Bailli et Juge de Digne, lui exhibe une cédule, par laquelle il demande et requiert ce Magistrat d'autoriser un conseil, pour que la communauté puisse nommer des Syndics qu'elle désire envoyer à Aix.
Le Vice-Juge, incertain sur l'étendue des pouvoirs qu'il peut exercer en remplaçant le Bailli, renvoie la prononciation de sa décision à l'heure des vêpres. Le Cominal proteste et demande acte de sa protestation. Sur cette protestation , le vice-lieutenant revient de sa première détermination, permet au cominal de faire convoquer un conseil, et enjoint au crieur Guillaume Aillaud d'aller annoncer que le conseil du Château doit s'assembler dans le
magasin du drapier Guillaume Bastier.
Nous ne savons pas ce que firent les Syndics ainsi nommés. Cette année 1372 , fut une année encore plus fatale au Château de Digne, que toutes celles qui venaient de passer. Tant que la cité n'avait été exposée qu'aux brigandages des compagnies qui parcouraient la Provence, elle s'était défendue, et avait poussé avec activité les travaux de fortification, pour lesquels elle s'était fortement, imposée. Mais il parait que l'hiver de 1372, leur fit encore plus de mal, car ce furent les éléments qui se conjurèrent contr'elle, et qui rendirent sa position encore plus difficile et plus malheureuse.
Nous lisons dans une lettre du Sénéchal Spinelli, en date du 4 mai 1373, par laquelle ce Sénéchal accordait à la ville l'autorisation de s'imposer une rêve d'un denier par coupe de vin vendu, et de deux deniers par septier de blé
porté aux moulins de la cité , nous y lisons que tous les ponts, construits avec tant de frais sur nos trois rivières, avaient été emportés probablement par les orages : le pont de Bléonne, celui des Eaux-Chaudes, et celui du Mardaric. La maison des bains avait été également dégradée. Il fallait des fonds pour faire les réparations à cette
maison, mais il en fallait davantage pour parvenir à la reconstruction des ponts, dont tout le monde comprenait l'utilité.
Si on ajoute à ces dépenses , celles des travaux de fortification, on pourra comprendre dans quelle triste situation devait se trouver à cette époque le Château de Digne, déjà épuisé par les dévastations qu'il avait dû subir, et peut-être par les ravages de la peste, qui affligea alors si souvent la Provence.
Les Cominaux cependant et les prud'hommes du conseil , ne se laissèrent pas aller au découragement. On examina la situation de la ville, et on vit que si on parvenait à obliger les Clercs et les Juifs à contribuer à tous ces travaux extraordinaires, la position des habitants pourrait être soulagée.
On commença par les Clercs, on voulut les contraindre proportionnellement à la valeur de leurs biens patrimoniaux, à contribuer à toutes ces dépenses qui accablaient la ville; on fit en même temps des poursuites contre les Juifs.
Les uns et les autres résistèrent. Le Clergé invoqua ses priviléges. L'Évèque de Digne prit sa cause entre ses mains, et la ville de Digne se vit encore exposée à une de ces luttes déplorables, dans lesquelles elle avait tant souffert.
Bertrand de Séguret prononça d'abord des excommunications isolées, qui dûrent frapper sans aucun doute les Cominaux et les prud'hommes du conseil, qui avaient appuyé une détermination pareille.
Mais bientôt il en vint à des mesures de rigueur qui produisaient toujours un effet certain. Les Cominaux et les prud'hommes supportaient avec résignation et avec courage les sentences prononcées contr'eux : leur patriotisme les soutenait, et les garantissait personnellement contre ce moyen. Mais, lorsque Bertrand de Séguret mit le Château en interdit, il fallut bien céder aux instances des femmes et des mères. Les hommes les plus influents du Château s'interposèrent, supplièrent l'Évêque de Digne et le décidèrent à passer un compromis, dans lequel il voulut être
arbitre, avec un de ses parents Ph. de Séguret, et Gauthier d'Ulniet.
Que faire en présence de pareilles prétentions ? Les Cominaux avaient présente à leur mémoire la noble résignation de leurs pères. Ils se soumirent à accepter les arbitres qui leur étaient imposés; mais ils exigèrent que toutes les excmunications fussent immédiatement suivies de l'absolution, que l'official Pierre Germain , Prieur de Miniet, présent au compromis, prononça sur le champ. Ils exigèrent surtout la levée de l'interdit, qui fut également accordée.
Les Cominaux, de leur côté, Audibert Aribert, Guillaume de Courbons et Antoine Laugier, promirent de faire ouvrir les portes du Château, qui avaient été tenues fermées depuis l'interdit.
Tout semblait fini : les habitants subissaient les exigences du Clergé, dans un sentiment de commisération pour leurs familles; mais au fond de leur coeur ils protestaient contre ce qui leur paraissait si contraire à la justice.
Mais, pour que l'absolution des excommuniés fût complète ,il fallait que l'official la notifiât par une lettre aux Curés et aux Bénéficiers de l'Église de Ste-Marie. Or, on lui demanda inutilement l'accomplissement de cette formalité, on eut beau insister, l'official refusa d'agir, et les Cominaux se virent forcés de venir déposer une protestation, et de manifester leur résolution bien arrêtée de poursuivre l'affaire devant l'autorité supérieure. Ils se présentèrent devant lui, le 6 octobre 1373 et demandèrent acte de la remise d'une cédule dans laquelle, après avoir exposé tous les
faits , ils faisaient une réquisition à l'official de notifier, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'absolution qui avait été accordée aux excommuniés, et qui avait été prononcée par lui, lui déclarant que faute par lui d'accéder à leur demande, ils s'adresseraient à l'autorité supérieure. L'official ne leur donna point de réponse, il renvoya sa décision au samedi suivant, pour avoir le temps d'y réfléchir.
Nous n'avons plus d'acte relatif à cette affaire, mais lorsque de pareilles luttes s'élevaient, il fallait longtemps pour les calmer.
Les Cominaux et les membres du Conseil firent procès également un procès aux Juifs, qui dût suivre toutes les phases ordinaires des procès.
Condamnés devant le Juge de Digne, les Juifs, moins puissants que l'Église, furent obligés de contribuer à ces dépenses. Des lettres du Sénéchal Spinelli, en date du 20 mai 1374, sanctionnèrent les sentences judiciaires qui avaient dû être rendues , et ces lettres recommandèrent aux Officiers royaux de contraindre les Juifs, qui refusaient le paiement de ces dépenses, avec toute la sévérité possible. Le 22 du même mois de mai, Guigues Geniez, un des Cominaux de la communauté, présenta cette lettre au Bailli Béranger Monachi et au Juge Antoine Botaria, d'Aix, et en demanda l'exécution.
Le 27 du même mois, une nouvelle présentation en fut faite devant le Juge de la Curie par les Cominaux Pierre Roche et Guigues Geniez. Cette fois, deux Juifs étaient présents, Moïse Sipon et François Aquinet. Ils demandèrent une copie de ces lettres et un délai pour y répondre. Le Juge accueillit leur demande et renvoya leur audience au lundi suivant. C'était Antoine Itier qui était le notaire de la Curie.
Le lundi suivant, comparurent de nouveau les Cominaux, demandant, comme la première fois, l'exécution desdites lettres et requérant le Juge de contraindre les Juifs à contribuer proportionnellement à la valeur de leurs biens, comme les autres habitants, aux tailles passées et présentes.
Les deux Juifs, qui avaient comparu la première fois, comparurent aussi, et excipèrent du privilége, qu'ils prétendaient leur avoir été accordé, de ne pas contribuer, avec les Chrétiens, dans les tailles et autres charges qui leur sont imposées.
Le Juge, considérant que les Juifs n'avaient allégué aucun motif raisonnable, pour empêcher l'exécution des dites lettres, leur ordonna de contribuer aux tailles de la communauté, comme les autres habitants Chrétiens, en exécution des lettres dont il avait été donné lecture.
Les actes des dernières années du Cominalat sont excessivement rares. Nous allons les passer rapidement en revue, et nous arriverons à l'avènement de la deuxième maison d'Anjou, qui eut à lutter, pendant quelques années, pour asseoir son pouvoir en Provence; nous verrons enfin Marie de Blois récompenser le dévouement du Château de Digne par une foule de concessions, dont la plus importante, sans contredit, fut celle du Syndicat.
Les Juifs s'étaient soumis en 1374, sur les Nouveau lettres du Sénéchal Spinelli, mais en 1377, ils firent une nouvelle résistance, et refusèrent, de nouveau, toute contribution aux tailles.
Les Cominaux de cette année, chargèrent Pierre Terras, l'un d'eux, de faire une nouvelle présentation des lettres du Sénéchal, ce qu'il fit, le 13 juillet de cette année, tant en son nom qu'au nom des aulres Cominaux, qui étaient Nobles Louis Ruffi , Guido Aperioculos, Co-seigneur de Verdaches, et Guillaume de Courbons, devant Jacques Robert, Juge de la Curie. Ce magistrat enjoignit la sévère exécution des lettres du Sénéchal, et les Juifs dès ce moment-là, se soumirent comme les autres habitants du Château.
Dans le courant de l'année 1380, le Sénéchal Le sénéchal Foulques d'Agoult vint visiter le Bailliage de Digne.Il s'y trouvait le premier septembre de cette année, et il venait visiter l'état des travaux de fortification qui avaient été faits à Digne, depuis plusieurs années.
Les Cominaux de cette époque sollicitèrent de lui une faveur. La population de la ville s'était accrue considérablement, et le marché public, qui était encore plus étroit qu'il ne l'est aujourd'hui, ne suffisait plus aux besoins de la cité. Il y avait entre la porte des Durands et les murailles de la ville, en descendant du côté du couvent des Frères-Mineurs, un espace où l'on pourrait très convenablement faire un marché, qui serait couvert et plus commode pour les habitants, et dans lequel on pourrait faire des locations, qui procureraient à la communauté de nouvelles ressources. On demanda au Sénéchal, la permission de construire ce marché, ce qu'il s'empressa d'accorder, sous la seule condition qu'en cas de guerre, ce marché pourrait être démoli, sans opposition de la part de la communauté. Il nous est impossible de dire en quel endroit ce projet fut exécuté. L'emplacement où on dût
le bâtir est aujourd'hui occupé par des maisons, qui n'ont laissé subsister aucuns vestiges de cet ancien marché. Mais il avait été construit, car des lettres de Marie de Blois, de 1385, confirment cette concession de Foulques d'Agoult, et autorisent les habitants à en mettre le produit aux enchères.
En 1382, la ville eut encore à soutenir un procès contre les Seigneurs et les habitants de Gaubert qui lui contestaient son priviléee de ne contribuer aux tailles que dans leur Château.
Le 18 avril de cette année1, ils obtinrent du même Sénéchal Foulques d'Agoult, des lettres qui confirmaient ce privilége, et qui défendaient aux Officiers royaux de les troubler dans la possession où ils étaient de ne contribuer qu'à Digne pour toutes leurs possessions, et leur recommandait expressément de les y maintenir. Aussi, les habitants de Gaubert comprirent qu'ils n'avaient rien à espérer des poursuites par eux commencées, ils virent qu'ils seraient condamnés, et ils préférèrent en passer par la voie de l'arbitrage. Le 30 septembre, les deux communautés de Digne et de Gaubert consentirent une transaction dans le but de terminer toutes leurs contestations.
Pierre Corriol et Guillaume Bertrand, de Gautbert, étaient les représentants de la communauté de Gaubert, demandeurs ;
Pons Jean, Pierre Sicard, Louis Gayde, Raynaud et Guillaume Ricard, jadis habitants de Gaubert et aujourd'hui de Digne, étaient défendeurs; les Cominaux de Digne N. Guido Aperioculos, Raimond Bastier et Jean Girin étaient intervenants dans la cause, pour prendre la défense des habitants du Château.
Les représentants de la communauté de Gaubert demandaient que les anciens habitants de Gaubert, qui étaient, lorsqu'ils habitaient cette commune, tenus de contribuer aux tailles et aux quistes, comme les autres habitants du Château, y fussent encore tenus aujourd'hui, malgré leur séjour à Digne. A quoi les Cominaux et les nouveaux habitants de Digne répondaient, qu'ils n'y étaient pas obligés, parce que la cité avait des priviléges et des titres qui l'en dispensaient. Ils invoquaient notamment une lettre du Sénéchal Fouques d'Agoult qui reconnaissait leur antique possession et ordonnait aux Officiers royaux de les y maintenir.
Sur ces prétentions respectives, les parties, par un sentiment d'amour de la paix et de la concorde, avaient arrêté et convenu entr'eux ce qui suit.
Les représentants de la communauté de Gaubert, auxquels vint se joindre dans l'acte N. Jean de Varades, affirment avoir connaissance des priviléges et titres du Château de Digne, et déclarent qu'ils les approuvent et leur donnent leur adhésion la plus formelle, promet tant de les observer à jamais et de ne pas y contrevenir. Ils renoncent en outre à toutes les lettres qu'ils ont obtenues et à toutes les sentences qui leur ont été favorables, promettant de ne jamais plus exiger aucune contribution des habitants de Digne possédants biens dans le territoire de Gaubert, et de faire tous leurs efforts pour faire respecter le privilége de ce Château. Ils finissent, en promettant de faire approuver cette transaction tant par les Seigneurs de Gaubert, que par les habitants, sur la première réquisition du Château de Digne.
Quand on lit cette transaction et que l'on sait que, pendant le xv° siècle, la communauté de Gaubert a plaidé pendant dix ans, pour faire décider la même question en sens contraire, on est tout étonné, et on ne s'explique cette contradiction, que par le réveil de l'intelligence au xv° siècle, chez les habitants de Gaubert, qui durent se révolter contre une transaction qui consacrait une atteinte au droit commun.
Pendant le xv° siècle, les noms des représentants de la communauté, dans une pareille transaction, dûrent être maudits et voués à l'exécration de leurs descendants, qu'ils avaient ainsi liés pour des siècles.
De cette époque, à la fin du Cominalat, il ne nous reste plus que deux actes d'obligation , l'un du 30 mai 1383 et l'autre du 7 juillet 1385.
Le dernier est surtout curieux en ce qu'il nous fait connaître les trois derniers Cominaux, qui s'obligèrent avec plusieurs prud'hommes du Château, à payer une somme de cinquante florins à un Chanoine de Digne, Pierre Lenet, de qui ils les avaient empruntés.
La quittance, qui se trouve au dos de cet acte, est sous la date du 16 décembre 1386 et elle est faite en faveur des trois premiers Syndics de la cité. Voici les noms des trois derniers Cominaux : N. Guido Aperioculos, M Raimond Bastier et Nicolas Palmier, Voici également les noms des trois premiers Syndics : N. Antoine Baudoin, Bertrand Isnard et Jean Mataron.
Nous ne dirons qu'un mot de l'autre acte d'obligation, qui fut encore consenti par les Cominaux et les prud'hommes de la cité en faveur de Raimond Bastier, pour la somme de cent livres Provenales qu'il avait avancées dans l'intérêt de la ville.
Tous ces actes n'ont pas un intérêt bien grand, mais ils établissent, d'une manière péremptoire, tout le dévouement de nos pères aux intérêts de leur cité : rien ne leur coûtait lorsqu'il s'agissait d'elle, et maintenant, en examinant comment ils obtinrent de Marie de Blois l'institution du Syndicat, qui leur assurait une véritable représentation municipale, après laquelle ils soupiraient depuis si longtemps, nous apprendrons encore mieux à les connaître et à apprécier leur caractère et leur patriotisme.
Fin du règne Jeanne n'avait pas été heureuse avec Jacques d'Aragon, qui lui en avait voulu mortellement, de ce qu'elle n'avait jamais consenti à lui faire partager sa royauté. Il guerroya longtemps, pour conquérir son royaume de Mayorque : il fut fait prisonnier, et il en coûta à Jeanne et à son peuple une rançon de quarante mille ducats. Non content de cette première leçon, il voulut recouvrer les Comtés de Roussillon et de Cerdagne, dont son père avait été dépouillé par le Roi d'Aragon. Il trouva la mort dans cette lutte.
Jeanne resta veuve six ou sept ans; enfin , en 1376, elle sentit la nécessité de mettre un homme à la tête des affaires, et elle épousa un quatrième mari, Othon de Brunswick , de la maison d'Est , qui avait fait ses preuves dans l'art militaire. Ce mariage inspira une jalousie profonde à Charles de Duras, à qui Jeanne avait fait espérer sa succession.
Charles de Duras résolut de lutter contre Jeanne. L'élection du Pape Urbain VI, qui succéda à Grégoire XI, lui assura un protecteur.
Jeanne donna un asile aux Cardinaux, qui protestaient contre l'élection d'Urbain VI, et leur facilita ainsi la nomination du Cardinal de Genève, sous le nom de Clément VII. Et alors commença le grand schisme d'occident. Clément Vll siégeait à Avignon, et Urbain VI à Rome. Urbain avait sur le coeur l'hospitalité donnée par Jeanne aux Cardinaux, qui lui avaient ainsi suscité un concurrent, soutenu par la cour de France.
Il songea des lors à se venger d'elle, en la dépouillant de son royaume de Naples, dont il donna l'investiture à Charles de Duras, qui avait intrigué auprès de lui, pour satisfaire la haine sourde et profonde qu'il nourrissait contre
Jeanne, depuis son dernier mariage.
La Reine Jeanne fut violemment attaquée par lui, quoique sous des dehors hypocrites, il eût l'air de lui être toujours dévoué. Jeanne, qui ne s'y laissa pas tromper, vit qu'elle n'avait plus d'espoir qu'en un prompt secours de la France.
Elle écrivit au Duc d'Anjou, et lui annonça que, par son testament du 23 juin 1380, elle l'avait institué son héritier universel, et le suppliait de venir au plutôt à son secours.
Mais Louis d'Anjou hésita longtemps. Il ne fallut rien moins que l'insistance du Pape Clément VII, auquel Jeanne avait écrit, pour le décider. Il se rendit enfin en Provence, et lorsqu'il se fut assuré de la disposition des esprits à son égard, tant du Pape d'Avignon, que des Seigneurs Provençaux, il se décida à traverser les Alpes, pour aller secourir Jeanne.
Mais il n'était plus temps : Charles de Duras, outré de ce que Jeanne, irritée contre lui, ne voulait pas lui assurer les Comtés de Provenca et de Forcalquier, la fit étouffer entre deux matelas. L'époque de sa mort est fixée par les historiens de Provence au 22 mai 1382.
Louis d'Anjou, n'apprit qu'après son arrivée en Italie cette funeste mort. Il arrivait à la tête d'une armée puissante et espérait reconquérir le le royaume de Sicile. Mais ses tergiversations, ses lenteurs lui firent perdre bientôt l'avantage qu'il avait eu en arrivant. Peu de temps après, il succomba à Barri, le 20 septembre 1384, sous
l'atteinte d'une maladie qu'on a cru être la peste. Il avait fait à Tarente, le 20 septembre 1383, son testament, dans lequel il avait consigné ses dernières volontés.
Il laissait , en mourant , de Marie de Blois, sa femme, fille de Charles de Blois, Duc de Bretagne, deux fils et une fille. Louis, son fils aîné, lui succéda, et comme il était encore mineur, il se trouva, aux termes du testament de Louis Ier son père , sous la tutelle de Marie, sa mère, placée elle-même sous la direction d'un Conseil, composé de trois Évêques et de plusieurs Seigneurs.
La Provence était en ce moment dans un état de désordre épouvantable. Louis Ier d'Anjou avait traversé la Provence, avant de se rendre en Italie, et son passage avait laissé de lui une impression défavorable. A part quelques villes qui lui étaient restées fidèles, et celles en plus grand nombre qui ne se prononçaient pas, et dans lesquelles on ne connaissait même pas encore la mort de la Reine Jeanne, beaucoup s'étaient déclarées pour
Charles de Duras. De là naissaient des divisions de ville à ville, qui engendraient des luttes sanglantes, et de tous les jours.
Mais ce n'est pas tout : la Provence était encore cette époque sillonnée en tout sens par des bandes d'aventuriers, connus sous le nom de Tuchins, qui pillaient à tort et à travers, et semaient partout la désolation et la mort. Ces
bandes désordonnées auraient pu être domptées ou expulsées de la Provence; mais bientôt le trop célèbre Raimond de Turenne, fils du Comte Roger de Beaufort, si connu par ses crimes et ses brigandages, se mit à leur tète, et jeta la consternation dans tous les pays qu'il parcourut.
La ville de Digne, restée fidèle, comme celles d'Arles et de Marseille, à la maison d'Anjou, dût, au mois d'avril de l'année 1385, apprendre avec bonbeur l'arrivée, à Avignon, de Marie de Blois et de son jeune fils Louis II, qui venait de la Cour de France, escortée d'une suite nombreuse que Charles VI lui avait donnée pour reconquérir
son trône de Sicile.
Dès qu'ils surent son arrivée, les Cominaux de Digne, avec les Seigneurs et les plus notables habitants du Château, s'empressèrent de se rendre auprès d'elle, pour prêter, entre ses mains et celles de son fils, le serment d'hommage et de fidélité Clément VII siégeait alors à Avignon , pendant que le Pape Urbain, au milieu de ce grand schisme
d'occident , qui émeut encore aujourd'hui la pensée, occupait la chaire pontificale à Rome.
Clément VII accueillit Marie de Blois avec les plus grands égards, et donna presque immédiatement l'investiture du royaume de Sicile et des Comtés de Provence et de Forcalquier à son fils Louis II.
Leur présence ranima en Provence tous ceux qui lui étaient sincèrement dévoués et que Raimond de Turenne traquait impitoyablement. Toutes les villes fidèles levèrent des hommes, et les envoyèrent à Marie de Blois, pour les joindre aux troupes françaises qu'elle avait amenées. Elle eut dès lors une armée assez imposante pour entrer en campagne, lorsqu'un événement imprévu, mais habilement préparé par le Pape Clément VII , vint ramener subitement le calme et la tranquillité. On proclama dans toutes les communes de Provence une trêve, conclue entre
Marie de Blois et Charles de Duras, qui suspendait les hostilités pendant vingt mois. Dès ce moment, on n'eut plus à lutter en Provence, que contre Raimond de Turenne qui, à la tête d'une troupe de bandits et d'assassins, portait partout le massacre ou l'incendie.
Nos pères dûrent prendre une part active à cette lutte, comme ils l'avaient fait contre les partisans de Charles de Duras. L'administration de Marie de Blois, pour éviter de plus grands maux, recommandait aux communautés de se fortifier et de se défendre : on leur enjoignait même, sous des peines sévères, d'anéantir leur récoltes et de les faire périr par le feu plutôt que de les laisser à la merci des ennemis.
Il ne nous reste malheureusement que fort peu de documents sur cette époque, pour ce qui concerne notamment la ville de Digne ; mais le grand nombre de priviléges que la Princesse Marie de Blois accorda, en un seul jour, le 19 septembre 1385, à Cavaillon où elle se trouvait alors ; les termes affectueux dont elle se sert, pour remercier les habitants de la ville de Digne, du dévouement dont ils lui ont donné tant de preuves, et des sacrifices, qu'ils n'ont pas hésité à s'imposer pour elle, ne peuvent laisser aucun doute sur l'esprit qui dirigea nos pères, et sur la conduite
qu'ils tinrent au milieu des désordres, qui bouleversèrent la Provence.
Les habitants de Digne firent la guerre et la firent rudement et avec une vive énergie. Le peu d'écrits, qui nous restent de la fin du xiv° siècle, nous en donnent des preuves convaincantes. Ils firent la guerre, car ils eurent des habitants, qui furent faits prisonniers, et pour le rachat desquels la ville s'imposa et contribua généreusement.
Quoique nous n'ayons pu retrouver que quelques documents épars, nous pouvons citer deux noms de captifs faits par les ennemis : Giraud Aymin, et Guillaume Geniez, qui ne dûrent leur retour à la liberté qu'au patriotisme et au dévouement de leurs concitoyens.
Nous avons une autre preuve non douteuse de la conduite de nos pères au milieu de ces guerres. Depuis 1370, ils avaient fait d'énormes travaux de fortification. La ville avait alors de solides remparts ; elle s'était ceinte de tours ,
dont il subsiste encore aujourd'hui le plus grand nombre : elle voulut fortement résister et se défendre. Mais elle ne s'en tint pas à la résistance, et à un système de défense passive : elle prit une part très active aux luttes politiques de cette époque.
On se servait alors, pour le siége des villes, de bombardes à poudre, espèces de mortiers, qui lançaient des pierres, au lieu de boulets, ou des morceaux de fer, et qui étaient les avant-coureurs de nos canons et de nos bombes. La ville de Digne était dévouée à la seconde maison d'Anjou. Ses Cominaux étaient pleins de patriotisme, et voulaient servir activement la cause du Prince qu'ils avaient adopté et dont l'autorité était menacée. Ils appelèrent à Digne un ouvrier habile, qu'ils employèrent à la fabrication de ces machines puissantes alors et bien supérieures à toutes les armes connues. Ils n'hésitèrent pas à mettre à sa disposition, l'atelier et tous les instruments ainsi que les approvisionnements d'un des principaux serruriers de la ville, et il resta plusieurs mois occupé à ce travail, destiné à décupler les forces dont notre ville pouvait disposer.
Aussi , Marie de Blois leur portait-elle une affection sincère, et suivait-elle avec intérêt leurs actes de dévouement. Et qu'on ne croie pas que nous nous faisons ici illusion : nous n'avons, pour nous justifier, qu'à citer textuellement les expressions dont Marie de Blois s'est servie, lorsqu'elle voulut récompenser les habitants du Château de Digne, et que, dans sa munificence, elle leur accorda à la fois sept lettres renfermant des priviléges en leur faveur, avec des expressions plus que caractéristiques. Ainsi, dans les lettres par lesquelles elle confirme toutes les anciennes libertés, franchises et priviléges accordés à cette ville par ses prédécesseurs, elle s'exprime ainsi :
"Assurément, en rappelant à notre esprit avec quelle constance de foi et de dévouement, avec quelle fidélité inaltérable, les habitants de Digne se sont conservés les bons et fidèles sujets de S. M. la Reine Jeanne et du Roi de
Sicile, notre auguste époux ; en songeant à leur dévouement, à leur fidélité, à leur affection pour Nous et pour notre fils , tous sentiments que leurs actes font encore plus éclater et ressortir, nous sommes entraînée, malgré nous et par un sentiment de justice à leur accorder la grâce de notre faveur", etc. Dans une autre lettre, elle est encore plus
explicite :
" Attendu, dit-elle, que nous reconnaissons et apprécions les services, que nos fidèles et dévoués sujets de la ville de Digne nous ont rendus, à mon fils et à moi, pendant cette époque cruelle où notre pays de Provence a été
bouleversé par ce misérable Charles de Duras; oh! douleur! et qu'ils ont éprouvé alors tant de maux, qu'ils ne peuvent plus subvenir à leurs nécessités et aux besoins de notre Curie",etc. Aussi, Marie de Blois, sur les sollicitations des Cominaux de Digne, qui étaient, pendant cette année, N. Guido Aperioculos, Raymond
Bastier et Nicolas Palmier, leur accorda-t-elle, avec une générosité vraiment royale, toutes les demandes qu'ils lui adressèrent.
Ils avaient compris mieux que personne l'importance de la transformation du Cominalat en Syndicat; ils savaient par expérience tous les inconvénients de leur position tout-à-fait anormale, en ce que, chargés de l'administration et
de la direction de toutes les affaires de la cité (omnium et singulorum negociorum civitatis) ils n'en étaient pas les représentants, et n'avaient, comme les autres habitants, que le droit d'être nommés Syndics par un parlement public. Aussi, comprenaient-ils que ces nominations continuelles de Syndics étaient un embarras pour la cité et une entrave pour l'expédition des affaires, et dûrent-ils insister vivement auprès de la tutrice de Louis II.
Marie de Blois dût être très facile à faire cette concession. Elle dit d'une manière expresse :
" Comme nous avons déjà, par nos autres lettres patentes, et pour les causes qui y sont exposées, concédé l'autorisation à l'université et aux habitants de notre ville de Digne, nos fidèles et dévoués sujets, d'élire annuellement, au lieu de trois Cominaux , qu'ils étaient dans l'usage de choisir pour la gestion et l'administration des affaires de la cité, trois Syndics qui aient tous les pouvoirs, qui leur sont attribues. "
Nous avons vainement cherché, dans nos archives et dans celles de la Cour des comptes, cette charte importante : tous nos efforts sont restés inutiles. Mais, comme cette charte ne nous est pas indispensable pour le sujet que nous traitons, il nous suffit de savoir qu'elle a existé, qu'elle a été concédée aux habitants de Digne, le même jour que les
autres priviléges accordés par la Princesse Marie.
Nous savons maintenant que les fonctions des Cominaux étaient des fonctions spéciales, qui ne donnaient jamais le droit à ceux qui en exerçaient les fonctions de représenter la communauté.
Les Syndics, au contraire, sous le Cominalat, étaient ses véritables représentants, mais seulement pour des causes spécialement déterminées. En transformant les Cominaux en Syndics, en représentants de la communauté, pour toutes les affaires de la communauté qui se présenteraient pendant l'année que dureraient leurs fonctions, il est évident, pour tous ceux qui nous ont suivi jusqu'ici, que cette concession opérait un progrès immense dans l'organisation municipale du Château de Digne.
Marie de Blois donne aux Syndics, nouveaux Magistrats municipaux de la cité, un privilége fort extraordinaire. Elle ordonne que les Juges de la Curie ne puissent pas taxer une taille royale, ne puissent pas prononcer une condamnation (punire) contre un habitant, sans faire intervenir les Syndics, et leur demander des renseignements sur la position des habitants soumis à leur juridiction. Ils jureront en entrant en fonctions d'observer fidèlement ce Statut.
La troisième lettre de Marie de Blois, dont notre première citation est extraite, autorise les habitants, attendu les sacrifices qu'ils ont faits pour elle, à s'imposer, pendant dix ans, les rêves du pain et du vin, telles qu'elles avaient été accordées par les anciens Sénéchaux de Provence. Avec toutes les dépenses qu'avait faites la ville, et qui, par son accroissement, devaient inévitablement augmenter, cette concession dût com bler de joie les Cominaux qui connaissaient les besoins de la communauté, et qui n'avaient jamais obtenu des Sénéchaux que des autorisations
pour deux ou trois ans.
La quatrième lettre de cette princesse, dont nous avons extrait notre seconde citation , est une confirmation pleine et entière de toutes les immunités, franchises, libertés, priviléges, statuts, rits, usages et coutumes établis dans la-dite cité par ses prédécesseurs, qu'elle prescrit à tous ses officiers royaux d'observer et de respecter.
Une cinquième lettre autorise les habitants à construire un nouveau four pour les besoins de la population qui croît de jour en jour.
La sixième contient la création de la foire de la Fête-Dieu, qu'elle déclare franche et libre de tout péage, de tout droit de leyde et de toute imposition quelconque. Cette foire se tiendra, le lundi après la solennité de la Fête-Dieu, sans entendre préjudicier en rien aux deux foires annuelles qui se tiennent au Bourg, qui regardent le Prévôt de l'Église de Digne.
Enfin, il est une septième et dernière lettre de cette Princesse, qui malheureusement se trouve à demi rongée, et qui contient une confirmation de l'autorisation donnée en 1380, par le Sénéchal Foulques d'Agoult, de construire un nouveau marché en dessous de la porte des Durands, et de l'affermer annuellement soit aux enchères ou autrement. Les passages, qui peuvent encore se lire, contiennent, comme les premières lettres, des expressions affectueuses pour la fidélité et le dévouement dont les habitants lui ont donné des preuves, ainsi qu'à son jeune fils.
Nous voilà arrivés à la fin de notre course, car le Cominalat n'existe plus dans le Château de Digne, qui prend déjà plus souvent le nom de cité. En jetant un regard en arrière, nous sommes effrayés des longs développements qu'a pris notre oeuvre, alors qu'une dissertation de vingt pages auraient suffi pour faire connaître l'institution municipale dont nous avions à nous occuper. Mais on nous pardonnera, car nous n'avons pu résister au désir de décrire, avec les titres à l'appui, les moeurs, les usages, les besoins et les luttes de nos pères aux xiii° et xiv° siècles. Nos
concitoyens, nous l'espérons, nous en sauront gré. Il y a d'ailleurs un certain charme dans ces détails minutieux qui forment l'histoire d'une modeste ville comme celle de Digne. Et puis, quand on veut étudier une institution dont il
reste si peu de traces, les moindres circonstances doivent être relevées avec soin, car elles en révèlent souvent ou en font mieux comprendre le véritable caractère.
Le fait le plus saillant de notre troisième époque, c'est le retour des esprits vers les idées d'intérêt communal, c'est le réveil du patriotisme. Aussi, leCominalat, qui, peudantla première époque, n'avait produit que de très faibles résultats; qui, pendant la deuxième, avait fait des progrès sensibles, grâces à l'intelligence et au dévouement de quelques habitants du Château, acquiert, pendant la troisième époque, son plus entier développement. Ce sont tous les citoyens, tous les chefs de famille, qui veillent sur cette institution, dont on a compris les bienfaits. Les Cominaux ne sont plus nommés par quelques hommes, dévoués il est vrai, mais isolés du reste de la cité, c'est
l'universalité des citoyens, qui désormais les choisit, et tous peuvent aspirer à les remplir : il suffit pour y arriver de faire preuve de capacité et de patriotisme.
A la suite de cet heureux changement, un conseil régulier, composé d'un nombre déterminé de membres, est organisé, et les membres de ce conseil, choisis, comme les Cominaux, par tous les habitants, sont de véritables représentants de l'opinion publique. Tous les intérêts de la ville sont énergiquement défendus; les Cominaux et les membres du conseil savent provoquer toutes les mesures, qui peuvent favoriser la prospérité de la cité, et luttent énergiquement contre tout ce qui vient y mettre obstacle. De grands travaux sont entrepris, travaux de fortification, travaux de ponts, travaux de digues, tout ce qui peut enfin contribuer à l'accroissement de la prospérité publique.
Aussi, le titre de citoyen de Digne est-il envié par les habitants des châteaux voisins, et les solennités qui s'accomplissaient lorsque ce titre était accordé devaient faire une vive impression sur les esprits.
Cependant l'organisation municipale reste toujours la même : les Cominaux, pendant cette troisième époque, comme pendant les deux premières, ne sont pas de véritables représentants de la communauté. Ce sont eux qui sont investis
de l'administration de la cité, ce sont eux qui veillent à tous ses intérêts, et qui sont chargés du soin de poursuivre et de mener à fin toutes ses affaires, mais ils ne le font pas en vertu d'un pouvoir régulier, ce n'est qu'en vertu du droit
commun, en leur qualité de prud'hommes, de chefs de famille du Château qu'ils agissent. Pour représenter la communauté, il leur faut, comme aux autres citoyens, la qualité de Syndic, qui ne peut être donnée que par l'universalité des habitants réunis en parlement public.
Et maintenant que nous avons suivi le Cominalat dans ses développements successifs, depuis son institution jusqu'à sa transformation, nous allons essayer de résumer aussi brièvement que nous le pourrons, le caractère de cette institution et l'action qu'elle exerça.
Le Cominalat était une concession des Comtes de Provence, accordée dans le courant du xiii° siècle, à toutes les communes qui avaient été envahies par la féodalité, et qui prirent de là le nom de Château, castrum. Ce n'est qu'en 1260 que le Château de Digne obtint une pareille concession. L'Évéque de ce lieu était un Seigneur puissant, que sa position dans l'Église faisait ménager par les Comtes de Provence. Les Comtes de Barcelonne, princes pieux, n'auraient jamais voulu établir dans le château d'un Évêque placé sous leur suzeraineté, une institution qui pût le contrarier. Charles d'Anjou se montra moins facile pour la Noblesse et pour le Clergé. Il arriva en Provence sous l'influence des idées qu'il avait puisées en France, sous son frère Louis IX. Il ne rêvait que la consolidation de son pouvoir souverain, si fortement ébranlé sous ses prédécesseurs, et il mettait un soin particulier à établir dans chaque
château féodal un contre-poids à la puissance seigneuriale. Ce fut lui qui imposa le Cominalat à l'Êvêque Boniface, qui s'empara de l'administration du Château, et qui, le premier, défendit les habitants dans leurs luttes contre leur Seigneur. Les habitants du Château de Digne, qui, pour défendre leurs libertés, vivaient alors sous le régime des Confréries, restèrent près de 30 ans sans comprendre les avantages d'une institution qu'ils avaient longtemps réclamée pour établir l'uniformité et la justice dans la répartition des tailles, ils prenaient tous part aux discussions
publiques dans leurs lieux de réunion, et ne sentaient encore qu'instinctivement le besoin d'une direction forte et énergique qui pût rallier toutes les opinions, et pousser toutes les forces éparpillées vers un seul et même but. Cette idée se fit enfin jour vers la fin du xiii° siècle. Les hommes les plus intelligents sentirent que le premier besoin de la communauté, était l'unité dans la direction des affaires. Dès ce moment, tous leurs efforts convergèrent vers ce
résultat. Ils introduisirent des modifications à l'élection des Cominaux, pour assurer, dans l'avenir le choix d'hommes capables et dévoués à leur pays, et on les investit du pouvoir de décider les questions qui intéressaient la communauté d'une manière souveraine.
On entoura cependant ces nouveaux Magistrats des hommes les plus notables du Château. C'était une garantie pour les habitants, qui savaient que leurs intérêts étaient désormais entre les mains des hommes qui avaient toute leur confiance. Dès ce moment, les Cominaux prirent exclusivement les rênes de l'administration, ils réunirent souvent les prud'hommes du Château, veillèrent avec sollicitude à la défense des intérêts de la communauté, provoquèrent les travaux dont l'utilité se faisait sentir, et favorisèrent les tendances de l'agriculture et du commerce.
Le Château prit ainsi un rapide accroissement; la vie publique s'y développa progressivement; et pendant la troisième époque tous les chefs de famille furent unis dans un même sentiment de patriotisme. Le Château de Digne prit une part active aux guerres du xiv° siècle, et mérita enfin des Comtes de Provence la concession du Syndicat, qui leur donna de véritables représentants, et des institutions municipales plus complètes, qui permirent aux habitants du Château de Digne de jouir de toutes les libertés, que ce régime assurait aux Communes de la Provence.

FIN DE LA TROISIEME ET DERNIERE EPOQUE.

 

APPENDICE.

PASSAGE DES ALPES, PAR ANNIBAL.

Nom croyons devoir citer la version de Tite-Live, qui établit qu'après avoir traverse la Durance, Annibal arriva en neuf jours au sommet des Alpes d'où il descendit en six jours dans le pays des Tauriniens.
C'est la traduction de la collection Nisard que nous reproduisons. Nous avons cru inutile d'y ajouter le texte qu'il est si facile de se procurer.

Après les avoir ranimés par ses exhortations, il leur ordonne de prendre de la nourriture et du repos, et de se préparer à partir. Le lendemain, remontant la rive du Rhône, il gagne le milieu des terres, non que ce fût le chemin le plus direct vers les Alpes, mais parce qu'il pensait que plus il s'éloignerait de la mer, moins il serait exposé à
rencontrer les Romains qu'il n'avait pas l'intention de combattre avant d'être arrivé en Italie. En quatre campements,
le quatrième jour il parvint à l'Ile. C'est là que l'Isère et le Rhône, descendant de deux points différents des Alpes,
réunissent leurs eaux , après avoir embrassé une certaine étendue de pays : ce qui a fait donner le nom d'Ile à l'espace ainsi entouré d'eau. Près de là sont les Allobroges, qui ne le cèdent à aucun autre peuple de la Gaule en puissance et en gloire. Ils étaient alors divisés. Deux frères se disputaient le trône : l'aîné , nommé Brancus, qui l'avait occupé d'abord venait d'en être dépossédé par son frère cadet et la jeunesse du pays, qui avaient pour eux la force à défaut du droit. Le jugement de cette querelle venue si à propos fut déféré à Annibal, qui, devenu ainsi l'arbitre d'un royaume, en rendit à l'ainé la possession, suivant le voeu du sénat el des grands. En récompense, il reçut des vivres et toutes sortes de provisions en abondance, surtout des vêtements, dont les froids redoutables des Alpes forçaient de se munir. Lorsque après avoir apaisé les divisions des Allobroges il se mit en marche vers les Alpes, il ne prit pas le droit chemin, mais il tourna sur la gauche, vers le pays des Tricastins ; puis, suivant la lisière du pays des Vocontiens , il arrive chez les Tricoriens , sans avoir rencontré d'obstacles, jusqu'à ce qu'il fût parvenu sur les bords de la Dnrance. Cette rivière, qui sort aussi des Alpes, est sans comparaison la plus difficile à passer de toutes celles de la Gaule. En effet, quoiqu'elle ait beaucoup d'eau, elle ne porte point bateau, parce que n'étant
point retenue par ses rives , elle coule dans plusieurs lits à la fois et jamais dans les mêmes, formant toujours des gués et des gouffres nouveaux, ce qui rend le passage incertain, même pour les piétons ; outre qu'elle roule des roches pleines de graviers, et n'offre rien de solide ni de sûr a qui veut la traverser. Grossie alors par des pluies subites, elle occasionna un grand tumulte dans le passage, d'autant qu'indépendamment des autres dangers, les soldats se troublaient eux-mêmes par leur propre frayeur et leurs cris confus. Environ trois jours après le départ d'Annibal des bords du Rhône, le consul P. Cornélius s'était avancé en bataillon carré vers le camp des ennemis , avec le dessein de combattre sur-le-champ : mais, lorsqu'il vit le camp désert, et qu'il ne lui serait pas facile d'atteindre les Carthaginois qui avaient sur lui tant d'avance, il retourna vers ses vaisseaux, afin d'arrêter Annibal plus sûrement et plus facilement à sa descente des Alpes. Toutefois, pour ne pas priver du secours des Romains l'Espagne, que le sort lui avait assignée, il envoya contre Asdrubal Cn. Scipion son frère avec la majeure partie de ses troupes , non-seulement pour protéger les anciens alliés, et pour en gagner de nouveaux, mais encore pour chasser Asdrubal de l'Espagne. Lui-même, avec un très faible corps, regagna Gênes, comptant défendre l'Italie avec l'armée qui était sur les bords du Pô. Annibal alla de la Durance jusqu'aux Alpes, presque toujours par un pays de plaine , sans être aucunement inquiété par les Gaulois de ces contrées. Là, quoique ses soldats fussent déjà prévenus par la renommée, qui exagère ordinairement les choses inconnues, quand ils virent de près la hauteur des montagnes, les neiges qui semblaient se confondre avec le ciel, de misérables cabanes suspendues aux pointes des
rochers, le bétail et les chevaux rabougris par le froid, des hommes aux longs cheveux et presque sauvages , les
êtres animés et inanimés paralysés par la glace, toute cette désolation de l'hiver, plus affreuse encore qu'on ne peut le décrire, renouvela la terreur de l'armée. Comme on commençait à gravir les premières pentes, on aperçut les montagnards postés sur les hauteurs. S'ils se fussent cachés dans l'intérieur des vallées pour fondre à l'improviste sur les Carthaginois, ils les auraient tous mis eu fuite et taillés en pièces. Apprenant qu'il n'y avait pas de passage de ce côté, il campe entre mille précipices dans la vallée la plus étendue qu'il peut trouver. Puis ces mêmes Gaulois, qui, grâce à l'affinité de leurs langues et de leurs moeurs, avaient pu se mêler aux entretiens des montagnards, l'ayant instruit que le défilé n'était gardé que pendant le jour, et que la nuit chacun rentrait dans sa cabane ; de grand matin il s'avance au pied des hauteurs, comme pour forcer le passage ouvertement et en plein jour. Toute la journée se passa à simuler tout autre chose que ce qu'on projettait, et l'on se retrancha dans le lieu même où l'on s'etait arrêté ; mais, dès qu'Annibal s'aperçut que les montagnards avaient abandonné les hauteurs, et que les postes n'étaieut plus gardés, ayant allumé, pour tromper l'ennemi, bien plus de feux qu'il ne laissait d'hommes, et laissant les bagages et les chevaux , avec la plus grande partie de son infanterie, il franchit à la hâte les défilés avec une troupe légère composée de ses plus braves soldats, et s'établit sur les hauteurs que les ennemis avaient occupées.
Au point du jour on leva le camp, et le reste de l'armée se mit en marche. Déjà les montagnards, au signal donné, couraient de leurs forts au poste accoutumé, quand tout à coup ils aperçoivent une partie des Carthaginois au-dessus
de leurs tétes, sur leur citadelle de rochers, et les autres s'avançant par le chemin de la montagne. D'abord ce
double spectacle , frappant à la fois leurs yeux et leurs esprits, les tint un instant immobiles; mais lorsqu'ils virent
l'embarras de l'armée dans le défilé , le désordre occasionné par son trouble même et surtout par l'épouvante des chevaux, persuadés que la moindre alarme ajoutée par eux suffirait pour perdre les ennemis, ils s'élancent de toutes parts du haut des rochers , acceutumés qu'ils sont à pratiquer les lieux difficiles et les plus escarpés. Les Carthaginois étaient arrêtés tout à la fois et par les ennemis et par les difficultés du terrain : encore avaient-ils plus à lutter entre eux qu'avec les ennemis, chacun faisant tous ses efforts pour échapper le premier au péril. Les chevaux surtout troublaient la marche ; car ils s'agitaient effrayés par les clameurs confuses que les échos des bois et des vallées rendaient encore plus terribles. Si par hasard ils étaient frappés ou blessés , leur épouvante était si forte qu'ils renversaient de tous côtés les hommes et les bagages. Et comme le défilé était bordé par deux précipices escarpés , l'agitation de la foule fit tomber dans l'abîme plusieurs hommes tout armés ; mais quand les chevaux eux-mêmes y roulaient avec leurs charges, c'était avec le fracas d'un vaste éboulement. Malgré l'horreur de ce spectacle,
Annibal demeura quelque temps immobile avec son détachement, de peur d'augmenter le trouble et la confusion ; mais lorsqu'il vit ses troupes coupées, et qu'il était à craindre que son armée, dépouillée de ses bagages , ne pût effectuer le passage sans de grandes pertes, il accourut de sa hauteur , et culbuta l'ennemi du premier choc, mais non
sans occasionner un nouveau désordre parmi les siens ; toutefois ce trouble fut apaisé dans un instant, lorsque les chemins furent libres par la fuite des montagnards. Alors l'armée défila tranquillement et presque en silence. Annibal s'empara d'un fort, chef-lieu de cette contrée , et de toutes les bourgades environnantes; il put nourrir son armée durant Irois jours avec le bétail et le blé qu'il y trouva. Et comme ni les lieux, ni les montagnards, encore frappés de leur première défaite , ne lui opposaient de grands obstacles , il fit quelque chemin pendant ces trois jours.
Ensuite il arriva chez une autre nation fort nombreuse pour un pays de montagnes. Là, il faillit périr non dans une guerre ouverte, mais par ses propres armes, par la perfidie et des embûches. Les chefs qui étaient d'un grand âge vinrent en députation auprès de lui, disant que le malheur des autres était pour eux une utile leçon , qu'ils
aimaient mieux éprouver l'amitié que la force des Carthaginois, qu'ils obéiraient aux ordres qui leur seraient donnés, et qu'ils le priaient d'accepter des vivres, des guides, et des otages pour garants de leurs promesses. Annibal , sans les croire aveuglément et sans les repousser, de crainte qu'un refus n'en fit des ennemis déclarés, leur répondit obligeamment, accepta leurs otages, les vivres qu'ils avaient apportés sur la route, et suivit leurs guides, sans permettre à son armée de marcher en désordre, comme on fait avec des amis. Les éléphants et les chevaux étaient à l'avant-garde, lui-même marchait à l'arrière-garde avec l'élite de l'infanterie, portant de tous cotés des regards inquiets et attentifs. Dès qu'on fut arrivé dans un chemin étroit, dominé d'un côté par une haute montagne, les Barbares sortant tout-à-coup d'une embuscade, par devant, par derrière, de près, de loin, assaillent les Carthaginois, et font rouler sur eux d'énormes rochers. Une grande multitude pressait les derrières; mais l'infanterie qui leur fit face montra que, si l'arrière garde n'eût pas été bien appuyée, l'armée eût essuyé une très grandes pertes dans ces gorges. Toutefois, elle courut un extrême péril et faillit être anéantie, car, pendant qu'Annibal hésitait à engager son infanterie dans le défilé, parce qu'elle n'était pas soutenue par derrière, comme la cavalerie l'était par lui-même, les montagnards , accourant sur le flanc de l'armée, la coupèrent, et s'emparèrent du chemin ; de sorte qu'Annibal passa toute une nuit séparé de sa cavalerie et de ses bagages.
Le lendemain, les agressions des Barbares s'étant ralenties, les troupes se rejoignirent, et le défilé fut franchi, non sans une certaine perte, mais en bêtes de charge plus qu'en hommes. Dans la suite les montagnards ne se montrèrent qu'en petit nombre, en voleurs plutôt qu'en ennemis , tantôt à la tête , tantôt à la queue de l'armée, selon que la commodité du terrain, les traînards, ou ceux qui allaient en avant leur en fournissaient l'occasion. Les éléphants marchaient très lentement dans les chemins étroits et escarpés ; mais leur présence mettait les soldats à couvert
de l'ennemi qui craignait d'approcher de trop près ces animaux inconnus. Le neuvième jour on atteignit le sommet des Alpes, après avoir passé par des chemins non frayés et après s'être égaré souvent, soit par la perfidie des guides, soit par les fausses conjectures des Carthaginois, qui, poussés quelquefois par la défiance, s'engagèrent d'eux-mêmes dans des vallées sans issue. On s'arrêta deux jours sur ces hauteurs pour laisser prendre du repos aux soldats fatigués par les marches et les combats ; et quelques bêtes de somme qui avaient roulé sur les rochers revinrent au camp en suivant les traces de l'armée. Déjà las de tant de souffrance, la chute de la neige, au moment du coucher des pléiades, vint ajouter à leur consternation. La terre en était déjà couverte, lorsqu'aux premières lueurs du jour les enseignes se mirent en mouvement. L'armée s'avançait lentement, et l'abattement et le désespoir se peignaient sur tous les visages. Alors Annibal, marchant en tête, ordonne à ses soldats de faire halte sur une éminence d'où la vue s'étendait au loin, et de là leur montre l'Italie et les plaines baignées par le Pô au pied des Alpes. « Ils escaladaient, disail-il , les remparts de l'Italie et même de Rome ; le reste du chemin serait uni et facile, un ou deux combats tout au plus mettraient en leur pouvoir le boulevard et la capitale de l'Italie. » L'armée continua sa marche, sans que les ennemis tassent autre chose que de faibles vols facilités par l'occasion. Du reste, la descente fut bien plus pénible que la montée, parce que la pente des Alpes étant moins longue du côté de l'Italie, est pour cela même plus raidc : le chemin presque tout entier était à pic, étroit et glissant, de telle façon qu'il était impossible de s'empêcher de tomber. Ceux qui trébuchaient tant soit peu ne pouvaient même rester à la place où ils tombaient ; mais hommes et chevaux roulaient les uns sur les autres au fond de l'abîme.
On parvint à une roche beaucoup plus étroite et tellement à pic, que le soldat, sans armes et sans bagages, talonnant et s'accrochant avec les mains aux broussailles et aux souches qui se montraient ça et là, avait encore la plus grande peine à descendre. Ce lieu fort escarpé, par lui-même, avait été transformé en un précipice de mille pieds de
profondeur par un récent éboulement. La cavalerie s'y arrêta, comme si le chemin eût fini là; et, comme Annibal
demandait la cause de ce retardement, on lui répondit que la roche était infranchissable ; il s'avança pour reconnaître les lieux, et vit clairement qu'il fallait faire un long détour par des lieux non frayés, où le pied de l'homme n'avait jamais passé. Mais cette route fut également impraticable. Comme l'ancienne neige durcie était recouverte par une nouvelle couche de médiocre épaisseur, le pied portait assez solidement sur cette neige molle et peu profonde ; mais quand elle fut fondue sous les pas de tant d'hommes et de chevaux, on ne marchait plus que sur la glace mise à découvert et sur le liquide verglas de la neige fondante. Alors ce fut une lutte terrible et contre la glace où l'on ne pouvait assurer ses pas, et contre la pente rapide où le pied manquait à chaque instant. Lorsqu'ils s'étaient relevés à l'aide de leurs mains et de leurs genoux, ces appuis venant à les trahir, ils tombaient de nouveau, n'y ayant nulle part ni troncs ni racines auxquels ils pussent s'accrocher des pieds ou des mains. Ils ne pouvaient que rouler sur la glace unie et sur la neige fondue. Quelquefois les bêtes de somme perçaient jusqu'à la neige inférieure; aussitôt elles glissaient, et dans leurs violents efforts pour se retenir, leur sabot brisant la glace, elles restaient souvent engagées et comme prises au piége, durcie et gelée profondément.
Enfin, après bien des fatigues inutiles pour les hommes et les chevaux , on campa sur le sommet de la montagne, déblayé à cet effet non sans beaucoup de peine, tant il fallut creuser et enlever de neige. Ensuite, comme pour
rendre praticable la roche qui seule présentait un passage possible, les soldats étaient obligés de la tailler, ils abattirent tout autour des arbres énormes qu'ils dépouillèrent de leurs branches , et qu'ils entassèrent en forme de bûcher ; puis ils y mirent le feu , sous un vent violent très-propre à exciter la flamme et versèrent sur la pierre brûlante du vinaigre pour la dissoudre. La pierre étant ainsi calcinée, ils l'ouvrent avec le fer, et, par de légers circuits , adoucissent la pente , de façon que les hétes de somme , et même les éléphants, pussent facilement descendre. On passa quatre jours sur ce point ; et les chevaux furent près de mourir de faim ; car ces hauteurs sont presque entièrement nues, et le peu de pâture qui s'y trouve est enseveli sous la neige. Les parties inférieures ont des vallons, des collines exposéesau soleil , des ruisseaux le long des bois, et des sites plus dignes d'être habités par des hommes. Là , on fit paître les chevaux et l'on donna trois jours de repos aux hommes fatigués par les travaux de tranchées. Enfin on descendit dans la plaine où tout s'adoucissait, le terrain comme le naturel des habitants.
Telles furent les principales circonstances de la marche d'Annibal. Il parvint en Italie cinq mois après son départ de Carthagène, selon quelques auteurs, ayant mis quinze jours à passer les Alpes. Quant au nombre de troupes qu'il avait en ce moment, les historiens ne sont nullement d'accord. Ceux qui le portent le plus haut lui donnent cent
mille falassins et vingt mille cavaliers ; ceux qui le mettent au plus bas, vingt mille hommes de pied et six mille chevaux. L'autorilé de Cincius Alimentas, qui dit avoir été prisonnier d'Annibal, serait pour moi décisive, s'il ne faisait pas confusion sur le nombre en y ajoutant des Gaulois et des Liguriens. Et les comptant, quatre-vingt mille fantassins et dix mille chevaux seraient entrés en Italie ( il est plus vraisemblable que ce nombre ne fut formé que par une jonction, et c'est l'opinion de quelques auteurs). Du reste, Cincius prétend avoir entendu dire à Annibal lui-même , qu'après le passage du Rhône jusqu'à son arrivée en Italie, il avait perdu trente-six mille hommes, outre un grand nombre de chevaux et autres bêtes de somme sur le territoire des Tauriniens peuplade voisine des Gaulois. Comme tous les auteurs s'accordent sur ce fait, je n'en suis que plus étonné de l'incertitude où l'on est sur le point par lequel Annibal franchit les Alpes, et de l'opinion commune qui le fait passer par les Alpes Pennines, qui auraient tiré leur nom de cette circonstance. Célius prétend qu'Annibal suivit le mont de Crémone : or, ces deux défilés l'eussent conduit non chez les Tauriniens, mais chez les Gaulois Libueins, par les Salasses. Et il n'est pas vraisemblable qu'il eût pu gagner la Gaule cisalpine, car tous les chemins qui mènent aux Alpes Pennines auraient
été fermés par des peuples demi-germains. D'ailleurs, une preuve bien certaine pour qui partagerait cette opinion, c'est que les Véragres , habitants de ces montagne , n'ont aucun souvenir qu'elles aient reçu leur nom d'un passage quelconque des Carthaginois, mais bien d'un dieu honoré sur leur sommet, et que ces montagnards appellent Pennin.

II.
INTRODUCTION DU CHRISTIANISME A DIGNE.
(iv° siècle).

Nous n'avons pas pu dans notre Introduction nous étendre, autant que nous l'aurions voulu , sur les deux premiers Apôtres qui sont venus annoncer dans notre cité la bonne nouvelle : qu'il nous soit permis ici de rappeler tout ce que la tradition nous a appris de cette époque si intéressante, tradition vénérée que nous nous efforcerons de reproduire dans toute sa touchante simplicité.
La persécution commencée en Afrique, sous les Empereurs Valérien et Gallien, avait à peu près complètement cessé; mais les esprits étaient encore dans un état d'exaltation vivement prononcée : le souvenir du martyre de St. Cyprien était encore partout vivant. L'esprit de prosélytisme se répandait sur ce sol brûlant d'Afrique, et toutes les têtes jeunes, ardentes , généreuses , voulaient alors , comme à toutes les époques solennelles, se vouer à l'apostolat et parcourir le monde, pour enseigner la science nouvelle qui devait transformer le monde et le sauver.
Marcellin , qui était une de ces âmes dévouées , qui avait embrassé le Christianisme avec ardeur, et voulait y consacrer tout ce que Dieu lui avait donné de forces et d'énergie , eut à cette époque une vision, une inspiration soudaine qui le détermina à quitter l'Afrique et à passer en Europe, où les Barbares commençaient à pénétrer, et où les idoles de la race Gauloise étaient encore l'objet d'une vénération aveugle. Dès qu'il fut bien pénétré de cette pensée , il songea à s'adjoindre des compagnons de voyage , des hommes dévoués , comme lui, à cette religion qu'il aimait de toute la puissance de son âme et dont il désirait préparer le triomphe. Deux hommes plus jeunes que lui, Domnin et Vincent, s'offrirent spontanément à prendre leur part dans cet acte de dévouement. Vincent était le plus jeune, mais il n'était pas le moins enthousiaste, le moins ardent, et il avait un talent de parole, qui devait le rendre entraînant auprès des hommes auxquels il prêcherait la parole de Dieu.
Une fois décidés, ils se mirent en route, et s'embarquèrent pour Rome, où ils arrivèrent au moment même où le Pape
Eusèbe venait de monter sur la chaire de Pierre. C'était au commencement du règne de Constantin. Eusèbe, en les
voyant , à leur âge , pleins de courage , d'énergie et de foi , les encouragea de sa voix , les fortifia de ses conseils , sacra Marcellin, Evéque, et l'envoya avec ses deux compagnons dans la Province des Alpes-Maritimes, dont Embrun était la métropole. Les moeurs des Ligures n'étaient pas encore complètement adoucies, et on dût croire, en voyant les trois Apôtres quitter la ville sainte, qu'ils partaient pour courir au devant du martyre. Ils arrivèrent à Embrun, qui déjà avait entendu retentir la parole chrétienne, mais dont ses habitants étaient bientôt revenus à leurs anciennes idoles. « Marcellin , dit une antique chronique, commença résolument à prêcher les croyances chrétiennes, et le fit avec tant de bonheur, que bientôt, avec la grâce du Seigneur tout puissant, et en appuyant ses prédications de nombreux miracles, il parvint à faire renverser les temples des idoles, et la plus grande partie des habitants de ce pays réclama le baptême."
Domnin et Vincent dûrent l'aider puissamment dans cette sainte mission, par leur zéle et leur activité, par leur parole et par leur exemple. Aussi , tous les trois, eurent-ils la joie, peu de temps après leur arrivée, de voir s'élever une église près des murs de la ville.
Mais écoutons, a propos de ce fait, les anciens chroniqueurs, écoutons Grégoire de Tours lui-même : « Il fit , dit-on construire un bassin pour baptiser, dans lequel , à ce qu'on assure , l'eau jaillit spontanément et miraculeusement aux
fêtes de la Noël et de Pâques. De là l'eau s'écoule dans un autre bassin, où se font les baptêmes, suivant une ancienne coutume. L'eau ne s'y accumule pourtant pas, comme dans les fontaines d'Espagne. »
Lorsque la ville d'Embrun fut presque toute entière convertie à la foi chrétienne, Domnin et Viucent, jeunes encore,
ardents au service de Dieu , et ne rêvant que l'apostolat, songèrent à porter la lumière et la foi dans d'autres pays où les ténèbres de l'idolatrie étaient encore répandues. Et c'est alors qu'ils se décidèrent à se rendre à Digne, où la foi du Christ n'avait pas encore pénétré, où l'on se prosternait encore devant de stupides idoles et où les ennemis du nom chrétien, dit un vieux chroniqueur, étaient puissants. La vue des dangers, qui les attendaient, raviva, au lieu de
l'éteindre, l'énergie de nos deux Apôtres. Ils s'empressèrent de partir pour Digne, où ils vinrent courageusement annoncer la vérité chrétienne. Ils trouvèrent d'abord d'ardents contradicteurs ; mais le zèle et la bonté de Domnin avaient tant d'éloquence, la parole de Vincent avait tant de verve et de puissance, elle était si entraînante, que les habitants de la ville de Digne, qui leur paraissaient, dans le principe, le plus fortement opposés, finirent par les écouter, par croire à leurs paroles, et, sous leur inspiration, en vinrent à briser leurs idoles et à renoncer à leurs faux Dieux , pour embrasser la foi du Christ qu'on leur avait présentée avec tant de bonheur et d'habileté.
« Domnin , dit encore un bon chroniqueur de cette époque, raffermit leur foi naissante par des miracles et par ses vertus. Après leur avoir développé les brillantes promesses faites à ceux qui ont la foi, il ordonna de lui amener tous les malades de la ville ; il en rassembla un très grand nombre, et à la face du peuple rassemblé, au nom de Jésus , il leur rendit à tous la santé en un instant. Des applaudissements universels se firent entendre, et dès ce moment, de toutes parts , on demanda le baptême : l'affluence fut si grande, qu'en une seule fois, sur un baptistère préparé à la hâte , il en baptisa plus de quinze cents. »
Domnin lutta, à cette époque, contre les Ariens, dont la doctrine commençait à se répandre en Provence, et il empêcha cette erreur de pénétrer à Digne, tant que se prolongea sa vie. Vincent, qui était plus jeune, et qui, par un excès de modestie, n'avait pas voulu être Évéque, malgré les instances de Domnin , ne céda , à sa mort , qu'aux supplications des fidèles qui lui étaient dévoués et le considéraient comme un père. Peu d'hommes avaient autant d'éloquence, et puis, sa douceur, sa bonté, lui avaient gagné tous les coeurs ; il avait aussi, d'après les anciens chroniqueurs, le don des miracles. Il succéda donc à Domnin, et pendant tout le temps de son siège, qui dura jusqu'à sa mort, qu'il nous est impossible de préciser, il fit une rude guerre aux Ariens. Il ne se borna pas à les poursuivre dans la ville de Digne, où ils n'avaient jamais pu jusqu'alors faire des prosélytes ; mais il parcourut la Provence, pour les combattre partout où ils étaient puissants, et fut après la mort de Marcellin , rappeler les habitants
d'Embrun à leur devoir, car l'hérésie avait fait invasion dans leur ville.
Aussi, les Ariens cherchèrent-ils à se débarrasser de lui, et à peu près vers l'époque où Eusèbe de Verceil , et Denis, de Milan, l'un et l'autre Évéques , subirent de la part de ces sectaires , toutes sortes de tribulations, il fut lui-même surpris par eux dans un de ses voyages, et tellement frappé de verges qu'il faillit en mourir. Mais il survécut à cet événement et put accomplir dans la ville de Digne, où il se trouvait, une longue vie de dévouement et de piété. Vers la fin de sa vie, il assista encore au premier concile de Valence qui se tint en 371. Peu de temps après il mourut, et fut enseveli à Digne, comme son prédécesseur Domnin, et l'Église de Digne conserve encore leurs reliques, ou du moins la partie qui n'a pas été brûlée dans des siècles rapprochés de notre époque, ainsi que celles de St. Marcellin.
Tels sont les faits qui résultent d'antiques chroniques, et qui font connaître de quelle manière le Christianisme s'est
introduit dans notre ville.

III.
PLAIDS A DIGNE DES MISSI D0MIN1CI DE CHARLEMAGNE.
(780. — TRADUCTION ).

Au nom de Dieu, pendant que les Missi Dominici de notre Charles, Roi des Franks et des Langobards et Patrice des
Romains, iceux nommés Viernarius et Arimodus, étaient de résidence en la cité de Digne , et là tenaient leurs plaids
avec les Rachimbourgs Royaux , Marcellin , Jérôme, Gédéon , Regnaric, Corbin, Scabins de ladite cité chargés de décider les procès de la commune (1), et les prud'hommes qui étaient venus se joindre à eux, pour entendre les contestations de beaucoup d'habitants de la cité, pour en déduire les causes et les résoudre par de bons et justes jugements.

(1) Ce passage de notre Charte a appelé l'attention de tous les savante qui en ont eu connaissance. Il est cité par M. de Savigny, dans son "Hittoire du Droit Romaiti au moyen-âge", et par M. Guizol, dans ses "Essais sur l' Histoire de France". Il offre une singularité remarquable, c'est que les cinq membres, spécialement nommés comme assistant les Missi Dominici, sont désignés à la fois sous le nom de Raciones Burguis, Rachimbourgs, et celui deScabinos,
Échevins. Ce rapprechement prouverait que ces cinq assesseurs étaient les dignitaires les plus importants de la cité, et de là leur qualification de Rachimbourgs, nom qui, chez les Francks, exprimait la même idée que celui de Ahrimans, chez les Lombards. Ce qui viendrait à l'appui de cette assertion, c'est que le premier nommé de ces cinq assesseurs, Marcellin , était le dignitaire le plus élevé de la cité de Digne ; car il signe en souscrivant l'acte : Comes Marcellinus, nous révélant ainsi qu'il était le Comte du Comté de Digne, à cette époque où cette division tonte féodale préparait pour la Provence celle postérieurement établie des bailliages et viguerics. Ces Rachimbourgs devaient être en même temps les Échevins de la cité de Digne, Scabinos ipsius civitatis, chargés de décider les procès de la commune, Scabinas lites, Magistrats que Charlemagnc avait institués pour rendre la justice et suppléer au défaut des Prud'hommes, qui avaient toujours exercé ce droit, et qui, depuis longtemps, négligeaient de se rendre aux plaids qui étaient convoqués. Pourtant , malgré cette institution, notre acte établit encore que les Prud'hommes n'avaient pas été dépouillés de ce droit antique d'assister aux plaids et de donner leur avis comme les Échevins.

Comparut, dans le lieu où ils étaient, Mauronte, Évêque de la ville de Marseille, et devant eux déroula les actes publics de sainte Marie et de saint Victor , qu'Adaltrude, veuve de Ncmfidius, femme vénérable et consacrée à Dieu, avait autre fois déposés dans l'église de sainte Marie et de saint Victor de Marseille, dans lesquels on trouve ce qui suit : Que la villa de Chaudol, ensemble ses attenances et ses dépendances, ses esclaves tant ruraux qu'urbains, ses affranchis, ses colons inquilins (1), tant ceux qui se trouvaient encore dans la villa, que ceux qui avaient été transportés ailleurs, ce qui comprend tout ce qui est situé dans le canton de Digne, et encore tout ce qui, dans les Alpes, se trouve dans le canton d'Embrun, et généralement tout ce qui peut en être considéré comme une dépendance.

(1) Ce passage est encore remarquable en ce qu'il nous fait connaître la division qui existait à cette époque entre les hommes libres et les esclaves.

Et quand cette charte eut été laissée sous les yeux des Juges assez longtemps, il en produisit une autre, que le Patrice
Abbon , suivant les prescriptions de la loi tendante à prévenir la destruction des chartes, avait fait transcrire publiquement ou soit en présence de prêtres recommandables et d'autres illustres personnes. Les formes de la loi ainsi exécutées, il produisit les chartes elles-mêmes que le Patrice Antener, poussé par un esprit méchant et inique, avait enlevés d'une armoire de St. Victor, et avait ordonné de jeter au feu. Ces chartes n'étaient autres que celles par lesquelles Gothric, Adaltrude ci-dessus nommée et plusieurs autres personnes avaient fait des donations à la maison, consacrée à Dieu , de sainte Marie et du très glorieux saint Victor, de Marseille. L'abbé de la maison avait alors nom Magnus : lorsqu'il eut placé les chartes sur l'autel, les mêmes que l'Évêque Mauronte présentait en ce jour, Adaltrude, saisie d'une bonne et heureuse inspiration, les cacha dans sa manche. L'abbé ayant juré qu'il n'existait pas dans tout Marseille d'autres chartes relatives à St. Victor que celles qui étaient en ce moment sur l'autel, et qui se trouvaient , ainsi que nous l'avons dit, fort réduites, Antener ordonna qu'elles fussent immédiatement brûlées. Et aussitôt après Adaltrude restitua à l'abbaye de St.Viclor les chartes qu'elle avait cachées dans sa manche.
L'Évêque Blauronte produisit encore une sentence postérieure rendue par le Majordome du Roi Charles, qui envoya
des exécuteurs de ses sentences pour faire restituer ce domaine au monastère de Saint-Victor, ce qui fut exécuté. Mais par suite des troubles et des dissensions qui s'élevèrent en Provence, la maison de Dieu fut encore dépouillée, et à la faveur de la confusion de cette époque, Amener s'empara de plusieurs alleux appartenant au Roi Charles, et se saisit encore de cette villa de Chaudol qu'il avait soustraite à la maison sainte.
Mais les Missi Dorninici et tous les sus-nommés, ayant vu tous les titres produits, en ayant fait faire une nouvelle lecture, firent appeler tous les hommes libres de Digne qui avaient eu connaissance de ces faits, et leur firent promettre, sons serment, de dire toute la vérité. Tous affirmèrent que le domaine de Chaudol avait été d'abord donné en bénéfice à Metranus, Patrice en Provence, dévoué à la cause de Marseille, et qu'ensuite le Patrice Abbon,
également dévoué à la cause de Marseille, le céda, comme bénéfice, au monastère de Ste.Marie et de St.Victor. Ils
ajoutèrent même qu'ils se souvenaient d'avoir vu Ancemundus, Vidame de Marseille, en faire une description au nom du monastère de St. Victor. Alors Alauronte leur remit de nouveau les chartes, pour qu'ils pussent en prendre connaissance complète.
Lorsqu'ils eurent examiné toutes ces autorités, les Missi Dominici et les Rachimbourgs royaux interrogèrent de nouveau les témoins, les adjurant de dire la vérité. Mais quelques-uns des membres présents s'opposaient à la
demande de l'Évéque, et contestaient ses titres, prétendant qu'à cause de leur ancienneté et en vertu de la loi sur la
prescription trentenaire en temps de paix , ce domaine devait revenir ou au bénéfice du Seigneur, ou au Roi Charles lui-même. Mais les Juges ne se rendirent pas à cette objection. Et comme aucun des assistants ne voulut se joindre à cette opposition, les Missi Dominici , en considération de l'autorité qui devait s'attacher aux titres produits et dont lecture avait été faite, adjugèrent ledit domaine à l'Évéque Mauronte, qui l'avait revendiqué pour le monastère de St. Victor, avec toutes ses dépendances. Taurinus et Sanctebert déposèrent, sous la foi du serment, que le domaine de Chaudol avait appartenu au Patrice Nemfidius, qu'Adaltrude et leurs fils, avaient, par an acte public, cédé ce domaine au monastère de Ste. Marie et de St. Victor, qu'ils avaient su et vu, lorsque Ancemundus Vidante, avait,
sur les ordres du Patrice Abbon , fait , pour ladite église, la description de ce domaine, laquelle église l'avait reçu du consentement dudit Patrice et en avait perçu toutes les censes. Trunsuarius et Amat , Venantius, prêtre, et Villarius firent la même déposition. Hunoald et Theudolin également. Christian et Theudigile également. Furent présents ceux dont les sceaux et les signatures sont apposées ci-dessous. Fait le mercredi, 8 des calendes de mars de la douzième année du règne de Notre Seigneur Charles, 2e indiction.
Ont apposé leur sceau : le Comte Marcellin , Gédéon , Corbin, Regnaric, Hagimard, Taurinus, Magnebert, Sanctebert , Jérôme a écrit.

IV.
STATUTS DU BAILLIAGE DE DIGNE.
(1237 , VEILLE DES IDES DE JANVIER ).

Alphonse II était mort en Sicile, en 1209, laissant pour son héritier du Comté de Provence, son fils Raimond Béranger IV, à peine âgé de neuf ans. Ce n'est qu'en 1216 , lorsqu'il eut atteint sa dix-septième année qu'il vint dans son Comté.
Raimond Déranger jouissait comme tes prédécesseurs des droits que lui assurait son titre de Suzerain ; mais il éprouvait de la part des Seigneurs des résistances que pendant tout son règne il s'efforça de faire disparaître. Ses droits de haute et moyenne juridiction étaient peu respectés par les Seigneurs et leurs Baillis, qui auraient dû se
restreindre aux cas de basse juridiction, et qui empiétaient sur les cas réservés aux officiers du Comte de Provence.
Le service de la cavalcade était difficile à percevoir : presque toutes les communautés s'efforçaient de l'éviter. C'était un droit dont la quotité n'était pas fixée et qui soulevait de continuelles réclamations.
Le droit d'albergue était à peu près illusoire en certaines contrées, car ce n'était que rarement, surtout dans les montagnes, que le Prince pouvait l'y exercer.
Enfin la perception des quistes était souvent contestée, et il devenait de jour en jour plus difficile de s'entendre sur les cas dans lesquels la quiste devait être exercée. C'était surtout dans les Bailliages de Digne, de Riez, de
Sisteron et de Castellane, et dans le val de Barréme, où les Nobles étaient nombreux, que des contestations sur ces divers points s'élevaient fréquemment.
Pendant l'année 1237, Raimond Béranger forma le projet de parcourir ces divers bailliages, pour faire consentir
aux Nobles ses vassaux, des statuts qui établissent une règle pour la perception de ces droits. II se rendit d'abord à Sisteron , et là , le 5 des calendes de janvier de cette année, il fit adopter par les Seigneurs du bailliage les statuts qui ont été publiés par M. Ed. de Laplane, dans son Histoire de Sisteron. Ces statuts ainsi acceptés, il se rendit à Digne, où de pareils statuts furent proposés aux Evèques de Digne et de Riez, et aux divers Seigneurs de ces bailliages. Ils furent souscrits la veille des ides de janvier, avec quelques changements à ceux du bailliage de Sisteron. Raimond Déranger ne s'en tint pas là. Il se rendit à Senez, et là fit consentir les Seigneurs de Clumane, de Senez, des Pennes, d' Allons et autres, à des statuts entièrement semblables à ceux de Sisteron.
Ces Statuts sont assez intéressants et assez curieux pour que nous devions ici en faire une analyse fidèle. Nous prendrons ceux de Digne, et nous ferons connaître les articles qui modifient ceux des deux autres bailliages.
Nous avons dit déjà quels étaient les objets qui préoccupaient le Comte de Provence. Les questions se trouvent vidées dans l'ordre suivant : 1° De la justice civile et criminelle et des divers degrés de juridiction ; 2° du service des cavalcades ; 5° du droit d'albergue , et 4° du droit de quiste.
Le premier article du Chapitre premier relatif à la justice, dispose que la connaissance de tous les grands crimes, qui ne peuvent et ne doivent relever que du pouvoir souverain, seront réservés au Comte de Provence ou à ses officiers ; dans cette classe sont énumérés les homicides, en quelque lieu qu'ils soient commis, les vols et rapines sur la voie publique, les violations des maisons religieuses. A la fin de cet article, mais seulement dans les Statuts des Bailliages de Digne et de Riez , on ajoute aux divers cas déjà cités, le rapt d'une jeune fille. Tous ces crimes seront punis par le Comte de Provence, qui en poursuivra la condamnation, soit d'après les règles du droit ordinaire, soit par des saisies sur les biens des condamnés, qui lui seront appliqués. Ces saisies devront surtout
porter sur les objets mobiliers : mais jamais cependant sur les vaisseaux vinaires, sur les outils servant aux diverses
professions, ni sur les fruits pendants par racines. Cet article donne l'explication suivante de ce qu'il faut
entendre par cette expression. Ainsi quand il s'agit de fruits proprement dits, il faut qu'ils n'aient pas été encore cueillis ; et quand ils consistent en grains, il faut qu'ils n'aient pas encore été détachés de leur tige ; tous ceux qui sont transportés loin du lieu où la nature les a produits ne sont plus pendants sur racines. Mais ce n'est pas au Comte de Provence, mais aux Seigneurs locaux à connaître des autres affaires criminelles qui pourraient s'élever, dans leurs châteaux, entre leurs tenants, soit qu'ils fussent du même château, soit qu'ils fussent de deux châteaux différents. Le deuxième article dispose que dans le cas où il s'élèverait, entre parents ou gens de pareille condition d'un même château, une dispute, une rixe ; il se commettrait un vol ou tout autre méfait, tant dans l'intérieur du château que dans l'étendue de son territoire, lesdits méfaits en dehors de ceux spécifiés dans le premier article, le Seigneur Comte ne devrait pas intervenir, ni sa Curic, à moins que la plainte n'eut été portée aux Officiers royaux ; parmi les méfaits réservés au Comte, ne sont pas comprises les injures verbales, ni les coups portés avec ou sans glaive, à moins qu'il n'y eût eu effusion de sang, ou qu'il n'y eût eu blessure grave, avec ou sans glaive. Le troisième article décide que lorsque un ou plusieurs étrangers au château d'un Seigneur, y commettront un vol, dans son intérieur ou dans l'étendue de son territoire, si ledit Seigneur ou ses tenants parviennent à s'emparer des auteurs
du vol, peu de temps après qu'il aura été commis, ledit Seigneur aura la moitié de la peine qui sera iufligée par la
Curie aux coupables. Le quatrième article dispose que dans le cas où un vol serait commis dans le château d'un Seigneur ou dans son territoire au préjudice d'un étranger par les habitants du château, le Comte de Provence ni sa Curie ne devraient pas en connaître, à moins que la plainte ne leur fut portée. On ne doit pas entendre par étranger celui qui possède une maison dans le château, quand même, par une cause quelconque, il ne l'habiterait pas et ne l'aurait pas donnée à bail. Ne peut pas non plus être considéré comme étranger celui qui a habité un château pendant deux mois entiers. L'article cinquième porte que lorsque un individu se trouvant hors de son château , commettra un vol dans le château ou sur le territoire d'un Seigneur qui ne sera pas le sien, la Curie devra d'office poursuivre ce crime et en punir l'auteur. L'article sixième attribue aux Seigneurs la connaissance de toutes les affaires civiles qui seraient intentées entre des habitants de leur château ou contre eux. Mais lorsque les habitants d'an château seront cités dans des châteaux , bourgs ou villes dans lesquels la justice est rendue par le Comte de Provence ou les Juges choisis par lui, ils devront venir se défendre dans le lieu où ils auraient été ainsi appelés : seulement le Seigneur de qui ils relèvent sera prévenu par des lettres d« la Curie, qu'il ait à faire transiger cette affaire dans l'espace de dix jours, faute de quoi l'individu cité sera tenu de se défendre devant la Curie du Comte de Provence. L'article septième prévoit le cas où un Seigneur refuserait de rendre la justice à ses tenants, ou n'établirait pas un juge
pour le représenter, dans ce cas la Curie sera autorisée à rendre la justice pour lut. L'article huitième ordonne que dans le cas où un étranger au château serait appelé devant le Seigneur dudit château, celui-ci serait tenu de se conformer à la coutume sanctionnée par le Comte. L'article neuvième dispose que le coupable d'un adultère
public, qui aura été excommunié, devra être condamné par son Seigneur à une peine pécuniaire et à sortir du château
ainsi que la femme adultère, lorsque, dans les huit jours, ils n'auront pas fait acte de repentir. Dans le cas où le Seigneur aurait négligé d'exercer cette répression , et serait resté dix jours depuis la notification de l'excommunication, qui lui aurait été faite sans exercer des poursuites, le Seigneur Comte ou sa Curie pourront condamner les coupables et ordonner leur expulsiou du château. Enfin le dixième et dernier article de ce Chapitre décide que, dans les cas non prévus qui pourront se présenter, il y sera pourvu dans les formes prescrites dans les présents statuts.
Vient maintenant le deuxième Chapitre, consacré au service des cavalcades ; c'est l'indication des obligations des
divers châteaux dn Bailliage relativement au service militaire.
Le premier article ordonne que les Barons, Nobles et simples habitants des châteaux feront au Seigneur Comte le
service de la cavalcade dans la forme ci-après exprimée :
Tous les Nobles ou simples hommes possédant biens ou les ayant possédés dans les Comtés de Provence et de Forcalquier et leurs héritiers, seront tenus de servir la cavalcade, pendant quarante jours, à leurs frais, en marchant contre tous ceux qui attaqueraient ledit Seigneur Comte, lors même que les ennemis seraient étrangers auxdits Comtés. Dans ce délai de quarante jours seront compris les jours de l'aller et du retour calculés à raison d'un jour par six lieues.
Le deuxième article ordonne que lorsque le Seigneur Comte fera le siége d'un lieu, d'un château, d'une ville ou d'une
cité quelconque et qu'il aura fait l'appel d'une cavalcade, tous ceux qui en seront tenus, devront s'y rendre sous la conduite dudit Seigneur Comte ou de son Bailli , ce qui s'applique à tous ceux qui se trouveraient à six lieues à la ronde de la place assiégée.
Le troisième article dit que les Nobles ne seront tenus qu'une fois dans l'année à faire ce service de quarante jours.
Suit ensuite une clause à laquelle nous renvoyons le lecteur, car nous n'avons pas pu la comprendre, nous l'avouons en toute humilité.
Le quntrième article oblige les Barons et les Nobles, qui auraient déjà servi une cavalcade, si, dans la même année ,
une armée ennemie venait envahir les Comtés de Provence et de Forcalquier, et faisait le siége d'un château ou d'une ville, à servir une nouvelle cavalcade telle que celle ordonnée ci-dessus. L'acte indique ensuite le nombre d'hommes ou de chevaux armés ou non armés dont chaque château doit faire montre en cas de cavalcade. Après cette désignation se trouve l'explication des termes employés : le soldat avec un cheval armé doit s'entendre du chevalier revêtu d'un haubert et de chausses, d'un haubergeon, d'un pourpoint, d'un bouclier et d'un casque en fer. Il est expressément convenu que le Seigneur Comte ou son Bailli ne pourront pas exiger des Nobles les deniers taxés pour le droit de cavalcade, à moins que lesdits Nobles ne consentissent volontairement à en faire le paiement. Il est également convenu que les Seigneurs des châteaux ou leurs héritiers ne contribueront pas au droit en argent payé pour les cavalcades, s'ils fournissent des hommes qui, fassent personnellement ce service. Les chevaliers munis d'un cheval armé recevront dix livres Viennoises pour leur service de quarante jours, et ceux qui n'auront pas de cheval armé cent sols Viennois. Enfin, il est ordonné que si un chevalier perd son cheval et ses armes pendant son temps de cavalcade ou s'il lui est enlevé, le prix de son cheval lui sera remboursé par le château qui l'aura fait partir, lequel prix sera de dix livres Viennoises ou seulement de cent sols Viennois, suivant que le cheval et les armes ou le cheval seul auront été perdus , et ce château devra faire ce paiement dans l'intervalle de trois mois.
Le troisième Chapitre est consacré au droit d'albergue, qui devra être payé par les habitants des châteaux, le jour de la St. Michel, sous peine d'un droit double en cas de retard. Le droit d'albergue sera retiré dans tous les châteaux aux
frais du Seigneur Comte ou de la curie.
Enfin le quatrième Chapitre règle le paiement des quistes, et fait connaître les cas dans lesquels cet impôt pourra être perçu. Le Seigneur Comte pourra imposer une quiste dans les cas ci-après, qui prirent le nom de Cas Impériaux:
Toutes les fois que le Seigneur Comte sera obligé de se rendre à la réquisition de l'Empereur ; Lorsque le Comte armera son fils chevalier; Lorsqu'il mariera son fils ou une de ses filles ; Ce qui a été dit du cas où le Comte devrait se rendre avec une armée auprès de l'Empereur s'applique également au cas où. il serait obligé à embarquer des troupes. Les chevaliers qui le suivraient dans ces deux cas avec leurs armes, seraient dispensés de cette quiste, dont le montant serait employé à l'achat des armes et des chevaux nécessaires. Il en serait de même pour les cas où l'on traverserait la mer pour une croisade en terre sainte. Les habitants du château, dont le Seigneur accompagnerait le Comte, seront aussi dispensés du paiement de la quiste. Le Comte sera autorisé à percevoir la quiste à raison de
cinq sols Viennois par feu, plus ou moins suivant les circonstances. Le feu, c'est l'habitation d'un chef de famille dans un château , ville ou cité. Le Comte sera autorisé toutes les fois qu'il fera une acquisition qui atteindra la somme de mille marcs d'argent, ou la dépassera, à imposer une quiste de deux sols quatre deniers Viennois. Il est expressément convenu que le Seigneur Comte ne pourra pas imposer de quiste pour d'autres causes que celles qui viennent d'être mentionnées. Il est entendu que les chevaliers, et les fils de chevaliers ainsi que leurs neveux seront exempts de toute quiste et de tout impôt. Cependant le petit-fils du chevalier, qui aura atteint sa trentième année , sans avoir pris les armes, ne jouira pas de ce privilége des chevaliers.
Il est ordonné que le chevalier ou son fils qui se livrera aux travaux d'agriculture, en labourant, en travaillant à la
terre, en charriant du bois ou du fer avec une bête de somme, ne jouisse pas des libertés des chevaliers. Tous les habitants des châteanx, si les habitants des villes et des bourgs n'y sont pas soumis, seront toujours tenus de
contribuer au paiement des quistes et des droits d'albergue et de cavalcade.
Tous ces Statuts ont été arrêtés et convenus sous toutes réserves des priviléges, immunités, donations et concessions
accordées jusqu'ici par le Seigneur Comte et ses prédécesseurs. Suivent deux articles spécialement faits pour le Bailliage de Digne :
Tout individu qui portera le signe de croisé, sera exempt de la quiste levée pour la Croisade. S'il s'élevait des difficultés sur l'exécution des présents Statuts elles seraient vidées par le Seigneur Evéque de Digne; et par deux gentilshommes dont l'un choisi par le Seigneur Comte, et l'autre par les Nobles du Bailliage.
A Sisteron et à Senez, c'était Romée de Villeneuve, le fidèle ministre de Raimond Béranger, qui devait les juger, ou
le gentilhomme qui lui succéderait dans sa charge. Ces Statuts furent signés à Digne, devant l'Eglise de Saint-
Jean.
Gassendi a parlé» de cette Eglise de St-Jean, mais celui qui lui avait donné des notes extraites du registre Pergamenorum, lui avait fait commettre une erreur, qui doit être rectifiée, pour que ceux qui légèrement, en lisant l'hommage de l'Evéque Hugo de Laudun, soutiendraient que contrairement à l'opinion de notre illustre Prévôt, il n'y avait pas d'église de St.Jean dans le château épiscopal, puissent revenir de leur erreur. Il est vrai que l'église de St.-Jean mentionnée dans cet hommage, se trouvait à Aix, et n'était même pas sous l'invocation donnée par Gassendi, mais bien sous celle-ci : mais c'était une erreur involontaire ; car le fait avancé par l'auteur de la Notice sur l'Eglise de Digne est vrai, seulement la preuve s'en trouve dans l'acte qui contient les Statuts du Bailliage de Digne et non dans l'hommage de l'Evéque ci-dessus désigné.

V.
DE LA TRANSACTION DE 1260,
ENTRE LE COMTE ET l'EVEQUE, ET LA COMMUNAUTÉ DE DIGNE.

Nous n'avons pas pu examiner dans notre Essai historique sur le Cominalat, un des actes les plus importants de l'histoire de notre ville, parce qu'il nous aurait fallu aborder une discussion qui nous aurait éloigné de l'objet principal de nos travaux. Mais nous venons réparer ici la lacune que nous avons été obligés de laisser.
Nous ne reviendrons pas sur les détails qui se rapportent à la rédaction de cette transaction, et sur les circonstances qui en amenèrent la conclusion. Les seuls points qui doivent ici nous occuper, ce sont les diverses dispositions qui y furent arrêtées entre les parties et leurs résultats en faveur des habitants du Château.
La question capitale vidée par cette transaction est celle qui limite le pouvoir féodal de l'Êvéque de Digne, que Boniface avait voulu jusqu'alors rendre illimité. A l'époque où le château épiscopal avait été fondé, les habitants qui étaient venns s'abriter sous les remparts de la forteresse seigneuriale, avaient dû recevoir des terres concédées par lui, soit à titre de cense, soit à titre d'emphytéose, sous l'obligation de reconnaître, toutes les fois qu'ils en se
raient requis, qu'ils les tenaient sous la directe du Seigneur.
Le Seigneur, de son côté, avait dû, en faisant ces concessions, bercer de brillantes promesses ceux qu'il appelait autour de lui, pour en accroître le nombre ; car il devenait d'autant plus puissant, qu'il avait plus de censitaires soumis à son service. Il avait dû leur assurer la jouissance, dans le Château, de toute cette liberté de droit naturel, à laquelle les hommes du midi, ceux surtout de l'ancienne Province Romaine n'avaient jamais renoncé. Sous les premiers Évoques, moins ambitieux , moins exigeants que Boniface leur successeur, les habitants du Château avaient dû rester longtemps dans une possession calme et paisible des biens qu'ils avaient reçus. Mais lorsque Boniface, homme violent, avide, vint occuper le siège de Digne, non seulement il fit des empiétements contre les droits du Comte de Provence, qui était le vrai Souverain, mais il s'était mis dans la tête qu'il était, dans le Château de Digne, le seul Seigneur féodal, qu'il avait la directe universelle, et que toutes les choses que ses ancêtres
avaient abandonnées aux habitants du Château pour en jouir en commun lui revenaient de plein droit et lui appartenaient.
Sous l'influence de cette idée, il voyait partout des cas de commisse, et faisait procéder à des saisies qui exaspéraient les habitants du Château. Ses prétentions s'étaient encore mieux manifestées dans la sentence arbitrale de 1237, où l'Èvéque s'était fait réserver un droit d'hommage par tous les habitants de la communauté, au lieu du simple droit de reconnaissance qui lui était dû comme Seigneur féodal ; et où les parties contractantes s'étaient
réservé la garde des portes du Château, et les règlements de police intérieure. Mais Boniface fut obligé de rabattre de ses prétentions. Le Comte de Provence le fit consentir à la transaction de 1260, qui reconnut un grand nombre de droits jusqu'alors contestés aux habitants. Ainsi l'Évéque ne voulait pas avouer que d'autres que lui eussent la directe des propriétés possédées par les habitants du Château.
Le premier article de la transaction , le déboute de cette prétention, car il renonce à demander comme tombées en
commisse les aliénations jusqu'alors faites par les habitants, aliénations qui avaient donné lieu à tant de procès, et qu'il déclare avoir été bien et valablement faites. Le troisième article est encore plus explicite et plus précis. Les droits des habitants qui ont des bâtiments ou des terres qu'ils ne tiennent que d'eux-mêmes, sont désormais tranquilles, car ils pourront, eux aussi, comme l'Évêque lui-même, percevoir le droit de lods, qui revient de plein droit à celui qui est investi de la directe. Et pour l'avenir, toutes les possessions détenues par les habitants, mais mouvantes de la directe du Comte de Provence ou de l'Êvéque, pourront être données par eux, en emphytéose ou à nouveau bail, et même pourront être aliénées de toute autre manière, pourvu que le droit de lods soit assuré au Seigneur. Mais sur ces possessions ainsi aliénées, les habitants pourront toujours se réserver une portion des fruits, ou autres services, suivant leurs conventions avec les preneurs. Le quatrième article règle le sort des propriétés, que les habitants peuvent avoir acquises jusqu'alors des gentilshommes ou reçues par voie de donation, qu'ils continueront à posséder paisiblement dans l'état où elles se trouvaient au moment de leur acquisition, sauf le droit de lods en faveur du Comte de Provence ou de l'Evéque, si elles y étaient soumises.
Ces trois article» terminaient donc définitivement les questions relatives aux possessions féodales- Toutes les propriétés que les habitants tenaient d'eux-mêmes, et toutes celles qu'ils possédaient ensuite d'aliénations antérieures à la transaction, devaient leur rester franches et libres de tout service féodal, et ils pouvaient eux-mêmes les transmettre en se réservant la directe et en les donnant à cense à qui bon leur semblait. D'un autre côté, toutes celles dont les titres prouveraient qu'elles étaient dans la mouvance soit du Comte , soit de l'Êvéque, resteraient soumises à toutes les charges qui leur avaient été imposées.
Pour prix de cette reconnaissance, le Syndic de la communauté permet au Comte de Provence et à l'Evêqne d'avoir
dans le Château de Digne un four nouveau et son droit de fournage, à la condition cependant, que les deux autres fours déjà existants resteront francs et libres à ceux à qui ils appartiennent, que ni les uns ni les autres n'auront le droit d'en construire de nouveaux, qu'ils seront autorisés seulement à réparer ceux qu'ils possèdent, et qne, dans aucun cas, ils ne pourront empêcher les habitants de s'adresser à celui des fours qu'il leur plaira choisir. Cette concession fait l'objet du deuxième article de la transaction.L'Evéque Bonifacc avait encore manifesté quelquefois la prétention que les places et patègues du Château lui appartenaient, et il aurait voulu, dans l'intérêt de la défense de
son château, pouvoir les restreindre à sa volonté. D'un autre côté, les habitants avaient ouvert des fenêtres et des portes aux remparts de la ville, qui pouvaient, eu cas de guerre, exposer le château à de graves dangers.
Sur la première prétention les habitants protestaient de leur antique possession en commun des places et patègues, comme aussi des portes et fenêtres ouvertes sur les remparts. On finit cependant par s'entendre, et les cinquième et
sixième articles de la transaction décidèrent ces deux questions. Les places et patègues du château furent reconnues la propriété exclusive et commune de tous les habitants, qui devront en jouir en commun, comme ils en avaient joui jusqu'à ce jour, sans qu'elles puissent être occupées ou embarrassées par personne. Les portes et fenêtres construites jusqu'à ce jour, comme aussi les souterrains et les petits ponts construits pour communiquer d'une maison à l'autre resteront en l'état où ils se trouvent aujourd'hui. Seulement, en cas de guerre, si le Bailli jugeait que quelqu'une de ces portes ou fenêtres, quelqu'un de ces souterrains ou pontins pussent causer quelque danger pour le château, ce magistrat pourrait en ordonner, suivant les circonstances, la fermeture ou la démolition.
L'Evéque avait encore contesté aux habitants la propriété des graviers des rivières, et cependant depuis un temps im
mémorial, les habitants propriétaires riverains des rivières sur les bords desquelles les graviers se trouvaient, avaient toujours joui du droit de les accroître par l'alluvion. Le septième article de la transaction les maintient dans ce droit, sous la seule réserve, que ces accroissements ne pourront pas retrécir trop le cours de la rivière, et ne porteront aucun préjudice aux voisins.
L'article huit de la transaction contient l'institution du Cominalat, dont nous n'avons pas à nous occuper ici. L'article neuf fixe à douze deniers le ban pour le fumier jeté dans les rues du Château et les eaux fétides répandues par
les habitants, comme aussi le ban des maraudeurs pour les fruits et les raisins.
L'article dixième contient une disposition favorable aux habitants. Toutes les bâtisses faites en dehors et contre les
remparts, et les jardins alors existants dans les fossés desdits remparts seront respectés ; seulement en cas de guerre le Bailli pourra, comme pour les portes et fenêtres, les faire supprimer suivant les circonstances.
L'article onze consacre le grand principe que tous les habitants devront contribuer au marc le franc de leur avoir aux
charges imposées dans l'intérêt de la communauté, à moins qu'on ne puisse justifier de privilèges ou immunités légitimes.
Les articles douze et treize sont de la part du Comte et de l'Évéque une renonciation à toutes poursuites contre Ranulphe, que l'Évéque tracassait pour n'avoir pas voulu se soumettre à un service dont il était tenu, et contre Salvaire de Burgondie qui avait été poursuivi par Raimond Chabaud, ancien Bailli de Digne, et qui avait fait un écrit sur les libertés du Château de Digne.
L'article quatorze contient une renonciation expresse aux prétentions de l'Évéque sur les biens que les habitants possédaient avant la transaction, et qui avaient fait la matière de tant de procès.
Enfin , le quinzième et dernier article décide encore, contrairement aux prétentions de l'Evéque, que les ascendants
et descendants les plus proches de légitime mariage, et à défaut les collatéraux succéderont ab intestat, à moins que le testateur n'en eût disposé autrement.
Cette transaction vida donc de graves et importantes questions. Elle anéantit pour jamais les prétentions de l'Evéque à la directe universelle, et consacra beaucoup de droits des habitants que le Seigneur voulait usurper.

VI.
SENTENCE ARBITRALE
ENTRE LA COMMUNAUTÉ DE DIGNE ET LA COMMUNAUTÉ DES JUIFS.
(1312).

Nous avons dit, dans notre Essai sur le Cominalat, l'établissement des Juifs dans le château de Digne, sous le Comte
Charles II, et les faveurs qui leur furent accordées par ce Prince, ensuite du traité par lequel ils s'étaient engagés envers lui au paiement annuel d'une somme assez ronde. Nous avons fait connaître aussi la partie des lettres de Robert, Viguier général du Roi Charles II son père, en date du 19 mars 1306, qui obligeait les Juifs à contribuer au paiement des quistcs et des tailles imposées sur le château de Digne comme les autres habitants.
Les Juifs, malgré ces lettres bien expresses, ne voulurent pas se soumettre, et ce qu'il y a de plus singulier, les Officiers royaux ne voulurent pas les poursuivre. Vainement les Cominaux de cette époque, firent-ils la présentation des lettres de Robert, les Officiers royaux persistèrent à donner gain de cause aux Juifs. Bien plus, en 13II, sous le Bailli Audibert de Barras, le Juge Compagnon Ruffi, et le Clavaire Giraud Chambayron, ils obtinrent l'autorisation, moyennant le paiement à la curie d'un florin par an, d'établir dans le marché public trois tables qui servaient à la vente de leur viande et qui se trouvaient ainsi confondues avec les tables servant à vendre la viande des habitants chrétiens, qui ne tenaient pas à se trouver ainsi en contact avec une race qu'alors on considérait comme maudite.
Les habitants du château en furent émus, et les Cominaux en fonctions, assistés des prud'hommes qui leur servaient de conseillers, durent discuter sur le parti à prendre pour combattre ces abus contre lesquels toute la communauté protestait. Les Cominaux d'alors étaient Guigues d'Auribeau, Bompar-Archal et Guillaume Paria, notaire. Ils pensèrent avec raison que les procès étaient très coûteux, qu'il y aurait un assez grand nombre de difficultés à résoudre, et ils s'arrêtèrent au projet de terminer les questions qui s'étaient élevées, par une sentence arbitrale rendue par des arbitres au choix des parties.
Les Juifs ne refusèrent pas la proposition qui leur fut faite, et le 13 avril, les représentants de la communauté du château, et ceux de la communauté des Juifs, comparurent, le 13 avril 1312 , xi indiction, devant André Jordani , notaire, qui leur rédigea le compromis que nous allons analyser.
Le compromis était passé entre les Cominaux de Digne, que nous avons déjà fait connaître, qui invoquaient leur
acte de nomination au Cominalat, reçu par le notaire Valentin Gautier, et se constituaient demandeurs ; et la communauté des Juifs, représentée par Joseph de Bayons, Milon et Jacomet ses deux fils, Salvet Bon, fils, Salomonet Bon, fils, Salamine tant en son nom qu'au nom de son fils Bondion, Dompnin de Talard et Vivance Agira, tous agissant en leur propre nom et en celui de la communauté des Juifs.
Les Cominaux de Digne demandaient à la communauté des Juifs que chacun d'eux, habitant du château de Digne, et
ayant là son domicile, fût tenu de contribuer à toutes les tailles et quistes, charges et contributions quelconques, à proportion de la valeur de leurs choses et de leurs biens, comme les autres habitants de la cité, sans quoi ils les y forceraient. Les Juifs leur répondaient qu'ils n'y étaient pas tenus, à cause des nombreux priviléges royaux qu'ils avaient obtenus, de ne pas contribuer avec les chrétiens, faisant observer que c'était par suite de cette concession à eux faite qu'ils payaient chaque année à la curie, une somme assez forte que le compromis ne fait pas connaître.
Les Cominaux soutenaient encore contre les Juifs que c'était sans droit, ni titre, qu'ils tenaient au marché quelques tables qui touchaient celles des chrétiens. Les Juifs répondaient, que les trois tables qu'ils avaient au marché de Digne, ils les avaient ensuite d'une concession expresse de la curie, à eux faite par les Officiers royaux Audibert
de Barras , dernier Bailli de Digne , Compagnon Ruffi , Juge, et Giraud Chambayron, aujourd'hui encore clavaire.
Les Cominaux se plaignaient enfin de ce que les Juifs allaient aux Bains de Digne se baigner, comme les chrétiens,
dans les mêmes piscines, ce qui devrait leur être interdit. Les Juifs contestaient cette prétention et opposaient leur
possession immémoriale. Les arbitres nommés furent Nobles et discrets Jacques Folopmi, et Guillaume de Marcoux ommes de loi, qui furent choisis comme arbitres et amiables compositeurs , avec des pouvoirs excessivement étendus, tant en la forme qu'au fonds.
Le délai dans lequel devait être rendue la sentence était de trente jours. Toutes les parties promettent ensuite, dans une longue formule, de ne jamais contrevenir à la décision arbitrale qui sera rendue, et ce, sous peine d'une somme de cent livres qu'ils s'obligent à payer, avec toutes les formules des actes d'obligation. Les Cominaux prétent serment sur les Saints Evangiles, et les Juifs sur un livre contenant la loi de Moïse. Ce compromis est à la date du 10 avril 1312. Il fut fait dans la maison de Guillaume de Marcoux, l'un des arbitres élus, et écrit par le notaire André Jordaui.
Le 2 mai suivant , les parties reparaissent devant les arbitres, et consentent à une prorogation du délai précédemment
fixé. Il restait quelques difficultés à résoudre, et la prononciation de la sentence arbitrale fut renvoyée au quinzième
jour après la fête lors prochaine de la Pentecôte. Mais il parait que les difficultés qui avaient fait demander un renvoi aussi long s'aplanirent promptement, car, le 10 mai, huit jours seulement après le renvoi, les arbitres prononcèrent leur sentence. Cette sentence doit être analysée avec soin : elle nous fait connaitre, d'une manière aussi précise que nous pouvons le désirer, les relations de nos pères, à cette époque, avec cette race singulière, qui a subi dans tous ces siècles, de si étranges vicissitudes. D'ailleurs, cet état de choses dura à peu près pendant tout le cours du xiv° et du xv° siècle, et il est curieux d'étudier et de voir s'agiter et se discuter les intérêts entre deux races d'hommes qui s'abhorraient alors si franchement et qui étaient obligées de vivre à côté l'une de l'autre.
Le 10 mai, comparurent devant les arbitres, les Cominaux déjà nommés, Pierre R. Albéric, M" Bertrand de Ybones,
médecin, Pierre Cavalier, Olivier Bocher, B. Odon notaire, Kaimond Motet , apoticaire , Raimond Bondenier, notaire, Paul Aymes, Bérard Carton , Bertrand Celat, Jean Paria, François Bocher, Bertrand Antrages, B. Morin, Pierre Turrel, Jacques de Sl.Dompnin , Guillaume Bocher , Audibert Rauquet, et André Odon, tous citoyens de Digne, en leur nom propre et au nom de tous les habitants de ladite cité ; comparurent aussi les Juifs ci-dessus nommés , Joseph de Bayons, Milon et Jacomet, ses fils, le fils de Salvet Bon, Salamias, Dompnin de Talard, Vivance Agim et Bon Ysaac de Mezel , dit Artésius , Gérémie, fils de Jacques Gallice de Nimes, Fosset de Mezel, et Bondyon fils de Salamine, tous citoyens et habitants de la cité de Digne, agissant tant en leur propre nom qu'au nom de la communauté des Juifs. Les arbitres prononcèrent devaut eux leur sentence. Ils décidèrent d'abord la première question, celle qui était la plus importante, qui soulevait le plus de difficultés, celle du paiement des tailles.
Dans un premier article ils prononcent et décident, ainsi qu'il suit, la question.
Tous les Juifs qui habitent actuellement le château de Digne, et tous ceux qui l'habiteront à l'avenir, tant ceux qui déjà contribuent au paiement des tailles, que ceux qui désormais y contribueront, seront tenus de les payer tant que leur domicile sera fixé dans ledit château de Digne, et qu'ils y posséderont leurs biens et toutes leurs facultés.
Ainsi, ils devront contribuer au paiement des tailles qui seront levées sur ledit château, dans les fouages connus sous
le nom de Cas Impériaux, et supporter une part proportionnelle à leurs biens des cent livres que la communauté est obligée de payer, lorsqu'un de ces fouages est imposé par le Comte de Provence. Pour éviter toute contestation ultérieure, les arbitres déterminent expressément la somme que les Juifs auront à payer
lorsqu'ils auront à contribuer à un fouage, et fixent à quatre sols par feu ce qui devra être par eux compté pour aider au paiement des charges du château.
L'acte donne une explication de ce qui doit être entendu par l'expression de feu. Le feu comprenait toute la famille.
Ainsi, le père de famille avec ses enfants, émancipés ou non, mais restant avec lui, n'était compté que pour un feu ; il en était de même d'une mère qui avait plusieurs fils, qui restaient avec elle. La famille toute entière n'était imposée que pour un feu.
Le paiement de quatre sols aura lieu suivant, le nombre des feux à l'époque où le fouage sera levé. Si le nombre des feux augmentait, ou s'il décroissait, le paiement serait fait toujours dans la proportion de cette diminution ou de cet accroissement. Les Juifs seront dispensés de cette contribution, lorsque leur famille quittera le château, ainsi que dans le cas où uue famille se trouverait dans un état d'excessive et notoire pauvreté. S'il s'élevait des contestations entre les Juifs, sur l'inscription de quelques-uns d'eutr'eux sur la liste de ceux obligés de contribuer à la taille commune imposée sur les Juifs par la curie, la question devrait être décidée par deux ou trois Juifs jurés, qui seraient désignés par les Cominaux en exercice alors que s'élèverait cette contestation. Les arbitres.se réservent, en finissant, le pouvoir de décider eux-mêmes les contestations, qui pourraient s'élever sur l'interprétation des dispositions qu'ils viennent de porter, et obtiennent à cet effet le consentement de toutes les parties. Les arbitres passent ensuite, dans un deuxième article, à la question du paiement des tailles levées sur les habitants du château, pour la construction et les réparations des ponts, voies publiques et canaux à faire dans l'intérieur dudit château et dans toute l'étendue de son territoire, pour l'usage et la commodité de ses habitants. Or, attendu que ces travaux sont d'une utilité aussi grande pour les Juifs que pour les autres habitants, ils décident que les Juifs devront y contribuer proportionnellement à la valeur des biens qu'ils posséderont dans le territoire de Digne et dans celui des châteaux de Gaubert , des Sièyes , de Courbons , de St. Georges , du Chaffaut, d'Aiglun , de Mallemoisson, de Rochebrune, de Marcoux , de Lauziére , et de tous les autres lieux compris dans le bailliage de Digne. Ils établissent cependant une distinction en faveur des Juifs, pour le cas où ils n'apporteraient pas dans l'intérieur du château de Digue, aucun des produits et revenus de ces propriétés situées dans l'étendue du Bailliage, mais en dehors du territoire de Digne, ou du moins ne les feraient apporter qu'à de longs intervalles, et par parties au-dessous du tiers de leurs récoltes. Dans ce cas, ils ne seront pas tenus de contribuer à Digne, et ne contribueront qu'à raison des fruits qu'ils y introduiront, et suivant la taxe fixée pour les choses purement mobilières.
Ils déclarent en outre que les Juifs ne devront, tant qu'ils habiteront le château de Digne, contribuer aux-dites tailles,
que de la même manière que les chevaliers et les clercs. Mais les Juifs qui posséderont des propriétés sur les rives
de la Bléonne et des Eaux-Chaudes, devront également contribuer aux travaux de digues et de fortifications qui s'y feront dans l'intérêt général des riverains.
Les arbitres décident encore que les Juifs devront aussi contribuer, de la même manière que les chevaliers et les clercs, au paiement des tailles qui seraient imposées aux habitants du château de Digne, pour achats de bois et de montagnes jugés nécessaires par les prud'hommes du château, pour accroître les droits et les possessions de la communauté ; à celles qui seraient imposées pour faire face aux frais de procès soutenus par ladite communauté, soit en demandant, soit en défendant ; et encore à celles qui seraient imposées pour frais de défense et pour frais de réparation aux murs et aux remparts de la cité, en cas de guerre ou de siège (que Dieu l'en préserve), et ce, sur leurs biens mobiliers et immobiliers. Mais ils déclarent que les Juifs ne pourront pas être poursuivis pour leur part dans les tailles de cette nature auxquelles la communauté aurait été soumise par le passé et auxquelles ils n'auraient pas contribué. Ils font pourtant une exception pour les travaux de la Bléone pour lesquels ils doivent contribuer, comme tous les autres habitants l'ont fait depuis le commencement des travaux : tous ceux qui n'ont jamais payé, devront compter la somme toute entière à laquelle ils étaient tenus; ceux, au contraire, qui avaient fait déjà des paiements, plus forts que ceux auxquels ils sont obligés par la la présente sentence, devront imputer cet excédant sur les tailles à venir.
Les arbitres consacrent un troisième article au paiement des frais de garde de la communauté, auxquels il devait être
pourvu par tous les habitants. Ils décident que les Juifs devront y contribuer de la même manière que les chevaliers et les clercs, seulement ils établissent une distinctiou en faveur des Juifs les plus pauvres. Ainsi, tous ceux qui n'auront de biens que jusqu'à une valeur de dix livres ne pourront pas être tenus à un paiement qui excède douze deniers. Tous ceux qui auront des biens d'une valeur de dix à vingt livres et au dessus pourront être tenus d'un paiement, qui pourra s'élever à deux sols. Il est expressément ordonné que les Juifs ne pourront jamais être obligés de faire personnellement la garde du Château.
Le quatrième article de la sentence règle le paiement des tailles royales et des dons gracieux votés par la communauté. Il est décidé que les Juifs ne devront contribuer aux tailles royales que dans les cas prévus ci-dessus, à moins que pour un autre cas ils n'eussent donné un assentiment exprès. Ils ne seront pas tenus non plus, à moins d'un pareil consentement, de contribuer aux dons gracieux qui nécessiteront une taille de la part des habitants, et qui seront faits, soit pour des travaux qui ne seraient pas d'une absolue nécessité, soit pour gratifier un Seigneur quelconque dont la ville voudrait s'assurer la protection. Lorsque cependant la communauté des Juifs consentira à
contribuer à une de ces tailles, elle ne la paiera que dans la même proportion du paiement qu'elle est tenue de faire pour les travaux des ponts et des voies publiques.
Les arbitres décident dans un cinquième article, que les Juifs ne seront jamais tenus de contribuer aux travaux de
construction ou de réparation d'Eglises, aux achats de cloches, aux établissements de cimetières, aux dépenses des
coufrérics, aux aumônes chrétiennes, aux achats d'images ou autres ouvrages de piété, ni à aucune des dépenses nécessitées par le culte chrétien. Ils ne seront pas tenus non plus aux frais et dépenses des réjouissances et fêtes publiques, à moins que ces fêtes n'eussent été résolues de concert par la communauté des Juifs et celle des Chrétiens.
Un sixième article décide que le droit de cavalcade, ne pourra jamais être exigé des Juifs par la communauté, les
Juifs devant sous ce rapport obéir et s'entendre avec les officiers de la curie royale.
Dans un septième et dernier article, toujours sur cette question du paiement des tailles, les arbitres ordonnent les
dispositions suivantes :
Il sera expressément entendu que les Juifs n'auront à contribuer qu'aux tailles qui ont été spécifiées dans les articles
précédents, et dans les tailles qui seront imposées par la nécessité aux habitants du château et dans lesquelles les Juifs auront un intérêt égal à celui des autres habitants. Mais dans ce dernier cas, les Juifs ne devront y contribuer que suivant la régie ei-dessus établie. Et pour leur assurer une garantie formelle, les arbitres décident, pour que cette égalité d'intérêt puisse être constatée et pour fermer tout accès à la fraude, que lorsque la communauté voudra faire contribuer les Juifs, à ces tailles nécessitées par l'intérêt général des habitants, ils devront être prévenus, dix jours au moins avant le vote par la communauté de la taille à imposer, et cet avertissement devra leur être donné
par les Coininaux en fonctions qui leur feront connaître le montant de la taille qui devra être exigée. Si les Juifs ne croient pas être tenus de contribuer à une pareille taille, ils feront valoir leur défense en suivant les voies ordinaires du droit. Si, au contraire, ils consentent à contribuer à la taille demandée, ils pourront choisir un d'entr'eux pour assister aux redditions de comptes des travaux qui seront exécutés, et veiller à ce qu'on n'exige de leur communauté que la part pour laquelle elle sera tenue de contribuer, et le délégué des Juifs devra toujours exiger de ceux qui rendront les comptes serment sur les Saints Évangiles. II devra également suivre les opérations des talliateurs, et exiger d'eux aussi le serment qu'ils n'imposeront pas les Juifs autrement que les Chrétiens, pour que l'un ne soit pas obligé de supporter les charges d'un autre, et qu'il n'y ait jamais lieu à aucune espèce de fraude. Après en avoir fini sur cette question du paiement des tailles, les arbitres arrivent à la deuxième question qui divisait la communauté des Juifs, et les habitants du château. C'était celle de savoir si les Juifs devaient conserver au marché de Digne, à côté des tables destinées à la vente de la viande réservée aux Chrétiens, trois tables pour la viande qui leur était destinée. Ils en étaient en possession depuis l'année précédente, où ils avaient été autorisés à les établir par une ordonnance des Officiers royaux, et les arbitres, dans l'intérêt de la paix et de la concorde, font défense de troubler les Juifs dans la possession des tables du marché qui leur sont nécessaires. Les arbitres vont même plus loin. Ils ordonnent que dans les cas où quelqu'un du châtesu voudrait s'opposer à la tenue des tables destinées à la vente de la viande des Juifs, la communauté elle-même devra intervenir auprès des Officiers royaux pour les maintenir dans les lieux où elles sont établies, avec les signes qui les distinguent, entre la place du marché et celle de la Curie royale, l'une devant la boutique de Jean Jordani, notaire, et les deux autres devant les boutiques de Salomon Bon, fils, à qni elles appartiennent.
Cette deuxième question vidée, les arbitres décident la troisième et dernière, sur le droit des Juifs, d'aller prendre
des bains dans l'établissement des Bains des Digne. Ils ordonnent à la communauté de ne plus empêcher les Juifs d'aller se laver dans les Bains de Digne, comme le font eux-mêmes les Chrétiens, parce qu'ils y ont été autorisés par
ordonnance des Officiers royaux, ainsi que cela résulte d'un instrument public dressé par Valentin Gautier notaire, en date du 6 décembre 1311, sous la condition qu'ils contribueront à l'avenir aux travaux de réparation que la communauté serait obligée de faire aux-dits Bains. Les arbitres décident encore que si les Juifs, dans un intérêt particulier, voulaient jamais élever un établissement qui leur serait réservé, cela leur soit permis et qu'aucun Chrétien ne puisse s'y opposer.
Les arbitres déclarent, en finissant, avec l'assentiment des parties présentes, que si des contestations s'élevaient plus tard sur l'exécution des décisions par eux rendues , ils auront exclusivement le pouvoir de les juger et de les terminer. Les deux parties seront tenues d'en obtenir la confirmation des communautés qu'elles représentent sur la réquisition de la plus diligente.
Et immédiatement tous les habitants présents s'obligent, par une stipulation expresse à approuver la sentence ci-dessus, à l'exéuter et à ne jamais y contrevenir.
Suivent ensuite les formules de cette époque, si longues et si chargées de citations du droit Romain. Chaque partie requiert un instrument public de cette sentence qui contient cinq énormes parchemins.

VII

PROCÈS
ENTRE LA COMMUNAUTÉ DÉ DIGNE ET LA COMMUNAUTÉ DE COURBONS.
(1320— 1325).

Le Château de Digne était obligé de lutter constamment pour la défense de ses privilèges, qui étaient un objet d'attaques continuelles, soit de la part des officiers royaux, soit de la part des Seigneurs voisins, soit enfin des Châteaux qui l'entouraient, et qui ne songeaient qu'avec envie à ce privilège exhorbitant pour ses habitants, qui, propriétaires dans leurs territoires, ne contribuaient qu'à Digne au paiement des tailles.
Cette lutte jusques là sourde et sans conséquence prit bientôt un caractère sérieux, et la commune de Courbons se
décida résolument à contester aux habitants de Digne un droit qui les blessait et leur portait un grave préjudice, et à poursuivre devant tous tribunaux des plaintes qu'elle croyait fondées.
C'était dans les premiers jours du mois de juillet de l'année 1320. Bérard Carton, habitant du Château de Digne
possédait une petite propriété dans le territoire de Courbons, située au quartier de la Colle , et confrontant autre
propriété de Jacques Reybaud et le chemin public. Une taille royale qui se percevait annuellement dans cette commune pour paiement des droits d'albergue et de cavalcade dûs au Comte de Provence, avait été répartie par les C'ominaux de Courbons sur tous les possédants biens de la commune, et les propriétaires habitant Digne, y avaient été compris comme les propriétaires de Courbons. Bérard Carton, fort de son droit, refusa l'acquittement de cette taille et invoqua le privilége accordé aux citoyens de la ville de Digne. Sur son refus, les Cominaux de cette commune se transportèrent sur sa propriété ; ils y trouvèrent Pierre Carton, fils de Bérard, qui venait de cueillir un sac de fèves, et ils le lui saisirent, malgré ses protestalions. Dès le retour de son fils à Digne, Bérard Carton s'empressa de porter sa plainte au Juge de Digne, Jean de Quincia, qui, de son côté, écrivit le 17 juillet au Bailli de Courbons, pour qu'il ordonnât aux Cominaux de restituer à Bérard Carton les fèves qui avaient été confisquées. Le Bailli n'ayant rien obtenu, Bérard Carton s'adressa de nouveau au Juge de Digne, et lui demanda une assignation
contre les Cominaux, ce que le Clavaire Miel Kiqui, qui remplaçait le Juge, lui accorda le 21 juillet, et il fixa au
mercredi suivant la comparution devant lui des parties.
Au jour fixé, le 2'l juillet, les Cominaux de Courbons, Pierre Chauvin et Pierre Hélie, se présentent devant le Cla
vaire de Digne, faisant fonctions de Juge, et déclarent appeler de l'ordonnance par lui rendue par sa lettre du 17 juillet précédent, comme entièrement nulle et dénuée de toute espèce de fondement. Le Clavaire leur propose d'agiter la question devant le tribunal du Juge. Mais les Cominaux refusent, et disent que leur appel est juste et légitime. Ils requièrent un instrument public qui leur est accordé.
L'affaire fut donc portée devant le Juge des premières appellations, André de Croie, qui délégua pour la juger François de Gros, profes;eur de droit civil, à Avignon. Cette détermination des Cominaux de Courbons émut la
ville de Digne. Tous les habitants qui possédaient des propriétés dans la commune de Courbons se mirent en mouvement. Ils n'étaient d'ailleurs pas les seuls intéressés. La question soulevée par cette commune, pouvait l'être par toutes les communes voisines, et notamment celles des Sièyes et de Gaubert, dans lesquelles les habitants de Digne avaient presque tous des propriétés, à cause du peu d'étendue de la campagne de Digne, et de la proximité de ces deux territoires, dont l'un, celui des Sièyes, n'était séparé de Digne que par la rivière de Bléone. On résolut de soutenir l'affaire comme un intérêt communal, et on décida que tous les frais qui se feraient seraient à la charge des habitants. Cependant, pour diminuer les frais, il fut convenu que Bérard Carton resterait seul dans ce procès, et soutiendrait en son nom personnel, l'intérêt de l'universalité des habitants. Pour lui éviter les embarras de ce procès et pour le confier à des mains habiles et exercées, Bérard Carton nomma pour son mandataire et son fondé de pouvoir Jean Jordani, qu'il autorisa à se substituer autant de mandataires, qu'il le jugerait convenable. Il est évident que Jean Jordani, était dans toute cette affaire, non pas le représentant de Bérard Carton, mais celui de la communauté de Digne.
L 'affaire fut donc portée à Avignon devant François de Gros, Juge à cet effet délégué. C'est le 24 juillet 1320, que
l'appel des Cominaux de Courbons avait été émis, ce n'est que le 17 octobre 1321, plus d'un an après qu'il fut possible d'obtenir une sentence. Toutes les pièces du procès avaient été produites ; une enquête avait eu lieu et on attendait avec anxiété la décision qui allait être rendue. Mais cette sentence ne fut pas favorable à la ville de Digne.
Le Juge délégué, considérant que les Cominaux de Courbons, avaient de tout temps compris dans les tailles sur leur
commune tous les possédants biens dans le territoire de Courbons ; considérant que Bérard Carton avait été déjà imposé d'autres fois pour la même taille, déclara l'appel des Cominaux non recevable, valida la saisie opérée contre Bérard Carton, et condamna Raymond Guillaume de Villeneuve, qui était alors son fondé de pouvoirs, aux dépens du procès que les appelants n'évaluaient pas à moins de cent livres. Raymond Guillaume de Villeneuve, au nom de Bérard Carton, émit un nouvel appel séance tenante, dont le Juge des premières appellations délégué, lui concéda acte. La cause dût être renvoyée devant un nouveau Juge. Sur cet appel, Jean de Laud, professeur de droit civil et
Juge des premières appellations, s'empressa de déléguer un nouveau Juge pour prononcer dans ce nouvel appel. Ce fut Guillaume de Sparron, professeur de droit civil, qui en fut chargé. Il recut sa commission dans les premiers jours de novembre, car, dès le 7 de ce même mois, nous trouvons une lettre de lui, adressée à François de Gros qui avait rendu le premier jugement, par laquelle il lui annonce qu'ensuite de l'appel émis par Raimond Guillaume, fondé de pouvoirs de Bérard Carton, il a été délégué par Noble Jean de Laud de Capoue, Juge des premières appellations, à juger cet appel. Il l'invite, en conséquence, à suspendre, jusqu'à ce que cet appel soit vidé, l'exécution de sa première sentence, et à ne faire aucunes poursuites contre Bérard Carton, pour obtenir de lui le paiement des tailles auxquelles il a été condamné et celui des frais liquidés à 20 livres refforciats moins un denier. Il ne devra pas faire faire contre lui des saisies, ni mobilières, ni immobilières. Enfin il le charge d'assigner les Cominaux ou soit la communauté de Courbons, à comparaître par-devant lui le 5 décembre suivant, à Avignon, pour se défendre sur cet
appel, de leur déclarer que, malgré leur absence, il sera procédé à l'instruction de l'affaire; il l'invite ensuite à lui
adresser toutes les pièces qui se rapportent à ce procès. François de Gros reçut cette lettre à Forcalquîer, où peut-être il avait été nommé Juge de la rurie royale, et il s'empressa d'en transmettre une copie aux Cominaux de Courbons, joignant a cet envoi l'assignation de comparaître, le cinq décembre suivant, à Avignon, par-devant le Juge
délégué, Guillaume de Sparron. Sa lettre porte la date du 14 novembre 1321.
Le 17 du même mois, Jean Jordani, fondé de pouvoirs de Bérard Carton se présenta devant le Bailli de Digne, N.
Rigauld du Rochas et là , en présence d'Auger Donadieu , Bailli royal du Château de Courbons et de Pierre Hélie ,
Cominal dudit Château , demanda la publication et l'exécu tion des lettres de François de Gros et de Guillaume de
Sparron . Le Bailli de Digne ordonne alors au Bailli de Courbons de faire convoquer l'assemblée des habitants de son château pour délibérer sur le procès contre Bérard Carton et déclare à Pierre Hélie , Cominal, qu'il devra comparaître à Avignon, par-devant le Juge délégué, au jour indiqué, pour se défendre sur l'appel émis au nom de Bérard Carton.
Jean Jordani requiert un instrument public qui lui est accordé. L'assignation, on le voit, avait été donnée pour le 5 décembre de l'année 1321, mais il paraît que les cours de justice de cette époque n'étaient guères plus expéditives que celles de nos jours. Non seulement nous ne trouvons rien qui constate que les parties eussent comparu au jour fixé dans l'assignation, mais la plus grande partie de l'année 1322 s'écoula, sans que l'affaire fût poursuivie. Les fondés de pouvoir de Bérard Carton obtinrent enfin une nouvelle fixation pour le cinq septembre de cette année, mais lorsqu'ils se présentèrent devant le tribunal du Juge délégué, celui-ci ne se trouvait pas à son poste: il était absent d'Avignon. Jean Jordaui fut vivement contrarié de ce déni de justice. Il se plaignit vivement et, le 15 septembre, il comparut devant le Juge des premières appellations, N. Jean de Laud de Capoue, et déclara protester contre le refus du Juge délégué de statuer sur l'appel dont il avait été chargé ; que ne sa chant pas où il se trouvait eu ce moment, il requérait le Juge des premières appellations de prononcer sur cet appel.
Cette protestation fut constatée par le notaire, et le Juge des premières appellations l'entendit sans y faire aucune réponse. Enfin, le 12 octobre suivant Guillaume de Sparron était revenu à Avignon, et Jean Jordani s'empressa de se présenter devant lui, et demanda acte de la présentation d'une cédule dont il fit lecture devant lui. Il exposait dans cette cédule que le douze septembre précédent il s'était présenté devant lui, suivant l'assignation qui lui avait été donnée, pour discuter la cause de Bérard Carton contre la communauté de Courbons et entendre prononcer sa sentence, et que lui, Juge délégué, se trouvait en ce moment, absent d'Avignon, d'où il est resté éloigné plus d'un mois ; que par suite de son absence, il avait cru devoir, pour éviter toute prescription, protester devant le Juge des premières appellations, et il vient aujourd'hui le supplier de nouveau de procéder à l'instruction de l'appel
émis, et de prononcer sa sentence dans les plus brefs délais, pour que les droits de son mandant ne soient pas plus longtemps compromis. En même temps il dépose trois parchemins qui ne sont désignés que par la mention de deux mots, dont l'un est le premier mot d'une ligne du parchemin cité, et l'autre le dernier mot de cette ligne ; ce qui ne nous permet pas de dire ce qu'ils contenaient.
Le Juge délégué , après l'avoir écouté, avoue que, le 12 septembre dernier, il était absent d'Avignon mais il ajoute
qu'il ne peut pas prononcer sa sentence sans avoir sérieusement examiné les intérêts et les droits des parties. Or, il n'a pas encore entendu la partie adverse, et il fixe pour l'entendre, l'audience du 10 novembre prochain, jour auquel
Jean Jordani devra la faire assigner. Ici se présente encore une lacune de plusieurs mois ; mais il est probable que, pour cette fois, la faute ne doit pas en être imputée au Juge de la cause, car nous trouvons un acte, en date du 3 avril 1323, qui nous apprend le décès de Bérard Carton, et cet événement dut entraver la marche du procès. Bérard Carton avait un fils, Pierre Carton, celui-là même contre lequel les Cominaux de Courbons avaient fait la saisie
du sac de fèves, qui depuis plus de deux ans avait mis en émoi les populations de deux châtcanx. Pierre Carton n'hésita pas à prendre sous sa responsabilité la suite du procès commencé par son père, et au jour ci-dessus indiqué, il renouvela devant le notaire André Melve , les pouvoirs des mandataires de Bérard Carton, qu'il accepta pour les siens, déclarant approuver et garantir tous les actes par eux faits jusqu'à ce jour.
L'instruction du procès se prolongea jusqu'au mois de septembre de cette année 1323, et la sentence de Guillaume de
Sparron , que nous n'avons malheureusement pas retrouvée, dût être prononcée le 12 septembre 1323 ; car, ce jour-là, nous trouvons à Avignon, en présence de Guillaume de Sparron, Jean Jordani émettant un nouvel appel de la sentence qui venait d'être rendue par lui, sentence qui confirmait celle de François de Gros, et qui déboutait encore Pierre Carton et la communauté de Digne, de leurs prétentions à un privilége, qu'ils avaient obtenu des Comtes de Provence.
Jean Jordani déclare appeler de cette sentence pour la faire réformer, parce qu'elle est injuste, soit par le Juge des premières appellations, soit par noble et illustre Raynaud de Scaleta, Sénéchal de Provence, soit par le Roi Robert lui-même, soit enfin par celui à qui la connaissance de cet appel doit de droit revenir.
Cette deuxième sentence, dans un procès qui préoccupait si vivement les habitants de la cité de Digne, jeta la consternation dans le château, et ils comprirent qu'il n'y avait plus que le recours au Roi Robert qui pût assurer la conservation de leurs droits et de leurs priviléges.
Les habitants du château de Courbons, de leur côté, crurent leur cause définitivement gagnée, et recommencèrent à faire des saisies contre les habitants de Digne, qui possédaient des propriétés dans leur château. Vers la fin du mois de septembre , Hugues Meynier, Cominal de Courbons, et Hugues Chauvin, crieur public de ce château, se transportèrent dans une petite cabane située dans le terroir de Courbons, appartenant à Pierre de Mayronnes, dans laquelle, Guillemettc, épouse d'Auger Ruffi , marchand de peaux, à Digne, avait une certaine quantité de blé froment. Ils vinrent lui réclamer le paiement de la taille qu'ils prétendaient être due, et sur son refus, ils employèrent la force et la violence, et lui enlevèrent uu septier de ce blé, dont ils se permirent la confiscation. Les Cominaux de Digne en furent bientôt prévenus, et Jean Mayen, l'un d'eux, déposa aussitôt une plainte au Juge de Digne, Hugues Turrel, qui s'empressa d'assigner Hugues Meynier et Hugues Chauvin, pour son audience du 3 octobre, où il les condamna à la restitution du blé et à une amende de vingt sols contre chacun d'eux. Cette sentence du Juge de Digne redonna de la confiance aux habitants du château de Digne, et ils durent envoyer alors des Syndics auprès du Roi Robert, pour lui faire entendre leurs doléances, implorer sa protection, et lui renouveler l'assurance d'un dévouement sans bornes.
Le Roi Robei t qui avait, à cette époque, de grands embarras, leur fit sans doute de bonnes promesses, mais il dût
exiger d'eux alors la levée du subside volontaire, qui valut aux habitants les nombreuses concessions qui leur furent
faites le 10 mars 1324, que nous avons fait connaître dans notre Essai sur le Cominalat.
En attendant, on leur délégua un nouveau Juge, François de Tabia, qui, comme Guillaume de Sparron, fit traîner en
longueur la solution de ce nouvel appel.
Le 19 mai 1324, un mandataire de Pierre Carton, substitué à Jean Jordani , Jacques Massapal , se présente à Aix,
dans la salle réservée au jugement des affaires d'appel, et proteste contre le retard apporté à la solution de l'affaire pendante entre Pierre Carton et la communauté de Courbons, et proteste de tous dommages intérêts. François de Tabia lui donne acte de ses protestations, mais ne lui fait aucune réponse. Sur cette protestation, un autre Juge fut délégué, ce fut Gabriel des Marquis de Garni. Mais celui-ci n'y mit pas plus d'activité que François de Tabia , et le 2 juillet de cette même année, Jacques Massapal, vint devant lui renouveler ses protestations contre les lenteurs de l'instruction. Cette persistance des Juges délégués à ne pas vouloir juger cette cause, est fort extraordinaire, et nous croirions volontiers, qu'elle ne provenait que d'un ordre émané de la Cour du Comte de Provence.
Un acte postérieur cependant nous apprend que le Juge Gabriel des Marquis de Garni (Gabriel d» Marchionibus Garni) surchargé d'occupations, l'avait remise à deux hommes de loi, Paul Fabre, viguier d'Aix , et Pierre Gasqui , de For;calquier, tous les deux professeurs de droit civil. Quoiqu'il en soit, l'affaire traînait en longueur, lorsqu'enfin
l'intervention de l'Évêque Guillaume de Sabran amena la conclusion d'une affaire qui semail le désordre et la lutte dans deux châteaux voisins, dont l'un était sa ville épiscopale et l'autre se trouvait à une très minime distance. Jean Jordani, mandataire de Pierre Carlun, dominus litis du procès, avait probablement été la cause de l'importance
donnée à cette affaire, que le Juge dernièrement délégué, Gabriel des Marquis de Garni, avait cru devoir renvoyer à
deux jurisconsultes, professeurs de droit civil, parce qu'il ne pouvait pas résoudre la question qui lui était soumise.
Guillaume de Sabran crut qu'il rendrait service aux deux communautés, en mettant un terme à des discussions qui
pouvaient devenir interminables, et qui agitaient sans but toute la population. Sans hésiter, il prononça une sentence d'excommunication contre Jean Jordani, et contre tous ceux qui auraient encore des relations avec lui. Cette décision enleva ù Jean Jordani la direction du procès, et Guillaume de Sabran dût voir les Cominaux et les habitants notables de la cité, et leur faire entendre combien il était important, pour la communauté, de terminer un pareil procès, en le confiant à un arbitre impartial qui le jugerait d'une manière amiable et sans entraîner les frais considérables, qui ruineraient et la communauté de Digne, et celle de Courbons. La voix bienveillante de l'Evêque fut entendue et comprise, et le 11 décembre 1324, Pierre Carton renouvela tous ses mandataires, et confia les intérêts de sa cause à tous les prud'hommes du château, Jean Albéric, Jacques Austruge, Raimond Caminier, Cominaux , auxquels il joignit François Bocher, Olivier Boison , Jean Bremond , Jacques Massapal et François Geniez, tous citoyens de Digne, leur donnant pouvoir de le représenter et de soumettre le procès à des arbitres qui pussent le terminer comme amiables compositeurs. On songea donc dès ce moment à terminer ce procès d'une manière amiable.
Cependan , avant de choisir l'arbitre, on voulut obtenir du Roi Robert une nouvelle confirmation du privilège de la
communauté qu'on obtint de lui le 10 mars 1324. Une fois munis de ce nouveau titre, qui donnait à leurs droits une consécration éclatante, leur choix se porta sur l'Evéque Guillaume de Sabran, qui avait montré, pour les habitants du château, une si vive sollicitude.
Un compromis fut signé, le 11 avril suivant de l'année 1325, entre les Cominaux du château de Digne, Jean Ranulphe, Olivier Boison et Raimond Caminier, qui agissaient en qualité de fondés de pouvoirs de Pierre Carton, assistés de Jacques Folopmi, homme de loi , François Boulier, Bertrand Celat , Nicolas des Ferrais, Etienne Cavalier , Pierre Boison , Jacques Boison , et André Jordani, d'une part ; et les Cominaux de Courbons, Guillaume Gaubert et Jacques Reybaud, assistés de Pierre Chauvin , Durand Aillaud, et Pierre Hélie , fondés de pouvoirs de l'université de Courbons, d'autre part.
Le compromis est fait en faveur de l'Evéque Guillaume de Sabran qui est choisi comme amiable compositeur; il est d'une longueur énorme, et contient neuf pages de notre Livre-Doré. Les seules clauses que nous ayions à rappeler ici, c'est l'engagement pris par toutes les parties contractantes, de payer une amende de mille florins d'or de Florence, dans le cas où elles contreviendraient à la sentence qui sera rendue, et la soumission de tous leurs biens présents et à venir et de ceux de leurs communautés respectives, à l'exécution de cette clause. Toutes les parties prêtent ensuite serment sur les Saints Évangile. L'Evéque Guillaume Sabran s'occupa sans retard de rédiger la sentence qui devait mettre fin à cet immense procès et ramener la paix et la bonne harmonie entre les habitants des
deux châteaux.
Les parties furent convoquées le 10 mai suivant, et se réunirent dans le château épiscopal, dans une antique salle,
pour assister à sa prononciation. Guillaume de Sabran expose d'abord les prétentions respectives de la communauté de Courbons et de la communauté de Digne , rappelle les sentences de François de Gros et de Guillaume de Sparron, et les nouvelles dépenses faites depuis la délégation du nouveau juge Gabriel des Marquis, qui ont élevé les frais, faits par le Château de Digne à la somme de deux mille livres, puis il prononce sa sentence ainsi qu'il
suit :
I. Et d'abord, nous déclarons que tous les habitants de Digne, tant ceux qui sont originaires de cette ville, que ceux
qui , sans en être originaires , l'habitent maintenant, et qui possèdent des vignes, des maisons, des terres cultes et incultes, des prés, des servitudes, des droils ou choses quelconques, en qnoi qu'ils consistent ct en quelque lieu du
territoire de Courbons qu'ils se trouvent, ne doivent être tenus pour tous ces biens de contribuer qu'en la cité de Digne, et non dans le château de Courbons.
II. Toutes les fois que les citoyens et habitants du château de Digne aliéneront quelqu'un de ces biens à un autre habi
tant du château, à quelque titre que ce soit, ces derniers ne contribueront aussi pour ces mêmes propriétés que dans le château de Digne.
III. De même, si des habitants de la cité de Digne acquéraient des propriétés, qui s'étendent depuis le vallon vulgairement appelé Las Gorras, en montant jusqu'au sommet de la montagne désignée sous le nom de Las Gorrelas, et en suivant de là toutes les montagnes qui se déploient jusqu'au territoire de Rochebrune, sur les versants qui donnent sur la rivière de Bléone, ils ne devront contribuer qu'à Digne, et non dans le château de Courbons.
IV. Que si, à l'avenir, et en dehors des limites ci-dessus tracées, les habitants du château de Digne acquéraient, des
hommes du peuple du château de Courbons, des propriétés autres que celles qu'ils possèdent aujourd'hui, ils ne pourront plus, pour ces acquisitions nouvelles, se prévaloir de leur privilège, et devront contribuer aux frais d'albergue et de cavalcade, dans ledit château, comme les autres habitants. Si cependant le Roi Robert, faisait une levée générale dans toute l'étendue de ses Comtés de Provence et de Forcalquier, et ordonnait que cette taille fut perçue sur les habitants de tous les châteaux, sans considération du lieu où se trouveraient leurs possessions, les habitants de Digne, qui posséderaient des propriétés dans le Château de Courbons, devraient profiter de cette disposition générale, malgré la décision qui vient d'être rendue.
V. Si un habitant de Courbons changeait de lieu d'habitation et transportait son domicile à Digne, il resterait toujours
obligé à contribuer, pour ses biens, dans le château de Courbons.
VI. La terre qui a été la cause de ce long procès sera dévolue à l'université de Courbons et lui appartiendra en toute
propriété. Elle sera consacrée à des oeuvres pies.
VII. Les limites posées dans la présente sentence ne pourront jamais être considérées comme s'appliquant aux limites entre les communautés de Digne et de Courbons, fixées depuis la plus haute antiquité et qui devront être toujours respectées.
VIII. Les sentences portées dans cette cause par les juges délégués François de Gros et Guillaume de Sparron, seront
considérées comme non avenues, nulles et de nul effet.
IX. Les objets saisis par Ic3 deux parties à propos du dernier procès contre Augcr Ruffi , seront réciproquement
restitués.
X. Les parties contractantes sont réciproquement déchargées de toutes les demandes formées de la part des unes contre les autres, l'arbitre se réservant , d'après les pouvoirs qui lui ont été donnés, de résoudre toutes les difficultés qui pourraient surgir, ou non prévues dans la présente sentence.
Cette sentence consacrait les droits des habitants du château de Digne, mais elle empêchait pour l'avenir que leurs conséquences n'entraînassent un trop grand préjudice pour les habitants du château de Courbons. Elle terminait en même temps un procès qui tourmentait, depuis tant d'années, les habitants de ces châteaux. Guillaume de Sabran leur rendit ainsi un service signalé.
Mais il nous reste à faire connaître un dernier incident de cette histoire.
Lorsque Guillaume de Sabran eut été investi de la mission d'arbitre entre les parties intéressées, il s'empressa d'en prévenir N. Gabriel des Marquis, Juge délégué. Celui-ci, qui avait chargé de l'affaire deux jurisconsultes d'Aix, eut hâte, dès qu'il le sut, d'écrire une lettre aux Officiers royaux de la curie de Digne, pour réclamer des parties en cause le paiement des honoraires dûs à ces juris-consultes, et il leur ordonna d'exiger le paiement, dans le délai de six jours, de la somme de vingt florins d'or, payables par moitié par chacune des parties.
Ces lettres sont datées d'Aix du 12 mai 1325. Elles furent apportées à Digne, par un envoyé de la curie d'Aix, nommé Jacques d'Albentaire.
Le 18 du même mois, les Cominaux de Digne et lesCominaux de Courbons se réunirent, et en présence du notaire
Olivier Boison, comptèrent à l'envoyé de la curie royale la somme de vingt florins d'or et celle de six tournois d'argent, pour le salaire de l'envoyé, dont celui-ci leur donna quittance.

VIII

LA CURIE ROYALE
PENDANT LES XIIIe ET XIVe SIÈCLES.

On a toujours cru, à Digne, que la curie royale avait été placée, depuis la plus haute antiquité, dans l'édifice où se trouve aujourd'hui la bibliothèque communale, et cependant nous avons aujourd'hui la conviction que cette croyance,
basée sur une vieille tradition, est complètement fausse. Or, comme cette opinion est fortement enracinée, nous nous décidons à donner les preuves de l'affirmation que nous émettons ici, aveu de la confiance la plus entière. Nous devons dire d'abord les raisons qui nous ont amené à douter de cette croyance populaire.
Ce qui nous a dès le principe dessillé les yeux, c'est une observation par nous faite en parcourant les chartes contenant les parlements publics des xiii°et xiv° siècles.
Le premier parlement public, celui de 1290, avait été assemblé dans le pré de l'Êvéque de Digne, alors Guillaume Porcellet.
Le second parlement public, celui de 1302, avait été assemblé sur une place publique.
Enfin, le parlement public, de 1342, avait eu lieu devant la curie royale.
Cette dernière indication nous surprit, car nous ne comprenions pas comment on avait pu réunir une assemblée générale d'habitants devant la curie royale. Entre le bâtiment qu'on supposait contenir la curie et les murailles du château épiscopal, il ne pouvait exister qu'uue rue fort étroite, que Gassendi, dans sa description de la ville de Digne, appelle Moeander, ou riculus. En dessous , ce bâtiment donnait sur la
rue Juiverie , qui n'était pas moins étroite, et nous ne nous expliquions pas comment on avait pu songer à réunir un parlement public dans un pareil lieu, alors que jusques là, on avait fait ces réunions dans un endroit plus spacieux, tantôt sur une place, tantôt dans le pré de l'Evéché. Une autre réflexion vint bientôt s'ajouter à celle-là. Dans la sentence arbitrale de 1237, entre Charles 1er d'Anjou et l'Evêque Boniface, se trouvait une concession de l'Evêque, qui venait, par une autre raison, nous prouver
que le bâtiment de la bibliothèque ne pouvait pas être la curie royale des Comtes de Provence (1).

(1) Les arbitres ordonnèrent encore que ledit Évèquc concédât au Seigneur Comte la faculté d'acheter ou d'acquérir une maison, ou soit un emplacement pour bâtir, dans tel lieu de la cité de Digne, qu'il lui plaira choisir, pourvu que ce soit en dehors de l'élévation ou de la colline, ou du fort où la maison épiscopale est établie, ce que l'Evêque a immédiatement concédé.

Or, nous faisions l'observation suivante : l'Evêque se réserve expressément toute la colline sur laquelle se trouve le château épiscopal, et ce serait là cependant que le Comte aurait fait construire sa curie. Nous avions fini par nous persuader que comme la curie royale était commune entre le Comte et l'Evêque, c'était peut-être une raison qui pouvait justifier la tradition de la cité.
Pourtant nous n'étions pas convaincu, nous persistions à douter, nous cherchions toujours à trouver la solution d'une
question qui nous préoccupait.
Un jour enfin , nous étions occupés à copier une charte fort longue et fort ennuyeuse : l'adjudication d'une rêve de
pain et du vin du 9 octobre 1362 , qui se trouve dans le volume des Preuves, sous le n° CXVI. Lorsque nous fûmes
arrivés au dernier alinéa, qui indiquait le lieu de la vente, nous y lûmes, avec un indicible plaisir : Àclum Digne, in
platea ante citriam. Nous avions donc eu raison de douter. Lorsqu'on réunissait un parlement public devant la curie, c'est qu'il y avait une place au devant pour contenir tous les habitants. Il ne s'agissait plus que de trouver la place indiquée dans l'acte où nous avions découvert cette indication, et l'emplacement de l'antique curie. Dès ce moment , nous eûmes recours au cadastre latin de 1407, que nos archives ont eu le bonheur de conserver, quoi qu'il manque 80 feuillets sur lesquels devaient se trouver des choses fort intéressantes pour notre histoire, à en juger par celles qui sont restées. Nous devons dire cependant tout de suite que le cadastre est complet, et que cette perte de 80
feuillets l'a laissé intact. Une fois lancé dans ce cadastre, nous éprouvâmes une joie bien sincère. Evidemment la découverte était faite : il ne nous restait plus qu'à chercher un point qui pût nous faire reconnaître la curie dans les maisons actuellement existantes. Nous nous mîmes immédiatement à l'oeuvre, nous eûmes bientôt trouvé la maison de Pierre Menuel, et la désignation cadastrale de cette maison nous donna tout de suite un point de repère d'une certitude complète. La maison qui était désignée comme se trouvant au lieu dit : Coin de St.Michel, en patois : Cantoun de San Michèou, ne pouvait être que celle ou du moins la partie de la maison appartenant aujourd'hui aux hoirs de M. Antoine Aillaud, en son vivant notaire à Digne.
L'extrémité nord de cette maison confronte la ruelle qu'on appelle encore aujourd'hui de St.Michel, et la chapelle de
ce nom , qui servait jadis de lieu de réunion pour les séances du conseil de la communauté se trouvait en face de cette maison, alors qu'elle occupait tout le plein de cette ruelle, depuis le point où finit aujourd'hui la maison commune, qui était aussi celle de nos pères depuis 1430 environ. Pour qu'on soit encore plus sûr de la vérité de ce que nous disons, nous allons établir ici la suite des maisons qui, en partant de ce coin de St. Michel , ou soit de la maison de Pierre Menuel , nous conduiront jusqu'au portail de Soleilhe-Boeufs , repère plus certain encore que celui que nous venons de donner.
Nous allons suivre le cadastre et voir les maisons qui se touchaient à cette époque. C'est évidemment dans le coin de la grande place, que le cadastre de 1407, désigne même sous le nom de Place de la Curie que devait se trouver la curie royale. Nous croyons même pouvoir dire avec une sorte de certitude, que la curie occupait la maison Antiq , désignée aujourd'hui |soust le n° 20 de la Place de la Mairie. Il nous reste maintenant à donner quelques explications sur la différence du nombre des maisons existantes en 1407 et de celles qui s'y trouvent aujourd'hui.
En 1407, les maisons étaient moins grandes, et depuis lors, plusieurs d'entr'elles ont dû être réunies et confondues
ensemble. Ainsi, il est tres probable que la maison n° 8 de la Place l'l'Évëché actuelle occupe l'emplacement des deux maisons portées dans le cadastre de 1407, sous les noms de Jean Matharon et d'Isoard Ailhaud. Nous croyons aussi que la maison n° 6 qui la suit, embrasse également les deux maisons de N. Bertrand Des Monts, et de la veuve de Jean Giraud. Les autres maisons n° 4 et n° 2, ont pu rester les mêmes, car elles sont bien moins vastes que les deux premières dont nons venons de parler.
La maison des hoirs Ailhaud , qui se trouve sur la Place de la Mairie, devait également faire deux petites maisons, celle de Pierre Menuel qui devait se trouver à l'angle St. Michel, et celle de Jean Saturnin, qui touchait la curie.
Cette explication est la seule rationnelle, en présence de la différence qui se fait remarquer entre les deux époques, alors, que les deux points extrêmes se trouvent si bien déterminés.
Du côté inférieur de la curie, la différence est moins sensible. La maison de la curie, est bien la maison n° 20 de la Place de la Mairie actuelle ; celle des hoirs Arnaud, est celle qui se trouve sous le n° 18; celle de Jean Paës, notaire, sous le n° 16 ; enfin vient la dernière maison, à l'extrémité inférieure, qni se prolonge sur toute la largeur de la Place Grenette, et se replie sur le côté sud de la même Place, de telle sorte qu'il est à peu près certain qu'elle formait à la fois les trois maisons de Guarine veuve de Nicolas Palmier et de Monnet et Pierre Bellaud, père et fils.
Nous pensons donc qu'on reconnaîtra désormais que la curie des xiii° et xiv° siècles n'était pas dans le bâtiment de la bibliothèque publique, mais bien dans le bâtiment que nous venons d'indiquer.

FIN DE L'OUVRAGE

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