Le retour de l’ile d’Elbe, la traversée des Basses Alpes par Napoléon : cette traversée met en scène 3 personnages : NAPOLEON, l’empereur, DUVAL, préfet des Basses-Alpes, LOVERDO, général, commandant les troupes du département.

Etouffant dans cette ile trop petite pour lui (on a aussi parlé d’une suggestion anglaise destinée à l’abattre définitivement), Napoléon partit à la reconquête de Paris. Il décida de débarquer à Golfe Juan et de passer par Grenoble pour marcher sur la capitale, il n’était suivi que de 1200 hommes et de quatre canons.

Pour y arriver, il devait passer par Gap, Grenoble et les Alpes pour suivre le chemin qu’il avait choisi. Et surtout, il devait franchir la Durance. Il lui fallait avoir investi la seule forteresse du pays qui se trouvait à Sisteron. La nouvelle de son débarquement  était connue à Paris mais seul le baron Vitrolles la prenait comme une menace très sérieuse. Louis XVIII et son ministre de la guerre pouvaient envoyer quelques centaines d’hommes pour l’arrêter dans sa marche dans une région montagneuse aux nombreuses gorges.

Quel était l’état d’esprit des Bas-Alpins à cette époque ?
La population dans son ensemble resta indifférente surtout au début de l’aventure, peu lui importait qui était au pouvoir à Paris. Il lui faudrait toujours payer des impôts et donner son sang à la guerre. Le département avait souffert, dès 1809, d’une multitude de catastrophes naturelles, nulles avantages n’étaient venus les compenser, les charges restaient les mêmes, la conscription enlevait des bras à la terre, pour une région essentiellement rurale c’était une catastrophe. Le mécontentement était grand contre le gouvernement de l’empereur (la royauté commettra les mêmes erreurs). Le clergé était généralement hostile au régime impérial, les bourgeois se plaignaient de l’arrêt des affaires et de l’augmentation incessante des impôts. Au moment du retour de Napoléon, la population n’était pourtant pas totalement royaliste (rappelons que la Provence était une région que l’on considérait comme entièrement dévouée au roi). Le nord  du département où la vie était plus rude se voyait confronter perpétuellement à des problèmes matériels, les Basses-Alpes ne connurent point de mouvements populaires en faveur de qui que se soit.
A ce  moment là, le préfet s’appelait Duval, il gérait le département depuis 10 ans. Il avait un lourd passé révolutionnaire qui lui attira la haine des ultras, il fut démis de ses fonctions par le duc d’Angoulême (neveu de Louis XVIII qui l’avait désigné pour prendre la tête des troupes envoyées contre l’Usurpateur). Duval semblait s’être rallié à la royauté. Il aurait été relégué par Napoléon  à la tête du département des Basses-Alpes en considération de ses idées royalistes. Mais alors pourquoi l’avoir nommé ? Certains historiens vont aller jusqu’à dire qu’il aurait favorisé la marche de l’empereur à travers son département. L’abbé Feraud  va même jusqu’à dire que Bertrand se serait exclamé : « Ah ! Le brave Duval ».  Il est plus réaliste de dire que comme beaucoup de personnes publiques, il est resté très prudent en attendant de voir comment l’aventure se terminerait; attitude qui lui fut négative. En fait, il avait décidé de ne rien faire pour entraver la  marche impériale. Il se retira à Champtercier (patrie de Gassendi), laissant ainsi libre la ville de Digne. Loverdo qui était le général à la tête des troupes royalistes du département (200 hommes dont seulement 132 à Digne et encore ils étaient peu sûrs) marcha au-delà de la Durance, sur la route d’Aix.

Le cheminement à travers notre département fut relativement court puisqu’il ne dura que deux jours et demi. Les villes et les villages traversés furent en premier CASTELLANE puis BARREME, DIGNE, MALIJAI et SISTERON qui ouvrait la porte sur Grenoble.
Castellane (1200 habitants à l’époque) fut donc la première ville à être traversée. Napoléon y parvint le vendredi 3 mars 1815 entre 10h. et 12h., le sous-préfet et le maire avaient été prévenus de son arrivée par une dépêche envoyée par le maire de Sernon, village des Alpes Maritimes, que venait de quitter l’empereur. Cambronne voulant gonfler les effectifs impériaux demanda à la sous-préfecture de fournir des vivres pour 5 000 hommes et des charrettes ou des mulets en proportion. Cette demande fut satisfaite. A midi, l’empereur déjeuna à  la sous-préfecture où il s’entretint  longuement avec Francoul, le sous-préfet et le maire, Saint Martin, à qui, il fit signer trois passeports en blanc (nul ne pouvait sortir de son canton sans ce papier) envisageait-il la fuite si son expédition tournait mal ??? Un fut donné à Emery, chirurgien de la Garde pour aller annoncer à Grenoble la future arrivée de l’empereur, après avoir été capturé par les gens du pouvoir en place, s’être évadé, il accomplit sa mission. La population, d’abord glacée, fraternisa par la suite avec la troupe. Ravi de l’accueil que lui a réservé Castellane, l’empereur promit à son sous-préfet, Francoul, qui a été destitué par Louis XVIII et attendait son remplaçant, le poste de  Préfet des Basses Alpes. La petite ville vit arriver 400 royalistes juste après le départ de l’arrière garde de Napoléon, il leur avait laissé quelques hommes épuisés qui furent faits prisonniers et pour qui l’avenir fut très noir.
De Castellane, il se rendit à Barrême distant d’environ 25 km. Cette étape se fit sous la neige qui tombait drue, ce fut, peut-être, la plus difficile. Ce fut à ce moment qu’un des mulets du trésorier Peyrusse tomba dans un précipice, il transportait 300.000 francs, on n’en retrouva que 263.000. L’arrivée se fit tard dans la soirée, l’empereur avait été précédé de Cambronne, toujours à la tête de l’avant-garde, qui, lui, arriva dans le bourg vers 6 heures. Napoléon logea dans la maison du juge de paix Tartanson. Il partagea son repas avec Drouot et Bertrand. Dans la cuisine, il y avait 2 gardes, son entourage ayant en permanence la crainte d’un empoisonnement. Parmi les on-dit colportés par certains historiens, on a pu lire qu’il portait une cuirasse sous ses vêtements. On rapporte aussi qu’un de ses officiers voyant à la boutonnière d’un gendarma une fleur de lys lui aurait arraché en lui disant : « Quel oiseau as-tu là ?» D’autres prête ce geste à Cambronne, lui-même. Puis après s’être reposé, il se mit en route pour Digne par une route qui n’était plutôt qu’un sentier muletier. La colonne passa par le col de Chaudon puis par le hameau de La Clappe. En cheminant vers la ville, il rencontra l’abbé Laurent (économe du Grand Séminaire) qui allait dire la messe à Chaudon. L’empereur l’interrogea sur le nombre de soldats présent au chef lieu du département et voulut lui acheter son cheval. Aussi surprenant que cela puisse être pour une personne qui refusait toute forme de croyance, ils vont avoir une longue discussion sur la religion (évènements écrits le soir même par l’abbé qui ne voulait rien oublier et publié en 1844 dans « les Annales des Basses Alpes »). L’empereur arriva à Digne le samedi 4 mars, jour de marché, et venant de Barrême, c’est tout naturellement qu’il rentra dans la ville par la rue de la Mère de Dieu qui devait son nom  à une statue de la vierge placée au dessus de la porte des Bains. La population n’était pas hostile mais seulement curieuse. On a dit, toutefois, que l’accueil fut très froid, tempéré par des cris de « vive l’empereur ! » lancé par des gamins qui avaient reçu quelques pièces des officiers  escortant Napoléon pour cela.
---- Digne (les Bains)                      ---- Château de Malijai
Pour gagner les habitants à sa cause, il prononça une harangue, remède qui lui avait gagné bien des gens, Malgré cela, certains fonctionnaires restèrent royalistes : le trésorier payeur, le receveur de l’enregistrement, le directeur des impôts indirects, l’ingénieur en chef, l’ingénieur ordinaire. La garnison de la ville (132 hommes) qui, comme je l’ai déjà dit, était en grande majorité bonapartiste ne fit aucune résistance, puisqu’elle était partie avec Loverdo qui l’avait éloignée. Ce dernier va être sollicité par pour se ranger aux cotés de l’empereur, il n’y aura aucune réponse à cette ouverture. La seule chose qu’il fit fut d’ordonner au commandant de la forteresse de Sisteron d’évacuer ses troupes vers Manosque. Pendant ce temps, Napoléon va s’arrêter à l’hôtel de Paris tandis que la troupe va aller cantonner au Cours des Ares et au Pré de Foire. Il demanda à plusieurs reprises de voir le préfet mais fidèle à sa ligne de conduite, il ne savait pas encore de quel coté soufflerait le vent, Duval ne se montra pas. L’empereur ne resta que quelques heures dans la ville préfectorales, il en repartit vers 15 heures pour marcher sur Sisteron. A aucun moment, il ne rencontra l’évêque, Mgr Miollis qui craignait beaucoup cette entrevue hypothétique, celui qui a été mis en scène par V. Hugo sous le nom de Mgr Myriel dans « Les Misérables ». On a dit de lui que c’était un être faible qui se laissait diriger par son chapitre. Drouot était chargé de s’occuper de l’impression  des proclamations de Napoléon, celles qui avaient été préparées étant presque épuisées, il resta à Digne qui possédait des presses à imprimer. Il devait rejoindre l’arrière garde partie de Castellane le 4 au matin.
En route pour Sisteron, l’empereur s’arrêta au village de Malijai vers 18 heures. Là se place l’anecdote suivante : on raconte qu’un ivrogne se trouvait sur le passage de la colonne des soldats impériaux et balbutiait à très haute voix « Vive l’empereur ! A bas Napoléon ! » L’ancien maître de la France coucha au château mais anxieux pour son avant-garde qui devait investir la forteresse de Sisteron, il passa la nuit, habillé, dans un fauteuil. Son inquiétude était du à la citadelle de Sisteron qui défendait la Durance. Cette rivière était le principal obstacle à franchir sur sa route vers Paris,  il y en aura d’autres mais pas dans les Basses-Alpes. A cette époque, c’était la seule ville à posséder un pont (le pont de la Baume) qui franchissait ce cour d’eau.  Cambronne, à la tête de 40 grenadiers, s’empara de la ville et de la forteresse (vers 1 heure du matin) qui avait été abandonnée, comme on l’a vu, par sa garnison, Aux dires de Loverdo, cette dernière n’avait que des canons sans affuts. Le maire, royaliste, essaya de persuader un officier du Génie de faire sauter le pont mais en vain, l’officier refusa. Alors, accompagné du sous-préfet, il alla accueillir Napoléon. L’empereur s’arrêta à l’auberge du « Bras d’Or »tenue par le grand-père de Paul Arène. Il leur demanda quelle impression faisait son retour, le sous-préfet lui répondit : « la surprise est le sentiment qui prime tous les autres »  
                                                                               

Napoléon quitta Sisteron sous les acclamations de la population. Une ouvrière lui offrit un drapeau tricolore qu’elle avait confectionné elle-même, plusieurs officiers en demi-solde se joignirent au cortège malgré le danger que cela représentait pour eux. A la fin des 100 jours, cette petite ville sera le dernier bastion des bonapartistes du département. Et le soir du 5 mars, il coucha à Gap. Il poursuivit sa route pour reconquérir le pouvoir, cela est une autre histoire puisqu’elle ne concerne plus les Basses-Alpes.
Sisteron fut le lieu où convergèrent les troupes royalistes lancées à sa poursuite sous les ordres du général Miollis, frère de l’évêque de Digne mais elles avaient 48 heures de retard. Dans les Basses-Alpes, petit à petit, la cause du roi se liquéfia et les bonapartistes relevèrent la tête ; le préfet royaliste qui avait remplacé Duval laissa la place à Clément, partisan de l’empereur.
Mais pourquoi cette route ? Pour aller plus vite que de passer par la vallée du Rhône et parce que le chirurgien de la Garde, Emery, après enquête faite par lui, avait dit à Napoléon qui conservait un mauvais souvenir de son passage à travers la Provence lors de son voyage pour s’embarquer pour l’ile d’Elbe que les habitants de la Haute Provence avaient une mentalité différente de celle du reste de la région. Pays qui était fortement royaliste. Voila pourquoi malgré l’état de délabrement des routes qui souvent n’étaient que des sentiers où ne pouvaient passer qu’une ou deux personnes de front, l’empereur gagne Paris par cette voie.

AUX HABITANTS DES HAUTES ET BASSES-ALPES.
« Citoyens! J’ai été vivement touché de tous les sentiments que vous m'avez montrés, vos vœux seront exaucés. La cause de la nation triomphera encore! Vous avez raison de
m'appeler votre père; je ne vis que pour l'honneur et le bonheur de la France. Mon retour dissipe toutes vos inquiétudes, il garantit la conservation de toutes les propriétés, l'égalité entre toutes les classes et les droits dont vous jouissiez depuis vingt-cinq ans, droits après lesquels nos pères ont tous soupiré et qui forment aujourd'hui une partie de votre existence.
Dans toutes les circonstances où je pourrai me trouver, je me rappellerai avec un vif intérêt tout ce que j'ai vu en traversant votre pays.
NAPOLÉON

 

Orientation bibliographique :

---- « La Route Napoléon, sur les traces de l’empereur » de Henri Joannet. Allan Sutton, 2010.
« 1815 » de Henri Houssaye, Perrin et cie, 1893. 
Tous les articles de C. Cauvin parus dans les « Annales des Basses-Alpes »,

 

Jean-Paul Audibert (auteur du site)

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