Aux origines de Forcalquier : le quartier Saint Promasse

1-Un décor agraire

A Forcalquier, l'environnement agricole est bien présent. Les champs cultivés viennent gratter les pieds de la ville et signifient l'importance immédiate de cet ancrage rural.
Bien plus, le quartier Saint Promasse accueille les habitants avec un bâtiment des années 40 : un silo à grains destiné à réceptionner les récoltes!
Le décor du lieu est ainsi bien planté et cette vocation a perduré au cours des siècles.
Mais ce quartier conserve des restes bien plus discrets : ceux d'une église transformée au cours des temps en bâtiment agricole (hangar et grange).
Pourtant, on peut voir aujourd'hui encore l'abside romane semi-circulaire de l'église ainsi que des murs du prieuré qui l'entourait. Il ne s'agit pas de l'église primitive, mais de celle reconstruite au XIIIème siècle.
L'intérieur, privé, possède toujours un puits médiéval qui renforçait l'autonomie du lieu.
On voudrait davantage, mais ces bâtiments suffisent à évoquer la présence en plus d'une communauté religieuse...d'une communauté bas-alpine qui deviendra celle de Forcalquier!
Dans les recherches historiques, c'est souvent l'archéologie qui révèle tout un pan de notre passé.
Mais les grands monastères ont souvent été un maillon essentiel de la diffusion de la culture. De plus, les différents actes : donations, restitutions, inventaires, etc...sont heureusement là pour nous éclairer .

2-Les prémices promassiens de Forcalquier

C'est un acte administratif d'église appelé " polyptique de Vuadalde " qui nous donne les premiers éléments sur l'église Saint Promasse.
Ce document de gestion interne (rouleau de parchemin trouvé dans les archives de la Major à Marseille) établit la localisation des domaines de l'église de Marseille. Dans la liste de ces domaines agricoles, apparait une villa : la villa Betorrida qui est alors citée comme se trouvant à coté de l'église " Sancto Promacio" ! (le terme utilisé est celui de presbiratus).
Mais il reste un problème de taille : celui de la localisation de l'endroit !
C'est J.Y Royer, comme souvent, qui va décrypter le problème par identification d'un toponyme ancien aec le nom du lieu actuel : celui du quartier de " Bonne Fontaine" (Betorrida=Bonne Fontaine).
Ainsi, l'assise géographique semble assurée : nous sommes ici dans l'endroit qui deviendra Forcalquier.
Un autre toponyme, celui de "carmillo" se retrouve aussi aujourd’hui dans le ruisseau des Charmets, devenu les Charmels, qui prend naissance à deux pas d'ici!
Mais cette villa Betorrida, sixième possession de l'abbaye Saint Victor, comprenait trente-cinq exploitations ! (des colonicae)
L'importance de cette villa, située au nord-est de l'agglomération médiévale et constituant  un grand ensemble agricole, explique donc aisément la construction de l'église paroissiale en son sein. En outre, aux abords, se  trouvaient un cloitre, un baptistère et un cimetière.
Le quartier Saint Promasse et son église sont ainsi, en 814, (date du polyptique) le centre de ce qui deviendra Forcalquier !

3-L'apparition de Forcalquier

Au cours de l'Histoire l'église Saint Pancrace et ses terres sont revenues à l'abbaye de Saint Victor. L'église fut restituée par Guillaume Bertrand, petit fils de Guillaume 1er, à charge de la faire desservir par des moines cassianites.
Nous comprenons donc que l'abbaye de Saint Victor possède les écrits et les actes qui justifient sa possession.
Ceux-ci font apparaitre deux termes à retenir : celui de "vieux bourg" et celui de "marché".
Dans les villages provençaux, les échanges entre producteurs et consommateurs s'installent généralement en plein centre du village, autour de l'église.
De plus, l'endroit est ici bien desservi avec la présence de la via domitia toute proche.
On peut fort bien imaginer que tout ce que l'on connait aujourd'hui : grand marché du lundi matin autour de Notre Dame du Bourguet existait déjà autour de saint Promasse !
La situation de l'église est précisée dans un acte capitulaire de l'abbaye Saint Victor qui situe l'édifice " au dessous du château" .
Cet acte précise même le nom de la famille  'Aribert' qui présida à la construction (ou re-construction) de l'église, ouvrant alors un chemin pour traverser sa propriété et donnant une vigne...
Jeanine Bourveau écrit à propos des donateurs : " En fait, ils sauvent leurs âmes car il est probable qu'ils détiennent des biens d'église, usurpés au cours des années de trouble ".
L'histoire va ensuite suivre son cours et les temps féodaux créent la ville de Forcalquier qui regroupera les habitants d'en bas, du vieux bourg, sous ses murailles et nouvelles églises.
Il n'empêche, tout Forcalquier était déjà en germe autour de l'église Saint Promasse et de son bourg ecclésial.



Vue de l'abside de l'église vers 1900  avec  une construction romane de bel appareil.




De nos  jours...l'abside et les murs sont  dissimulés par un crépi.            

 4-Promasse : un saint inconnu ?

a-Tentatives d'assimilation

Le nom de Promasse n'est pas inconnu des forcalquiériens. Une des principales avenues qui monte à la ville  porte son nom.
Il est également repris par différents commerces.
Pourtant, alors que pour d'autres saints locaux ( Donat, Bevons, Douceline etc..) il existe une compilation de leur sainte vie, il n'existe rien sur Promasse.
Aucune image ou statut ou reliquaire pour mettre en valeur certains moments de sa vie.
Certains ont voulu alors réaliser une assimilation avec d'autres saints régionaux dont la vie était connue.
La nature ayant horreur du vide, nous nous retournons à nouveau pour clarifier la situation vers les documents en notre possession : les cartulaires de l'abbaye Saint Victor.
Mariacristina Varano, dans une thèse sur l'espace religieux au Moyen Age, précise fort à propos que les hypothèses émises ne reposent que sur....un vocable !
En effet, le cartulaire de Saint Victor fait apparaitre deux vocables, en remplacement de St Promasse : celui de "St Probace" et celui de "St Chromace".
Il serait alors tentant (disons plutôt facile) d'identifier Promasse avec ces deux saints.
Notons déjà que le nom de Probace apparait quatre fois dans trois actes différents alors que le nom de Chromace apparait une seule fois.
Avec Chromace, nous sommes en bonne compagnie.
Il a fait l'objet d'une dissertation par le pape Benoit 16 lui même lors de l'Audience générale du 5 décembre 2007.
Il nous indique que Chromace fut un maître et un pasteur zélé gérant la juridiction ecclésiale d'Aquilée qui s'étendait de la Suisse bavaroise à la Hongrie.
Que nous voilà loin de la Haute Provence !
En fait, à part la citation du cartulaire de St Victor (et il ne s'agit donc que d'un vocable  sans aucun développement) rien de tangible n'existe !
Avec Probace ; rien de vraiment différent.
On sait que, selon la tradition, les Saintes Maries, venues de Palestine auraient échouées en Camargue ou elles vont exercer leur mission d'évangélisation.
Mais la légende va rajouter à ce frêle esquif quelques personnes qui viennent alourdir la barque.
Parmi eux, il y aurait eu Probace, un des 72 apôtres, qui va évangéliser le village de Tourves, dans le Var (il y serait mort au premier siècle).
L'endroit a gardé sa mémoire : reliques à l'église paroissiale et chapelle St Probace perchée sur une barre rocheuse au sud du village.
Il est souvent invoqué lorsque la commune manque d'eau.
Mais quel rapport entre Probace de Tourves et Promasse de Forcalquier ?
Il n'y a aucune preuve, ni aucun indice d'identification des deux saints, si ce n'est une simple homonymie.
A peine peut on souligner qu'en 1819, le sanctuaire de Tourves est cité dans une charte de l'abbaye St Victor, qui la reçoit de la seigneurie locale; et St Victor était aussi détenteur de St Promasse à Forcalquier.
Mais c'est une simple constatation sans suite, St Victor recueillant sur son prestige de nombreuses donations.

b-Tentative d'humilité

Quelle conclusion apporter ?
Il convient ici de rappeler qu'il existe en Provence de nombreux saints et saintes locales dont les personnalités et la vie demeurent inconnues.
De même, certains lieux (Carluc, par exemple) présentent tout un environnement riche et évocateur des premiers temps du christianisme sans pour autant révéler l'identité de l'ermite qui l'a habité.
En fait, la question que l'on peut se poser est par quel miracle, même un simple nom, a pu persister dans la mémoire collective aux cours de siècles ?
C'est que la présence du sacré est un besoin des hommes et un saint est un personnage intercesseur à qui on s'adresse fréquemment et d'une manière plus facile qu'à la divinité qui impressionne. Il devient un proche.
Aussi, au cours des temps sa proximité le fait imprégner toute une région et ses habitants et on conserve tout ce que l'on peut, ne serait ce qu'un nom.
Nous abordons ici d'avantage une question d'ethnologie qu'une question d'histoire.
En tous cas, il est plus sain et plus humble de reconnaitre que nous n'avons pas de connaissance sur un saint local que de vouloir le rattacher à un saint tutélaire davantage connu.
Malgré tout, le nom de Promasse est resté dans notre langage.
C'est que le langage est un vecteur de vie : il évolue avec les hommes et lorsqu'il ne reste plus rien il est toujours là pour porter une mémoire.


                                                                                                                                                          Robert Sausse di Vénézia

 

A lire: Article de Jeanine Bourveau,in Haute Provence info du 17/09/2010